OF THE
CREATION OF ORDER
IN HUMANITY
OR
PRINCIPLES OF POLITICAL ORGANIZATION
BY
[These draft translations are part of on ongoing effort to translate both editions of Proudhon’s Justice in the Revolution and in the Church into English, together with some related works, as the first step toward establishing an edition of Proudhon’s works in English. They are very much a first step, as there are lots of decisions about how best to render the texts which can only be answered in the course of the translation process. It seems important to share the work as it is completed, even in rough form, but the drafts are not suitable for scholarly work or publication elsewhere in their present state. — Shawn P. Wilbur, translator]
— CHAPTER III —
CHAPITRE IV
l’économie politique
§ I. — Objet et circonscription de cette science.
364. « Usbeck à Hassein, dervis de la montagne de Jaron.
« Ô toi, sage dervis, dont l’esprit curieux brille de tant de connaissances, écoute ce que je vais te dire.
« Il y a ici des philosophes qui, à la vérité, n’ont point atteint jusqu’au faîte de la sagesse orientale ; ils n’ont point été ravis jusqu’au trône lumineux ; ils n’ont ni entendu les paroles ineffables dont les concerts des anges retentissent, ni senti les formidables accès d’une fureur divine : mais, laissés à eux-mêmes, privés des saintes merveilles, ils suivent dans le silence les traces de la raison humaine.
« Tu ne saurais croire jusqu’où ce guide les a conduits. Ils ont débrouillé le chaos et ont expliqué, par une mécanique simple, l’ordre de l’architecture divine. L’auteur de la nature a donné du mouvement à la matière : il n’en a pas fallu davantage pour produire cette prodigieuse variété d’effets que nous voyons dans l’univers.
« Que les législateurs ordinaires nous proposent des lois pour régler les sociétés des hommes, des lois aussi sujettes au changement que l’esprit de ceux qui les proposent et des peuples qui les observent ; ceux-ci ne nous parlent que des lois générales, immuables, éternelles, qui s’observent sans aucune exception, avec un ordre, une régularité et une promptitude infinie, dans l’immensité des espaces.
« Et que crois-tu, homme divin, que soient ces lois ? Tu t’imagines peut-être qu’entrant dans le conseil de l’Éternel tu vas être étonné par la sublimité des mystères : tu renonces par avance à comprendre ; tu ne te proposes que d’admirer.
« Mais tu changeras bientôt de pensée : elles n’éblouissent point par un faux respect ; leur simplicité les a fait longtemps méconnaître ; et ce n’est qu’après bien des réflexions qu’on en a vu toute la fécondité et toute l’étendue.
« La première est que tout corps tend à décrire une ligne droite, à moins qu’il ne rencontre quelque obstacle qui l’en détourne ; et la seconde, qui n’en est qu’une suite, c’est que tout corps qui tourne autour d’un centre tend à s’en éloigner ; parce que plus il en est loin, plus la ligne qu’il décrit approche de la ligne droite.
« Voilà, sublime dervis, la clef de la nature ; voilà des principes féconds, dont on tire des conséquences à perte de vue.
« La connaissance de cinq ou six vérités a rendu leur philosophie pleine de miracles, et leur a fait faire presque autant de prodiges et de merveilles que tout ce qu’on nous raconte de nos saints prophètes.
« Car enfin je suis persuadé qu’il n’y a aucun de nos docteurs qui n’eût été embarrassé si on lui eût dit de peser dans une balance tout l’air qui est autour de la terre, ou de mesurer toute l’eau qui tombe chaque année sur sa surface ; et qui n’eût pensé plus de quatre fois avant de dire combien de lieues le son fait dans une heure, quel temps un rayon de lumière emploie à venir du soleil à nous ; combien de toises il y a d’ici à Saturne ; quelle est la courbe selon laquelle un vaisseau doit être taillé pour être le meilleur voilier qu’il soit possible.
« Peut-être que si quelque homme divin avait orné les ouvrages de ces philosophes de paroles hautes et sublimes, s’il y avait mêlé des figures hardies et des allégories mystérieuses, il aurait fait un bel ouvrage qui n’aurait cédé qu’au saint Alcoran.
« Cependant, s’il le faut dire ce que je pense, je ne m’accommode guère du style figuré. Il y a dans notre Alcoran un grand nombre de petites choses qui me paraissent toujours telles, quoiqu’elles soient relevées par la force et la vie de l’expression. Il semble d’abord que les livres inspirés ne sont que les idées divines rendues en langage humain : au contraire, dans notre Alcoran, on trouve souvent le langage de Dieu et les idées des hommes ; comme si, par un admirable caprice, Dieu y avait dicté les paroles, et que l’homme eût fourni les pensées.
« Tu diras peut-être que je parle trop librement de ce qu’il y a de plus saint parmi nous ; tu croiras que c’est le fruit de l’indépendance où l’on vit dans ce pays. Non, grâce au ciel, l’esprit n’a pas corrompu le cœur ; et tant que je vivrai, Hali sera mon prophète. » (Montesquieu, Lettres Persanes.)
Quiconque aujourd’hui s’occupe d’études sociales doit avoir sans cesse présent à l’esprit cet admirable morceau. Le style haut et figuré a défrayé la première moitié du dix-neuvième siècle ; il semble à présent qu’il nous dégoûte : serait-ce qu’une science nouvelle est au moment d’éclore ?
À Dieu ne plaise que je m’attribue cette glorieuse initiative ! Mon style et mes pensées se sentent trop de la fréquentation des hommes divins dont parle le naïf persan ; trop longtemps je me suis occupé de révélations et de miracles pour que j’aie appris à en faire. Je veux seulement, à l’aide de cinq ou six vérités dégagées de la masse des faits économiques, montrer que la société, comme la nature, est soumise à des lois éternelles et immuables, à des lois qui ne changent pas selon le caprice des hommes.
CHAPTER IV
political economy
§ I. — Object and circumscription of this science.
364. “Usbeck to Hassein, dervish of the mountain of Jaron.
“O thou wise dervish, whose inquisitive mind shines with so much knowledge, hear what I am about to tell thee.
“There are philosophers here who, in truth, have not reached the pinnacle of oriental wisdom; they were not caught up to the luminous throne; they have neither heard the ineffable words with which the concerts of the angels resound, nor felt the formidable fits of a divine fury: but, left to themselves, deprived of the holy marvels, they follow in silence the traces of human reason.
“You cannot believe how far this guide has taken them. They unraveled the chaos and explained, through simple mechanics, the order of divine architecture. The author of nature gave motion to matter: nothing more was needed to produce that prodigious variety of effects that we see in the universe.
“Let the ordinary legislators propose to us laws to regulate the societies of men, laws as subject to change as the minds of those who propose them and of the peoples who observe them; these speak to us only of general, immutable, eternal laws, which are observed without any exception, with an order, a regularity and an infinite promptness, in the immensity of spaces.
“And what do you think, divine man, that these laws are? You imagine perhaps that entering into the counsel of the Eternal you are going to be astonished by the sublimity of the mysteries: you give up understanding in advance; you only propose to admire.
“But you will soon change your mind: they do not dazzle with false respect; their simplicity caused them to be misunderstood for a long time; and it is only after much reflection that we have seen their full fruitfulness and full extent.
“The first law is that every body tends to describe a straight line, unless it encounters some obstacle that diverts it; and the second, which is only a consequence of it, is that any body that revolves around a center tends to move away from it; because the farther it is, the more the line it describes approaches a straight line.
“Here, sublime dervish, is the key to nature; these are fruitful principles, from which one draws consequences as far as the eye can see.
“The knowledge of five or six truths has made their philosophy full of miracles, and caused them to do almost as many prodigies and marvels as all that we are told of our holy prophets.
“For after all I am persuaded that there is not one of our doctors who would not have been embarrassed if he had been told to weigh in a balance all the air that is around the earth, or to measure all the water that falls on its surface every year; and who would not have thought more than four times before saying how many leagues sound travels in an hour, what time a ray of light takes to come from the sun to us; how many fathoms there are from here to Saturn; what is the curve by which a ship must be carved to be the best sailboat it can be.
“Perhaps if some divine man had adorned the works of these philosophers with lofty and sublime words, if he had mixed bold figures and mysterious allegories, he would have produced a beautiful work which would only have yielded to Saint Alcoran.
“However, if I have to say what I think, I don’t really adapt to the figurative style. There are in our Alcoran a great number of small things, which always appear to me as such, although they are raised by the force and the life of the expression. It seems at first that the inspired books are only the divine ideas rendered in human language. On the contrary, in our Alcoran, we often find the language of God and the ideas of men, as if, by some admirable whim, God had dictated the words, and man had supplied the thoughts.
“You will perhaps say that I speak too freely of what is holiest among us; you will believe that it is the fruit of the independence where one lives in this country. No, thank heaven the mind has not corrupted the heart; and as long as I live, Hali will be my prophet. (Montesquieu, Persian Letters.)
Anyone who is concerned with social studies today must constantly bear this admirable piece in mind. The high and figured style defrayed the first half of the nineteenth century; it now seems to disgust us. Could a new science be born in this moment?
God forbid that I take credit for this glorious initiative! My style and my thoughts bear too much of the frequentation of the divine men of which the naive Persian speaks; too long have I been busy with revelations and miracles for me to learn how to make them. I only want, with the help of five or six truths drawn from the mass of economic facts, to show that society, like nature, is subject to eternal and immutable laws, to laws that do not change according to the whim of men.
365. L’Économie politique a cela de particulier que sa période religieuse et philosophique a été à peu près nulle[1]. Une science, en effet, qui procède d’emblée par l’observation et l’analyse, par des calculs de statistique et des détails techniques, une semblable science devait offrir tout d’abord le plus haut degré de positivisme. Aussi les économistes furent-ils dès l’origine traités en ennemis par les hommes du privilége et de la routine, qui tous s’indignèrent qu’on parlât de gouverner par poids et mesure, et crièrent haro sur des études auxquelles ils ne comprenaient rien, sinon qu’elles menaçaient leur existence. Aujourd’hui encore sous les noms de matérialistes et d’utilitaires, les économistes sont calomniés par deux espèces de psychologues, que Jérémie Bentham a plaisamment nommés, les uns ascètes, et les autres sentimentaux ; singuliers contradicteurs, dont toutes les accusations se réduisent à ceci :
1. L’Économie politique tend à améliorer la condition physique de l’homme ;
2. L’Économie politique a pris pour guide la raison de préférence au sentiment !…
365. Political Economy is particular in that its religious and philosophical period was almost nonexistent. [1] A science, in fact, that proceeds from the outset by observation and analysis, by statistical calculations and technical details, such a science should first of all offer the highest degree of positivism. So economists were from the start treated as enemies by men of privilege and routine, who were all indignant that people spoke of governing by weight and measure, and inveighed against studies in which they understood nothing, if they did not threaten their existence. Even today, under the names of materialists and utilitarians, the economists are slandered by two kinds of psychologists, whom Jérémie Bentham has jokingly named, one ascetics, and other sentimentalists; singular contradictors, whose all accusations are reduced to this:
1. Political Economy tends to improve the physical condition of man;
2. Political economy has taken reason rather than feeling as its guide!…
366. Toutefois, il faut le reconnaître, l’Économie politique n’est pas constituée. La masse des faits observés est immense ; toutes les branches de commerce et d’industrie ont été explorées ; pas une institution, pas une coutume, un préjugé, un abus ou un moyen de gouvernement, qui n’ait passé au creuset de l’analyse : semblables aux philosophes du seizième siècle, dont les travaux d’exégèse préparèrent le siècle littéraire de Louis XIV, les économistes ont senti qu’avant de formuler la science il fallait en dégager les matériaux. Déjà même on écrit l’histoire de l’Économie politique : et cette entreprise, nécessairement prématurée si on la juge au point de vue d’une science faite, est éminemment utile sous ce rapport, qu’elle forme le dernier degré que nous ayons à monter pour arriver au sanctuaire. Ajoutons que l’équation sérielle est l’argument dont se servent d’ordinaire les économistes : si quelquefois ils emploient la forme déductive, c’est presque toujours sur des points acceptés de la généralité des lecteurs, et qu’ils ne se croient pas la mission de discuter[2].
Avec tout cela, l’Économie politique, n’ayant pu découvrir sa méthode, ou pour mieux dire n’en ayant pas conscience, reste privée de certitude ; elle n’ose faire un pas hors de la description des faits : de là sa timidité à aborder certains problèmes, de la solution desquels dépend le progrès ultérieur des sociétés.
366. However, it must be recognized that Political Economy is not established. The mass of observed facts is immense; all branches of commerce and industry have been explored; there is not an institution, not a custom, a prejudice, an abuse or a means of government, that has not passed through the crucible of analysis. Like the philosophers of the sixteenth century, whose works of exegesis prepared the literary century of Louis XIV, the economists felt that before formulating a science it was necessary to identify its materials. Already we are writing the history of political economy: and this enterprise, necessarily premature if we judge it from the point of view of a completed science, is eminently useful in this respect, whether it forms the last degree that we have to climb to reach the sanctuary. [2]
With all this, Political Economy, having been unable to discover its method, or rather not being aware of it, remains deprived of certainty; it dares not go beyond the description of facts: hence its timidity in tackling certain problems, on the solution of which the subsequent progress of societies depends.
367. L’Économie politique est la science de la production et de la distribution des richesses. Or, l’objet d’une science étant donné, le champ d’observation, la méthode, et la circonscription de cette science doivent naturellement s’en déduire.
I. Champ d’observation de la science économique. Vers le milieu du dix-huitième siècle vivait en Angleterre un philosophe, plus remarquable par la sagacité de ses vues et la justesse de son jugement que par l’éclat et la sublimité de son style : ce philosophe avait nom Adam Smith. Ce fut lui qui le premier détermina scientifiquement le champ d’observation de l’Économie politique.
Avant A. Smith, on demandait si c’était la terre, ou l’agriculture, ou l’industrie, ou le commerce, ou l’argent, qui produisait la richesse : A. Smith répondit que c’était le Travail. En effet, la terre ne donne qu’à celui qui la fouille et la cultive, en un mot, qui la travaille ; l’agriculture est la forme originelle de ce travail, dont elle a même pris le nom (labourer de laborare) ; l’industrie est un démembrement de l’agriculture ; le commerce est pour les travailleurs de chaque pays un moyen de suppléer à leurs produits respectifs ; l’argent est un meuble de convention destiné à faciliter les échanges (406).
Qu’importe donc la matière exploitée, la forme de l’instrument, le lieu de la production ? Qu’importe l’abondance ou la rareté du signe d’échange, s’il ne vaut qu’autant qu’il représente quelque chose, c’est-à-dire du travail ? En ramenant ainsi à une source générale les formes particulières, vraies ou supposées, de la production, A. Smith détruisit des nichées d’erreurs et une incroyable chaîne de malentendus. Du même coup, se trouvèrent infirmées toutes les richesses acquises autrement que par le travail.
367. Political economy is the science of the production and distribution of wealth. Now, the object of a science being given, the field of observation, the method, and the circumscription of this science must naturally be deduced from it.
I. Field of observation of the economic science. About the middle of the eighteenth century, there lived in England a philosopher, more remarkable for the sagacity of his views and the correctness of his judgment than for the brilliance and sublimity of his style: this philosopher was named Adam Smith. It was he who first scientifically determined the field of observation of political economy.
Before A. Smith, it was asked whether it was land, or agriculture, or industry, or trade, or money, that produced wealth: A. Smith replied that it was Labor. Indeed, the earth gives only to him who excavates and cultivates it, in a word, who works it; agriculture is the original form of this work, from which it even took the name (laborer from unit); industry is a dismemberment of agriculture; trade is for the workers of each country a means of supplementing their respective products; money is a conventional piece of furniture intended to facilitate exchanges (406).
So what does the material used, the shape of the instrument, the place of production matter? What does the abundance or the rarity of the sign of exchange matter, if it is worth only as much as it represents something, that is to say labor? By thus bringing back to a general source the particular forms, real or imagined, of production, A. Smith destroyed nests of errors and an incredible chain of misunderstandings. At the same time, all the wealth acquired other than by labor was invalidated.
368. Dans le travail, on peut considérer : 1o spécialement, les procédés de chaque art et métier, les moyens de fabrication, le perfectionnement des outils et des machines, etc. ; sous ce point de vue, le travail se nomme particulièrement main-d’œuvre ; 2o généralement, les lois de production et d’organisation communes à toutes les espèces de travaux et d’industries. La première partie de cette recherche forme la Technique ; la seconde constitue l’Économie proprement dite.
L’oubli de cette distinction fondamentale a jeté nombre d’économistes dans des détails fort curieux sans doute, mais qui les écartaient de leur véritable objet. Ainsi, dans les cours publics, nous avons vu souvent la leçon du professeur dégénérer en mécanique, métallurgie, tissanderie ou filature. Or l’Économie politique, comme la science des nombres, est une suite de propositions abstraites susceptibles de développement et de systématisation, indépendamment de la pratique : c’est une de ces sciences qu’on peut appeler mères et rectrices, parce que, comprenant dans leur généralité tout un ordre de faits, elles préexistent, pour ainsi dire, à ces mêmes faits qu’elles gouvernent, et peuvent être intellectuellement construites, sans attendre la sanction de l’expérience.
Donc, procédés de main-d’œuvre ou d’exécution, c’est la technographie, ou technique ; lois générales de la production et de la distribution des richesses, c’est l’Économie politique.
368. In labor, we can consider: 1) specifically, the processes of each art and trade, the means of manufacture, the improvement of tools and machines, &c.; from this point of view, labor is specifically called main-d’œuvre or labor; 2) generally, the laws of production and organization common to all kinds of work and industries. The first part of this research forms Technique; the second constitutes Economy proper.
Forgetting this fundamental distinction has thrown a number of economists into details that are no doubt very curious, but which divert them from their true object. Thus, in public courses, we have often seen the professor’s lesson degenerate into mechanics, metallurgy, weaving or spinning. But political economy, like the science of numbers, is a series of abstract propositions susceptible of development and systematization, independent of practice. It is one of those that which can be called mothers and rectrices, because, comprising in their generality a whole order of facts, they pre-exist, so to speak, those same facts that they govern, and can be intellectually constructed, without waiting for the sanction of experience.
So, processes of labor or execution, it is technography, or technique; general laws of the production and distribution of wealth is Political Economy.
369. Tout ce qui est travail, fonction utile, est matière d’Économie politique. L’Économie politique embrasse donc dans sa sphère le gouvernement, aussi bien que le commerce et l’industrie. Par quelle étrange complaisance J.-B. Say, et tout récemment M. Chevalier lui-même, ont-ils pu dire que l’Économie politique doit s’abstenir de toucher aux choses d’administration et de gouvernement ; qu’elle n’est pas la Politique, mais la servante de la Politique ? C’est comme si l’on prétendait que la géométrie est la servante des arpenteurs.
Say lui-même a détruit vingt fois sa propre thèse : le labeur du magistrat, suivant lui, est un service utile, dont la rétribution est chose juste et légitime. Du gouvernement aux administrés, des administrés au gouvernement, tout est service réciproque, échange, salaire et remboursement ; dans le gouvernement, tout est direction, répartition, circulation, organisation : en quoi donc l’Économie exclurait-elle de son domaine le gouvernement ? Serait-ce pour la diversité du but ? Mais le gouvernement est la direction des forces sociales vers le bien-être ou l’utilité générale : or, le but de l’Économie politique n’est-il pas aussi le bien-être de tous, l’utilité, la justice ! n’entre-t-il pas dans ses attributions essentielles de distinguer ce qui est utile d’avec ce qui est improductif ? les économistes n’ont-ils pas été surnommés Utilitaires ?…
« L’Économie politique est la science de la production des richesses et de l’organisation du travail : donc elle ne se mêle pas de politique…. » Vraiment, en lisant cette singulière déclaration de MM. Say et Chevalier, on ne sait lequel admirer le plus, de la stupidité des gouvernants qui l’exigent, ou de l’amère ironie de ceux qui la font.
Je ne m’arrêterai pas davantage à réfuter les arguties plus ou moins sincères des économistes non politiques ; car c’est ainsi qu’il faut les appeler, malgré le nom propre de la science. Les faits que j’aurai à rapporter parleront plus haut que tous les raisonnements : on verra que les lois d’organisation du travail sont communes aux fonctions législatives, administratives et judiciaires, ainsi qu’à l’industrie et à l’agriculture, et que le progrès des réformes dans la société n’est autre chose que la détermination même de la science économique.
369. Everything that is labor, a useful function, is a matter of political economy. Political economy therefore embraces in its sphere government, as well as commerce and industry. By what strange complacency have J.-B. Say, and quite recently M. Chevalier himself, been able to say that political economy must abstain from touching matters of administration and government, that it is not Politics, but the servant of Politics? It is as if we claimed that geometry is the servant of surveyors.
Say himself destroyed his own thesis twenty times over: the labor of the magistrate, according to him, is a useful service, the remuneration of which is a just and legitimate thing. From the government to the citizens, from the citizens to the government, everything is reciprocal service, exchange, salary and reimbursement; in government, everything is direction, distribution, circulation, organization: how then would the Economy exclude government from its domain? Could it be for diversity of purpose? But government is the direction of social forces towards general well-being or utility: now, is not the goal of political economy also the well-being of all, utility, justice! Does it not enter into its essential attributions to distinguish what is useful from what is unproductive? Haven’t economists been dubbed Utilitarians?…
“Political economy is the science of the production of wealth and the organization of labor: therefore, it does not meddle in politics….” Truly, on reading this singular declaration of MM. Say and Chevalier, we do not know which to admire the most, the stupidity of the rulers who demand it, or the bitter irony of those who make it.
Nor will I stop to refute the more or less sincere quibbles of non-political economists; for that is what they must be called, in spite of the proper name of science. The facts that I will have to relate will speak louder than all reasoning: we will see that the laws of organization of labor are common to the legislative, administrative and judicial functions, as well as to industry and agriculture, and that the progress of reforms in society is nothing other than the very determination of economic science.
370. II. Méthode de l’Économie politique. Cette méthode est la dialectique sérielle, ou méthode de classification des idées, dont nous avons exposé au chapitre III les éléments. Le lecteur devait s’y attendre : comme le mouvement des sciences mathématiques, physiques et naturelles fut une préparation à la théorie de la loi sérielle ; ainsi l’Économie politique est le dernier produit de l’investigation humaine, une science composant sa méthode de la comparaison de toutes les méthodes. Déjà l’on a pu s’apercevoir que tous nos exemples d’argumentation sériée étaient empruntés à la société et à la morale : c’est qu’en effet, en dehors de la spéculation objective, l’homme ne trouve que lui, sa conscience, son moi, auquel il puisse appliquer la loi de sériation que lui indique l’Univers. Aucun économiste de quelque génie n’a failli à cette tendance ; tous ont senti que l’Économie politique devait être, comme les sciences déjà faites, positive, régulière, ayant ses principes en elle-même, son objet spécial, sa méthode à elle. Mais, plus occupés de matière industrielle que de classifications, craignant sur toute chose de laisser dégénérer leur science en métaphysique et s’évanouir en abstractions, ils n’ont pas su dégager leur propre méthode, et se sont livrés à un empirisme immodéré qui les a conduits à l’encombrement.
La série des idées est l’instrument de l’Économie politique : son système, ou son organisation, résultera de la transformation des formules[3].
Mais la série suppose la division : pour former des séries économiques, il faut diviser l’objet, parcourir le champ d’observation de l’Économie ; en un mot, il faut analyser le travail.
370. II. Method of Political Economy. This method is the serial dialectic, or method of classifying ideas, the elements of which we explained in Chapter III. The reader should have expected this: as the movement of the mathematical, physical and natural sciences was a preparation for the theory of serial law; thus Political Economy is the last product of human investigation, a science composing its method from the comparison of all methods. We have already been able to see that all our examples of serial argumentation were borrowed from society and morality: it is because, in fact, apart from objective speculation, man finds only himself, his consciousness, his self, to which he can apply the law of seriation indicated to him by the Universe. No economist of any genius has failed in this tendency; all felt that political economy should be, like the sciences already made, positive, regular, having its own principles, its special object, its own method. But, more occupied with industrial matters than with classifications, fearing in all things to let their science degenerate into metaphysics and vanish into abstractions, they were unable to find their own method, and gave themselves up to an immoderate empiricism which led to congestion.
The series of ideas is the instrument of political economy: its system, or its organization, will result from the transformation of formulas. [3]
But the series presupposes division: to form economic series, the object must be divided, the field of observation of the Economy must be traversed; in a word, it is necessary to analyze labor.
371. III. Circonscription de l’Économie politique. Le Travail, tel que l’Économie politique le conçoit et l’étudie, est une idée complexe, qui, décomposée dans chacun de ses éléments, puis recomposée sous tous ses points de vue, constitue la science.
L’économiste définit le travail, Action intelligente de l’homme sur la matière, dans un but prévu de satisfaction personnelle.
Aux yeux du métaphysicien, le travail est la substitution ou la superposition dans les corps des séries artificielles aux séries naturelles (231, 232).
La conception économique du travail se trouve nécessairement impliquée dans le principe de Smith, que toute richesse vient du travail. En effet, si, par travail, on entendait seulement une application quelconque de l’activité humaine, on pourrait douter que le travail fût par lui-même producteur, plutôt que le sol et les capitaux. Le travail, abstraction faite des conditions d’intelligence, de matière convenable, et d’instruments appropriés à l’œuvre demandée, n’est qu’une peine stérile, un déploiement insignifiant de force, une consommation en pure perte de l’énergie vitale, enfin une vexation de la matière sans résultat. En ce sens, j’ai donc pu dire[4] que le travail, considéré en lui-même, était improductif, et que la production résultait synthétiquement de ces trois choses, le travail, la matière, l’instrument. L’erreur de Say a été d’attribuer à chacun des éléments de la production la capacité productive, trompé en cela par l’équivoque du mot produit, qui se dit également de la terre et de l’homme. Mais l’Économie politique est la science de la production humaine, non de la production terrestre : elle commence avec le travail de l’homme, après le travail du Créateur.
371. III. Constituency of Political Economy. Labor, as political economy conceives and studies it, is a complex idea which, broken down into each of its elements, then recomposed from all its points of view, constitutes science.
The economist defines labor, intelligent action of man on matter, with an intended aim of personal satisfaction.
In the eyes of the metaphysician, labor is the substitution or superimposition in bodies of artificial series on natural series (231, 232).
The economic conception of labor is necessarily implied in Smith’s principle that all wealth comes from labor. In fact, if by labor we meant only any application whatsoever of human activity, we might doubt that labor was in itself a producer, rather than the soil and capital. Labor, apart from the conditions of intelligence, suitable material, and instruments appropriate to the work required, is only a sterile pain, an insignificant deployment of force, a wasteful consumption of energy. vital, finally an vexation of matter without result. In this sense, I was therefore able to say [4] that labor, considered in itself, was unproductive, and that production resulted synthetically from these three things, labor, material, and the instrument. Say’s error was to attribute the productive capacity to each of the elements of production, deceived in this by the ambiguity of the word product, which is also said of the earth and of man. But political economy is the science of human production, not of terrestrial production: it begins with the work of man, after the work of the Creator.
372. Le travail défini, reste à savoir quel est son mode de réalisation.
L’action de l’homme sur la matière n’a lieu qu’à l’aide d’un instrument matériel : quant à la force qui préside à la manœuvre, elle est aussi secrète, aussi inconnue que celle qui fait végéter les plantes, et peser les astres les uns sur les autres à des distances infinies. Ainsi partout l’être et la substance, la force et la vie, constamment manifestés, constamment se dérobent à notre perception, et ne nous laissent voir que des rapports et des lois, ici le phénomène se passe entre la force animique de l’homme et la matière inerte et passive : c’est, comme on l’a dit, la communion de l’homme et de la nature.
372. Labor defined, it remains to know what is its mode of realization.
The action of man on matter takes place only with the aid of a material instrument: as for the force that presides over the operation, it is as secret, as unknown as that which makes plants vegetate, and makes the stars weigh on one another at infinite distances. Thus everywhere being and substance, force and life, constantly manifested, constantly elude our perception, and allow us to see only relations and laws; here the phenomenon takes place between the psychic force of man and inert and passive matter: it is, as we have said, the communion of man and nature.
373. Le premier instrument employé par l’homme dans le travail est son corps, auquel il substitue bientôt des instruments factices, tirés de la matière sur laquelle il agit, et façonnés de ses mains.
Et comme en tout ordre de faits on découvre d’abord une ligne de démarcation entre l’homme et les autres animaux, de même ici l’homme se distingue de tous les êtres vivants par la faculté ou l’industrie qu’il a de multiplier sa puissance, au moyen d’organes supplémentaires dont il arme sa nudité.
-
Le théosophe a dit : L’homme est l’animal qui se prosterne devant l’Être suprême, et prévoit une vie future ;
-
Le linguiste : L’homme est l’animal qui parle ;
-
Le psychologue : L’homme est l’animal en qui l’instinct devient raison ;
-
L’artiste : L’homme est l’animal doué de la faculté de redresser d’après un type idéal les exemplaires des choses ;
-
Le moraliste : L’homme est l’animal capable de dévouement et de sacrifice ;
-
L’économiste peut dire : l’homme est l’animal qui travaille.
Le castor, l’hirondelle, l’abeille, le ver à soie, la fourmi, l’araignée, tous les animaux que nous appellerions travailleurs, si, dans leurs opérations, ils n’obéissaient pas uniquement à une impulsion aveugle, irrésistible ; ces animaux, dis-je, n’emploient d’autres outils que leurs dents, leurs ongles, leur bec, leur estomac, leurs pattes ou leur queue ; pour mieux dire, ils sont eux-mêmes des organes inconscients de l’intelligence universelle. Plus l’homme se rapproche de la brute, plus il est enfoncé dans cette condition misérable que les philosophes du siècle dernier nommaient état de nature, plus aussi il est réduit à l’usage immédiat de ses propres membres, par conséquent moins il met du sien dans son action, moins il travaille. Le progrès de la société se mesure sur le développement de l’industrie et la perfection des instruments ; l’homme qui ne sait ou ne peut se servir d’un outil pour travailler est une anomalie, une créature abortive : ce n’est pas un homme.
Redisons-le : de tous les animaux l’homme est le seul qui travaille. Les vieilles religions ont vu là le signe d’une malédiction céleste : dans la société primitive, en effet, le travail dut être aussi pénible que peu productif. Mais la science nouvelle ne découvre plus dans le travail que le témoignage éclatant de notre immense supériorité.
373. The first instrument used by man in labor is his body, for which he soon substitutes artificial instruments, taken from the material on which he acts, and fashioned with his hands.
And as in every order of facts we first discover a line of demarcation between man and other animals, so here man is distinguished from all living beings by the faculty or the industry he has of multiplying his power, by means of the supplementary organs with which he arms his nudity.
The Theosophist has said: Man is the animal that bows down to the Supreme Being, and foresees a future life;
The linguist: Man is the animal that speaks;
The psychologist: Man is the animal in which instinct becomes reason;
The artist: Man is the animal endowed with the faculty of correcting the specimens of things according to an ideal type;
The moralist: Man is the animal capable of devotion and sacrifice;
The economist can say: man is the animal that labors.
The beaver, the swallow, the bee, the silkworm, the ant, the spider, all the animals that we would call workers, if in their operations they did not obey only a blind, irresistible impulse; these animals, I say, use no other tools than their teeth, their nails, their beak, their stomach, their legs or their tail; to put it better, they are themselves unconscious organs of the universal intelligence. The closer man approaches the brute, the more he is sunk into that miserable condition that the philosophers of the last century called the state of nature, the more also he is reduced to the immediate use of his own limbs, consequently the less he puts of himself into his action, the less he labors. The progress of society is measured by the development of industry and the perfection of instruments; the man who does not know how or cannot use a tool to labor is an anomaly, an abortive creature: he is not a man.
Let us say it again: of all the animals, man is the only one who labors. The old religions saw in this the sign of a celestial curse: in primitive society, indeed, labor must have been as painful as it was unproductive. But the new science no longer discovers in labor anything but the dazzling testimony of our immense superiority.
374. Si, comme les animaux, l’homme n’employait pour travailler que ses mains, ou si, comme Dieu, il mouvait et manipulait la matière par sa seule volonté, il n’y aurait point de science économique ; la société serait nulle ; quelque chose manquerait dans l’univers. Ce seul mot, Travail, renferme donc tout un ordre de connaissances ; ce sera le triomphe de la méthode sérielle de l’avoir démontré.
374. If, like the animals, man used only his hands to labor, or if, like God, he moved and manipulated matter by his will alone, there would be no economic science; society would be null; something would be missing in the universe. This single word, Labor, therefore contains a whole order of knowledge; it will be the triumph of the serial method to have demonstrated it.
375. Par l’action que l’homme exerce sur elle, la matière devient tour à tour et tout à la fois instrument et œuvre : dans l’un et l’autre cas, elle souffre diminution, modification, changement. Ici les exemples les plus vulgaires doivent être préférés.
Qu’un ouvrier, à l’aide d’un ciseau, taille une pierre : dans cette opération, le fer est un instrument ; la pierre, produit. Mais que le même ouvrier se serve de la pierre pour aiguiser son ciseau : la pierre devient instrument, la façon donnée au fer est produit. Cette observation s’applique à tous les cas possibles.
Or, cette corrélation si facile à entendre de matière instrumentale et matière ouvrée (opus operans et opus operatum, disait l’ancienne école) est d’une extrême fécondité pour la science, et donne lieu à des spéculations infinies ; toute la première partie de l’Économie politique, celle qui traite des produits, de la valeur, des capitaux, de la circulation, du crédit des banques, monnaies, salaires, de l’impôt, de la concurrence, des prohibitions, repose sur ce fondement.
375. By the action that man exerts on it, matter becomes alternately and at the same time instrument and work: in both cases, it suffers diminution, modification, change. Here the most common examples are to be preferred.
Let a workman, with the help of a chisel, carve a stone: in this operation, iron is an instrument; the stone, a product. But let the same worker use the stone to sharpen his chisel: the stone becomes an instrument, the shapt given to the iron is the product. This observation applies to all possible cases.
Now, this correlation, so easy to understand, of instrumental matter and worked matter (opus operans et opus operatum, as the ancient school said) is extremely fruitful for science, and gives rise to infinite speculations; the whole first part of Political Economy, that which deals with products, value, capital, circulation, bank credit, currencies, wages, taxes, competition, prohibitions, rests on this foundation.
376. Mais cette étude suppose la connaissance préalable de la loi fondamentale du travail, ou de la manière dont se produit en lui la condition générale de la possibilité des choses.
Rien ne se produit dans la nature, ne se développe que par séries : la série est la condition suprême de la vie, de la durée, de la beauté, comme de la science et de la raison. Toute manifestation de la substance et de la force, qui ne renferme pas en elle-même sa loi propre, le mode de sériation qui la fait être ce qu’elle est, est une manifestation anormale, subversive ou transitoire.
Or, le travail est-il chose bonne ou chose anormale ? le travail est-il d’institution divine ou chose diabolique ? le travail a-t-il des lois inhérentes à lui-même ; ou bien, comme la guerre et le despotisme, emprunte-t-il d’ailleurs une organisation artificielle ?
376. But this study supposes the preliminary knowledge of the fundamental law of labor, or of the way in which the general condition of the possibility of things is produced in it.
Nothing occurs in nature, nothing develops except by the series: the series is the supreme condition of life, of duration, of beauty, as well as of science and reason. Any manifestation of substance and force that does not contain within itself its proper law, the mode of seriation that makes it what it is, is an abnormal, subversive or transitory manifestation.
Now, is labor a good thing or an abnormal thing? Is labor a divine institution or a diabolical thing? Does labor have laws inherent in itself; or, like war and despotism, does it borrow an artificial organization from elsewhere?
377. Après avoir le premier déclaré le travail père et producteur de toutes les richesses, A. Smith observa que l’efficacité du travail dépendait de l’habileté, de l’intelligence et de la dextérité du travailleur, qualités qui toutes se résolvaient dans un principe unique, la division.
Cette observation si simple, le travail doit être divisé, a fait faire à la science sociale, depuis cinquante ans, plus de progrès que n’en provoquèrent en vingt siècles la Politique d’Aristote, les Économiques de Xénophon, la République et les Lois de Platon, les Codes de Justinien avec tous les commentaires des jurisconsultes, l’Utopie de Morus, le roman de Fénelon, l’Esprit des lois de Montesquieu et le Contrat social de Rousseau. Ce que renferment de meilleur les doctrines de Saint-Simon, de Fourier et des communistes découle de la loi de Smith ; la plupart des réformes sollicitées par les divers organes de la presse dynastique et républicaine n’en sont que des applications ; en un mot, tout le problème de la transformation sociale est là.
377. After having first declared labor the father and producer of all wealth, A. Smith observed that the efficiency of labor depended on the skill, intelligence, and dexterity of the laborer, qualities that all resolved themselves into a single principle, division.
This simple observation that must be divided has given social science, for fifty years, more progress than was provoked in twenty centuries by the Politics of Aristotle, the Economics of Xenophon, the Republic and the Laws of Plato, the Codes of Justinien with all the commentaries of jurisconsults, the Utopia of Morus, the novel of Fénelon, the Spirit of the Laws of Montesquieu and the Social contract of Rousseau. The best of what is contained in the doctrines of Saint-Simon, Fourier and the Communists derives from Smith’s law; most of the reforms requested by the various organs of the dynastic and republican press are only applications of it; in a word, the whole problem of social transformation is there.
378. Ayant proclamé la division du travail, A. Smith se trompa sur sa cause : selon lui, la division du travail a son principe dans le penchant à faire des trocs et des échanges. C’était confondre la cause avec la fin. Le but de la division du travail est, immédiatement, célérité dans la production, abondance et meilleure qualité des produits ; ultérieurement, commerce et association : — son principe se trouve dans l’unité du moi ou de la force intelligente et productrice, dont l’attention ne peut se diriger en même temps sur plusieurs choses. Or, d’une part, la matière du travail est immense ; de l’autre, les formes qu’elle peut recevoir de l’industrie humaine sont innombrables : la production sera donc nécessairement successive, si elle est l’œuvre d’un seul ; divisée, si elle a lieu par le concours de plusieurs. Bien loin donc que le commerce ou le besoin d’échange soit le principe de la division du travail, il en est la conséquence : aussi le commerce est-il considéré en économie politique comme spécialité de travail, c’est-à-dire comme partie intégrante de la production.
Le travail, ou pour mieux dire le produit, considéré sous tous les points de vue que nous venons d’énumérer (375) : tel est donc l’objet de la première section de la science économique.
378. Having proclaimed the division of labor, A. Smith was mistaken about its cause: according to him, the division of labor has its principle in the inclination to barter and exchange. This was to confuse the cause with the end. The aim of the division of labor is, immediately, speed in production, abundance and better quality of products; later, trade and association: — its principle is found in the unity of the self or of the intelligent and productive force, the attention of which cannot be directed to several things at the same time. Now, on the one hand, the matter of work is immense; on the other hand, the forms it can take from human industry are innumerable: production will therefore necessarily be successive, if it is the work of a single person; divided, if it takes place by the cooperation of several. So far from trade or the need for exchange being the principle of the division of labor, it is its consequence: so trade is considered in political economy as a specialty of labor, that is to say as an integral part of production.
Labor, or, to put it better, product, considered from all the points of view that we have just enumerated (375): such is therefore the object of the first section of economics.
379. Distrait dans ses recherches par des questions accessoires, beaucoup moins graves qu’il ne l’imaginait sans doute, A. Smith n’a pas connu toute la profondeur et la fécondité du principe qu’il avait découvert : tant l’éclosion des idées dans les sciences est chose lente et difficile. Après lui, un autre économiste, le marquis Germain Garnier, formula une nouvelle loi, qui n’était qu’une transformation de celle de Smith ; c’est la loi de la force collective.
« L’association, dit G. Garnier, de plusieurs hommes qui mettent en commun leur industrie, multiplie leurs moyens dans une telle progression que le dividende de chacun d’eux s’en accroît d’une manière prodigieuse. La diversité des talents, la division du travail, l’addition des forces, le concours des inventions, les échanges, forment des combinaisons incalculables dont chacune est un nouveau moyen de faire. »a
379. Distracted in his research by incidental questions, much less serious than he probably imagined, A. Smith did not know all the depth and fruitfulness of the principle he had discovered: the hatching ideas in the sciences is such a slow and difficult thing. After him, another economist, the Marquis Germain Garnier, formulated a new law, which was only a transformation of that of Smith; it is the law of collective force.
“The association,” says G. Garnier, “of several men who pool their industry, multiplies their means in such a progression that the dividend of each of them increases in a prodigious manner. The diversity of talents, the division of labor, the addition of forces, the competition of inventions, exchanges, form incalculable combinations, each of which is a new way of doing things.”
380. Toutefois G. Garnier ne paraît pas avoir saisi la connexion intime de cette loi avec celle de Smith ; il s’est borné à la présenter comme un résultat. Quant à ses applications organiques et législatives, il les a encore moins entrevues.
Qu’une montre soit exécutée dans toutes ses parties par un seul et même ouvrier, ou qu’elle soit le produit de cinquante ouvriers différents ; l’unité de l’œuvre n’en sera pas le moins du monde affectée : ce sera toujours un produit un et identique. C’est comme si, au lieu d’être fabriquées par un seul individu successivement, les diverses parties de la montre avaient été produites simultanément par un ouvrier à cinquante têtes et cent bras. Ainsi, division du travail est synonyme de multiplication de l’ouvrier : division du travail et force collective ou communauté d’action sont deux faces corrélatives de la même loi. Or, suivant qu’on l’envisage dans le produit ou dans le travailleur, le principe de Smith donne lieu à des conséquences spéciales, dont les unes forment, ainsi qu’on l’a dit tout à l’heure, la science de la production et de la circulation des richesses ; et les autres constituent la science de l’Organisation, deuxième section de l’économie politique.
Le corollaire de cette double loi, ou pour mieux dire, la synthèse des deux premières parties de la science, donne lieu à une troisième et dernière section, qui a pour objet la distribution des fonctions et la répartition des salaires, et constitue le Droit. En effet,
380. However, G. Garnier does not appear to have grasped the intimate connection of this law with that of Smith; he confined himself to presenting it as a result. As for its organic and legislative applications, it has seen them even less.
Whether a watch is executed in all its parts by one and the same workman, or whether it is the product of fifty different workmen; the unity of the work will not be affected in the least: it will always be a single and identical product. It is as if, instead of being made by a single individual successively, the various parts of the watch had been produced simultaneously by a worker with fifty heads and a hundred arms. Thus, division of labor is synonymous with the multiplication of the worker: division of labor and collective force or community of action are two correlative faces of the same law. Now, depending on whether it is considered in the product or in the laborer, Smith’s principle gives rise to special consequences, some of which form, as we have just said, the science of the production and circulation of wealth; and the others constitute the science of Organization, second section of political economy.
The corollary of this double law, or better said, the synthesis of the first two parts of science, gives rise to a third and last section, which has as its object the distribution of functions and the distribution of wages, and constitutes Right. In fact:
381. La division du travail suppose la diversité des talents et amène les échanges : la collection des forces individuelles n’est autre que la série générale des travailleurs, considérée dans son unité.
De ce principe, démontré par voie d’équation sérielle, on a déduit les corollaires suivants :
1o Que, par le fait de la division du travail, devenue puissance collective, les travailleurs étaient en rapport d’association naturelle et respectivement solidaires ;
2o Que cette qualité d’associés co-responsables faisait disparaître entre eux le principe, la possibilité même de la concurrence ;
3o Que la force collective de cent travailleurs étant incomparablement plus grande que celle d’un travailleur élevée au centuple, cette force n’était pas payée par le salaire de cent individus ; conséquemment qu’il y avait aujourd’hui erreur de compte entre ouvriers et maîtres, et que la loi sur les coalitions était à refaire ;
4o Que les plus beaux talents étant, soit dans leur développement, soit dans leur exercice, des effets de la force collective, soumis, comme les moindres fonctions, à la loi de solidarité, et de beaucoup plus redevables envers la société que ces dernières, toutes prétentions à des appointements exagérés se trouvaient singulièrement réduites ;
5o Que le salaire des travailleurs n’étant au fond que l’échange de leurs services, l’égalité des fonctions associées entraînait l’équivalence des conditions entre les travailleurs, autant du moins que le permettent les anomalies physiques, intellectuelles et morales qui affligent l’espèce humaine, anomalies que les principes de division et de force collective, la théorie de la loi sérielle et les réformes à introduire dans l’éducation et l’hygiène, doivent progressivement faire disparaître ;
6o Que toute distribution des instruments de travail, toute répartition des produits, établie sur d’autres bases, était usurpation et iniquité.
À ces diverses formules, fondements d’une jurisprudence nouvelle, on n’a répondu que par des fins de non-recevoir tirées, soit de la possession des privilégiés, en d’autres termes, du fait accompli ; soit de l’absence d’une théorie d’organisation qui permît de réaliser les corrections indiquées par la critique. Ainsi, pour obtenir réparation du désordre, le prolétariat est appointé à fournir la preuve de l’ordre, c’est-à-dire, à créer la science même de l’Économie.
381. The division of labor presupposes the diversity of talents and leads to exchanges: the collection of individual forces is none other than the general series of workers, considered in its unity.
From this principle, demonstrated by way of serial equation, the following corollaries have been deduced:
1. That, by virtue of the division of labor, which had become a collective power, the workers were in a relationship of natural association and respectively solidary;
2. That this quality of co-responsible partners made the principle, the very possibility of competition between them disappears;
3. That the collective force of a hundred laborers being incomparably greater than that of a laborer increased a hundredfold, this force was not paid for by the wages of a hundred individuals; consequently that today there was an error of reckoning between workmen and masters, and that the law on combinations had to be remade;
4. That the finest talents being, either in their development or in their exercise, the effects of collective force, subject, like the least functions, to the law of solidarity, and much more indebted to society than the latter, all pretensions to exaggerated salaries were singularly reduced;
5. That the wages of the workers being basically only the exchange of their services, the equality of the associated functions entailed the equivalence of conditions between the workers, so much at least as the physical, intellectual and moral anomalies that afflict the human species permit, anomalies which the principles of division and collective force, the theory of serial law and the reforms to introduce into education and hygiene, must gradually eliminate;
6. That any distribution of instruments of labor, any division of products, established on other bases, was usurpation and iniquity.
To these various formulas, the foundations of a new jurisprudence, the only response has been to pleas of inadmissibility drawn either from the possession of the privileged, in other words, from the fait accompli; or from the absence of a theory of organization that would make it possible to carry out the corrections indicated by the critics. Thus, to obtain reparation for disorder, the proletariat is appointed to furnish the proof of order, that is to say, to create the very science of the Economy.
382. Le résumé de ce qui précède nous donnera en peu de mots l’objet, le champ d’observation, la circonscription et les principales divisions de cette science.
L’Économie politique a pour objet la production et la distribution des richesses ; elle est, en un mot, la science du travail.
Le travail, pris au point de vue objectif, c’est-à-dire dans sa réalisation et ses résultats, forme la première partie de l’Économie politique, la seule qui ait été jusqu’à ce jour abordée et cultivée avec succès.
Le travail, considéré subjectivement dans sa division et ses séries, forme la deuxième partie de l’Économie politique : elle est relative à l’organisation, et beaucoup moins connue que la première.
Le reste de ce volume y sera presque entièrement consacré.
Enfin la troisième partie de l’Économie politique a rapport à la science du Droit ; c’est comme la synthèse des deux premières divisions, le dégagement des règles du juste et de l’injuste, d’après les données fournies par la théorie des valeurs et de l’organisation.
Peut-être serait-il plus conforme à l’ordre naturel du développement des idées de transposer les deux premières sections de l’Économie politique : de parler d’abord du travail considéré dans le travailleur, c’est-à-dire au point de vue subjectif ; puis de l’analyser dans le produit, qui est le point de vue objectif. Nous avons préféré l’ordre inverse, qui paraît être celui dans lequel la science s’est constituée spontanément elle-même. Au reste, plus on approfondira l’Économie politique, plus l’on verra que ses grandes divisions forment trois séries engagées intimement l’une dans l’autre, contemporaines dans les faits, et parallèles dans la théorie.
382. The summary of what has preceded will give us in a few words the object, the field of observation, the circumscription and the principal divisions of this science.
Political Economy has as its object the production and distribution of wealth; it is, in a word, the science of labor.
Labor, taken from the objective point of view, that is to say in its realization and its results, forms the first part of political economy, the only one that has hitherto been approached and cultivated with success.
Labor, considered subjectively in its division and its series, forms the second part of Political Economy: it relates to organization, and is much less known than the first.
The rest of this volume will be almost entirely devoted to it.
Finally, the third part of political economy relates to the science of Right; it is like the synthesis of the first two divisions, the release of the rules of justice and injustice, according to the data provided by the theory of values and organization.
Perhaps it would be more in keeping with the natural order of the development of ideas to transpose the first two sections of Political Economy: to speak first of labor considered in the worker, that is to say from the subjective point of view; then to analyze it in the product, which is the objective point of view. We preferred the reverse order, which seems to be the one in which science spontaneously constituted itself. The remainder, the more one studies Political Economy, the more one will see that its great divisions form three series intimately engaged one in the other, contemporaneous in fact, and parallel in theory.
383. Quoi qu’il en soit de la distribution que nous avons adoptée, et de celle que nous aurions pu suivre, le système entier de l’Économie politique est représenté dans la figure suivante, qui rappelle les formules chorégraphiques de Fourier.
K Considéré subjectivement (dans l’homme) : Science de l’Organisation, — de la Société, — du Progrès. |
K Considéré objectivement (dans la matière) : Science de la Production, — du Commerce, — des Richesses. |
Les amateurs d’analogies trouveront à s’exercer sur cette figure. La société étant une série mesurée (218, 271, Fourier), soumise par conséquent, ainsi que les sphères célestes, à un double mouvement de rotation et de révolution : le travail est le pivot ou axe de la série ; la section de gauche indique le mouvement de rotation (détermination du travailleur) ; la section de droite, le mouvement de révolution (formation et circulation des valeurs, produit collectif du travail) ; la section inférieure, opposée à l’axe, est le foyer (la Justice, égale pour tous) autour duquel se meut la série économique. Je laisse ces innocentes récréations à ceux qui les aiment.
383. Whatever may be the distribution that we have adopted, and that which we could have followed, the entire system of Political Economy is represented in the following figure, which recalls the choreographic formulas of Fourier.
K Considered subjectively (in the man): Science de l’Organisation, — de la Société, — du Progrès. |
K Considered objectively (in the material): Science of Production, — of Commerce, — of Wealth. |
Lovers of analogies will find something to take from this figure. Society being a measured series (218, 271, Fourier), consequently subject, like the celestial spheres, to a double movement of rotation and revolution: work is the pivot or axis of the series; the left section indicates the rotational movement (determination of the worker); the right section, the movement of revolution (formation and circulation of values, collective product of labor); the lower section, opposite the axis, is the hearth (Justice, equal for all) around which the economic series moves. I leave these innocent recreations to those who love them.
§ II. — Transformation de l’idée de Travail, considéré dans son effet.
384. Le travail est le fait générateur de la science économique. Nous l’avons défini : Action intelligente de l’homme sur la matière, dans un but de satisfaction personnelle.
Le travail effectué a nom produit. Ainsi, en économie politique, il n’y a de produit que là où a passé la main de l’homme : cette proposition est le corollaire immédiat du principe de Smith. Le travail est la source des richesses. Say avait donc raison contre les physiocrates, lorsqu’il soutenait que la science reconnaissait d’autres produits que les produits naturels de la terre : mais il se trompait lui-même, lorsqu’au lieu de voir dans ceux-ci la matière commune du travail, et dans ceux-là seulement l’objet de la science économique, il confondait les uns et les autres et les classait parallèlement. C’était, dès l’origine, introduire dans la science une confusion fâcheuse : on en verra les conséquences.
En vertu du principe de Smith, la jurisprudence a changé sa doctrine relativement au droit de propriété. La propriété, ont dit les jurisconsultes économistes, ne devient légitime que par le travail ; jusque-là il y a occupation, il n’y a pas de droit de propriété.
§II. — Transformation of the idea of Work, considered in its effect.
384. Labor is the generative fact of economic science. We have defined it: Intelligent action of man on matter, with the aim of personal satisfaction.
Labor performed is called product. Thus, in political economy, there is no product except where the hand of man has passed: this proposition is the immediate corollary of Smith’s principle. Labor is the source of wealth. Say was therefore right against the Physiocrats, when he maintained that science recognized other products than the natural products of the earth, but he was deceiving himself, when instead of seeing in these the common matter of labor, and in these only the object of economic science, he confused the one and the other and classed them as parallel. This was, from the outset, to introduce into science an unfortunate confusion: we will see the consequences.
Under Smith’s principle, jurisprudence has changed its doctrine with respect to the right to property. Property, the economist jurists have said, only becomes legitimate through labor. Until then there is occupation; there is no right of ownership.
385. À partir de ce moment, la science est en désaccord perpétuel avec les faits : la manière dont s’est développée la pratique industrielle et commerciale, les règles imaginées pour la répartition des instruments de travail et des produits, sont un démenti presque constant des vérités les plus certaines de l’Économie politique.
Au reste, cette contradiction entre la science et la routine n’aura rien qui nous étonne, quand nous en aurons démêlé les causes. Nous verrons alors qu’une sorte d’anomalie dans les institutions et la marche de la société était nécessaire pendant un laps de temps, au bout duquel elle devait disparaître. Déjà la période de correction et de redressement est commencée, et nous pouvons découvrir la théorie pure de l’Économie politique, soit d’après les faits anormaux qui l’ont si longtemps voilée, soit d’après les faits de réparation qui se passent sous nos yeux tous les jours.
385. From this moment on, science is in perpetual disagreement with the facts: the way in which industrial and commercial practice has developed, the rules devised for the distribution of instruments of labor and products, are an almost constant denial of the most certain truths of political economy.
Moreover, this contradiction between science and routine will not surprise us when we have disentangled its causes. We will then see that a sort of anomaly in the institutions and the functioning of society was necessary for a period of time, after which it had to disappear. Already the period of correction and rectification has begun, and we can discover the pure theory of Political Economy, either from the abnormal facts which have so long veiled it, or from the facts of reparation that are happening before our eyes every day.
386. Produit net, produit brut. Après que le rémouleur et le tailleur de pierres, dont nous parlions tout à l’heure (376), ont rendu celui-ci une pierre taillée, celui-là des outils aiguisés, la pierre et les outils représentent chacun une valeur qui est portée à l’avoir de l’ouvrier. Mais cet avoir n’est point égal à la totalité de la valeur produite : en taillant la pierre, l’un use ses outils ; l’autre, en rémoulant, use sa meule ; si bien qu’après un certain temps de service, les outils de l’un et la meule de l’autre doivent être remplacés. Or, ce remplacement exige une dépense que l’on déduit de l’avoir de l’ouvrier. On appelle donc l’avoir du travailleur, avant la déduction, produit brut ; après la déduction, produit net. Enfin, toute espèce d’industrie exigeant des avances et la consommation de quelques instruments, on a généralisé la distinction de produit net et produit brut, corrélative à cette autre, matière-instrument, matière-produit.
386. Net product, gross product. After the grinder and the stonecutter, of which we spoke a moment ago (376), have returned this one a cut stone, that one sharpened tools, the stone and the tools each represent a value that is carried to worker’s credit. But this credit is not equal to the totality of the value produced: in cutting the stone, one uses his tools; the other, while regrinding, wears out his wheel; so that after a certain period of service, the tools of one and the grinding wheel of the other must be replaced. Now, this replacement requires an expense which is deducted from the worker’s credit. We therefore call the laborer’s credit, before the deduction, the gross product; after deduction, net product. Finally, every kind of industry requiring advances and the consumption of a few instruments, the distinction between net product and gross product has been generalized, correlative to this other, material-instrument, material-product.
387. Ici une question s’élève : la distinction de produit net et produit brut, nécessaire en chaque espèce d’industrie, est-elle vraie de la totalité des producteurs ? en d’autres termes, y a-t-il pour la société un produit net et un produit brut, ou bien si ces deux expressions sont adéquates et synonymes ?
Plusieurs économistes, s’arrêtant à la superficie du phénomène, et trompés d’ailleurs par l’équivoque du mot produit, appliqué indifféremment aux productions de la terre et à celles de l’homme, se sont prononcés pour l’affirmative. Il est facile de s’entendre.
Lorsque l’ouvrier veut renouveler ou seulement réparer ses instruments de production, à qui s’adresse-t-il ? à d’autres ouvriers, dont la spécialité est de les lui fournir. Ceux-ci emploient à leur tour des instruments qu’ils tirent d’ailleurs, et qui tous sont des produits industriels. Le service est réciproque : dans la série des travailleurs, les produits passent de main en main, recevant à chaque passage une modification nouvelle, servant à d’autres produits. Mais les deux extrémités de la chaîne se joignent ; le mouvement est circulatoire ; l’expression de produit net et produit brut indique seulement un rapport de collaboration d’homme à homme, rapport qui dans la société est nécessairement nul. Say n’avait donc pas tort de soutenir que, relativement à la société, le produit net et le produit brut sont identiques et se confondent.
387. Here a question arises: is the distinction between net product and gross product necessary in every kind of industry, true of all producers? In other words, is there for society a net product and a gross product, or are these two expressions adequate and synonymous?
Several economists, stopping at the surface of the phenomenon, and deceived moreover by the equivocation of the word product, applied indiscriminately to the productions of the earth and to those of man, have declared themselves in the affirmative. It is easy to do.
When the worker wants to renew or simply repair his instruments of production, to whom does he turn? To other workers, whose specialty is to supply them. These in turn use instruments that they obtain from elsewhere, and which are all industrial products. The service is reciprocal: in the series of workers, the products pass from hand to hand, receiving at each passage a new modification, serving other products. But the two ends of the chain join; the movement is circulatory; the expression of net product and gross product only indicates a relation of collaboration between man and man, a relation that in society is necessarily nothing. Say was therefore not wrong in maintaining that, relative to society, the net product and the gross product are identical and merge.
388. Mais, dit-on, les produits agricoles dépassent généralement et de beaucoup les avances et les frais de main-d’œuvre ; il en est de même pour les produits industriels. La nature n’est point avare : elle donne largement à qui sait travailler : et, pour la société comme pour l’homme, la somme des avances et celle des salaires réunies sont dépassées par la somme des produits.
Si l’on ne consulte que les livres industriels et le prix courant des journées de travail, il est certain que, pour la société même, il existe une très-grande différence entre le produit brut et le produit net : mais la balance est-elle juste ? Toutes les avances ont-elles été portées à leur véritable taux, et les ouvriers payés comme ils devaient l’être ? quelle doit être la journée d’un ouvrier ? qu’est-ce que le salaire ? le salaire n’est-il pas le produit, tout le produit, rien que le produit ?…
Les partisans du produit net dans la société courent grand risque d’étayer leur opinion sur un mal-entendu, peut-être sur une injustice, tout au moins sur une erreur de compte : ce soupçon va s’aggraver encore.
388. But, it is said, the agricultural products generally and greatly exceed the advances and the cost of labor; the same is true for industrial products. Nature is not stingy: she gives generously to those who know how to labor and, for society as for man, the sum of the advances and that of the wages put together are exceeded by the sum of the products.
If we consult only the industrial books and the current price of the days of labor, it is certain that, for society itself, there exists a very great difference between the gross product and the net product. But is the balance right? Have all the advances been brought to their true rate, and the workmen paid as they should have been? What should a worker’s day look like? What is the wage? Is not the wage the product, the whole product, nothing but the product?…
Proponents of the net product in society run a great risk of basing their opinion on a misunderstanding, perhaps on an injustice, and at least on an error of account. This suspicion will grow even worse.
389. On a cru pouvoir faire entrer dans les frais de production la rente des terres et l’intérêt des capitaux. Cette opinion a été combattue, et on peut le dire, démontrée fausse par M. Rossi. Mais si ce que le fermier paye au propriétaire n’est pas le remboursement d’une avance, que peut-il être ? — C’est, dit-on, précisément ce que nous appelons produit net. Les terres ne sont pas toutes de même qualité ni d’égal rapport ; toutes cependant nécessitent à peu près les mêmes frais d’exploitation, quelquefois même les mauvaises coûtent plus que les bonnes. La différence des unes aux autres constitue le taux des fermages : si le produit d’un fonds est tel qu’il n’atteigne pas la somme des avances et frais de main-d’œuvre, ce fonds reste abandonné de tout le monde ; si le produit est égal à la totalité des avances, la terre sera cultivée, mais il n’y aura point de fermage ; enfin, si le produit dépasse le salaire du laboureur et les frais d’entretien de son capital, le surplus du prix des journées et des avances est produit net, et revient au propriétaire.
Mais pourquoi cette portion du produit, qu’il plaît de nommer produit net, revient-elle au propriétaire plutôt qu’au fermier, plutôt qu’à tout autre ? Le travail, on en convient, est le seul fondement de la propriété : or le propriétaire ne travaille pas ; comment donc revendiquerait-il un droit, je ne dis pas sur le fonds, mais sur le produit ? — La production, d’un autre côté, est le résultat synthétique de l’intelligence et de la force agissant sur la matière ; or, quand on accorderait un droit de propriété foncière indépendant du travail, la prestation de la terre ne ferait pas du propriétaire un producteur ; elle en ferait tout au plus un suzerain. Par conséquent, la participation au produit que revendique le propriétaire n’est point en rapport avec la nature de son droit. — Enfin, dans le raisonnement que je combats, que devient la loi de division et de force collective, dont le corollaire le plus certain est d’équilibrer entre les travailleurs les avantages et les inconvénients de la position géographique, comme des professions respectives ? Ou niez les éléments de la science ; ou reconnaissez que sur ce point la théorie dément la coutume et que, par conséquent, il existe une anomalie dont il faut chercher la cause et obtenir le redressement (401, 405).
389. It has been thought possible to include in the cost of production the rent of land and the interest on capital. This opinion has been contested, and it may be said, proved false by M. Rossi. But if what the farmer pays the landlord is not the repayment of an advance, what can it be? — It is, they say, precisely what we call net product. Land is not all of the same quality or equal value; all, however, require roughly the same operating costs, sometimes even the bad ones cost more than the good ones. The difference between them constitutes the rate of rent: if the product of a parcel of land is such that it does not reach the sum of the advances and labor costs, this land remains abandoned by everyone; if the product is equal to the totality of the advances, the land will be cultivated, but there will be no rent; finally, if the product exceeds the wages of the laborer and the cost of maintaining his capital, the surplus of the price of the days and the advances is the net product, which goes to the proprietor.
But why does this portion of the product, which we like to call net product, belong to the proprietor rather than to the farmer, rather than to any other? Labor, it is agreed, is the only foundation of property. Now the owner does not work; how then could he claim a right, I am not saying on the land, but on the product? — Production, on the other hand, is the synthetic result of intelligence and force acting on matter. Now, when we grant a right of landed property independent of labor, the provision of the land would not make the owner a producer; it would at best make him a suzerain. Consequently, the participation in the product claimed by the owner is not related to the nature of his right. — Finally, in the reasoning that I am fighting, what becomes of the law of division and collective force, whose most certain corollary is to balance between workers the advantages and disadvantages of geographical position, as well as of respective professions? Either deny the elements of science or recognize that on this point theory belies custom and that therefore there is an anomaly the cause of which must be sought and redressed (401, 405).
390. Le produit une fois achevé, et reconnu propre à satisfaire le besoin qui en provoque la création, a nom valeur. La valeur a donc pour base l’utilité du produit. D’après cela, tout service utile, soit de pensée pure (433), soit de commission ou de ménage, est une véritable valeur, une chose méritant salaire, partant susceptible d’échange ; une chose, enfin, qui fait de celui qui la vend l’égal de celui qui l’achète.
Ainsi, d’une part, nous devrons avec M. Rossi rectifier l’idée de Smith, lequel déclarait improductifs, militaires, magistrats, gens de justice, gens de livrée, avocats, médecins, prêtres, artistes, et une foule d’autres professions moins honorables. Parmi ces professions, il en est, comme nous le ferons voir au paragraphe suivant, d’essentiellement anormales, par conséquent de sujettes à réforme, mais que l’on ne saurait pour cela déclarer aujourd’hui improductives, puisque la condition présente de la société en a fait un besoin ; d’autres sont productives au plus haut degré, leur spécialité étant de produire, non ce que l’homme doit consommer pour vivre, mais ce pour quoi l’homme a reçu la vie, c’est-à-dire le beau et le vrai, l’art et la science.
D’un autre côté, l’utilité du produit étant la condition nécessaire de l’échange, comme l’échange est la condition nécessaire de la vie du travailleur, la société ne peut subsister sans des communications actives et loyales entre les différentes espèces d’industries, en un mot sans une centralisation commerciale.
Or, afin que l’on ne nous accuse pas de procéder par induction et de donner des postulés comme des corollaires, reportons-nous aux principes. 1o Le travail est l’action intelligente de l’homme sur la matière, dans un but de satisfaction personnelle ; 2o la première loi du travail est la division ; 3o par cette loi, tous les travailleurs sont solidaires. Lors donc que, soit par exubérance de travail, soit par défaut de communications et d’échanges, soit par l’effet des concurrences ou par toute autre cause indépendante de la volonté des producteurs, il y a sur certains points encombrement de produits, et par suite dépréciation et non-valeur, n’est-ce pas parce que le travail a été mal divisé ? n’est-ce pas parce qu’une des fonctions sociales, le commerce, a été remplie sans intelligence ? et lorsque le travailleur est surpris par la disette à côté de son produit refusé, n’est-ce point aussi que la loi de solidarité est violée ?…
Je répète mon dilemme : ou l’Économie politique est une dérision, et ceux qui l’enseignent sont des menteurs : ou bien elle a pour objet de centraliser les forces industrielles, et de discipliner le marché.
390. The product once completed, and recognized as capable of satisfying the need that provokes its creation, is called value. Value is therefore based on the utility of the product. According to this, any useful service, either of pure thought (433), or of commission or of household, is a real value, a thing deserving wages, therefore susceptible of exchange; one thing, finally, that makes the one who sells it the equal of the one who buys it.
Thus, on the one hand, we will have to rectify with Mr. Rossi the idea of Smith, who declared unproductive soldiers, magistrates, people of justice, men in livery, lawyers, doctors, priests, artists, and a host of other less honorable professions. Among these professions, there are some, as we will show in the following section, that are essentially abnormal, and therefore subject to reform, but which cannot for that reason be declared unproductive today, since the present condition of the society has made a need for them; others are productive to the highest degree, their specialty being to produce, not what man must consume in order to live, but what man has received life for, that is to say, the beautiful and the true, art and science.
On the other hand, the utility of the product being the necessary condition of exchange, as exchange is the necessary condition of the worker’s life, society cannot subsist without active and honest communications between the different sorts of industries, in short, without commercial centralization.
Now, lest we be accused of proceeding by induction and of giving postulates as corollaries, let us refer to the principles. 1. Labor is the intelligent action of man on matter, with the aim of personal satisfaction; 2. the first law of labor is division; 3. through this law, all the workers are united. When, therefore, either by exuberance of labor, or by lack of communications and exchanges, or by the effect of competition or by any other cause independent of the will of the producers, there is at certain points a congestion of products, and consequently depreciation and non-value, is it not because labor has been badly divided? Is it not because one of the social functions, commerce, has been fulfilled without intelligence? And when the worker is surprised by scarcity along with his refused product, is it not also that the law of solidarity has been violated?…
I repeat my dilemma: either Political Economy is a mockery, and those who teach it are liars, or else its object is to centralize the industrial forces, and to discipline the market.
391. Faut-il que je le dise ? Au lieu de suivre le fil de ces équations, les économistes ont accepté comme pièces probantes, comme lois fatales et absolues de la société, les innombrables accidents de non-valeurs amenés par la lutte des fabricants, par l’insuffisance de la consommation et l’imprévoyance des producteurs : et ils se sont appliqués à trouver des recettes de précaution contre toutes les chances. De là leurs spéculations interminables sur l’offre et la demande, double élément, selon eux, de la valeur, et principe régulateur du commerce. Dans la plupart des livres d’économie politique, l’offre et la demande sont deux divinités capricieuses et ingouvernables, ne relevant d’aucune loi que de leur bon plaisir, et constamment appliquées à jeter le trouble dans les relations commerciales et à leurrer les pauvres humains. Toutefois, rendons justice à nos devanciers : leur méprise sur ce point est venue de leur respect pour la liberté du travail ; ce motif excuserait un million de fautes.
Sans doute, pour que la société subsiste, il faut que les uns offrent leur travail, et que les autres le demandent ; il faut de plus, pour assurer la sincérité des relations, que la valeur du produit soit débattue contradictoirement entre les parties : mais cela veut-il dire que l’offre et la demande soient arbitraires ? qu’elles ne reconnaissent ni principe ni règle ; que l’art de dissimuler ses besoins, d’exagérer ses services, de jeter la défiance entre les producteurs, d’exciter une panique parmi les consommateurs, l’art de mentir, en un mot, puisse être de quelque autorité aux yeux de la science, qui est la vérité même ?
Autres sont l’offre et la demande, c’est-à-dire la responsabilité individuelle d’un côté, et la protection sociale de l’autre ; autres les allées et venues des maquignons. L’autorité de la routine, comme celle des fripons, est en ceci absolument nulle : l’histoire a pour mission de dire ce qui est ; la science ce qui doit être. Qu’une société antagoniste, à peine sortie des chaînes de la barbarie et des langes de la superstition ; une société dans laquelle tous les sentiments sont à la guerre et à la méfiance, ait fait le travail et le commerce ce que nous les voyons, cela se conçoit sans peine : mais que l’on prenne cet état de spoliation réciproque comme le type indestructible des lois économiques, voilà ce que la raison ne saurait accepter jamais.
391. Must I say it? Instead of following the thread of these equations, economists have accepted as evidence, as fatal and absolute laws of society, the innumerable accidents of non-values brought about by the struggle of manufacturers, by the insufficiency of consumption and the shortsightedness of the producers; and they applied themselves to finding precautionary recipes against all odds. Hence their interminable speculations on supply and demand, the double element, according to them, of value, and the regulating principle of commerce. In most of the books on political economy, supply and demand are two capricious and ungovernable deities, subject to no law except their good pleasure, and constantly applied to stir up trouble in commercial relations and to deceive poor humans. However, let us do justice to our predecessors: their misunderstanding on this point came from their respect for the liberty of labor; this motive would excuse a million faults.
Undoubtedly, for society to subsist, some must offer their labor and others demand it; it is necessary moreover, to ensure the sincerity of the relations, that the value of the product is debated contradictorily between the parts. But does that mean that the offer and the demand are arbitrary? That they recognize neither principle nor rule; that the art of concealing one’s needs, of exaggerating one’s services, of creating distrust among producers, of exacerbating panic among consumers, the art of lying, in a word, can be of some authority in the eyes of science, which is truth itself?
Supply and demand are one thing, that is individual responsibility on the one hand, and social protection on the other; the comings and goings of the horse traders are another. The authority of routine, like that of rogues, is in this absolutely null: the mission of history is to say what is; that of science to say what should be. That an antagonistic society, barely out of the chains of barbarism and the diapers of superstition; a society in which all sentiments are warlike and distrustful, has made work and commerce what we see them, that is easily conceivable, but that we should take this state of reciprocal spoliation as the indestructible type economic laws, that is what reason can never accept.
392. Une méprise dans l’appréciation d’un fait ne va jamais sans une longue perturbation d’idées.
Après avoir confondu, par suite d’une équivoque, les produits de la nature avec ceux de l’industrie, et mêlé, pour ainsi dire, l’histoire naturelle avec l’économie politique ; après avoir soutenu la légitimité du fermage par la chimère du produit net, et pris un fait essentiellement anormal pour principe régulateur de l’échange, les économistes, dogmatisant sur le tout, ont formulé scientifiquement cette série d’erreurs par une distinction devenue fameuse : Valeur en usage et valeur en échange. C’était mettre dans la science le chaos de la pratique, au lieu d’éclairer peu à peu celle-ci par celle-là. Je n’ai pas besoin, je pense, d’entrer dans une discussion nouvelle, pour montrer que, selon la science, la valeur utile et la valeur échangeable, dans une société régulière, sont choses parfaitement identiques : comment en serait-il autrement ? Les biens de la nation sont communs à tous ; le droit de propriété est une fiction légale, dont nous reconnaîtrons plus tard l’utilité pour la formation et la mobilisation des capitaux, la responsabilité du travailleur et la liberté individuelle : quant aux produits du travail, puisque c’est leur utilité qui les rend susceptibles d’échange, il y a contradiction à supposer que le prix de vente soit supérieur ou inférieur à l’utilité du produit. — C’est un fait, dira-t-on, attesté par l’expérience de tous les jours. — Dites que c’est une perturbation sociale, le déplorable résultat de notre défaut d’organisation ; mais n’érigez pas en aphorisme un fait de désordre, et dont l’intensité est d’ailleurs en décroissance.
392. A mistake in the appreciation of a fact never goes without a long disturbance of ideas.
After confusing, as a result of an equivocation, the products of nature with those of industry, and mingling, so to speak, natural history with political economy; after having supported the legitimacy of renting by the chimera of the net product, and having taken an essentially abnormal fact as the regulating principle of exchange, the economists, dogmatizing on the whole, scientifically formulated this series of errors by a distinction that has become famous: Value in use and value in exchange. It was to put into science the chaos of practice, instead of enlightening one little by little by the other. I do not need, I think, to enter into a new discussion in order to show that, according to science, useful value and exchangeable value, in a regular society, are perfectly identical things. How could it be otherwise? The goods of the nation are common to all; the right to property is a legal fiction, whose usefulness we will later recognize for the formation and mobilization of capital, the responsibility of the worker and individual liberty: as for the products of work, since it is their usefulness that makes them capable of exchange, there is a contradiction in supposing that the selling price is higher or lower than the usefulness of the product. — It is a fact, one will say, attested by everyday experience. — Call it a social disturbance, the deplorable result of our lack of organization; but do not set up as an aphorism a fact of disorder, the intensity of which is moreover decreasing.
393. Admirons l’inconséquence des économistes.
Après avoir posé comme principe d’économie politique la distinction de la valeur utile et de la valeur en échange, ils s’efforcent par tous les moyens que la prudence suggère d’en conjurer les effets, et de ramener la pratique égarée à sa norme éternelle. Car, quel peut être le but de ces immenses statistiques industrielles et commerciales, de ces longues enquêtes, de ces calculs et de ces savantes combinaisons autrefois inconnues des gens de commerce ? que signifie cette instruction presque universelle par laquelle on prépare la jeunesse aux affaires ? si ce n’est que le besoin de sécurité et de franchise tend à se soumettre les oscillations de l’offre et de la demande, et par suite à prévenir les crises qui en résultent ; à proportionner la production aux besoins ; à discipliner les industries rivales ; à arrêter le prix de vente sur les frais de production. Hé quoi ! des mesures de précaution contre une loi de la société, contre une formule de la science !…
Ainsi, dans l’ordre économique, les faits anormaux se modifient peu à peu, et conduisent par une série continue de corrections à la découverte des lois absolues de l’humanité. Tels le despotisme et la féodalité se convertirent au siècle passé en monarchie constitutionnelle, dernière préparation à une forme plus parfaite. Nous plaindre d’arriver à l’ordre et à la science par des voies secrètes et détournées, ce serait reprocher à Dieu de produire par évolution, au lieu de créer instantanément et sans gradation. Pourquoi l’homme n’a-t-il pas été créé en même temps que le plésiosaure et le mégathère ? C’est, disent les naturalistes, que l’échelle des êtres non-seulement se manifeste dans la forme, mais encore se développe dans le temps. De même nous verrons un jour, lorsque notre psychologie sociale sera faite, que ces Grecs et ces Romains qui nous étonnent n’étaient, à côté des générations futures, que de magnifiques ébauches.
393. Let us admire the inconsistency of the economists.
After having laid down as a principle of political economy the distinction between useful value and value in exchange, they strive by all the means that prudence suggests to ward off the effects, and to bring the misguided practice back to its eternal norm. For what can be the purpose of these immense industrial and commercial statistics, of these long inquiries, of these calculations and of these learned combinations formerly unknown to commercial people? What is the meaning of this almost universal instruction by which young people are prepared for business, except that the need for security and frankness tends to submit to the oscillations of supply and demand, and consequently to prevent the resulting crises; to proportion production to needs; to discipline rival industries; to fix the selling price on the production costs? Well, what? Precautionary measures against a law of society, against a formula of science!…
Thus, in the economic order, the abnormal facts are modified little by little, and lead by a continuous series of corrections to the discovery of the absolute laws of humanity. Such despotism and feudalism were converted in the past century into constitutional monarchy, the last preparation for a more perfect form. To complain that we arrive at order and science by secret and devious ways would be to reproach God for producing by evolution, instead of creating instantaneously and without gradation. Why was man not created at the same time as the plesiosaur and the megathera? It is, say the naturalists, because the scale of beings not only manifests itself in form, but also develops in time. Likewise, we will see one day, when our social psychology is complete, that these Greeks and Romans who astonish us were, compared to future generations, only magnificent sketches.
394. La valeur des choses se compose de deux éléments : l’utilité du produit, la quantité de travail dépensée dans la production. Ces deux éléments ont été désignés par les économistes sous les noms pratiques de demande et offre. Comme ces deux expressions semblaient impliquer indépendance absolue de la part du producteur et du consommateur et insolidarité respective, on a cru que la valeur était essentiellement variable ; et, sur ce terrain mouvant de la variabilité de la valeur, on a entrepris d’élever l’édifice économique. Mais il s’est trouvé que la variabilité dans la valeur était comme Ahriman, le mauvais principe, dont les adorateurs ne s’occupent qu’afin d’en conjurer l’influence : on a cherché tous les moyens possibles tantôt de fixer la valeur, tantôt de la régler, tantôt d’en prévoir les variations ; ce qui, au fond, était toujours la même chose. Enfin le jour approche où, toutes les chances étant soumises au calcul, la capricieuse divinité enchaînée et la bonne foi triomphante, l’Économie politique professera cet aphorisme :
C’est à l’acheteur à désigner la quotité du produit ;
C’est au fabricant à fixer la valeur des choses par la quantité du travail.
Alors seulement la double formule de Smith et Say trouvera sa pleine et entière application :
a) La division du travail est limitée par l’étendue du marché. En effet, l’étendue des besoins règle le développement de la production ; la quantité des produits à réaliser détermine le nombre des travailleurs ; plus le nombre des travailleurs diminue, moins le travail exige de division. Mais aujourd’hui, par suite de la cupidité, de l’impéritie et de la concurrence, la division du travail tantôt dépasse, tantôt n’atteint pas les besoins du marché : d’où il arrive ou que la marchandise est avilie, ce qui porte préjudice au travailleur ; ou que les frais de production sont excessifs, ce qui cause une perte pour le consommateur.
b) La consommation et la production doivent toujours se balancer l’une par l’autre. Comment cela pourrait-il être, avec le principe de la variabilité de la valeur ? Et réciproquement, si la production et la consommation se balancent, comment la valeur peut-elle varier ? comment la demande et l’offre ne se font-elles pas équilibre ? comment y a-t-il des non-valeurs, des ouvriers sans travail, et des stagnations commerciales ?…
394. The value of things is composed of two elements: the utility of the product, the quantity of labor expended in production. These two elements have been designated by economists by the practical names of demand and supply. As these two expressions seemed to imply absolute independence on the part of the producer and the consumer and respective insolidarity, it was believed that value was essentially variable; and, on this shifting ground of the variability of value, we have undertaken to erect the economic edifice. But it turned out that variability in value was like Ahriman, the bad principle, with which the worshipers concern themselves only in order to ward off its influence: we have sought all possible means sometimes to fix the value, sometimes to regulate it, sometimes to foresee its variations, which, basically, was always the same. Finally the day is approaching when, all chances being subject to calculation, capricious divinity enchained and good faith triumphant, political economy will profess this aphorism:
It is up to the buyer to designate the quantity of the product;
It is up to the manufacturer to fix the value of things by the quantity of labor.
Only then will the double formula of Smith and Say find its full and complete application:
a) The division of labor is limited by the extent of the market. Indeed, the extent of needs regulates the development of production; the quantity of products to be produced determines the number of workers; the more the number of workers decreases, the less labor requires division. But today, as a result of greed, incompetence and competition, the division of labor sometimes exceeds, sometimes does not reach the needs of the market. as a result of which either the commodity is debased, which harms the worker, or that the cost of production is excessive, causing a loss to the consumer.
b) Consumption and production must always balance each other. How could that be, with the principle of variability of value? And conversely, if production and consumption are balanced, how can value vary? How do demand and supply not balance each other? How are there non-values, workers without work, and commercial stagnations?…
395. On remarquera sans doute comment l’idée fondamentale de travail nous conduit, par des équations successives, à la constitution de la science, et lui donne un caractère mathématique. Ce ne sont pas là de vaines et mystiques généralités, montées sur de grands sentiments et de majestueuses sentences ; ce sont de vraies formules, telles que l’expérience la plus consommée les pourrait donner, et qu’aucun fait n’infirmera jamais.
Le travail effectué s’appelle produit ;
Le produit utile a nom valeur ;
La valeur accumulée devient, par destination reproductive, capital ; c’est-à-dire principe, ferment, moyen ou organe de production.
Et comme on vient de voir le travail, sous ses deux premiers aspects (produit et valeur), donner lieu à des considérations spéciales ; de même on le verra, sous le nom de capital, engendrer une nouvelle série de faits économiques, et conduire à de plus hautes formules.
395. It will no doubt be noticed how the fundamental idea of labor leads us, by successive equations, to the constitution of science, and gives it a mathematical character. These are not vain and mystical generalities, mounted on great sentiments and majestic sentences; they are true formulas, just as the most consummate experience could give them, and which no fact will ever invalidate.
The labor performed is called product;
The useful product has the name of value;
The accumulated value becomes, by reproductive destination, capital; that is to say principle, ferment, means or organ of production.
And as we have just seen, labor, under its first two aspects (product and value), give rise to special considerations; in the same way we will see it, under the name of capital, engender a new series of economic facts and lead to higher formulas.
396. Et d’abord, le capital étant du travail accumulé, concrète, solidifié, si l’on veut me passer ce latinisme (solidum, capital), d’où vient la distinction si répandue, et qui témoigne d’un si profond antagonisme entre travailleur et capitaliste ? Ces deux termes expriment-ils deux catégories de personnes, ou seulement deux faces différentes de notre condition commune, le travail ?
Ici, nous devons le dire, les économistes, en acceptant sans réserve l’autorité des faits accomplis, ont rendu presque impossible tout développement ultérieur de la science. Tantôt ils célèbrent la puissance des capitaux concurremment avec celle du travail, comme si ces deux éléments de la production étaient réellement antithétiques l’un de l’autre ; et l’on ne manque pas d’en induire l’importance du capitaliste dans la société. Ce sophisme du privilège n’a désormais plus besoin de réfutation : on sait à quoi s’en tenir sur la puissance productive de l’oisiveté. Tantôt ils se lamentent sur le défaut d’harmonie entre le travail et le capital, et lui attribuent tous les désordres de la société, ne voyant pas que c’est la distinction de deux choses identiques qui engendre tout le mal. « L’équilibre est troublé », s’écrie le savant et judicieux M. Rossi : « ici, parce que le travail surabonde ; là, parce que le capital envahit le domaine du travail ; ailleurs, parce que le capital est entravé dans ses applications ; ailleurs encore, parce que la somme du travail et du capital excède momentanément, non les besoins des consommateurs, mais leurs moyens d’échange. »
396. And first of all, capital being accumulated, concrete, solidified labor, if you will allow me this Latinism (solidum, capital), from whence comes the widespread distinction, which bears witness to such a profound antagonism, between laborer and capitalist? Do these two terms express two categories of people, or only two different aspects of our common condition, labor?
Here, we must say, the economists, by accepting without reservation the authority of accomplished facts, have made any further development of science almost impossible. Sometimes they celebrate the power of capital concurrently with that of labor, as if these two elements of production were really antithetical to each other; and one does not fail to induce the importance of the capitalist in society. This sophism of privilege no longer needs refutation: we know what to believe about the productive power of idleness. Sometimes they lament the lack of harmony between labor and capital, and attribute to it all the disorders of society, not seeing that it is the distinction of two identical things that engenders all the evil. “The balance is disturbed,” exclaims the learned and judicious M. Rossi: “here, because there is a glut of labor; there, because capital invades the domain of labor; elsewhere, because capital is hampered in its applications; elsewhere still, because the sum of labor and capital momentarily exceeds, not the needs of the consumers, but their means of exchange.”
397. M. Rossi a trouvé la raison immédiate des perturbations sociales, nous allons chercher, nous, la raison de cette raison.
1o Au point de vue métaphysique, le parallélisme qu’on a prétendu établir entre le capital, le travail et le talent, comme principes de production essentiels au même degré, est une fausse série ; A. Smith en avait fait la remarque. Pour que trois termes donnés forment une série simple (et, dans le cas actuel, il ne peut être question d’aucune autre), il faut que ces termes soient distincts, indépendants, égaux, sous le point de vue qui les rassemble. Or, dans cette série saint-simonienne tant vantée, le premier terme est une modalité, et le troisième une qualité du second ; ou bien, si l’on préfère un autre style, les trois termes, capital, travail, talent, indiquent une analyse, mais non pas une synthèse. En effet, le capital est du travail solidifié, le talent est du travail considéré dans son plus ou moins de perfection. À priori, antérieurement à l’expérience, la division des éléments de production en capital, travail et talent, est mauvaise, anti-sérielle, et ne peut qu’entraîner dans la pratique des inconvénients funestes.
2o En effet, la distinction des citoyens admise depuis tant de siècles en propriétaires, travailleurs et hommes de talent, est une anomalie, un fait de subversion, qui, avec beaucoup d’autres, est en train de disparaître. Il n’y a pas de travailleurs sans talent, il n’y a que des machines ; comme aussi il n’est pas de propriété sans travail ; il n’est que fraude et usurpation. L’antagonisme du capital et du travail, tant déploré par les amis du progrès, loin de se résoudre en une association qui maintiendrait la distinction effective de travailleur et capitaliste, doit finir, au contraire, par la sujétion absolue du capital au travail, et la transformation de la fainéantise capitaliste en fonction de commissaire aux épargnes et distributeur des capitaux. Les vrais capitalistes, aux yeux de la science et du droit, sont les travailleurs : c’est afin de leur rendre cette prérogative que le gouvernement a établi des caisses d’épargne, des banques de secours et de prévoyance, et que tôt ou tard la banque de France, devenant banque nationale, et combinant ses opérations avec la loi d’expropriation pour cause d’utilité publique, portera le dernier coup à la propriété désœuvrée, et montrera l’inutilité des talents sinécuristes en les mettant à leurs pièces.
3o Que signifient donc ces plaintes : le travail manque de capitaux ; — le capital envahit le domaine du travail ; — la somme du travail et du capital dépasse les ressources des consommateurs ? ce qu’elles signifient, nous allons le dire :
a) Sous prétexte, de produit net, l’homme oisif, prenant pour lui une part de la production, enlève au travailleur l’épargne et le capital : et comme sans capital il est impossible de travailler à nouveau et de reproduire des valeurs, il s’ensuit que le producteur n’est plus qu’un instrument dans la main du capitaliste, qui lui vend ainsi le travail avant d’écumer son produit.
b) Dans cette situation, le travailleur pressuré cherche à s’affranchir des entraves du capitaliste en élevant son salaire et demandant des garanties ; le capitaliste, que les prétentions du travailleur inquiètent, s’efforce de réduire la main-d’œuvre en remplaçant l’homme par la machine ; tant qu’à la fin celui qui auparavant comptait dans la société comme travailleur, se trouve tout à coup exclu de la production et de la consommation.
c) Enfin, production et consommation, de même que produit brut et produit net, étant deux termes corrélatifs servant à exprimer la double face d’une circulation unitaire, il est contradictoire de supposer la consommation plus grande que la production, ou la production plus grande que la consommation. Mais le parasitisme capitaliste consommant improductivement une partie de la richesse collective, il se fait dans le produit net du travailleur un vide qui restreint ses moyens d’échange, et qui s’accroît d’autant plus que le jeu des capitaux laisse à l’ouvrier une moindre part dans l’œuvre industrielle. Voilà comment l’abondance des produits peut être accompagnée de non-vente et de misère. La cause première de ce désordre est dans l’usurpation du propriétaire, qui, consommant gratuitement une partie du produit, et vendant le reste au prix de la totalité, oblige le travailleur à racheter pour cinq francs ce qu’il a livré pour quatre. Je ne parle pas des autres causes de stagnation et d’encombrement déjà signalées.
397. Mr. Rossi has found the immediate reason for the social disturbances; we are going to look for the reason for this reason.
1. From the metaphysical point of view, the parallelism that has been claimed to be established between capital, labor and talent, as essential principles of production to the same degree, is a false series; A. Smith had pointed this out. For three given terms to form a simple series (and, in the present case, there can be no question of any other), these terms must be distinct, independent, equal, from the point of view that brings them together. Now, in this vaunted Saint-Simonian series, the first term is a modality, and the third a quality of the second; or, if another style is preferred, the three terms, capital, labor, talent, indicate an analysis, but not a synthesis. Indeed, capital is solidified labor, talent is labor considered in its more or less perfection. A priori, prior to the experiment, the division of the elements of production into capital, labor and talent, is bad, anti-serial, and can only lead in practice to fatal inconveniences.
2. Indeed, the distinction of citizens admitted for so many centuries into proprietors, laboers and men of talent, is an anomaly, a fact of subversion, which, with many others, is in the process of disappearing. There are no laborers without talent, there are only machines; as also there is no property without labor; there is only fraud and usurpation. The antagonism between capital and labor, so deplored by the friends of progress, far from being resolved into an association that would maintain the effective distinction between laborer and capitalist, must end, on the contrary, in the absolute subjection of capital to labor, and the transformation of capitalist idleness into a steward’s function for savings and distributor of capital. The real capitalists, in the eyes of science and right, are the workers: it is in order to give them back this prerogative that the government established savings banks, relief and provident banks, and that sooner or later the Bank of France, becoming a national bank, and combining its operations with the law of expropriation for reasons of public utility, will deal the last blow to idle property, and will show the uselessness of sinecurist talents by putting them to work.
3. What do these complaints signify: labor lacks capital; — capital invades the domain of labor; — the sum of labor and capital exceeds the resources of the consumers? We will tell you what they mean:
a) Under the pretext of net product, the idle man, taking for himself a part of the production, deprives the laborer of savings and capital; and since without capital it is impossible to labor again and to reproduce values, it follows that the producer is no longer anything more than an instrument in the hands of the capitalist, who thus sells his labor to him before skimming off his product.
b) In this situation, the pressurized worker seeks to free himself from the shackles of the capitalist by raising his wages and asking for guarantees; the capitalist, disturbed by the pretensions of the worker, strives to reduce labor by replacing man by machine; so much so that in the end he who previously counted in society as a worker suddenly finds himself excluded from production and consumption.
c) Finally, production and consumption, as well as gross product and net product, being two correlative terms serving to express the double face of a unitary circulation, it is contradictory to suppose consumption greater than production, or production greater than consumption. But capitalist parasitism unproductively consuming part of the collective wealth, there is a void in the net product of the worker that restricts his means of exchange, and increases all the more as the play of capital leaves to the worker a lesser part in the industrial work. This is how the abundance of products can be accompanied by non-sale and poverty. The root cause of this disorder is in the usurpation of the proprietor, who, consuming part of the product free of charge and selling the rest at the price of the whole, obliges the laborer to buy back for five francs what he has delivered for four. I will not speak about the other causes of stagnation and congestion already mentioned.
398. Formation des capitaux. On a dit et répété à satiété : _Sans la propriété, point de capitaux_. Cette proposition a paru si bien établie, si solidement appuyée sur l’histoire, qu’elle a fait rejeter sans examen les démonstrations économiques les plus certaines, par cela seul qu’en attaquant la propriété, elles compromettaient la formation des capitaux, justement regardés comme l’aliment du travail et le palladium de l’industrie.
Oui, c’est un fait incontestable que, jusqu’à ce jour, la propriété a été le principe de l’épargne ; et c’est une vérité non moins certaine que la propriété est indéfendable, qu’elle penche vers sa ruine, ou, si le mot paraît trop dur, vers sa métamorphose : or si le droit du conservateur est de s’attacher au fait par la crainte de trouver pis en s’abandonnant à la théorie, le devoir de l’économiste est de chercher le mot de cette énigme, et, s’il se peut, de concilier ces contradictions.
398. Capital formation. It has been said over and over again: without property, there is no capital. This proposition seemed so well established, so firmly based on history, that it caused the most certain economic demonstrations to be rejected without examination, for the sole reason that by attacking property, they compromised the formation of capital, which is justly considered as the food of labor and the palladium of industry.
Yes, it is an indisputable fact that, up to this day, property has been the principle of saving; and it is a no less certain truth that property is indefensible, that it leans towards its ruin, or, if the word seems too harsh, towards its metamorphosis. But if the right of the curator is to attach himself fear of finding worse by abandoning himself to theory, the duty of the economist is to seek the answer to this enigma, and, if possible, to reconcile these contradictions.
399. D’abord, il serait étrange que, le capital étant du travail accumulé, les travailleurs, par cela même qu’ils travaillent, fussent incapables d’épargner et capitaliser. Rien n’expliquerait une pareille antilogie. Comment ce que fait illégitimement et subversivement le capitaliste, qui ne produit pas, le travailleur ne pourrait-il l’exécuter sans lui, savoir, opérer un prélèvement sur son salaire, et le convertir en capital ? En effet, de quoi résulte principalement, aujourd’hui, la formation des capitaux ? De la rente, du fermage, des bénéfices. Or, qu’est-ce que la rente, le fermage, le bénéfice, sinon un prélèvement fait sur le produit par un producteur fictif, qu’on appelle capitaliste ou propriétaire ? Du travail, encore du travail, et toujours du travail, c’est toute l’Économie politique ; et demander comment, sans monopoles, privilèges ni sinécures, il se formera des capitaux, c’est demander comment, sans le secours des oisifs, les travailleurs accumuleront du travail.
Qu’est-ce donc qui empêche les travailleurs de capitaliser ? Je l’ai dit déjà : c’est que la propriété ne leur en laisse pas les moyens. Mais alors comment un tel régime s’est-il établi ? Quel en est le but ? quel en est le sens ?
399. First of all, it would be strange if, capital being accumulated labor, the workers, by the very fact that they work, were incapable of saving and capitalizing. Nothing would explain such an antilogy. How could what the capitalist does illegitimately and subversively, who does not produce, not be executed by the worker without him, namely, to operate a levy on his wages, and convert it into capital? What is the main result of capital formation today? Rent, farm rent, profits. Now, what is rent, farm rent, profit, if not a levy made on the product by a fictitious producer, who is called a capitalist or proprietor? Labor, more labor, and always labor, that is the whole of Political Economy; and to ask how, without monopolies, privileges or sinecures, capital will be formed, is to ask how, without the help of the idle, the workers will accumulate labor.
So what prevents workers from capitalizing? I have already said it: it is because property does not allow them the means. But then how was such a regime established? What is its objective? What is its meaning?
400. C’est ici que l’Économie politique, s’élevant tout à coup des notions les plus simples aux considérations les plus hautes, devient une vraie physiologie de la société, selon la juste expression de Say.
Capital fixe, Capital circulant. Toute accumulation de valeur se nomme capital : une équation sérielle démontre que des travaux d’aménagement faits à une terre, la construction d’une machine, d’un navire, l’attirail du laboureur, les outils de l’artisan, l’éducation donnée à un jeune homme, le talent d’un artiste, etc., aussi bien qu’une somme d’argent mise en réserve, sont des accumulations de valeurs et constituent des capitaux. Or, selon que le capital devient instrument de production ou objet de commerce, il prend les noms corrélatifs de capital fixe ou engagé, et capital circulant. C’est, comme l’on voit, une transformation nouvelle de l’idée du travail, considéré sous le double point de vue de matière-instrument et matière-produit.
400. It is here that political economy, rising suddenly from the simplest notions to the highest considerations, becomes a true physiology of society, according to the apt expression of Say.
Fixed capital, circulating capital. Any accumulation of value is called capital: a serial equation demonstrates that the labor done on land, the construction of a machine, a ship, the implements of the plowman, the tools of the artisan, the education given to a young man, the talent of an artist, etc., as well as a sum of money set aside, are accumulations of value and constitute capital. Now, depending on whether capital becomes an instrument of production or an object of commerce, it takes the correlative names of fixed or engaged capital, and circulating capital. It is, as we see, a new transformation of the idea of labor, considered from the double point of view of matter-instrument and matter-product.
401. Mais, 1o pour que des capitaux circulent, pour que des produits s’échangent, il faut, avant tout, qu’il y ait diversité dans la production ; or, cette diversité ne s’est établie que peu à peu, par le démembrement et la spécification incessante de la faculté industrielle. La condition de l’homme, à son entrée dans le monde, étant l’ignorance, le travail ne fut pas d’abord divisé : l’expérience seule, amenant la réflexion, a diversifié l’activité humaine. Cela ne suffit point encore : toute évolution industrielle exigeant une certaine mise de fonds, une consommation de valeurs et de temps, dont la société, sous une forme quelconque, dut supporter le fardeau, il fallut créer des loisirs et fournir des avances à certains hommes devenus pour ainsi dire les éclaireurs de la production ; et c’est à quoi servirent, d’abord l’appropriation des capitaux engagés ; en second lieu, les primes appelées rentes, fermages, usures, qui, à travers les plus honteux excès, procurèrent tant de fondations utiles et d’entreprises glorieuses. En général, les perfectionnements mécaniques, les applications de la science à l’industrie, les réformes agricoles, l’esprit d’innovation et de découverte, viennent, non des pauvres, mais des riches : non de l’initiative sociale, mais de la spontanéité individuelle. Ces vérités sont devenues triviales.
401. But, 1. in order for capital to circulate, for products to be exchanged, there must above all be diversity in production; now, this diversity was established only little by little, by the dismemberment and the incessant specification of the industrial faculty. The condition of man, at his entry into the world, being ignorance, labor was not at first divided: experience alone, leading to reflection, diversified human activity. This is still not enough: any industrial evolution requiring a certain outlay, a consumption of values and time, of which society, in any form whatsoever, had to bear the burden, it was necessary to create leisure and provide advances to certain men who had become, so to speak, the scouts of production; and this is what served, first, the appropriation of the capital employed; secondly, the premiums called rents, farm rents, usury, which, through the most shameful excesses, procured so many useful foundations and glorious enterprises. In general, mechanical improvements, the applications of science to industry, agricultural reforms, the spirit of innovation and discovery, come not from the poor, but from the rich: not from social initiative, but from individual spontaneity. These truths have become trivial.
402. 2o Dans cet état de défiance et d’incapacité générales, le fondement du crédit, le grand véhicule de la production, fut la divisibilité et la mobilisation des capitaux. Supposez une société commençante, où sous prétexte de l’inaliénabilité du fonds social et du produit collectif, nul n’aurait eu le droit d’engager une part de la fortune publique ; la société serait demeurée dans une éternelle enfance ; la production immobilisée, le patriarcat eût été la forme sociale jusqu’au dernier jour. Tel fut l’état que rêvèrent Pythagore, Platon, Fénelon, et que Lycurgue vint à bout de réaliser en partie. La propriété fut donc la condition nécessaire de la division de l’industrie et de la source de ses progrès. Si l’homme dès sa naissance avait eu la science infuse ; ou si Dieu lui avait envoyé des anges pour le former à la société, comme on croyait jadis qu’il lui avait révélé d’inutiles mystères : cette longue suite d’institutions préparatoires, et cette majestueuse initiation par le droit romain que continue aujourd’hui le droit français, eussent été un embarras, une perturbation, un non-sens. Mais le monde a commencé par l’ignorance et la barbarie : la destinée de l’humanité est de s’instruire et de s’organiser par elle-même ; Dieu, qui gouverne immédiatement la matière, nous a donné des attractions et des facultés dont il a voulu que nous trouvassions les lois : dès lors une organisation sociale spontanée était impossible ; l’ordre dans l’humanité ne pouvait se créer que successivement, et les éléments métaphysiques dont il se compose durent se déterminer d’abord avec d’autant plus d’énergie qu’ils pouvaient être plus dangereusement attaqués. La propriété est un de ces éléments, et le plus précieux de tous ; je l’ai dit dès mon premier mémoire ; c’est même ce qui m’a fait accuser de contradiction par les uns, tout en me rendant de plus en plus suspect aux autres. La propriété a enfanté le crédit, la circulation, les banques ; aujourd’hui presque féodale, elle traîne à sa suite la centralisation commerciale et la solidarité universelle.
Cette dernière proposition pouvant sembler un paradoxe, nous allons tout de suite en donner la preuve.
402. 2. In this state of general mistrust and incapacity, the foundation of credit, the great vehicle of production, was the divisibility and mobilization of capital. Imagine a beginning society, where, under the pretext of the inalienability of the social fund and of the collective product, no one would have had the right to pledge a share of the public fortune; society would have remained in an eternal childhood; production immobilized, patriarchy would have been the social form until the last day. Such was the state dreamed of by Pythagoras, Plato, Fenelon, and which Lycurgus managed to achieve in part. Property was therefore the necessary condition for the division of industry and the source of its progress. If man from his birth had had knowledge infused; or if God had sent him angels to train him for society, as it was formerly believed that he had revealed to him useless mysteries: this long series of preparatory institutions, and this majestic initiation by Roman right, which French right continues today, would have been an embarrassment, a disturbance, nonsense. But the world began with ignorance and barbarism: the destiny of humanity is to educate and organize itself; God, who immediately governs matter, gave us attractions and faculties whose laws he wanted us to find. From then on a spontaneous social organization was impossible; order in humanity could only be created successively, and the metaphysical elements of which it is composed had first to determine themselves with so much the more energy as they could be more dangerously attacked. Property is one of these elements, and the most precious of all; I said it from my first memoir; it is even why I was accused of contradiction by some, while I became more and more suspect to others. Property gave birth to credit, circulation, banks; now almost feudal, it drags commercial centralization and universal solidarity in its wake.
This last proposition may seem like a paradox; we will immediately give the proof.
403. 3o Tout le monde a entendu parler de sociétés par actions. Il y a quelques années, l’entraînement vers ce mode d’exploitation était devenu général : ce fut un des plus beaux moments de l’Économie politique. On put croire un instant à l’inauguration d’un immense mouvement réformiste. L’inexpérience des bailleurs de fonds, aveuglés par une cupidité grossière, et l’audace de quelques effrontés coquins firent avorter ce magnifique élan de notre esprit public.
Mais qu’est-ce qu’une société par actions ? C’est, dans sa forme rudimentaire, le prêt à intérêt. Au lieu d’un emprunteur responsable sur ses biens, il y a une société qui rend des comptes ; au lieu d’un prêteur, il y en a vingt, cent, mille. — Maintenant, qu’est-ce que le prêteur ? C’est, dit-on, un travailleur qui produit par son capital. Littéralement cela n’est pas vrai : il faut donc chercher un autre sens à cette quasi-fonction. Pour cela, il est nécessaire de remonter aux principes.
On a vu que la grande loi de Smith, la division du travail, se traduit synonymiquement en cette autre, la force collective. De même donc que la division du travail ne s’entend pas seulement des opérations simultanées, mais aussi de toutes les opérations successives, faites dans un but commun et pour un objet identique ; de même la puissance collective, et par conséquent la solidarité, la co-participation qu’elle engendre, n’embrasse pas seulement les travailleurs en actualité de service, mais encore ceux dont le travail, consommé et reproduit tour à tour, s’est effectué à des intervalles de temps plus ou moins longs. Or, le capital représente ce travail : par conséquent le capitaliste, en tant qu’il est censé avoir produit lui-même ses capitaux, devient associé de l’emprunteur, et participe à son produit. L’anomalie que nous avons signalée, et contre laquelle s’est soulevé de tout temps le prolétariat, consiste en ce que, soit par le droit de conquête, soit par les mensonges de l’offre et de la demande, certains hommes ont trouvé moyen de se faire agréer comme capitalistes sans avoir été travailleurs, et d’obtenir un salaire hors de proportion avec leurs services.
Telle est l’indissoluble chaîne qui unit les travailleurs : tous contribuent à une œuvre unique, la richesse sociale ; tous sont appelés à devenir par l’épargne capitalistes ; conséquemment tous sont débiteurs et créanciers les uns des autres. Et comme, dans une organisation que l’Économie politique peut déjà prévoir, la somme des intérêts payés à chacun est partout la même, et qu’en définitive les producteurs vivent sur le produit net de leur travail, non sur le revenu de leur capital, l’intérêt de l’argent n’exprime plus un bénéfice ; il exprime tout à la fois la communauté et l’individualité de l’appropriation, la solidarité universelle.
403. 3. Everyone has heard of joint-stock companies. A few years ago, the drive towards this mode of exploitation had become general: it was one of the finest moments of political economy. One could believe for a moment in the inauguration of an immense reformist movement. The inexperience of donors, blinded by gross greed, and the audacity of a few cheeky rascals aborted this magnificent momentum of our public spirit.
But what is a joint-stock company? It is, in its rudimentary form, the loan at interest. Instead of a borrower responsible for his property, there is a society that is accountable; instead of a lender, there are twenty, a hundred, a thousand. — Now, what is the lender? It is, it is said, a worker who produces with his capital. Literally, this is not true: we must therefore seek another meaning for this quasi-function. For this, it is necessary to go back to the principles.
We have seen that Smith’s great law, the division of labor, translates synonymously into this other, collective force. Just as the division of labor does not mean only simultaneous operations, but also all successive operations, made for a common purpose and for an identical object; in the same way the collective power, and consequently the solidarity, the co-participation that it engenders, embraces not only the workers actually in service, but also those whose labor, consumed and reproduced in turn, has been carried out at more or less lengthy intervals of time. Now, capital represents this work: consequently the capitalist, insofar as he is supposed to have produced his capital himself, becomes a partner of the borrower, and participates in his product. The anomaly that we have pointed out, and against which the proletariat has always risen up, consists in the fact that, either by the right of conquest, or by the lies of supply and demand, certain men have found a way of being approved as capitalists without having been workers, and of obtaining a salary out of proportion to their services.
Such is the indissoluble chain that unites the workers: all contribute to a single work, social wealth; all are called to become capitalists through savings; consequently all are debtors and creditors of one another. And since, in an organization that Political Economy can already foresee, the sum of the interest paid to each is everywhere the same, and since the producers finally live on the net product of their work, not on the return on their capital, the interest on money no longer expresses a profit; it expresses both the community and the individuality of appropriation, universal solidarity.
404. Que ceux qui prétendent faire mieux ou autrement que la nature expliquent les aberrations de la société s’ils peuvent. Il ne suffit pas de critiquer et de nier la légitimité de certains faits, il faut encore en montrer la raison et les tendances ; c’est ainsi seulement qu’on justifie la Providence, et, pour me servir de l’expression d’un ancien, qu’on absout les dieux. Il a fallu que la société souffrît les horreurs de l’égoïsme propriétaire afin d’assurer la liberté, la personnalité, la spontanéité du travailleur, et d’échapper à l’immobilisme des communautés et des religions ; il a fallu, pour mettre en circulation les capitaux, sans lesquels point de travail, point de progrès, reconnaître à l’homme un droit monstrueux ; il faut encore aujourd’hui, pour que la responsabilité du travailleur et l’égalité des produits et des salaires ne soient pas de vaines fictions, accorder au capitaliste une prime d’oisiveté.
Mais la propriété, une fois admise pour tous et reconnue sous toutes les formes, se limite et s’annule, laissant à sa place l’initiative individuelle ; — l’intérêt de l’argent, le louage des capitaux et des terres se régularisant, et, si j’ose ainsi dire, se républicanisant dans l’impôt, devient le signe du droit et du devoir (crédit et débit) de chacun envers tous, que dis-je ? l’impitoyable aiguillon du travail, le préservatif tout-puissant contre la mollesse.
404. Let those who claim to do better or otherwise than nature explain the aberrations of society if they can. It is not enough to criticize and deny the legitimacy of certain facts; it is also necessary to show the reason and the tendencies; it is only in this way that one justifies Providence, and, to use the expression of an ancient, that one absolves the gods. Society had to suffer the horrors of proprietary selfishness in order to ensure the liberty, personality, spontaneity of the worker, and to escape the immobility of communities and religions; in order to put capital into circulation, without which there is no labor, no progress, it was necessary to recognize in man a monstrous right; it is still necessary today, so that the responsibility of the worker and the equality of products and wages are not empty fictions, to grant the capitalist a premium for idleness.
But property, once admitted for all and recognized in all forms, limits and cancels itself, leaving individual initiative in its place; — the interest of money, the rental of capital and land becoming regularized, and, if I dare say so, being republicanized in taxation, becomes the sign of the right and the duty (credit and debit) of each to all, — what am I saying? — the pitiless spur of labor, the all-powerful preservative against weakness.
405. Telle est donc, s’il m’est encore permis d’employer ce terme, la philosophie de la formation des capitaux.
D’abord, le travailleur est reconnu propriétaire absolu de son produit. En cette qualité il s’arroge le droit abusif et subversif de vendre aussi cher qu’il peut : c’est la période oscillatoire de l’offre et de la demande. Puis il place les bénéfices réalisés de la sorte à intérêt ; c’est-à-dire que, délaissant lui-même le travail, il vend à un autre le droit de produire moyennant redevance : c’est la période d’agiotage. Enfin, les derniers travailleurs devenant à leur tour capitalistes, s’organisant en sociétés de travailleurs égaux et libres, centralisant leurs épargnes dans leurs industries respectives, et acquittant la dette publique sur leur produit pendant que l’oisif la paye sur son capital, l’agioteur est jugulé par ses propres œuvres ; la garantie et la responsabilité du travailleur reçoivent une sanction égale : c’est la période d’organisation.
405. Such, then, if I may still use this term, is the philosophy of capital formation.
First, the worker is recognized as the absolute proprietor of his product. In this capacity he arrogates to himself the abusive and subversive right to sell as much as he can: this is the oscillatory period of supply and demand. Then he invests the profits made in this way at interest; that is to say that, abandoning labor himself, he sells to another the right to produce for a fee: this is the period of speculation. Finally, the last workers becoming in their turn capitalists, organizing themselves into societies of equal and free workers, centralizing their savings in their respective industries, and paying the public debt out of their product while the idler pays it out of his capital, the speculator is curbed by his own works; the guarantee and the responsibility of the worker receive an equal sanction: this is the period of organization.
406. Instrument de circulation. On a disputé longtemps sur la nature de la monnaie. La monnaie est-elle marchandise, ou seulement signe représentatif des valeurs ? Tel a été le problème agité par les économistes. Si la monnaie est une marchandise, à quoi sert-elle ? si elle n’est qu’un signe, pourquoi un morceau de bois, de faïence ou de pierre, un chiffon de papier, ne la remplacerait-il pas ? — La lettre de change n’ayant valeur qu’autant qu’elle est appuyée sur un gage dont on peut exiger la remise ou l’équivalent ; le billet de banque n’étant estimé à l’égal de l’argent que parce que l’on est sûr d’en trouver le montant à la caisse de la Banque : la lettre de change et le billet de banque ne sont pas des signes, mais des contrats. — La monnaie, en tant que monnaie, n’est point chose qui se consomme : de là cette vérité mille fois démontrée, que la richesse et le bien-être d’une nation ne résident pas dans la quantité de numéraire qu’elle possède, mais dans la somme des valeurs consommées et produites ; ce qui ôte radicalement à la monnaie le caractère de marchandise. Mais la monnaie n’est pas non plus seulement un signe, puisque celui qui la porte possède une valeur réelle, et ne craint pas la banqueroute.
Il reste, ainsi que nous l’avons annoncé en tête de cet article, que la monnaie soit l’instrument de la circulation, comme le capital fixe ou engagé est l’instrument de la production. Le capital, sans matière exploitable et sans main-d’œuvre, demeure stérile ; le produit sans échange tombe en non-valeur. Mais une fois représenté par la monnaie, le produit se transforme au gré du travailleur : la société, telle du moins que nous la connaissons, ne peut donc subsister sans monnaie. Produit elle-même du travail appliqué aux matières les plus rares et les moins transformables, la monnaie offre, pour ainsi dire, à la fidélité des transactions, la double garantie de l’homme et du Créateur.
406. Instrument of circulation. We have argued for a long time about the nature of money. Is money a commodity, or only a representative sign of values? Such has been the problem debated by the economists. If money is a commodity, what is it for? If it is only a sign, why shouldn’t a piece of wood, earthenware or stone, a scrap of paper, replace it? — The bill of exchange having value only insofar as it is supported by a pledge, the delivery or the equivalent of which can be demanded; the banknote being valued as equal to money only because one is sure of finding the amount at the cash desk of the Bank: the bill of exchange and the banknote are not signs, but contracts. — Money, as money, is not something that is consumed: hence this truth, demonstrated a thousand times over, that the wealth and well-being of a nation do not reside in the quantity of cash it possesses, but in the sum of the values consumed and produced, which radically deprives money of its commodity character. But money is not only a sign either, since the person who bears it possesses real value and does not fear bankruptcy.
It remains, as we announced at the beginning of this article, that money is the instrument of circulation, just as fixed or engaged capital is the instrument of production. Capital, without exploitable material and without labor, remains sterile; the product without exchange falls into non-value. But once represented by money, the product is transformed at the whim of the worker: society, at least as we know it, cannot therefore subsist without money. The product itself of labor applied to the rarest and least transformable materials, money offers, so to speak, the fidelity of transactions, the double guarantee of man and the Creator.
407. Quel que soit le mode d’organisation de la société, communiste ou propriétaire, despotique ou républicain, il est impossible, à moins d’opprimer les volontés, de forcer les goûts et de violer le secret de la vie privée, de se passer d’un instrument d’échange portant avec soi sa garantie, en un mot, de monnaie. Pour accorder les principes de l’égalité avec ceux d’une libre consommation des salaires ; pour que la répartition des produits s’effectue d’une manière commode et expéditive, équitable et sûre, autrement que par des assignats toujours suspects, d’interminables comptes-courants, des effets de banque trop faciles à multiplier pour qu’on n’en redoute pas la dépréciation, et qui d’ailleurs nécessitent la franchise permanente de capitaux énormes ; des billets au porteur, incommodes pour les menues dépenses si le chiffre en est élevé, qui s’en vont en fumée si le chiffre en est faible, sujets aux mille inconvénients de la contrefaçon, d’une prompte altération et d’une perpétuelle incertitude : pour assurer, dis-je, la bonne foi du commerce et faire l’appoint de tous les échanges, je ne connais, je ne comprends de moyen que la monnaie. Sans la monnaie, sans cet étalon de la valeur, l’appréciation des produits voltige à tous vents, le papier de banque ne signifie rien[5], la lettre de change est impossible, les comptes ne sont jamais apurés, le travailleur ne se croit jamais payé, le marchand jamais soldé, le consommateur jamais satisfait : sans la monnaie, la société n’est pour l’homme que charrue et râtelier, l’égalité devient un joug et la liberté un leurre[6].
407. Whatever the mode of organization of society, communistic or proprietary, despotic or republican, it is impossible, without oppressing wills, forcing tastes and violating the secrecy of private life, to do without an instrument of exchange carrying with it its guarantee, in a word, without money. In order to accord the principles of equality with those of a free consumption of wages; in order that the distribution of the products is carried out in a convenient and expeditious, equitable and sure manner, other than by always suspect assignats, interminable current accounts, bank bills too easy to multiply for one not to be afraid of their depreciation, and which, moreover, necessitate the permanent exemption of enormous capital; bearer notes, inconvenient for small expenses if the number is high, alteration and a perpetual uncertainty: to ensure, I say, the good faith of trade and to make up for all exchanges, I know, I understand no means but money. Without money, without this standard of value, the assessment of products fluctuates in all winds, bank paper means nothing [5], the bill of exchange is impossible, the accounts are never cleared, the worker never believes himself paid, the merchant never settled, the consumer never satisfied: without money, society is for man only plow and rack, equality becomes a yoke and liberty a deception. [6]
408. Salaire. Cette question, la plus délicate de l’Économie politique, forme le point de jonction des trois parties de la science : liée intimement à la production, à la circulation et à la consommation des richesses ; résolue seulement par la théorie de l’Organisation du travail, elle rentre, par la variété de ses déterminations, dans le domaine de la Jurisprudence.
Le salaire est encore le travail objectivé, réalisé, se faisant équation à lui-même dans le produit, mais représenté par une formule de convention qui lui permet de s’échanger à volonté, la monnaie. Ainsi, travail, produit, valeur, salaire, sont termes corrélatifs, adéquats l’un à l’autre, mais donnant lieu à des spéculations différentes.
La récompense naturelle du travail est le produit : cela posé, le taux du salaire, sous quelque valeur échangeable qu’on l’exprime, suit la quantité et la qualité du travail. Si le travail est médiocre, le produit sera médiocre ; si le travail est exécuté avec adresse, rapidité, intelligence, le produit sera plus abondant et meilleur. Conséquemment, si chaque producteur travaillait pour soi seul, comme le sauvage dans sa horde, et qu’il n’y eût pas d’échange, le salaire serait identique au produit, et le produit serait l’expression fidèle du travail.
Mais dans une société où le travail est divisé et où se manifestent les grands effets de force collective, le produit, d’une part, s’accroît en raison de cette division ; d’autre part, comme tous les travailleurs, pour jouir de leur produit, ont besoin de l’échange, le salaire exprime un rapport de comparaison, qui en rend l’appréciation extrêmement difficile.
408. Wages. This question, the most delicate of political economy, forms the junction point of the three parts of science: intimately linked to the production, circulation and consumption of wealth; solved only by the theory of the Organization of labor, it returns, by the variety of its determinations, into the field of Jurisprudence.
Wages are still labor objectified, realized, making an equation for itself in the product, but represented by a conventional formula that allows it to be exchanged at will, money. Thus, labor, product, value, wages, are correlative terms, adequate to each other, but giving rise to different speculations.
The natural reward of labor is the product: this granted, the rate of wages, in whatever exchangeable value it may be expressed, follows the quantity and the quality of the labor. If the labor is mediocre, the product will be mediocre; if the work is carried out with skill, speed, intelligence, the product will be more abundant and better. Consequently, if each producer worked for himself alone, like the savage in his horde, and if there were no exchange, the wages would be identical to the product, and the product would be the faithful expression of the labor.
But in a society where labor is divided and where the great effects of collective force are manifested, the product, on the one hand, increases by reason of this division; on the other hand, as all workers, in order to enjoy their product, need exchange, the salary expresses a relation of comparison, which makes its assessment extremely difficult.
409. Quelle est la mesure comparative des valeurs ? en d’autres termes : quel est, pour chaque producteur, le prix naturel de la chose qu’il désire vendre, relativement à celle qu’il désire acheter ?
A. Smith a répondu : Le prix de chaque chose est le travail que sa production exige. Par conséquent deux travailleurs, quelle que soit la différence des valeurs qu’ils apportent à l’échange, peuvent toujours, en évaluant réciproquement leur travail, trouver la mesure comparative de leurs produits.
Cette réponse nous paraît juste : elle est le corollaire de toutes les propositions qui précèdent. Ne nous laissons point préoccuper par les divers accidents d’appropriation du fonds commun, ni par le fait si mal observé de l’inégalité physique, morale et intellectuelle des travailleurs, ni par toutes les fluctuations de l’offre et de la demande : ces causes de perturbation économique doivent être étudiées à part, et ramenées peu à peu aux lois inflexibles de la science. L’erreur de Smith et de ceux qui l’ont suivi a été de penser que la théorie s’éloignait de ses principes abstraits à fur et mesure du développement de la civilisation ; tandis qu’au contraire c’est le développement organique de la société qui rend l’application de ces principes possibles. Oui, le prix de chaque chose est le travail que la production de cette chose exige : et puisque chaque travailleur est individuellement payé par son produit, le produit de l’un doit pouvoir aussi payer le travail de l’autre ; la seule difficulté est de trouver la mesure comparative des valeurs. Ne disons pas avec Smith : Cette mesure pouvait exister dans l’état sauvage, mais elle ne se trouve plus ; disons au contraire : Le travail ne pouvait être équitablement évalué ni dans l’état barbare, ni pendant la période ascensionnelle de la civilisation, ni tout le temps qu’il existera des paresseux par orgueil, des incapables par vice héréditaire, des fripons par intempérance et des marchands sans contrôle : mais un jour cela sera.
La question se trouve donc ainsi réduite : Le travail dans ses mille spécialités peut-il être soumis à une mesure de comparaison exacte ?
409. What is the comparative measure of values? in other words: what is, for each producer, the natural price of the thing he wishes to sell, relative to that which he wishes to buy?
A. Smith replied: The price of everything is the labor required to produce it. Therefore two laborers, whatever be the difference of the values which they bring to exchange, can always, by reciprocally evaluating their labor, find the comparative measure of their products.
This answer seems correct to us: it is the corollary of all the preceding propositions. Let us not be preoccupied by the various accidents of appropriation of the common fund, nor by the fact, so badly observed, of the physical, moral and intellectual inequality of the workers, nor by all the fluctuations of supply and demand: these causes of economic disturbance must be studied separately, and brought back little by little to the inflexible laws of science. The mistake of Smith and those who followed him was to think that the theory drifted away from its abstract principles as civilization developed; while, on the contrary, it is the organic development of society that makes the application of these principles possible. Yes, the price of everything is the labor that the production of this thing requires; and since each laborer is individually paid by his product, the product of one must also be able to pay for the labor of the other; the only difficulty is to find the comparative measure of values. Let us not say with Smith: This measure could exist in the savage state, but it is no longer found; let us say on the contrary: Labor could not be equitably valued either in the barbarous state, nor during the ascending period of civilization, nor at any time when there will exist lazy people through pride, incapable people through hereditary vice, rogues through intemperance and merchants without control: but one day it will be.
The question is thus reduced to this: Can labor in its thousand specialties be subjected to an exact measure of comparison?
410. Le travail, champ d’observation de l’Économie politique, peut être considéré sous un double point de vue : 1o subjectivement, dans l’homme, en tant que divisible et spécialisé ; 2o objectivement, dans la matière, en tant que réalisé.
La division et la spécialisation du travail donnent lieu aux lois d’organisation ; la réalisation du travail engendre la théorie de la production et de la circulation des richesses.
Le travail réalisé prend successivement les noms de produit, valeur, capital, salaire ; le travail divisé et spécialisé s’appelle tour à tour science, art, métier ; pensée, dessin, exécution.
Le travail est la superposition ou substitution, dans les corps, de séries artificielles aux séries naturelles. Or, comme toutes ces séries substituées ou superposées sont incommensurables entre elles (sans quoi elles ne formeraient pas des spécialités ou divisions du travail), il s’ensuit que le travail, considéré dans le produit, n’a pas de mesure de comparaison[7].
Mais puisque le travail est divisible, susceptible de genres et d’espèces, en un mot, de série, il résulte nécessairement que le travail est mesurable ; et puisque la mesure du travail ne se trouve pas dans l’objet, il faut qu’elle se rencontre dans le sujet, c’est-à-dire le travailleur.
Donc, mesurer le travail, ce n’est pas comparer des valeurs incommensurables entre elles, c’est trouver le rapport des capacités ; par conséquent le problème des salaires ne peut se résoudre qu’avec celui de l’organisation. C’est pour le moment tout ce que nous avons à démontrer.
410. Labor, the field of observation of political economy, can be considered from a double point of view: 1) subjectively, in man, as divisible and specialized; 2) objectively, in matter, as realized.
The division and specialization of labor give rise to the laws of organization; the realization of labor engenders the theory of the production and circulation of wealth.
The labor carried out takes successively the names of product, value, capital, wages; divided and specialized labor is alternately called science, art, trade; thought, design, execution.
The work is the superimposition or substitution, in bodies, of artificial series for natural series. Now, as all these substituted or superimposed series are incommensurable with each other (otherwise they would not form specialties or divisions of labor), it follows that labor, considered in the product, has no measure of comparison. [7]
But since labor is divisible, susceptible of genera and species, in a word, of series, it necessarily follows that labor is measurable; and since the measure of labor is not found in the object, it must be found in the subject, that is to say, the worker.
So to measure work is not to compare incommensurable values with each other, it is to find the ratio of capacities; consequently the problem of salaries can only be solved with that of organization. This is for the moment all that we have to demonstrate.
411. La mesure du travail a été provisoirement prise du temps. Si dans deux fonctions séparées toutes choses étaient égales, le talent, la diligence, le zèle, la bonne foi, la dépende de force physique et d’intelligence, on pourrait dire que dix heures de travail dans l’une payent dix heures de travail dans l’autre. Mais comme une semblable égalité ne se rencontre jamais, le temps, abstraction faite des différences industrielles, est une mesure arbitraire, un vrai lit de Procuste, sur lequel le travail mutilé ou distendu se révolte, où la liberté et l’égalité expirent.
Toutefois, comme la société ne peut vivre sans ordre et sans échanges, on estime le travail ici à la journée, là au mois ou à l’année, ailleurs à la pièce, ce qui revient au même, puisque la moyenne de la production dans un temps donné est connue ; puis on tient compte des différences de spécialité en classant les fonctions en nobles et ignobles, savantes et grossières, libérales et serviles, publiques et privées, amovibles et inamovibles, etc. ; d’où résulte une variété de salaires la plus bizarre et la plus impertinente qui se puisse souffrir.
Le temps, pris pour mesure de travail, est un mode artificiel de comparaison, dont l’usage suppose la détermination préalable de la spécialité industrielle, élément de la série politique. La question des salaires restera donc insoluble aussi longtemps que la loi d’organisation ne sera pas connue ; jusque-là, c’est au magistrat de prononcer selon l’équité entre le travailleur et le capitaliste, et de poursuivre avec une ardeur égale et les coalitions tumultueuses des ouvriers, et les secrètes machinations des maîtres.
411. The measure of labor has been provisionally taken from time. If in two separate functions all things were equal, talent, diligence, zeal, good faith, the dependence of physical force and intelligence, one could say that ten hours of work in one pay ten hours of work in the other. But as such an equality is never found, time, apart from industrial differences, is an arbitrary measure, a true bed of Procrustes, on which mutilated or distended work revolts, where liberty and equality expire.
However, as society cannot live without order and without exchanges, work is estimated here by the day, there by the month or by the year, elsewhere by the piece, which comes to the same thing, since the average production in a given time is known; then we take into account the differences of specialty by classifying the functions into noble and ignoble, learned and coarse, liberal and servile, public and private, removable and irremovable, etc.; whence results the oddest and most impertinent variety of wages that can be endured.
Time, taken as a measure of work, is an artificial mode of comparison, the use of which presupposes the prior determination of the industrial specialty, an element of the political series. The question of wages will therefore remain insoluble as long as the law of organization is not known; until then, it is for the magistrate to pronounce according to equity between the laborer and the capitalist, and to pursue with equal ardor the tumultuous coalitions of the laborers, and the secret machinations of the masters.
§ III. — Transformation de l’idée de travail considéré dans sa division. — Principes d’organisation politique et industrielle.
412. Il y a quelques années, une grande pensée fût jetée dans le monde : Il faut organiser le travail. Et comme s’il suffisait à l’homme de vouloir pour agir, chacun de répéter à l’envi : Organisons le travail. Aussi, grande fut la surprise lorsqu’on s’aperçut que l’organisation du travail était un problème difficile, compliqué, sur lequel il était plus aisé de discourir que de dire un mot de vrai. L’un parlait de Dieu, Ab Jove principium ; l’autre de bonheur et d’amour, ab ovo. Tel décrivait le genre de vie le plus confortable qu’il pût imaginer ; tel autre prenait en tout le contrepied de ce qui existe : et puis on s’écriait en chœur : Le travail est organisé ; marchons.
Ce qui afflige la pensée dans ces romans humanitaires, dont quelques-uns semblent ressuscités des temps de Grégoire VII et de Charlemagne, c’est, pour un siècle aussi avancé en connaissances positives que le nôtre, leur caractère de rétrogradation et d’extravagance. Là, encore, tout est religion et mythe, ou philosophie en déroute. Celui-ci vante les capucinières et prétend restaurer la communauté primitive ; celui-là broie un salmigondis d’aristocratie, théocratie et république, assaisonné de matérialisme mystique, de fraternité sentimentale et voluptueuse ; un troisième, dans une vision des Mille et Une Nuits, fait descendre en terre le paradis de Mahomet, et réalise l’abbaye de Thélème. Les plus sages, commentant le Contrat social, n’affirment rien, font leurs réserves sur tout, se donnent l’air d’esprits forts en ne disant ni oui ni non, et, comme les sophistes d’autrefois, semblent vouloir confisquer à leur profit le gouvernement et l’opinion, en jetant le doute sur toutes les idées, au lieu de les classer et de les définir.
Le moindre défaut de ces utopies est d’affirmer et de nier alternativement sans règle ni méthode. On invoque la raison, et l’on ne s’enquiert pas même des lois de la raison. On construit un monde politique, et l’on ne sait pas ce que c’est qu’une loi politique. Essayez de faire rendre compte de leurs opinions à ces sectaires, et il vous répondent avec un merveilleux aplomb : Voilà ce que je pense, ce que je crois ; je vous défie, non-seulement de faire mieux, mais de prouver que je me trompe. Entrez en dispute avec des gens qui jugent sans principes, vous en avez pour l’éternité.
§III. — Transformation of the idea of labor considered in its division. — Principles of political and industrial organization.
412. A few years ago a great thought was cast into the world: It is necessary to organize labor. And as if it was enough for man to want to act, everyone repeats at will: Let us organize labor. So the surprise was great when it was realized that the organization of labor was a difficult, complicated problem, on which it was easier to discourse than to say a word of truth. One spoke of God, Ab Jove principium; the other of happiness and love, ab ovo. One described the most comfortable kind of life he could imagine; another took in everything the opposite of what exists. And then we exclaimed in chorus: Labor is organized; let us advance.
What afflicts the mind in these humanitarian romances, some of which seem to have been resuscitated from the times of Gregory VII and Charlemagne, is, for a century as advanced in positive knowledge as ours, their character of backwardness and extravagance. There, again, everything is religion and myth, or failed philosophy. This one praises the monasteries and claims to restore primitive community; that one grinds up a hodgepodge of aristocracy, theocracy and republic, seasoned with mystical materialism, sentimental and voluptuous fraternity; a third, in a vision of the Thousand and One Nights, brings down the paradise of Mahomet, and builds the abbey of Thélème. The wisest, commenting on the Social Contract, affirm nothing, make their reservations about everything, give themselves the appearance of strong minds by saying neither yes nor no, and, like the sophists of old, seem to want to confiscate government and public opinion for their own advantage, by casting doubt on all ideas, instead of classifying and defining them.
The least defect of these utopias is to affirm and deny alternately without rule or method. One invokes reason, and one does not even inquire into the laws of reason. We build a political world, and we don’t know what a political law is. Try to make these sectarians account for their opinions, and they will answer you with marvelous aplomb: This is what I think, what I believe; I challenge you, not only to do better, but to prove that I am wrong. Argue with people who judge without principles, you will do so for eternity.
413. Organiser le travail, c’est trouver la série naturelle des travailleurs.
Or, comme toute série se compose nécessairement d’unités groupées par un rapport, il faut, pour construire la série sociale : 1o en déterminer l’unité ; 2o en trouver la raison.
Avoir de la sorte posé le problème, c’est presque l’avoir résolu.
Dans tout organisme, l’élément ou l’unité sérielle est l’organe ; dans la série sociale, que nous présumons devoir être une série organisée, l’unité organique est le travailleur, en langage un peu plus abstrait, la fonction.
Or, qu’est-ce aujourd’hui que le travailleur, et que doit-il être ? l’Économie politique n’en sait rien. — Qu’est-ce qu’une fonction ? on l’ignore.
413. To organize labor is to find the natural series of workers.
Now, as any series is necessarily composed of units grouped by a relation, it is necessary, in order to construct the social series: first, to determine its unity; second, find its reason.
To have posed the problem in this way is almost to have solved it.
In any organism, the element or serial unit is the organ; in the social series, which we presume must be an organized series, the organic unit is the worker or, in somewhat more abstract language, the function.
Now, what is the worker today, and what should he be? Political economy knows nothing about it. — What is a function? We do not know.
414. Il y a des fonctionnaires qui votent ; il y en a qui signent ; d’autres qui parlent ; d’autres qui sont aux écoutes, qui se promènent et qui regardent faire. Telle fonction, à peine suffisante pour un seul, occupe dix hommes ; tel homme reçoit les émoluments de dix fonctions. Puis il y a des travailleurs expectants qui malgré eux, se reposent ; des travailleurs surchargés, qui ne veulent pas recevoir d’aide ; des travailleurs-machines à côté de travailleurs dont la spécialité absorberait dix talents ; des travailleurs-chefs qui font supporter à des travailleurs subalternes toutes les chances du va-et-vient commercial, et les rendent responsables de leurs propres folies ; des vendeurs de comestibles légiférant, des prêteurs à la petite semaine jugeant les filous, des gens que réclament la truelle et la houe faisant office de bureau, bibliothèque, église et théâtre.
On travaille : mais quel est ce travail ? Ici, honneur et joie, doux loisir, large rétribution ; là, exercice monotone, rebutant, payé de mépris : accaparement d’un côté, fériation de l’autre ; partout besogne mal faite, produits incomplets, falsifiés, sophistiqués, incohérence, désordre, irresponsabilité, surexcitation, abrutissement.
Ce n’est pas là un travail organisé : c’est la confusion d’un incendie.
414. There are functionaries who vote; there are some who sign; others who speak; others who are listening, walking around and watching. Such a function, hardly sufficient for one alone, occupies ten men; such a man receives the emoluments of ten offices. Then there are expectant workers who, in spite of themselves, rest; overworked workers who do not want to receive aid; machine-workers next to workers whose specialty would absorb ten talents; worker-leaders who make subordinate workers bear all the chances of commercial comings and goings, and make them responsible for their own follies; vendors of foodstuffs legislating, hand-to-mouth moneylenders judging thieves, people who claim the trowel and the hoe serving in the office, library, church and theatre.
We labor: but what is this labor? Here, honor and joy, sweet leisure, large reward; there, a monotonous, repulsive exercise, rewarded with contempt: grabbing on one side, feriation on the other; everywhere poorly done work, incomplete, falsified, sophisticated products, inconsistency, disorder, irresponsibility, over-excitement, stupefaction.
This is not organized labor: it is the confusion of a fire.
415. Comme le travail, analysé dans ses effets, nous a donné successivement, par équation sérielle, les notions de produit, valeur, capital et salaire, lesquelles, analysées à leur tour, et suivies dans toutes leurs applications, transformations et combinaisons, constituent la première partie de la science économique : ainsi le travail, considéré dans sa division, nous découvrira les caractères essentiels du travailleur, les conditions qui rendent la fonction utile et normale, et, de cette conception fondamentale de l’élément politique, nous arriverons, par une sorte d’intégration sérielle, à l’organisation des sociétés.
Et d’abord, qu’est-ce que diviser le travail ?
415. As labor, analyzed in its effects, has successively given us, by serial equation, the notions of product, value, capital and wages, which, analyzed in their turn, and followed in all their applications, transformations and combinations, constitute the first part of economic science: thus labor, considered in its division, will reveal to us the essential characteristics of the worker, the conditions that make the function useful and normal, and, from this fundamental conception of the political element, we will arrive, by a sort of serial integration, at the organization of societies.
And first of all, what is division of labor?
416. I. Spécification. Voici un fossé à creuser ; tout auprès, une terrasse à élever, et cent ouvriers, ayant chacun pioche, houe, panier, hotte, brouette, prêts à se mettre à l’œuvre. Or, l’opération de creusage et terrassement dont ces ouvriers sont chargés peut s’exécuter par eux de deux manières différentes.
Ou bien chaque ouvrier, s’armant tour à tour des divers instruments qu’il a apportés, creusera un centième du fossé, transportera un centième des déblais, et fera un centième de terrasse : dans ce cas, le travail aura lieu comme s’il avait été entrepris par un seul homme, répétant une même suite d’opérations cent fois. C’est ainsi que s’exécutent aujourd’hui la plupart des opérations rurales : cent laboureurs menant charrue font chacun un centième des travaux de labour, semaille, moisson, etc., qui composent l’ensemble de l’exploitation de la commune. Dans ce mode de répartition du labeur, on a partagé la matière, on n’a pas divisé le travail. Sans doute cette division de la matière travaillée présente déjà de grands avantages : en opérant sur plusieurs points à la fois, l’exécution est plus rapide que si les laboureurs, formés en colonne, parcouraient successivement toutes les parties de leur territoire. Mais, dans un pareil système, les travailleurs, à leur grand dommage, demeurent étrangers l’un à l’autre, et pour eux les avantages de la force collective, la solidarité et les garanties qui en résultent, sont perdus.
416. I. Specification. Here is a ditch to dig; nearby, a terrace to be erected, and a hundred workmen, each having a pickaxe, hoe, basket, sack or wheelbarrow, ready to set to work. Now, the operation of digging and earthworks which these workmen are responsible for can be carried out by them in two different ways.
Either each workman, arming himself in turn with the various instruments he has brought, will dig a hundredth of the ditch, transport a hundredth of the rubble, and make a hundredth of the terrace: in this case, the work will take place as if it had been undertaken by a single man, repeating the same sequence of operations a hundred times. This is how most rural operations are carried out today: one hundred laborers leading the plow each do one hundredth of the work of plowing, sowing, harvesting, etc., which make up the whole of the exploitation of the commune. In this mode of distribution of labor, we shared the material, we did not divide the labor. Undoubtedly this division of the worked material already presents great advantages: by operating on several points at the same time, the execution is faster than if the plowmen, formed in a column, successively traversed all parts of their territory. But, in such a system, the workers, to their great damage, remain strangers to each other, and for them the advantages of collective force, the solidarity and the guarantees that result from it, are lost.
417. Ou bien les cent ouvriers, se divisant par escouades, se classeront eux-mêmes en fossoyeurs, chargeurs, porteurs et remblayeurs. Dans cette nouvelle distribution, la moitié ou les deux tiers des outils se trouveront de trop, en même temps que l’ouvrage avancera avec une rapidité triple ou quadruple. Alors le travail sera véritablement divisé.
Ainsi : 1o division du travail, c’est économie du capital ;
2o Division du travail, c’est spécification, différenciation, espèce dans le genre, non pas fraction ni morcellement.
La division du travail est la série elle-même se manifestant aux yeux, et, qu’on me pardonne cette expression théologique, s’incarnant dans la société.
417. Either the hundred workers, dividing into squads, will classify themselves as ditch-diggers, loaders, carriers and backfillers. In this new distribution, half or two thirds of the tools will be too many; at the same time that the work will advance with triple or quadruple rapidity. Then the labor will truly be divided.
Thus: 1. division of labor is economy of capital;
2. Division of labor is specification, differentiation, the species within the genus, not fraction or fragmentation.
The division of labor is the series itself manifesting itself to the eyes, and, pardon me for this theological expression, incarnating itself in society.
418. Diviser le travail, c’est économiser le capital : cette proposition, l’une des plus fécondes de la science économique, se convertit dans la suivante : Diviser le travail, c’est condamner la petite industrie. Car, comme en géométrie la capacité d’une sphère décroît en progression beaucoup plus rapide que la circonférence ; de même, en économie politique, les produits d’une exploitation décroissent beaucoup plus vite que ses frais généraux. En combinant cette loi avec la propriété et la liberté individuelle, on arrive à cet aphorisme :
-
-
-
Division du travail, grande exploitation :
Petite propriété, grande culture.
-
-
Les subversions industrielles et commerciales qu’engendre la violation de ces principes sont : le cumul des fonctions, l’emploi de capitaux superflus, l’augmentation des frais, la perte des forces vives, l’asservissement des bons ouvriers, l’encouragement donné aux mauvais, la longue durée et le désordre des opérations, la médiocrité des produits. On sait depuis longtemps que le défaut de spécialité enlève au travailleur l’habileté, la dextérité, le génie ; or, ce qui est vrai de l’individu l’est aussi de l’atelier, de la société tout entière. J’ai vu périr de vastes établissements, par suite de la manie des maîtres d’accumuler chez eux toutes les industries auxquelles ils étaient forcés d’avoir recours : ils croyaient gagner en faisant tout par eux-mêmes, et ils se ruinaient, parce qu’au lieu de produire en abondance, avec un faible capital, une valeur unique en son espèce, ils n’obtenaient qu’à grands frais, en petite quantité, des produits de qualité médiocre[8].
Spécialisation du travailleur, spécialité de l’atelier et des instruments de production ; telle est la première condition du travail, le premier caractère de la fonction.
418. To divide labor is to economize capital: this proposition, one of the most fruitful in economic science, becomes the following: To divide labor is to condemn small industry. For, as in geometry, the capacity of a sphere decreases in progression much more rapidly than the circumference; likewise, in political economy, the products of an operation decrease much more rapidly than its overheads. Combining this law with property and individual freedom, we arrive at this aphorism:
Division of labor, large farm:
Small property, large culture.
The industrial and commercial subversions engendered by the violation of these principles are: the accumulation of functions, the use of superfluous capital, the increase in costs, the loss of vital forces, the enslavement of good workers, the encouragement given to the bad, the long duration and the disorder of the operations, the mediocrity of the products. We have known for a long time that the lack of specialization deprives the worker of skill, dexterity and genius; now, what is true of the individual is also true of the workshop, of society as a whole. I have seen vast establishments perish, as a result of the masters’ mania for accumulating in their homes all the industries to which they were forced to have recourse: they thought they would gain by doing everything by themselves, and they were ruined, because instead of producing in abundance, with a weak capital, a value unique in its kind, they obtained only at great expense, in small quantities, products of mediocre quality. [8]
Specialization of the worker, specialty of the workshop and of the instruments of production: such is the first condition of labor, the first characteristic of the function.
419. Par division du travail faut-il entendre une décomposition de l’œuvre industrielle poussée jusqu’à ses derniers éléments, ou seulement une différenciation telle, que les caractères d’une opération synthétique soient toujours conservés, unité, variété, harmonie ?
La série sociale n’admet pas des aiguiseurs de couteaux, des hongreurs de chats, des tondeurs de chiens, des portefaix brutaux, de hideux chiffonniers : elle n’admet pas, comme dans les bazars du Levant, des marchands de pipes, des marchands de cannes, des marchands de tabatières, de perles, d’ambre, de coraux, de peignes, etc. Les moralistes ont eu raison de s’élever contre la division du travail portée à ses extrêmes limites : qu’est-ce qu’un homme qui sait pour tout secret tourner la manivelle, porter la hotte, piler du mortier, faire, comme dit Lemontey, un dix-huitième d’épingle ? Est-ce remplir la condition essentielle du travail, que de réduire ainsi le producteur au rôle d’un marteau, d’un ressort, d’une aile de moulin ?
Le travail est l’action intelligente de l’homme sur la matière ; le travail est ce qui distingue, aux yeux de l’économiste, l’homme des animaux : apprendre à travailler, telle est notre fin sur la terre. Et voici que, par suite de la division du travail, le travail se réduirait à une manipulation mécanique, uniforme, monotone, élémentaire, sans génie, sans idéal ! Sans division dans le travail, disions-nous tout à l’heure, le talent et l’habileté ne peuvent se produire, l’industriel croupit dans une perpétuelle enfance : et maintenant le même principe de division nous ramènerait à cette imbécillité originelle ! Comment des résultats si contraires pourraient-ils surgir d’une commune loi ?
419. By division of labor should we understand a decomposition of the industrial work pushed to its last elements, or only a differentiation such that the characteristics of a synthetic operation are always preserved, unity, variety, harmony?
The social series does not admit knife sharpeners, cat geldings, dog shearers, brutal porters, hideous ragpickers: it does not admit, as in the bazaars of the Levant, pipe merchants, merchants of canes, merchants of snuffboxes, pearls, amber, corals, combs, etc. The moralists were right to protest against the division of labor carried to its extreme limits: what is a man whose only secret is to turn the crank, to carry the sack, to pound the mortar, to make, as Lemontey said, one eighteenth of a pin? Is it fulfilling the essential condition of labor, to reduce the producer to the role of a hammer, a spring, a windmill wing?
Labor is the intelligent action of man on matter; labor is what distinguishes, in the eyes of the economist, man from the animals: learning to labor, such is our end on earth. And now, as a result of the division of labor, labor would be reduced to a mechanical manipulation, uniform, monotonous, elementary, without genius, without ideal! Without division in labor, we were saying a moment ago, talent and skill cannot be produced, and the manufacturer stagnates in a perpetual childhood: and now the same principle of division would bring us back to this original imbecility! How could such contrary results arise from a common law?
420. II. Composition. Nous l’avons dit : la division du travail, pour être normale et utile, productrice d’intelligence et d’habileté, doit avoir lieu, non par fragmentation, mais par dédoublement. Le travail régulièrement divisé doit offrir toujours, dans chacune de ses divisions, unité, variété et synthèse, c’est-à-dire série. Comme toute série créée se compose d’un certain nombre d’unités formant groupe, lesquelles unités sont elles-mêmes des séries formées d’autres unités, susceptibles d’être décomposées à leur tour en de nouvelles séries (348, 349) ; ainsi le travail, manifestation de l’intelligence et de l’activité humaine, suit les lois de la nature et de la pensée ; il ne se divise pas, si j’ose employer ce langage chimique, en ses parcelles intégrantes, il se dédouble en ses espèces constituantes. Or, on reconnaîtra que le dédoublement du travail est régulier, conforme à la marche de la nature et de la raison, à ce double caractère : 1o la spécification de l’œuvre ; 2o la synthèse ou composition de ses parties.
420. II. Composition. We have said it: the division of labor, to be normal and useful, productive of intelligence and skill, must take place, not by fragmentation, but by duplication. Regularly divided labor must always offer, in each of its divisions, unity, variety and synthesis, that is, series. As any created series is composed of a certain number of units forming a group, which units are themselves series formed of other units, capable of being decomposed in their turn into new series (348, 349); thus labor, a manifestation of intelligence and human activity, follows the laws of nature and of thought; it is not divided, if I dare to use this chemical language, into its integral parts, but unfolds into its constituent species. Now, it will be recognized that the duplication of labor is regular, in conformity with the course of nature and of reason, with this double character: 1. the specification of the work; 2. the synthesis or composition of its parts.
421. Tous les êtres créés sont des séries, et des séries de séries, à l’infini. La création elle-même n’est que la série mise en action ; et qui dit créer dit nécessairement, pour notre intelligence, sérier. Étudier la nature, c’est en suivre les séries, c’est opérer un interminable dédoublement : et lorsque l’analyse est parvenue à un degré auquel tout dédoublement ultérieur est impossible, la nature se voile, le panorama s’évanouit. C’est pour cela, ai-je dit, que nous concevons, sans les connaître, les substances et les causes : là où nous échappe la série, notre vue se trouble, tout rentre dans l’obscurité : c’est le non plus ultrà de notre faculté de connaître.
La série n’existe qu’à deux conditions : division et groupe. Si le Créateur s’était borné à opérer sur la matière par une force de division infinie, l’univers pulvérisé, gazéifié, dispersé comme un nuage léger à travers l’espace, privé de formes, l’univers n’existerait qu’à demi : il serait, pour ainsi dire, entre l’être et le néant. Pour que la création fût complète, il fallait une force de coercition qui déterminât des groupes, des assemblages, des organismes, des systèmes, selon des lois variées et des modes innombrables. Cette double condition de la série éclate surtout dans les systèmes sidéraux : sans la force centrifuge, les masses planétaires tomberaient sur leurs soleils ; sans la force centripète, elles s’échapperaient par la tangente de leurs orbites, et s’éparpilleraient dans l’espace.
De même, si la raison ne suivait d’autre loi que celle de la décomposition des idées, si elle se bornait à distinguer et analyser ses perceptions à l’infini, elle se perdrait dans des subtilités inintelligibles ; son ignorance croîtrait avec son activité ; l’esprit, comme nous le disions tout à l’heure de l’univers, serait placé entre l’être et le non-être ; il verrait tout, et ne connaîtrait rien. Pour que l’esprit s’élève jusqu’à la science, il faut que sa faculté synthétique unifiante, organisatrice, entre en exercice ; que ses idées se classent, se groupent et se coordonnent. Je ne répéterai point ici que ce mouvement de la pensée s’accomplit d’abord spontanément et d’une manière insensible, jusqu’à ce que la raison, ayant conscience de sa propre loi, se gouverne seule et rende sa marche plus rapide. Je ne redirai pas non plus que ce qui fait la différence des capacités, pendant la première période de l’éducation humanitaire, est l’inégalité de la faculté synthétique dans des individus, inégalité d’autant plus grande, que le développement de cette faculté rencontre plus d’obstacles, soit dans l’essor passionnel de l’homme, soit dans le milieu social qui l’entoure. Je me renferme dans mon sujet.
421. All created beings are series, and series of series, ad infinitum. Creation itself is only the series put into action; and who says create necessarily says, for our intelligence, series. To study nature is to follow its series, it is to operate an interminable duplication; and when the analysis has reached a degree at which any subsequent duplication is impossible, nature is veiled, the panorama vanishes. This is why, I have said, we conceive, without knowing them, substances and causes: where the series escapes us, our sight becomes blurred, and everything returns to obscurity: it is the non plus ultrà of our ability to know.
The series only exists on two conditions: division and group. If the Creator had limited himself to operating on matter by an infinite force of division, the universe pulverized, gasified, dispersed like a light cloud through space, deprived of forms, the universe would only half-exist: it would be, so to speak, between being and nothingness. For creation to be complete, a force of coercion was needed that determined groups, assemblages, organisms, systems, according to varied laws and innumerable modes. This double condition of the series is especially apparent in sidereal systems: without centrifugal force, the planetary masses would fall into their suns; without the centripetal force, they would escape by the tangent of their orbits, and would be scattered in space.
Likewise, if reason followed no other law than that of the decomposition of ideas, if it limited itself to distinguishing and analyzing its perceptions ad infinitum, it would lose itself in unintelligible subtleties; its ignorance would increase with its activity; the mind, as we said earlier of the universe, would be placed between being and non-being; it would see everything and know nothing. For the mind to rise to science, its synthetic faculty, unifying, organizing, must enter into practice; its ideas must be classified, grouped and coordinated. I will not repeat here that this movement of thought takes place at first spontaneously and in an imperceptible manner, until reason, being conscious of its own law, governs itself alone and makes its progress more rapid. Nor will I repeat that what makes the difference in capacities, during the first period of humanitarian education, is the inequality of the synthetic faculty in individuals, an inequality all the greater as the development of this faculty encounters more obstacles, either in the passionate development of man, or in the social environment that surrounds him. I confine myself to my subject.
422. Le Travail, comme l’Univers, comme la Raison, ne revêt des formes pures et régulières qu’autant qu’il est groupé, composé, sérié dans sa division. Fractionné en parcelles infinitésimales, ou réduit à ses derniers éléments, le travail est, pour celui qui l’exécute, chose inintelligible, abrutissante, stupide.
422. Labor, like the Universe, like Reason, assumes pure and regular forms only insofar as it is grouped, composed, serialized in its division. Split into infinitesimal bits, or reduced to its last elements, labor is, for the one who performs it, something unintelligible, brutalizing, stupid.
423. Au reste, la pratique sociale, tout imparfaite qu’elle soit encore, dépose formellement à cet égard. Les premiers travaux de l’homme sont la chasse, la pêche, l’agriculture, les bergeries : or, quel déploiement d’idées, quelle activité d’imagination ne provoquent pas en lui ces différentes occupations ? Ce n’est pas la faute du travail, c’est celle de notre paresse, de nos préjugés, de nos superstitions, si les travaux dont je parle ne tiennent pas encore le premier rang dans la société ; si les malheureux qui en sont chargés forment presque partout la dernière classe de citoyens… — La métallurgie est venue après, puis la tisseranderie et les autres arts. Or, je vous le demande, que de choses peuvent se trouver entre le marteau et l’enclume ! que de merveilles autour d’un écheveau et dans le fond d’une navette ! que de goût et de délicatesse sous le ciseau et le rabot !
Ainsi spécialité, c’est en même temps synthèse, composition, série ; ces deux formules se convertissent l’une dans l’autre. Car, si espèce n’était pas série, elle serait élément, atome, unité simple ; elle ne serait pas espèce.
423. Moreover, social practice, however imperfect it may still be, formally testifies in this respect. The first works of man are hunting, fishing, agriculture, sheep-herding: now, what deployment of ideas, what activity of the imagination does not provoke in him these different occupations? It is not the fault of labor, it is that of our laziness, our prejudices, our superstitions, if the labors of which I speak do not yet hold the first rank in society; if the unfortunate people who are charged with labor almost everywhere form the lowest class of citizens… — Metallurgy came after, then weaving and the other arts. Now, I ask you, how many things can be found between the hammer and the anvil! What marvels around a skein and in the plane of a shuttle!
Thus specialty is at the same time synthesis, composition, series; these two formulas convert into each other. For, if species were not series, it would be element, atom, simple unit; it would not be species.
424. Soit que l’homme crée ou imite, soit qu’il agisse ou qu’il pense, il est producteur ou contemplateur de séries ; sitôt que dans son travail la sériation est suspendue, on voit son esprit baisser et son intelligence s’éteindre. Nous l’avons dit plus d’une fois : les plus grands génies dont s’honore l’humanité ont été des trouveurs de séries ; cette observation suffirait seule pour nous dévoiler les causes prochaines de l’ignorance et de l’incapacité. Par cela même que la spécification et la composition du travail entretiennent et fortifient l’intelligence, elles provoquent la pensée à l’innovation et au progrès. Or, comment un être qui ne fait, chaque jour de sa vie, que dévider, frotter, polir, couper une carte, présenter une feuille au cylindre, acquerrait-il un génie inventif ? comment ses mœurs seraient-elles réglées, sociables et pures ? Dès que l’esprit n’est pas tenu en haleine par une opération sériée et intelligible, la conscience se déprave et se flétrit ; le sang et la chair gouvernent seuls ; vous croyez avoir un ouvrier, vous n’avez qu’une bête de somme.
424. Whether man creates or imitates, whether he acts or thinks, he is the producer or contemplator of series; as soon as in his labor the seriation is suspended, one sees his spirit sinking and his intelligence dying out. We have said it more than once: the greatest geniuses of which humanity is honored have been finders of series; this observation alone would suffice to reveal to us the proximate causes of ignorance and incapacity. By the very fact that the specification and composition of labor maintain and fortify the intelligence, they provoke the thought of innovation and progress. Now, how could a being who, every day of his life, would only unwind, rub, polish, cut a card, present a sheet to the cylinder, acquire an inventive genius? How would his morals be regulated, sociable and pure? As soon as the mind is not held in suspense by a serial and intelligible operation, the conscience becomes depraved and withered; blood and flesh rule alone; you think you have a workman, but you have only a beast of burden.
425. On a remarqué souvent que la classe moyenne, celle qui, à une certaine aisance, joint l’exercice des professions les plus actives, était partout la mieux réglée dans ses mœurs, la plus féconde en hautes capacités. On a décrit maintes fois et la corruption raffinée des grands, et la brutalité grossière de la populace ; mais il ne paraît pas qu’on ait assigné à ces faits leur véritable cause. Que les prédicateurs tonnent l’Évangile à la main, accusent la perversité de la nature et l’infidélité du siècle, leurs déclamations feraient éclater de rire, si l’on avait encore la patience de les entendre : que des moralistes à la Sénèque, gorgés d’honneur et d’or, nous parlent de vertu, de conscience, d’intérêts spirituels et moraux, et nous laissent couverts de haillons et mourants de faim, il y a longtemps que leur hypocrisie est démasquée, et leur rhétorique percée comme le manteau d’Antisthène. La Religion et la Sophistique n’ont plus rien à dire, et devraient se taire.
Mais la théorie sérielle nous enseigne, en ce qui concerne l’esprit, que l’intelligence est tout à la fois la compréhension et l’amour de l’ordre ; en ce qui touche la règle des mœurs et la police des sociétés, que l’intelligence grandit par la division et la série du travail ; par conséquent que les mœurs se perfectionnent et s’épurent selon les progrès de l’intelligence, c’est-à-dire selon le développement de l’industrie, des arts et des sciences, et selon la participation de tous à l’œuvre sociale. De sorte que les mœurs de l’ouvrier sont d’autant meilleures que son intelligence est mieux développée ; et son intelligence se développe d’autant plus que son travail se conforme davantage aux lois de spécification et de série.
Cela posé, venons aux faits.
425. It has often been remarked that the middle class, that which, with a certain ease, joins the exercise of the most active professions, was everywhere the best regulated in its morals, the most fruitful in high capacities. The refined corruption of the nobles and the gross brutality of the populace have been described many times, but it does not appear that these facts have been assigned their true cause. Let the preachers thunder, the Gospel in hand, accuse the perversity of nature and the infidelity of the century, their declamations would cause laughter to burst out, if one still had the patience to hear them: let some moralists in the style Seneca, gorged with honor and gold, speak to us of virtue, of conscience, of spiritual and moral interests, and leave us ragged and starving, their hypocrisy long since unmasked, and their rhetoric pierced like the cloak of Antisthenes. Religion and Sophistics have nothing more to say, and should be silent.
But the serial theory teaches us, as far as the mind is concerned, that intelligence is both the understanding and the love of order; in what concerns the rule of morals and the policing of societies, that intelligence grows by the division and series of labor; consequently that morals are perfected and purified according to the progress of intelligence, that is to say according to the development of industry, the arts and sciences, and according to the participation of all in the social work. So that the morals of the workman are all the better as his intelligence is better developed; and his intelligence develops the more the more his labor conforms to the laws of specification and series.
That said, let’s get to the facts.
426. Qu’y a-t-il de plus proverbial, de plus historique, que la fainéantise et la stupidité des moines, la crapule des cordeliers, la luxure des carmes, la mollesse des bernardins, l’esprit d’égoïsme et d’intrigue de tous les couvents ? C’est que, d’après les institutions de leurs fondateurs, ceux et celles qui peuplaient les maisons religieuses passaient leur vie à prier Dieu, à rien.
Qu’est-ce qui, aux dix-septième et dix-huitième siècles, fit décliner si rapidement et périr dans le marasme la noblesse française ? La nullité politique et l’inertie courtisanesque auxquelles elle fut condamnée par Richelieu.
À Saint-Étienne, à Mulhouse, et dans tous les grands centrée d’industrie, la corruption et la barbarie du peuple sont effroyables : comment s’en étonner, si, tout en faisant la manœuvre, ce peuple n’apprend pas à travailler ; si l’organisation de la société où il se trouve le lui défend ; si ceux qui le mènent, aussi brutes que lui et cent fois plus immondes, ont intérêt à maintenir cet état de choses ; si ces indignes maîtres sont soutenus par le pouvoir, qu’ils soutiennent à leur tour ?… — Appellerai-je travailleurs des malheureux à figure humaine, passant leur vie au fond d’une mine ou dans l’infection d’un atelier, et répétant sans fin la même parcelle de travail, comme le pilon d’un mortier, le battant d’une cloche, le marteau d’une forge ?
C’est dans le bas peuple, parmi les servantes et les ouvrières, que la prostitution se recrute et se propage ; se peut-il autrement ? Sans compter la médiocrité des salaires, qui contraint les filles du peuple à troquer contre du pain et des chiffons le loyer de leurs charmes[9], où prendraient-elles l’instruction qui donne, avec l’étendue des idées, la noblesse des sentiments, la fierté, la délicatesse et la pudeur ? Encore si, dans l’intérêt même du plaisir, les amants de ces créatures leur apprenaient à penser, à travailler !… Impossible : la jouissance ayant précédé la raison étouffe la pensée dans son germe : ce n’est plus une femme que vous serrez dans vos bras ; c’est une femelle, moins que cela, une louve, disait le latin.
426. What is more proverbial, more historic, than the laziness and stupidity of monks, the dishonesty of the Cordeliers, the lust of the Carmelites, the softness of the Bernardines, the spirit of egoism and intrigue of all the monasteries? This is because, according to the institutions of their founders, those who populated religious houses spent their lives praying to God, to no avail.
What was it that, in the seventeenth and eighteenth centuries, caused the French nobility to decline so rapidly and perish in the doldrums? The political nullity and courtly inertia to which it was condemned by Richelieu.
At Saint-Étienne, at Mulhouse, and in all the great centers of industry, the corruption and barbarism of the people are appalling: how can we be surprised if, while doing their unskilled work, these people do not learn to labor? If the organization of the society in which they finds themselves prohibits it? if those who lead them, as crude as they are and a hundred times more vile, have an interest in maintaining this state of things? If these unworthy masters are supported by the power, which they in turn support?… — Shall I call the workers wretches with human faces, spending their lives at the bottom of a mine or in the infection of a workshop, and endlessly repeating the same bit of labor, like the pestle of a mortar, the clapper of a bell, the hammer of a forge?
It is among the lower classes, among servants and workers, that prostitution is recruited and propagated. Can it be otherwise? Not to mention the mediocrity of wages, which forces the girls of the people to barter the rent of their charms for bread and rags [9], where would they get the education that gives, with the extent of ideas, the nobility of feelings, pride, delicacy and modesty? Even if, in the very interest of pleasure, the lovers of these creatures taught them to think, to labor!… Impossible: enjoyment, having preceded reason, stifles thought in its germ: it is no longer a woman that you hold in your arms; she is a female, less than that, a she-wolf, said the Latin.
427. À quelque degré d’habileté que parvienne, dans sa spécialité atomique, l’homme-machine, gardez-vous de croire que la production en retire aucun avantage : les lois de la nature ne sont jamais impunément violées ; et ce qui nuit à l’âme de l’individu ne profite point à l’économie sociale.
Le premier fruit du travail parcellaire est de multiplier les incapacités, par conséquent de rendre plus précieux les contre-maîtres, chefs d’ateliers, directeurs et ingénieurs, et de créer à leur profit un droit de suzeraineté et de privilége. C’est précisément la politique du gouvernement actuel : au lieu de viser à faire de chaque homme un citoyen capable de remplir tous les grades de l’armée, tous les emplois administratifs, toutes les fonctions scientifiques et industrielles, on resserre progressivement le nombre des élèves admis aux écoles spéciales ; on rend les conditions d’admission de plus en plus difficiles ; on épuise la bourse des familles aisées en même temps qu’on rebute les pauvres ; on tourmente, jusqu’à la consomption et l’apoplexie, des milliers de pauvres enfants, en faveur de quelques précocités insignifiantes, et qui presque toujours mentent à leurs promesses. Voilà l’aristocratie de talent contre laquelle le peuple se révolte, parce qu’elle a sa source, non dans une supériorité réelle, mais dans la mutilation des sujets.
427. Whatever degree of skill the man-machine achieves in his atomic specialty, beware of believing that production derives any advantage from it: the laws of nature are never violated with impunity; and what harms the soul of the individual does not benefit the social economy.
The first fruit of piecemeal work is to multiply the incapacities, consequently to make the foremen, leaders of workshops, directors and engineers more valuable, and to create for their benefit a right of suzerainty and privilege. This is precisely the policy of the present government: instead of aiming to make every man a citizen capable of fulfilling all ranks in the army, all administrative posts, all scientific and industrial functions, they progressively limit the number of pupils admitted to special schools; admission conditions are made more and more difficult; the purses of well-to-do families are exhausted at the same time as the poor are discouraged. Thousands of poor children are tormented, even to consumption and apoplexy, in favor of a few insignificant precocities, who almost always fall short of their promises. This is the aristocracy of talent against which the people revolt, because it has its source, not in real superiority, but in the mutilation of subjects.
428. Après l’inconvénient de la rareté des ouvriers capables de direction, inconvénient tout à fait analogue à celui qui résulte pour une nation de la nécessité des princes, il en est un autre non moins grave auquel donne lieu le travail parcellaire : c’est l’imperfection des produits. Parcourez les ateliers : vous entendez de toutes parts les maîtres se plaindre de l’incurie, de la stupidité, de la mauvaise volonté des ouvriers en qui le travail parcellaire a rétréci l’entendement et faussé la conscience. Si le chef s’absente un instant, si la surveillance se relâche une minute, le travail se ralentit : les bévues, les contre-sens, les malentendus se succèdent ; rien ne marche, tout périclite. Qui pourrait calculer ce que coûtent ces machines vivantes, que l’on honore du nom d’hommes parce qu’elles jouissent de la triple faculté de digérer, d’engendrer et de se mouvoir, trouverait bientôt que la somme des pertes occasionnées par le travail parcellaire surpasse infiniment celle des avantages qu’on lui attribue.
428. After the inconvenience of the scarcity of workers capable of management, an inconvenience quite analogous to that which results for a nation from the necessity of princes, there is another no less serious one to which piecemeal work gives rise: it is the imperfection of the products. Go through the workshops: you hear the masters on all sides complaining about the negligence, the stupidity, the ill will of the workers in whom piecemeal work has narrowed the understanding and distorted the consciousness. If the leader is absent for a moment, if supervision is relaxed for a minute, the work slows down: blunders, misinterpretations, misunderstandings follow one another; nothing works, everything fails. Whoever could calculate the cost of these living machines, which we honor with the name of men because they enjoy the triple faculty of digesting, generating and moving, would soon find that the sum of the losses caused by piecemeal work infinitely surpasses that of the advantages attributed to it.
429. Toutefois, on ne peut nier que le travail parcellaire ne produise en certains cas de puissants effets, auxquels l’Économie politique ne doit pas renoncer. Il s’agit donc de concilier ici les données de l’observation, avec les principes absolus de la science. Or, ce problème se résout par les différents modes de composition dont le travail individuel est susceptible.
Voyez le laboureur : avant l’hiver il laboure, sème le blé et le seigle ; au printemps il plante maïs, pomme de terre, chanvre et colza ; l’été amène fenaison et moisson ; en automne la vendange : puis il serre et soigne ses récoltes. Entre temps, le laboureur exécute nombre de petits travaux complémentaires. Chacune de ces opérations successives est une parcelle de l’œuvre agricole ; il faut une année entière pour compléter et sommer le travail du laboureur.
Si donc les différentes parties de l’action industrielle peuvent s’accomplir à des intervalles de temps plus ou moins longs sans que la loi de composition soit violée, il s’ensuit que l’ouvrier parcellaire peut devenir travailleur complet par la succession du temps. Qu’est-ce en effet que le travail du laboureur, pris à un moment quelconque de l’année ? Du travail parcellaire, qui, changeant avec la saison, recouvre ainsi le caractère de travail synthétique et sérié. Il en est de même dans toute industrie.
429. However, it cannot be denied that piecemeal labor produces powerful effects in certain cases, which political economy must not renounce. It is therefore a question here of reconciling the data of observation with the absolute principles of science. Now, this problem is solved by the different modes of composition of which individual labor is susceptible.
Look at the plowman: before winter he plows, sows wheat and rye; in the spring he plants maize, potatoes, hemp and rapeseed; summer brings hay and harvest; in autumn the harvest, and then he bundles and takes care of his crops. In the meantime, the plowman carries out a number of small complementary labors. Each of these successive operations is a part of the agricultural work; he takes a whole year to complete and sum up the labor of the plowman.
If therefore the different parts of the industrial action can be accomplished at more or less long intervals of time without the law of composition being violated, it follows that the piecemeal worker can become a complete worker by the succession of time. What, in fact, is the labor of the plowman, taken at any time of the year? Piecemeal labor, which, changing with the season, thus recovers the character of synthetic and serial labor. The same is true in any industry.
430. Tout ce que l’homme exécute de plus ingénieux, de plus complexe, de plus multiple en son unité, il le fait nécessairement par parties infiniment petites, mais qui, liées par un rapport de progression, produisent à la fin un assemblage, un tout, une composition, une série. Or, c’est l’immobilisation du travailleur dans l’une des parties infinitésimales de la production qui constitue ce que l’on a appelé travail parcellaire : je dis donc que cette immobilité est un fait de désordre, une conséquence de l’organisation simpliste et subversive du droit de propriété, que tout concourt à abolir.
Je prends l’exemple cité par A. Smith au commencement de son ouvrage, et qui a suggéré des réflexions si amères à Lemontey : je veux parler de la fabrication des épingles.
La confection d’une épingle embrasse, dit-on, dix-huit opérations successives, confiées à pareil nombre d’ouvriers distincts, et qui jamais ne se rechangent. Cette composition du travail de l’épinglier ressemble assez à la décomposition de la charge du fusil en douze temps, et je ne sais combien de mouvements. On m’accordera, je pense, que le même homme peut apprendre à confectionner une épingle, je veux dire à exécuter les dix-huit opérations de l’industrie épinglière, aussi bien qu’un soldat à charger un fusil.
Je suppose donc que l’ouvrier, au lieu d’être embauché par un maître pour une des dix-huit opérations de son état, fasse partie d’une société industrielle, ayant pour objet la fabrication des épingles, et dans laquelle ne pourraient entrer que des hommes propres à tous les travaux de cette fabrication : il est évident, ce me semble, que dans un pareil système, sans que rien fût perdu des avantages du travail parcellaire, chaque ouvrier pourrait, devrait même, dans son intérêt personnel et dans celui de la société, passer à des intervalles plus ou moins rapprochés d’une opération à l’autre, et parcourir le cercle entier de la fabrication. Par ce moyen, l’œuvre commune deviendrait pour chaque producteur œuvre composée et sériée ; bien plus, cette combinaison produirait une surveillance infatigable, universelle et réciproque, sans tyrannie et sans passe-droit, fraternelle et sévère, et qui permettrait d’apprécier avec la plus rigoureuse exactitude le travail de chaque associé. Là l’épargne, s’exerçant collectivement, ne s’arrêterait jamais, la formation des capitaux serait assurée ; là il y aurait liberté, égalité, solidarité et justice ; là rien ne se ferait sans la participation de tous : ce serait une miniature du gouvernement démocratique, pour lequel la France lutte depuis cinquante ans.
430. All that man executes that is most ingenious, most complex, most multiple in its unity, he necessarily does so in parts that are infinitely small, but that, linked by a relation of progression, produce in the end an assemblage, a whole, a composition, a series. Now, it is the immobilization of the worker in one of the infinitesimal parts of production that constitutes what has been called piecemeal labor. I therefore say that this immobility is a fact of disorder, a consequence of the simplistic and subversive organization of the right to property, which everything contributes to abolish.
I take the example quoted by A. Smith at the beginning of his work, which suggested such bitter reflections to Lemontey: I mean the manufacture of pins.
The making of a pin embraces, it is said, eighteen successive operations, entrusted to an equal number of distinct workmen, who are never replaced. This composition of the work of the pin-maker bears some resemblance to the decomposition of the charge of the rifle into twelve stages, and I don’t know how many movements. It will be granted, I think, that the same man can learn to make a pin, I mean to execute the eighteen operations of the pin industry, as well as a soldier to load a gun.
I therefore suppose that the workman, instead of being hired by a master for one of the eighteen operations of his profession, is part of an industrial society, whose object is the manufacture of pins, and in which could not enter only men suitable for all the work of this manufacture: it is obvious, it seems to me, that in such a system, without losing anything of the advantages of piecemeal labor, each worker could, even should, in his personal interest and in that of society, pass at more or less close intervals from one operation to another, and traverse the entire circle of manufacture. By this means, the common work would become for each producer a composite and serial work; moreover, this combination would produce an indefatigable, universal and reciprocal supervision, without tyranny and without privilege, fraternal and severe, which would make it possible to assess with the most rigorous exactitude the labor of each associate. There, the savings, exercised collectively, would never stop, the formation of capital would be assured; there, there would be liberty, equality, solidarity and justice; there, nothing would be done without the participation of all: it would be a miniature of the democratic government, for which France has been fighting for fifty years.
431. D’après cet exemple, on prévoit que la synthèse ou composition de la spécialité industrielle peut résulter de combinaisons très-diverses : soit que l’œuvre à laquelle s’est voué le travailleur embrasse des mois, des années, sa vie entière et la vie de plusieurs autres ; soit qu’elle se compose de professions hétérogènes, mais momentanément réunies ; soit enfin que, sans varier quant à la nature, elle change tous les jours (comme les modes) quant à la forme des produits. Certaines industries chôment pendant plusieurs mois de l’année, parce que leurs produits ne sont demandés qu’en une saison ; il faut trouver à ceux qui exercent ces industries temporaires des occupations qui remplissent le temps de chômage : or, cette espèce de cumul est tout à fois d’une extrême importance pour la production, et très-difficile à déterminer en théorie. La loi civile a reconnu l’incompatibilité de certaines fonctions, telles que, par exemple, celles de médecin et de pharmacien, de juge et d’arbitre, de notaire et de courtier : mais personne, que je sache, ne s’est occupé de la proposition inverse, savoir, de déterminer les fonctions qui, par leur nature, leur durée, la responsabilité qu’elles entraînent, etc., forment accord et série[10]. C’est là un problème du plus haut intérêt en économie politique, mais dont la solution, exigeant de longues études et une connaissance plus approfondie de la théorie sérielle, ne peut être présentement obtenue.
431. According to this example, it is expected that the synthesis or composition of the industrial specialty can result from very diverse combinations: either that the work to which the worker has devoted himself embraces months, years, his entire life and the lives of many others; or that it is made up of heterogeneous professions, but temporarily united; or finally that, without varying as to nature, it changes every day (like the fashions) as to the form of the products. Certain industries are unemployed for several months of the year, because their products are only in demand in one season; it is necessary to find for those who exercise these temporary industries occupations that fill the time of unemployment: now, this kind of accumulation is at the same time of an extreme importance for production, and very difficult to determine in theory. [10] This is a problem of the greatest interest in political economy, but the solution of which, requiring long studies and deeper knowledge of serial theory cannot be obtained at present.
432. La vrai destination du travail parcellaire se trouve dans l’éducation de l’apprenti. L’homme n’apprend, n’exécute que par parties ; d’un autre côté, l’habitude et un exercice prolongé lui donnent seuls la dextérité et la grâce, comme une attention constante aux mêmes choses éclaire et forme son génie. Le travail parcellaire est donc favorable, indispensable même au développement des facultés ; mais il ne faut pas qu’il soit éternel. Et voilà précisément ce qui distingue l’ouvrier consommé du travailleur parcellaire : l’un, par de longues et laborieuses études, par des essais variés, par l’acquisition coûteuse des secrets de métier et des procédés de main-d’œuvre, a fait non pas un mais vingt et trente apprentissages différents ; l’autre, comme un instrument destiné à un seul usage et que l’on jette aussitôt qu’il devient inutile, s’arrête dès le premier pas, s’endort dans sa première leçon. Tandis que l’industriel vraiment digne de ce nom sait exécuter vingt opérations particulières, qui, savamment combinées, produisent une composition raisonnée et souvent ingénieuse ; l’homme-machine, une fois enroutiné dans sa manœuvre, séquestré de la composition et de l’art, dégénère rapidement en une brute sans adresse et sans moralité.
Le travail parcellaire trouve donc son application dans l’apprentissage de l’ouvrier : il peut encore être employé d’une autre manière. Il n’est pas rare de rencontrer des hommes, d’une capacité réelle et d’un talent très-développé, qui préfèrent, à salaire égal, la fonction la plus simple et la plus uniforme, parce qu’ils réservent toutes les forces de leur intelligence pour des compositions libres et desquelles ils n’attendent aucune rétribution. Dans ce cas, le travail parcellaire, ne portant préjudice ni à la société ni aux personnes, exécuté par des mains capables à l’occasion de direction et de synthèse, n’offre plus d’inconvénient. Qui sait même si, un jour, telle ne sera pas notre condition commune et définitive ? L’homme, après avoir donné l’essor à son activité juvénile, après avoir parcouru la sphère de sa spécialité, commandé et instruit les autres, à son tour, aime à se replier sur lui-même et à concentrer sa pensée. Alors, pourvu que le salaire quotidien arrive, content d’avoir fait ses preuves, il laisse à d’autres les grands projets et les postes brillants, et s’abandonne aux rêveries de son cœur, dont l’uniformité du travail parcellaire ne fait plus que faciliter le cours.
Je ne parle pas des travaux répugnants et pénibles, qui peuvent être ou exécutés par corvées, ou infligés comme peines disciplinaires, ou dévolus à des compagnies d’apprentis (telles que les petites hordes de Fourier) : ce sont détails d’organisation et de pratique dans lesquels il ne m’est pas possible d’entrer. Je ne saurais le rappeler trop souvent : en travaillant à ce nouvel ouvrage, j’ai eu pour objet beaucoup moins de décrire un système d’association détaillé et complet, que de chercher les lois générales de l’organisation, et d’ouvrir la route qui doit nous y conduire.
432. The true destiny of piecemeal labor is in the education of the apprentice. Man only learns, only executes in parts; on the other hand, habit and prolonged exercise alone give him dexterity and grace, as constant attention to the same things enlightens and forms his genius. Piecemeal labor is therefore favourable, even indispensable, to the development of the faculties; but it need not be eternal. And this is precisely what distinguishes the consummate worker from the fragmentary worker: the one, by long and laborious studies, by varied trials, by the costly acquisition of the secrets of the trade and the processes of labor, has made not one but twenty or thirty different apprenticeships; the other, like an instrument intended for a single use, which is thrown away as soon as it becomes useless, stops at the first step, falls asleep in his first lesson. Whereas the industrialist truly worthy of the name knows how to execute twenty particular operations which, skilfully combined, produce a reasoned and often ingenious composition; the man-machine, once enslaved in his maneuvers, sequestered from composition and art, quickly degenerates into a brute without skill and without morality.
Piecemeal labor therefore finds its application in the apprenticeship of the worker: it can still be employed in another way. It is not uncommon to find men of real capacity and highly developed talent who prefer, for equal pay, the simplest and most uniform function, because they reserve all the of their intelligence for free compositions from which they do not expect any compensation. In this case, piecemeal labor, harming neither society nor individuals, carried out by capable hands on the occasion of direction and synthesis, no longer offers any inconvenience. Who even knows if, one day, such will not be our common and definitive condition? The man, after giving impetus to his youthful activity, after having traversed the sphere of his specialty, commanded and instructed others, in turn, liked to withdraw into himself and concentrate his thoughts. So, as long as the daily wage arrives, happy to have proven himself, he leaves the big projects and brilliant jobs to others, and abandons himself to the reveries of his heart, of which the uniformity of piecemeal labor does not do more than to facilitate the course.
I do not speak of the repugnant and painful works, which can be either executed by corvee, or inflicted as disciplinary penalties, or devolved to companies of apprentices (such as the small hordes of Fourier): these are details of organization and practice into which it is not possible for me to enter. I cannot repeat it too often: in laboring at this new work, my object was much less to describe a detailed and complete system of association, than to seek the general laws of organization and to open the road that should lead us there.
433. Ce que nous avons dit de la division du travail et de ses différents modes nous permet d’apprécier, avec plus de précision qu’on ne l’a fait jusqu’ici, les travaux de pure intelligence.
Le travail de tête est un effort, une fatigue souvent énorme et assurément très-méritoire : cependant, au point de vue économique, ce n’est pas encore du travail. Car, il ne faut pas l’oublier, le travail est l’action intelligente de l’homme sur la matière. Or la spéculation n’est pas de l’action.
D’après la définition du travail, l’homme réfléchit d’abord ; puis il exécute. Ces deux facultés constitutives du travail, la pensée et l’action, ne se confondent pas ; tout au contraire on conçoit qu’elles se séparent. Il arrive donc que le travail se divise non plus en ses genres, espèces et variétés ; non plus en ses particules intégrantes, comme dans les opérations parcellaires ; mais en ses éléments constituants, l’intelligence et la force.
La mission de l’homme, selon Fourier, est la gérance du globe : cette gérance suppose dans le gérant une éducation préalable, la connaissance de son domaine et des matériaux qu’il doit mettre en œuvre. C’est pour cela qu’il lui faut étudier le cours des astres, la physique, la zoologie, les vertus des plantes ; toutes études qui deviennent en certains hommes spécialités de fonctions et que, par synecdoque, on appelle du noble nom de travaux. Ainsi, observation des séries de la nature, éducation de l’intelligence par la loi sérielle, tels sont les préliminaires du travail, que nous avons défini métaphysiquement, substitution de séries artificielles aux séries naturelles. Mais le savant participe à l’exécution, puisque c’est seulement en vue de l’exécution qu’il marche à la découverte ; l’homme d’action participe à la science, parce que, pour exécuter le devis du savant, il faut qu’il en acquière l’intelligence. La solidarité et la communauté industrielle entre eux est complète : comment l’égalité civile n’en serait-elle pas, un jour, la conséquence ?
433. What we have said of the division of labor and of its different modes enables us to appreciate, with more precision than has been done hitherto, the labors of pure intelligence.
The labor of the head is an effort, a fatigue that is often enormous and certainly very meritorious: however, from the economic point of view, it is not yet labor. Because, it must not be forgotten, labor is the intelligent action of man on matter. But speculation is not action.
According to the definition of labor, man thinks first; then he executes. These two constitutive faculties of labor, thought and action, are not confused; on the contrary, we conceive that they separate. It therefore happens that labor is no longer divided into its genera, species and varieties; no longer into its integrating particles, as in the partial operations; but into its constituent elements, intelligence and force.
The mission of man, according to Fourier, is the stewardship of the globe: this stewardship presupposes in the manager a prior education, knowledge of his domain and the materials he must implement. This is why he must study the course of the stars, physics, zoology, the virtues of plants; all studies which become in certain men specialties of functions and which, by synecdoche, one calls by the noble name of labors. Thus, observation of the series of nature, education of the intelligence by the serial law, such are the preliminaries of the labor, which we have defined metaphysically, substitution of artificial series for natural series. But the scientist participates in the execution, since it is only with a view to the execution that he advances to the discovery; the man of action participates in science, because, in order to carry out the plan of the scientist, he must acquire the understanding of it. Solidarity and industrial community between them is complete: how could civil equality not be, one day, the consequence?
434. Par la spécification, le travail satisfait au vœu de notre personnalité, qui tend invinciblement à se différencier, à se rendre indépendante, à conquérir sa liberté et son caractère ; par la composition, le travail répond à tous les besoins de l’intelligence, à sa faculté inventive et organisatrice, comme à son amour de la synthèse et de l’unité.
Ainsi l’Économie politique se trouve d’accord avec la psychologie et le droit public, fondé lui-même sur la liberté. Il n’est pas vrai, comme l’enseigne M. Rossi à l’occasion du travail parcellaire, que l’Économie politique, suivie dans ses déductions les plus rigoureuses, conduise à des résultats contraires aux principes de la morale, et que tout ce que nous ayons à faire soit de limiter la première par la seconde. Les sciences ne sont jamais en contradiction entre elles : ce sont nos demi-connaissances, notre faux savoir qui nous montre des contradictions là où une étude approfondie nous découvre un merveilleux accord. Si le travail parcellaire est condamné par la morale, comme destructif des plus nobles facultés de l’âme, il ne l’est pas moins par l’économie politique, comme funeste à la production et à l’organisation. Le travail parcellaire est le mode général de l’éducation industrielle : hors de là il ne doit être toléré qu’en des ouvriers accomplis, capables d’une œuvre intégrale et composée, mais qui restreignent volontairement l’emploi de leur capacité sur un point, afin de l’appliquer à un autre….
434. By specification, labor satisfies the desire of our personality, which tends invincibly to differentiate itself, to make itself independent, to conquer its liberty and its character; by composition, labor responds to all the needs of the intelligence, to its inventive and organizing faculty, as well as to its love of synthesis and unity.
Thus political economy finds itself in accord with psychology and public law, itself founded on liberty. It is not true, as M. Rossi teaches on the occasion of fragmentary labor, that political economy, followed in its most rigorous deductions, leads to results contrary to the principles of morality, and that everything what we have to do is to limit the first by the second. The sciences are never in contradiction with each other: it is our half-knowledge, our false knowledge that shows us contradictions where a thorough study discovers a marvelous harmony. If piecemeal labor is condemned by morality as destructive of the noblest faculties of the soul, it is no less so by political economy as fatal to production and organization. Piecemeal labor is the general mode of industrial education: beyond that it must only be tolerated by accomplished workers, capable of an integral and composed work, but who voluntarily restrict the use of their capacity at one point, in order to apply it at another….
435. III. Méthode. Toute science, avons-nous dit d’après les éclectiques, a besoin, pour exister, de trois choses :
- 1o Déterminer son objet ;
- 2o Circonscrire le champ de son observation, et en tracer les divisions principales ;
- 3o Formuler sa méthode.
Le travail est la science mise en action : comme la science, il est soumis à trois conditions, et il ne peut en reconnaître que trois : 1o Spécification ; 2o Composition ; 3o Procédés d’exécution (méthode, formulaire, procédure, technique, etc.).
Et comme dans la science la méthode est immédiatement donnée par la détermination de l’objet et la circonscription de la sphère observable ; de même, dans le travail, les procédés de main-d’œuvre sont indiqués par l’espèce du travail à accomplir et par sa composition.
C’est ici le champ des inventions et des découvertes : tout progrès dans la science et l’industrie se résout en un amendement au mode primitif d’exécution, à la méthode, à la technique ; la division incessante du travail en des industries nouvelles est une conséquence de cette loi. Avant Guttenberg on imprimait sur des planches solides, comme celles des Chinois : Guttenberg divisa cette planche en autant de parties qu’elle renfermait de caractères qu’il grava et fit fondre séparément. La charrue, dans sa forme primitive, était une pioche ou crochet de bois durci au feu, et mû d’un effort continu, par une force de traction suffisante. Les premières charrues ne retournaient pas le sol ; elles ne faisaient, comme la herse, que le rayer profondément. C’est par une suite de perfectionnements innombrables que la charrue est devenue ce que nous la voyons. La connaissance du progrès des méthodes dans chaque spécialité industrielle doit être une partie essentielle de l’éducation du travailleur : comme l’histoire de la philosophie et de la religion en métaphysique, elle aide plus à la promptitude de l’intellection, qu’une locution brillante et de profonds raisonnements. D’après cela, peut-on dire que dans nos ateliers les apprentis apprennent quelque chose[11] ?
435. III. Method. All science, we have said, following the eclectics, needs, in order to exist, three things:
1. To determine its purpose;
2. To circumscribe the field of its observation, and trace its main divisions;
3. To formulate its method.
Labor is science put into action: like science, it is subject to three conditions, and it can only recognize three of them: 1. Specification; 2. Composition; 3. Processes of execution (method, form, procedure, technique, etc.).
And as in science the method is immediately given by the determination of the object and the circumscription of the observable sphere; likewise, in labor, the processes of the work are indicated by the kind of work to be done and by its composition.
This is the field of inventions and discoveries: all progress in science and industry resolves itself into an amendment to the primitive mode of execution, to the method, to the technique; the incessant division of labor into new industries is a consequence of this law. Before Gutenberg we printed on solid plates, like those of the Chinese: Gutenberg divided this plate into as many parts as it contained characters which he engraved and melted separately. The plow, in its primitive form, was a pickaxe or hook of fire-hardened wood, moved with a continuous effort, by a sufficient tractive force. The first plows did not turn the soil; like the harrow, they only scratched it deeply. It is by a series of innumerable improvements that the plow has become as we see it. Knowledge of the progress of methods in each industrial specialty must be an essential part of the worker’s education: like the history of philosophy and religion in metaphysics, it aids intellection more quickly the than a brilliant locution and deep reasoning. Based on this, can we say that in our workshops the apprentices learn something? [11]
436. Nous n’avons point à entrer ici dans les détails de la technographie : qu’il nous suffise d’indiquer sommairement au lecteur les considérations générales que soulève, dans la 3e loi du travail, la méthode.
a) Puisque l’industrie humaine est la transposition des séries de la nature ; et puisque le travail, dans ses divisions, suit les mêmes lois que toutes les choses sériées, la spécification et la composition : il s’ensuit que tout art, tout métier, toute science, en un mot, toute fonction, est une application particulière de la loi sérielle, c’est-à-dire une démonstration de l’absolu, une réduction de l’infini.
Ainsi le moindre des métiers, pourvu qu’il y ait en lui spécialité et série, renferme en substance toute la métaphysique, et peut servir de point de départ et de rudiment pour élever l’intelligence du travailleur aux plus hautes formules de l’abstraction et de la synthèse : ainsi chacune des fonctions sociales peut se regarder comme le foyer où convergent toutes les forces d’un vaste système, ou plutôt comme un observatoire central, duquel on suit tous les mouvements de l’ensemble ; et tous tant que nous sommes nous pouvons nous écrier avec orgueil :
Les cieux m’environnent ;
Les cieux ne roulent que pour moi ;
De ces astres qui me couronnent
La nature me fit le roi.
436. We need not enter here into the details of technography: it suffices for us to indicate summarily to the reader the general considerations raised by the method in the third law of labor.
a) Since human industry is the transposition of the series of nature; and since labor, in its divisions, follows the same laws as all serial things, specification and composition, it follows that every art, every craft, every science, in a word, every function, is a particular application of the serial law, that is to say a demonstration of the absolute, a reduction of the infinite.
Thus the least of trades, provided there is a specialty and a series in it, contains in substance all metaphysics, and can serve as a starting point and a rudiment for raising the intelligence of the worker to the highest formulas of abstraction and synthesis: thus each of the social functions can be regarded as the focus where all the forces of a vast system converge, or rather like a central observatory, from which one follows all the movements of the whole; and all of us can proudly cry out:
The heavens surround me;
The heavens only roll for me;
Of these stars that crown me
Nature made me king.
437. b) Toute fonction industrielle, artistique ou littéraire, étant un point de vue, un côté spécial par où la métaphysique peut être abordée et parcourue dans son entier : il suit de là encore que les fonctions sociales sont égales entre elles, égales en utilité productive, égales en fécondité théorique, par conséquent égales en mérite et en dignité.
En effet, sans parler de l’absurdité qu’il y aurait à établir une comparaison des fonctions d’après l’état de désordre où elles se trouvent et les opinions que nous nous en sommes faites, ne savons-nous pas maintenant que les découvertes du génie et les sublimités de la science se réduisent à l’aperception et à l’intelligence de la série ; que tout produit humain est une application instinctive ou raisonnée de la loi sérielle ; que le plus ou le moins de conformité de la raison avec cette loi fait seul la différence des capacités ; que la certitude métaphysique étant toujours la même, sous quelque point de vue que se présentent à nous les phénomènes (182, 184, 189), notre connaissance, pour être absolue, n’a pas besoin d’être universelle : il suffit qu’elle traduise fidèlement la série. Par conséquent les fonctions sociales étant les aspects divers sous lesquels nous étudions et recréons la nature d’après les lois absolues de la métaphysique, il y a contradiction dans les idées, ou désordre dans les faits, à prétendre qu’une fonction soit inférieure à une autre fonction ; qu’un métier puisse être grossier ou ignoble.
437. b) Any industrial, artistic or literary function, being a point of view, a special side from which metaphysics can be approached and explored in its entirety: it follows from this again that social functions are equal to each other, equal in productive utility, equal in theoretical fecundity, consequently equal in merit and dignity.
In fact, without speaking of the absurdity there would be in establishing a comparison of functions according to the state of disorder in which they find themselves and the opinions we have formed of them, do we not now know that the discoveries of genius and the sublimities of science are reduced to the apperception and intelligence of the series; that every human product is an instinctive or reasoned application of the serial law; that the greater or less conformity of reason with this law alone makes the difference between capacities; that metaphysical certainty being always the same, from whatever point of view phenomena present themselves to us (182, 184, 189), our knowledge, to be absolute, does not need to be universal: it suffices that it faithfully translates the series. Consequently social functions being the various aspects under which we study and recreate nature according to the absolute laws of metaphysics, there is contradiction in ideas, or disorder in facts, in pretending that a function is inferior to another function; that a trade can be coarse or ignoble.
438. c) Traduisons ces idées en une autre formule.
Puisque les arts, les sciences et les métiers, par leur spécialité synthétique, leurs procédés d’exécution et leurs méthodes, sont des applications de la loi sérielle, la loi sérielle est la mesure de comparaison des industries, et par là même des capacités.
Car, que faut-il pour que la fonction soit normale ? Qu’elle soit séparée des autres, de telle sorte que les qualités du travail social et les formes de la création s’y retrouvent, unité, variété, harmonie, en un mot, série ; qu’elle se rattache aux autres fonctions comme l’espèce au genre, et ne fasse qu’un tout avec elle ; enfin qu’elle puisse subir à son tour, et toujours sous la même loi, de nouvelles divisions.
À quels traits reconnaît-on le travailleur habile, intelligent et progressif ? — S’il a saisi dans sa forme pure et idéale la série que sa mission est de reproduire ; si, pour arriver à ce but, il s’est familiarisé avec les méthodes et procédés techniques ; s’il sait raisonner son œuvre, en dégager, si j’ose ainsi dire, toute la philosophie, et la rapporter par voie de comparaison et d’analyse à la méthode sommaire, à la métaphysique.
Toute fonction qui manque de l’une des conditions essentielles du travail, la spécialité, la composition et la méthode ou la loi, est une fonction imparfaite, une série tronquée : tout ouvrier qui, dans son travail, n’a pas appris à voir une image de l’opération créatrice, et dans son produit un microcosme, est une intelligence endormie, un organe inutile.
438. c) Let us translate these ideas into another formula.
Since the arts, sciences and trades, by their synthetic specialty, their processes of execution and their methods, are applications of the serial law, the serial law is the measure of comparison of industries, and therefore of capacities.
For, what is necessary for the function to be normal? That it be separated from the others, in such a way that the qualities of the social work and the forms of creation are found there: unity, variety, harmony, in a word, series; that it is attached to the other functions like the species to the genus, and forms but one whole with it; finally, that it may in its turn undergo, and always under the same law, new divisions.
By what traits do we recognize the skillful, intelligent and progressive worker? — If he has grasped in its pure and ideal form the series that his mission is to reproduce; if, in order to achieve this goal, he has familiarized himself with the technical methods and procedures; if he knows how to reason about his work, to extract from it, if I dare say so, all the philosophy, and to relate it, through way of comparison and analysis, to the summary method, to metaphysics.
Any function that lacks one of the essential conditions of labor, — specialty, composition and method or law, — is an imperfect function, a truncated series. Any worker who, in his labor, has not learned to see an image of the creative operation, and in its product a microcosm, is a dormant intelligence, a useless organ.
439. Par delà la sensation et le sentiment, l’aperception de la série est la cause plastique de l’idée, le commencement de la science. Or, comme la nature se manifeste à la pensée, d’abord sous ses plus grandes divisions, puis avec des différences et des séries de plus en plus spéciales ; et comme parmi les formes sérielles nous en avons distingué de simples et de composées, de plus ou moins compréhensives et complexes : ainsi naît et se développe, ainsi se mesure l’intelligence de l’homme.
Si, dans la société, les fonctions étant délimitées conformément aux règles données par la théorie, l’intelligence de chaque travailleur pouvait se renfermer exclusivement dans sa fonction, et n’apprendre jamais rien d’aucune autre : on conçoit que les capacités industrielles, comme les fonctions elles-mêmes, s’équivaudraient et se balanceraient réciproquement, puisqu’elles seraient les unes et les autres des expressions diverses de la loi sérielle.
Mais il n’en est pas ainsi : les fonctions sociales s’enchaînent par des liens si intimes, se touchent et se pénètrent par tant de côtés, que l’exercice de chacune suppose toujours la connaissance, au moins générale et sommaire, de plusieurs autres. Celui-là donc semblerait au premier abord le plus intelligent et le plus habile qui à la théorie et à la pratique de son art joindrait la connaissance d’un plus grand nombre d’autres ; c’est-à-dire qui saisirait la loi sérielle sous un plus grand nombre de faces, et saurait lui donner une expression plus variée et plus fidèle. Car de même que la science de Dieu, réalisée par la création, embrasse toutes les catégories de formes, tous les phénomènes, tous les aspects sériels ; ainsi le génie de l’homme tend à égaler l’omniscience, et, dans chaque individu, la connaissance et le travail élèvent indéfiniment leur niveau. Le christianisme, dans ses rêves paradisiaques, promet au fidèle la vue claire et limpide des secrets de la nature, la pénétration des mystères, l’agilité et la subtilité des organes : ces priviléges de la béatitude chrétienne sont le symbole de notre éducation progressive.
Par une perturbation organique et intellectuelle dont je n’ai point ici à rechercher la cause, l’homme sortant des mains de la nature est ignorant et maladroit ; s’il s’élève à la connaissance du beau, du bien et du vrai, c’est par les routes impures du vice et de l’erreur ; mais chaque jour il acquiert plus de goût, de dextérité et de savoir ; chaque jour sa raison se rapproche de son type ; sa vie, à bien dire, est un long redressement.
439. Beyond sensation and sentiment, the apperception of the series is the plastic cause of the idea, the beginning of science. Now, as nature manifests itself to thought, first under its greatest divisions, then with more and more special differences and series; and as among the serial forms we have distinguished simple and composite, more or less comprehensive and complex, thus is born and develops, thus is measured the intelligence of man.
If, in society, the functions being delimited in accordance with the rules given by the theory, the intelligence of each worker could confine itself exclusively to his function, and never learn anything from any other, it is conceivable that industrial capacities, like the functions themselves, would be equivalent and reciprocally balanced, since they would both be diverse expressions of the serial law.
But it is not so: the social functions are linked together by such intimate links, touching and penetrating each other from so many sides, that the exercise of each always presupposes the knowledge, at least general and summary, of several others. That one, then, would seem at first sight the most intelligent and skilful who, to the theory and practice of his art, would join the knowledge of a greater number of others; that is to say, who would grasp the serial law under a greater number of aspects, and would know how to give it a more varied and more faithful expression. Because just as the science of God, realized by creation, embraces all categories of forms, all phenomena, all serial aspects, just so the genius of man tends to equal omniscience and, in each individual, knowledge and labor raise their level indefinitely. Christianity, in its paradisiacal dreams, promises the faithful a clear and limpid view of the secrets of nature, the penetration of mysteries, the agility and subtlety of the organs: these privileges of Christian beatitude are the symbol of our progressive education.
By an organic and intellectual disturbance, the cause of which I do not have to investigate here, man emerging from the hands of nature is ignorant and clumsy; if he rises to the knowledge of the beautiful, the good and the true, it is by the impure roads of vice and error; but each day he acquires more taste, dexterity and knowledge; every day his reason approaches his type; his life, to put it bluntly, is a long recovery.
440. Toutefois, ce n’est point en vue d’une intelligence infinie que se mesurent les esprits des mortels. En Dieu la connaissance est universelle, immédiate, intuitive ; la raison est tout, le talent rien. Dans l’homme, au contraire, la connaissance est partielle, successive, méthodique ; mais, si sa faculté de compréhension a des bornes, la certitude de ses idées est absolue (174-194 ; 326-363). Ce qui fait le mérite de l’homme est la puissance de s’égaler à Dieu par la série : or, la somme d’instruction nécessaire pour acquérir une pleine intelligence de la loi sérielle, et se consommer dans une ou plusieurs branches de l’encyclopédie humaine, pouvant facilement s’obtenir ; à moins que l’on ne confonde l’érudition avec la science, le travail avec la raison, les capacités, dans une société bien ordonnée, seront, à peu de chose près (319), égales.
Ainsi, comme critérium de certitude, la théorie sérielle est la fin de la philosophie et l’abolition de la foi religieuse ; comme norme du travail, de la science et de l’industrie, elle est la mesure et le niveau des intelligences.
Quelle est donc la pensée de ceux qui, dans des vues aristocratiques, ou pour flatter le despotisme propriétaire, affirment, sur la foi d’inintelligibles analogies, que les âmes humaines sont nécessairement et providentiellement inégales, et que cette inégalité entre dans les conditions de la société et de l’ordre ?…
440. However, it is not in view of an infinite intelligence that the minds of mortals are measured. In God knowledge is universal, immediate, intuitive; reason is everything, talent nothing. In man, on the contrary, knowledge is partial, successive, methodical; but, if his faculty of understanding has limits, the certainty of his ideas is absolute (174-194; 326-363). What constitutes the merit of man is the power to equal himself with God by the series: now, the sum of instruction necessary to acquire a full understanding of the serial law, and to be consummated in one or more branches of the easily obtainable human encyclopedia, — unless one confuses erudition with science, work with reason, the capacities, in a well-ordered society, — will be more or less equal (319).
Thus, as a criterion of certainty, the serial theory is the end of philosophy and the abolition of religious faith; as the norm of labor, science and industry, it is the measure and level of intelligences.
What, then, is the thought of those who, with aristocratic views, or to flatter proprietary despotism, affirm, on the strength of unintelligible analogies, that human souls are necessarily and providentially unequal, and that this inequality enters into the conditions of society and order?…
441. Organiser le travail, c’est décrire et délimiter des fonctions, puis les grouper par ordres, genres, espèces et variétés ; comme organiser la botanique et la zoologie, ce fut, pour de Jussieu et Cuvier, trouver les familles naturelles des plantes et des animaux. La société est donc un système de séries, dont la nature inorganique, végétative et sensible offre les analogues : à la suite des règnes minéral, végétal, animal, se constitue et se détermine chaque jour le règne _Industriel_, qui semble devoir être, sur notre globe, le complément de l’action divine ?…
Cette magnifique analogie nous fournit une nouvelle preuve de l’équivalence des fonctions.
C’est un axiome de métaphysique que là compréhension et la matière des idées sont entre elles dans un rapport inverse : plus un concept embrasse de choses sous lui, moins il en renferme en lui, et réciproquement. Ainsi le concept de métal contient ceux d’or, d’argent, etc ; le concept d’animal contient ceux d’homme, de cheval, etc. ; le concept de savant renferme les concepts de physicien, géomètre, artiste, etc. En effet, ce en quoi des choses conviennent résulte de leurs propriétés communes ; ce en quoi elles diffèrent résulte de leurs propriétés particulières. Plus on s’élève sur cette échelle, plus le nombre des propriétés communes diminue, tant qu’à la fin elles se réduisent à une seule ; et celle-ci constitue le genre suprême, qui n’est espèce relativement à aucun autre genre.
Or, à mesure que la fonction gagne en généralité représentative, c’est-à-dire à mesure qu’elle en résume un plus grand nombre d’autres, elle perd en spécialité effective, en matière industrielle et en application scientifique. Ainsi le chef d’atelier produit matériellement moins que l’ouvrier, mais plus que l’entrepreneur ; ainsi le maire, le préfet, le ministre, le conseil d’État, le roi n’exercent ni art, ni science, ni métier ; leur rôle est de grouper les fonctions inférieures, d’en centraliser et unifier les rapports. Le travail, dans cette région élevée, suppose, comme partout, une aptitude, une éducation, et des conditions d’éligibilité spéciales ; mais, en soi, il n’est ni plus ni moins difficile qu’ailleurs : si le contraire aujourd’hui semble avoir lieu, cela vient uniquement de notre organisation imparfaite, et du simplisme des principes qui nous gouvernent.
D’après les nos 311-319, 420-436, l’inégalité d’intelligence entre les hommes est une anomalie ; d’après ce qui vient d’être dit, la dépendance et l’inégalité des fonctionnaires est une injustice.
441. To organize labor is to describe and delimit functions, then to group them by orders, genera, species and varieties; as in organizing botany and zoology, it was, for de Jussieu and Cuvier, to find the natural families of plants and animals. Society is therefore a system of series, whose inorganic, vegetative and sensitive nature offers analogues: following the mineral, vegetable and animal kingdoms, the Industrial kingdom is constituted and determined each day, which seems to have to be, on our globe, the complement of divine action?…
This magnificent analogy furnishes us with a new proof of the equivalence of functions.
It is an axiom of metaphysics that comprehension and the matter of ideas are between them in an inverse relationship: the more a concept embraces things under it, the less it contains within itself, and vice versa. Thus the concept of metal contains those of gold, silver, etc.; the concept of animal contains those of man, horse, etc. ; the concept of scientist includes the concepts of physicist, geometer, artist, etc. Indeed, what agrees in things results from their common properties; what differs in them results from their particular properties. The higher we rise on this scale, the more the number of common properties diminishes, so long as in the end they are reduced to a single one; and this constitutes the supreme genus, which is not a species in relation to any other genus.
Now, in proportion as the function gains in representative generality, that is to say in proportion as it sums up a greater number of others, it loses in effective speciality, in industrial matter and in scientific application. Thus the foreman produces materially less than the worker, but more than the entrepreneur; thus the mayor, the prefect, the minister, the council of state, the king exercise neither art, nor science, nor trade; their role is to group the lower functions, to centralize and unify their relations. Work in this elevated region presupposes, as everywhere else, special aptitude, education, and conditions of eligibility; but, in itself, it is neither more nor less difficult than elsewhere: if the opposite seems to be taking place today, it comes only from our imperfect organization,
According to nos. 311-319, 420-436, the inequality of intelligence between men is an anomaly; according to what has just been said, the dependence and inequality of functionaries is an injustice.
442. Puisque la loi sérielle est la mesure commune des capacités ; en d’autres termes, puisque les fonctions sociales sont équivalentes entre elles : leurs produits peuvent s’évaluer l’un l’autre, et les salaires sont égaux. Il suffit, pour en dresser le tarif, d’indiquer la moyenne de temps nécessaire à l’achèvement de chaque produit.
Cette opération faite, l’estimation arbitrale peut intervenir sans injustice et sans danger pour tous les produits qui semblent par quelque côté défectueux : ainsi les droits du producteur et du consommateur seront également réservés, la solidarité universelle ne protégera jamais la paresse et l’ineptie. Quant aux accidents de force majeure qui viennent frapper l’industrie dans les instruments, la matière ou le produit du travail, c’est à la bourse, chargée de coter publiquement les produits (394), et, si le cas l’exige, à un système d’assurances à y pourvoir…
442. Since the serial law is the common measure of capacities; in other words, since the social functions are equivalent to each other, their products can evaluate each other, and the wages are equal. It suffices, to draw up the tariff, to indicate the average time necessary for the completion of each product.
This operation done, the arbitral estimation can intervene without injustice and without danger for all the products that seem in some way defective: thus the rights of the producer and of the consumer will be equally reserved; universal solidarity will never protect laziness and ineptitude. As for the accidents of force majeure that come to strike industry in the instruments, the material or the product of work, it is up to the stock exchange, responsible for publicly listing the products (394), and, if the case requires it, to an insurance system to provide for it…
443. Voici donc la question des salaires résolue par l’organisation du travail : là ne s’arrête pas la science économique.
IV. Responsabilité. Le travail, considéré synthétiquement dans les lois de production et d’organisation, engendre la Justice (383). Comment cela ? Par la responsabilité du travailleur, laquelle résulte de la notion même du salaire : « Le salaire et le travail se faisant équation à lui-même dans le produit (409). »
Admirons de nouveau la simplicité féconde de l’Économie politique et son harmonie avec les traditions des peuples, avec les tendances de la civilisation et les données de la philosophie. La conscience du genre humain proclame cette vérité, que l’homme est libre, que par conséquent il est responsable de ses actes, et que toute action mauvaise, volontairement accomplie, doit lui être imputée. L’Économie politique à son tour dépose en faveur de ce grand principe : et il est consolant, après avoir fondé la moralité des actions humaines sur la liberté, de la voir sanctionnée par une science, pour ainsi dire, semi-matérielle, et qui dans les faits ne recherche jamais l’intention. Quand on aurait démontré l’immortalité de l’âme par une équation d’algèbre, l’effet ne serait pas plus surprenant.
L’association est le corollaire de la division du travail ;
La solidarité est le corollaire de la force collective ;
La personnalité du travailleur et la liberté individuelle sont le corollaire des lois de spécification et de composition ;
De même la responsabilité du travailleur résulte de l’idée de salaire.
443. Here, then, is the question of wages resolved by the organization of labor: economic science does not stop there.
IV. Responsibility. Labor, considered synthetically in the laws of production and organization, engenders Justice (383). How is that? By the responsibility of the worker, which results from the very notion of wages: “Wages and labor making an equation with themselves in the product (409).”
Let us once again admire the fruitful simplicity of political economy and its harmony with the traditions of peoples, with the tendencies of civilization and the data of philosophy. The conscience of the human race proclaims this truth, that man is free, that consequently he is responsible for his actions, and that any bad action, voluntarily accomplished, must be imputed to him. Political Economy in its turn testifies in favor of this great principle, and it is consoling, after having founded the morality of human actions on liberty, to see it sanctioned by a science that is, so to speak, semi-material, and which in fact never looks for the intention. If the immortality of the soul had been demonstrated by an algebraic equation, the effect would not be more surprising.
Association is the corollary of the division of labor;
Solidarity is the corollary of collective force;
The worker’s personality and individual liberty are the corollary of the laws of specification and composition;
Similarly, the worker’s responsibility results from the idea of wages.
444. Le salaire doit être égal au produit. S’il est moindre, il y a peine ou dommage pour le travailleur ; s’il est plus fort, il y a munificence ou usurpation.
La peine et la faveur peuvent être, en certains cas, permises, bien qu’essentiellement anormales : la fraude, le privilége et l’usurpation sont toujours illégitimes. C’est une grande question de savoir quand la société peut infliger une peine ou accorder une grâce : nous n’avons point à nous en occuper ici. Nous considérons le travailleur dans l’état ordinaire, c’est-à-dire capable, valide, soumis à l’ordre, et n’appelant sur lui ni pitié, ni blâme, ni éloge.
Je dis donc que le salaire devant représenter fidèlement le produit, par cela seul le travailleur est rendu responsable de son œuvre : j’ajoute que la justice le veut ainsi. Car la justice consiste à mettre tous les travailleurs à même d’obtenir, par leur produit, un bien-être égal : elle ne va pas jusqu’à conduire la main et forcer la volonté aux individus, à exagérer la charité fraternelle pour niveler, en l’absence du mérite, les récompenses. Là surtout est le faible de la communauté : la communauté abolissant le salaire en haine de l’oppression industrielle dont il est aujourd’hui l’instrument, supprime du même coup la responsabilité de l’ouvrier, la liberté des personnes, et anéantit la justice distributive. La communauté attendant du dévouement et de l’abnégation ce qui doit résulter naturellement de la nécessité du travail, je veux dire le zèle et l’activité, serait bientôt forcée d’employer les verges pour les lâches, et la prison pour ceux que l’iniquité d’un pareil régime ramènerait à la propriété et à l’isolement.
444. The wage must be equal to product. If it is less, there is penalty or damage for the worker; if it is greater, there is munificence or usurpation.
Penalty and favor may in certain cases be permissible, though essentially abnormal: fraud, privilege, and usurpation are always illegitimate. It is a great question to know when society can inflict a penalty or grant a pardon: we do not have to concern ourselves with that here. We consider the worker in the ordinary state, that is to say capable, able, subject to order, and calling upon himself neither pity, nor blame, nor praise.
I therefore say that the wages must faithfully represent the product, and that by that alone the laborer is made responsible for his labor: I add that justice wills it so. For justice consists in putting all the workers in a position to obtain, by their product, an equal well-being: it does not go so far as to lead the hand and force the will of individuals, to exaggerate fraternal charity in order to level, in the absence of merit, the rewards. There above all is the weakness of community: community, abolishing the wage in hatred of the industrial oppression of which it is today the instrument, suppresses at the same time the responsibility of the worker, the liberty of the people, and annihilates distributive justice. Community, expecting from devotion and self-sacrifice what must naturally result from the necessity of labor, I mean zeal and activity, would soon be forced to use the rods for cowards, and prison for those whom the iniquity of such a regime would lead back to property and isolation..
445. La responsabilité de l’ouvrier est une condition essentielle de travail, de commerce et de bonne police. Mais, dit la loi pénale, pour que l’action soit imputable, il faut qu’il y ait eu, de la part de l’agent, liberté et discernement. Rendrons-nous donc responsable l’esclave attaché dès l’enfance au tourniquet d’une machine, comme le maître glorieux dont le regard embrasse l’ensemble de la manufacture ? Et pour nous résumer en quelques lignes, l’ouvrier parcellaire, qui n’a pas même l’intelligence de ce qu’il fait, qui n’en connaît ni la destination ni les antécédents ; qui ne sait pourquoi telle place plutôt que telle autre lui est assignée dans l’atelier, cet homme, dis-je, pouvons-nous le rendre responsable des méprises où le fait tomber à chaque pas son ignorance ? Ce qui fait le travailleur est la spécialité et la composition du travail, la connaissance théorique et pratique des méthodes : comment imputer au travailleur parcellaire une infériorité qui ne vient pas de lui[12] ?…
445. The responsibility of the workman is an essential condition of labor, of commerce, and of good policing. But, says the penal law, for the action to be imputable, there must have been, on the part of the agent, liberty and discernment. Shall we therefore hold responsible the slave attached from childhood to the turnstile of a machine, like the glorious master whose gaze embraces the whole of the factory? And to sum up for us in a few lines, the piecemeal worker, who does not even understand what he is doing, who knows neither its destination nor its antecedents; who does not know why such a place rather than another is assigned to him in the studio, this man, I say, can we hold him responsible for the mistakes into which his ignorance causes him to fall at every step? What makes the worker is the specialty and the composition of the work, the theoretical knowledge and the practice of the methods. How are we to impute to the piecemeal worker an inferiority that does not come from him?… [12]
446. La responsabilité existe, au moins virtuellement, dans toutes les parties du corps social ; il ne s’agit plus que de la proclamer et de la rendre efficace et régulière. C’est elle qui fait la distinction des ouvriers en bons, médiocres et pires ; qui assigne des différences de valeur à des produits formés des mêmes matières et sortis de fabriques semblables ; qui anime l’émulation, arrête les prétentions excessives, et punit d’une chute soudaine l’ambitieux qui se méconnaît. C’est encore elle qui sert de prétexte à certains traitements énormes, ainsi qu’aux bénéfices des maîtres et capitalistes. C’est elle enfin que notre droit public a consacrée dans les fonctions supérieures du gouvernement, où elle n’est et ne peut être qu’un vain épouvantail, une fiction.
La responsabilité du travail, appliquée à la propriété, changera celle-ci en un droit nouveau qui n’aura plus de commun avec l’ancien que le principe (l’individualité), et peut-être le nom.
446. Responsibility exists, at least virtually, in all parts of the social body; it is only a question of proclaiming it and making it effective and regular. It is responsibility that distinguishes the workers into good, mediocre and worse; that assigns differences in value to products formed from the same materials and issued from similar factories; that animates emulation, stops excessive pretensions, and punishes with a sudden fall the ambitious man who fails to recognize himself. It is still responsibility that serves as a pretext for certain enormous salaries, as well as for the profits of the masters and capitalists. It is the same, finally, that our public law has consecrated in the higher functions of government, where it is and can only be a vain bogeyman, a fiction.
The responsibility of labor, applied to property, will change the latter into a new right that will no longer have anything in common with the old except the principle (individuality), and perhaps the name.
447. Si la responsabilité est inconciliable avec le travail parcellaire, elle ne l’est pas moins avec le cumul. Dans tout établissement où se réunissent plusieurs professions distinctes sous le commandement d’un seul chef, que les ouvriers soient rétribués à la semaine ou aux pièces, peu importe ; ils n’en sont pas moins, respectivement et envers le maître, irresponsables. La responsabilité, comme le profit, incombe tout entière à l’entrepreneur : et Dieu sait les effroyables désordres qui en sont la suite. J’ai été témoin de ces faits, et j’en ai parfaitement démêlé les causes : je regrette que l’espace et le temps ne me permettent pas d’entrer dans de plus grands détails. Qu’il me suffise, pour le moment, de dire que spécialité et synthèse dans le travail, connaissance des méthodes et procédés techniques, et responsabilité de l’ouvrier, sont autant d’expressions qui se traduisent et se supposent ; que la violation d’une seule de ces lois neutralise l’effet de toutes les autres ; et que l’on peut toujours conclure de l’état de la fonction à la valeur de l’ouvrier et au degré de civilisation d’une société, et réciproquement.
447. If responsibility is irreconcilable with piecemeal labor, it is no less so with accumulation. In any establishment where several distinct professions unite under the command of a single chief, whether the workmen are paid by the week or by the piece matters little; they are none the less, respectively and towards the master, irresponsible. The responsibility, like the profit, lies entirely with the entrepreneur — and God knows the appalling disorders that follow. I was witness to these facts, and I have perfectly unraveled their causes: I regret that space and time do not allow me to enter into greater details. Suffice it for the moment to say that specialty and synthesis in labor, knowledge of technical methods and processes, and responsibility of the worker, are so many expressions that are translated and assumed; that the violation of a single one of these laws neutralizes the effect of all the others; and that one can always conclude from the state of the function to the value of the worker and the degree of civilization of a society, and vice versa.
448. Nous avons parcouru et dessiné à grands traits le champ de l’Économie politique dans sa première et sa seconde division. Il reste la troisième, la science du Droit ou science de la distribution des instruments de travail et de la répartition des produits[13]. C’est là qu’on verra comment, par le fait du salaire et de l’échange, double expression de la division du travail et de la force collective, la production est socialisée, la solidarité universelle fondée, la garantie mutuelle créée, la justice assise sur une base inébranlable, et l’égalité hors d’atteinte.
C’est là que le droit de possession sera constitué définitivement, et que l’on reconnaîtra le véritable esprit de la Succession, de la Donation, du Testament, du Prêt à intérêt et de l’Hypothèque : alors on verra combien ces coutumes, aujourd’hui si désordonnées et si funestes, peuvent, en se régularisant, contribuer à l’établissement de l’ordre et de l’égalité.
C’est dans cette troisième partie de la science économique enfin, que l’on comprendra comment, en dehors de la sphère des fonctions sociales et du travail solidaire, à côté du grand courant de l’industrie publique et des échanges cotés à la bourse, au sein de ce vaste système, dans lequel toutes les conditions sont égales, il existe un monde de travaux privés et libres (432), un mouvement industriel, artistique et littéraire, soumis aux lois générales de la production et de l’échange, mais qui, s’accomplissant hors de la solidarité collective et des garanties sociales, entretient en chaque travailleur l’énergie de la personnalité et du caractère, l’amour de la liberté, la franchise et la spontanéité de l’intelligence, crée entre les citoyens des liens nouveaux d’autant plus intimes qu’ils sont plus libres, et donne un surcroît de vigueur et de vie aux relations humaines…
448. We have traversed and sketched in broad strokes the field of political economy in its first and its second division. There remains the third, the science of Right or science of distribution of the instruments of labor and of the distribution of products. [13] It is there that we will see how, through wages and exchange, the double expression of the division of labor and collective force, production is socialized, universal solidarity founded, mutual guarantee created, justice resting on an unshakable foundation, and equality beyond reach.
It is there that the right of possession will be definitively constituted, and that we will recognize the true spirit of Succession, of Donation, of the Testament, of the Loan at interest and of the Mortgage: then we will see how much these customs, today so disordered and so disastrous, can, by regularizing themselves, contribute to the establishment of order and equality.
Finally, it is in this third part of economic science that we will understand how, outside the sphere of social functions and solidary labor, alongside the mainstream of public industry and exchanges listed on the stock exchange, within this vast system, in which all conditions are equal, there exists a world of private and free labor (432), an industrial, artistic and literary movement, subject to the general laws of production and exchange, but which, being accomplished outside of collective solidarity and social guarantees, maintains in each worker the energy of personality and character, the love of freedom, frankness and spontaneity of intelligence, creates between citizens new ties that are all the more intimate as they are more free, and gives added vigor and life to human relationships…
449. J’avais résolu de consacrer quelques pages à l’examen des opinions communistes et phalanstériennes, en ce qui touche l’organisation du travail : après de nouvelles réflexions, j’ai abandonné cette idée. Je dirai ce qui m’a fait changer d’avis.
Tout est si indéterminé dans les ouvrages de Fourier, si incohérent, si apocalyptique ; les livres de ses disciples sont tellement surchargés de critiques vagues, de faits déclassés, d’études mal faites, de formules syllogistiques, en un mot, de choses trop peu définies pour qu’on puisse avec quelque certitude les déclarer vraies ou fausses, qu’il m’a paru que, dans l’état actuel de l’exégèse fouriériste, on pouvait également tout condamner et tout absoudre dans les assertions de cette école.
Ainsi, pour revenir aux passions, il serait possible de défendre Fourier en disant que, selon lui, les passions sont les formes du principe vital ; de même que, selon Kant, les catégories sont les formes de l’entendement (208, 281, 333). Le principe vital, agitant la matière et l’organisant, d’abord se met en rapport avec le monde par les cinq sens, et en reçoit autant de modifications ou facultés ; — puis, excité par les impressions venues du dehors, il s’élance vers les objets qui les produisent, et se pose comme volonté, force expansive, ambition et amour ; enfin, réfléchissant, et sur les perceptions de la sensibilité, et sur les affections qu’elles sollicitent, il devient, dans cette contemplation intriguée, multivague, extatique, raison pure, esprit.
Peut-être serait-il difficile de concilier cette hypothèse de l’unité triforme du moi avec la théologie de Fourier, suivant laquelle il existe trois principes irréductibles et coéternels, la Matière, le principe Vital, et le principe Mathématique : dans tous les cas, le tableau des passions serait à remanier, puisque, selon cette nouvelle psychologie, les affectives et les distributives, produit des sensitives, ne pourraient plus être considérées comme radicales (297). Quoi qu’il en soit, le sujet passionnel étant un, la genèse des trois ordres de facultés serait trouvée : resterait à faire la délimitation et le classement des passions, puis à en décrire les mouvements et les lois. La première partie de cette tâche aurait été exécutée par Fourier (grosso modo) ; quant à la seconde, elle attend de nouveaux observateurs.
Or, si c’est là ce qu’entendent les fouriéristes par leur théorie passionnelle, ce n’est pas la peine de disputer avec eux ; ils ne savent rien de plus que tous les psychologues. Il faut les prier seulement de construire, sur ces données, une science positive et régulière. La dialectique sérielle, désormais à leur disposition, leur apprendra bientôt ce qu’ils peuvent espérer de ce côté-là.
449. I had resolved to devote a few pages to the examination of Communist and Phalansterian opinions with regard to the organization of labor. After further reflection, I abandoned this idea. I will say what made me change my mind.
Everything is so indeterminate in the works of Fourier, so incoherent, so apocalyptic; the books of his disciples are so overloaded with vague criticisms, downgraded facts, badly done studies, syllogistic formulas, in a word, things too vaguely defined to be declared true or false with any certainty, that It seemed to me that, in the current state of Fourierist exegesis, one could equally condemn and absolve everything in the assertions of this school.
Thus, to return to the passions, it would be possible to defend Fourier by saying that, according to him, the passions are the forms of the vital principle; just as, according to Kant, the categories are the forms of the understanding (208, 281, 333). The vital principle, agitating matter and organizing it, first puts itself in relation with the world through the five senses, and receives from it as many modifications or faculties; — then, excited by the impressions coming from without, it rushes towards the objects that produce them, and poses itself as will, expansive force, ambition and love; finally, reflecting, both on the perceptions of the sensibility and on the affections that they solicit, it becomes, in this intrigued contemplation, multivague, ecstatic, pure reason, spirit.
Perhaps it would be difficult to reconcile this hypothesis of the triform unity of the self with the theology of Fourier, according to which there exist three irreducible and coeternal principles, Matter, the Vital principle, and the Mathematical principle: in all cases, the table of the passions would have to be reworked, since, according to this new psychology, the affectives and the distributives, produced by the sensitives, could no longer be considered as radical (297). Be that as it may, the passional subject being one, the genesis of the three orders of faculties would be found: it would remain to delimit and classify the passions, then to describe their movements and laws. The first part of this task would have been carried out by Fourier (roughly speaking); as for the second, it awaits new observers.
Now, if this is what the Fourierists mean by their passional theory, it is not worth arguing with them; they know nothing more than all the psychologists. We only have to ask them to construct, on these data, a positive and regular science. The serial dialectic, henceforth at their disposal, will soon teach them what they can expect from that side.
450. Autre source d’ambages et d’embarras.
Si, par analogies, Fourier a eu en vue les différents ordres sériels, qui tous ont effectivement quelque chose de commun, puisqu’ils dérivent d’une même loi et déterminent des éléments souvent homogènes ; si, par exemple, il a entendu que les trois règnes de la nature étaient, par rapport à l’esprit qui les considère, comme des allégories, non comme des répercussions effectives les uns des autres : malgré les licences et l’énergie du style de Fourier, on se rendrait à cette explication.
Pareillement, si les galanteries étranges dont Fourier a si plaisamment orné ses écrits, et que ses disciples ont si prudemment écartées des leurs, n’étaient que de vives images, destinées à rendre les formes nouvelles d’un amour universel et platonique, comme, selon les théologiens, le Cantique des cantiques, malgré ses gravelures, a pour but de célébrer l’union mystique de l’âme avec Dieu : on accorderait que la nudité des tableaux de Fourier peut s’excuser en faveur de la chasteté de l’intention.
On conviendrait aussi que, sous le nom de propriété, les phalanstériens entendant simplement avec M. P. Leroux la personnalité et l’initiative du travailleur, cette propriété peut être admise. À cet égard, leur théorie d’organisation n’est obscure que pour les dupes ; et je puis certifier que les plus éclairés parmi eux sont beaucoup plus explicites dans leurs discours que dans leurs écrits.
Quant à l’équivalence progressive des capacités, il est étonnant, lorsque l’idée d’égalité, si simple, si facile à saisir, a tant de puissance sur les masses, il est étonnant, disons-nous, que la Phalange n’ait pas depuis longtemps proclamé ce postule nécessaire de la théorie de Fourier, et son plus beau titre de gloire. D’après les textes formels du maître et les commentaires officieux des disciples, la série de groupes rivalises repose sur le principe de l’équivalence des capacités, sans laquelle elle est impossible : je défie l’École sociétaire de le nier. Mais Fourier n’avait pas aperçu dans la loi sérielle la mesure comparative des intelligences ; il appelait volontiers inégalité ce qui n’était que différence ; et, grâce à ce malentendu, ses admirateurs ont commis l’incroyable bévue de revendiquer, comme essentiel à leur système, un préjugé, une anomalie en décroissance.
450. Another source of ambiguity and embarrassment.
If, by analogy, Fourier had in view the different serial orders, which all have something in common, since they derive from the same law and determine often homogeneous elements; if, for example, he understood that the three kingdoms of nature were, in relation to the mind that regards them, as allegories, not as effective repercussions of each other: in spite of the license and the energy of the style of Fourier, we would yield to this explanation.
Similarly, if the strange gallantries with which Fourier so pleasantly adorned his writings, and which his disciples so prudently set aside from theirs, were only vivid images, intended to render new forms of a universal and platonic love, — as, according to theologians, the Song of Songs, despite its engravings, aims to celebrate the mystical union of the soul with God, — we would grant that the nudity of the paintings of Fourier can be excused in favor of the chastity of intention.
It would also be agreed that, under the name of property, the phalansterians simply understanding with M. P. Leroux the personality and the initiative of the worker, this property can be admitted. In this respect, their theory of organization is obscure only to dupes; and I can certify that the most enlightened among them are much more explicit in their speeches than in their writings.
As for the progressive equivalence of capacities, it is astonishing, when the idea of equality, so simple, so easy to grasp, has so much power over the masses, it is astonishing, we say, that the Phalange has not for a long time proclaimed this necessary postulate of Fourier’s theory, and its finest claim to fame. According to the master’s formal texts and the unofficial commentaries of the disciples, the series of rival groups rests on the principle of equivalence of capacities, without which it is impossible: I defy the Societary School to deny it. But Fourier had not seen in the serial law the comparative measure of intelligences; he willingly called inequality what was only difference; and, thanks to this misunderstanding, his admirers have committed the incredible blunder of claiming, as essential to their system, a prejudice, a diminishing anomaly.
451. Abordant de front la série phalanstérienne, on trouve, au premier abord, que cette série suppose : 1o travail parcellaire ; 2o courtes séances et voltige d’une opération à l’autre ; 3o détermination du salaire par voie de suffrage et numéros de capacité.
Or, le travail parcellaire tend à annuler la faculté synthétique dans le travailleur, et à livrer la direction de la phalange à quelques individus : ce qui est contraire aux lois du développement intellectuel et au principe démocratique admis au phalanstère ; — le passage incessant d’une fonction à l’autre ôte au travailleur la spécialité, la responsabilité et la synthèse, trois conditions essentielles du travail ; bien plus, cette variation perpétuelle nuit à la production, puisque, par elle, chaque travailleur intervient dans des industries pour lesquelles il a moins de capacité : ce qui est contraire à la loi même de division, qui veut que chaque producteur exécute ce dont il est le plus capable ; — enfin, l’indication du rapport des capacités par numéros d’ordre, même décernés à la pluralité des voix, n’est pas plus rationnelle que l’indication des différences calorifiques, au moyen de l’échelle centigrade.
Mais si, dans les prévisions de Fourier, le travail parcellaire usité dans les groupes et séries suppose préalablement une éducation complète et une capacité entière de la part de l’ouvrier (double condition sur laquelle il était nécessaire d’insister) ; — si la participation aux travaux de plusieurs groupes, sans ôter au travailleur la spécialité et la responsabilité qui lui sont propres, a seulement pour objet de le mettre en rapport avec d’autres travailleurs, également spéciaux et responsables, mais dont il devient momentanément l’agent subalterne, comme ils deviennent ses auxiliaires à leur tour ; — si, par cette réciprocité de services, on entend rendre plus présente et plus intime la solidarité générale, sans détruire la responsabilité individuelle (considérations importantes, et qui paraissent avoir échappé jusqu’ici à l’analyse) ; — si la variété des occupations est combinée de manière à former un tout synthétique ; — si, enfin, le classement des capacités par numéros d’ordre n’est autre que le principe électif appliqué à la nomination des directeurs et contre-maîtres, et, en certains cas, une forme arbitrale de jugement (inventions trop connues pour qu’il vaille la peine de s’en vanter) : alors on conçoit que la série industrielle de Fourier puisse devenir la forme idéale de la société ; et, pour me servir d’une comparaison appropriée au sujet, qu’elle soit la machine politique fonctionnant à vingt-cinq atmosphères. La postérité dira si une telle force de concentration et d’activité collective peut être atteinte : pour nous, notre devoir est de procéder à l’organisation sociale avec clarté et méthode, et de suivre dans notre marche la mesure frappée par l’inflexible Providence.
451. Approaching the Phalansterian series head-on, we find, at first glance, that this series presupposes: 1) piecemeal labor; 2) short sessions and acrobatics from one operation to another; 3) determination of wages by vote and capacity numbers.
Now, piecemeal labor tends to cancel the synthetic faculty in the worker, and to deliver the direction of the phalanx to a few individuals, which is contrary to the laws of intellectual development and to the democratic principle admitted to the phalanstery; — the incessant passage from one function to another deprives the worker of specialism, responsibility and synthesis, the three essential conditions of labor; moreover, this perpetual variation harms production, since, through it, each worker intervenes in industries for which he has less capacity, which is contrary to the very law of division, which requires each producer to perform that of which he is the most capable; — finally, the indication of the ratio of capacities by order numbers, even awarded to the plurality of voices, is no more rational than the indication of calorific differences, by means of the centigrade scale.
But if, in Fourier’s predictions, the piecemeal labor used in groups and series presupposes a complete education and an entire capacity on the part of the worker (a double condition on which it was necessary to insist); — if participation in the labor of several groups, without depriving the worker of the specialty and responsibility that are proper to him, is only intended to bring him into contact with other workers, who are equally special and responsible, but of which he temporarily becomes the subordinate agent, as they become his auxiliaries in their turn; — whether, by this reciprocity of services, one intends to make general solidarity more present and more intimate, without destroying individual responsibility (important considerations, which seem to have escaped analysis up to now); — if the variety of occupations is combined in such a way as to form a synthetic whole; — if, finally, the classification of capacities by order number is nothing other than the elective principle applied to the appointment of directors and foremen, and, in certain cases, an arbitral form of judgment (inventions too well known to be worth bragging about): then we can conceive that Fourier’s industrial series can become the ideal form of society; and, to use a simile appropriate to the subject, let it be the political machine operating at twenty-five atmospheres. Posterity will tell us if such a force of concentration and collective activity can be achieved. For us, our duty is to carry out social organization with clarity and method, and to follow in our march the time struck by inflexible Providence.
452. Je ne pousserai pas plus loin les exemples. Après une nouvelle étude, il m’a semblé que Fourier, génie purement instinctif, et dont la vie s’écoula, pour ainsi dire, en un perpétuel ravissement, avait été travesti par ses propres hallucinations, par les boutades humoristiques de son style et le mauvais goût de ses descriptions, enfin par les maladresses de ses admirateurs ; et j’ai cru devoir cette réhabilitation à sa mémoire.
Quant à la mécanique des passions, aux intrigues, cabales, rivalités, effets d’émulation et de contraste, à tous ces petits jeux qu’on nous dépeint comme le grand ressort de la série et l’occupation favorite des Harmoniens, je ne crois pas que la gravité de l’homme et la majesté des nations s’y arrêtent. Au reste, pour en dire tout ce que je pense, une comparaison me suffit.
Depuis que l’école sociétaire existe, il est incontestable qu’elle s’est principalement soutenue et propagée par la cabaliste : je n’en fais point un reproche aux hommes, que j’honore et que j’aime ; je ne veux tirer de là qu’un argument contre leurs opinions. Je dis donc que la vérité limpide et franche est un élixir qui tue l’intrigue, le sophisme, l’équivoque, en un mot, l’art d’exploiter l’ignorance et la crédulité. Or, est-il vrai que jusqu’à ce jour le génie de Fourier est demeuré à peu près lettre close pour tout le monde, même pour ses disciples ? Est-il vrai que, par suite de cette inintelligence ou de cette incompréhensibilité des idées du maître, les fouriéristes n’ont cessé d’équivoquer sur l’égalité, la propriété, la famille, le culte, flattant tous les préjugés, amorçant toutes les opinions ? Est-il vrai que la science dont ils se glorifient consiste depuis quinze ans à délayer des textes, qu’ils n’ont su ni analyser ni comprendre ? Est-il vrai qu’aujourd’hui, en attaquant sans relâche les opinions appelées par la force des choses à remplacer l’ordre existant, ils avouent par là même qu’ils se défient du mouvement, et ne regardent pas leur hypothèse comme le résultat naturel et prochain de l’esprit révolutionnaire du progrès ? Est-il vrai, enfin, que leur ambition la plus grande, en ce moment, est d’arriver à la création d’un phalanstère modèle ; comme si, depuis le temps où Fourier écrivait, les conditions de propagande et de réforme n’avaient pas changé ; comme si de pareilles démonstrations faisaient foi[14] ; comme si la société se constituait par juxtaposition d’éléments, et non par évolution organique ; comme si, pour agir sur elle, il ne fallait pas se placer au cœur de l’être collectif, au centre même du pouvoir et des institutions.
Je le dis avec douleur, mais je le dis avec une conviction profonde et un regret amer : l’École sociétaire, qui, par les hommes de talent qu’elle compte et les moyens dont elle dispose, pourrait agir sur les masses et déterminer un vaste mouvement réformiste ; l’École sociétaire, tout à l’heure dépassée dans la carrière qu’elle-même a ouverte, se perd par ses entortillages, ses petits moyens, sa folle opposition à la démocratie qui arrive, son entêtement de secte ; son phalanstère n’existera pas qu’elle-même aura disparu sous le scalpel de la critique, emportée par un ouragan populaire ou frappée des anathèmes du pouvoir : alors on demandera ce que sont devenues les révélations de Fourier le somnambule, et l’on rira des cabaleurs et des papillons[15].
452. I will not push the examples further. After a new study, it seemed to me that Fourier, a purely instinctive genius, whose life passed, so to speak, in perpetual rapture, had been travestied by his own hallucinations, by the humorous quips of his style and the bad taste of his descriptions, finally by the clumsiness of his admirers; and I thought I owed this rehabilitation to his memory.
As for the mechanics of the passions, the intrigues, cabals, rivalries, effects of emulation and contrast, all those little games that are depicted to us as the mainspring of the series and the favorite occupation of the Harmonians, I don’t believe that the gravity of man and the majesty of nations stop there. For the rest, to say all I think about it, a comparison is enough for me.
Since the societary school has existed, it is undeniable that it has mainly been supported and propagated by the cabalist: I do not reproach men, whom I honor and love; I only want to draw from this an argument against their opinions. I therefore say that the limpid and frank truth is an elixir that kills intrigue, sophistry, equivocation, in a word, the art of exploiting ignorance and credulity. Now, is it true that up to this day the genius of Fourier has remained almost a closed letter for everyone, even for his disciples? Is it true that, as a result of this lack of intelligence or this incomprehensibility of the ideas of the master, the Fourierists have never ceased to equivocate regarding equality, property, the family, worship, flattering all prejudices, initiating all the opinions? Is it true that the science in which they pride themselves consists for fifteen years of dilute texts, which they have been unable to analyze or understand? Is it true that today by relentlessly attacking the opinions called by the force of things to replace the existing order, they admit by this very fact that they mistrust the movement, and do not regard their hypothesis as the natural and imminent result of the revolutionary spirit of the progress? Is it true, finally, that their greatest ambition, at this moment, is to arrive at the creation of a model phalanstery; as if, since the time Fourier was writing, the conditions for propaganda and reform had not changed; as if such demonstrations were admissable [14]; as if society was constituted by juxtaposition of elements, and not by organic evolution; as if, in order to act on it, one did not have to place oneself at the heart of the collective being, at the very center of power and institutions.
I say this with pain, but I say it with deep conviction and bitter regret: the Societary School, which, through the talented men it has and the means at its disposal, could influence the masses and determine a vast reformist movement; the Societary School, just now overtaken in the career that it itself opened up, is dooming itself through its entanglements, its petty means, its mad opposition to the coming democracy, its sectarian stubbornness; its phalanstery will not exist until it will itself have disappeared under the scalpel of criticism, swept away by a popular hurricane or struck by the anathemas of power: then we will ask what has become of the revelations of Fourier the somnambulist, and we will laugh at the cabalists and the papillons. [15]
453. Les communistes n’ont d’autre tort à mes yeux que de porter un nom sous lequel le monde s’obstine à comprendre des idées et des projets qu’eux-mêmes repoussent : Tantum quod Christiani. Ainsi les communistes se déclarent partisans de la famille[16], du mariage, de la liberté individuelle, et sans doute aussi de la spécialité et de la responsabilité des travailleurs. Or, l’argument perpétuel de leurs adversaires, je devrais peut-être dire de leurs calomniateurs, se réduit à cette négation : « Non, vous ne croyez rien de tout cela, car vous êtes communistes. »
Les Communistes, pour exprimer l’objet de leurs vœux, emploient indifféremment les termes de communauté, d’association, d’organisation, d’égalité : comme moyen de réalisation, ils demandent la réforme électorale et le gouvernement du peuple par le peuple : ce qui les range entièrement parmi les démocrates les plus avancés, et les place sur la ligne même du progrès. Du reste ils dogmatisent peu ; ils proposent modestement leurs vues. Leur méthode est de travailler sur des hypothèses[17]. Ils parlent beaucoup moins de science sociale que les Fouriéristes : mais, sans avoir ni l’érudition, ni la puissance de critique, ni la fixité d’idées de ces derniers, ils sont tout aussi près de la vérité. Ils n’ont pas vu, non plus que les Fouriéristes, que l’inéquivalence des capacités était une anomalie psychologique, un fait de subversion : mais du moins ils n’ont pas fait de cette inéquivalence la condition sine qua non de la communauté. Loin de là, partisans fidèles de l’égalité des fortunes, ils prétendent neutraliser les inconvénients de l’inégalité naturelle, par le précepte du dévouement. C’est dans le même but qu’ils insistent sur le travail fait en commun et les repas publics. Or, de semblables garanties d’égalité et de solidarité leur paraîtront superflues et même fausses, et ils consentiront à se relâcher sur ce point, nous l’espérons, aussitôt qu’ils auront compris l’influence de la théorie sérielle sur l’éducation, les effets de la centralisation du commerce et de l’industrie, et la nécessité de donner, dans le salaire, une sanction à la responsabilité du travailleur.
Les Communistes, pour tout dire, paraissent oublier quelquefois que l’homme ne vit pas seulement de la vie publique, qu’il lui faut encore une vie privée. Du reste, ils ne se réclament de personne ; au contraire, ils en appellent à toutes les traditions, à tous les socialistes passés et présents, ce qui est d’un excellent symptôme : enfin ils se sont placés franchement hors de la sphère religieuse ; en quoi la Phalange, après l’éclatante déclaration de son rédacteur en chef[18], devrait les imiter.
Lors donc que dans cet ouvrage, opposant la communauté à la propriété, nous nous prononçons contre ces deux modes de société simpliste, il est évident que notre critique ne s’adresse pas à des hommes qui cherchent encore leurs formules, et dont les idées sortent de tous les systèmes de communauté connus.
453. The Communists have done no other wrong in my eyes than to bear a name under which the world persists in understanding ideas and projects that they themselves reject: Tantum quod Christiani. Thus the Communists declare themselves partisans of the family [16], of marriage, of individual liberty, and doubtless also of the specialty and the responsibility of the workers. Now, the perpetual argument of their adversaries, I should perhaps say of their slanderers, is reduced to this denial: “No, you don’t believe any of that, because you are communists.”
The Communists, to express the object of their wishes, indiscriminately use the terms community, association, organization, equality: as a means of realization, they demand electoral reform and the government of the people by the people, which ranks them entirely among the most advanced democrats, and places them on the very line of progress. Moreover, they dogmatize little; they modestly offer their views. Their method is to work on hypotheses [17]. They talk much less about social science than the Fourierists, but, without having either the erudition, the power of criticism, or the fixity of ideas of the latter, they are just as close to the truth. They did not see, any more than the Fourierists, that the inequivalence of capacities was a psychological anomaly, a fact of subversion, but at least they did not make this inequivalence the condition sine qua non of the community. Far from it, faithful partisans of the equality of fortunes, they claim to neutralize the disadvantages of natural inequality by the precept of devotion. It is for the same purpose that they insist on labor done in common and on public meals. Now, such guarantees of equality and solidarity will appear to them superfluous and even false, and they will agree to relax on this point, we hope, as soon as they have understood the influence of the serial theory on education, the effects of the centralization of trade and industry, and the need to give, in the wages, a sanction to the responsibility of the worker.
The Communists, to tell the truth, sometimes seem to forget that man does not live by public life alone; that he also needs a private life. For the rest, they align themselves with no one; on the contrary, they appeal to all traditions, to all past and present socialists, which is an excellent symptom: in the end, they have placed themselves frankly outside the religious sphere, in which the Phalange, after the resounding declaration of its editor [18], should imitate them.
So when in this work, opposing community to property, we come out against these two simplistic modes of society, it is obvious that our criticism is not addressed to men who are still looking for their formulas, and whose ideas emerge of all known community systems.
Notes:
1. Cela n’empêche pas l’Économie politique d’avoir aujourd’hui son éclectisme, ressource honteuse des intelligences que la nature a privées d’invention et le respect humain de courage.
2. Les ouvrages d’A. Smith et de J.-B. Say sont pleins de démonstrations par séries. Voyez, par exemple, comment ce dernier prouve, contre les physiocrates, que le commerçant est producteur. Say remarque d’abord que produire c’est, par rapport à l’homme, donner une nouvelle façon à la matière. Ce principe était aussi celui de ses adversaires. Puis il montre que la façon donnée par l’homme se compose d’une multitude d’opérations successives, extraction, labour, récolte, filature, transport, hébergeage, distribution, répartition, etc., etc., etc. ; de sorte que Produire est le nom d’un genre formé d’une multitude d’espèces, parmi lesquelles se trouve nécessairement le commerce. Enfin, substituant dans son équation le travailleur à la fonction, il n’a pas de peine à faire voir que tout homme qui fait un service utile est producteur.
Je saisis d’autant plus volontiers cette occasion de rendre justice aux travaux des économistes, que j’ai été, à mon insu, coupable envers eux d’ingratitude. Frappé tout à la fois de l’évidence des démonstrations économiques, et déconcerté par l’inconséquence des maîtres, que je voyais abandonner leur logique et leurs principes, aussitôt qu’ils touchaient à certaines questions brûlantes, j’eus le tort de rejeter sur la science même les contradictions des auteurs : ne réfléchissant pas que ces contradiction venaient uniquement de ce que les économistes, amis passionnés de la vérité, observateurs scrupuleux et infatigables, n’avaient su réduire en théorie leur propre dialectique.
3. L’auteur oublie une chose essentielle, la division de l’enseignement économique en deux parties, partie critique, et partie orgonique, ou de construction. La première partie a été traitée au grand complet, dans le Système des contradictions économiques. Paris, 1846, 2 vol. in-8. (Note de l’éditeur.)
4. Qu’est-ce que la Propriété ? ch. iv.
5. La monnaie, dit Ricardo, est dans sa condition véritable, lorsqu’elle est à l’état de papier. Oui, mais c’est en tant que ce papier présuppose la monnaie métallique, dont il est la promesse, et par laquelle il s’exprime. Or, à quoi sert de dire qu’on peut se passer d’une chose qui reste toujours et nécessairement sous-entendue ?
Notes for Chapter IV
1. This does not prevent political economy from having its eclecticism today, a shameful resource for intelligences that nature has deprived of invention and human respect for courage.
2. The works of A. Smith and J.-B. Say are full of series demonstrations. See, for example, how the latter proves, against the physiocrats, that the merchant is a producer. Say first remarks that to produce is, in relation to man, to give a new shape to matter. This principle was also that of his adversaries. Then he shows that the way given by man is made up of a multitude of successive operations, — extraction, plowing, harvesting, spinning, transport, lodging, distribution, distribution, etc., etc., etc., — so that Producing is the name of a genus formed of a multitude of species, among which trade is necessarily found. Finally, substituting in his equation the worker for the function, he has no difficulty in showing that every man who does a useful service is a producer.
I take this opportunity all the more willingly to do justice to the work of the economists, as I have been, unwittingly, guilty of ingratitude towards them. Struck at the same time by the evidence of the economic demonstrations, and disconcerted by the inconsistency of the masters, whom I saw abandoning their logic and their principles, as soon as they touched on certain burning questions, I made the mistake of shifting onto the science itself the contradictions of the authors: not reflecting that these contradictions came solely from the fact that the economists, passionate friends of the truth, scrupulous and indefatigable observers, had not been able to reduce their own dialectic to theory.
3. The author forgets one essential thing, the division of economic teaching into two parts, the critical part, and the orgonic or constructive part. The first part has been treated in its entirety, in the System of Economic Contradictions. Paris, 1846, 2 vols. in-8. (Publisher’s note.)
4. What is Property? ch. iv.
5. Money, says Ricardo, is in its true condition, when it is in the state of paper. Yes, but it is insofar as this paper presupposes metallic money, of which it is the promise, and through which it expresses itself. Now, what is the use of saying that one can do without something that remains always and necessarily implied?
6. Sur cette question de la monnaie, il faut avouer que l’auteur est resté ici bien au-dessous de ce qu’il écrivit plus tard dans son Système des contradictions économiques et dans son Organisation du crédit et de la circulation. Paris, in-18, 1848. (Note de l’éditeur.)
7. À cette raison théorique de l’incommensurabilité des produits se joignent encore d’autres considérations.
Les produits de l’homme n’étant qu’une transformation de ceux de la nature, et celle-ci étant partout inégale à elle-même, le degré d’utilité, dans des produits identiques de matière, de destination et de main-d’œuvre, par conséquent la mesure des salaires, dans la société, ne peut se déduire de la comparaison des produits.
D’un autre côté, le travail n’est pas toujours également heureux. Le meilleur ouvrier, le plus sûr de ses procédés, de ses instruments et de sa main, le plus laborieux et le plus zélé, n’atteint pas constamment à la même perfection dans son ouvrage : or, comment évaluer toutes ces différences ? comment surtout séparer les vices du travail d’avec les défectuosités de la nature et les accidents de la production ?
Les économistes ont argumenté de tous ces faits pour en conclure que la valeur est essentiellement variable : ils auraient dû dire seulement que, hors de l’association, la justice distributive est une chimère. Quelles sont donc les lois de l’association ? qu’est-ce qu’organiser le travail ?…
8. Ainsi la décroissance des frais généraux repose à la fois et sur la grandeur de l’entreprise et sur sa spécialité. Le contraire aurait lieu pour une exploitation qui réunirait sous une commune direction des industries différentes. Cette observation est de la plus haute importance pour le problème de l’association et de l’organisation du travail. (Note de l’éditeur.)
9. À Lyon et à Saint-Étienne, les sultans accapareurs de travail et leurs vizirs ont perfectionné l’esclavage des femmes : ils ne les payent plus, ils ne les nourrissent pas, ils ne leur donnent rien ; ils daignent leur accorder de l’ouvrage. Ainsi la femme se prostitue d’abord pour travailler, puis elle travaille pour vivre ! Tout n’est pas dit encore sur la propriété ! Vivre en travaillant ou mourir en combattant, à la bonne heure ; mais travailler en se prostituant, c’est trop.
10. Fourier, nous devons le reconnaître, poursuivait cette idée lorsqu’il composait la série industrielle de groupes rivalisés et contrastés. Il fait voir à cette occasion que deux industries qui se ressemblent sont en rivalité et opposées d’intérêts ; tandis que deux industries qui n’ont rien de commun s’appellent et s’associent. Mais Fourier n’a pas tiré de ces faits les conclusions théoriques qu’ils portent avec eux : préoccupé de son attraction passionnelle, et spéculant à perte de vue sur la cabaliste et la papillonne, il s’est mis à créer des accords et des discords entre les travailleurs, à faire de la musique avec des fonctions industrielles, comme, dans une fête donnée par le roi de Prusse, on vit deux compagnies de grenadiers déguisés en pions exécuter une partie d’échecs au commandement de leurs capitaines. Comme toujours Fourier a gâté par l’étrangeté et la puérilité des détails une observation féconde et lumineuse.
6. On this question of money, it must be admitted that the author remained here well below what he wrote later in his System of Economic Contradictions and in his Organization of Credit and Circulation. Paris, in-18, 1848. (Publisher’s note.)
7. To this theoretical reason for the incommensurability of products are joined still other considerations.
The products of man being only a transformation of those of nature, and the latter being everywhere unequal to itself, the degree of utility, in products identical products in material, destination and labor, consequently the measure of wages, in society, cannot be deduced from the comparison of products.
On the other hand, labor is not always equally fortunate. The best workman, the surest of his processes, of his instruments and of his hands, the most laborious and the most zealous, does not constantly attain the same perfection in his work: now, how are we to evaluate all these differences? Above all, how are we to separate the vices of labor from the defects of nature and the accidents of production?
Economists have argued from all these facts to conclude that value is essentially variable: they should have said only that, outside of association, distributive justice is a chimera. What are the laws of association? What is it to organize labor?…
8. Thus the decrease in general expenses is based both on the size of the company and on its specialty. The opposite would take place for an exploitation that united under a common direction different industries. This observation is of the greatest importance for the problem of association and the organization of labor. (Publisher’s note.)
9. In Lyons and Saint-Étienne, the work-hoarding sultans and their viziers perfected the slavery of women: they no longer pay them, they do not feed them, they give them nothing; they deign to give them work. Thus the woman first prostitutes herself to labor, then she labor to live! Everything is not said yet on the property! Live by working or die fighting, that’s good! But working as a prostitute is too much.
10. Fourier, we must admit, was pursuing this idea when composing the industrial series of rivaling and contrasting groups. He shows on this occasion that two industries that resemble each other are in rivalry and opposed in interests; while two industries that have nothing in common call to one another and associate. But Fourier did not draw from these facts the theoretical conclusions that they carry with them. Preoccupied with his passionate attraction, and speculating as far as the eye can see on the cabalist and the papillon, he set about creating chords and discords between the workers, making music with industrial functions, just as, at a party given by the King of Prussia, two companies of grenadiers disguised as pawns were seen playing a game of chess at the command of their captains. As always, Fourier has spoiled a fruitful and luminous observation by the strangeness and childishness of the details.
11. Sans doute, dans une société livrée à la concurrence, insolidaire et antagoniste, il faut, par des moyens en rapport avec les anomalies sociales, assurer à chacun l’usufruit de son bien, de son génie, de ses études : mais qui ne voit que les priviléges et monopoles que la loi accorde, sous le titre de brevets d’invention ou de perfectionnement, décèlent un vice profond ? Dans l’industrie comme dans la science, la publication d’une découverte est le premier et le plus sacré des devoirs. Lorsque Leibnitz eut inventé le calcul différentiel, y aurait-il eu, je ne dis pas générosité, mais honneur à lui, à se jouer de la faiblesse de ses rivaux en leur envoyant des défis, et leur proposant des problèmes insolubles par les méthodes connues ? Comme les quantités en géométrie croissent par degrés, écrivait à cette occasion Jacques Bernouili à son frère, semblablement tout homme, pourvu du même instrument (le calcul différentiel), aurait trouvé par degrés les mêmes résultats. Toute découverte est une force que la nature, la providence, l’occasion, met aux mains de l’inventeur, non pour son profit particulier, mais pour l’avantage de tous. Combattre à armes égales, fut de tout temps la maxime du vrai soldat : l’égoïsme mercantile pouvait seul la faire oublier.
12. Telle est pourtant la grande iniquité sociale, éternel opprobre de la propriété : Quidquid délirant reges, plectuntur Achivi. Ce qui rend si calamiteux le chômage des manufactures en Angleterre, est l’incapacité absolue où se trouvent tout à coup de prétendus ouvriers, au nombre de quelques centaine de mille, de faire autre chose que l’exercice minuscule auquel on les a dressés comme de jeunes chiens. Ce sont des paillettes détachées d’une broderie et tombées dans un tas d’ordures ; à quoi voulez-vous qu’elles servent ? Mais, malgré leur profonde innocence, ces malheureux n’en portent pas moins tout le fardeau de la responsabilité publique : ce sont eux qui jeûnent pour les lords millionnaires ; eux qui vont tout nus, eux qui ne se chauffent pas ; eux que les hôpitaux, la prison, la force armée déciment ; eux que l’on s’apprête à traquer comme des bêtes fauves, dès que la propriété et l’aristocratie se croiront menacées. Hélas ! ne craignons pas qu’ils révolutionnent l’Angleterre : ils n’en savent pas assez pour faire rendre gorge à leurs sangsues. Quand ils s’empareraient de quelque ville, ils s’enivreraient huit jours, puis ils tomberaient aux pieds des constables.
13. Cette division fondamentale du Droit se trouve déjà indiquée dans le Code (art. 516 à 536), sous les noms de Meubles et Immeubles, qui correspondent assez exactement à la transformation binaire de l’idée de travail en instrument et produit ; capital fixe et capital circulant ; production et consommation, etc.
14. Tant que le célèbre réformateur Owen conduisit par lui-même ses essais communistes, tout réussit à merveille ; dès qu’il les abandonna à leur propre énergie, tout périt. On a conclu de cette expérience qu’il était possible de soutenir une société factice, surtout lorsque le chef valait mieux que le système. (L. Raybaud, Études sur les Réformateurs contemporains.)
15. La prophétie est aujourd’hui pleinement vérifiée. (Note de l’éditeur.)
16. Voir entre autres les numéros du Populaire et de la Fraternité.
17. Dans son Voyage en Icarie, M. Cabet a décrit le bien-être et les mœurs nouvelles qui doivent résulter, selon lui, d’un système fondé sur l’égalité : il n’a pas prétendu faire une analyse scientifique. Le tableau de la vie des Icariens offre bien moins d’agitation que celui d’un phalanstère : il n’y a ni intrigues nouées, ni rivalités contrastées ; c’est le calme et la sérénité de l’Élysée.
11. Without doubt, in a society given over to competition, insolidary and antagonistic, it is necessary, by means in keeping with social anomalies, to ensure to each the usufruct of his property, his genius, his studies, but who does not see that the privileges and monopolies that the law grants, under the title of patents of invention or improvement, reveal a profound defect? In industry as in science, the publication of a discovery is the first and most sacred of duties. When Leibnitz had invented the differential calculus, would there have been, I do not say generosity, but honor to him, to play with the weakness of his rivals by sending them challenges, and proposing to them problems insoluble by known methods? As the quantities in geometry increase by degrees, Jacques Bernouili wrote on this occasion to his brother, similarly any man, provided with the same instrument (the differential calculus), would have found by degrees the same results. Every discovery is a force that nature, providence, opportunity, places in the hands of the inventor, not for his private profit, but for the advantage of all. To fight on equal terms has always been the maxim of the true soldier: mercantile selfishness alone could cause it to be forgotten.
12. Such is however the great social iniquity, eternal reproach of property: Quidquid delirious reges, plectuntur Achivi. What makes the unemployment of manufactures in England so calamitous is the absolute inability suddenly found by so-called workmen, to the number of a few hundred thousand, to do anything but the miniscule exercise to which they have been trained like young dogs. They are sequins detached from an embroidery and fallen into a heap of rubbish; what do you want them to be used for? But, despite their profound innocence, these wretches nevertheless bear the whole burden of public responsibility: they are the ones who fast for the millionaire lords; those who go about naked, those who do not warm themselves; those whom the hospitals, the prison, the armed force decimate; those that are about to be hunted down like wild beasts as soon as property and the aristocracy believe they are threatened. Alas! Let us not fear that they will revolutionize England: they do not know enough to make their leeches give up their throats. When they took possession of any city, they would get drunk for a week, then they would fall at the feet of the constables.
13. This fundamental division of the Law is already indicated in the Code (art. 516 to 536), under the names of Moveables and Immoveables, which correspond quite exactly to the binary transformation of the idea of work into instrument and product; fixed capital and circulating capital; production and consumption, etc.
14. As long as the famous reformer Owen conducted his communist attempts on his own, everything was successful; as soon as he abandons them to their own energy, everything perishes. It was concluded from this experience that it was possible to support a fake society, especially when the leader was better than the system. (L. Reybaud, Études sur les Réformateurs contemporains.)
15. The prophecy is now fully verified. (Publisher’s note.)
16. See among others the issues of Le Populaire and La Fraternité.
17. In his Voyage en Icarie, M. Cabet described the well-being and the new mores that, according to him, must result from a system based on equality: he did not claim to make a scientific analysis. The picture of the life of the Icarians offers much less agitation than that of a phalanstery: there are neither knotted intrigues, nor contrasting rivalries; it is the calm and serenity of the Élysée.
18. Faite à l’Hôtel de Ville, décembre 1835.
⁂
Au moment de livrer cette feuille à l’impression, je reçois une publicacation nouvelle de l’école sociétaire : Ch. Fourier, sa vie et sa théorie, par Ch. Pellarin. Cet ouvrage, expression du culte voué à Fourier par ses disciples, a pour objet de montrer le réformateur bisontin tel qu’il fut ; j’ose dire que l’auteur a réussi au delà de ses espérances. Bien loin que la fidèle et véridique histoire de M. Pellarin ajoute à la religion des peuples, elle donnera la mesure du maître ; et cette figure de Fourier, que l’on s’efforce de rendre gigantesque, vue de près restera amoindrie dans l’opinion.
Voici le résultat signalétique des faits et documents rapportés par M. Pellarin, sur l’auteur du Monde Industriel.
FOURIER
Caractères phrénologiques. Crâne très-épais et presque éburné ; diamètre antéro-postérieur, dans œuvre, 149 millimètres (5 po. 2 lig.) ; diamètre temporal, 116 millimètres (4 po. 3 lig.) : circonférence, environ 420 millimètres (15 à 16 po.) Ces dimensions indiquent un développement cérébral médiocre. Le procès-verbal d’autopsie se tait sur le poids et les anfractuosités du cerveau.
Vie privée. Bon sens, probité, modestie, bienveillance, délicatesse, rares ; caractère ferme, jusqu’à l’obstination.
Spéculation. Esprit monoïque, ou, comme disait Fourier lui-même, solitone ; idées fixes, exclusives, mystiques.
Impuissance radicale à changer de point de vue, à tourner une idée, à faire jaillir la vérité du préjugé ; génie inflexible.
Inintelligence absolue du progrès. L’Humanité qui, selon Lessing, s’élève incessamment à l’ordre en suivant la route tracée par la Providence ; l’Humanité, selon Fourier, se fourvoie depuis la période d’édénisme ; toutes les révolutions sont des écarts ; toutes les formules politiques de déplorables erreurs ; tout le passé de la civilisation un long mensonge.
Défaut complet de méthode, dialectique à peu près nulle, ignorance flagrante de ses propres découvertes. Fourier annonçant une Théorie de l’unité universelle, prouve par là même qu’il méconnaît l’indépendance essentielle des différents ordres de séries ; — Fourier protestant de son respect pour la propriété, repoussant de toutes ses forces l’imputation d’égalitaire, maudissant la république, tandis que son système est la substitution de la propriété collective à la propriété individuelle ; tandis que la série de groupes contrastés repose sur l’équivalence des fonctions, laquelle s’exprime par l’égalité du salaire, toutes choses qui détruisent le principe d’autorité et de hiérarchie, Fourier nous montre à nu l’incohérence de ses idées, l’incorrection de ses formules, la faiblesse de sa faculté réflexive ; Fourier, enfin, rejetant sans examen les écrits des philosophes, dédaignant la tradition, rompant avec la société, oubliant que son système, quel qu’il fût, ne pouvait être que la synopse théorétique des idées acquises, augmentées de quelques corollaires, Fourier, sur l’autel où il croit immoler la civilisation, se sacrifie de ses propres mains.
Il est temps, je le répète, que les phalanstériens, s’ils veulent servir le progrès, changent de tactique, de méthode, je dirais presque de nom ; qu’ils s’attachent davantage à l’esprit inconsciencieux de Fourier, et un peu moins à sa lettre; qu’au lieu de revendiquer comme venant d’eux seuls les idées socialistes actuellement en circulation, ils en cherchent plus haut l’origine, et, sans déguiser jamais la vérité, se mettent à l’unisson du mouvement; qu’enfin, hommes de science exacte qu’ils sont presque tous, ils se montrent moins crédules aux mysticités de leur patron, et s’abstiennent de proclamer la science sociale trouvée alors qu’elle n’existe pas. Car tôt ou tard l’Égalité, contre laquelle ils luttent avec si peu d’intelligence, ayant ses journaux, ses écrivains, ses propagateurs, se trouvera en face de cette marionnette qu’on appelle Fourier : et l’on verra.
18. Made at the Hôtel de Ville, December 1835.
⁂
At the time of delivering this sheet to the press, I received a new publication from the societary school: Ch. Fourier, sa vie et sa théorie, by Ch Pellarin. This work, an expression of the worship devoted to Fourier by his disciples, aims to show the Besançon reformer as he was. I dare say that the author succeeded beyond his expectations. Far from the faithful and truthful history of M. Pellarin adding to the religion of the people, it will give the measure of the master; and this figure of Fourier, which we strive to make gigantic, seen up close, will remain diminished in public opinion.
Here is the descriptive result of the facts and documents reported by Mr. Pellarin, on the author of Le Monde Industriel.
FOURIER
Phrenological characters. Very thick and almost eburnated skull; antero-posterior diameter, in work, 149 millimeters (5 in. 2 lig.); temporal diameter, 116 millimeters (4 in. 3 lg.): circumference, about 420 millimeters (15 to 16 in.) These dimensions indicate poor brain development. The autopsy report is silent on the weight and the crevices of the brain.
Private life. Common sense, probity, modesty, benevolence, delicacy, rare; firm character, even stubbornness.
Speculation. Monoic spirit, or, as Fourier himself said, solitone; fixed, exclusive, mystical ideas.
Radical impotence to change one’s point of view, to turn an idea, to bring out the truth from prejudice; inflexible genius.
Absolute lack of understanding of progress. Humanity which, according to Lessing, rises incessantly to order by following the road traced by Providence; Humanity, according to Fourier, has gone astray since the period of Edenism; all revolutions are deviations; all the political formulas of deplorable errors; the whole past of civilization a long lie.
Complete lack of method, almost zero dialectic, flagrant ignorance of his own discoveries. Fourier announcing a Théorie de l’unité universelle, thereby proves that he misunderstands the essential independence of the different orders of series; — Fourier protesting his respect for property, rejecting with all his might the imputation of egalitarianism, cursing the republic, while his system is the substitution of collective property for individual property; while the series of contrasting groups rests on the equivalence of functions, which is expressed by equality of wages, all things that destroy the principle of authority and hierarchy, Fourier shows us naked the incoherence of his ideas, the incorrectness of his formulas, the weakness of his reflective faculty; Fourier, finally, rejecting without examination the writings of philosophers, disdaining tradition, breaking with society, forgetting that his system, whatever it was, could only be the theoretical synopsis of acquired ideas, augmented by a few corollaries, Fourier, on the altar where he believes to immolate civilization, sacrifices himself with his own hands.
It is time, I repeat, that the phalansterians, if they want to serve progress, change tactics, method, I would almost say name; that they cling more to the unconscientious spirit of Fourier, and a little less to his letter; that instead of claiming as coming from them alone the socialist ideas currently in circulation, they seek their origin higher, and, without ever disguising the truth, put themselves in unison with the movement; that finally, men of exact science that they almost all are, they show themselves less credulous to the mystic qualities of their patron, and abstain from proclaiming the social science found when it does not exist. For sooner or later Equality, against which they struggle with so little intelligence, having its journals, its writers, its propagators, will find itself face to face with this puppet called Fourier: and we shall see.