E. Armand, “Poème erotique / Erotic Poem” (1923)

Poème érotique

Ce sera cette année comme l’année passée — comme d’autres années passées.

Nous parcourrons, Toi et moi, blottis l’un contre l’autre, les allées d’une forêt, les sentiers d’un bois. Je ne sais pas bien où seront situés ce bois, cette forêt. Mais Tes pieds menus y fouleront certainement un tapis, un tapis moelleux de feuilles mortes.

Peut-être je ne saurai pas Ton nom et sans doute Tu ne seras pas la même que l’an passé. Mais que m’importent Ton nom et d’où Tu viens et où Tu vas. Tu seras là, à mon côté, si étroitement serrée contre moi que je sentirai Ton cœur palpiter. Tu Te laïsseras aller, c’est-à-dire Tu sèras naturelle. Insouciante de Ta situation sociale, légale ou morale. Indifférente à tout ce qui n’est pas le moment présent.

Comme l’année passée — comme d’autres années passées. Nous ne dirons pas grand’chose probablement. Nous regarderons, nous sentirons, nous admirerons. Oh ! ce feutre d’or et de pourpre où nos pas s’enfonceront! Ce tapis à la surface frémissant comme les vagues de la mer au souffle de la brise d’automne ! Le temps s’écoulera et nous ne prononcerons pas un mot. Il y aura de l’absence et de l’extase dans Tes prunelles. Comme celles que j’ai déjà menées par ce chemin ou d’autres semblables, Tu m’enserreras la main avec un peu plus de force. Et ce seront Ià toutes les marques de tendresse que nous nous permettrons.

Et comme l’année passée — comme d’autres années passées. En proie aux mêmes anticipations. Un moment viendra où je romprai le silence et où j’extérioriserai ma pensée. Sous cette forme ou une forme parente : « Sais-tu — Te dirai-je par exemple, — quelles images suscitent en moi ces arbres que le vent est en train de dépouiller de leur feuillage ? » Et comme celles que j’ai déjà menées par ce chemin ou d’autres pareils, Tu répliqueras du ton de quelqu’un qu’on éveille d’un rêve : « Oh! je l’en prie, pas de pensée lugubre aujourd’hui ! »

Ét je poursuivrai. Et Te répondrai que les arbres que le vent dépouille de leurs feuilles jaunies n’évoquent en moi aucune idée mélancolique. Qu’elles me font penser à tout à l’heure. À ce soir. À cette minute exquise, délicate, unique, fiévreuse, Où tes vêtements, tes derniers vêtements tombant. Je sentirai sous mes mains et sous mes lèvres. Sous mes baisers et sous mes caresses. Ton corps nu, tiède, ému, souple, frissonnant, élastique.

Et comme celles que j’ai déjà menées par ce chemin ou d’autres analogues. Tu te serreras plus étroitement contre moi. Ta main étreindra la mienne avec plus de langueur. Et je sentirai Ton cœur battre vite, plus vite.

Et il me semblera, à moi, que c’est la premiere fois que j’ai pensé pareille vision. Et que tu es la premiere dont le corps voilé exhale autant de promesses voluptueuses.

15 Octobre 1923.

E. Armand

Erotic Poem

It will be this year as it was in the year past — as in other years past.

We will wander, You and I, snuggled together, the trails of a forest, the paths of a wood. I am not certain where this wood or forest will be located. But there Your little feet will certainly tread a carpet, a soft carpet of dead leaves.

Perhaps I will not know Your name and doubtless You will not be the same as in the year past. But what does Your name matter, or where You come from or where You are going? You will be there, at my side, so close against me that I will feel Your heart beat. Tu You will let Yourself go, which is to say You will be natural. Untroubled by Your situation, whether social, legal or moral. Indifferent to everything that is not the present moment.

As in the year past — as in other years past. We will probably not have much to say. We will look, we will feel and we will admire. Oh! This gold and purple felt in which our footsteps will sink! This carpet whose surface quivers like ocean waves in the autumn breeze! Time will pass and we will not say a word. There will be absence and ecstasy in Your gaze. Like those that I have already led along this path, or others like it, You will grasp my hand with a bit more force. And that will be the only sign of tenderness that we allow ourselves.

And as in the year past — as in other years past. And beset by the same anticipations. A moment will come when I break the silence and when I express my thoughts. In this or some related form: “Do you know,” — I might, for example, say to you — “what images are aroused in my by these trees that the wind is in the process of stripping of their foliage?” And like those that I have already led along this path, or others like it, You would reply in the tone of one awakened from a dream: “Oh! I beg you, no mournful thoughts today!”

And I would go on. And I would tell You that the trees that the wind strips of their yellowing leaves conjure up no melancholy idea in me. That they make me think of right now. Of this evening. Of the exquisite, delicate, unique, feverish moment, when your clothes, your last bit of clothes fall. I would feel you in my hands and beneath my lips. Beneath my kisses and caresses. Your body naked, warm, filled with emotion, supple, quivering, elastic.

And like those that I have already led along this path, or others like it, You would draw yourself more tightly against me. Your hand would grasp mine with more languor. And I would feel your heart beat fast, faster.

And it will seem to me that this is the first time that I have conceived of such a vision. And that You are the first whose veiled body exhales so many voluptuous promises.

15 October 1923.

E. Armand

E. Armand, “Poème erotique,” L’En dehors 2 no. 21 (mi-Octobre 1923): 3.

[Working translation by Shawn P. Wilbur]

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