OF THE
CREATION OF ORDER
IN HUMANITY
OR
PRINCIPLES OF POLITICAL ORGANIZATION
BY
[These draft translations are part of on ongoing effort to translate both editions of Proudhon’s Justice in the Revolution and in the Church into English, together with some related works, as the first step toward establishing an edition of Proudhon’s works in English. They are very much a first step, as there are lots of decisions about how best to render the texts which can only be answered in the course of the translation process. It seems important to share the work as it is completed, even in rough form, but the drafts are not suitable for scholarly work or publication elsewhere in their present state. — Shawn P. Wilbur, translator]
— CHAPTER II —
CHAPITRE III
LA MÉTAPHYSIQUE [1]
À M. Bergmann
Professeur de littérature étrangère à l’Université de Strasbourg [2]
Ami,
C’est à toi que je dédie cet essai. C’est toi dont l’exemple et les conseils m’avertirent autrefois que, sans la science, la philosophie est l’ombre de la raison. Apprends quelque chose, disais-tu, et puis tu philosopheras.
J’ai répudié la philosophie ; mais que diras-tu, Ami, en apprenant que du même coup j’ai nié aussi la religion ? Toi, dont l’âme aimante et pure, dont l’esprit constamment élevé à Dieu rapporte à une religion sublime tout sentiment, toute action, toute pensée ? ne craindras-tu pas pour la société, pour la science elle-même, les conséquences de cette négation effrayante ? Quelle sanction nouvelle allons-nous donnera la morale ? quel but à la pensée ? quelle espérance au cœur ? Et qui suis-je, d’ailleurs, pour parler au nom de la science ?
Il faut que je l’avoue en ce moment solennel : ce qui m’inquiète est moins l’incertitude de ma route que le sentiment profond de ma faiblesse ; les distractions de ma vie, et le malheur d’une éducation toute philosophique et religieuse ne m’ont presque permis de rien apprendre. Ce n’est pas le dessin, ce sont les matériaux qui me manquent pour la réédification. Tout ce que je sais, je le dois au désespoir ; la fortune m’ôtant le moyen d’acquérir, je voulus un jour, des lambeaux ramassés pendant mes courtes études, me créer une science à moi seul[3]. Puisses-tu, Ami, accueillir ce fruit de mon indigence ! Puisses-tu y trouver quelqu’une de ces indications précieuses, que la sagesse elle-même a souvent dues à un heureux instinct ! Puissent aussi les maîtres de la science, en voyant ce qu’a fait de rien un aventurier de la libre pensée, sourire à mon audace, suppléer mes manquements, et, convertissant cet étroit sentier en route royale, achever dignement une tâche laborieusement commencée.
Tu es heureux, mon cher Bergmann : tu interroges en trente idiomes la raison humaine ; tu suis, dans les formes merveilleuses du langage, les lois de la pensée ; la science de la parole ne te cache aucun secret. L’amitié, les joies de l’amour et de la famille embellissent tes nobles travaux. Aimer, savoir ! quel destin pour un mortel ! c’est le tien, mon cher Bergmann ; ce sera un jour celui de tous tes frères.
CHAPTER III
METAPHYSICS [1]
To M. Bergmann
Professor of foreign literature at the University of Strasbourg [2]
Friend,
It is to you that I dedicate this essay. It is you whose example and advice once warned me that, without science, philosophy is the shadow of reason. Learn something, you said, and then you will philosophize.
I have repudiated philosophy; but what will you say, Friend, when you learn that at the same time I also denied religion? You, whose loving and pure soul, whose spirit constantly raised to God, relates all feeling, all action, all thought back to a sublime religion? Will you not fear for society, for science itself, the consequences of this frightful negation? What new sanction are we going to give morals? What purpose will we give to thought? What hope to the heart? And who am I, anyway, to speak in the name of science?
I must admit it at this solemn moment: what worries me is less the uncertainty of my route than the deep feeling of my weakness; the distractions of my life, and the misfortune of an entirely philosophical and religious education have hardly allowed me to learn anything. It’s not the design, it’s the materials that I lack for the reconstruction. All I know I owe to despair; fortune depriving me of the means of acquiring, I want one day, from shreds picked up during my short studies, to create a science by myself alone. [3] May you, Friend, welcome this fruit of my poverty! May you find there some of those precious indications that wisdom itself has often due to a happy instinct! May also the masters of science, seeing what an adventurer of free thought has made of nothing, smile at my audacity, make up for my shortcomings, and, converting this narrow path into a royal road, complete with dignity a laboriously begun task.
You are fortunate, my dear Bergmann: you question human reason in thirty idioms; you follow, in the marvelous forms of language, the laws of thought; the science of speech holds no secrets for you. Friendship, the joys of love and family embellish your noble works. To love, to know! What a fate for a mortal! it is yours, my dear Bergmann; it will one day be that of all your brothers.
§ I — Faits communs à toutes les sciences.
151. Rappelons en quelques lignes ce que nous avons exposé aux deux premiers chapitres
La conscience, au premier moment de son activité, s’absorbe et s’immobilise dans la nature, s’identifie avec elle, cherche à la pénétrer, à la saisir dans son essence, et, contemplant à la fois substances, causes et rapports, fait de l’univers un tout animé, divin, dont elle explique l’organisme par des comparaisons et des symboles. En tant que dogmatique, la religion doit s’éteindre ; quant au sentiment inné, qui donne lieu à la pensée religieuse, tout porte à croire qu’il recevra plus tard un autre mode d’exercice, une nouvelle manifestation.
§ I — Facts common to all the sciences.
151. Let us recall in a few lines what we explained in the first two chapters.
Consciousness, at the first moment of its activity, is absorbed and immobilized in nature, identifies itself with it, seeks to penetrate it, to grasp it in its essence, and, contemplating at the same time substances, causes and relations, makes the universe an animated, divine whole, whose organism it explains by comparisons and symbols. As a dogmatic form, religion must die out; as for the innate feeling, which gives rise to religious thought, everything leads us to believe that it will later receive another mode of exercise, a new manifestation.
152. Sollicitée, irritée par le dogme religieux, fatiguée du surnaturel et de l’incompréhensible, bientôt la raison s’éveille et veut se rendre compte : elle ne nie pas d’abord le dogme, elle demande à l’interpréter, afin, dit-elle, de s’assurer elle-même, et de ne pas s’égarer dans la foi. Prétexte impie ! L’exégèse enfante la diversité des opinions, traînant à sa suite le schisme, l’hérésie, la révolte directe et avouée [4].
« Le vrai moment du drame, pour les peuples comme pour les individus, est celui où, discutant pour la première fois leurs croyances, ils se débattent, au sein du dieu de leurs pères, entre la foi et le doute : l’âme, réveillée en sursaut au milieu de la foi, s’efforce tout ensemble de la perdre et de la ressaisir [5]. »
152. Urged, irritated by religious dogma, tired of the supernatural and the incomprehensible, reason soon awakens and wants to realize itself: it does not at first deny dogma; it asks to interpret it, in order, it says, to reassure itself, and not to go astray in faith. Impious excuse! Exegesis gives birth to the diversity of opinions, dragging in its wake schism, heresy, direct and avowed revolt. [4]
“The real moment of the drama, for peoples as for individuals, is when, discussing their beliefs for the first time, they struggle, in the presence of the god of their fathers, between faith and doubt: the soul, awakened with a start in the midst of faith, strives at once to lose it and to recapture it.” [5]
153. La philosophie, soit qu’elle affirme, soit qu’elle nie l’existence des dieux et la substantialité de l’âme, est, comme la religion, d’abord panthéiste. À la substance infinie, toute vivante, omniforme, au grand Pan, elle substitue, un moteur universel, une cause plastique qui informe la substance inerte, donne l’impulsion aux éléments, et allume la vie. Puis s’élevant rapidement à quelques formules générales, le plus souvent hypothétiques, auxquelles elle attribue une profondeur et une efficacité qu’elles n’ont pas, elle se flatte de réunir dans sa main les fils de ce vaste organisme. Enfin, son langage, sa grammaire, son analyse, se composant sur son point de départ, elle invente une machine à démonstrations, machine perfide qui, après avoir produit des myriades d’opinions contradictoires, abîme la philosophie dans le doute.
153. Philosophy, whether it affirms or denies the existence of the gods and the substantiality of the soul, is, like religion, primarily pantheistic. For the infinite, all-living, omniform substance, for the great Pan, it substitutes a universal motor, a plastic cause that informs the inert substance, gives impetus to the elements, and kindles life. Then rising rapidly to a few general formulas, most often hypothetical, to which it attributes a depth and an effectiveness that they do not have, it flatters itself to unite in its hand the threads of this vast organism. Finally, its language, its grammar, its analysis, being composed on its starting point, it invents a demonstration machine, a perfidious machine which, after having produced myriads of contradictory opinions, sinks philosophy into doubt.
154. Tandis que l’esprit, infatué de religion et de philosophie, poursuit ses chimères de révélation, et bâtit de fantastiques systèmes, une révolution secrète s’opère dans la connaissance humaine, presque à l’insu de la raison. Parmi tant d’imaginations et de fables, toujours quelque vérité naturelle se laisse prendre à l’esprit de l’homme, toujours quelques observations se recueillent, ne fût-ce que pour servir d’exemples aux aphorismes et de matière aux apologues. Peu à peu les observations se groupent ; des rapports sont constatés, des suites formées ; mais, comme si ces vérités profanes et triviales étaient indignes de leur haute pensée, le prêtre et le philosophe les abandonnent au vulgaire ignorant, comme une pratique brute et grossière. Semblable à l’auteur du christianisme, la science grandit dans l’obscurité et le dédain.
154. While the mind, infatuated with religion and philosophy, pursues its chimeras of revelation, and constructs fantastic systems, a secret revolution is taking place in human knowledge, almost unknown to reason. Amid so many imaginations and fables, some natural truth always allows itself to be caught up in the mind of man, some observations are always collected, were it only to serve as examples for aphorisms and material for apologues. Little by little the observations are grouped together; relationships are noted, sequences formed; but, as if these profane and trivial truths were unworthy of their lofty thought, the priest and the philosopher abandon them to the ignorant vulgar, as a crude and coarse practice. Like the originator of Christianity, science grows in obscurity and disdain.
155. S’il est une vérité constante et démontrée en philosophie, c’est que toute science spécialisée et constituée n’est plus de son domaine ; à mesure que la connaissance, en déterminant son objet, s’élève à la certitude, elle cesse d’être philosophique. Longtemps les philosophes sont à reconnaître ce mouvement, et quand enfin ils l’aperçoivent, ils s’écrient que la philosophie aussi est science ; qu’elle a ses limites, son objet, sa méthode ; que c’est précisément ce qu’elle cherche, et qu’il n’est pas juste de rire parce qu’elle ne l’a pas encore trouvé. Alors ils entreprennent sur eux-mêmes un travail de comparaison, d’élimination et de synthèse, qui doit aboutir, selon les uns, à la science universelle ; selon les autres, à la spécialité philosophique, et qui se résout, ainsi que nous l’avons fait voir, dans la recherche d’une méthode.
Enfant de la religion, héritier de la philosophie, c’est cette méthode que j’essaye de décrire.
155. If there is a constant and demonstrated truth in philosophy, it is that any specialized and constituted science is no longer within its domain; in proportion as knowledge, by determining its object, rises to certainty, it ceases to be philosophical. For a long time philosophers have recognized this movement, and when at last they perceive it, they exclaim that philosophy too is science; that it has its limits, its object, its method; that this is precisely what it is looking for, and that it is not fair to laugh because it hasn’t found it yet. So they undertake on themselves a work of comparison, elimination and synthesis, which must lead, according to some, to universal science; according to others, to the philosophical specialty, which is resolved, as we have shown, in the search for a method.
Child of religion, heir of philosophy, it is this method that I am trying to describe.
156. Dégager des sciences existantes ce qu’elles renferment de commun, c’est par là même découvrir ce qui fait leur certitude à toutes, leur caractère d’absolu ; c’est mettre en évidence la loi de la nature, la logique de Dieu même.
Or, comme il est probable que ni Dieu ni la nature ne se contredisent, on peut présumer qu’il n’est, pour les sciences à créer, d’autre procédé général que celui des sciences déjà constituées : par exemple, que les choses de la politique et de la morale sont soumises aux mêmes lois de création et de développement, par conséquent à la même méthode de démonstration que la physique et la zoologie.
Cette présomption serait une vérité si, de la comparaison de quelques-unes des sciences, il résultait que la nature, infiniment variée dans ses moyens, ses applications et ses nuances, n’a réellement qu’une loi, une méthode, et ne peut en avoir qu’une. Dès lors, il suffirait, pour constituer une science, de rechercher quel en est l’objet spécial ; puis, comme conséquence de cette découverte, quel est le mode particulier d’application de la loi générale qu’il suppose.
Telle est donc notre première question :
Quel est le fait commun et fondamental des sciences constituées, soit par rapport à leur objet, soit, ce qui revient au même, par rapport à leur méthode ?
Que le lecteur veuille bien me suivre dans les détails où je suis obligé d’entrer : j’ai besoin, pour me faire entendre, de ces longues énumérations.
156. To extract from the existing sciences what they contain in common is thereby to discover what makes them all certain, their absolute character; it is to highlight the law of nature, the logic of God himself.
Now, as it is probable that neither God nor nature contradict each other, one can presume that there is, for the sciences to be created, no other general process than that of the sciences already constituted: for example, that things of politics and morality are subject to the same laws of creation and development, consequently to the same method of demonstration, as physics and zoology.
This presumption would be a truth if, from the comparison of some of the sciences, it resulted that nature, infinitely varied in its means, its applications and its nuances, really has only one law, one method, and can only have one. From then on, it would suffice, to constitute a science, to seek what is its special object; then, as a consequence of this discovery, what is the particular mode of application of the general law that it supposes.
So this is our first question:
What is the common and fundamental fact of the constituted sciences, either in relation to their object, or, what amounts to the same thing, in relation to their method?
Let the reader please follow me in the details into which I am obliged to enter: I need, to make myself understood, these long enumerations.
157. L’une des sciences les plus anciennement constituées, au moins dans ses principes, est l’arithmétique.
Si je conçois la quantité sous l’image d’une ligne (je pourrais dire aussi bien d’une surface, d’une sphère, cela ne changerait rien à l’hypothèse) prolongée à l’infini, cette ligne, symbole de l’infini, m’est aussi obscure, aussi inappréciable que l’infini qu’elle représente.
Mais, si je conçois, à la place de cette ligne continue, une suite de points également prolongée à l’infini : j’aurai une idée nouvelle, l’idée de nombre ; car qui dit nombre, dit nécessairement pluralité, division. Le nombre est donc la quantité divisée ou différenciée à l’infini. Mais le nombre, d’après cette notion générale, n’offre encore à l’esprit qu’une idée vague et peu appréciable ; ce n’est plus le chaos, indigesta moles, c’est encore la confusion.
Supposons maintenant cette suite de points divisée et sous-divisée par tranches égales, comme les échelles qu’on voit sur les cartes de géographie, ou comme la chaîne des arpenteurs : il y aura, dans cette suite indéfinie, des termes de comparaison, des espèces et des genres, dont le degré, s’élevant toujours, permettra d’embrasser par la pensée cette masse quantitative, auparavant uniforme, identique, et par là même incalculable. Telle est la numération parlée, système de genres et d’espèces, qui, avec un petit nombre d’expressions, permet de nommer toutes les quantités numériques possibles.
La numération écrite est imitée et perfectionnée de celle-là : au lieu de représenter les nombres par une suite de points échelonnés, on les a réunis par groupes de un, deux, trois, etc., jusqu’à neuf ; puis, représentant chacun de ces groupes par un signe particulier, appelé chiffre, on est convenu que tout chiffre écrit à la gauche d’un autre représenterait des unités d’un genre dix fois plus grand. Toutes les opérations de l’arithmétique consistent à comparer des genres et des espèces ; à descendre ou remonter des uns aux autres ; à former ceux-là de celles-ci, ou à retrouver celles-ci dans ceux-là.
Ainsi : 1o division de la quantité ou de l’objet arithmétique, première condition d’existence de la science ;
2o Distinction par groupes de la quantité divisée ; deuxième condition d’existence.
Je reviendrai bientôt sur les propriétés métaphysiques de cette loi.
157. One of the most anciently constituted sciences, at least in its principles, is arithmetic.
If I conceive of quantity under the image of a line (I could also say of a surface, of a sphere, that would not change the hypothesis) extended to infinity, this line, symbol of infinity, is as obscure to me, as unappreciable as the infinity it represents.
But, if I conceive, in place of this continuous line, a series of points also extended to infinity: I shall have a new idea, the idea of number; for whoever says number, necessarily says plurality, division. Number is therefore quantity divided or differentiated ad infinitum. But the number, according to this general notion, only offers to the mind a vague and little appreciable idea; it is no longer chaos, indigesta moles, but it is still confusion.
Suppose now this series of points divided and subdivided into equal slices, like the scales one sees on geographical maps, or like the chain of the surveyors: there will be, in this indefinite series, terms of comparison, species and genera, the degree of which, ever increasing, will make it possible to embrace in thought this quantitative mass, previously uniform, identical, and thereby incalculable. Such is spoken numeration, a system of genera and species which, with a small number of expressions, makes it possible to name all possible numerical quantities.
Written numeration is imitated and perfected from this: instead of representing the numbers by a series of staggered dots, they have been united in groups of one, two, three, etc., up to nine; then, representing each of these groups by a particular sign, called a cipher, it was agreed that any cipher written to the left of another would represent units of a genus ten times greater . All the operations of arithmetic consist in comparing genera and species; to descend or ascend from one to the other; to form these from those, or to find those in these.
Thus: 1. division of the quantity or of the arithmetic object, the first condition of existence of the science;
2. Distinction by groups of the divided quantity; second condition of existence.
I will soon return to the metaphysical properties of this law.
158. Lorsque j’emploie le mot Division pour exprimer la première condition de possibilité d’une science, je n’entends rien préjuger sur l’état originel de l’univers et sur la manière dont les êtres particuliers ont été formés : il est possible que ce que je nomme division soit une répétition, un redoublement à l’infini, une multiplication sans fin de l’atome primordial, de la molécule organique, de l’unité génératrice. Les anciens philosophes regardaient tous les nombres comme engendrés par l’unité ; parmi les modernes, quelques-uns représentent la création comme une fulguration infinie de la substance divine, une vibration en tous sens de l’Un, de l’Identique, de l’Absolu. On sent qu’il en est de ceci comme de l’attraction, à laquelle on a essayé de substituer la répulsion ou l’expansion, et cela sans la moindre utilité pour la science, puisque l’explication des phénomènes, prise à l’inverse, était la même au fond. Sans remonter jusqu’à la création, je suppose l’univers au premier moment comme une masse compacte, indistincte, non différenciée, indivise, identique ; et je me sers du mot division pour désigner le premier moment cosmogonique, à peu près comme la Genèse se sert du terme Séparation.
158. When I use the word Division to express the first condition of possibility of a science, I do not mean to prejudge anything about the original state of the universe and about the way in which particular beings were formed: it is possible that what I call division is a repetition, an infinite doubling, an endless multiplication of the primordial atom, of the organic molecule, of the generating unit. The ancient philosophers regarded all numbers as generated by unity; among the moderns, some represent creation as an infinite fulguration of the divine substance, a vibration in all directions of the One, of the Identical, of the Absolute. We feel that this is like attraction, for which we have tried to substitute repulsion or expansion, and that without the slightest use for science, since the explanation of phenomena, taken in reverse, was basically the same. Without going back to creation, I suppose the universe in its first moment as a compact, indistinct, undifferentiated, undivided, identical mass; and I use the word division to designate the first cosmogonic moment, much as Genesis uses the term Separation.
159. La Géométrie considère plus spécialement la quantité sous le rapport de l’étendue et de la forme. Or, que fait le géomètre ? D’abord, il divise la grandeur qu’il doit mesurer, ligne, surface ou volume, en la jalonnant et y marquant des points de rappel et de reconnaissance : puis, à l’aide de ces signaux, il forme des sections linéaires, superficielles ou solides, d’une construction régulière et symétrique, angles, cercles, polygones, polyèdres, cônes, sphères, cylindres, etc., susceptibles de se décomposer les uns dans les autres, et dont les propriétés élémentaires, c’est-à-dire les lois de classification et de symétrie, lui permettent de calculer toute étendue, quelque irrégulière qu’en soit la figure.
C’est par une suite d’opérations ainsi conçues qu’on a mesuré l’arc du méridien de Dunkerque aux îles Baléares, que l’on détermine la position des villes, villages, et de tous les points du globe ; que l’on prend la hauteur des montagnes, etc.
Ainsi, division et groupes, réduction de toutes les figures imaginables à des figures ou groupes élémentaires réguliers, par voie d’analyse et de classement : c’est encore toute la géométrie[6].
159. Geometry considers more especially quantity in relation to extent and form. Now, what does the surveyor do? First, he divides the quantity he has to measure, line, surface or volume, by staking it out and marking points of recall and recognition on it: then, with the help of these signals, he forms linear sections, superficial or solid, of a regular and symmetrical construction, angles, circles, polygons, polyhedrons, cones, spheres, cylinders, etc., capable of being decomposed into each other, and whose elementary properties, that is, the laws of classification and symmetry allow him to calculate any extent, however irregular the figure.
It is by a series of operations thus conceived that we have measured the arc of the meridian from Dunkirk to the Balearic Islands, that we determine the position of towns, villages, and of all the points of the globe; that one determines the height of the mountains, etc.
Thus, division and groups, reduction of all imaginable figures to regular elementary figures or groups, by way of analysis and classification: this is still all geometry [6] .
160. L’Astronomie, en tant qu’application de la géométrie et de la mécanique, ne présente rien de particulier : mais ce que nous ne pouvons passer sous silence, c’est que le but de ces lois merveilleuses, dont la découverte a suffi pour illustrer Kepler, Newton, Laplace, est de différencier le mouvement des corps célestes par des alternances et des groupes d’alternances, des coïncidences, des oscillations et des retours, et de faire régner partout une symétrie admirable. La planète, au lieu de recevoir, immobile au milieu de l’espace, la lumière de quatre, de huit ou de douze soleils à la fois, présente successivement ses pôles et ses méridiens à un astre central, autour duquel elle est emportée par une force composée d’attraction et de répulsion. Et ce grand fait de la division et de la périodicité de l’illumination planétaire gouverne tous les êtres qui, à la surface de la planète, s’agitent entre la vie et la mort.
160. Astronomy, as an application of geometry and mechanics, presents nothing particular: but what we cannot pass over in silence is that the object of these marvelous laws, the discovery of which sufficed to illustrate Kepler, Newton, Laplace, is to differentiate the movement of the celestial bodies by alternations and groups of alternations, coincidences, oscillations and returns, and to cause an admirable symmetry to reign everywhere. The planet, instead of receiving, motionless in the middle of space, the light of four, eight or twelve suns at the same time, successively presents its poles and its meridians to a central star, around which it is carried by a force composed of attraction and repulsion. And this great fact of division and periodicity of planetary illumination governs all beings who, on the surface of the planet, agitate between life and death.
161. La Physique et la Chimie ne nous offrent encore, dans une division, poussée à l’infini, de la substance, de la force et de la forme, que des collections, des groupes, des progressions, des équivalences, des combinaisons mathématiques singulières. La lumière, ce corps si pur que nous l’avons pris pour symbole de la vérité, est un groupe formé des sept couleurs : l’échelle musicale se compose également de sept tons, cinq pleins et deux fractionnaires. Frappez un corps sonore, et vous produisez une suite de vibrations isochrones, semblable à un mouvement de va-et-vient précipité. — Or, bien que nous ne puissions dire la cause première de cette division des tons et des couleurs par sept, il n’en est pas moins vrai que sans elle nous connaîtrions à peine la lumière, et que la musique serait impossible.
Depuis que les travaux d’une foule de savants infatigables sont venus se classer en un vaste système de genres et d’espèces, entre les mains de Lavoisier, on peut dire que la Chimie a commencé d’exister. Et toutes ces théories d’équivalences et de substitutions, d’isomorphisme et de dimorphisme, ces magnifiques lois de proportions, qu’expriment-elles, sinon des séries atomiques, équilibrées, proportionnelles, progressives, et se transformant l’une dans l’autre ? …
162. Dans le règne animal, tout est genre et espèce, différenciation, progression et série. Non-seulement les animaux ont été distribués par la nature en groupes tantôt subordonnés, tantôt parallèles ; mais, dans leur organisation intime, ils suivent encore la même loi. La colonne qui soutient, comme un temple, l’édifice animal, est vertébrée ; les parois qui défendent les organes nobles, sont formées de côtes ; la circulation obéit aux battements mesurés du cœur ; les dents, les plumes, les nageoires, les pieds, les doigts, les yeux, suivent, selon le genre et l’espèce, des proportions de nombre, de dimension et de position, admirables dans leur variété et leur série. Pourquoi, au lieu d’un voile membraneux, la nature a-t-elle donné à la femme ces milliers de longs cheveux, d’autant plus gracieux à la vue qu’ils sont plus ondulés, et s’éloignent davantage de la forme rectiligne ? Pourquoi, au lieu d’une couche de graisse ou de gomme, a-t-elle revêtu les fauves d’une fourrure de poils courts et serrés ? Pourquoi, tandis que la tortue est emprisonnée dans sa cuirasse faite d’une seule pièce, ces écailles dans le poisson, ces anneaux chez le serpent ?
Force, vitesse, beauté résultent exclusivement chez l’animal de la division des pièces organiques et de leur agencement par groupes symétriques. Comme si la densité absolue et la continuité étaient cause de faiblesse[7], la nature a construit les organes les plus robustes de mailles d’une ténuité et d’une délicatesse extrêmes. Examinez au microscope cette peau, ces os, ces tendons, ces cartilages, ces muscles, ces nerfs, ces vaisseaux, où vous ne voyez rien que de massif et de continu, et vous les trouverez formés de fibres juxtaposées, croisées, obliques ou perpendiculaires les unes aux autres, et dont les intervalles trop rapprochés pour vos yeux grossiers vous dérobent l’ingénieux artifice. Ajoutons que la locomotion s’accomplit chez tous par la division régulière de l’espace. Le phénomène est sensible chez l’homme et les quadrupèdes ; mais voyez l’oiseau planant dans les airs, le poisson immobile contre le courant : les ailes de l’un et les nageoires de l’autre vous semblent immobiles ; mais un frémissement imperceptible les agite et soutient l’animal.
163. Si des animaux nous passons aux plantes, nous retrouvons partout la même loi : division et groupe, ou série. Voyez ces tiges articulées, ces feuilles alternées, opposées, dentelées, découpées, bosselées, etc. ; ces fleurs si admirablement symétrisées ; ces gousses, ces gaînes, ces sacs à compartiments ; cette distribution d’organes génitaux si étonnamment variée qu’elle a suffi pour classer tout le règne. Mais il faudrait recommencer le tableau de l’univers, et j’aime mieux laisser ce travail aux naturalistes. Disons seulement que la gloire des grands hommes a toujours consisté à découvrir la loi des divisions, des groupes et des séries ; et que les Cuvier, les Bichat, les Linnée, les de Jussieu, n’ont obtenu l’immortalité que pour nous avoir appris ces jeux de la nature.
161. Physics and Chemistry still offer us, in a division pushed to infinity, substance, force and form, only collections, groups, progressions, equivalences, singular mathematical combinations. Light, this body so pure that we have taken it as a symbol of truth, is a group formed of the seven colors: the musical scale is also composed of seven tones, five full and two fractional. Strike a resonant body, and you produce a series of isochronous vibrations, similar to a rapid movement back and forth. — Now, although we cannot say the first cause of this division of tones and colors by seven, it is none the less true that without it we would scarcely know light, and that music would be impossible.
Since the work of a crowd of indefatigable scholars came to be classified into a vast system of genera and species, in the hands of Lavoisier, we can say that Chemistry began to exist. And all these theories of equivalences and substitutions, of isomorphism and dimorphism, these magnificent laws of proportions, what do they express, if not atomic series, balanced, proportional, progressive, and transforming one into the other?…
162. In the animal kingdom, everything is genus and species, differentiation, progression and series. Not only have animals been distributed by nature into groups sometimes subordinate, sometimes parallel; but, in their intimate organization, they still follow the same law. The column that supports, like a temple, the animal edifice, is vertebrate; the walls that defend the noble organs are formed of ribs; the circulation obeys the measured beats of the heart; the teeth, the feathers, the fins, the feet, the fingers, the eyes, follow, according to the genus and the species, proportions of number, dimension and position, admirable in their variety and their series. Why, instead of a membranous veil, has nature given woman those thousands of long hairs, all the more graceful to the sight for being more wavy, and move further away from the rectilinear shape? Why, instead of a layer of fat or gum, did she coat the beasts with a fur of short, tight hair? Why, while the tortoise is imprisoned in its cuirass made of a single piece, do we find these scales in the fish, these rings in the snake?
Force, speed and beauty result exclusively in the animal from the division of organic parts and their arrangement in symmetrical groups. As if absolute density and continuity were a cause of weakness [7], nature has built the most robust organs of meshes of extreme thinness and delicacy. Examine under the microscope this skin, these bones, these tendons, these cartilages, these muscles, these nerves, these vessels, where you see nothing but the massive and continuous, and you will find them formed of fibers juxtaposed, crossed, oblique or perpendicular to each other, with an ingenious artifice too fine for your crude eyes. Let us add that locomotion is accomplished in all by the regular division of space. The phenomenon is perceptible in man and quadrupeds; but see the bird hovering in the air, the fish motionless against the current: the wings of the one and the fins of the other seem motionless to you; but an imperceptible tremor agitates them and sustains the animal.
163. If from animals we pass to plants, we find everywhere the same law: division and group, or series. See these jointed stems, these alternate, opposite, serrated, jagged, bumpy leaves, etc. ; those flowers so admirably symmetrical; these pods, these sheaths, these bags with compartments; this distribution of genitalia so astonishingly varied that it sufficed to classify the entire kingdom. But it would be necessary to begin the picture of the universe again, and I prefer to leave this work to the naturalists. Let us only say that the glory of great men has always consisted in discovering the law of divisions, groups and series; and that the Cuviers, the Bichats, the Linnæus, the de Jussieus only obtained immortality for having taught us these games of nature.
164. Spectateur de la création, obéissant à son impérieuse voix, l’homme est son imitateur en tout ce que produisent ses mains et sa pensée.
Il contemple le ciel étoilé, et, appliquant à la succession de ses idées la série des mouvements sidéraux, il fait la chronologie de ses jours, et trace les divisions de son histoire.
Il calcule les dimensions du domaine qu’il habite et que sa mission est d’exploiter : et il en déduit, pour la commodité de ses relations sociales un système de mesures et de monnaies, multiples et sous-multiples, groupes et sous-groupes les unes des autres.
Tous ses ouvrages sont empreints de divisions et de séries : du poil des animaux et de la fibre des plantes il se fait des tissus moelleux, légers et puissants, qui remplacent pour lui la dépouille membraneuse des animaux. Les murs et les toits de sa maison, l’escalier qui la parcourt, les roues de son char, le treillage qui clôt son champ, le tonneau où il met sa boisson, le panier où il dépose ses aliments, la chaîne de son puits, la vis de son pressoir, les dents de sa herse et de sa scie, les tuyaux de sa flûte et les cordes de sa lyre, témoignent de son génie symétrique, faiseur de divisions et d’assemblages.
165. Mais c’est surtout dans le langage, création spontanée de son instinct, que l’homme a le mieux suivi la loi des groupes et des divisions, à tel point que le langage n’est qu’un reflet des séries de la nature.
D’abord, emporté par son imagination et ses sens, l’homme n’aperçoit que l’être, la substance indivise et infinie. Son premier langage est, comme cette conception indifférenciée, formé de monosyllabes fixes et invariables. Mais bientôt il découvre dans cet infini substantiel des mouvements, des forces, des collections, des groupes, des séries, des rapports ; aussitôt ses vocables s’animent, se meuvent, se fléchissent, se différencient : substantif et qualificatif, verbe et adverbe, article et préposition ; puis nombre, genre, dualité, déclinaison, temps et modes, inflexions locatives, minoratives, augmentatives, etc., il y a expression pour tout.
Sensible, enfin, aux harmonies de la nature, l’homme voit partout le nombre, la cadence, l’alternance et la période : et il rhythme son langage, mesure sa phrase, cherche les consonnances, déroule sa pensée en pieds, en vers et en strophes ; puis, mariant la parole au chant, au jeu des instruments, aux évolutions de la danse, il conçoit le drame et l’épopée. Les anciens philosophes nommaient Dieu l’éternel géomètre, ils pouvaient aussi bien l’appeler l’éternel musicien.
166. Pénétrez dans la constitution intime de cette parole merveilleuse, si merveilleuse que l’homme l’a d’abord personnifiée sous les noms de Minerve et de Muse ; puis, devenu philosophe, l’a faite égale à Dieu même, incarné dans notre nature sous le nom de Logos ou de Verbe : qu’y trouvez-vous ? une série d’éléments simples :
a, ê, é, i, eu o, ou, u,an, en, in, on oun, un ;b, p, f, v, m ;d, t, n ;g, k, l, r ;s, zj, ch.
Série mutilée dans nos langues modernes, mais que l’on retrouve complète et portée à son plus haut point de perfection dans la langue présumée aujourd’hui la plus ancienne, le sanscrit.
167. Je laisse au lecteur le soin de multiplier ces exemples : c’est un point de vue nouveau sous lequel il doit s’habituer à étudier la nature, mais que je ne puis ici développer davantage. Quelques réflexions sur les faits qui précèdent serviront de préliminaires à la théorie, et termineront ce paragraphe.
Dans toutes les sciences constituées et en progrès, l’objet scientifique est sérié, c’est-à-dire différencié, partagé en sections et sous-sections, groupes et sous-groupes, genres et espèces ; gradué échelonné, articulé, tissu, symétrisé, coordonné, comme la tige du palmier, la flûte à sept tuyaux, la lyre à quatre, sept, huit, neuf, dix ou douze cordes, comme les alvéoles de l’abeille, la toile de l’araignée, les mailles d’un réseau, le dessin d’une toile damassée. Toutes ces innombrables figures différentielles, nous les appellerons du nom générique de série.
Là donc où il y a commencement de sériation, il y a science commençante : nous l’avons vu pour l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie, la physique et la chimie, la zoologie et la botanique, l’industrie et la philologie. Ces sciences sont désormais séparées du domaine religieux et philosophique : ne serait-ce point précisément la sériation de leur objet qui aurait amené cette séparation ?
168. La religion, expression du sentiment et de la sensibilité, ne sortant jamais de l’éternel, de l’infini, de la toute-puissance, de la toute-science, de la vie universelle et de l’amour, parlant par symboles et apologues, la religion est anti-sérielle.
La philosophie, ou pansophie, raisonnant sur tout, mais ne s’attachant spécialement à rien, n’analysant pas, cherchant la vérité et le possible dans les causes ; agitant les idées générales, mais indéterminées, de substance, cause, mouvement, phénomène, nécessité, contingence, quantité, qualité, modification, etc., afin d’en extraire des systèmes d’ontologie et de cosmogonie : la philosophie aussi est anti-sérielle, anti-différencielle, anti-analytique.
169. Pourquoi la théodicée, la morale, la jurisprudence, l’économie politique sont-elles encore matière de religion ou de philosophie ? C’est qu’elles ne sont point sériées, ni dans leur objet, ni dans leur méthode. Prendra-t-on pour séries (j’entends séries naturelles, données par l’objet, observables et démontrables) les sept sacrements, les douze articles du symbole, les trois vertus cardinales, le Décalogue, etc. ? — Reconnaîtra-t-on pour série législative les soixante-neuf articles de la charte, et la division des codes en titres, livres, chapitres, sections et articles ? — Et l’économie politique, si riche de matériaux, si bien assortie d’observations, de calculs et de statistique, qu’est-elle autre chose qu’une confusion, où rien ne se classe, ne se lie, ne se coordonne ?
Nous dirons donc : Toute science dont l’objet n’est encore ni sérié ni circonscrit est une science stérile et fausse, c’est un préjugé religieux ou une hallucination philosophique.
170. Dans les sciences constituées, cela seul est certain dont la classification est faite, la série connue, la loi calculée : cela est obscur et controversé, au contraire, où l’esprit n’a pu saisir ni rapport, ni loi, ni série.
En physique, ce qui touche au magnétisme et à l’électricité ne sort guère des limites d’une simple phénoménalité, sans lois bien connues et sans séries ; la phrénologie, pour être quelque chose, attend encore une classification des facultés et des organes ; le magnétisme animal sort à peine de sa coque nécromantique ; la psychologie, entendue selon la méthode universitaire, est une dérision.
Si la médecine est encore si conjecturale, c’est sans doute parce qu’elle donne beaucoup trop à l’étiologie, et pas assez à la. thérapeutique. On ne guérit point par la connaissance des causes, mais par des méthodes curatives appropriées aux maladies. Le remède lui-même n’est pas, à le bien considérer, une cause de guérison opposée à une cause de perturbation et de mort : il est l’occasion provocatrice d’une série de phénomènes hygiéniques opposée à une série de phénomènes morbides. Ce qu’il importe donc de connaître dans le traitement des maladies, sauf quelques affections particulières produites par l’introduction dans l’économie de virus ou miasmes, est beaucoup moins la cause première du mal, souvent insignifiante et presque toujours insaisissable, que la série des symptômes et phénomènes.
171. La série est la condition suprême de la science, comme de la création elle-même. S’il est ainsi, ce qu’on a nommé d’après Leibnitz loi de continuité est une erreur au moins quant à l’expression. L’idée de continuité est une conception de notre entendement analogue à celles de substance et de cause, c’est-à-dire sans réalité perceptible, et synonyme d’identité absolue. La continuité est une idée vraie, mais dont la vérité est antérieure à la différenciation des êtres ; ce qui signifie, pour nous, à leur création. Cette idée est légitime, puisque l’hypothèse qu’elle exprime est produite en vertu des lois de notre entendement, et elle nous est suggérée par l’observation même de la série, qui en est la contradictoire. La cohésion des corps et la succession des phénomènes nous donnent l’idée de continuité : mais, en fait, cette continuité n’existe nulle part.
Lors donc que Leibnitz a dit que la nature ne fait rien brusquement, ne procède point par sauts, mais agit d’une manière suivie et progressive, et qu’il a appelé cette loi loi de continuité, il faut entendre qu’il a voulu parler d’un progrès sérié, d’une série aussi serrée, aussi fréquente que l’on voudra, mais non d’un progrès continu. Les idées de continuité et de progression semblent même s’exclure : qui dit progrès dit nécessairement succession, transport, croissance, passage, addition, multiplication, différence, série enfin ; en sorte que l’expression mouvement continu n’est pas autre chose qu’une métaphore. Le mouvement est la série de la force, comme le temps est la série de l’éternité.
172. La nature, en combinant les éléments et composant les atomes, commence par les séries les plus simples, et s’élève par degrés aux plus complexes : mais, si petits et si serrés que soient ces degrés, un abîme les sépare ; il n’y a pas continuité.
La ligne que décrit un corps tombant vers la terre est peut-être l’image la plus parfaite de la continuité : il n’y a pourtant de continu dans ce phénomène que la force d’attraction qui entraîne le corps ; quant au mouvement, il a lieu dans une progression numérique telle, que nous ne le concevons que comme une échelle descendante, dans laquelle les degrés s’allongent de plus en plus, dans une proportion donnée. Voilà pour le mouvement accéléré : quant au mouvement uniforme, il est aussi introuvable dans la nature, que le mouvement perpétuel l’est en mécanique.
L’état moléculaire des corps est une autre preuve de la non-continuité : l’or, le plus dense des métaux, a plus de vide que de plein. Bien plus, ses molécules ne se touchent pas ; elles sont seulement en rapport par leurs atmosphères ou pôles magnétiques, et forment entre elles des groupes et des systèmes, miniatures microscopiques des systèmes sidéraux.
Tirez par une de ses extrémités une barre de fer d’un mètre de longueur, la barre vient à vous par un mouvement simultané : la traction paraît donc s’exercer d’une manière continue dans toute la barre. Mais supposez, au lieu d’une barre d’un mètre de long, un fil métallique d’un myriamètre, et vous verrez que la traction se communiquera d’une extrémité à l’autre du fil en un temps déjà appréciable. — C’est, dit-on, la pesanteur du fil jointe à son élasticité qui occasionne ce retard. Mais qu’est-ce que l’élasticité ? La propriété qu’ont les molécules des corps de distendre ou de resserrer momentanément leurs atmosphères sans cesser d’être en rapport. Dans la traction, les molécules s’entraînent donc tour à tour ; si la dilatation devient trop forte, il y a rupture, ce que l’on ne saurait concevoir avec l’idée de continuité.
Renversons l’expérience : au lieu d’un exemple de traction, prenons un cas d’éjaculation. Le fluide qui s’écoule par l’orifice d’un vase, le gaz qui s’échappe par un tuyau ne forment pas un jet continu, mais un jet sérié. Car, que l’on suppose le jet divisé transversalement en tranches d’une épaisseur égale au diamètre des molécules du liquide ; d’après ce qui vient d’être dit de l’état moléculaire des corps, ces tranches ne se touchent pas ; elles se pressent les unes les autres par leurs atmosphères et produisent ainsi une tension élastique, qui, combinée avec la hauteur de la colonne fluide, est cause de la raideur et de la rapidité du jet.
La lumière nous vient-elle du soleil par émission ? comme le pensent les newtoniens ; ou bien est-elle une vibration de l’éther ? comme le croyait Descartes. Certains phénomènes s’expliquent par l’émission ; d’autres seulement par les ondulations ; quelques-uns enfin ne se ramènent ni à l’une ni à l’autre hypothèse. Or, quel que soit le système qui doive un jour prévaloir, ce dont nous pouvons être certains, c’est que la série en sera la base, puisque, d’un côté, l’éjaculation du fluide se fait nécessairement en mode sérié, et que, de l’autre, vibration et série c’est même chose.
Que dirai-je de plus ? notre vie elle-même est soumise à la série ; et la continuité de la conscience, la permanence du sens intime, l’infatigable veille du moi, ne sont aussi que des illusions. Nous croyons vivre d’une vie indéfectible et non interrompue, au moins dans ce court intervalle qui nous est accordé : pauvres humains ! chaque instant de notre existence ne tient à celui qui le précède que comme les vibrations de la lyre tiennent les unes aux autres : la force vitale qui nous anime est comptée, pesée, mesurée, sériée : si elle était continue, elle serait indivisible, et nous serions immortels.
173. La série n’est point chose substantielle ni causative : elle est ordre, ensemble de rapports ou de lois. Dans les mathématiques, sciences nommées par excellence exactes, toute ontologie disparaît. Le nombre, suivant Newton, est un rapport : et la première chose qui distingue les mathématiques, est de s’abstenir de spéculations sur la substance et la cause. Les mathématiques sont des calculs de séries : c’est des propriétés de la série qu’elles tirent leur certitude ; elles ne sont, enfin, ainsi que nous allons le démontrer, qu’un des membres de la grande famille métaphysique. Or, toute science, née ou à naître, n’étant plus qu’un calcul de séries, on peut déjà prévoir que, dans chaque sphère de connaissances, la certitude est égale et homologue à la certitude mathématique.
164. A spectator of creation, obedient to its imperious voice, man is its imitator in all that his hands and his mind produce.
He contemplates the starry sky, and, applying to the succession of his ideas the series of sidereal movements, he makes the chronology of his days, and traces the divisions of his history.
He calculates the dimensions of the domain that he inhabits and that his mission is to exploit, and he deduces, for the convenience of his social relations, a system of measures and currencies, multiples and sub-multiples, groups and sub-groups of each other.
All his works are imbued with divisions and series: from the hair of animals and the fiber of plants he makes soft, light and powerful fabrics, which for him replace the membranous skins of animals. The walls and roofs of his house, the stairway that runs through it, the wheels of his chariot, the trellis that encloses his field, the barrel where he puts his drink, the basket where he places his food, the chain of his well, the screw of his press, the teeth of his harrow and his saw, the pipes of his flute and the strings of his lyre, testify to his symmetrical genius, maker of divisions and assemblies.
165. But it is above all in language, the spontaneous creation of his instinct, that man has best followed the law of groups and divisions, to such an extent that language is only a reflection of the series of nature.
At first, carried away by his imagination and his senses, man sees only being, undivided and infinite substance. His first language is, like this undifferentiated conception, formed of fixed and invariable monosyllables. But soon he discovers in this substantial infinity movements, forces, collections, groups, series, relations; its words immediately come to life, move, bend, differentiate themselves: substantive and qualifier, verb and adverb, article and preposition; then number, gender, duality, declension, tenses and modes, locative, minorative, augmentative inflections, etc. There is expression for everything.
Sensitive, finally, to the harmonies of nature, man sees everywhere the number, the cadence, the alternation and the period: and he gives rhythm to his language, measures his sentences, seeks consonances, unfolds his thought in feet, in verse and in stanzas; then, marrying the spoken word to song, to the playing of instruments, to the evolutions of dance, he conceives the drama and the epic. The ancient philosophers called God the eternal geometrician; they could just as well call him the eternal musician.
166. Penetrate into the intimate constitution of this marvelous word, so marvelous that man first personified it under the names of Minerva and Muse; then, having become a philosopher, made it equal to God himself, incarnated in our nature under the name of Logos or Word: what do you find there? A series of simple elements:
a, ê, é, i, eu o, ou, u,
an, en, in, on oun, un;
b, p, f, v, m;
d, t, n;
g, k, l, r;
s, z
j, c.
A series mutilated in our modern languages, but which we find complete and brought to its highest point of perfection in the presumed oldest language today, Sanskrit.
167. I leave it to the reader to multiply these examples: it is a new point of view from which he must get used to studying nature, but which I cannot develop here any further. A few reflections on the preceding facts will serve as preliminaries to the theory, and will end this section.
In all the constituted and progressing sciences, the scientific object is serial, that is to say differentiated, divided into sections and subsections, groups and subgroups, genera and species; scaled, articulated, fabric, symmetrical, coordinated, like the stem of the palm tree, the flute with seven pipes, the lyre with four, seven, eight, nine, ten or twelve strings, like the honeycombs of the bee, the web of the spider, the meshes of a grid, the design of a damask canvas. All these innumerable differential figures, we will call them by the generic name of series.
So where there is a beginning of seriation, there is a beginning of science: we have seen it for arithmetic, geometry, astronomy, physics and chemistry, zoology and botany, industry and philology. These sciences are henceforth separated from the religious and philosophical domain: would it not be precisely the seriation of their object that would have brought about this separation?
168. Religion, expression of sentiment and sensibility, never departing from the eternal, from the infinite, from omnipotence, from omniscience, from universal life and from love, speaking by symbols and apologues, religion is anti-serial.
Philosophy, or pansophy, reasoning about everything, but not attaching itself especially to anything, not analyzing, seeking truth and the possible in causes; agitating the general but indeterminate ideas of substance, cause, movement, phenomenon, necessity, contingency, quantity, quality, modification, etc., in order to extract from them systems of ontology and cosmogony: philosophy too is anti-serial, anti-differential, anti-analytical.
169. Why are theodicy, morality, jurisprudence, political economy still matters of religion or philosophy? It is because they are not serial, either in their object or in their method. Will we take as series (I mean natural series, given by the object, observable and demonstrable) the seven sacraments, the twelve articles of the symbol, the three cardinal virtues, the Decalogue, etc.? — Will we recognize as legislative series the sixty-nine articles of the charter, and the division of the codes into titles, books, chapters, sections and articles? And political economy, so rich in materials, so well matched with observations, calculations and statistics, what is it other than a confusion, where nothing is classified, linked or coordinated?
We will therefore say: Any science whose object is not yet either seriated or circumscribed is a sterile and false science; it is a religious prejudice or a philosophical hallucination.
170. In the constituted sciences, that alone is certain of which the classification is made, the series known, the law calculated; that is obscure and controversial, on the contrary, where the mind has been able to grasp neither relation, nor law, nor series.
In physics, what touches on magnetism and electricity hardly goes beyond the limits of a simple phenomenality, without well-known laws and without series; phrenology, to be something, still awaits a classification of faculties and organs; animal magnetism barely emerges from its necromantic shell; psychology, understood according to the university method, is a mockery.
If medicine is still so conjectural, it is doubtless because it gives far too much to etiology, and not enough to the therapeutic. One does not cure by knowledge of the causes, but by curative methods appropriate to the diseases. The remedy itself is not, to consider it well, a cause of cure opposed to a cause of disturbance and death: it is the provocative occasion of a series of hygienic phenomena opposed to a series of morbid phenomena. What is therefore important to know in the treatment of diseases, except for some particular affections produced by the introduction into the economy of viruses or miasmas, is much less the first cause of the evil, often insignificant and almost always elusive, than the series of symptoms and phenomena.
171. The series is the supreme condition of science, as of creation itself. If so, what has been named, following Leibnitz, the law of continuity is an error, at least in its expression. The idea of continuity is a conception of our understanding analogous to those of substance and cause, that is to say, without perceptible reality and synonymous with absolute identity. Continuity is a true idea, but the truth of it is prior to the differentiation of beings; which means, for us, prior to their creation. This idea is legitimate, since the hypothesis that it expresses is produced by virtue of the laws of our understanding and is suggested to us by the very observation of the series, which contradicts it. The cohesion of bodies and the succession of phenomena give us the idea of continuity, but, in fact, this continuity does not exist anywhere.
So when Leibnitz said that nature does nothing suddenly, does not proceed by leaps and bounds, but acts in a continuous and progressive manner, and called this law the law of continuity, it must be understood that he wanted to speak of a seriated progress, of a series as dense, as regular as we like, but not of a continuous progress. The ideas of continuity and progression even seem to exclude each other. Whoever says progress necessarily says succession, transport, growth, passage, addition, multiplication, difference, finally series; so that the expression continuous movement is nothing more than a metaphor. Movement is the series of force, as time is the series of eternity.
172. Nature, in combining the elements and composing the atoms, begins with the simplest series, and rises by degrees to the most complex: but, however small and close together these degrees are, an abyss separates them; there is no continuity.
The line described by a body falling towards the ground is perhaps the most perfect image of continuity: there is, however, nothing continuous in this phenomenon except the force of attraction that draws the body along; as for the movement, it takes place in such a numerical progression that we conceive it only as a descending scale, in which the degrees lengthen more and more, in a given proportion. So much for accelerated motion: as for uniform motion, it is as impossible to find in nature as perpetual motion is in mechanics.
The molecular state of bodies is another proof of non-continuity: gold, the densest of metals, has more emptiness than fullness. Moreover, its molecules do not touch each other; they are related only by their atmospheres or magnetic poles, and form among themselves groups and systems, microscopic miniatures of sidereal systems.
Pull by one of its extremities an iron bar one meter in length, the bar comes to you by a simultaneous movement: the traction therefore seems to be exerted in a continuous manner throughout the whole bar. But suppose, instead of a bar one meter long, a metallic wire one myriameter long, and you will see that the traction will be communicated from one end of the wire to the other in an already appreciable time. — It is, they say, the weight of the thread joined to its elasticity which causes this delay. But what is elasticity? The property possessed by the molecules of bodies to momentarily distend or constrict their atmospheres without ceasing to be in relation. In traction, the molecules are therefore driven in turn; if the dilation becomes too strong, there is a rupture, which cannot be conceived with the idea of continuity.
Let’s reverse the experiment: instead of an example of traction, let’s take a case of ejaculation. The fluid flowing through the orifice of a vase, the gas escaping through a pipe do not form a continuous jet, but a seriated jet. For, suppose the jet divided transversely into slices of a thickness equal to the diameter of the molecules of the liquid; according to what has just been said of the molecular state of bodies, these slices do not touch; they press against each other by their atmospheres and thus produce an elastic tension, which, combined with the height of the fluid column, is the cause of the stiffness and rapidity of the jet.
Does light come to us from the sun by emission? as Newtonians think; or is it a vibration of the ether? as Descartes believed. Some phenomena can be explained by emission; others only by undulations; finally, some cannot be reduced to either hypothesis. However, whatever the system that must one day prevail, what we can be certain of is that the series will be the basis, since, on the one hand, the ejaculation of the fluid is necessarily done in serial mode, and because, on the other hand, vibration and series are the same thing.
What more can I say? Our life itself is subject to the series; and the continuity of consciousness, the permanence of inner meaning, the indefatigable wakefulness of the self, are also only illusions. We believe we live an unwavering and uninterrupted life, at least in this short interval granted to us: poor humans! Each moment of our existence is linked to the one that precedes it only as the vibrations of the lyre are linked to each other: the vital force that animates us is counted, weighed, measured, serialized. If it were continuous, it would be indivisible, and we would be immortal.
173. The series is not a substantial or causative thing: it is an order, a set of relations or laws. In mathematics, the sciences named exact par excellence, all ontology disappears. Number, according to Newton, is a ratio: and the first thing that distinguishes mathematics is to abstain from speculations about substance and cause. Mathematics are calculations of series: it is from the properties of the series that they derive their certainty; they are, finally, as we will demonstrate, only one of the members of the great metaphysical family. Now, any science, born or to be born, being no more than a calculation of series, we can already foresee that, in each sphere of knowledge, certainty is equal and homologous to mathematical certainty.
174. Tels sont les faits qui, dans la nature, nous révèlent la présence d’une loi générale, aussi variée dans ses applications que les essences elles-mêmes, ou, pour mieux dire, donnant lieu, par ses innombrables déterminations de la substance et de la cause, à toutes les essences ; loi que nous pouvons proclamer et inscrire sur le temple de la Vérité : telle est enfin la Loi Sérielle[8].
175. D’autres avant nous avaient essayé déjà de remonter jusqu’à un fait primordial, qui servît à la fois de critérium et de base à toutes les manifestations de la nature et de la société. Saint-Simon, Azaïs, et après eux Fourier, expliquèrent tout par l’attraction (ou l’expansion, qui n’est autre que l’attraction prise à rebours).
Or, l’attraction, de même que la vie, le mouvement, la force, la causalité, la substance, l’esprit, etc., est une de ces généralisations conventionnelles qui nous servent à désigner le principe ou substratum des phénomènes, c’est-à-dire précisément ce qu’il y a en eux de plus impénétrable : une inconnue, appréciable seulement par la succession et la loi de ses apparences. L’attraction, si elle est quelque chose d’universel, n’est au plus que la force universelle : elle n’est point une loi ; elle est si peu une loi, qu’elle est elle-même mesurée par la série.
Ainsi, quand on admettrait que l’attraction est la cause universelle, ou que la cause universelle se manifeste par l’attraction, on ne serait pas plus avancé que si l’on soutenait que la matière est la substance universelle, ou que la substance universelle se manifeste dans la matière. La substance et la cause, l’attraction et la matière ne nous sont accessibles que par leurs phénomènes : conséquemment, ce qui nous importe le plus à connaître, est la loi qui régit ces phénomènes.
Donc, sans nous inquiéter davantage d’attractions, passions, sympathies, essors, attachons-nous à la loi sérielle, et nous saurons de ces choses tout ce qu’il nous convient, tout ce qu’il nous est possible d’en savoir.
176. Puisque les mathématiques sont une application particulière de la loi sérielle, essayons, avec leur secours, de reconnaître quelques-unes de ses propriétés.
L’arithmétique n’est possible que par la série : cette proposition n’a plus besoin d’être démontrée. Chacun sait que les opérations arithmétiques, addition, soustraction, multiplication, division, extraction, les rapports de progression, le balancement des extrêmes et des moyens dans les proportions reposent sur le classement des nombres en unités multiples et sous-multiples les unes des autres.
D’après ce principe, nous pouvons répondre à cette question, dont l’énoncé peut paraître absurde à beaucoup de gens : Pourquoi deux et deux font quatre ?
La démonstration de ce théorème repose sur ce principe sériel, que ce qui fait le genre, ce qui détermine le groupe, est vrai de toutes les espèces qui le composent.
Soit l’unité, l’identité absolue, l’indivision, représentée par un point. Si l’on conçoit que ce point, se dédoublant, s’extériorant ou s’objectivant, pour me servir du langage philosophique, se pose en face de lui-même, il en résultera une collection ou série binaire – : – . Concevons ensuite cette série binaire s’engendrant à son tour comme l’unité, nous aurons – : -plus – : -. Or, cette réduplication peut donner lieu à plusieurs figures : : — : .. — … — : ., etc., lesquelles ne sont toujours que la série binaire redoublée, et présentée sous des aspects différents. Mais ces aspects ou figures, considérés seulement sous le rapport du nombre, sont autant d’espèces d’un genre ou groupe arithmétique, auquel on a donné le nom de quatre. Quel que soit donc l’objet que l’on considère, les jambes d’un quadrupède, les cordes d’un violon, les yeux d’un limaçon, les angles formés par le croisement de deux droites, le nombre étant la seule chose que l’on ait en vue, le groupe qui résulte de la série binaire opposée à elle-même reste arithmétiquement identique : c’est toujours quatre.
Il suit de là que tout nombre au-dessus de l’unité n’est pas seulement un rapport, comme l’a dit Newton : c’est encore un groupe, une série, un genre, abstrait d’une multitude d’espèces. Sans abstraction, point de nombre : donc il y a quelque chose de logique antérieur à l’arithmétique, donc les mathématiques ne sont pas le dernier mot de la raison.
177. On dira peut-être, en retournant la démonstration, que l’on peut tout aussi bien concevoir la série comme propriété du nombre, que le nombre comme application de la série ; par conséquent que la métaphysique tire plutôt sa certitude des mathématiques, que les mathématiques ne tirent la leur de la loi sérielle.
Cette réflexion serait juste, si nous ne connaissions que des séries arithmétiques ou géométriques : mais comme il existe d’autres séries, pour l’intelligence desquelles les mathématiques ne sont d’aucun secours, il faut bien reconnaître que celles-ci empruntent à la loi sérielle leur propre certitude, et que tout au plus elles en sont la première application.
Aussi, lorsque nous serons parvenus à la deuxième partie de la métaphysique, nous verrons qu’un tableau tel que la Cène ou la Transfiguration, un opéra de Meyerbeer, un marbre de Canova, sont des séries dont l’invention, la composition et l’exécution peuvent être soumises à une sorte de calcul métaphysique, aussi sûr que celui qui nous a démontré le système du monde, mais pour lequel les chiffres et le compas ne serviraient absolument de rien.
187. Lorsque Kant a dit que les jugements mathématiques étaient tous synthétiques, « vérité, ajoute-t-il, incontestable et très-importante par ses suites, bien qu’elle semble avoir échappé jusqu’ici à la sagacité des analystes de la raison humaine, et même être très-contraire à leur attente[9] », Kant a affirmé la série comme condition des mathématiques ; mais lorsqu’il ajoute que les jugements de cet ordre sont tous à priori, il a parlé selon la donnée philosophique qui fait tout son système : car, d’une part, la loi sérielle est antérieure aux mathématiques ; de l’autre, elle nous est révélée par l’expérience.
Dans sa Critique de la raison pure, dans sa Logique, en un mot dans tous ses ouvrages, cet illustre métaphysicien a côtoyé perpétuellement la loi sérielle ; le nom même lui échappe quelquefois : mais il ne l’a point proclamée, il ne l’a point reconnue. Toutes les erreurs répandues dans ses ouvrages, comme tout ce qu’ils renferment de vrai, vient d’une aperception incomplète de la loi sérielle : et c’est là, comme nous aurons plus d’une occasion de nous en convaincre, tout le secret de la philosophie de Kant.
179. Puisque je viens de nommer un si grand génie, je puis bien, à son exemple, me poser cette question : Comment les mathématiques pures sont-elles possibles ? et que faut-il entendre par là ?
Kant ayant posé comme principe évident de soi, que les jugements mathématiques sont à priori, en conclut naturellement la possibilité d’une science mathématique pure, c’est-à-dire absolument vraie, indépendamment de l’expérience. Mais d’abord la loi sérielle, dont nous savons maintenant que les mathématiques sont une application particulière, n’est point une notion à priori : en effet, tant que le moi ne sort pas de lui-même par la sensation, il ne connaît que lui, c’est-à-dire l’un, l’identique, l’indifférent ; il n’a aucune notion de groupe ni de série, il n’a point d’idées. Donc, à tout le moins, l’expérience est la condition d’aperception des mathématiques.
Qu’est-ce donc que l’on doit entendre par mathématiques pures ? La chose est simple à concevoir : la série mathématique élémentaire étant donnée, on a par là même la loi de sa formation et de son développement, avec ses rapports et ses propriétés. Le calcul sériel n’est plus alors qu’un déroulement, une transformation de termes, une équation perpétuelle ; et les jugements qui en résultent sont tous, je continue à parler la langue de Kant, non plus seulement des jugements synthétiques, des séries ; mais des jugements analytiques, c’est-à-dire des sections sérielles, des séries impliquées les unes dans les autres, des séries de séries. La loi de progression sérielle étant donnée, l’esprit marche seul et n’a plus besoin de l’expérience.
180. D’après cet exposé, on conçoit qu’il puisse y avoir aussi une physique pure, une astronomie pure, une zoologie pure, une botanique pure, etc. Il suffirait pour cela que nous connussions les séries élémentaires et les lois qui déterminent les phénomènes physiques, les combinaisons des atomes, l’organisation des animaux et des plantes. Alors nous construirions les séries supérieures avec une certitude absolue ; et, sans attendre l’expérience, nous déterminerions à priori le réel et le possible, nous dirions quelles organisations peuvent exister, quelles ne le peuvent pas. Tout ce qui distingue les sciences naturelles des sciences mathématiques, c’est que les premières ne nous montrent que des séries résultant d’autres séries dont les lois et les éléments sont inconnus, tandis que les autres nous offrent à la fois, et des séries composées, et des séries élémentaires portant avec elles le principe de leur formation et la loi de leur progrès.
181. Une autre conséquence de l’Hypothèse de Kant est que la certitude mathématique est tout humaine, mais qu’on ne saurait démontrer qu’elle soit absolue. L’illustre mathématicien M. Ampère n’accordait non plus aux vérités arithmétiques qu’une réalité subjective ; mais, par une bizarrerie singulière, il portait un jugement différent de la géométrie. La même pensée faisait dire à P.-L. Courier, dans cette profession de foi comique : Je crois que la ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre… : je tiens aussi que deux et deux font quatre ; mais je n’en suis pas sûr !
Restituer aux mathématiques, à l’arithmétique du moins, leur réalité objective et leur caractère d’absolu, est une chose qui mérite que nous nous y arrêtions quelques instants, d’autant plus que cette discussion va nous faire apparaître la loi sérielle sous un jour tout nouveau.
182. Parce que la série décimale, fondement de l’arithmétique, n’est frappée d’aucun caractère de nécessité par la nature, on a cru que l’arithmétique était un produit de l’intelligence, que rien, hors du moi, ne pouvait certifier. On ne réfléchissait pas que si, pour exécuter les opérations arithmétiques, le choix d’un système de numération était libre, il était nécessaire d’en faire un, puis de s’y arrêter irrévocablement. Or, c’est cette nécessité absolue de choisir entre tous les systèmes de sériation arithmétique qui démontre l’objectivité de la science. La nature, dans ses combinaisons numériques, ne suit aucune série particulière, parce qu’elle les accepte toutes ; les lois de l’Attraction, des vibrations des corps sonores, des équivalents chimiques, etc., sont vraies, éternellement vraies dans tous les systèmes de numération possibles : c’est nous qui, pour comprendre la nature que nous ne pouvons embrasser dans toutes ses séries à la fois, avons besoin de nous conduire à l’aide d’un mètre déterminé, là où la nature n’emploie que sa grande loi sérielle[10].
183. Ce qu’il y a de conventionnel et d’arbitraire dans notre système arithmétique ne prouve donc rien contre l’absolu de la science et n’accuse que la faiblesse de notre intelligence ; il y a mieux : il est utile et souvent indispensable pour nous d’étudier comparativement, sur un même objet, plusieurs systèmes, plusieurs modes de classification et de série.
C’est ainsi que les professeurs de mathématiques enseignent à leurs élèves à calculer dans les systèmes binaire, ternaire, octaval, duodécimal, etc. ; puis à transcrire les expressions arithmétiques d’un système de numération dans l’autre. Si nous pouvions embrasser par la pensée tous les systèmes de numération possibles, nous ferions instantanément, sans la moindre peine, presque sans calcul, les opérations les plus compliquées. Car, comme dans notre système décimal la position de la virgule indique une multiplication ou une division par dix, cent, mille, de même elle indiquerait la multiplication ou la division par un nombre quelconque, pris alors pour base du système. Ce serait comme la traduction d’une même pensée en plusieurs langues.
Posons donc comme axiome, que toutes les séries arithmétiques sont objectivement vraies, et que la série décimale ne devient en nous subjective que par suite de l’exclusion que nous donnons aux autres.
184. Ce que nous venons de démontrer de l’arithmétique est vrai de toutes les sciences : subjectives quant au choix du point de vue, absolues quant à la certitude intrinsèque.
Lorsque Linnée classa les plantes d’après le nombre, l’insertion, la réunion ou la séparation des organes génitaux, il fit un système objectivement et absolument vrai, aussi naturel que tout autre, mais seulement en ce qui concerne les organes sexuels, et leurs rapports plus ou moins connus avec les autres parties de la plante.
D’autres après Linnée essayèrent de classer les plantes d’après les feuilles, la tige, le fruit, la durée de la vie végétale, etc., tantôt isolant, tantôt considérant simultanément leurs divers caractères. C’étaient autant de points de vue nouveaux, à l’aide desquels ces naturalistes cherchaient à saisir les gradations sérielles suivies par la nature. Et sous combien de faces le règne végétal ne pourrait-il pas être encore étudié ! les propriétés chimiques, médicales, nutritives, industrielles, etc., du fruit, de la fleur, de la tige, de l’écorce, de la sève, des feuilles, de la racine ; la culture, le climat, les rapports des espèces végétales avec les espèces animales, etc. M. de Humboldt, ne considérant que la physionomie extérieure des plantes, les a divisées en quinze groupes, lesquels n’ont rien de commun avec ceux établis par d’autres botanistes, selon des principes très-différents.
185. La même observation s’applique à la zoologie. D’après la classification de Cuvier, le singe et la chauve-souris, les plus laids des animaux peut-être, occupent la première place après l’homme : cette distribution est excellente dans un système établi d’après la considération des caractères anatomiques ; il est même possible que, sous d’autres rapports plus éloignés, la série préférée par Cuvier soit pour notre science la plus utile et la plus féconde. Mais il n’est pas moins vrai que le système zoologique de Cuvier n’est pas le seul possible, bien que, dans l’état actuel de la science, et pour un objet déterminé, il soit le plus commode. L’étude des mœurs, des habitudes, par exemple, rapprocherait de nous certaines espèces que l’anatomie comparée en éloigne : le courage, l’intelligence et la docilité du chien, la monogamie des tourterelles, la magnanimité du cheval, du lion et de l’aigle, seraient des caractères différentiels d’autant plus légitimes, qu’en définitive ils sont le résultat synthétique de l’organisation. Or, d’après quelle loi à priori la considération des parties l’emporterait-elle aux yeux du classificateur sur celle de l’ensemble, l’organe sur la fonction, le moyen sur la fin ?
§II. — Observations on the series.
174. Such are the facts that, in nature, reveal to us the presence of a general law, as varied in its applications as the essences themselves, or, to put it better, giving rise, by its innumerable determinations of the substance and from the cause, to all essences; a law that we can proclaim and inscribe on the temple of Truth: such is finally the _Serial Law_. [8]
175. Others before us had already tried to go back to a primordial fact, which served both as a criterion and as a basis for all the manifestations of nature and society. Saint-Simon, Azaïs, and after them Fourier, explained everything by attraction (or expansion, which is none other than attraction taken in reverse).
Now, attraction, like life, motion, force, causality, substance, spirit, etc., is one of those conventional generalizations that serve us to designate the principle or substratum of phenomena, that is to say precisely what is most impenetrable in them: an unknown, appreciable only by the succession and the law of its appearances. Attraction, if it is something universal, is at most only universal force: it is not a law; it is so little a law that it is itself measured by the series.
Thus, when we admit that attraction is the universal cause, or that the universal cause manifests itself by attraction, we would be no further advanced than if we maintained that matter is the universal substance, or that the universal substance manifests itself in matter. Substance and cause, attraction and matter are accessible to us only through their phenomena: consequently, what matters most to us to know is the law that governs these phenomena.
So, without worrying more about attractions, passions, sympathies, impulses, let us attach ourselves to the serial law, and we will know regarding these things all that suits us, all that it is possible for us to know about them.
176. Since mathematics is a particular application of the serial law, let us try, with its help, to recognize some of its properties.
Arithmetic is possible only by the series: this proposition no longer needs to be demonstrated. Everyone knows that the arithmetic operations, addition, subtraction, multiplication, division, extraction, the ratios of progression, the balancing of extremes and means in proportions are based on the classification of numbers in units that are multiples and sub-multiples of each other.
According to this principle, we can answer this question, the statement of which may seem absurd to many people: Why do two and two make four?
The demonstration of this theorem rests on this serial principle, that what makes the genus, what determines the group, is true of all the species that compose it.
Let unity, absolute identity, indivision, be represented by a point. If we conceive that this point, doubling, exteriorizing or objectifying itself, to use philosophical language, is posed opposite itself, a binary collection or series will result -:-. Let us then conceive this binary series generating itself in turn as the unit, we will have – : – plus – : -. Now, this reduplication can give rise to several figures: : — : .. — … — : ., which are always only the binary series reduplicated, and presented under different aspects. But these aspects or figures, considered only in relation to number, are so many species of an arithmetic genus or group, to which we have given the name of four. Whatever object we consider, the legs of a quadruped, the strings of a violin, the eyes of a cochlea, the angles formed by the intersection of two straight lines, the number being the only thing that we have in view, the group that results from the binary series opposed to itself remains arithmetically identical: it is always four.
It follows from this that any number above unity is not only a ratio, as Newton said: it is also a group, a series, a genus, abstracted from a multitude of species. Without abstraction, there is no number: therefore there is something logical prior to arithmetic, therefore mathematics is not the last word of reason.
177. It will perhaps be said, turning the demonstration around, that one can just as well conceive the series as a property of number, as the number as an application of the series; consequently that metaphysics rather draws its certainty from mathematics, than mathematics draws its from the serial law.
This reflection would be correct, if we knew only arithmetic or geometric series: but as there exist other series, for the intelligence of which mathematics are of no help, it must be recognized that these borrow from the serial law their own certainty, and that at most they are its first application.
Also, when we have reached the second part of metaphysics, we will see that a painting such as the Last Supper or the Transfiguration, an opera by Meyerbeer, a marble by Canova, are series whose invention, composition and execution can be subjected to a kind of metaphysical calculation, as sure as that which has shown us the system of the world, but for which the numbers and the compass would be of absolutely no use.
178. When Kant said that mathematical judgments were all synthetic, “truth,” he adds, “indisputable and very important in its consequences, although it seems to have hitherto escaped the sagacity of analysts of reason.” human, and even be very contrary to their expectation [9],” Kant affirmed the series as a condition of mathematics; but when he adds that judgments of this order are all a priori, he spoke according to the philosophical datum that makes up his whole system: for, on the one hand, the serial law is prior to mathematics; on the other, it is revealed to us by experience.
In his Critique of Pure Reason, in his Logic, in a word, in all his works, this illustrious metaphysician perpetually rubbed elbows with the serial law; the name even escapes him sometimes: but he did not proclaim it, he did not recognize it. All the errors spread in his works, like all that they contain of truth, come from an incomplete apperception of the serial law: and it is there, as we will have more than one occasion to convince ourselves of it, all the secret of Kant’s philosophy.
179. Since I have just named such a great genius, I can well, following his example, ask myself this question: How do pure mathematics possible? and what is meant by that?
Kant having posed as a self-evident principle that mathematical judgments are a priori, naturally concludes from this the possibility of a pure mathematical science, that is to say, absolutely true, independently of experience. But first of all the serial law, of which we now know that mathematics is a particular application, is not an a priori notion: indeed, as long as the ego does not come out of itself through sensation, it does not know than him, that is to say the one, the identical, the indifferent; he has no notion of group or series, he has no ideas. So, at the very least, experience is the apperceptual condition of mathematics.
What then is meant by pure mathematics? The thing is simple to conceive: the elementary mathematical series being given, we have thereby the law of its formation and its development, with its relations and its properties. The serial calculation is then no more than an unfolding, a transformation of terms, a perpetual equation; and the judgments that result from it are all, I continue to speak Kant’s language, no longer only synthetic judgments, series; but analytic judgments, that is, serial sections, series implied in each other, series of series. The law of serial progression being given, the mind walks alone and no longer needs experience.
180. According to this exposition, it is conceivable that there can also be a pure physics, a pure astronomy, a pure zoology, a pure botany, etc. It would suffice for this if we knew the elementary series and the laws that determine physical phenomena, the combinations of atoms, the organization of animals and plants. Then we would build the higher series with absolute certainty; and, without waiting for experience, we would determine a priori the real and the possible, we would say which organizations can exist, which cannot. All that distinguishes the natural sciences from the mathematical sciences is that the former only show us series resulting from other series whose laws and elements are unknown, while the others offer us both composite series and elementary series bearing with them the principle of their formation and the law of their progress.
181. Another consequence of Kant’s Hypothesis is that mathematical certainty is entirely human, but cannot be demonstrated to be absolute. The illustrious mathematician Mr. Nor did Ampère grant arithmetical truths more than a subjective reality; but, by a singular oddity, he judged geometry differently. The same thought made P.-L. Courier, in this comic profession of faith: I believe that a straight line is the shortest way from one point to another…: I also hold that two and two make four; but I am not sure!
To restore to mathematics, to arithmetic at least, their objective reality and their character of the absolute, is something that deserves that we stop there for a few moments, all the more so since this discussion will make the serial law appear to us in a whole new light.
182. Because the decimal series, the foundation of arithmetic, is not stamped with any character of necessity by nature, it has been believed that arithmetic was a product of the intelligence, which nothing, outside of the self, could certify. We did not think that if, to perform arithmetic operations, the choice of a number system was free, it was necessary to make one, then to stop there irrevocably. Now, it is this absolute necessity of choosing between all the systems of arithmetic seriation that demonstrates the objectivity of science. Nature, in her numerical combinations, follows no particular series, because she accepts them all; the laws of Attraction, vibrations of sounding bodies, chemical equivalents, etc., are true, eternally true in all possible number systems: it is we who, in order to understand the nature that we cannot embrace in all its series at the same time, need to lead ourselves with the help of a determined meter, where nature only employs its great serial law. [10]
183. What is conventional and arbitrary in our arithmetical system therefore proves nothing against the absoluteness of science and only shows the weakness of our intelligence; there is better: it is useful and often essential for us to study comparatively, on the same object, several systems, several modes of classification and series.
This is how math teachers teach their students to calculate in the binary, ternary, octaval, duodecimal, etc. systems; then to transcribe the arithmetic expressions from one number system to the other. If we could embrace in thought all the possible systems of numeration, we would make instantly, without the slightest trouble, almost without calculation, the most complicated operations. Because, as in our decimal system the position of the comma indicates a multiplication or a division by ten, a hundred, a thousand, in the same way it would indicate the multiplication or the division by any number, taken then as the basis of the system. It would be like the translation of the same thought into several languages.
Let us then pose as an axiom that all arithmetic series are objectively true, and that the decimal series only becomes subjective in us in consequence of the exclusion that we give to others.
184. What we have just demonstrated of arithmetic is true of all the sciences: subjective as to the choice of point of view, absolute as to intrinsic certainty.
When Linnaeus classified the plants according to the number, insertion, union, or separation of the genital organs, he made an objectively and absolutely true system, as natural as any other, but only with regard to the sexual organs, and their more or less known relations with the other parts of the plant.
Others after Linnaeus tried to classify plants according to the leaves, the stem, the fruit, the duration of vegetable life, etc., sometimes isolating, sometimes considering their various characters simultaneously. These were so many new points of view, with the help of which these naturalists sought to grasp the serial gradations followed by nature. And under how many aspects could the vegetable kingdom still be studied! the chemical, medical, nutritional, industrial, etc. properties of the fruit, flower, stem, bark, sap, leaves, root; culture, climate, the relationship of plant species to animal species, etc. M. de Humboldt, considering only the exterior physiognomy of plants, has divided them into fifteen groups,
185. The same observation applies to zoology. According to Cuvier’s classification, the monkey and the bat, the ugliest animals perhaps occupy the first place after man: this distribution is excellent in a system established according to the consideration of anatomical characters; it is even possible that, in other more distant respects, the series preferred by Cuvier is the most useful and fruitful for our science. But it is no less true that Cuvier’s zoological system is not the only one possible, although, in the present state of science, and for a determined object, it is the most convenient. The study of mores, habits, for example, would bring closer to us certain species that comparative anatomy distances from them: the courage, intelligence and docility of the dog, the monogamy of the doves, the magnanimity of the horse, the lion and of the eagle, would be all the more legitimate differential characters, that ultimately they are the synthetic result of the organization. But according to what lawa priori, would the consideration of the parts prevail in the eyes of the classifier over that of the whole, the organ over the function, the means over the end?
186. Celui-là serait donc bien peu philosophe et investigateur maladroit qui, se renfermant volontairement dans une des mille séries de la nature, prétendrait ramener à cet ordre restreint des créations ordonnées selon des combinaisons innombrables. Loin de là, notre intelligence des choses est d’autant plus profonde, notre compréhension d’autant plus vaste, que nous embrassons à la fois plus de séries et de points de vue.
Tel fut aussi le principe qui dirigea le célèbre botaniste et voyageur Adanson dans la classification qu’il avait faite des plantes, et dont Bernard de Jussieu eut la gloire de formuler la loi. Adanson ayant reconnu que la somme des parties, depuis les moins importantes jusqu’aux plus essentielles, dans tous les végétaux, ne dépassait guère 63 ou 64, s’était dit : Je classerai toutes les plantes, d’abord selon chacune de leurs parties ; puis je formerai des groupes de celles qui auront un certain nombre de parties semblables, depuis 1 jusqu’à 63 ; et de la sorte j’arriverai à un système qui, embrassant celui de Linnée, Tournefort, et autres, aura la plus grande généralité possible.
Adanson fit plus : il découvrit que, parmi les organes des végétaux, il en est qui créent un rapport de proximité beaucoup plus grand que d’autres : tellement que deux individus qui ne se ressembleraient que par le fruit seraient plus voisins que s’ils se ressemblaient par dix ou douze parties moins essentielles, comme vrilles, stipules, épines, barbes, etc. Tel est le principe fondamental des familles naturelles.
Or, si la botanique est aujourd’hui l’une des sciences les mieux organisées, ne le doit-elle pas surtout à cette compréhension générale des divers points de vue sous lesquels on peut considérer une plante, à ce mode de classification, le plus élevé de tous, qui résulte de la sériation même des séries ?
187. D’après l’exemple que nous venons de citer, et qu’il serait aisé d’étendre à la zoologie, on voit que ce qui est impraticable dans une science le devient dans une autre : par exemple, que la compréhension simultanée des systèmes de numération est impossible, tandis que celle des séries botaniques ne l’est pas.
Cette observation acquerra tous les jours plus d’importance, à mesure que la science abordera des questions dont la solution directe serait hors de notre portée : c’est alors qu’on verra les sciences se venir en aide, et se prêter, indépendamment de toute analogie, le secours de leurs séries respectives.
188. Mais une chose qui importe davantage au progrès et à la fixité des sciences, est la nécessité non-seulement d’en déterminer le point de vue et le mode sériel, mais de s’y attacher avec force et de n’en pas changer à tout propos. Parce que l’arithmétique est vraie dans une infinité de systèmes, s’ensuit-il que nous devions abandonner notre numération décimale aujourd’hui qu’elle a informé de son moule la société, la littérature, l’industrie, les sciences, notre intelligence elle-même ? Et serait-ce faire preuve de capacité et d’un vrai génie mathématique, de mêler et de confondre dans les opérations les séries binaires, ternaires, septénaires, décimales et duodécimales ? Quelle vérité pourrait exister dans de semblables calculs ?…
Voilà pourquoi M. Dumas, défendant le système de Lavoisier contre les innovations de MM. Davy, Dulong, et autres chimistes de notre époque, s’écriait dans une de ses admirables leçons : « Dès qu’une théorie n’est pas appuyée sur quelque nécessité, je la repousse : il ne suffit pas qu’elle soit rigoureusement possible ; il faut qu’elle soit nécessaire, ou tout au moins utile, et basée sur des raisons solides. Il faut surtout, lorsqu’elle est destinée à en remplacer une autre, qu’elle soit mieux établie et plus raisonnable que celle qu’on s’apprête à renverser. »
Une telle manie d’innovation est assez rare chez les intelligences d’élite : ordinairement elle est le propre de ces esprits faibles, incapables par eux-mêmes d’aucune découverte, ne sachant que retourner celles des autres, et qui s’imaginent faire merveille lorsque, parvenus au haut de l’échelle, ils s’aperçoivent avec ravissement qu’ils ont autant de degrés à descendre qu’ils en avaient tout à l’heure à monter, et voudraient obliger les autres à les compter non plus de bas en haut, mais de haut en bas.
189. On connaît la démonstration de ce théorème d’arithmétique : Dans quelque ordre que l’on multiplie deux facteurs, le produit ne change pas. Elle consiste à montrer, par une figure très-simple
qu’un groupe formé, par exemple, de quatre séries perpendiculaires, composées chacune de trois unités, est identique à un groupe formé de trois séries horizontales, composées chacune de quatre unités[11].
Cette figure est l’image du monde : de quelque côté que l’on envisage la nature, on la trouve différenciée, sériée : sous toutes les faces, il y a système, et système toujours nouveau : mais la variété des séries n’altère point leur certitude ; elles se croisent, se mêlent, mais ne se contredisent pas ; elles restent absolument et intégralement vraies. Le système entier est immuable.
Tirons de là une première conséquence : Notre science ira pas besoin, pour être absolue, de devenir universelle.
En effet, d’après tout ce que nous avons précédemment exposé, la connaissance est d’autant plus profonde, qu’elle s’élève à un plus haut degré dans les propriétés d’une série et les déterminations d’un point de vue ; elle est d’autant plus vaste ou compréhensive, qu’elle embrasse un plus grand nombre d’aspects. Mais ce qui constitue l’absolu de la connaissance, c’est la propriété et la régularité de la série.
190. Puisque chaque série renferme en elle-même son principe, sa loi, sa certitude, il s’ensuit que les séries sont indépendantes, et que la connaissance de l’une ne suppose ni ne renferme la connaissance de l’autre.
Les nombres gouvernent le monde, disait Pythagore : peut-être entendait-il par ce mot numeri, en grec arithmoï, dont l’acception est assez large, la mesure, l’harmonie, la symétrie, en un mot, la série. Mais, à prendre le mot de Pythagore dans le sens ordinaire, il est impossible d’en admettre la généralité. Par exemple, de ce que, dans la société, les intérêts matériels se règlent généralement à l’aide d’un signe tout à fait mathématique, la monnaie, on serait très-mal fondé à prétendre que l’organisation de la société peut sortir d’une opération de banque, d’une combinaison financière. Le classement des travailleurs, leur éducation, la balance de leurs droits et de leurs devoirs, sont des problèmes pour la solution desquels l’arithmétique est de peu de ressource.
Les médecins ont observé dans de certaines fièvres des périodes numériques : cela prouve-t-il que l’arithmétique et l’algèbre soient le dernier mot de la physiologie ?
Les sons ont été soumis à l’analyse mathématique : cette analyse, que la plupart des grands compositeurs eussent été incapables d’exécuter, suffit-elle pour former un Mozart ou un Beethoven ? Et, en admettant que chaque son soit un rapport arithmétique, la succession de plusieurs milliers de ces rapports dont se compose l’opéra de la Juive ou de Robert le Diable, n’est-elle qu’une série arithmétique ? Non, non, ce ne sont pas les chiffres qui forment les musiciens, pas plus que la prosodie ne fait les poëtes ou la statique les danseurs et les architectes. Et qu’est-ce que l’astronomie nous apprendrait sur la loi des salaires, la cristallographie sur la formation des langues, l’anatomie comparée sur la législation et l’histoire ? Quel rapport entre un oignon de tulipe, une tête de pavot, une fleur de nénuphar, et la division de la France en provinces ou départements ? Les spires d’un limaçon nous expliqueront-elles les révolutions du globe ?…
Tenons donc pour certain que les séries d’ordres divers sont indépendantes ; qu’elles ne s’expliquent point les unes les autres, et qu’en toute science il faut, sans rien préjuger de connaissances étrangères, chercher la série propre, l’en soi et le pour soi de la chose qu’on étudie.
191. L’indépendance des sphères sérielles étant reconnue, une ligne de démarcation infranchissable sépare les sciences les unes des autres, et l’idée d’une science universelle est pour nous une contradiction. En effet, quand on supposerait toutes les sciences nées ou à naître, portées d’abord à leur plus haut point de perfection, et réunies dans un seul homme, il en résulterait bien pour cet homme l’universalité des connaissances, mais non pas une science universelle. Pour qu’il y eût science universelle, il faudrait que toutes les sciences particulières s’enchaînassent les unes aux autres de manière à former une série démontrable par un principe unique[12], et susceptible d’être, dans son immense étendue, analysée par une même loi et ramenée aux mêmes éléments. Il faudrait qu’en partant d’une science quelconque on pût encore, sans savoir rien des autres, les créer toutes par une sorte d’à priori, ce qui reviendrait à une intégration universelle.
Or, c’est ce que le plus simple coup d’œil, jeté sur les sciences déjà constituées et classées, prouve être impossible. Si quelque chose dans les sciences pouvait faire une synthèse générale, ce ne serait pas l’identité présumée de leurs derniers théorèmes, puisque plus elles font de progrès, plus elles mettent entre elles de distance ; mais bien la communauté de leur objet, et l’identité ou l’équivalence de leurs séries. Mais les sciences différent essentiellement et dans leur objet, et dans leur mode de sériation : une science universelle est donc impossible.
192. Une chose pourtant semble infirmer ce que nous venons de dire, et c’est celle-là même qui nous occupe en ce moment, loi sérielle, la métaphysique. Toutes les sciences, avons-nous dit, relèvent de la métaphysique ; c’est elle qui donne à chacune la méthode et la certitude : comment donc la métaphysique n’est-elle pas la synthèse des sciences, la science universelle ?
Il faut ici prendre garde. Ce qui produit dans les sciences la diversité de série est la diversité de l’objet : or, bien que l’on puisse par l’abstraction de tout objet s’élever à une théorie générale de sériation, les diverses formes de série ne s’expliquent pas les unes par les autres, et il n’y a point de science universelle, parce qu’il n’y a pas d’objet universel.
193. Mais cela même paraît contradictoire : comment, antérieurement à la série, peut-il y avoir multiplicité d’objet ? Cette proposition est pourtant vraie, sinon absolument et dans la réalité des choses, ce que nous ne pouvons savoir, du moins d’une manière subjective et relativement à nous. La substance, la force, le nombre, l’étendue, au milieu de tout cela peut-être un moi primordial, infini, éternel, toutes ces natures naturantes, comme dit l’école, devenant par la série natures naturées, ne se résolvent pas pour nous en un genre suprême ; elles ne forment point entre elles une série que nous puissions vérifier : ce sont autant d’infinis à part, donnant lieu à des séries distinctes, et produisant par leur association de nouveaux éléments, dont les séries sont incalculables par les premières. Nous touchons ici les limites de l’esprit humain. Quand donc on soutiendrait, ce qui ne peut même être prouvé, que la science universelle est possible objectivement, qu’elle existe en Dieu, par exemple, une telle science est pour nous comme si elle n’était pas, et notre thèse subsiste tout entière.
194. De toutes ces considérations, il résulte que la métaphysique, ou théorie de la loi sérielle, n’est point science, mais méthode ; non point méthode spéciale et objective, mais méthode sommaire et idéelle ; qu’elle ne préjuge et n’exclut rien, accueille tous les faits et les appelle sans crainte d’être démentie par aucun ; qu’elle ne prétend nullement donner par elle-même la connaissance, et n’anticipe pas sur l’observation : bien différente en cela des prétendus systèmes universels, bâtis sur l’attraction, l’expansion, la causation, la déification et autres systèmes ontologiques, monuments de paresse et d’impuissance.
186. One would therefore be very clumsy investigator and not much of a philosopher who, voluntarily confining himself to one of the thousand series of nature, would claim to reduce to this restricted order creations ordered according to innumerable combinations. Far from it, our intelligence of things is all the more profound, our comprehension all the more vast, as we embrace both more series and more points of view.
Such was also the principle that guided the famous botanist and traveler Adanson in the classification that he had made of plants, of which Bernard de Jussieu had the glory of formulating the law. Adanson having recognized that the sum of the parts, from the least important to the most essential, in all plants, hardly exceeded 63 or 64, said to himself: I will classify all plants, first according to each of their parts; then I will form groups of those which will have a certain number of similar parts, from 1 to 63; and in this way I shall arrive at a system that, embracing that of Linnaeus, Tournefort, and others, will have the greatest possible generality.
Adanson did more. He discovered that, among the organs of plants, there are some that create a relationship of proximity much greater than others: so much so that two individuals who resemble each other only in fruit would be closer than if they resembled each other in ten or twelve less essential parts, such as tendrils, stipules, spines, barbs, &c. This is the fundamental principle of natural families.
Now, if botany is today one of the best organized sciences, does it not owe it above all to this general comprehension of the various points of view under which one can consider a plant, to this mode of classification, the highest of all, which results from the very seriation of the series?
187. According to the example that we have just cited, which it would be easy to extend to zoology, we see that what is impracticable in one science becomes so in another: for example, that the simultaneous comprehension of systems of numeration is impossible, while that of botanical series is not.
This observation will acquire more importance every day, as science approaches questions whose direct solution would be beyond our reach: it is then that we will see the sciences come to the aid of each other, and lend themselves, independently of any analogy, the aid of their respective series.
188. But one thing that matters more to the progress and fixity of the sciences, is the necessity not only of determining its point of view and its serial mode, but of clinging to it with force and not change it at every turn. Because arithmetic is true in an infinity of systems, does it follow that we should abandon our decimal numeration today that it has molded society, literature, industry, science, our intelligence itself? And would it be proof of capacity and of a true mathematical genius, to mix and confuse in the operations the binary, ternary, septenary, decimal and duodecimal series? What truth could exist in such calculations?…
This is why M. Dumas, defending the system of Lavoisier against the innovations of MM. Davy, Dulong, and other chemists of our time, exclaimed in one of his admirable lessons: “As soon as a theory is not based on some necessity, I reject it: it is not enough that it be rigorously possible; it must be necessary, or at least useful, and based on solid reasons. Above all, when it is intended to replace another, it must be better established and more reasonable than that which is about to be overthrown.”
Such a mania for innovation is quite rare among elite intelligences: ordinarily it is characteristic of these weak minds, incapable of any discovery by themselves, not knowing what to return to those of others, who imagine themselves making marvels when, having reached the top of the ladder, they realize with delight that they have as many steps to descend as they had just now to ascend, and would like to oblige the others to count them no longer from bottom up, but from top down.
189. We know the proof of this theorem of arithmetic: In whatever order we multiply two factors, the product does not change. It consists in showing, by a very simple figure
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that a group formed, for example, of four perpendicular series, each composed of three units, is identical to a group formed of three horizontal series, each composed of four units. [11]
This figure is the image of the world: from whatever side one considers nature, one finds it differentiated, seriated: under all sides, there is a system, and an ever new system, but the variety of series does not alter not their certainty; they intersect, mingle, but do not contradict each other; they remain absolutely and integrally true. The whole system is immutable.
Let us draw from this a first consequence: Our science will not need, in order to be absolute, to become universal.
Indeed, according to all that we have previously shown, knowledge is all the more profound as it rises to a higher degree in the properties of a series and the determinations of a point of view; it is all the more vast or comprehensive as it embraces a greater number of aspects. But what constitutes the absolute of knowledge is the propriety and the regularity of the series.
190. Since each series contains within itself its principle, its law, its certainty, it follows that the series are independent, and that the knowledge of one neither supposes nor includes the knowledge of the other.
Numbers govern the world, said Pythagoras: perhaps he meant by this word numeri, in Greek arithmoi, whose meaning is quite broad, measure, harmony, symmetry, in a word, the series. But, to take the word of Pythagoras in the ordinary sense, it is impossible to admit its generality. For example, because in society material interests are generally regulated by the aid of a completely mathematical sign, currency, one would be very ill-founded in claiming that the organization of society can arise from a banking operation, from a financial combination. The classification of workers, their education, the balance of their rights and their duties, are problems for the solution of which arithmetic is of little help.
Physicians have observed numerical periods in certain fevers: does this prove that arithmetic and algebra are the last word in physiology?
Sounds have been subjected to mathematical analysis: is this analysis, which most great composers would have been unable to perform, sufficient to form a Mozart or a Beethoven? And, assuming that each sound is an arithmetical ratio, is the succession of several thousand of these ratios of which the opera of La Juive or Robert le Diable is composed only an arithmetic series? No, no, it is not numbers that make musicians any more than prosody makes poets or statics makes dancers and architects. And what would astronomy teach us about the law of wages, crystallography about the formation of languages, comparative anatomy about legislation and history? What is the relationship between a tulip onion, a poppy head, a water lily flower, and the division of France into provinces or departments? Will the whorls of a snail explain to us the revolutions of the globe?…
Let us therefore hold for certain that the series of various orders are independent; that they do not explain each other, and that in all science it is necessary, without prejudging anything foreign knowledge, to seek the proper series, the in-itself and the for-itself of the thing that one studies.
191. The independence of the serial spheres being recognized, an impassable line of demarcation separates the sciences from each other, and the idea of a universal science is for us a contradiction. Indeed, if we suppose all the sciences born or to be born, brought first to their highest point of perfection, and united in a single man, the result would indeed be for this man the universality of knowledge, but not a universal science. For there to be universal science, all the particular sciences would have to be linked together in such a way as to form a series demonstrable by a single principle [12], and capable of being, in its immense extent, analyzed by the same law and reduced to the same elements. It would be necessary that, starting from any science, one could still, without knowing anything about the others, create them all by a sort of a priori, which would amount to a universal integration.
Now, this is what the simplest glance, cast over the sciences already constituted and classified, proves to be impossible. If anything in the sciences could make a general synthesis, it would not be the presumed identity of their last theorems, since the more progress they make, the more distance they place between themselves; but indeed the community of their object, and the identity or equivalence of their series. But the sciences differ essentially both in their object and in their mode of seriation: a universal science is therefore impossible.
192. One thing, however, seems to invalidate what we have just said, and it is the very one that occupies us at this moment, serial law, metaphysics. All the sciences, we have said, belong to metaphysics; it is what gives to each the method and the certainty: how then is metaphysics not the synthesis of the sciences, the universal science?
It is necessary to be careful here. What produces in the sciences the diversity of series is the diversity of the object: now, although one can, by the abstraction of any object, rise to a general theory of seriation, the various forms of series are not explained one by the other, and there is no universal science, because there is no universal object.
193. But even that seems contradictory. How, prior to the series, can there be a multiplicity of object? This proposition is nevertheless true, if not absolutely and in the reality of things, which we cannot know, at least in a subjective way and relatively to us. The substance, the force, the number, the extent, in the middle of all that perhaps a primordial self, infinite, eternal, all these naturing natures, as the academics say, becoming through the series naturated natures, do not resolve themselves for us in a supreme kind; they do not form between them a series that we can verify. They are as many infinities apart, giving rise to distinct series, and producing by their association new elements, the series of which are incalculable by the first. Here we are touching the limits of the human mind. If, therefore, one were to maintain, which cannot even be proved, that universal science is objectively possible, that it exists in God, for example, such a science is for us as if it were not, and our thesis subsists entirely.
194. From all these considerations, it results that metaphysics, or theory of the serial law, is not science, but method; not a special and objective method, but a summary and ideal method; that it neither prejudges nor excludes anything, accepts all facts and refers to them without fear of being contradicted by any; that it in no way claims to give knowledge by itself, and does not anticipate observation: quite different in this from the so-called universal systems, built on attraction, expansion, causation, deification and others ontological systems, monuments of laziness and impotence.
§ III. — Une dialectique sérielle est-elle possible ? — Progrès accompli dans cette direction.
195. Les êtres organisés et inorganisés nous sont connus par des formes, des combinaisons, des propriétés sériées ; leurs dimensions, leurs mouvements, leur action réciproque, par des séries. Les nombres ne nous deviennent appréciables que par l’introduction dans la multiplicité d’une série quelconque. La connaissance de ces choses constitue la meilleure part de nos richesses intellectuelles : ajoutons même que déjà notre entendement a subi la forme des objets, et que celui-là seul raisonne bien et pertinemment des sciences naturelles et mathématiques, qui coordonne son langage et ses idées avec l’objet même dont il parle.
Puis donc que la distribution sérielle nous offre la seule méthode exacte, la seule certitude objective et absolue que nous, puissions obtenir, s’il était possible d’appliquer la série aux sciences restées jusqu’à ce jour dans le domaine religieux ou philosophique, à la politique, à la morale, à la théodicée, etc., c’est-à-dire, si nous pouvions découvrir d’après quelle série de faits et d’idées l’on pourrait constituer ces sciences, n’est-il pas à croire que sur toutes les questions aujourd’hui tant controversées notre dialectique deviendrait une sorte d’algèbre, et que nous procéderions avec autant de sûreté qu’en arithmétique et en géométrie ? N’est-il pas vrai que du même coup les sciences dont je parle deviendraient sciences exactes, égales en certitude à toutes les autres ?
196. Un préjugé, favorable à cette conjecture, vient fortifier notre espérance. Admettant que l’homme et la société, de même que les règnes animal et végétal, se développent selon des lois certaines, divines et spéciales, ces lois ne peuvent être connues qu’autant qu’elles auront pris un certain développement : comme l’orbite d’une planète se détermine d’après la description d’un arc, si petit qu’il soit, de cette orbite, et la circonférence de la terre d’après la mesure d’un arc du méridien.
Si cette analogie est vraie, elle nous explique, d’une part, le retard des sciences morales et politiques ; de l’autre, elle nous montre ce que nous avons à faire pour en opérer la constitution. À cet effet, trois choses sont nécessaires :
1o Montrer que la série est la loi formelle et absolue de la nature et de l’intelligence ;
2o Prendre pour objet d’étude l’homme, son histoire, ses pensées, ses opinions, ses mœurs, ses vertus et ses crimes, ses travaux et ses folies ;
3o Reconnaître la série propre de chacune de ses tendances et manifestations.
197. Et comme il est peu présumable que l’homme ait porté si haut le développement des sciences, des arts, de l’industrie, sans une aperception quelconque de la loi sérielle ; comme, dans le mouvement civilisateur, il ne se voit point de révolution subite, de connaissance acquise sans préparation et sans antécédents : cherchons d’abord si, à travers le mouvement philosophique, il n’y aura pas eu effort spontané et tentative constante de classification des idées, de série dialectique.
198. Période religieuse. Je me bornerai à rappeler deux curieux monuments de cette période : le Décalogue et la Semaine.
Le Décalogue se compose d’une suite de préceptes rangés en une série septénaire, laquelle embrasse dans sa circonscription tous les devoirs de morale publique et privée, et forme, quant à l’importance et à la fondamentalité du précepte, une progression régulièrement décroissante : 1. Respect à la religion, sans laquelle point de société, point d’État, point de patrie ; 2. Soumission aux pères et mères et aux supérieurs ; 3. Défense de l’homicide ; 4. — de l’adultère ; 5. — du vol ; 6. — de la calomnie et du mensonge ; 7. — de la cupidité ou intempérance du cœur. En d’autres termes : Respect à la Divinité et aux parents ; respect à la personne du semblable ; respect à la famille, à son bien, à sa réputation ; enfin, respect à soi-même.
Ce résumé législatif nous offre un essai de formule sérielle d’autant plus remarquable, que les formules de cette espèce ne sont guère le résultat que d’une profonde et infatigable analyse, chose qu’il serait hasardeux de supposer dans l’auteur du Décalogue.
199. La semaine fut, dit-on, instituée en mémoire des six jours de la création. On sait les infructueuses tentatives faites dans ces derniers temps pour accorder les journées ou époques cosmogoniques de Moïse avec les découvertes de la géologie : au moment où j’écris, des théologiens géologues y travaillent encore. Il y a, selon moi, une manière plus simple d’expliquer la Genèse : sous l’emblème d’une création hebdomadaire, elle a voulu dire que le Créateur avait opéré selon une série progressive, et non par une création simultanée ; et c’est aussi ce que le bon sens et la géologie démontrent. Quant au nombre sept, adopté pour cette série, c’est le nombre employé symboliquement par les Orientaux pour exprimer une série complète et terminée, mais dont la mesure précise est inconnue.
Ces exemples, et une foule d’autres que je pourrais citer, prouvent que l’esprit de l’homme tend invinciblement à classer, grouper, symétriser ses idées : mais le sentiment impérieux de son existence et de son activité détourne d’abord son attention, et l’engage dans une autre route.
200. Période philosophique. L’aperception la plus vive de la loi sérielle dont l’histoire ait conservé le souvenir, est celle qui eut lieu dans Platon. La notion de la série fut en lui tout à la fois si confuse et si forte, qu’il en demeura comme halluciné, et qu’il remplit ses ouvrages des imaginations singulières que son idéomanie lui suggéra. Ainsi, après avoir parfaitement compris que les idées sont des représentations de groupes, de genres, d’espèces, de suites, etc., au lieu de se borner à dire que nous n’apercevons des choses que leurs rapports et leurs séries, il prétendit que rien n’existait que les idées ; au lieu de comprendre que l’idéal est encore la série, telle qu’elle se révèle à l’esprit par sa loi de formation, et indépendamment des perturbations accidentelles qu’elle souffre du dehors, il enseigna que les idées étaient innées en nous, que leur type était en Dieu, dont il constituait l’intelligence ; que le monde était leur empreinte, etc. Enfin, Platon méconnut l’indépendance des séries. Au lieu d’y chercher une théorie générale de sériation, il crut que les idées étaient toutes liées entre elles, et il essayait de remonter par ce rapport imaginaire à la connaissance de l’un, de l’absolu.
201. La philosophie de Platon ne pouvait être entendue de son temps, ni par conséquent être développée : l’idée de causalité était dominante, et faussait toutes les aperceptions sérielles. On a va précédemment quelle était la valeur du syllogisme : je n’ajouterai plus qu’un mot. Le syllogisme, composé de deux prémisses, l’une femelle, si j’ose ainsi dire, et l’autre mâle, produisant par leur accouplement un troisième terme ou conséquence, est bien réellement une série, l’ébauche de la série dialectique : qu’est-ce donc qui l’empêche d’être cette série elle-même ? C’est, comme je l’ai dit, l’idée de causalité qui s’y trouve mêlée : c’est que nos idées, une fois acquises par l’expérience et la réflexion, se groupent, mais qu’elles ne s’engendrent pas, et que la série syllogistique prétend ou suppose le contraire. Il ne suffit pas qu’une méthode de démonstration soit sériée pour être utile ; il faut qu’elle n’implique aucun principe étranger à la série. Cette condition n’a plus lieu, dès que l’on introduit l’idée de causalité dans le raisonnement.
202. Pendant qu’on abandonnait les genres et espèces de Platon pour se livrer à la sophistique, un autre travail de classification des idées s’accomplissait, plus stérile, plus impuissant encore que le premier. On essayait de ranger toutes les idées possibles sous un certain nombre de groupes fixes et irréductibles. Ce sont ces groupes ou têtes de colonnes qui, sous les noms de catégories, ont fait une si immense fortune.
« Dans tout arrangement logique, il y a toujours, suivant le philosophe indien Kanada, six choses à prouver, la substance, la qualité, l’action, le commun, le propre, la relation[13]. »
Ces six genres fondamentaux ont été remaniés, augmentés, réduits plusieurs fois par les successeurs de Kanada.
De son côté, Aristote, après avoir organisé la machine syllogistique, établit aussi, comme les Hindous, des catégories ; il en fit dix, quatre de plus que Kanada. « Il y a dix genres, entre lesquels se partagent tous les attributs que l’on peut ordinairement affirmer (en grec catégoreïn, prædicare, d’où catégoria, prædicatum) d’un sujet : l’être proprement dit, la quantité, la qualité, la relation, le lieu, le temps, la situation, la possession, l’action, la passion[14]. »
Ainsi, au dire d’Aristote lui-même, les catégories sont des genres, des groupes suprêmes, ou plutôt des étiquettes sous lesquelles viennent se ranger toutes les idées. Je n’examine pas en ce moment quelle est la valeur et l’utilité des catégories, quelle garantie nous avons de leur précision et de leur nombre : je me borne à constater la tendance générale de l’esprit humain, qui, au même instant, dans la Grèce et l’Inde, s’efforçait, par le syllogisme et les catégories, de sérier les idées.
203. Près de quinze siècles après Aristote, sous les noms de réalisme, nominalisme, conceptualisme, catégories et universaux, on se mit à la recherche de la série dialectique avec une telle ardeur, que la théorie sérielle eût été probablement découverte, si l’état général des sciences à cette époque l’eût permis. Les temps modernes n’ont pas produit de dialecticiens plus pénétrants, plus ingénieux qu’un Guillaume de Champeaux, un Abailard, un Gilbert de la Porée, et tous ces docteurs subtil, angélique, séraphique, universel, irréfragable, admirable, invincible, illuminé, etc., qui tous étonnèrent leurs contemporains, comme ils fatiguent l’érudition des modernes. L’effort dialectique qui se produisit au moyen âge et pendant plus de quatre siècles est prodigieux : malheureusement les sciences fournissaient peu de points de comparaison ; et, malgré la puissance d’abstraction et de généralisation des philosophes, comme on ne sortait pas de la méthode déductive, la question demeura, ou peu s’en faut, au point où on l’avait prise.
204. Enfin Bacon parut, apportant au monde son Novum Organum, Nouvel Instrument. La première partie de cet ouvrage est une sorte de prodrome nosographique et thérapeutique, dans lequel Bacon passe en revue les erreurs ou maladies de l’esprit humain auxquelles il donne le nom de fantômes, idola, avec indication des remèdes. Ce n’est point encore là de la méthode ; mais du moins c’est de l’observation, et l’observation conduit à la méthode.
Dans la deuxième partie de l’Organe, Bacon enseigne les règles de la méthode inductive, dont, selon lui, Platon aurait à peine donné l’ébauche. On voit par là que Bacon était avant tout homme de réaction, et c’est ce qui explique l’insuffisance de ses efforts. Au syllogisme, à la méthode déductive, dont l’impuissance était flagrante, Bacon opposait la méthode inverse, l’induction, remontant du fait à la cause, au lieu de descendre, comme Aristote, de la cause au phénomène, et s’imaginant que voyager d’Occident en Orient, au lieu d’aller d’Orient en Occident, c’était réellement changer de route. Bacon fit comme l’auteur du troisième Évangile : Matthieu avait donné la généalogie d’Abraham à Jésus ; Luc, par une inspiration nouvelle, donna celle de Jésus à Abraham. Malheureusement les deux évangélistes ont oublié les collatéraux, et négligé de se procurer des extraits de naissance authentiques ; et leurs généalogies ne s’accordent ni entre elles, ni avec l’histoire, ni avec le sens commun.
205. Bacon fit pourtant quelque chose de plus. Un de ses principes était, que connaître une chose, c’est en connaître la cause. D’après cela il pensait qu’au lieu de supposer la cause, comme cela a lieu dans le syllogisme, il fallait la découvrir par la comparaison de tous les effets, à tous les degrés ; et c’est d’après cette idée qu’il dressa une table de comparaison, destinée à découvrir les formes de la nature, c’est-à-dire les lois qui président aux opérations simples, et les causes formelles (principes) des qualités des choses. Bacon marchait droit à la découverte de la loi sérielle ; et, d’après ce qu’on vient de lire, son induction ressemble fort à une formation de groupes et de séries. Mais l’idée de causalité le dominait toujours ; d’ailleurs, sa méthode ne lui paraissait utile qu’aux sciences naturelles, hors desquelles il n’admettait pas de certitude[15]. Aussi la réforme de Bacon n’eut point la généralité qu’elle pouvait obtenir : mais du moins la nouvelle logique exigeait l’observation et la comparaison des faits ; elle enseignait à grouper d’après l’identité des caractères, et, bien qu’elle conclût souvent au delà de ce qu’il fallait, c’était un grand pas vers la méthode universelle. Aucun homme n’a plus contribué au progrès de l’esprit humain que Bacon.
206. La philosophie ayant été niée par Bacon, Descartes entreprit de la reconstituer. Mais son livre de la Méthode ne renferme guère que des préceptes d’hygiène intellectuelle, et n’a pas fait avancer d’une ligne la solution du problème métaphysique[16]. Il recommande de se défier du préjugé, d’éviter la précipitation dans les jugements, de bien observer, analyser, etc., conseils excellents, mais un peu surannés. Toutefois cette méthode, plutôt curative que démonstrative, contribua singulièrement à la ruine de toutes les espèces de préjugés : depuis Descartes, on commença de crier tant et si bien contre les superstitions, les fausses opinions, les jugements préconçus, etc., que le doute a pris partout la place des croyances, et qu’il n’est pas aujourd’hui d’homme un peu éclairé qui soit en état de soutenir une profession de foi politique, morale ou religieuse.
207. Condillac aborda plus franchement le problème de la méthode : il adopta pour principe de démonstration et critérium de certitude, l’identité. C’était quelque chose, puisque le principe de la série est un rapport toujours égal à lui-même entre les unités sérielles. Mais l’identité de Condillac n’enseigne point à former des groupes, puis à combiner ces groupes, pris pour unités simples, en groupes supérieurs ; et, sous ce rapport, le disciple de Descartes est en arrière de Bacon. L’identité, considérée comme méthode et critérium, est quelque chose d’aussi vague que l’évidence et la nécessité : c’est plutôt un résultat de la méthode, que la méthode elle-même.
208. Vers la fin du dix-huitième siècle, un philosophe allemand entreprit sur nouveaux frais l’inventaire de l’esprit humain, et le classement des catégories. D’après Kant[17], toutes nos pensées, quant à leur objet, sont conçues dans le temps et l’espace ; quant à leur forme, elles se ramènent à douze genres, ou pour mieux dire à douze points de vue, préformés dans l’entendement. Ce sont ces points de vue généraux (sous lesquels toute série est nécessairement construite) que Kant, à l’exemple d’Aristote, a nommé catégories. Mais il prétend les avoir déterminées par une reconnaissance à priori des fonctions de l’entendement ; tandis qu’Aristote n’aurait établi les siennes qu’au hasard, et comme elles s’offraient à son esprit. Quoi qu’il en soit de l’exactitude des catégories de Kant, il faudra toujours avouer que, pour la recherche et la démonstration de la vérité, ces catégories sont d’un faible usage. En effet, quand on admettrait que nos jugements sont tous nécessairement, au fond, singuliers, pluriels ou généraux ; affirmatifs, négatifs ou limitatifs ; catégoriques, hypothétiques ou disjonctifs ; problématiques, assertoriques ou apodictiques : quand les points de vue primordiaux auxquels nos idées peuvent se rapporter, seraient l’espace, le temps, la quantité, la qualité, la relation, le mode, et non autres : quand, enfin, on ajouterait, avec M. Cousin, et par manière de résumé, que le fini, l’infini, et le rapport du fini à l’infini, embrassent la sphère entière de l’intelligence, qu’est-ce que cela ferait pour la méthode en elle-même ? quelle garantie en recevraient nos jugements ? quelle certitude en résulterait pour la dialectique et la réalité objective des idées ?
209. Toutes ces catégories sont une imitation des catégories grammaticales, vulgairement appelées parties du discours. Au lieu de la série ordinaire, Nom, Article, Adjectif, Pronom, Verbe, etc., les philosophes ont adopté le tableau des adverbes, divisés de temps immémorial, par les grammairiens, en adverbes de lieu, adverbes de temps, de quantité, qualité, affirmation, mode, etc. Or, quelle peut être l’utilité de cette classification en logique ? — On demande lequel est le moins mauvais, du gouvernement monarchique ou du républicain ? À quoi sert, pour la démonstration de cette thèse, de savoir qu’elle contiendra des noms, des verbes, des adverbes, des participes, des conjonctions, ou bien que les propositions en seront singulières, plurielles, générales, hypothétiques, assertoriques ou réciproques ?
Les catégories, à supposer toujours que le dénombrement et la détermination en soient rigoureux, sont à la métaphysique ce que les corps simples sont à la chimie : elles servent à exprimer ce qui est de soi inintelligible, la substance, la cause, la passion, etc. L’entendement ne fait rien sans elles ; or, la question n’est pas de savoir sur quoi l’entendement opère, mais comment il doit opérer[18].
§III. — Is a serial dialectic possible? — Progress made in that direction.
195. Organized and unorganized beings are known to us by forms, combinations, serial properties; their dimensions, their movements, their reciprocal action, by series. Numbers become appreciable to us only by the introduction into the multiplicity of some series. The knowledge of these things constitutes the best part of our intellectual wealth: let us even add that our understanding has already undergone the form of objects, and that he alone reasons well and pertinently from the natural and mathematical sciences who coordinates his language and his ideas with the very object of which he speaks.
Since the serial distribution therefore offers us the only exact method, the only objective and absolute certainty that we could obtain, if it were possible to apply the series to the sciences that have remained up to this day in the religious or philosophical domain, to politics, to morals, to theodicy, etc., that is to say, if we could discover according to what series of facts and ideas one could constitute these sciences, is it not to be believed that on all the questions that are so controversial today our dialectic would become a sort of algebra, and that we would proceed with as much certainty as in arithmetic and in geometry? Is it not true that at the same time the sciences of which I speak would become exact sciences, equal in certainty to all the others?
196. A prejudice, favorable to this conjecture, strengthens our hope. Admitting that man and society, as well as the animal and vegetable kingdoms, develop according to certain, divine and special laws, these laws can only be known insofar as they have taken a certain development: as the orbit of a planet is determined from the description of an arc, however small, of this orbit, and the circumference of the earth from the measurement of an arc of the meridian.
If this analogy is true, it explains to us, on the one hand, the backwardness of the moral and political sciences; on the other, it shows us what we have to do to bring about its constitution. For this, three things are needed:
1. Show that the series is the formal and absolute law of nature and intelligence;
2. To take as object of study man, his history, his thoughts, his opinions, his morals, his virtues and his crimes, his labors and his follies;
3. To recognize the proper series of each of his tendencies and manifestations.
197. And as it is hardly presumable that man has carried the development of the sciences, the arts, and industry so high, without any perception whatsoever of the serial law; as, in the civilizing movement, there is no sudden revolution, no knowledge acquired without preparation and without antecedents: let us first seek whether, through the philosophical movement, there will not have been a spontaneous effort and a constant attempt at the classification of ideas, of dialectical series.
198. Religious period. I will limit myself to recalling two curious monuments of this period: the Decalogue and the Week.
The Decalogue is composed of a series of precepts arranged in a seven-fold series, which embraces in its circumscription all the duties of public and private morality, and forms, as to the importance and fundamentality of the precept, a regularly decreasing progression: 1. Respect for religion, without which there is no society, no state, no country; 2. Submission to fathers and mothers and superiors; 3. Prohibition of homicide; 4. — of adultery; 5. — of theft; 6. — of slander and lies; 7. — of cupidity or intemperance of the heart. In other words: Respect to the Divinity and to parents; respect to the person of our fellows; respect for the family, its property, its reputation; finally, self-respect.
This legislative summary offers us an attempt at a serial formula that is all the more remarkable in that formulas of this kind are hardly the result of anything but a deep and indefatigable analysis, something that it would be risky to suppose in the author of the Decalogue.
199. The week was said to be instituted in memory of the six days of creation. We know of the fruitless attempts made in recent times to reconcile the cosmogonic days or epochs of Moses with the discoveries of geology: at the time when I write, geologists are still working on them. There is, in my opinion, a simpler way of explaining Genesis: under the emblem of a weekly creation, it meant that the Creator had operated in a progressive series, and not by a simultaneous creation; and that is also what common sense and geology demonstrate. As for the number seven, adopted for this series, it is the number used symbolically by the Orientals to express a series that is complete and finished, but whose precise measure is unknown.
These examples, and a crowd of others that I could cite, prove that the mind of man tends invincibly to classify, group, symmetrize his ideas: but the imperious feeling of his existence and of his activity first diverts his attention, and engages him in another road.
200. Philosophical period. The most vivid aperception of the serial law of which history has preserved the memory is that which took place in Plato. The notion of the series was in him at the same time so confused and so strong, that he remained as if hallucinating, and that he filled his works with the singular imaginations that his ideomania suggested to him. Thus, having understood perfectly that ideas are representations of groups, genera, species, sequences, etc., instead of confining himself to saying that we only perceive things in their relations and their series, he pretended that nothing existed but ideas; instead of understanding that the ideal is still the series, as it reveals itself to the mind by its law of formation, and independently of the accidental disturbances it suffers from outside, he taught that ideas are innate in us, that their type was in God, whose intelligence it constituted; that the world was their imprint, etc. Finally, Plato disregarded the independence of series. Instead of looking for a general theory of seriation, he believed that the ideas were all linked together, and he was trying to go back through this imaginary relationship to the knowledge of the one, of the absolute.
201. Plato’s philosophy could not be understood in his time, nor therefore be developed: the idea of causality was dominant, and distorted all serial aperceptions. We saw previously what the value of the syllogism was: I will only add one more word. The syllogism, composed of two premises, one female, if I dare say so, and the other male, producing by their coupling a third term or consequence, is really a series, the outline of the dialectical series: what prevents it from being this series itself? It is, as I said, the idea of causality that is mixed up with it: it is that our ideas, once acquired by experience and reflection, group together, but that they do not engender one another, and that the syllogistic series claims or supposes the contrary. It is not enough for a demonstration method to be serial to be useful; it must not imply any principle foreign to the series. This condition no longer holds, as soon as the idea of causality is introduced into the reasoning.
202. While we were abandoning the genera and species of Plato to devote ourselves to sophistry, another work of classification of ideas was accomplished, more sterile, even more impotent than the first. We tried to classify all the possible ideas under a certain number of fixed and irreducible groups. It is these groups or column heads which, under the names of categories, have made such an immense fortune.
“In any logical arrangement, there are always, according to the Indian philosopher Kanada, six things to prove, the substance, the quality, the action, the common, the proper, the relation.” [13]
These six fundamental genres have been revised, increased, reduced several times by Kanada’s successors.
For his part, Aristotle, after having organized the syllogistic machine, also establishes, like the Hindus, categories; he made ten, four more than Kanada. “There are ten genera, among which are divided all the attributes that one can ordinarily affirm (in Greek catégoreïn, prædicare, from which catégoria, prædicatum) of a subject: the being itself, the quantity, the quality, relation, place, time, situation, possession, action, passion.” [ 14 ]
Thus, according to Aristotle himself, the categories are genres, supreme groups, or rather labels under which all ideas come to be ranged. I am not examining at this moment what is the value and the utility of the categories, what guarantee we have of their precision and their number: I limit myself to noting the general tendency of the human mind, which, at the same instant, in Greece and India, strove, by syllogism and categories, to classify ideas.
203. Nearly fifteen centuries after Aristotle, under the names of realism, nominalism, conceptualism, categories and universals, the search for the dialectical series began with such ardor that the serial theory would probably have been discovered, if the general state of science at that time would have permitted it. Modern times have not produced dialecticians more penetrating, more ingenious than a Guillaume de Champeaux, an Abailard, a Gilbert de la Porée, and all those doctors subtle, angelic, seraphic, universal, irrefragable, admirable, invincible, illuminated, etc., all of whom astonished their contemporaries, as they weary the erudition of the moderns. The dialectical effort that took place in the Middle Ages and for more than four centuries is prodigious: unfortunately the sciences provided few points of comparison; and, despite the power of abstraction and generalization of the philosophers, as we did not leave the deductive method, the question remained, or nearly so, at the point where we had taken it up.
204. Finally Bacon appeared, bringing to the world his Novum Organum, New Instrument. The first part of this work is a kind of nosographic and therapeutic prodrome, in which Bacon reviews the errors or diseases of the human mind to which he gives the name of ghosts, idola, with an indication of the remedies. This is still not method; but at least it is observation, and observation leads to method.
In the second part of the Organe, Bacon teaches the rules of the inductive method, of which, according to him, Plato would have hardly given the outline. We see from this that Bacon was above all a man of reaction, and this explains the insufficiency of his efforts. To the syllogism, to the deductive method, the impotence of which was flagrant, Bacon opposed the inverse method, induction, ascending from the fact to the cause, instead of descending, like Aristotle, from the cause to the phenomenon, and imagining that to travel from the West to the East, instead of going from the East to the West, was really to change the route. Bacon did like the author of the third Gospel: Matthew had given the genealogy of Abraham to Jesus; Luke, by a new inspiration, gave that of Jesus to Abraham. Unfortunately the two evangelists forgot the collaterals, and neglected to obtain authentic birth certificates; and their genealogies agree neither with each other, nor with history, nor with common sense.
205. Bacon did something more, however. One of his principles was, that to know a thing is to know its cause. From this he thought that instead of supposing the cause, as takes place in the syllogism, it should be discovered by the comparison of all the effects, in all degrees; and it is according to this idea that he drew up a table of comparison, intended to discover the forms of nature, that is to say, the laws that preside over simple operations, and the formal causes (principles) of the qualities of things. Bacon went straight to the discovery of the serial law; and, from what we have just read, its induction strongly resembles a formation of groups and series. But the idea of causality still dominated him; moreover, his method only seemed useful to him in the natural sciences, outside of which he did not admit certainty. [15] Also Bacon’s reform did not have the generality it could obtain: but at least the new logic demanded the observation and comparison of facts; it taught to group according to the identity of characters, and, although it often concluded beyond what was necessary, it was a great step towards the universal method. No man has contributed more to the progress of the human mind than Bacon.
206. Philosophy having been denied by Bacon, Descartes undertook to reconstitute it. But his book of the Method hardly contains more than precepts of intellectual hygiene, and did not advance a line the solution of the metaphysical problem. [16] He recommends to beware of prejudice, to avoid hasty judgments, to observe well, to analyze, etc., excellent advice, but a little outdated. However this method, rather curative than demonstrative, contributed singularly to the ruin of all kinds of prejudices: since Descartes, we began to shout so much against superstitions, false opinions, preconceived judgments, etc., that doubt everywhere took the place of beliefs, and that there is not today of a somewhat enlightened man who is in a position to support a profession of political, moral or religious faith.
207. Condillac tackled the problem of method more frankly: he adopted identity as the principle of demonstration and criterion of certainty. It was something, since the principle of the series is a relationship always equal to itself between the serial units. But Condillac’s identity does not teach us to form groups, then to combine these groups, taken as simple units, into superior groups; and in this respect the disciple of Descartes is behind Bacon. Identity, considered as method and criterion, is something as vague as evidence and necessity: it is rather a result of the method than the method itself.
208. Towards the end of the eighteenth century, a German philosopher undertook afresh the inventory of the human mind, and the classification of categories. According to Kant, [17] all our thoughts, as to their object, are conceived in time and space; as for their form, they are reduced to twelve genera, or to speak better to twelve points of view, preformed in the understanding. It is these general points of view (under which any series is necessarily constructed) that Kant, following the example of Aristotle, named categories. But he claims to have determined by an a priori recognition the functions of the understanding; while Aristotle would have established his own only at random, and as they presented themselves to his mind. Whatever the exactness of Kant’s categories, it must always be admitted that, for the research and demonstration of truth, these categories are of little use. Indeed, when we admit that our judgments are all necessarily, at bottom, singular, plural or general; affirmative, negative or limiting; categorical, hypothetical or disjunctive; problematic, assertoric or apodictic: when the primordial points of view to which our ideas can relate would be space, time, quantity, quality, relation, mode, and not others: when, finally, we would add, with M. Cousin, and by way of summary, that the finite, the infinite, and the relation of the finite to the infinite embrace the entire sphere of intelligence, what would that do for the method in itself? what guarantee would our judgments receive from it? what certainty would result from this for the dialectic and the objective reality of ideas?
209. All these categories are an imitation of grammatical categories, commonly called parts of speech. Instead of the ordinary series, Noun, Article, Adjective, Pronoun, Verb, etc., philosophers have adopted the table of adverbs, divided from time immemorial, by grammarians, into adverbs of place, adverbs of time, quantity, quality, affirmation, mode, etc. Now, what can be the use of this classification in logic? — One asks which is less bad, the monarchical government or the republican? What is the use, for the demonstration of this thesis, of knowing that it will contain nouns, verbs, adverbs, participles, conjunctions, or that the propositions will be singular, plural, general, hypothetical, assertoric or reciprocal?
Categories, always supposing that their enumeration and determination are rigorous, are to metaphysics what simple bodies are to chemistry: they serve to express what is unintelligible in itself, substance, cause, passion, etc. The understanding does nothing without them; now, the question is not to know on what the understanding operates, but how it must operate. [18]
210. Toutefois le travail de Kant ne demeura pas sans fruit. Comme le chimiste qui, après avoir reconnu les éléments simples qui entrent dans la constitution des corps, s’efforce de découvrir les lois de leur composition : ainsi l’on vit un métaphysicien, s’emparant des concepts généraux de l’intelligence, fonder une dialectique nouvelle sur la loi de composition de ces concepts.
Kant, ayant divisé les concepts en quatre familles, composées chacune de trois catégories, avait montré que ces catégories s’engendraient, pour ainsi dire, l’une l’autre, la seconde étant constamment l’antithèse ou l’opposé de la première, et la troisième procédant des deux autres par une sorte de composition.
Thèse. | Antithèse. | Synthèse. | ||
Quantité. | Unité. | Pluralité. | Totalité. | |
Qualité. | Affirmation. | Négation. | Limitation. | |
Relation. | Inhérence. | Dépendance. | Réciprocité. | |
Modalité. | Possibilité. | Existence. | Nécessité. |
Hegel généralisa cette idée ingénieuse. Le monde, l’Univers-Dieu, selon lui, se développe en trois moments consécutifs, formant entre eux les termes et la période de l’éternelle évolution, Moi, Non-Moi, Absolu. C’est une vaste classification de la nature et des idées en trois grandes séries, subdivisées par trois, aussi loin que l’imagination puisse atteindre. Sciences naturelles, morale, politique, jurisprudence, tout y passe : les séries se suivent et s’enchaînent avec un art merveilleux : les termes sont si bien choisis et tellement disposés, que leur seul rapprochement est une démonstration, et semble peindre aux yeux la vérité. Jamais le génie de l’homme n’avait fait un effort aussi prodigieux.
211. Le système de Hegel a remis en vogue le dogme de la Trinité : panthéistes, idéalistes, matérialistes, sont devenus trinitaires ; et bien des gens se sont imaginé que le mystère chrétien allait devenir un axiome de métaphysique. Nous verrons tout à l’heure (et d’après les observations que nous avons faites au précédent paragraphe sur l’arithmétique, la botanique et la zoologie, le lecteur doit y être suffisamment préparé) ; nous verrons, dis-je, que la nature, quand on l’embrasse dans son ensemble, se prête aussi bien à une classification quaternaire qu’à une classification ternaire ; qu’elle se prêterait probablement à beaucoup d’autres, si notre intuition était plus compréhensive ; par conséquent, que la création évolutive de Hegel se réduit à la description d’un point de vue choisi entre mille ; et que, cette description fût-elle aussi rigoureuse et irréprochable que le système décimal, la certitude qu’elle aurait ne prouverait point sa réalité exclusive, de même que la certitude absolue de notre système de numération ne prouve pas qu’il soit le système exclusivement suivi par la nature[19].
Au reste, le système de Hegel a valu à son auteur de graves reproches : on s’est plaint que sa série n’était bien souvent qu’un artifice de langage, en désaccord avec les faits ; que l’opposition entre le 1er et le 2e terme n’était pas toujours suffisamment marquée, et que le 3e ne les synthétisait pas. Ces critiques n’ont rien qui nous surprenne : Hégel, anticipant sur les faits au lieu de les attendre, forçait ses formules, et oubliait que ce qui peut être une loi d’ensemble ne suffit plus pour rendre raison des détails. Hégel, en un mot, s’était emprisonné dans une série particulière, et prétendait par elle expliquer la nature, aussi variée dans ses séries que dans ses éléments.
212. Il y a quelques années, un savant français, plus connu des mathématiciens que des philosophes, l’illustre Ampère, publia un volume sur la classification des sciences, et, comme Hégel, guidé par la loi sérielle, s’éleva à une conception de génie, sur laquelle un Allemand n’eût pas manqué de bâtir aussitôt un système. Alors aussi les philosophes l’eussent jugé digne de leur attention et de leurs plagiats. M. Ampère se renferma modestement dans l’exposé succinct de son hypothèse : son livre est à peine connu, et n’a fait aucune sensation.
Préoccupé dès longtemps de l’idée d’appliquer aux sciences une méthode naturelle de classification analogue à celle que Bernard de Jussieu créa pour la botanique, M. Ampère s’attache surtout au progrès de la connaissance en nous, et distribue les sciences selon le degré d’observation que de notre part elles supposent. Il trouve qu’il y a dans l’étude que nous faisons de chaque objet quatre moments distincts et principaux, qu’il nomme points de vue.
Le 1er de ces moments est nommé par lui autoptique, c’est-à-dire de première vue, d’observation externe et générale : exemple, Sciences mathématiques.
Le 2e, criptoristique, perception de ce qui est plus caché dans les objets, et ne s’offre pas d’abord à l’observation, mais exige la recherche de l’esprit : ex., Sciences physiques.
Le 3e, troponomique, relatif aux accroissements, changements, altérations que subissent les objets : ex., Sciences naturelles.
Le 4e, criptologique, ayant pour objet la découverte des causes réelles les plus cachées des phénomènes, leurs lois les plus profondes, la plus haute puissance des principes, etc. Ex., Sciences médicales.
Ces principes posés et définis, M. Ampère divise toute la sphère de la connaissance en deux règnes : 1. Sciences cosmologiques, 2. Sciences noologiques.
Puis il montre que cette division binaire se redoublant, il en résulte, en vertu des seules lois de l’intelligence, et indépendamment de toute préoccupation de la part de l’auteur, un système de classification de quatre en quatre, si naturel et si simple, que le soupçon d’artifice s’évanouit devant la justesse des distributions.
Ainsi, après avoir posé les mathématiques comme premier terme d’une grande division quaternaire, il fait voir que ce premier terme se sous-divise en quatre autres : arithmologie, géométrie, mécanique, uranologie ; puis, reprenant chacune de ces espèces, il en fait sortir un nouveau groupe quaternaire : par exemple ;
Arithmologie | { | Arithmographie ; Analyse mathématique ; Théorie des fonctions ; Théorie des probabilités. |
Toutes les sciences se coordonnent de la même manière avec une facilité et une précision merveilleuses : il faut lire dans l’ouvrage même les curieux détails dont l’Auteur accompagne chacune de ses opérations.
Ce qui surprend davantage encore, c’est que toute erreur commise dans le travail de classification se répare infailliblement d’elle-même par la force du principe adopté ; et que ce qui semblait devoir ébranler le système finit par en confirmer la certitude. J’ai fait moi-même cette expérience, dont le résultat ne m’a pas peu étonné.
Dans la distribution du premier règne, le seul sur lequel M. Ampère ait laissé des explications détaillées, il avait entremêlé Industrie, Agriculture, exploitation des Bestiaux et des Mines, et Chimie, Physique, Botanique, Zoologie. Il était évident que M. Ampère, à la considération objective des choses, joignait celle de l’avantage qu’elles nous procurent, et que non content d’étudier le quid dans les objets, il y ajoutait le quid lucri par rapport à l’homme : deux choses qui devaient être séparées. Je crus un moment que le système allait se briser entre mes mains ; mais quelle fut ma surprise, lorsque je vis les sciences industrielles et agricoles, que l’auteur avait entremêlées aux sciences physiques et naturelles, former entre elles un genre à part, lequel constituait avec ces dernières un quatrième terme et se soumettait comme elles à la loi de division et sous-division par quatre !
213. Mais ce à quoi M. Ampère eût été loin de s’attendre, c’eût été de voir que sa classification quaternaire pouvait se transcrire en une classification ternaire, avec une rigueur, une précision, une régularité égales. J’ai fait ce travail sur le système entier de M. Ampère, absolument comme si j’eusse transcrit notre arithmétique décimale en une arithmétique duodécimale. Cette expérience a achevé de me convaincre de la vérité du principe ci-dessus énoncé (183), que l’esprit peut trouver dans la nature, selon le point de vue où il se place, une multitude de systèmes, tous également vrais, bien que la nature elle-même n’en adopte exclusivement aucun.
Voici un échantillon de cette transcription.
Je prends pour base ou formule de système ternaire la classification ordinaire par règnes, minéral, végétal, animal ; c’est-à-dire, la matière, la vie, l’esprit ; classification à laquelle se rapporte la série ontologique : substance, cause, rapport[20]. Puis, divisant les sciences, selon qu’elles sont descriptives, énonciatives de phénomènes ; ou qu’elles étudient les forces, les mouvements, progrès, altérations, changements ; ou enfin qu’elles formulent des lois et déterminent des rapports, j’arrive à une distribution des sciences aussi exacte, aussi régulière que celle trouvée par M. Ampère.
Ainsi cet auteur divise la Zoologie en quatre parties : Zoographie, Anatomie, Anatomie comparée, Physiologie, correspondantes chacune aux quatre moments de l’observation scientifique : étude externe, observation interne, étude comparative, étude des mouvements vitaux.
Dans le système ternaire, établi sur d’autres considérations, la Zoographie et l’Anatomie, l’observation externe et l’observation interne ne sont qu’un : c’est-à-dire qu’elles formeront une science unique, embrassant la description complète de l’être, intus et in cute, la nature n’ayant ni dedans ni dehors, et le degré de notre pénétration ne changeant rien à l’espèce des phénomènes. Cette science, purement descriptive, et pour ainsi dire matérielle, est le premier terme de la série.
La Physiologie, étude des forces vitales, de leur action et de leur influence, rejetée par M. Ampère au 4e rang, occupera ici la 2e place ; le plus ou le moins de difficulté que nous coûtent nos découvertes, l’ordre dans lequel elles se suivent ne touchant point à la nature, qui procède, elle, simultanément et synthétiquement. La Physiologie, science de la vie, se classe régulièrement sous le règne végétal, qui nous montre la vie séparée de l’esprit.
Enfin, l’Anatomie comparée, ou Zoonomie, étude des rapports et des lois de l’organisation, dont les degrés divers correspondent aux divers degrés des manifestations de l’esprit, forme régulièrement le 3e terme de cette série.
On voit d’après cela que le système de M. Ampère, ayant pour base le progrès de la connaissance, est plus subjectif, c’est-à-dire plus humain, plus en rapport avec notre manière de concevoir ; tandis que le système ternaire, prenant pour point de vue les grandes manifestations de l’être, est plus objectif, c’est-à-dire plus en rapport avec la réalité des choses.
Mais ces systèmes ne sont encore l’un et l’autre, au fond, que des points de vue particuliers qui ne s’excluent pas, des manières conventionnelles de nous représenter la création, également légitimes et jouissant d’une même certitude.
214. Le révélateur de la loi sérielle fut Fourier[21]. Génie exclusif, indiscipliné, solitaire, mais doué d’un sens moral profond, d’une sensibilité organique exquise, d’un instinct divinatoire prodigieux, Fourier s’élance d’un bond, sans analyse et par intuition pure, à la loi suprême de l’univers. Il n’a pas connu la théorie sérielle ; les classifications irrégulières et les formules bizarres dont ses livres sont pleins en portent témoignage ; il n’a rien découvert ni dans la science, ni dans l’art, ni dans la métaphysique, ni dans l’organisation industrielle : nous le montrerons par l’analyse de quelques-unes de ses séries. Mais il eut le premier l’idée universelle de la série ; il en conçut la transcendance ; il en chercha l’application, il pressentit ce qu’elle avait d’absolu ; et, bien qu’il ait paru la négliger ensuite pour sa prétendue loi d’attraction, il y ramena tous ses calculs, et construisit sur elle son système. Cela suffit à nos yeux pour lui mériter le titre que nous lui avons décerné, de révélateur de la loi sérielle.
215. Ce que l’on sait de la vie privée de Fourier honore son caractère et prouve une âme énergique : mais quelles furent ses études, comment se fit l’éducation de son intelligence, quelles routes parcourut son génie, on l’ignore. L’horreur que lui inspirait le commerce civilisé détermina sa vocation de publiciste ; la musique, pour laquelle il avait un goût prononcé, lui fournit un système d’organisation, et le conduisit d’emblée à la loi sérielle. Il comprit du même coup :
Que la politique, ou l’économie sociale, doit être l’objet d’une science rigoureuse ;
Que cette science est une spécialité de la loi sérielle ;
Que les passions de l’homme ne sont point mauvaises, et que les désordres que la religion et la philosophie leur imputent viennent surtout de ce qu’elles sont faussées ;
Que toutes nos erreurs ont pour cause l’inintelligence de la série.
Ces propositions, et quelques autres qui en découlent forment la partie essentielle et vraie des idées de Fourier : elles resteront, comme aphorismes de métaphysique et de morale.
216. Mais la manière dont Fourier opéra ensuite sur ces données, et prétendit appliquer la série à l’organisation politique montre que, dans cette intelligence mystique et contemplative, faible et ardente, l’aperception de la partie sérielle avait été suivie de la plus déplorable hallucination.
Fourier, méconnaissant l’indépendance des ordres sériels, et s’imaginant que la ressemblance des formes impliquait l’identité des lois (190, 235), s’abandonna, sur la foi d’analogies menteuses, aux plus étranges rêveries sur la création, le système du monde, la vie future. Confondant ensuite la nature et l’art (231, 232), et ne comprenant pas que la série politique est propre et spéciale à son objet, qu’il faut la découvrir par voie d’analyse, non en juger par analogie ; qu’elle se constitue insensiblement au milieu de nous par le progrès même des révolutions : Fourier applique à l’ordre social la gamme des tons et substitue artificiellement à la série naturelle du travail une série étrangère. Enfin, accordant à toutes les manifestations de la puissance divine et de l’activité humaine une légitimité égale (309 et suiv.), il entreprend de justifier ce qui est de soi injustifiable, de régulariser ce que la théorie sérielle prouve être essentiellement anormal ; et il introduit, dans ses groupes phalanstériens, sous le nom de dissonances ou discords, des goûts dépravés, des affections hors nature, des alliances monstrueuses.
Mais comment la découverte de la loi sérielle amena-t-elle la chute d’une intelligence ? comment s’opéra ce prodige ?
217. À peine en possession de la grande idée qui fait la base de son système, Fourier se renferme en lui-même et s’isole du monde : là fut le principe de l’hallucination qui égara sa pensée. « À l’homme qui s’isole de ses semblables, dit en parlant de Fourier un de ses disciples[22], il arrive comme à celui qui s’élève sur des monts escarpés au-dessus des précipices, des éblouissements qui lui ravissent le sens, et ne le laissent pas maître de lui-même. »
Fourier était musicien. Au lieu de chercher dans l’histoire et la législation comparée la forme de la série politique, ce qui suppose dans l’humanité un développement providentiel, une tendance à l’ordre au travers des perturbations sociales ; il organise la série industrielle comme une salle de bal, et condamne tout le passé de la civilisation. Dès lors que Fourier s’enfermait dans ses propres conceptions, la théorie sociétaire devait inévitablement prendre, sous sa main, la physionomie de ses habitudes : s’il eût été moine ou soldat, nul doute que son plan d’organisation, de hiérarchique et individualiste qu’il l’avait fait, ne fût devenu, comme ceux de Lycurgue et de Campanella, despotique et conventuel[23].
Fourier aimait les fleurs et se connaissait en botanique : comme il ramenait à une seule formule tous les êtres créés, son imagination lui fit voir dans chaque plante, chaque animal, le reflet d’une maladie de l’âme, la contre-épreuve des vices de la société actuelle, et des joies futures des harmoniens. C’est ainsi que, ses idées se rétrécissant toujours, il trouvait dans une chimère la confirmation d’une autre chimère, et rendait son mal de plus en plus incurable.
Ne se rendant pas compte du but et de l’utilité historique de l’ontologie, de la psychologie, de la morale, de la logique, de la théologie, et fort éloigné de croire que ces prétendues sciences fussent l’expression des tendances de l’esprit humain vers une théorie de la loi sérielle, Fourier n’eut garde de voir dans les philosophes ses devanciers naturels : il se posa résolument en inventeur, jeta le mépris et l’insulte aux sophistes, et se priva des secours qu’il eût trouvés dans leurs ouvrages.
218. Fourier n’essaya pas de donner une théorie ou seulement une Exposition de la loi sérielle. Il distinguait des séries simples, mixtes, composées, mesurées, puissancielles, infinitésimales, etc. Comme il ne les a point analysées ni définies, je ne saurais dire ce qu’il entendait par là. Au reste, un exemple de la série qu’il nommait conjuguée fera juger de la portée de ses vues.
On sait qu’en prenant une suite de nombres en progression simple, si l’on additionne le premier et le dernier, le second et l’avant-dernier, le troisième et l’anté-pénultième, etc., la somme de ces diverses additions est toujours la même. Soient, par exemple, les nombres 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 : 4 et 8 font 9, 2 et 7 font 9, 3 et 6 font 9, 4 et 5 font 9.
Fourier a imaginé de classer sur ce modèle la population d’un phalanstère : bambins et patriarches, chérubins et vénérables, séraphins et révérends, jouvenceaux et raffinés ; c’est la procession des âges, réunis deux à deux en reployant la chaîne à l’âge viril et rapprochant les extrémités. De même pour les amateurs de poires, que Fourier échelonnait ou conjuguait selon les variétés du fruit objet de leur prédilection : coings et nèfles ; poires cassantes et poires compactes ; poires dures et poires farineuses ; poires fondantes, etc.[24]. Les disciples de Fourier se récrient d’admiration devant ces pauvretés, dans lesquelles un esprit impartial ne verra que les jeux d’une imagination en délire, de stériles rapprochements, d’insignifiantes antithèses.
Fourier affectionnait la série conjuguée. Ses ouvrages sont coupés de la sorte : Avant-Propos et Post-Propos ; Préface et Postface, Prolégomènes, Cis-légomènes et Intermèdes, etc. ; la tête du livre opposée à la queue, la deuxième division à l’avant-dernière, et la conclusion placée au corps de l’ouvrage.
C’est à ces combinaisons puériles que Fourier consuma les trois quarts de sa vie, éteignant dans la fumée de ses inventions la lumière qui aurait dû l’éclairer. Cela n’a pas empêché le plus spirituel de ses disciples de dire de lui : Cet homme, dont le génie eût fait éclater le crâne de Newton…. Telle fut toujours la tendance des sectaires à glorifier leurs chefs. Gloire à Jésus-Christ, par qui le salut a été donné au monde ; gloire à Saint-Simon, par qui la vie a été comprise ; gloire à Fourier, par qui la loi sociale nous est révélée ! Qui donc criera : Gloire au sens commun, qui n’adore personne ?
210. However, Kant’s work did not remain fruitless. Like the chemist who, after having recognized the simple elements that enter into the constitution of bodies, endeavors to discover the laws of their composition: thus we see a metaphysician, seizing the general concepts of intelligence, founding a new dialectic on the law of composition of these concepts.
Kant, having divided the concepts into four families, each composed of three categories, had shown that these categories engendered, so to speak, one another, the second being constantly the antithesis or the opposite of the first, and the third proceeding from the other two by a kind of composition.
Thesis. | Antithesis. | Synthesis. | ||
Quantity. | Unity. | Plurality. | Totality. | |
Quality. | Affirmation. | Negation. | Limitation. | |
Relation. | Inherence. | Dependance. | Reciprocity. | |
Modality. | Possibility. | Existence. | Necessity. |
Hegel generalized this ingenious idea. The world, the Universe-God, according to him, develops in three consecutive moments, forming between them the terms and the period of the eternal evolution, Self, Non-Self, Absolute. It is a vast classification of nature and ideas into three great series, subdivided by three, as far as the imagination can reach. Natural sciences, morality, politics, jurisprudence, everything goes there. The series follow and link together with marvelous art: the terms are so well chosen and so arranged that their mere comparison is a demonstration, and seems to paint the truth for the eyes. Never had the genius of man made such a prodigious effort.
211. The systme of Hegel brought the dogma of the Trinity back into vogue: pantheists, idealists and materialists became Trinitarians; and many people imagined that the Christian mystery was going to become an axiom of metaphysics. We will see presently (and according to the observations we made in the preceding paragraph on arithmetic, botany and zoology, the reader must be sufficiently prepared for them); we shall see, I say, that nature, when we embrace it as a whole, lends itself as well to a quaternary classification as to a ternary classification; that it would probably lend itself to many others, if our intuition were more comprehensive; consequently, that the evolutionary creation of Hegel is reduced to the description of a point of view chosen among a thousand; and that, were this description as rigorous and irreproachable as the decimal system, the certainty it would have would not prove its exclusive reality, just as the absolute certainty of our system of numeration does not prove that it is the system exclusively followed by nature. [19]
Moreover, Hegel’s system has earned its author serious reproaches: it has been complained that his series was very often only an artifice of language, in disagreement with the facts; that the opposition between the first and the second term was not always sufficiently marked, and that the third did not synthesize them. There is nothing in these criticisms that surprises us: Hegel, anticipating the facts instead of waiting for them, forced his formulas and forgot that what may be an overall law is no longer sufficient to account for the details. Hegel, in a word, had imprisoned himself in a particular series, and claimed by it to explain nature, as varied in its series as in its elements.
212. A few years ago, a French scholar, better known to mathematicians than to philosophers, the illustrious Ampère, published a volume on the classification of the sciences, and, like Hegel, guided by the serial law, rose to a a brilliant conception, on which a German would not have failed to immediately build a system. Then also the philosophers would have judged it worthy of their attention and their plagiarisms. Mr. Ampère modestly confined himself to the succinct exposition of his hypothesis: his book is hardly known, and caused no sensation.
Preoccupied for a long time with the idea of applying to the sciences a natural method of classification analogous to that which Bernard de Jussieu created for botany, Mr. Ampère attaches himself above all to the progress of knowledge in us, and distributes the sciences according to the degree of observation that they require on our part. He finds that there are in the study that we make of each object four distinct and principal moments, which he calls points of view.
The first of these moments is named by him autoptic, that is to say of first sight, of external and general observation: example, Mathematical sciences.
The second, criptoristic, perception of what is more hidden in objects, and does not offer itself first to observation, but requires the search of the mind: example, Physical sciences.
The third, troponomic, relating to the increases, changes, alterations that objects undergo: example, Natural sciences.
The fourth, criptological, having for its object the discovery of the most hidden real causes of phenomena, their deepest laws, the highest power of principles, etc. example, Medical Sciences.
These principles laid down and defined, Mr. Ampère divides the whole sphere of knowledge into two realms: 1. Cosmological sciences, 2. Noological sciences.
Then he shows that this binary division being duplicated, there results, by virtue of the sole laws of intelligence, and independently of any preoccupation on the part of the author, a system of classification of four into four, so natural and so simple, that thesuspicion of artifice vanishes before the accuracy of the distributions.
Thus, after having posed mathematics as the first term of a great quaternary division, he shows that this first term is subdivided into four others: arithmology, geometry, mechanics, uranology; then, taking up each of these species, he brings out a new quaternary group: for example;
Arithmology | { | Arithmography; Mathematical analysis; Theory of functions; Theory of probabilities. |
All the sciences are coordinated in the same way with marvelous ease and precision: one must read in the work itself the curious details with which the author accompanies each of his operations.
What is even more surprising is that any error committed in the work of classification infallibly corrects itself through the force of the principle adopted; and that what seemed to have to shake the system ends up confirming the certainty of it. I made this experiment myself, the result of which surprised me not a little.
In the distribution of the first kingdom, the only one on which Mr. Ampère left detailed explanations, he had intermingled Industry, Agriculture, exploitation of Cattle and Mines, and Chemistry, Physics, Botany, Zoology. It was obvious that M. Ampère, to the objective consideration of things, joined that of the advantage they procure for us, and that not content with studying the quid in objects, he added to them the quid lucri with respect to man: two things that had to be separated. I thought for a moment that the system was going to break in my hands; but what was my surprise, when I saw the industrial and agricultural sciences, which the author had intermingled with the physical and natural sciences, form between them a genus apart, which constituted with the latter a fourth term and submitted like them to the law of division and subdivision by four!
213. But what Mr. Ampère would have been far from expecting would have been to see that his quaternary classification could be transcribed into a ternary classification, with equal rigour, precision and regularity. I did this work on Mr. Ampère’s entire system, absolutely as if I had transcribed our decimal arithmetic into a duodecimal arithmetic. This experience has finally convinced me of the truth of the above principle (183), that the mind can find in nature, according to the point of view where it places itself, a multitude of systems, all equally true, although nature itself does not exclusively adopt any of them.
Here is a sample of that transcript.
I take as the basis or formula of the ternary system the ordinary classification by kingdoms, mineral, vegetable, animal; that is to say, matter, life, spirit; classification to which the ontological series relates: substance, cause, relation. [20] Then, dividing the sciences according to whether they are descriptive, enunciative of phenomena; or whether they study forces, movements, progress, alterations, changes; or finally that they formulate laws and determine relations, I arrive at a distribution of the sciences as exact, as regular as that found by M. Ampère.
Thus this author divides Zoology into four parts: Zoography, Anatomy, Comparative Anatomy, Physiology, each corresponding to the four moments of scientific observation: external study, internal observation, comparative study, study of vital movements.
In the ternary system, established on other considerations, Zoography and Anatomy, external observation and internal observation are one: that is to say, they will form a single science, embracing the complete description of being, intus et in cute, nature having neither inside nor outside, and the degree of our penetration changing nothing in the species of phenomena. This science, purely descriptive, and so to speak material, is the first term in the series.
Physiology, the study of the vital forces, of their action and their influence, placed by M. Ampère in the fourth place, will here occupy the second place; the greater or less difficulty that our discoveries cost us, the order in which they follow one another not affecting nature, which proceeds simultaneously and synthetically. Physiology, the science of life, is regularly classified under the vegetable kingdom, which shows us life separated from the spirit.
Finally, Comparative Anatomy, or Zoonomy, the study of the relations and laws of organization, the various degrees of which correspond to the various degrees of the manifestations of the mind, regularly forms the third term of this series.
We see from this that the system of Mr. Ampère, having for basis the progress of knowledge, is more subjective, that is to say more human, more related to our way of conceiving; while the ternary system, taking as its point of view the great manifestations of being, is more objective, that is to say, more in touch with the reality of things.
But both of these systems are still, at bottom, only particular points of view which are not mutually exclusive, conventional ways of representing creation to us, equally legitimate and enjoying the same certainty.
214. The revealer of the serial law was Fourier. [21] An exclusive genius, undisciplined, solitary, but endowed with a profound moral sense, an exquisite organic sensibility, a prodigious instinct for divination, Fourier leaps forward, without analysis and by pure intuition, to the supreme law of the universe. He didn’t know the serial theory; the irregular classifications and bizarre formulas with which his books are full bear witness to this; he discovered nothing either in science, or in art, or in metaphysics, or in industrial organization: we will show this by the analysis of some of his series. But he was the first to have the universal idea of the series; he conceived its transcendence; he sought its application, he sensed its absoluteness; and, although he seemed to neglect it afterwards for his pretended law of attraction, he brought all his calculations back to it, and built his system upon it. This is enough in our eyes to merit the title we have bestowed upon him of revealer of the serial law.
215. What we know of Fourier’s private life honors his character and proves an energetic soul: but what his studies were, how his intelligence was educated, what routes his genius traveled, we do not know. His horror of civilized commerce determined his vocation as a publicist; music, for which he had a pronounced taste, provided him with a system of organization, and immediately led him to serial law. He immediately understood:
That politics, or social economy, must be the object of a rigorous science;
That this science is a specialty of serial law;
That the passions of man are not bad, and that the disorders that religion and philosophy impute to them come above all from the fact that they are falsified;
That all our errors are due to the lack of intelligence in the series.
These propositions, and a few others which derive from them, form the essential and true part of Fourier’s ideas: they will remain, as aphorisms of metaphysics and morals.
216. But the way in which Fourier then operated on these data, and claimed to apply the series to political organization, shows that, in this mystical and contemplative, weak and ardent intelligence, the apperception of the serial part had been followed by the most deplorable hallucination.
Fourier, misunderstanding the independence of serial orders, and imagining that the resemblance of forms implied the identity of laws (190, 235), abandoned himself, on the strength of lying analogies, to the strangest reveries on creation, the system of the world, the future life. Then confusing nature and art (231, 232), and not understanding that the political series is proper and special to its object, that it must be discovered by way of analysis, not judging by analogy; that it is imperceptibly constituted in our midst by the very progress of revolutions: Fourier applies the gamut of tones to the social order and artificially substitutes for the natural series of labor a foreign series. Finally, granting all manifestations of divine power and human activity equal legitimacy (309 et seq.), he undertakes to justify what is in itself unjustifiable, to regularize what the serial theory proves to be essentially abnormal; and he introduces, into his phalansterian groups, under the name ofdissonances or discords, depraved tastes, unnatural affections, monstrous alliances.
But how did the discovery of the serial law bring about the fall of an intelligence? How did this miracle take place?
217. Barely in possession of the great idea that forms the basis of his system, Fourier shuts himself up in himself and isolates himself from the world: there was the principle of the hallucination which led his thought astray. “To the man who isolates himself from his fellows, says one of his disciples speaking of Fourier [22], there comes, as to one who rises on steep mountains above the precipices, dazzlings that delight the senses, and do not let it master itself.”
Fourier was a musician. Instead of seeking in history and comparative legislation the form of the political series, which supposes in humanity a providential development, a tendency to order through social disruption; he organizes the industrial series like a ballroom, and condemns the whole past of civilization. As soon as Fourier shut himself up in his own conceptions, the societal theory was inevitably to take on, under his hand, the physiognomy of his habits: if he had been a monk or a soldier, there is no doubt that his plan of organization, hierarchical and individualist as he had made it, would have become, like those of Lycurgus and Campanella, despotic and conventual. [23]
Fourier loved flowers and knew botany: as he reduced all created beings to a single formula, his imagination made him see in each plant, each animal, the reflection of a disease of the soul, the counterproof of vices of present society, and of the future joys of the Harmonians. It was thus that, his ideas always shrinking, he found in one chimera the confirmation of another chimera, and rendered his illness more and more incurable.
Not realizing the purpose and historical utility of ontology, psychology, morality, logic, theology, and far from believing that these so-called sciences were the expression of the tendencies of the human mind towards a theory of serial law, Fourier was careful not to see in the philosophers his natural predecessors: he resolutely posed as an inventor, hurled contempt and insult at the sophists, and deprived himself of the help that he would have found in their works.
218. Fourier did not attempt to give a theory or even an Exposition of the serial law. He distinguished between simple, mixed, compound, measured, powerful, infinitesimal series, etc. As he neither analyzed nor defined them, I cannot say what he meant by that. For the rest, an example of the series which he called conjugated will make it possible to judge of the bearing of his views.
We know that by taking a sequence of numbers in simple progression, if we add the first and the last, the second and the penultimate, the third and the ante-penultimate, etc., the sum of these various additions is always the same. Take, for example, the numbers 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8: 4 and 8 make 9, 2 and 7 make 9, 3 and 6 make 9, 4 and 5 make 9.
Fourier imagined classifying the population of a phalanstery on this model: toddlers and patriarchs, cherubim and venerable, seraphim and reverends, youthful and refined; it is the procession of the ages, reunited two by two by folding back the chain at the virile age and bringing the ends closer together. The same goes for pear lovers, whom Fourier staggered or combined according to the varieties of the fruit they preferred: quinces and loquats; brittle pears and compact pears; hard pears and floury pears; fondant pears, etc. [24] The disciples of Fourier cry out in admiration before these poverties, in which an impartial mind will only see the games of a delirious imagination, of sterile comparisons, insignificant antitheses.
Fourier liked the conjugate series. His works are divided in this way: Foreword and Post-Word; Preface and Postface, Prolegomena, Cis-legomena and Interludes, etc.; the head of the book opposed to the tail, the second division to the penultimate, and the conclusion placed in the body of the work.
It was on these puerile combinations that Fourier consumed three quarters of his life, extinguishing in the smoke of his inventions the light that should have enlightened him. This did not prevent the wittiest of his disciples from saying of him: This man, whose genius would have shattered Newton’s skull…. Such has always been the tendency of sectarians to glorify their leaders. Glory to Jesus Christ, through whom salvation was given to the world; glory to Saint-Simon, by whom life was understood; Glory to Fourier, by whom the social law is revealed to us! Who then will cry out: Glory to common sense, which no one worships?
§ IV. — Analyse de la série : son élément, sa raison, son point de vue, ses formes. — Aperception de la série.
219. Si l’humanité, dans ses tendances, n’obéit pas à un esprit de mensonge ; si dans ses rêves sur la substance, la cause, l’un, l’infini, Dieu et le monde, la philosophie ne cherche que des rapports et des lois, Raisonner, c’est Sérier ; et tout raisonnement qui ne peut se ramener à une série régulière est nécessairement un raisonnement faux, un sophisme.
Mais, pour découvrir la théorie sérielle, il fallait que l’esprit humain parcourût les trois périodes que nous avons signalées dans la constitution des sciences, Religion, Philosophie et Méthode. Comme la physique la chimie, la zoologie et la médecine, comme les mathématiques elles-mêmes, la théorie sérielle devait avoir ses illuminés et ses sophistes, dont les uns l’entrevirent à peine, et les autres, sans l’avoir comprise, entreprirent aussitôt d’en abuser.
220. Comment s’étonner, au surplus, de cette destinée commune à la théorie sérielle et aux sciences, quand on songe que les lois et les rapports sont la dernière chose que découvre, que dis-je ? la dernière que cherche l’intelligence de l’homme ? Le pâtre, dans la misérable hutte où il rassemble pêle-mêle porcs, chevaux, moutons, ânes, bœufs et chèvres, oies et dindons, poules et canards, son chien, son chat, ses enfants et ses lapins ; le pâtre grossier, mais déjà superbe et cupide, voit-il autre chose dans ces animaux qu’une source de profit pour lui, ou une occasion de dépense ? s’est-il jamais demandé ce que signifient ces diversités de genres et d’espèces ? À peine les aperçoit-il. Comment cet homme, à qui les séries animales crèvent les yeux sans qu’il les voie ; comment ce laboureur, ce fruitier, ce vigneron, pour qui pommiers, poiriers, cerisiers, noyers, vigne, houblon, blé, orge, seigle et avoine, maïs, haricot, pomme de terre et chanvre, ne diffèrent que par la valeur qu’il leur a spécialement reconnue sur le marché, distinguerait-il entre les idées qui l’assaillent ? comment entreprendrait-il de les grouper par genres et espèces, d’échelonner et varier leurs séries, en les prenant tour à tour par leurs différents points de vue ?
L’homme boit, mange, jouit de la création, use et abuse de la terre, des animaux, des plantes, de lui-même ; il joue avec ses idées comme un enfant avec les pièces d’une montre ; il ruse et ment comme la bête fauve qui fuit devant le chasseur : ce n’est qu’à la longue qu’il apprend à classer les choses, à mettre l’ordre dans ses pensées ; encore le redressement de ses erreurs ne s’opère t-il pas sans les plus pénibles efforts et les plus douloureux sacrifices. La vérité a toujours fait plus de martyrs, que la beauté d’idolâtres.
221. D’après les propriétés que nous avons reconnues à la série, et la revue que nous avons faite des principaux essais de sériation enfantés par la philosophie, nous sommes avertis que la théorie sérielle n’est point un système du monde, ni un arbre généalogique de nos connaissances, ni un casier d’idées : la théorie sérielle est l’art de composer et décomposer toute espèce d’idées (nombres, grandeurs, mouvements, formes, rapports, sentiments, actions, droits et devoirs), de telle sorte que l’esprit soit constamment assuré dans sa marche, et que la solution, lorsqu’elle pourra être obtenue, soit frappée d’infaillibilité et d’une absolue certitude.
Cette double condition est remplie par les sciences que nous nommons par excellence exactes[25] : il s’agit maintenant d’y satisfaire pour les autres sciences, et spécialement pour les sciences morales et politiques.
222. A) Élément de la série. La série a pour élément l’unité. — Le concept d’unité, comme ceux de substance et de cause, nous est suggéré, soit par la vue des groupes naturels, soit par le sentiment de notre personnalité. Comme la substance et la cause, comme la continuité et le repos, l’unité absolue est l’indifférence dans les choses, la non-distinction, l’identité. L’esprit la conçoit ; la théorie la suppose : mais les sens ne la perçoivent pas. — L’unité est l’alpha et l’oméga de l’univers, entre lesquels se promène la science de l’homme.
La série est l’antithèse de l’unité : elle se forme de la répétition, des positions et combinaisons diverses de l’unité.
Considérée comme élément de série, l’unité revêt toutes les formes possibles. — En arithmétique, l’élément sériel est l’unité abstraite, c’est-à-dire conçue en dehors de toute réalité substantielle, comme en géométrie le point, élément de la ligne et du plan, est conçu sans longueur, largeur ni profondeur.
Dans une roue à engrenage, l’unité sérielle est la dent ; dans un échiquier, cette unité est la case ; dans un polyèdre, elle est la pyramide ayant son sommet au centre du solide, et sa base à la surface.
Dans les règnes végétal et animal, l’unité est tour à tour genre, espèce, variété, individu. Dans l’être organisé, l’unité sérielle est l’organe ; dans l’organe, c’est la molécule, etc.
223. La plus petite série possible renferme au moins deux unités : une thèse et une antithèse, une alternance, un va-et-vient, les contraires, les extrêmes, la polarité, l’équilibre, le bien et le mal, le oui et le non, le moi et le non-moi, le père et le fils, le maître et l’apprenti, l’époux et l’épouse, le citoyen et l’État. — J’ai parlé plus haut des systèmes ternaire et quaternaire ; on pourrait encore expliquer le monde par un dualisme sans fin ; telle paraît même avoir été l’une des formes primitives de la philosophie. Mais, ainsi que nous l’avons observé, tout cela n’a rien d’absolu, et nul ne peut dire où s’arrêtent les combinaisons de ce genre. Ce n’est pas là que doit tendre une philosophie sérieuse.
224. La série est d’autant plus serrée ou plus fréquente, que, sous une amplitude déterminée (en longueur, masse, volume, durée, etc.), ses unités sont plus nombreuses ; elle est d’autant plus espacée ou plus rare, que, sous la même amplitude, ses unités sont d’une plus forte dimension, ou plus distantes entre elles. La division du mètre en centimètres et millimètres nous offre un exemple de ces deux séries.
De même aussi, la distance moyenne de la terre au soleil étant de 12,000 fois le diamètre terrestre, et la distance moyenne de la lune de 43,000 fois environ le diamètre lunaire, bien que ces deux distances soient la même quant à la longueur absolue, celle de la lune au soleil forme une série plus serrée, celle de la terre au même astre une série plus spacieuse.
Il faut en dire autant de la division du mois en semaines ou en décades ; de la division du jour en 10 ou 24 parties.
On peut faire encore la même observation en comparant ensemble soit des machines, soit des organismes : par exemple, une montre de six lignes de diamètre à l’horloge d’une cathédrale, une fourmi à un éléphant.
Enfin, dans les classifications botanique et zoologique, certains genres comprennent de nombreuses espèces ; d’autres se réduisent à une seule unité. Dans ce dernier cas, la série pourra être dite commencée, sauf à prouver ensuite que ce genre monoïque n’est pas, si j’ose ainsi dire, un carrefour ou une impasse dans l’infini des combinaisons sérielles.
225. Deux séries qui diffèrent seulement par le nombre de leurs unités, leur amplitude absolue étant la même, sont équivalentes ; deux séries dont les unités sont égales et l’amplitude diffère, sont semblables ou homologues ; deux séries qui ne diffèrent ni par l’amplitude ni par les unités sont identiques.
226. La propriété qu’a la série d’embrasser, sous une même amplitude, un nombre toujours croissant d’unités, joue un grand rôle dans les sciences et les arts. J’ai fait remarquer déjà que la force des tissus, tant organiques qu’industriels, est due à la division de leurs parties : c’est par elle aussi qu’un toit de chaume offre plus de résistance au passage du calorique qu’un toit de planches ou de tuiles, bien que la masse à traverser dans le premier soit dix fois moindre que dans le second[26]. Le bûcheron qui d’un rameau fragile se fait par la torsion, c’est-à-dire par la division des fibres, un lien puissant obéit instinctivement à cette loi.
En mathématiques, on a recours au même principe pour toutes sortes d’approximations : ainsi, le rapport de la circonférence au diamètre ne pouvant être obtenu directement, on s’en approche autant qu’on veut par la démonstration d’Archimède. — L’insertion des moyens arithmétiques rend le même service dans l’extraction des racines qu’on ne peut déterminer en nombres entiers.
La musique produit ses plus grands effets à l’aide de ce procédé, tantôt renfermant sous une même mesure depuis une jusqu’à soixante-quatre notes ; tantôt divisant le ton en semi-tons, aussi loin que puisse aller la sensibilité de nos organes.
C’est par une série de cette espèce que l’économie politique opérera la transition de notre société anarchique et subversive à une société régulièrement organisée. Alors on verra que, sans sortir de la légalité établie, il est toujours possible d’insérer, entre une forme de gouvernement, si arbitraire et entachée de priviléges qu’elle soit, une série de réformes partielles telle, que l’on arrive rapidement et sans secousse à une parfaite égalité.
227. B) Raison de la série.
Ce qui donne la forme à la série, est le rapport soit d’identité, soit d’égalité ou de différence, soit de puissance, de progression, de composition, etc., de ses unités.
Le rapport des unités entre elles est ce que nous appellerons la raison de la série.
Les cannelures d’une colonne, les dents d’une scie, les côtes d’un melon, les crans d’une roue à engrenage, sont dans un rapport d’identité ; les unités arithmétiques, classés par dizaines, centaines, mille, etc., dans un rapport de similitude ; les sons, les couleurs, l’accélération de la chute des graves, dans un rapport de progression ; les membres du corps humain, les organes des plantes, les parties d’un tableau, d’une statue, d’un monument d’un poëme, d’une œuvre de littérature, dans un rapport de composition.
Nous montrerons que les fonctions sociales sont dans un rapport de composition et d’équivalence.
228. Pour que la série existe, il faut que le rapport de ses unités soit fixe et invariable. C’est ce qui nous a fait dire, aux définitions, que toute loi était absolue et n’excluait rien : dès que la raison fléchit ou varie, la série n’existe plus : il y a perturbation et désordre.
Supposez que, dans la numération écrite, le chiffre placé à gauche exprime des unités d’un ordre tantôt dix fois, tantôt neuf ou douze fois plus grand, et l’arithmétique est impossible. Percez au hasard le tuyau de la flûte ; tendez plus ou moins les cordes du violon, allongez les unes, raccourcissez les autres : vous n’obtiendrez que des sons faux et discordants ; plus votre exécution sera parfaite, moins vous aurez de musique.
C’est pour prévenir les variations du rapport sériel que les horlogers ont imaginé les tiges de compensation dans les pendules, lorsqu’ils eurent remarqué que les changements de température dilatant ou contractant la verge métallique, le mouvement des horloges en était accéléré ou retardé.
Nous verrons aussi que le rapport des valeurs commerciales et des fonctions industrielles est invariable, c’est-à-dire que les lois politiques, comme celles de la nature, sont inflexibles.
229. C) Formes ou aspects de la série.
Concevez un plan quadrangulaire mobile sur un axe passant par un de ses côtés, le solide produit par ce mouvement est un cylindre ; au contraire, concevez ce même plan mû perpendiculairement à lui-même, le solide engendré par ce mouvement sera un parallélogramme.
Or, la différence des deux solides tient uniquement à la différence du rapport qui gouverne les unités sérielles du mouvement générateur.
Dans l’un et l’autre cas, le plan est mû simultanément dans toutes ses lignes ; mais, dans le premier, la vitesse qui emporte chaque ligne augmente avec son éloignement de l’axe ; dans le second, la vitesse reste la même pour toutes.
En d’autres termes, les unités de vitesse sont ici en rapport d’identité, là en rapport de progression.
Cet exemple nous révèle une des lois les plus simples et les plus fécondes de la création : la matière étant donnée, avec une force qui la divise, il suffit de faire varier le rapport des parties divisées pour produire toutes les combinaisons possibles.
230. Je ne multiplierai pas les exemples. L’immortel Cuvier a démontré que les êtres vivants sont tous des séries organisées, où l’organe appelle l’organe, la forme suppose la forme, si bien que toutes les parties de notre corps, malgré leurs figures et leurs fonctions si diverses, ont cependant un côté par où elles se ressemblent, un principe commun qui les réunit et en forme ce chef-d’œuvre.
Or, si nous parvenions à analyser, je ne dis pas dans ses éléments chimiques, la chimie n’a rien à faire ici, mais dans son unité et sa raison sérielles, une goutte de sang humain, nous jugerions aussitôt que ce sang ne peut vivre que dans un cœur d’homme, nourrir que des organes d’homme, donner naissance qu’à un homme ; nous saurions pourquoi un homme est un homme, et non pas un phoque ou un orang-outang.
231. C’est donc la raison qui donne la forme à la série ; c’est du rapport de ses unités que la série tire son caractère et sa dénomination.
Mais, en comparant plusieurs sortes de séries, on voit surgir entre elles de nouvelles différences, qu’il importe de remarquer.
D) Série naturelle. La série est naturelle lorsqu’elle est propre et spéciale à l’objet, qu’elle résulte de sa nature et de ses propriétés. En effet, toute série peut être regardée comme l’expression d’une loi : or, qu’est-ce qu’une loi ? C’est, selon Montesquieu, la règle d’un principe, règle qui doit dériver de la nature même du principe qui s’y assujettit. La loi ou raison de la série résultera donc de l’objet sérié, lorsque les unités dont cette loi indique le rapport ne seront elles-mêmes que l’objet considéré dans ses divisions ou différences. C’est ce qui s’entendra encore mieux par l’article suivant.
232. E) Série artificielle. La série est artificielle lorsqu’elle est transportée de l’objet qui lui est propre à un autre qui lui est étranger. La plupart des produits de l’art et de l’industrie sont des séries artificielles. L’homme ne crée, n’imagine rien, pas même des séries ; il ne fait que des découvertes et des transpositions.
Les bandes symétriques d’un parterre, des arbres plantés en quinconce ou découpés en figures ; un recueil de biographies rangées par ordre alphabétique ; une compagnie d’hommes alignés selon leur taille ; l’avancement en grade d’après le droit d’ancienneté, sont des séries artificielles. Certainement l’âge du fonctionnaire et la taille du soldat sont des choses dont le souverain et le chef d’armée doivent tenir compte, et qui ont leur raison dans la nature : comme aussi il y a une raison étymologique qui fait commencer certains noms par A, certains autres par B ; mais ces différences, prises pour élément de hiérarchie, d’ordre de mérite ou de disposition historique, n’engendrent que des combinaisons purement artificielles.
Dans la nature, les séries se développent chacune selon son objet propre, sans se mêler ni se confondre (190) ; vient ensuite l’homme qui, disposant en souverain de la terre et de son mobilier, commence, par la transposition des séries naturelles, une seconde création au sein de la création elle-même.
233. L’utilité des séries artificielles ou transposées n’est pas douteuse ; c’est à elles que nous devons, comme j’ai dit, nos arts et notre industrie ; c’est par elles que l’homme civilisé se distingue du barbare. Tandis que celui-ci se couvre de peaux brutes, dort sur la mousse, se cache dans des trous, ne connaît d’ombre que celle des arbres, l’homme policé file le poil des animaux pour s’en mieux couvrir, taille le bois et la pierre pour s’en faire un abri, mesure et divise le sol entre les familles, afin de mieux assurer leur subsistance. — Dans les recueils scientifiques, il est souvent commode d’abandonner l’ordre naturel des faits et des idées, et de leur en substituer un autre : tel est le cas des dictionnaires.
Mais la série artificielle est funeste, lorsqu’au lieu de se présenter comme auxiliaire de la série naturelle, elle la méconnaît et prétend en usurper le rôle. Alors la nature, en lutte avec le génie de l’homme, l’écrase de ses propres inventions ; la science déraisonne, l’industrie est stérile, l’art grimace, le désespoir s’empare de la société devenue sceptique, jusqu’à ce que l’arbitraire de l’homme cède à la nécessité.
Ainsi la division artificielle de la France en quatre-vingt-six départements a eu son utilité pour briser la Gaule féodale et municipale, et lui créer une centralisation vigoureuse : cette œuvre de haute nationalité n’est pas encore achevée ; et cependant il semble à divers symptômes que nous dussions déjà nous préparer à une division plus naturelle du sol, d’après les différences de climats, de race, d’industrie, etc., et ayant pour but de donner à chaque partie de l’État son caractère et sa physionomie.
234. La série artificielle n’étant, comme j’ai dit, qu’une série naturelle abstraite de son objet propre et transportée à un autre, le procédé à suivre dans sa formation est le même que pour la série naturelle.
235. F) Séries similiformes ou Analogies. En comparant des séries dont l’objet, l’unité, la raison sont tout différents, on remarque souvent entre elles des ressemblances singulières, que l’esprit est tenté d’attribuer d’abord à une identité absolue de principe et de loi. Ces ressemblances tiennent à ce que, soit la matière atomique, qui sert de substratum aux séries, soit la force qui les détermine, soit la forme élémentaire à laquelle toutes peuvent être réduites, étant à priori une, identique, toujours égale à elle-même, et ces trois choses ne se différenciant que par leur quantité, leur division et les proportions dans lesquelles elles s’unissent, quelque chose de commun se laisse nécessairement apercevoir entre toutes les séries.
Mais il ne faut pas conclure de là que la nature ne fasse jamais que se répéter elle-même ; que chacune de ses œuvres est comme un miroir qui reproduit toutes les autres, et que telle série que nous pouvons soumettre au calcul nous donne le mot de telle autre à laquelle nous ne pouvons atteindre. Car, comme deux forces qui s’unissent produisent un effet complexe, tout différent de l’effet simple auquel chacune pouvait donner naissance, et incommensurable avec celui-ci ; comme de la combinaison de deux corps simples il résulte un mixte dont les propriétés ne se trouvaient dans aucun de ceux-là ; comme la figure humaine est un composé de droites et de courbes que la géométrie ne pouvait prévoir : de même, à un degré supérieur encore, les matériaux que le Créateur met en œuvre, et que nous désignons sous les noms de matière et de force, produisent, par l’infini de leurs combinaisons, des séries toujours imprévues, toujours indépendantes.
236. La gamme des sons, comme celle des couleurs, est septénaire ; les vertèbres du cou de l’homme sont au nombre de sept ; les articulations de la queue de l’écrevisse, sept ; dans plusieurs plantes, les pétales, les lobes, les étamines, etc., aussi sept. Devons-nous croire, pour cela, que la loi physique de la lumière et des sons est la même que la loi physiologique de l’homme, de l’écrevisse et des fleurs ? Et sommes-nous en droit de présumer en conséquence que la gamme inconnue des saveurs et des odeurs est aussi de sept ?
Il ne suffit pas de rapprocher deux séries de physionomie en apparence semblables, pour être en droit de poser aussitôt cette conclusion : Donc ces séries ont même principe, même loi. Voici deux sources thermales dont la température, les qualités et propriétés sont les mêmes : allons-nous induire en vertu de cete analogie, que la force qui les fait jaillir est aussi la même ? Mais l’une vient d’une contrée montagneuse, dont les eaux, après avoir pénétré dans les terres à une grande profondeur, viennent rejaillir en siphon ; tandis que l’autre est chassée au dehors par la force élastique des gaz qui soulèvent les eaux souterraines.
Il y a deux siècles, avant la découverte d’Uranus, de Neptune et des planètes microscopiques, on n’aurait pas manqué de citer, en faveur de la septénarité dont nous parlions tout à l’heure, les sept astres qui composent notre système : voilà comment, à mesure que l’observation s’étend, les analogies disparaissent.
237. Puisque, par l’hypothèse, l’analogie est l’identité, quant à la cause et à la loi, de deux séries dont la matière seulement ou le sujet diffère, pour que l’analogie soit admise, il faut que cette identité de cause et de loi soit démontrée ; il ne suffit pas, je le répète, d’un simple rapprochement. Pourquoi l’égalité de nombre des vertèbres du cou entre l’homme et les autres mammifères est-elle plus qu’une analogie ? Parce que cette ressemblance organique fait partie d’une série appréciable, dans laquelle, à défaut de la connaissance du principe et de la raison, nous avons sous les yeux le sujet sérié lui-même, lequel se compose de tous les mammifères. Or, des hommes, des queues d’écrevisses, des couleurs et des pétales, tout cela ne forme point série : ce n’est rien d’intelligible.
238. L’analogie a de tout temps alimenté les spéculations des mystiques, les rêves des théosophes et des illuminés : c’est elle qui leur a suggéré sur Dieu, sur la nature et l’homme tant d’extravagantes conjectures, et qui souvent égare, à leur insu, les intelligences les plus sévères et les plus positives. De nos jours, il s’est trouvé un homme qui a prétendu hautement relever l’analogie et en faire une science : ses idées ont fait grand bruit dans une certaine classe de réformistes, trop prétentieux pour se soumettre au sens commun et penser comme le vulgaire. Malheureusement ce révélateur s’est borné à quelques allégories plus ou moins ingénieuses, que ses disciples se sont contentés d’admirer, sans pouvoir ni les expliquer ni en augmenter le nombre.
Kepler croyait que les astres étaient des corps doués d’intelligence et de vie : Fourier, s’emparant de cette idée, leur accorde de plus la fécondité et en fait des hermaphrodites.
Les corps célestes décrivent des aires proportionnelles aux temps : Fourier, étendant cette loi de physique à l’ordre moral, pose le principe, devenu aphoristique pour ses adeptes, bien qu’il ne signifie absolument rien : Dans l’homme, les attractions sont proportionnelles aux destinées. — Les attractions et les destinées sont au fond une seule et même chose, mais présentée à rebours et sous deux noms différents : dire que les unes sont proportionnelles aux autres, c’est comme si l’on disait qu’entre Paris et Rome la distance est proportionnelle à l’éloignement.
Fourier prétend que la mâchoire humaine, garnie de 32 dents, est un clavier à 32 touches, ayant pour pivot l’os hyoïde, et monté sur le même principe que notre système planétaire, lequel aussi, selon lui, se compose de 32 touches, avec le soleil pour pivot. Il est vrai qu’en comptant les planètes et leurs satellites, on ne trouve en tout que 29 globes : mais Fourier n’est point embarrassé ; il accuse l’impuissance des télescopes qui ne nous ont pas encore fait voir Protée et Sapho, plus un nouveau satellite. J’ignore si l’état du ciel et de la science astronomique permettent de conjecturer l’apparition de nouvelles planètes[27], comme cela était arrivé déjà pour les planètes intermédiaires entre Mars et Jupiter : mais je le demande à ceux qui ont entrepris de justifier les hypothèses de Fourier aussi bien que de réaliser son utopie : quel rapport entre l’os hyoïde et le soleil, entre les planètes à satellites et les quatre canines ?… Tant que cette démonstration ne sera pas faite, l’analogie entre la mâchoire de l’homme et le système planétaire qu’il habite sera une fantaisie, une idole, comme disait Bacon.
Le faux savant, dit Fourier, a son analogue dans le perroquet : en effet, la ressemblance des deux personnages est assez remarquable. Homère compare Ajax, intrépide au milieu des Troyens qui l’assaillent, à un âne que des enfants veulent chasser d’un champ de blé : la comparaison du Grec vaut l’analogie de Fourier. Croirai-je donc qu’un développement subversif des lois psychologiques, en produisant le faux savant, s’est au même instant réfléchi dans le perroquet ? Et l’âne, cette pauvre créature plus obstinée que courageuse, sera-t-il pour moi le symbole naturel de la constance des héros ?
239. L’analogie est une forme d’argumentation que l’on rencontre partout, en morale, en politique, et généralement dans toutes les sciences non encore sériées, et qui réussit d’autant mieux avec les esprits superficiels, qu’elle exige peu de travail, et qu’en tranchant une question elle semble la résoudre.
L’argument le plus familier aux partisans de l’égalité, celui que dans tous les temps ils ont employé le plus volontiers, consiste à mettre sur une même ligne la famille et la cité, puis à soutenir que, comme dans la famille les enfants sont tous égaux sous un même chef qui est le père, ainsi doivent être les citoyens dans l’État, sous une même autorité qui est la loi[28].
Si cette analogie était prouvée, le communisme serait une vérité. Mais il n’en est point ainsi, et tout le progrès accompli par la civilisation proteste contre l’assimilation de l’État à la famille. Dans la famille, les enfants sont égaux, non pour leurs services, puisqu’ils ne sont pas considérés comme travailleurs responsables et libres, mais en vertu de la tendresse et de l’autorité paternelles ; tandis que les citoyens étant producteurs, libres et personnellement responsables, la cause efficiente des conditions est changée pour eux, et la question reste intacte. La famille est l’élément qui constitue le peuple ; elle n’est point l’unité sérielle qui engendre l’État : cette unité, c’est l’atelier. Or, la qualité de travailleur pousse invinciblement l’homme à s’individualiser, et cela d’autant plus qu’il se perfectionne davantage ; l’exercice du droit de propriété, tel que l’ont défini les législateurs, n’est même que l’effort constant de la nature pour assurer cette individualisation. C’est à l’organisation du travail à créer à côté de l’égalité domestique une égalité civile résultant de la liberté individuelle.
240. La série similiforme, ou série par analogie, la plus artificielle de toutes, a été d’une grande ressource dans la poésie et l’éloquence : c’est par elle que nous avons appris à donner du relief et de la couleur aux pensées ; les figures les plus brillantes, la métaphore, l’allégorie, l’apologue, sont données par elle, et le langage humain lui doit presque tous ses progrès. L’analogie a rendu la métaphysique possible en préparant les langues et élaborant des signes abstraits, sans lesquels la pensée de l’homme ne saurait se produire.
On confond souvent l’analogie avec l’identité, ce qui a fait penser qu’il y avait des analogies vraies et des analogies fausses. L’analogie, comme il vient d’être exposé, n’est jamais que l’hypothèse d’identité sérielle entre des choses où la réflexion ne découvre qu’une ressemblance fortuite : ce que l’on prend pour une analogie vraie est précisément un fait de série dialectique, ainsi que nous le montrerons au prochain paragraphe.
§IV. — Analysis of the series: its element, its reason, its point of view, its forms. — Apperception of the series.
219. If humanity, in its tendencies, does not obey a spirit of falsehood; if in its dreams about substance, cause, the one, the infinite, God and the world, philosophy seeks only relations and laws, to Reason is to seriate; and any reasoning that cannot be reduced to a regular series is necessarily a false reasoning, a sophism.
But, to discover the serial theory, it was necessary that the human spirit traverse the three periods that we indicated in the constitution of sciences, Religion, Philosophy and Method. Like physics, chemistry, zoology and medicine, like mathematics itself, serial theory must have had its fanatics and its sophists, some of whom barely glimpsed it, and others whom, without having understood it, immediately undertook to abuse it.
220. How can we be surprised, moreover, by this common destiny of serial theory and the sciences, when we consider that laws and relations are the last thing discovered — what am I saying? — the last that the intelligence of man seeks? The shepherd, in the miserable hut where he gathers pell-mell pigs, horses, sheep, donkeys, oxen and goats, geese and turkeys, hens and ducks, his dog, his cat, his children and his rabbits; the rude, but already superb and greedy herdsman, does he see anything else in these animals but a source of profit for him, or an occasion for spending? Has he ever wondered what these diversities of genera and species mean? He barely sees them. How would this man, for whom the animal series gouge out his eyes without him seeing them; how would this ploughman, this fruit-grower, this vine-grower, for whom apple trees, pear trees, cherry, walnut, vine, hops, wheat, barley, rye and oats, corn, bean, potato and hemp differ only in the value that he has specially recognized for them in the market, distinguish between the ideas that assail him? How would he undertake to group them by genera and species, to stagger and vary their series, taking them in turn from their different points of view?
Man drinks, eats, enjoys creation, uses and abuses the earth, animals, plants, himself; he plays with his ideas like a child with the parts of a watch; he tricks and lies like the wild beast that flees before the hunter: it is only in the long run that he learns to classify things, to put order in his thoughts; yet the rectification of his errors does not take place without the most painful efforts and the most distressing sacrifices. Truth has always made more martyrs than beauty has made idolaters.
221. According to the properties that we have recognized in the series, and the review that we have made of the principal attempts at seriation given birth to by philosophy, we are warned that the serial theory is not a system of the world, nor a genealogical tree of our knowledge, nor a register of ideas: serial theory is the art of composing and breaking down all kinds of ideas (numbers, magnitudes, movements, forms, relationships, feelings, actions, rights and duties), of so that the mind is constantly assured in its progress, and that the solution, when it can be obtained, is struck with infallibility and absolute certainty.
This double condition is fulfilled by the sciences that welet us call exact par excellence [25]: it is now a question of satisfying them for the other sciences, and especially for the moral and political sciences.
222. A) Element of the series. The series has unity as its element. — The concept of unity, like those of substance and cause, is suggested to us, either by the sight of natural groups, or by the feeling of our personality. Like substance and cause, like continuity and repose, absolute unity is indifference in things, non-distinction, identity. The mind conceives it; the theory supposes it: but the senses do not perceive it. — Unity is the alpha and omega of the universe, between which the science of man walks.
The series is the antithesis of unity: it is formed from repetition, various positions and combinations of unity.
Considered as a standard item, the unity takes on all possible forms. — In arithmetic, the serial element is the abstract unity, that is to say, conceived outside of all substantial reality, just as in geometry the point, element of the line and of the plane, is conceived without length, width or depth.
In a gear wheel, the serial unity is the tooth; in a chessboard, this unity is the square; in a polyhedron, it is the pyramid having its vertex at the center of the solid, and its base at the surface.
In the vegetable and animal kingdoms, the unity is alternately genus, species, variety, individual. In organized being, the serial unity is the organ; in the organ, it is the molecule, etc.
223. The smallest possible series contains at least two units: a thesis and an antithesis, an alternation, a coming and going, the opposites, the extremes, the polarity, the balance, the good and the evil, the yes and no, me and not-me, father and son, master and apprentice, husband and wife, citizen and state. — I have spoken above about the ternary and quaternary systems; the world could still be explained by an endless dualism; such even seems to have been one of the primitive forms of philosophy. But, as we have observed, there is nothing absolute about all this, and no one can say where combinations of this kind end. This is not where a serious philosophy should aim.
224. The series is all the more close or more frequent when, under a determined amplitude (in length, mass, volume, duration, etc.), its units are more numerous; it is all the more spaced or more rare when, under the same amplitude, its units are of a larger dimension, or more distant between them. The division of the meter into centimeters and millimeters offers us an example of these two series.
Likewise also, the average distance from the earth to the sun being 12,000 times the terrestrial diameter, and the average distance from the moon about 43,000 times the lunar diameter, although these two distances are the same as to absolute length, that from the moon to the sun forms a closer series, that from the earth to the same star a more spacious series.
The same must be said of the division of the month into weeks or decades; of dividing the day into 10 or 24 parts.
We can still make the same observation by comparing together either machines or organisms: for example, a watch six lines in diameter with the clock of a cathedral, an ant with an elephant.
Finally, in botanical and zoological classifications, some genera include many species; others are reduced to a single unit. In the latter case, the series can be said to have begun, except to prove afterwards that this monoic genre is not, if I may say so, a crossroads or an impasse in the infinity of serial combinations.
225. Two series which differ only by the number of their units, their absolute amplitude being the same, are equivalent; two series whose units are equal and whose amplitude differs, are similar or homologous; two series that differ neither in magnitude nor in units are identical.
226. The property that the series has of embracing, under the same amplitude, an ever increasing number of units, plays a great part in the sciences and the arts. I have already pointed out that the strength of tissues, both organic and industrial, is due to the division of their parts: it is by this too that a thatched roof offers more resistance to the passage of heat than a roof of boards or tiles, although the mass to cross in the first is ten times less than in the second. [26] The woodcutter who from a fragile branch makes by torsion, that is to say by the division of fibers, a strong bond instinctively obeys this law.
In mathematics, we have recourse to the same principle for all kinds of approximations: thus, the ratio of the circumference to the diameter not being able to be obtained directly, we approach it as much as we want by the demonstration of Archimedes. — The insertion of arithmetic means renders the same service in the extraction of roots that cannot be determined in whole numbers.
Music produces its greatest effects with the aid of this process, sometimes containing under the same measure from one to sixty-four notes; sometimes dividing the tone into semi-tones, as far as the sensibility of our organs can go.
It is by a series of this kind that political economy will effect the transition from our anarchic and subversive society to a regularly organized society. Then we will see that, without departing from established legality, it is always possible to insert, between a form of government, however arbitrary and tainted with privileges it may be, a series of partial reforms such that one quickly arrives and without shaking to perfect equality.
227. B) Reason of the series.
What gives form to the series is the relation either of identity, or of equality or difference, or of power, progression, composition, etc., of its units.
The ratio of the units to each other is what we will call the reason of the series.
The grooves of a column, the teeth of a saw, the ribs of a melon, the notches of a gear wheel, are in a relationship of identity; arithmetic units, classified by tens, hundreds, thousands, etc., in a ratio of similarity; the sounds, the colors, the acceleration of the fall of the bass, in a progression report; the limbs of the human body, the organs of plants, the parts of a picture, of a statue, of a monument, of a poem, of a work of literature, in a relation of composition.
We will show that the social functions are in a relationship of composition and equivalence.
228. For the series to exist, the ratio of its units must be fixed and invariable. This is what made us say, in the definitions, that every law was absolute and excluded nothing: as soon as reason bends or varies, the series no longer exists: there is disturbance and disorder.
Suppose that, in the written numeration, the digit placed on the left expresses units of an order sometimes ten times, sometimes nine or twelve times greater, and arithmetic is impossible. Randomly drill the pipe of the flute; stretch the strings of the violin more or less, lengthen some, shorten others: you will only obtain false and discordant sounds; the more perfect your execution, the less music you will have.
It was to prevent variations in the serial ratio that watchmakers imagined compensating rods in pendulums, when they noticed that changes in temperature dilating or contracting the metal rod, the movement of clocks being accelerated or delayed.
We will also see that the relation of commercial values and industrial functions is invariable, that is to say that political laws, like those of nature, are inflexible.
229. C) Forms or aspects of the series.
Design a quadrangular plane moving on an axis passing through one of its sides, the solid produced by this movement is a cylinder; on the contrary, conceive this same plane moved perpendicular to itself, the solid generated by this movement will be a parallelogram.
Now, the difference of the two solids is due solely to the difference of the relation which governs the serial units of the generative movement.
In either case, the plane is moved simultaneously in all its lines; but, in the first, the speed which carries each line increases with its distance from the axis; in the second, the speed remains the same for all.
In other words, the units of speed are here in a relation of identity, there in a relation of progression.
This example reveals to us one of the simplest and most fruitful laws of creation: matter being given, with a force that divides it, it suffices to vary the ratio of the divided parts to produce all the possible combinations.
230. I will not multiply the examples. The immortal Cuvier demonstrated that living beings are all organized series, where the organ calls for the organ, the form presupposes the form, so that all the parts of our body, in spite of their diverse figures and their functions, have, however, a side in which they resemble each other, a common principle that unites them and forms this masterpiece.
Now, if we succeeded in analyzing, I am not saying in its chemical elements, chemistry has nothing to do here, but in its unity and its serial reason, a drop of human blood, we would immediately judge that this blood cannot live only in the heart of a man, nourish only the organs of a man, give birth only to a man; we would know why a man is a man, and not a seal or an orangutan.
231. It is therefore reason that gives form to the series; it is from the ratio of its units that the series derives its character and denomination.
But, in comparing several kinds of series, we see new differences arising between them, which it is important to note.
D) Natural series. The series is natural when it is proper and special to the object, when it results from its nature and its properties. Indeed, any series can be regarded as the expression of a law. Now, what is a law? It is, according to Montesquieu, the rule of a principle, a rule that must derive from the very nature of the principle that is subject to it. The law or reason of the series will therefore result from the serial object, when the units whose relation this law indicates are themselves only the object considered in its divisions or differences. This is what will be understood even better by the following article.
232. E) Artificial series. The series is artificial when it is transported from the object that is proper to it to another that is foreign to it. Most of the products of art and industry are artificial series. Man does not create or imagine anything, not even series; he only makes discoveries and transpositions.
The symmetrical bands of a parterre, trees planted in staggered rows or cut into figures; a collection of biographies arranged in alphabetical order; a company of men lined up according to their size; advancement in grade according to the right of seniority, are artificial series. Certainly the age of the functionary and the size of the soldier are things that the sovereign and the commander of the army must take into account, and which have their reason in nature, just as there is also an etymological reason which makes certain names begin with A, some others by B; but these differences, taken as an element of hierarchy, of order of merit, or of historical disposition, engender only purely artificial combinations.
In nature, the series develop each according to its own object, without mixing or confusing (190); then comes the man who, disposing of the earth and its furniture as sovereign, begins, by the transposition of natural series, a second creation within creation itself.
233. The usefulness of artificial or transposed series is not doubtful; it is to them that we owe, as I have said, our arts and our industry; it is by them that the civilized man is distinguished from the barbarian. While this one covers himself with raw skins, sleeps on the moss, hides in holes, knows no shade but that of the trees, the well-mannered man spins the hair of animals to cover himself better, trims the wood and stone for shelter, measures and divides the ground between families, in order to better ensure their subsistence. — In scientific collections, it is often convenient to abandon the natural order of facts and ideas, and to substitute another for them: such is the case with dictionaries.
But the artificial series is deadly when, instead of presenting itself as an auxiliary to the natural series, it misunderstands it and claims to usurp its role. Then nature, in struggle with the genius of man, crushes it with her own inventions; science is nonsense, industry is sterile, art grimaces, despair takes hold of a society that has become skeptical, until the arbitrariness of man yields to necessity.
Thus the artificial division of France into eighty-six departments has had its utility in breaking up feudal and municipal Gaul, and creating in it a vigorous centralization: this work of high nationality is not yet completed; and yet it seems from various symptoms that we should already prepare ourselves for a more natural division of the soil, according to the differences of climate, race, industry, etc., having for its object to give to each part of the State its character and its physiognomy.
234. The artificial series being, as I said, only a natural series abstracted from its proper object and transferred to another, the process to be followed in its formation is the same as for the natural series.
235. F) Similiform Series or Analogies. In comparing series whose object, unity, reason are quite different, one often notices singular resemblances between them, which the mind is tempted to attribute first to an absolute identity of principle and law. These resemblances are due to the fact that either atomic matter, which serves as a substratum for the series, or the force which determines them, or the elementary form to which all can be reduced, being a priori one, identical, always equal to itself, and these three things differing only by their quantity, their division and the proportions in which they are united, something in common necessarily allows itself to be perceived between all the series.
But we must not conclude from this that nature never does anything but repeat itself; that each of its works is like a mirror that reproduces all the others, and that one series that we can subject to calculation gives us the word of some other that we cannot reach. For, as two forces that unite produce a complex effect, quite different from the simple effect to which each could give rise, and incommensurable with it; as from the combination of two simple bodies there results a mixture whose properties were not found in either of these; as the human figure is a compound of straight lines and curves that geometry could not foresee: in the same way, to a still higher degree, the materials that the Creator implements, and that we designate under the names of matter and force, produce, through the infinity of their combinations, des series that are always unexpected, always independent.
236. The range of sounds, like that of colors, is septenary; the vertebrae of the neck of man are seven in number; crayfish tail joints, seven; in several plants, the petals, lobes, stamens, etc., also seven. Are we to believe, therefore, that the physical law of light and sound is the same as the physiological law of man, of crayfish and flowers? And are we therefore entitled to assume that the unknown range of tastes and smells is also seven?
It is not enough to bring together two series of physiognomy that are apparently similar, in order to be entitled to immediately posit this conclusion. Therefore, these series have the same principle, the same law. Here are two thermal springs whose temperature, qualities and properties are the same. Are we going to infer by virtue of this analogy that the force that makes them spring is also the same? But one comes from a mountainous country, the waters of which, after having penetrated into the land at a great depth, come to spurt out in a siphon; while the other is driven out by the elastic force of the gases that raise the subterranean waters.
Two centuries ago, before the discovery of Uranus, Neptune and the microscopic planets, we would not have failed to cite, in favor of the septenarity we were talking about earlier, the seven stars that make up our system. This is how, as observation extends, analogies disappear.
237. Since, by the hypothesis, analogy is the identity, as to cause and law, of two series whose matter or subject alone differs, for the analogy to be admitted, it is necessary that this identity of cause and law is demonstrated; a simple rapprochement, I repeat, is not enough. Why is the equality of number of neck vertebrae between man and other mammals more than an analogy? Because this organic resemblance is part of an appreciable series, in which, in the absence of knowledge of the principle and the reason, we have before our eyes the serial subject itself, which is composed of all the mammals. Now, men, crayfish tails, colors and petals, all this does not form a series: it is nothing intelligible.
238. Analogy has always fueled the speculations of mystics, the dreams of theosophists and the enlightened: it is analogy that has suggested to them so many extravagant conjectures about God, nature and man and which often misleads, unwittingly, the most severe and positive minds. In our day, there has been found a man who has claimed to exalt analogy and make a science of it: his ideas have caused a great stir among a certain class of reformists, too pretentious to submit to common sense and think like the vulgar. Unfortunately, this revealer limited himself to a few more or less ingenious allegories, which his disciples contented themselves with admiring, without being able either to explain them or increase their number.
Kepler believed that the stars were bodies endowed with intelligence and life. Fourier, taking hold of this idea, granted them more fertility and made them hermaphrodites.
The celestial bodies describe areas proportional to the times: Fourier, extending this law of physics to the moral order, poses the principle, which has become aphoristic for his followers, although it means absolutely nothing: In man, the attractions are proportional to the destinies. — Attractions and destinies are basically one and the same thing, but presented backwards and under two different names: to say that one is proportional to the other is like saying that between Paris and Rome the distance is proportional to separation.
Fourier claims that the human jaw, furnished with 32 teeth, is a keyboard with 32 keys, having the hyoid bone as its pivot, and mounted on the same principle as our planetary system, which also, according to him, is composed of 32 keys, with the sun as a pivot. It is true that by counting the planets and their satellites, we find in all only 29 globes: but Fourier is not at a loss; he accuses the impotence of telescopes which have not yet shown us Proteus and Sappho, plus a new satellite. I do not know if the state of the sky and astronomical science allow us to conjecture the appearance of new planets [27], as had already happened for the intermediate planets between Mars and Jupiter: but I ask those who have undertaken to justify Fourier’s hypotheses as well as to realize his utopia: what relationship between the hyoid bone and the sun, between the planets with satellites and the four canines?… Until this demonstration is made, the analogy between the jaw of man and the planetary system which he inhabits will be a fantasy, an idol, as Bacon said.
The false scholar, says Fourier, has his analogue in the parrot: indeed, the resemblance of the two characters is quite remarkable. Homer compares Ajax, intrepid in the midst of the Trojans who assail him, to a donkey which children want to drive out of a wheat field: the Greek comparison is worth the analogy of Fourier. Shall I believe then that a subversive development of psychological laws, by producing the false scientist, was at the same moment reflected in the parrot? And the donkey, that poor creature more obstinate than courageous, will it be for me the natural symbol of the constancy of heroes?
239. Analogy is a form of argumentation that one encounters everywhere, in morals, in politics, and generally in all the sciences not yet seriated, which succeeds all the better with superficial minds because it requires little work, and because by deciding a question it seems to solve it.
The argument most familiar to the partisans of equality, the one that they have always used most willingly, consists in putting the family and the city on the same line, then in maintaining that, as in the family the children are all equal under the same head who is the father, so must be the citizens in the State, under the same authority which is the law. [28]
If this analogy were proven, communism would be a truth. But this is not so, and all the progress achieved by civilization protests against the assimilation of the State to the family. In the family, the children are equal, not for their services, since they are not considered as responsible and free workers, but by virtue of paternal tenderness and authority; while the citizens being producers, free, and personally responsible, the efficient cause of the conditions is changed for them, and the question remains untouched. The family is the element that constitutes the People; it is not the serial unity that engenders the State: this unit is the workshop. Now, the quality of worker invincibly pushes man to individualize himself, and this all the more the more he perfects himself; the exercise of the right of property, such as the legislators have defined it, is even only the constant effort of nature to ensure this individualization. It is up to the organization of work to create alongside domestic equality a civil equality resulting from individual freedom.
240. The similiform series, or series by analogy, the most artificial of all, has been a great resource in poetry and eloquence: it is through it that we have learned to give relief and color to thoughts; the most brilliant figures, metaphor, allegory, apologue, are given by it, and human language owes almost all its progress to it. Analogy made metaphysics possible by preparing languages and elaborating abstract signs, without which human thought could not occur.
Analogy is often confused with identity, which has led to people thinking that there are true analogies and false analogies. Analogy, as just explained, is never anything but the hypothesis of serial identity between things in which reflection only discovers a fortuitous resemblance: what is taken for a true analogy is precisely a fact of dialectical series, as we will show in the next section.
241. G) Série logique. La série logique est un genre de convention, créé par l’esprit antérieurement à la science, et qui sert à exprimer d’une manière abrégée, tantôt les natures et qualités des choses, tantôt les points de vue de l’esprit.
On sait que la lumière, décomposée par le prisme, est un groupe naturel formé de sept unités principales, rouge, orangé, jaune, vert, bleu, indigo, violet. Or, avant que l’expérience eût découvert cette composition du fluide lumineux, notre instinct l’avait pour ainsi dire pressentie, en rassemblant les éléments constituants de la lumière sous une expression commune, couleur. Le mot couleur équivaut dans le langage à cette énumération : ou rouge, ou bleu, ou vert, etc., ou tout cela réuni. Inventé pour le besoin du discours et ne représentant rien de réel, il indique une série factice, sorte de pendant à la série naturelle que nous avons découverte dans la lumière.
De même, avant d’avoir trouvé l’échelle des tons, l’esprit les avait groupés sous le nom générique de son ; avant d’avoir classé les êtres organisés, il les désignait, ceux-ci sous le nom d’animaux, ceux-là sous celui de plantes. J’en dis autant des mots odeur, saveur, et autres, dont la citation remplirait un dictionnaire.
Telle est l’origine des noms abstraits (§ 7). Disciple fidèle de la nature et devançant l’analyse physique, l’homme sériait les images que la nature lui envoyait, longtemps avant qu’il eût appris à la sérier elle-même.
242. Les noms abstraits ne sont pas exclusivement signes de séries logiques : ils servent encore à désigner des collections naturelles, des qualités, propriétés, modifications, des principes, des causes, et enfin des individus. La philologie nous apprend même que tout nom abstrait n’eut dans l’origine qu’une signification particulière et concrète, et que c’est par extension ou accommodation qu’il est devenu signe d’abstraction et de série. Exemple :
Jésus-Christ a sauvé l’humanité par ses souffrances ; l’humanité, c’est-à-dire l’espèce humaine, expression collective : Série naturelle.
En Jésus-Christ l’humanité seule a souffert ; l’humanité, c’est-à-dire la nature commune à tous les hommes, mot abstrait : Série logique.
Vertu est synonyme de force ; on l’emploie dans ce sens, lorsqu’on dit, par exemple : Remède sans vertu. Alors il représente une idée particulière. Mais les moralistes ont pris le nom de vertu pour désigner tout effort que l’homme fait sur lui-même, en résistant à la fougue de ses penchants : la vertu, dans ce sens, indique une série logique.
243. Le procédé par lequel le signe représentatif d’une idée simple devient signe de série logique, se nomme généralisation.
Les anciens classaient les vertus en quatre familles : Prudence, Tempérance, Force, Justice. Ce sont autant de séries logiques, généralisées des qualités simples que doit avoir chacune de nos actions (Cave, Abstine, Sustine, Retribue ; garde-toi, abstiens-toi, souffre, rends), et prises pour séries naturelles[29].
244. J’invoquais tout à l’heure le témoignage de la philologie : il ne sera pas inutile de montrer ici, par un exemple, de quelle manière se sont formés les noms abstraits.
En hébreu, il n’y a pas, à proprement parler, de noms abstraits ; les mots de cette langue qui y correspondent sont tous, ou des substantifs pluriels, ou des adjectifs féminins. Ainsi, la vie se traduit en hébreu par un mot qui signifie littéralement les vivants, ceux qui respirent, chaïim ; vieillesse et virginité par zakenim et betoulim, les vieux et les vierges ; divinité ou Dieu, par élohim, les forts ou les forces ; justice, par tsedeqah, la juste, etc. D’un côté, c’est la collection prise pour désigner la qualité commune à toutes les parties du groupe ; de l’autre, c’est la personnification de cette qualité. Ce dernier procédé paraît avoir été suivi exclusivement par les langues indo-germaniques, dans lesquelles les noms abstraits sont formés généralement de deux radicaux, l’un, qui exprime l’idée particulière cachée sous l’abstraction ; l’autre, qui sert, pour ainsi dire, à réaliser cette idée : virgin-itas, just-itia, benevol-entia, vir-tus, senec-tus, fort-itudo, mansue-tudo, etc.
Or, que cherchons-nous dans une dialectique sérielle ? L’art de composer et de décomposer nos idées. La formation des mots abstraits est le premier pas que le génie de l’homme ait accompli dans cette route : ainsi la théorie sérielle est aussi ancienne que le monde, et nous n’avons qu’à suivre l’exemple que nous a donné notre instinct.
245. La série logique est un genre factice, produit par l’esprit indépendamment de la réalité objective, et antérieurement à l’expérience : de plus, cette série constitue une bonne partie du langage humain.
Il semble, d’après cela, qu’il en doive résulter une confusion inextricable, et que la science pure, l’intelligence des vraies séries soit impossible à l’esprit, constamment obsédé de séries imaginaires et sans réalité. Cette crainte paraît même d’autant mieux fondée que la plupart des aberrations et chimères philosophiques sont venues de ce que l’on a attribué aux séries logiques une réalité qu’elles n’avaient pas, et que l’on s’est efforcé d’expliquer la nature et l’homme par des abstractions. Telle fut l’origine du réalisme. L’esprit, en vertu de son activité propre, ayant produit dans le langage, à côté des séries données par la nature, tout un monde de séries pour ainsi dire extra-naturelles, faites à l’image des premières et corrélatives à elles, l’imagination en fut d’abord stupéfiée, et la raison, tombée dans ce labyrinthe, y construisit ces toiles légères dont parle Bacon, et qui forment encore aujourd’hui tout l’avoir de la philosophie.
246. Nous verrons tout à l’heure que la raison, une fois éclairée sur la nature des matériaux qu’elle met en œuvre, n’a plus rien à craindre du mélange dans le discours des séries logiques et des séries naturelles ; que le raisonnement est aussi sûr, aussi concluant par les unes que par les autres ; que dans la pratique il faut, sans tenir compte de leur nature objective ou subjective, passer de l’une à l’autre comme si elles étaient toutes réelles et représentatives de choses. Ajoutons que, sans la série logique, le discours serait impossible.
En effet, la série logique est une énumération abrégée, une sorte de réduction algébrique enfermant sous un signe commun et conventionnel une foule de choses que l’esprit considère sous un même point de vue, sans prétendre autrement leur assigner de lien. Lorsque je dis : La couleur est une propriété des corps, n’est-ce pas comme si je disais : une des propriétés des corps est d’être ou bleu, ou blanc, ou rouge, etc., en épuisant dans ce dénombrement toutes les variétés et nuances du rayon lumineux ? Et parce que le mot couleur ne désigne rien de réel, les innombrables unités que ce signe résume en existent-elles moins, en sont-elles moins douées de propriétés communes ?
Je le répète : la série logique est un résumé de l’esprit, une manière de sommer ou totaliser les choses indépendamment de leur série naturelle, et lors même qu’elles appartiendraient à des séries toutes différentes. Si donc une assertion est vraie de certaines choses (semblables ou contraires, il n’importe) prises séparément, comment ne le serait-elle plus après leur somme ou totalisation ? Mais ne préjugeons pas la théorie.
247. Une autre illusion produite par la série logique est d’avoir fait imaginer que toute idée particulière ou collective étant représentée par un signe, et l’esprit ayant la faculté de réduire sous un même signe un nombre indéfini d’idées, soit particulières, soit collectives, on pouvait prendre les mots pour instruments de démonstration, à peu près comme on emploie les chiffres et les lettres dans l’arithmétique et l’algèbre. Cette opinion paraît avoir régné dans l’ancienne école stoïque, dont le fondateur, Zénon, s’illustra par je ne sais quelle théorie des signes, digne, sans doute, de servir de pendant à la logique d’Aristote.
J’ai moi-même, pendant quelque temps, été dupe de cette erreur : tant il est vrai qu’un homme abandonné à lui-même, et qui aurait assez d’énergie intellectuelle pour reconstruire à lui seul toutes les sciences, parcourrait encore la longue chaîne de déceptions et de mécomptes, qui exerce depuis si longtemps notre espèce.
Je me disais :
Le musicien se sert de points, diversement figurés et échelonnés sur cinq lignes, pour représenter des airs ;
L’algébriste se sert de chiffres ou de lettres pour composer et décomposer, comparer et équilibrer les quantités ;
Le géomètre emploie des figures analogues pour calculer des grandeurs, des rapports et des puissances ;
Ne pourrais-je de même, à l’aide des mots, signes phoniques des idées simples, collectives et générales, créer un calcul idéologique, qui assurerait la marche de la pensée ?
J’étais sur la voie de la dialectique sérielle ; mais je n’y touchais pas encore. Le vice de mon raisonnement, basé tout entier sur des analogies, consistait 1o en ce que les vocables ou signes articulés, ne sont pas choses de pure convention, mais déterminées, soit par l’usage, soit par l’étymologie : tandis que la note du musicien, le chiffre ou la lettre de l’algébriste, les lignes du géomètre, n’ont de valeur que celle que l’on convient de leur donner ;
2o En ce que le sens des mots est exclusif et immuable, tandis que la valeur des signes musicaux, arithmétiques et autres, change selon la clef, la position, etc. ;
3o Enfin, en ce que les mots, déjà classés grammaticalement selon le genre, le nombre, le temps, le mode, la relation, etc. ; ou logiquement selon la substance, la cause, l’attribut, le phénomène, les propriétés, etc., pouvaient bien servir à une vérification des catégories d’Aristote et de Kant, mais non pas être employés comme organe universel.
Sans doute c’est par la parole que les opérations de l’entendement se produisent : mais la parole n’est pas la raison, ni l’organe de la raison ; elle en est le vêtement. Tous les artifices dont la parole est susceptible sont le propre du grammairien, du rhéteur et du poëte : le métaphysicien en use, comme il se sert de livres et de papier ; mais il n’opère point avec elle. Produit de la nature et objet d’art, le langage est soumis aux investigations de la raison : comment serait-il la lumière de la raison ? spécial dans la série, comment aurait-il tenu lieu de la loi sérielle, qui devait être générale[30] ?
248. H) Point de vue de la série. Nous avons étudié la série dans son élément, sa raison, ses formes ; nous avons signalé les principaux écueils à éviter dans les classifications et les méthodes : 1o en distinguant la série artificielle de la série naturelle, et nous tenant en garde contre le danger des transpositions ; 2o en réduisant à leur juste valeur les inductions tirées de la ressemblance extérieure et fortuite des séries ; 3o en fixant le rôle purement abréviateur de la série logique, sans laquelle le discours et la science même seraient impossibles. Ces trois sources d’erreurs, nées d’un même vice de l’intellect, la confusion des séries, embrassent toutes les variétés de sophismes, paralogismes, illusions et hallucinations, dans lesquelles puisse tomber l’esprit en raisonnant.
Mais tout cela suppose la série déjà formée ou du moins perçue : or, il s’agit de déterminer à quelle condition la série se laisse percevoir, en d’autres termes, quelle est, pour l’esprit, la condition d’existence de la série.
249. En toute question, la première chose à faire est de déterminer le point de vue que l’on se propose d’étudier dans l’objet. Par exemple, l’homme a de tout temps recherché la mélodie, l’harmonie, la cadence, le rhythme : or, il y a des sons rauques, doux, éclatants et sourds ; il y en a de plaintifs, de gais, de flûtes, etc. Cette manière de considérer les sons, ce point de vue qu’ils offrent à l’observateur suffisait-il pour constituer la musique ? Non : il fallait découvrir un autre point de vue sans lequel l’art ne pouvait exister ; ce point de vue était l’échelle des sons.
Le botaniste s’occupe avant tout du classement des végétaux : or, ainsi que nous l’avons fait remarquer, les plantes se présentent à l’observateur sous une multitude de points de vue, tous aussi naturels les uns que les autres, mais parmi lesquels il en est un qui, à lui seul, constituera la science. Ce point de vue n’est ni la taille, ni le climat, ni l’utilité, ni la tige, ni la feuille, ni la fleur, ni le fruit. Chacun de ces points de vue peut servir tour à tour de principe de classement : mais l’expérience a démontré qu’une classification ainsi faite, toute naturelle qu’elle était, entraînait de choquantes disparates, et des rapprochements monstrueux. Il fallait à la science quelque chose de moins spécifique, quelque chose qui embrassât l’universalité des parties : ce n’est qu’après beaucoup de temps, d’observations et d’expériences, que l’on est parvenu à saisir le point de vue générateur de la série botanique, consistant dans le degré d’importance de chacune des parties, en deux mots, dans l’échelle des caractères.
Ces exemples suffisent pour faire entendre que la détermination du point de vue, toute subjective qu’elle paraisse, doit dériver toujours de la nature des choses et n’avoir rien d’arbitraire ; que l’aperception de la série est toute dans cette détermination ; et que, le point de vue découvert, la science elle-même est donnée.
250. Mais si, dans tout problème (et une science n’est autre chose qu’un problème), il importe avant tout, pour obtenir une solution, de déterminer la matière de la série, ou, comme nous disons, le point de vue ; cette détermination est souvent d’une difficulté extrême. On sait par combien d’essais infructueux la botanique est parvenue à sa constitution définitive, et de quelles folles hypothèses fut précédée la théorie si simple de Lavoisier ; on sait que, pour les Grecs et les Romains, privés d’un système régulier de numération écrite, l’arithmétique ne sortit pas du cercle d’une pratique étroite, hors duquel elle tombait dans une espèce de magie. Mais que dire des sciences morales et politiques, objet des méditations de tous les peuples, et qui ont absorbé déjà cinq ou six mille ans de travaux ?
251. Voici des fonctions à distribuer, des produits à répartir, des citoyens à gouverner, une société à conduire. Il est certain que là, comme en toute science, il s’agit d’une série à calculer, d’un problème de classification à résoudre : mais quel doit être le sujet spécial de cette série ? quel en est le point de vue organique ? comment le découvrir ? par où commencer ?… — Le sujet de la série politique, dira quelqu’un, c’est l’homme : pour gouverner la société, il faut connaître l’homme. — C’est parfaitement raisonné, mais cela ne sert absolument de rien : l’homme est le sujet de la nosologie, de la thérapeutique, de la psychologie, de la gymnastique, etc. ; d’après l’hypothèse il est encore le sujet de la science sociale : or quel est, dans l’homme, le côté spécial qu’il faut considérer pour créer la science nouvelle ? Car si l’on ajoutait que pour organiser la société il faut connaître l’homme sous tous les rapports possibles, au lieu d’avancer la solution du problème, on ne ferait que se rejeter dans le vague de l’universalité philosophique, d’autant plus que nous concevons très-bien qu’une science peut en supposer ou même en impliquer d’autres, sans cesser pour cela d’être spéciale, sans perdre son individualité et son caractère.
Quel est donc le fait humain, religieux, moral, physiologique ou industriel, qui donne naissance à la série politique ?
Nous avons accumulé d’immenses travaux d’histoire, desquels a jailli tout à coup, comme l’éclair du sein de la nue, l’idée de progrès : mais dans quel sens progresse l’humanité ; en vertu de quel principe et selon quelle loi ?
Depuis des siècles on fait la critique de la famille, du ménage morcelé, du mariage, des diverses formes du gouvernement : quelle loi d’organisation sociale est sortie de tout cela ?
L’économie politique, après cent ans d’existence, a déjà produit plus de livres et entassé plus de matériaux que feu la théologie : je ne nie pas que l’économie politique ne touche à la solution du problème ; mais enfin l’a-t-elle résolu ?
Quelques-uns, plus philosophes que savants, nomment les passions : mais les passions, d’après la liste qu’on en apporte, sont tantôt des principes d’action, tantôt des facultés, tantôt des besoins, tantôt des mouvements ou des essors : toutes choses qui, comme nous le verrons plus bas, ne forment point série, par conséquent ne peuvent être soumises à une loi commune. Or nous cherchons précisément le balancier régulateur des passions, d’autant mieux que, d’après les mêmes philosophes, les passions peuvent prendre un essor subversif ; donc les passions ne sont pas le fait générateur de la série sociale, et ce n’est pas sous ce point de vue qu’il faut chercher la constitution de la science.
J’ai nommé le mariage : les anathèmes ne lui ont pas manqué, non plus que les panégyriques. Or, la monogamie est-elle d’institution naturelle ? faut-il lui substituer une liberté illimitée ? quel est le droit des époux ? quelles sont les limites du divorce ?… Je défie qu’on me montre, dans aucun des ouvrages publiés sur la matière, rien de complet, de suivi, de vraiment concluant, quelque chose qui satisfasse pleinement une raison sans préjugés. D’où vient cela ? De ce que la question n’a pas encore été abordée sous son vrai point de vue, et développée selon les règles d’une dialectique sériée.
252. Si la détermination du point de vue est nécessaire à la constitution de la science, elle n’est pas moins utile à la démonstration des théorèmes.
Je suppose que l’on ait à démontrer le principe d’égalité devant la loi ; dans cette thèse, dont chacun admet aujourd’hui l’évidence sans discussion, et dont la contradictoire ne se conçoit plus, il était facile autrefois d’égarer l’esprit en lui présentant des points de vue factices, étrangers à la question, ou même faux.
L’homme religieux, le théologien, eût rappelé d’abord, d’après la Bible, notre commune descendance d’Adam, et, sans s’inquiéter des diversités de races, eût conclu à la fraternité originelle ; puis il eût dit que nos âmes étaient d’un prix égal aux yeux de Jésus-Christ qui les avait rachetées de son sang : le tout assaisonné de maximes sur la charité, l’amour du prochain, l’humilité, etc.
Le philosophe serait remonté à l’état de nature, dans lequel, selon lui, tous les hommes étaient égaux, et dont l’ambition et la conquête les ont fait sortir ; il aurait parlé du droit qu’a tout être de suivre ses tendances, de satisfaire ses besoins, d’arriver au bonheur, comme si la question n’était pas précisément que ces droits, ces tendances, ces besoins, ne sont pas les mêmes pour tous ! il se serait élevé contre l’autorité des faits, comme si les faits se fussent accomplis par la volonté de l’homme ; enfin il aurait conclu à une sorte de dégradation des privilégiés, comme si une condition créée par la force des choses était un crime.
L’éloquence du théologien eût fanatisé les masses ; les sophismes du philosophe eussent fait surgir des armées de révolutionnaires.
D’après la méthode de sériation des idées, le problème se ramène à des proportions plus modestes : la solution est moins bruyante, mais plus sûre. De quoi s’agit-il, en effet ? De prouver successivement que ni la naissance, ni la figure, ni les facultés, ni la fortune, ni le rang, ni la profession, ni le talent, ni la vertu, ni rien de ce qui distingue les individus n’établit entre eux une différence d’espèce ; qu’étant tous hommes, et la loi ne réglant que des rapports humains, elle est la même pour tous ; en sorte que, pour établir des exceptions, il faudrait prouver que les individus exceptés sont au-dessus ou au-dessous de l’humanité.
On voit que ce raisonnement consiste à ramener toutes les catégories de citoyens, nobles et roturiers, prêtres et laïques, soldats et industriels, etc., à un genre supérieur qui est la qualité d’homme ; à prouver que cette qualité est invariable, quelles que soient les spécialités sociales qu’elle renferme ; qu’elle est commune à tous et égale dans tous ; puis, tout en réservant les différences d’application quant aux produits, à conclure l’identité de loi quant aux personnes.
253. I) Aperception de la série. Soit que l’on opère sur des réalités substantielles, soit que l’on cherche le système d’idées abstraites et subjectives, l’ordre ne s’aperçoit pas de plein-saut : il faut une attention soutenue, et quelquefois un travail opiniâtre, pour découvrir la série des idées et des choses. Mais une fois trouvée, la série est visible aux plus faibles intelligences : ce qu’elle exige d’attention pour être comprise est souvent en raison inverse de ce qu’elle a coûté d’efforts pour être perçue.
Le charbonnier connaît toutes les essences de bois au milieu desquelles il passe sa vie ; mais connaît-il le rapport qui les unit ? a-t-il classé dans son esprit ces arbres par familles ? sa science n’est-elle pas plutôt affaire de mémoire que de comparaison ? Non, le charbonnier n’a pas saisi le genre dans l’espèce, il n’a pas vu la série ; il ne sait rien.
La même chose arrive dans la sphère des idées politiques, morales, littéraires : des hommes d’un vaste savoir, d’un rare mérite, d’un esprit brillant, ont la tête pleine de toutes les idées qui courent le monde, ou qui traînent dans les livres ; ils savent, au besoin, les rappeler avec précision, les exposer avec éloquence ; souvent même il leur arrive d’en former des espèces de groupes : car on sait que les esprits généralisateurs sont les seuls profonds, les seuls souverains, et tout le monde tient à prouver qu’il appartient à cette catégorie. Mais ces beaux génies, procédant sans méthode, marchant à travers leurs idées comme un aveugle dans une forêt, généralisent sans point de vue, forment des séries sans rapport, se contredisent à chaque pas, s’embrouillent et se perdent dans le dédale que la pétulance de leur imagination a créé autour d’eux. Aussi dit-on qu’ils ont beaucoup de talent, mais point de principes : et ceux qui portent ce jugement ne sont souvent eux-mêmes que des incapacités sans esprit, obstinées dans leurs préjugés, qu’elles nomment principes.
254. Lorsqu’après une longue agitation des idées, une recherche prolongée et d’innombrables tentatives, la série se laisse enfin apercevoir, cette aperception est toujours subite, instantanée et complète. La série ne se manifeste point successivement, ni par parties : elle se dégage, tout à coup, pure, nette, et, comme le soleil perçant la nue, inonde l’âme de son éclat. Souvent cette manifestation a lieu au moment où elle est le moins attendue : c’est ce qui a fait si souvent attribuer au hasard, par leurs propres auteurs, tant de magnifiques inspirations et d’heureuses découvertes. Mais la vérité, pareille à la série, ne se dévoile qu’à ceux qui la poursuivent de toute la force de leurs désirs, de toute la puissance de leur pensée.
255. Découvrir une série, c’est apercevoir l’unité dans la multiplicité, la synthèse dans la division : ce n’est pas créer l’ordre en vertu d’une prédisposition ou préformation de l’entendement, c’est se mettre en sa présence, et, par l’éveil de l’intelligence, en recevoir l’image.
On comprend d’après cela que la théorie sérielle, toute-puissante pour la démonstration de la vérité, n’est point une méthode d’invention et de découverte. Elle n’enseigne pas à trouver la série, pas plus qu’à en déterminer le point de vue. La théorie sérielle, comme toutes les méthodes particulières, est essentiellement apodictique ou démonstrative ; elle n’est pas plus l’art de créer artificiellement la vérité que l’Économie politique n’est l’art de produire sans travail. Mais le point de vue de la série une fois aperçu, le rapport des unités sérielles une fois déterminé, la théorie, armée du fil conducteur, pénètre hardiment dans le labyrinthe, s’avance d’une marche assurée de série en série, et fait briller à tous les yeux cette pure lumière du vrai, qui seule légitime la croyance.
C’est ainsi qu’ont procédé les Kepler, les Newton, les Lavoisier, les Bichat ; une passion de savoir qui ne connaissait point d’obstacles, une volonté indomptée, une patience à toute épreuve, un, travail infatigable, et, par-dessus tout, un instinct profond de l’ordre, tel a été le secret de leur génie. Mais une fois en possession de la vérité, la série a brillé dans leurs mains de tout son éclat, et, pour soumettre les esprits, ils n’ont besoin que de la produire.
256. La série étant un assemblage d’unités réunies par un lien commun, que nous avons appelé raison ou rapport, il suffit, pour que la série soit détruite ou du moins altérée, de rendre instable la raison. Dans la réalité des choses, la parfaite stabilité de la raison ne se rencontre jamais : le plan le plus uni, vu au microscope, présente des creux et des bosses ; la ligne la plus droite est toujours un peu fléchie ; nul animal n’est conforme à son type, nul son parfaitement juste ; nulle série, enfin, n’est exempte de perturbations. La perfection sérielle est un idéal que ni l’homme ni la nature ne peuvent atteindre, mais que la théorie suppose, qu’elle doit supposer, comme la géométrie suppose la pureté de ses figures et l’inflexibilité de ses droites ; comme la mécanique suppose la perfection de ses machines, tout en tenant compte des frottements et des résistances.
En deux mots, le raisonnement emploie la série telle que l’entendement la conçoit, non telle que nous l’offrent les exemplaires tirés par la nature, ou telle que notre propre industrie l’exécute : il n’en peut être autrement. Suivre une marche différente, serait donner à l’absolu l’inconstance pour forme, et prendre le particulier pour règle du général.
241. G) Logical series. The logical series is a kind of convention, created by the mind prior to science, which serves to express in an abbreviated manner, sometimes the natures and qualities of things, sometimes the points of view of the mind.
We know that light, decomposed by the prism, is a natural group formed of seven main units, red, orange, yellow, green, blue, indigo, violet. Now, before experience had discovered this composition of the luminous fluid, our instinct had, so to speak, anticipated it, by bringing together the constituent elements of light under a common expression, color. The word color is equivalent in language to this enumeration: either red, or blue, or green, etc., or all of these together. Invented for the sake of discourse and representing nothing real, it indicates an artificial series, a kind of counterpart to the natural series that we have discovered in the light.
Likewise, before having found the scale of tones, the mind had grouped them under the generic name of sound; before having classified organized beings, it designated them, these under the name of animals, those under that of plants. I say the same of the words odor, flavor, and others, the citation of which would fill a dictionary.
Such is the origin of abstract nouns (§ 7). Faithful disciple of nature and anticipating physical analysis, man serialized the images that nature sent him, long before he had learned to serialize it himself.
242. Abstract names are not exclusively signs of logical series: they also serve to designate natural collections, qualities, properties, modifications, principles, causes, and finally individuals. Philology even teaches us that every abstract name originally had only a particular and concrete meaning, and that it was by extension or accommodation that it became a sign of abstraction and of series. Example :
Jesus Christ saved humanity by his sufferings; humanity, that is to say the human species, collective expression: Natural series.
In Jesus Christ humanity alone suffered; humanity, that is to say the nature common to all men, abstract word: Logical series.
Virtue is synonymous with strength; we use it in this sense, when we say, for example: Remedy without virtue. So it represents a particular idea. But moralists have taken the name of virtue to designate any effort that man makes on himself, in resisting the ardor of his inclinations: virtue, in this sense, indicates a logical series.
243. The process by which the sign representative of a simple idea becomes a sign of a logical series is called generalization.
The ancients classified the virtues into four families: Prudence, Temperance, Strength, Justice. These are so many logical, generalized series of simple qualities that each of our actions must have (Cave, Abstine, Sustine, Retribue; beware, abstain, suffer, give back), and taken for natural series. [29]
244. I invoked earlier the evidence of philology: it will not be useless to show here, by an example, how abstract nouns are formed.
In Hebrew, there are, strictly speaking, no abstract nouns; the words of this language which correspond to it are all either plural nouns or feminine adjectives. Thus, life is translated into Hebrew by a word which literally means the living, those who breathe, chaïim; old age and virginity through zakenim and betoulim, the old and the virgins; divinity or God, by élohim, the strong or the forces; justice, by tsedeqah,the righteous, etc. On the one hand, it is the collection taken to designate the quality common to all the parts of the group; on the other, it is the personification of this quality. This last procedure seems to have been followed exclusively by the Indo-Germanic languages, in which the abstract nouns are generally formed of two radicals, one, which expresses the particular idea hidden under the abstraction; the other, which serves, so to speak, to realize this idea: virgin-itas, just-itia, benevol-entia, vir-tus, senec-tus, fort-itudo, mansue-tudo , etc.
Now, what are we looking for in a serial dialectic? The art of composing and decomposing our ideas. The formation of abstract words is the first step that the genius of man has accomplished on this road: thus the serial theory is as old as the world, and we have only to follow the example given to us by our instinct.
245. The logical series is an artificial genre, produced by the mind independently of objective reality, and prior to experience: moreover, this series constitutes a good part of human language.
It seems, from this, that an inextricable confusion must result, and that pure science, the intelligence of true series is impossible in the mind, constantly obsessed with imaginary series without reality. This fear even seems all the better founded since most of the aberrations and philosophical chimeras have come from the fact that we have attributed to logical series a reality that they did not have, and that we have endeavored to explain nature and man by abstractions. This was the origin of realism. The mind, by virtue of its own activity, having produced in language, alongside the series given by nature, a whole world of so to speak extra-natural series, made in the image of the first and correlative to them, the imagination was at first stupefied, and reason, fallen into this labyrinth, constructed there those light canvases of which Bacon speaks, and which still today constitute all the wealth of philosophy.
246. We will see presently that reason, once enlightened on the nature of the materials it uses, has nothing more to fear from the mixture in discourse of logical series and natural series; that the reasoning is as sure, as conclusive by the one as by the other; that in practice it is necessary, without taking into account their objective or subjective nature, to pass from one to the other as if they were all real and representative of things. Let us add that without the logical series discourse would be impossible.
Indeed, the logical series is an abbreviated enumeration, a sort of algebraic reduction enclosing under a common and conventional sign a multitude of things that the mind considers from the same point of view, without otherwise claiming to assign them a link. When I say: Color is a property of bodies, is it not as if I were saying: one of the properties of bodies is to be either blue, or white, or red, etc., exhausting in this enumeration all the varieties and shades of the luminous ray? And because the word color designates nothing real, do the innumerable units that this sign summarizes exist less, are they less endowed with common properties?
I repeat: the logical series is a summary of the mind, a way of summing or totalizing things independently of their natural series, even when they belong to completely different series. If therefore an assertion is true of certain things (similar or contrary, it does not matter) taken separately, how would it no longer be so after their sum or totalization? But let’s not prejudge the theory.
247. Another illusion produced by the logical series is to have made people imagine that any particular or collective idea being represented by a sign, and the mind having the faculty of reducing under the same sign an indefinite number of ideas, either particular or collective, words could be taken as instruments of demonstration, much as figures and letters are employed in arithmetic and algebra. This opinion seems to have reigned in the old Stoic school, whose founder, Zeno, distinguished himself by I know not what theory of signs, worthy, no doubt, of serving as a pendant to the logic of Aristotle.
I myself, for some time, was duped by this error: so true it is that a man left to himself, who would have enough intellectual energy to reconstruct all the sciences on his own, would still go through the long chain of disappointments and miscalculations, which has so long exercised our species
I said to myself:
The musician uses dots, variously shaped and spread out over five lines, to represent tunes;
The algebraist uses numbers or letters to compose and break down, compare and balance quantities;
The geometer employs analogous figures to calculate magnitudes, ratios, and powers;
Couldn’t I in the same way, with the help of words, phonic signs of simple, collective and general ideas, create an ideological calculation, which would ensure the progress of thought?
I was on the way to the serial dialectic; but I did not touch it yet. The flaw in my reasoning, based entirely on analogies, consisted first of all in the fact that the words or articulated signs are not things of pure convention, but determined either by usage or by etymology: whereas the note of the musician, the figure or the letter of the algebraist, the lines of the geometrician, have of value only that which one agrees to give them;
2. In that the meaning of words is exclusive and immutable, while the value of musical, arithmetic and other signs changes according to key, position, etc. ;
3. Finally, in that words, already grammatically classified according to gender, number, tense, mood, relation, etc.; or logically according to substance, cause, attribute, phenomenon, properties, etc., could well serve to verify the categories of Aristotle and Kant, but not be employed as a universal organ.
Doubtless it is through speech that the operations of the understanding are produced: but speech is not reason, nor the organ of reason; it is its garment. All the artifices of which speech is susceptible are proper to the grammarian, the rhetorician and the poet: the metaphysician uses it, as he uses books and paper; but he does not operate with it. Product of nature and object of art, language is subject to the investigations of reason: how could it be the light of reason? Specific in the series, how would it have taken the place of the serial law, which was to be general? [30]
248. H) Point of view of the series. We have studied the series in its element, its reason, its forms; we have pointed out the principal pitfalls to be avoided in classifications and methods: first, by distinguishing the artificial series from the natural series, and keeping ourselves on guard against the danger of transpositions; second, by reducing to their true value the inductions drawn from the external and fortuitous resemblance of the series; third, by fixing the purely abbreviating role of the logical series, without which discourse and even science would be impossible. These three sources of error, born of the same vice of the intellect, the confusion of series, embrace all the varieties of sophisms, paralogisms, illusions and hallucinations into which the mind can fall while reasoning.
But all this presupposes the series already formed or at least perceived: now, it is a question of determining on what condition the series allows itself to be perceived, in other words, what is, for the mind, the condition of existence of series.
249. In any question, the first thing to do is to determine the point of view which one proposes to study in the object. For example, man has always sought melody, harmony, cadence, rhythm: now, there are hoarse, soft, dazzling and muffled sounds; there are plaintive ones, gay ones, flutelike ones, etc. Was this way of considering sounds, this point of view that they offer to the observer enough to constitute music? No: it was necessary to discover another point of view without which art could not exist; this point of view was the scale of sounds.
The botanist deals above all with the classification of plants: now, as we have pointed out, plants present themselves to the observer from a multitude of points of view, all as natural as each other, but among which there is one which, by itself, will constitute science. This point of view is neither the size, nor the climate, nor the usefulness, nor the stem, nor the leaf, nor the flower, nor the fruit. Each of these points of view can serve in turn as a classification principle: but experience has shown that a classification thus made, quite natural as it was, led to shocking disparities and monstrous comparisons. Science needed something less specific, something that embraced the universality of the parts: it was only after much time, observation and experiment that we managed to grasp the point. of generative view of the botanical series, consisting in the degree of importance of each of the parts, in short, in the scale of the characters.
These examples suffice to make it understood that the determination of the point of view, however subjective it may appear, must always derive from the nature of things and be in no way arbitrary; that the apperception of the series is entirely in this determination; and that, the point of view discovered, science itself is given.
250. But if, in any problem (and a science is nothing but a problem), it is above all important, in order to obtain a solution, to determine the matter of the series, or, as we say, the point of view, this determination is often extremely difficult. We know by how many fruitless attempts botany has arrived at its definitive constitution, and by what wild hypotheses Lavoisier’s simple theory was preceded; we know that for the Greeks and Romans, deprived of a regular system of written numeration, arithmetic did not leave the circle of a narrow practice, outside of which it fell into a kind of magic. But what about the moral and political sciences, the object of the meditations of all peoples, which have already absorbed five or six thousand years of work?
251. Here are functions to distribute, products to distribute, citizens to govern, a society to lead. It is certain that here, as in all science, it is a question of a series to be calculated, of a problem of classification to be solved: but what should be the special subject of this series? What is the organic point of view? How are we to find out? Where are we to start?… — The subject of the political series, someone will say, is man: to govern society, you have to know man. — It is perfectly reasoned, but it is absolutely useless: man is the subject of nosology, therapy, psychology, gymnastics, and so on; according to the hypothesis he is still the subject of social science: but what is, in man, the special side that must be considered in order to create the new science? For if we added that in order to organize society it is necessary to know man in all possible relations, instead of advancing the solution of the problem, we would only be throwing ourselves back into the vagueness of philosophical universality, all the more so since we conceive very well that a science can suppose or even imply others, without ceasing to be special, without losing its individuality and character.
What, then, is the human, religious, moral, physiological or industrial fact that gives rise to the political series?
We have accumulated immense works of history, from which suddenly sprang, like lightning from the bosom of the cloud, the idea of progress: but in what direction is humanity progressing; under what principle and according to what law?
For centuries there has been criticism of the family, of the fragmented household, of marriage, of the various forms of government: what law of social organization has come out of all this?
Political economy, after a hundred years of existence, has already produced more books and amassed more material than theology burned: I do not deny that political economy touches on the solution of the problem; but has she finally solved it?
Some, more philosophers than scholars, name the passions: but the passions, according to the list that one brings, are sometimes principles of action, sometimes faculties, sometimes needs, sometimes movements or impulses: all things that, as we shall see below, do not form a series, and consequently cannot be subjected to a common law. Now we are precisely looking for the regulating pendulum of the passions, all the more so since, according to the same philosophers, the passions can take a subversive flight; therefore the passions are not the generative fact of the social series, and it is not under this point of view that we must seek the constitution of science.
I have named marriage: it has not lacked anathemas any more than panegyrics. Now, is monogamy a natural institution? Should it be replaced by unlimited freedom? What is the right of the spouses? What are the limits of divorce?… I defy anyone to show me, in any of the published works on the subject, anything complete, consistent, really conclusive, anything that fully satisfies an unprejudiced reason. Why is this the case? Because the question has not yet been approached from its true point of view, and developed according to the rules of a serial dialectic.
252. If the determination of the point of view is necessary for the constitution of science, it is no less useful for the demonstration of theorems.
I suppose that we have to demonstrate the principle of equality before the law; in this thesis, the evidence of which everyone today admits without discussion, and whose contradiction is no longer conceivable, it was once easy to mislead the mind by presenting to it artificial points of view, foreign to the question, or even wrong.
The religious man, the theologian, would have recalled first, according to the Bible, our common descent from Adam and, without worrying about the diversity of races, would have concluded with the original fraternity; then he would have said that our souls were of equal value in the eyes of Jesus Christ who had redeemed them with his blood: the whole seasoned with maxims on charity, love of neighbor, humility, etc.
The philosopher would have returned to the state of nature, in which, according to him, all men were equal, and from which ambition and conquest brought them out; he would have spoken of the right that every being has to follow its tendencies, to satisfy its needs, to achieve happiness, as if the question were not precisely that these rights, these tendencies, these needs, are not the same for everyone! He would have risen up against the authority of facts, as if the facts had been accomplished by the will of man; finally, he would have concluded that there was a kind of degradation of the privileged, as if a condition created by the force of circumstances were a crime.
The theologian’s eloquence would have fanaticized the masses; the sophisms of the philosopher would have caused armies of revolutionaries to arise.
According to the method of seriation of ideas, the problem is reduced to more modest proportions: the solution is less noisy, but surer. What is it, in fact? To prove successively that neither birth, nor figure, nor faculties, nor fortune, nor rank, nor profession, nor talent, nor virtue, nor anything that distinguishes individuals establishes between them a species difference ; that all being men, and the law regulating only human relations, it is the same for all; so that, in order to establish exceptions, it would be necessary to prove that the individuals excepted are above or below humanity.
We see that this reasoning consists in reducing all categories of citizens, nobles and commoners, priests and laymen, soldiers and industrialists, etc., to a superior kind that is the quality of man; to prove that this quality is invariable, whatever the social specialties it contains; that it is common to all and equal in all; then, while reserving the differences of application as to products, to conclude the identity of the law as to persons.
253. I) Apperception of the series. Either we operate on substantial realities, or we seek the system of abstract and subjective ideas, the order is not immediately apparent: it takes sustained attention, and sometimes obstinate work, to discover the series of ideas and things. But once found, the series is visible to the weakest intelligences: what it requires attention to be understood is often in inverse proportion to what it cost in effort to be perceived.
The charcoal burner knows all the species of wood among which he spends his life; but does he know the relationship that unites them? Has he classified these trees in his mind by families? Is not his science more a matter of memory than of comparison? No, the charcoal burner did not grasp the genus in the species, he did not see the series; he knows nothing.
The same thing happens in the sphere of political, moral, literary ideas: men of vast knowledge, of rare merit, of brilliant minds, have their heads full of all the ideas that circulate in the world, or that drag along in books; they know how, if necessary, to recall them with precision, to explain them eloquently; often it even happens that they form sorts of groups of them: for we know that generalizing minds are the only profound ones, the only sovereign ones, and everyone wants to prove that they belong to this category. But these fine geniuses, proceeding without method, walking through their ideas like a blind man in a forest, generalize without point of view, form unrelated series, contradict each other at every step, get confused and get lost in the maze that the petulance of their imagination has created around them.
254. When, after a long agitation of ideas, a prolonged search and innumerable attempts, the series finally allows itself to be perceived, this apperception is always sudden, instantaneous and complete. The series does not manifest itself successively, nor in parts: it emerges suddenly, pure, clear, and, like the sun piercing the cloud, floods the soul with its brilliance. Often this manifestation takes place at the moment when it is least expected: this is what has caused so often to attribute to chance, by their own authors, so many magnificent inspirations and happy discoveries. But the truth, like the series, only reveals itself to those who pursue it with all the strength of their desires, with all the power of their thoughts.
255. To discover a series is to perceive unity in multiplicity, synthesis in division: it is not to create order by virtue of a predisposition or preformation of the understanding, it is to put oneself in its presence, and, by the awakening of the intelligence, to receive its image.
We understand from this that serial theory, all-powerful for the demonstration of truth, is not a method of invention and discovery. It does not teach how to find the series, any more than how to determine its point of view. Serial theory, like all particular methods, is essentially apodictic or demonstrative; it is no more the art of artificially creating truth than political economy is the art of producing without labor. But the point of view of the series once perceived, the relation of the serial units once determined, the theory, armed with the guiding thread, boldly penetrates the labyrinth, advances with a sure march from series to series, and to shine before all eyes that pure light of truth, which alone legitimizes belief.
This is how the Keplers, the Newtons, the Lavoisiers, the Bichats proceeded; a passion for knowledge that knew no obstacles, an indomitable will, an unfailing patience, an indefatigable work, and, above all, a profound instinct for order, such was the secret of their genius. But once in possession of the truth, the series shone in their hands with all its brilliance, and, to subject the minds, they need only produce it.
256. The series being an assemblage of units united by a common bond, which we have called reason or relation, it suffices, for the series to be destroyed or at least altered, to render reason unstable. In the reality of things, the perfect stability of reason is never found: the smoothest plane, seen under the microscope, presents hollows and bumps; the straightest line is always slightly bent; no animal conforms to its type, no sound perfectly correct; no series, finally, is exempt from disturbances. Serial perfection is an ideal that neither man nor nature can attain, but that theory presupposes, that it must presuppose, as geometry presupposes the purity of its figures and the inflexibility of its straight lines; as mechanics supposes the perfection of its machines,
In short, reasoning employs the series such as the understanding conceives it, not such as the specimens drawn by nature offer it to us, or such as our own industry executes it: it cannot be otherwise. Following a different course would be to give inconstancy to the absolute as its form, and take the particular as the rule of the general.
257. Ramener à un point de vue unique des idées tout à fait disparates quant à la matière, la cause, le principe ou la forme ; en former une série simple, à termes égaux ou identiques : voilà en quoi consiste l’œuvre du raisonnement.
Nous appellerons la série ainsi créée, par la réflexion, de la comparaison de termes sous tout autre rapport inassociables, série dialectique ; et la théorie spéciale qui enseigne à s’en servir, dialectique sérielle.
258. Dans la série dialectique, le point de vue et la raison ne diffèrent pas : avantage qui rend le mécanisme et la construction de cette série extrêmement simples. De toutes les séries que présente l’étude des sciences, la série algébrique (l’équation) est la seule qui approche de celle-ci pour l’universalité d’application et la simplicité de forme : en sorte que la série dialectique étant, pour le degré d’abstraction, supérieure aux mathématiques, on peut dire qu’elle forme avec elles le quatrième terme de cette progression :
259. Dans les livres de philosophie, de politique, d’économie, de métaphysique, de morale, de jurisprudence et d’histoire ; dans les tribunaux, les comptoirs, les marchés, les écoles, les débats des chambres et les conversations des salons, la série dialectique est d’un perpétuel usage ; c’est elle qui domine de son influence intime et secrète les démonstrations des savants ; qui conduit, à leur insu, l’homme de cabinet dans ses méditations, et le vulgaire dans ses préjugés ; elle enfin, qui forme ou brise les convictions. La série dialectique est la reine de la pensée, le type unique et générateur de toute idée, la condition absolue du vrai, le critérium de l’évidence. Tous les travaux des penseurs ont eu pour objet de la découvrir ; tout ce qu’ils ont dit de vrai leur est venu d’elle, toutes leurs erreurs tiennent à ce qu’ils l’ont méconnue. Aujourdhui encore, où tant de gens argumentent, où tout le monde juge, où personne ne s’entend, c’est la loi sérielle qui, au milieu de tant d’opinions contradictoires, formule ces arrêts de bon sens public qui seuls soutiennent la société, rallient les esprits, et empêchent que deux hommes qui se rencontrent sans s’être jamais vus, ne s’égorgent.
Mais que nous apprenions une fois à définir, grouper et classer nos idées, et nous serons surpris de voir que toute vérité nous est commune, et que nous ne différons que pour des fantômes.
260. I. Opération sérielle. La régie d’opération sérielle, ou la loi de formation de toute série, est unique :
- Ne jamais s’écarter, dans l’association des termes, du point de vue et de la raison.
Cette règle résulte de tout ce que nous avons précédemment exposé sur les propriétés de la série, sur son unité primordiale, sa raison, ses formes, son point de vue. Je ne rentrerai pas dans de nouveaux détails, et je passe immédiatement à l’application de la loi sérielle à la dialectique.
261. Lorsque Fourier a dit :
« Dans les lieux où le peuple civilisé ne meurt pas de faim pressante, il meurt de faim lente par les privations ; de faim spéculative qui l’oblige à se nourrir de choses malsaines ; de faim imminente en s’excédant de travail, en se livrant par besoin à des fonctions pernicieuses, à des fatigues outrées, d’où naissent les fièvres, les infirmités. »
Fourier a fait un raisonnement sérié que l’on pourrait allonger encore, mais qui, tel qu’on vient de le lire, est d’une saisissante justesse. Quelle est la maladie qui, en général, tue le peuple ? telle est la question que se pose Fourier. Et parcourant rapidement les diverses causes de maladie auxquelles le peuple succombe, il répond : « La Faim. Il est absurde de le dire seulement lorsqu’elle tue sur le coup ; pour être plus ou moins immédiate, la cause n’en est pas moins réelle. Peu importe la durée du supplice, le consentement de la victime, la terreur causée par l’horrible spectre : dans tous les cas je ne vois qu’une cause, la faim. » Telle est la pensée de Fourier. Si cet homme avait toujours raisonné de même, et qu’il eût donné la théorie de son procédé, la métaphysique serait faite, la science sociale fort avancée, et je n’eusse jamais songé à prendre la plume.
Je me figure une académie mettant au concours la question résolue par Fourier en quatre lignes, et de tous côtés arrivant des mémoires, beaux de philanthropie, admirables de style, pleins de statistiques et de calculs ; longues enfilades de syllogismes et d’inductions, avec pièces justificatives et notes : que serait tout cela, je le demande, à côté de l’épouvantable catégorie de Fourier ? Le dénombrement de cette hideuse famille, dont la mère est la Faim, et l’inévitable rejeton la Mort, n’en dit-il pas cent fois plus que tous les discours ?
Reprenons le raisonnement de Fourier, et rendons-en, par un signe typographique, la vérité saisissable aux yeux :
La Faim tue le peuple | { | 1o sur-le-champ, faim pressante, 2o à la longue, faim lente ; 3o par empoisonnement, faim spéculative ; 4o par la peur, faim imminente. |
C’est toujours la faim. La faim est ici considérée comme un genre, qui, sous quatre espèces principales, donne la mort au peuple. Dans cette série, le point de vue et la raison se confondent : ce sont les effets, prochains ou éloignés, de la faim.
On voit, par cet exemple, que la série consiste à ramener à une vérité reconnue, prise, non comme principe, mais comme type ou premier terme, une ou plusieurs propositions douteuses, non pas à titre de conséquences, mais à titre d’espèces ou variétés.
Le signe indicateur de la série est l’accolade.
263. Autre exemple :
« Si l’on eût dit à ces bourgeois du moyen âge qui conquéraient avec passion leur liberté, qu’il y avait des hommes qui réclamaient le droit de la raison humaine, le droit d’examen ; des hommes que l’Église traitait d’hérétiques, ils les auraient lapidés ou brûlés à l’instant. D’un autre côté, ces mêmes écrivains, qui réclamaient le droit de la raison humaine, parlaient des efforts d’affranchissement des communes comme d’un crime abominable, du renversement de la société. Entre le mouvement philosophique et le mouvement communal, entre l’affranchissement politique et l’affranchissement rationnel, la guerre semblait déclarée. Il a fallu des siècles pour réconcilier ces deux grandes puissances, et leur faire comprendre la communauté de leurs intérêts. » (Guizot, De la Civilisation, leçon du 23 mai 1828.)
Il est impossible d’exprimer en moins de mots de plus grandes choses. Des hommes qu’une pensée commune inspire, la liberté, se jetant mutuellement l’anathème ; l’identité de l’idée voilée par la différence des objets auxquels elle s’applique, et des siècles employés pour sérier deux espèces ; quelle leçon !
Liberté des personnes, Liberté du travail, Liberté de conscience, Liberté d’examen, Liberté du vote. |
} | Liberté ! |
série immortelle, faut-il sans cesse la rappeler au monde ?
La liberté des personnes a déterminé la chute du régime féodal ; la liberté du travail a conduit à l’abolition des maîtrises ; la liberté de conscience a préparé la ruine du catholicisme ; la liberté d’examen a éclairé les antres de la politique, et percé à jour le manteau du despotisme : quand la liberté des votes entraînerait la réforme du gouvernement constitutionnel, serait-ce à M. Guizot d’entraver cette liberté ?
264. Remarquons, avant d’aller plus loin, que les termes qui composent la série dialectique sont presque toujours, en eux-mêmes, des séries logiques, c’est-à-dire des signes représentatifs de faits multiples ou de principes inconnus, et que l’expression qui les résume est encore une série logique. Qu’est-ce, par exemple, que l’empoisonnement ? en combien de manières peut-il avoir lieu ? comment des aliments malsains, mal préparés, insuffisants, agissent-ils sur les viscères de manière à déterminer insensiblement une altération mortelle ? quelles sont les qualités d’une bonne nourriture ?… Et qu’est-ce que la liberté ? Toutes questions que la série logique ne préjuge pas, et dont elle se borne à exprimer le sujet inconnu, mais manifeste par des phénomènes appréciables.
Or, de même que l’introduction du mot couleur dans un livre d’optique ne peut être la source d’aucune erreur, bien qu’il n’exprime absolument rien de réel, qu’il n’explique pas la nature de la lumière, et ne soit que le signe abréviateur des apparences du rayon lumineux ; de même, les mots liberté des personnes, liberté de conscience, liberté du travail, représentant uniquement des séries de faits, et ne préjugeant rien sur leur principe commun, ne peuvent devenir une source d’erreur dans le raisonnement sérié.
265. Il n’en est pas de même avec la méthode syllogistique. Ici le philosophe, conduit par le principe de causalité, au lieu de constater les rapports d’identité ou de non-identité de faits sensibles, matériels, prétend en expliquer la cause première et déterminante, et finit par se perdre dans les nuages de l’ontologie. Par exemple, au lieu de démontrer par une analyse comparative que la liberté du travail est identique à la liberté des personnes ; la liberté de conscience identique aux deux premières ; la liberté d’examen et de suffrage identique à celles-là : en d’autres termes, au lieu de grouper les actes humains représentés par ces diverses formules en une seule et même catégorie, il s’adresse à l’âme humaine (principe inconnu) ; il interroge le moi (cause inconnue) ; il épie le premier mouvement de la volonté (faculté inconnue) ; et comme il fait la volonté antérieure à la raison (autre faculté inconnue), il appelle ce mouvement volontaire (qu’il n’a pas vu) Liberté. Alors il s’écrie que la liberté est spontanée, indépendante, qu’elle doit être respectée dans ses manifestations ; ce qui revient à cette proposition un peu niaise, que la liberté est libre. Voilà où en sont encore nos philosophes : et, sur ce point, je puis défier les démentis. Mais qu’arrive-t-il ? qu’on répond au philosophe que la liberté est nécessairement responsable, et que la responsabilité suppose une règle. Et comme cette règle est l’ouvrage de l’autorité, c’est-à-dire du gouvernement, c’est-à-dire du prêtre, c’est-à-dire du maître, la liberté, pour ceux qui ne sont ni préfets, ni électeurs, ni capitalistes, ni prêtres, se réduit rigoureusement à rien.
266. Un dernier exemple.
Au quatrième siècle de notre ère, quelques chrétiens prêteurs d’argent n’osant, par scrupule de conscience, recevoir l’intérêt de leurs sommes, s’étaient imaginés, avec plus ou moins de bonne foi, que ce qui n’était point monnaie ne donnait pas matière à usure. En conséquence, au lieu de placer leurs capitaux à tant d’as pour cent, ils les plaçaient à tant de livres de pain, tant de chlamydes, tant de vases pour cent. Saint Ambroise s’écrie à cette occasion : Et vestis usura est, et esca usura est. Voici, sous la forme de série, le raisonnement de ce Père :
Argent pour loyer d’argent[31], Habit pour loyer d’argent, Denrée pour loyer d’argent, Meuble pour loyer d’argent Toutes choses enfin pour loyer d’argent, |
} | Usure. |
On a peine à comprendre aujourd’hui comment une vérité si simple pouvait paraître obscure aux dévots de l’Église primitive. Or, nous sommes tout aussi peu raisonnables, comme on va le voir par la série suivante, qui n’est que la première retournée :
Argent pour loyer d’argent, Argent pour loyer de meuble, Argent pour loyer de maison, Argent pour loyer de pré, Argent pour loyer de champ, Argent pour loyer de quoi que ce soit, |
} | Usure. |
Voilà ce que, depuis saint Ambroise, qui avait fait, comme l’on voit, la moitié du chemin, l’Église catholique n’a pu comprendre. J’ai consacré six cents pages à démontrer cette série sous toutes ses faces ; mais, bien que je n’eusse pas conclu au partage des biens, j’ai converti peu de monde. Cela m’a fait voir que si la vérité réjouit les esprits sains, elle est insupportable aux malades.
267. Puisque j’ai touché cette question de la propriété, on me permettra d’examiner ici, au flambeau de la dialectique sérielle, un argument de M. Chevalier contre le système de l’égalité des salaires. On verra par cette critique qu’il n’est, hors de la série, point de certitude, point de salut.
D’après les calculs les plus authentiques, a dit M. Chevalier dans l’un de ses discours d’ouverture, si les revenus de la France entière étaient partagés également entre tous ses habitants, la somme de revenu par tête n’excéderait pas 63 centimes, environ, par jour. L’égalité de répartition, ajoutait le savant professeur, loin de guérir le paupérisme, aurait donc pour résultat unique d’appauvrir tout le monde.
Cet argument, dirigé contre les utopistes égalitaires, a produit une certaine sensation, comme toutes les choses effrayantes ; et les journalistes l’ont répété à l’envi : cependant, de quelque façon qu’on le tourne, il est impossible d’y voir autre chose qu’un oubli de la justice et des principes.
En droit, l’assertion de M. Chevalier ne prouve rien : car, si tout le monde est pauvre avec douze sous par jour, est-ce une raison pour m’en ôter six par charité, et les donner à mon voisin, qui profitera d’autant ? — Oui, dit-on, parce que sans cela tout le monde serait pauvre. — C’est possible : mais en concluant, d’après, cette donnée, au statu quo des fortunes, on abandonne le point de vue de la discussion, qui est précisément de savoir si l’égalité est de droit, pour se jeter dans un autre ordre d’idées, dans la statistique.
En fait, le calcul rapporté par M. Chevalier ne prouve rien encore, parce que l’hypothèse sur laquelle il est établi est en dehors de la pratique. En effet, ce n’est pas par têtes que les revenus de la France se consomment, c’est par familles. Or, supposez chaque famille composée en moyenne de quatre personnes : à 63 cent, par jour pour chaque individu, cela fait pour la famille 2 fr. 52 c. Mais, pour nombre de ménages, surtout à la campagne, 2 fr. 52 c. par jour sont déjà de l’aisance ; tandis que si la consommation avait lieu par tête, en supposant même quadruple produit, 2 fr. 52 c. seraient peu de chose. En quoi donc consiste le vice du raisonnement de M. Chevalier ? En ce que fractionnant la nation par individualités, il anéantit la force sérielle qui résulte du groupement par familles, et qui est le plus puissant antidote à la misère.
268. Remarques. — 1. Dans la série dialectique, les unités, très-diverses quant à la matière ou à l’objet qu’elles représentent, sont en rapport d’identité quant à leur point de vue ; ce qui fait de cette série, tout abstraite qu’elle soit, la plus simple de toutes, et du calcul de ses unités, la plus facile des combinaisons sérielles.
2. Le nombre des unités de cette série est presque toujours illimité : mais cette circonstance n’ôte rien à la certitude du raisonnement. En effet, ou les termes inconnus de la série ont leur raison identique à celle des termes connus, et alors les uns et les autres ne font ensemble qu’une même série ; ou bien les termes inconnus diffèrent des autres dans leur raison, et alors ils forment une série nouvelle, ce qui ne change rien à la première. Ainsi la preuve obtenue par une série dialectique est absolue dans sa spécialité ; tous les cas imaginables ne sauraient ni l’infirmer ni créer d’exception.
3. L’ordre dans lequel les unités dialectiques se succèdent est indifférent à la série : en effet, puisque ces unités sont identiques, leur transposition ne saurait altérer la forme du groupe, ce qui n’aurait plus lieu, si elles étaient en raison équivalente, puissancielle ou progressive (225, 269 et suiv.).
On voit, d’après cela, qu’on ne saurait, sans contradiction, supposer entre les termes d’une série dialectique aucun lien d’antériorité ou de postériorité, aucune relation de plus à moins, de cause à effet, etc. ; on voit, en un mot, pourquoi le syllogisme est absurde.
4. La série dialectique rassemble les objets les plus disparates : ainsi, la matière de la propriété embrassant les trois règnes de la nature, les produits de l’art, de la science et de l’industrie, les raisonnements que l’on peut faire sur le droit de propriété s’appliquent également à toutes ces choses. Or, c’est la différence de matière et de forme dans les objets qui, tous les jours, nous fait regarder comme des analogies indignes de confiance des séries d’une rigoureuse justesse, et rejeter les propositions les mieux démontrées. L’esprit s’habitue avec peine à concevoir comme adéquates sous un point de vue, des choses entre lesquelles l’imagination et les sens découvrent une prodigieuse distance, et cette grossière illusion de la matière et de la forme entretient le désordre dans la politique et l’administration, la contradiction dans les lois, pervertit les jugements, et rend l’opinion stationnaire sur le courant de la vérité. L’égalité devant la loi a coûté des torrents de sang ; l’équivalence des fonctions, qui doit tôt ou tard engendrer l’égalité des salaires, fait sourire de pitié le monde politique ; et l’idée que la même peine doit atteindre le coupable couronné comme le criminel échappé du bagne semble à tous monstrueuse. Mais le moment approche où la raison publique saisira la vérité de ces théorèmes, démontrables par des équations aussi sûres que celles de l’algèbre.
269. II. Systématisation des séries. La série dialectique se forme donc en vertu d’un rapport d’identité, ou tout au moins d’équivalence, que l’esprit, d’un point de vue donné, découvre entre des choses d’ailleurs disparates et hétérogènes. Démontrer, c’est parcourir successivement les termes d’une série, et constater en eux la présence de ce rapport ; pour parler notre langage, c’est vérifier la raison ; en un mot, c’est sérier. Et de même que l’écriture peint aux yeux la pensée, de même que la position des chiffres représente le rapport des nombres, ainsi le rapport sériel est visiblement exprimé, dans la dialectique, par l’accolade.
Tout jugement suppose équation entre deux ou plusieurs termes. Comme, dans les exemples que nous avons précédemment rapportés, la même formule revient toujours, la série est simple ; il n’y a pas de système. Ainsi l’égalité devant la loi, la liberté, la propriété peuvent être matière d’ouvrages très-longs, très-variés, très-profonds, mais qui, n’offrant ni multiplicité de vues, ni coordination d’idées, bornés à l’analyse et à une perpétuelle assimilation, ne formeront point un tableau, un tout symétrique et varié, quelque chose, pour ainsi dire, d’organisé, de vivant.
La série dialectique, à ce premier degré, a ses analogues dans la numération décimale, dans la mesure des angles, dans les divisions du temps, les précipitations cristallines, etc.
270. Mais lorsque les différents termes de la série résultent de la transformation successive de chacun d’eux ; ou, ce qui revient au même, lorsqu’ils sont fournis par les divers points de vue que présente un premier terme ; ou bien, enfin, lorsque le point de vue et la raison sous lesquels on rassemble les unités sérielles sont multiples ; alors il se forme un tableau, une série composée de membres et d’organes, ayant des pieds, un centre, une tête ; il y a système.
À ce deuxième degré, les analogues de la série dialectique sont, dans les sciences naturelles, la figure des animaux, des plantes, et leur organisation ; dans les arts, une histoire, un poème, un tableau, une statue, un bas-relief, un édifice, un opéra.
Quelques exemples, en nous montrant comment se forme un système d’idées, nous révéleront les éléments de la synthèse métaphysique.
271. Voici, d’après Fourier, l’énumération des attributs essentiels de Dieu : on jugera, sur ces questions ardues, de la différence entre la méthode syllogistique et subjective, employée par les philosophes, et la méthode sérielle, expérimentale et objective, suivie par Fourier. Je conserve le langage et les signes adoptés par cet auteur dans ses formules.
. . . Radical.
Primaires. — Pivotal. |
{ | 1. Direction intégrale du mouvement. 2. Économie de ressorts. 3. Justice distributive. 4. Universalité de providence. Unité de système |
272. Cette figure représente tout un système de théodicée. Sans entrer dans la critique des opinions de Fourier sur la Divinité, essayons de nous rendre compte de cette synthèse théologique, la plus belle, à mon avis, que l’on ait encore proposée.
Selon Fourier, Dieu est l’âme, la vie universelle, la force intime et partout répandue, qui, selon des lois mathématiques, agite, anime et meut tous les êtres. Ces lois, cette mathématique, comme dit Fourier, qui président aux opérations divines, sont comme l’intelligence pure et la pensée de Dieu. De cette conception ontologique et noologique de l’Être divin se déduit, par une transformation de termes, le système entier de ses attributs.
1. Dieu, force universelle, immanente, agissant selon la loi mathématique (savante, précise, directrice), 2. n’emploie de moyens et d’énergie que ce qui est rigoureusement nécessaire ; en sorte qu’il n’y a ni surabondance, ni déperdition, ni complication inutile. — 3. Cette économie de ressorts réclame une distribution exacte, sous peine de faire défaut en quelque partie. — 4. Mais l’économie de ressorts et la bonne distribution supposent que tout est prévu, que la surveillance est universelle et permanente. — 5. Enfin l’attribut pivotal, extrême et antithèse du radical, embrasse et résume tous les autres : Unité de système[32].
273. Remarquons maintenant la différence de cette série d’avec celle que nous avons précédemment étudiée ; puis nous la comparerons avec la méthode syllogistique.
a) Si l’on étudiait tous les phénomènes cosmologiques, météorologiques, zoologiques, etc., successivement sous chacun de ces points de vue :
-
- 1. Direction intégrale des forces et du mouvement ;
- 2. Économie de ressorts ;
- 3. Distribution suffisante et proportionnelle ;
- 4. Universalité de Providence ;
- 5. Unité de système ;
on ne ferait que reconnaître, par une suite de comparaisons et d’équations, cinq catégories de lois cosmiques ; les phénomènes, ainsi analysés, donneraient lieu à des séries simples ou de premier degré. Ces séries, considérées en elles-mêmes et séparément, ne présentant qu’une idée, une face, un rapport immuable, quelque infini que fût le nombre de leurs termes, ne feraient pas un corps, un tableau, une harmonie ; ce seraient, si j’ose me servir de cette expression, cinq atomes, cinq monades.
Mais si, rassemblant en un seul cadre ces cinq catégories de lois, nous les comparons entre elles, aussitôt nous découvrons de l’une à l’autre une progression ; nous trouvons qu’elles rentrent les unes dans les autres, et que cependant elles ne sont pas la même chose ; bien plus, il semble que parmi elles l’une est la basé, une autre le sommet, et les dernières, le centre.
Ce n’est pas tout : examinant de plus près cette série nouvelle, série vraiment organisée, comme l’objet qu’elle veut dépeindre, on trouve que, tandis que la détermination des attributs de Dieu par l’analyse des phénomènes naturels envisagés sous des points de vue divers, exigeait un travail immense et de longs tâtonnements, il était possible, le premier attribut étant donné, de monter rapidement aux autres par une simple transformation de la formule, à peu près comme en arithmétique la multiplication est un abrégé de l’addition.
274. b) Quels sont maintenant les attributs de Dieu, d’après les philosophes et les théologiens ? L’unité, l’éternité, la toute-science, la toute-puissance, la justice, la bonté, l’infinité, et même l’immatérialité. Dieu est un en trois personnes, Père, Fils et Saint-Esprit…, etc. Quelle règle a-t-on suivie pour la détermination de ces attributs ? Cette règle, la voici sans précaution oratoire : L’homme est fait à l’image de Dieu ; donc les attributs de Dieu, moins le péché, sont les attributs de l’humanité élevés au maximum. L’homme est un dans son essence, mais triple dans ses manifestations, matière, vie, pensée, sensation-sentiment-connaissance ; il veut, il aime, il juge, il prévoit ; mais il est sujet à la mort, à l’erreur, au vice ; tandis que les mêmes facultés en Dieu ne peuvent être déviées, et ne connaissent pas de limites. Et comme Dieu, par sa toute-puissance, est le créateur de toutes les choses contingentes, au nombre desquelles sont les corps, Dieu n’a point de corps, sans quoi il serait limité, et se serait créé lui-même, ce qui implique contradiction.
Dans cette hypothèse de la Divinité faite homme, où l’induction, le syllogisme et le principe de contradiction jouent un rôle si étrange, je vois bien une copie, un plagiat ; mais je ne découvre ni invention, ni idée, ni système. Qu’est-ce que Dieu par rapport au monde ? qu’est-ce que cette providence sans règle qu’on lui attribue ? qu’entend-on par la nature immatérielle de Dieu ? quelle idée se faire de cette toute-puissance, de cette sagesse arbitraire ? Et cette trinité prétendue, qu’est-ce autre chose qu’une généralisation cosmologique, ou un vain anthropomorphisme ? Comment tous ces attributs s’engendrent-ils l’un dans l’autre ? Comment, en ce qui nous concerne, la prescience s’accorde-t-elle avec la bonté ?… Je n’insiste pas ; car je ne veux railler personne.
275. Le procédé par lequel s’opère, dans la série systématiques ou composée, la transformation des formules, a quelque ressemblance avec l’induction ou syllogisme retourné, mais n’est point l’induction.
La lune est un corps opaque, tournant autour de la terre et sur lui-même, comme la terre, dont il est le satellite, tourne sur elle-même et autour du soleil ; donc il y a des hommes dans la lune : voilà une induction par analogie. — L’homme n’a pu recevoir du Créateur que ce que le Créateur possédait en lui-même ; donc l’homme est fait à l’image de Dieu : voilà une induction par causalité.
Or, ces deux raisonnements sont vicieux, en ce que la conclusion est séparée de la majeure par un abîme. Dans le système du monde, chaque globe peut avoir une destination propre, coordonnée à celle des autres corps célestes, mais pourtant distincte : comment affirmer d’après cela que le rôle de la lune est en tout semblable à celui de la terre ? — Dieu est auteur de tous les êtres sans exception : pourquoi faire l’homme, plutôt que les autres créatures, semblable à Dieu ? — Afin de sauver l’anthropomorphisme, se jettera-t-on dans l’identité universelle ? Mais l’identité universelle appliquée à la création est adéquate à la diversité universelle, ce qui est la plus haute contradiction possible.
276. Au contraire, qu’y a-t-il dans ce que nous appelons transformation de formule ? Une équation ordinaire, qui, exécutée non plus sur des sujets divers considérés d’un même point de vue, mais bien sur les différentes faces d’un sujet unique, fait de ce sujet une progression, une composition, un ensemble différencié et systématique. La terre présente successivement au soleil chacun de ses méridiens et chacun de ses pôles : donc il y a sur la terre des alternatives d’ombre et de lumière, de chaud et de froid, de torpeur et de vie, des aurores et des crépuscules, etc. Cette série de phénomènes constitue l’économie du globe, fondée tout entière sur ce double phénomène, le passage du soleil au méridien et le balancement sur les pôles. De même, dans la série théologique de Fourier, le 2e terme n’exprime rien au delà du 1er ; le 3e rien au delà du 2e, ainsi des autres. Ce sont comme les phases de l’Être divin, s’engendrant les unes les autres, et formant par leur enchaînement le système de ses attributs.
Certes, je ne crois pas que la formule de Fourier épuise tout ce qu’il y aurait à dire sur l’Être divin ; elle a laissé dans l’ombre plusieurs questions importantes, comme, par exemple, si Dieu est adéquat au monde ; s’il existe dans le monde ou hors du monde ; s’il est l’homme ou autre chose que l’homme ; s’il y a un moi divin, une volonté, une liberté divine, etc. Mais tout incomplète qu’elle soit sans doute, la série des attributs de Dieu donnée par Fourier est régulièrement formée, et nous pouvions l’offrir comme modèle de systématisation.
277. Tout le monde sait que le système newtonien n’est qu’une suite de formules transformées, d’après une hypothèse fondamentale, l’attraction. Deux corps placés à distance dans l’espace pèsent l’un sur l’autre en raison directe de leurs masses et inverse du carré de leurs distances : si on donne à l’un des deux une impulsion quelconque, ils décriront une orbite autour d’un foyer ; si au lieu de deux corps, vous en supposez douze, quinze, trente, divers de masse, de volume et de distance, vous aurez une série de phénomènes très-variés, très-compliqués, et formant par leur ensemble une figure, un système.
278. La série systématique ou composée peut résulter encore de la multiplicité du point de vue et de la raison. La botanique va nous en offrir un exemple.
Linnée avait classé les plantes d’après le nombre et l’insertion des organes génitaux : c’était, comme il a été dit précédemment (186), faire dépendre tout le règne végétal d’un seul point de vue. On a donné à cette classification le nom de système : à tort, ce me semble. La distribution de Linnée est une série simple, semblable à celle qui consiste à classer les serpents d’après le nombre de leurs plaques, et les araignées d’après la position de leurs huit yeux. Mais lorsque Bernard de Jussieu, complétant le travail d’Adanson, eut fait concourir à la classification des végétaux toutes les parties de la plante, non pas également, mais en raison de leur importance physiologique, alors on eut vraiment un système ; la botanique ne fut plus réduite à une pensée monoïque, si j’ose me servir de cette expression empruntée à la science elle-même ; elle fut, comme les êtres qu’elle décrit, organisée.
§ V. — Serial dialectic. — Operations, systems, sophisms.
257. To bring to a single point of view quite disparate ideas as to matter, cause, principle, or form; to form a simple series of them, with equal or identical terms: this is what the work of reasoning consists of.
We shall call the series thus created, by reflection, from the comparison of terms in any other respect unassociable, dialectical series; and the special theory which teaches how to use it, serial dialectics.
258. In the dialectical series, the point of view and the reason do not differ: an advantage that makes the mechanism and the construction of this series extremely simple. Of all the series presented by the study of the sciences, the algebraic series (the equation) is the only one that approaches this one for universality of application and simplicity of form: so that the dialectical series being, for the degree of abstraction, superior to mathematics, we can say that it forms with them the fourth term of this progression:
Geometry, Arithmetic, Algebra, Dialectics.
259. In books of philosophy, politics, economics, metaphysics, morals, jurisprudence and history; in tribunals, counters, markets, schools, the debates of chambers and the conversations of salons, the dialectical series is in perpetual use; it is what dominates with it intimate and secret influence the demonstrations of scholars; what leads, without their knowledge, the man of the office in his meditations, and the vulgar in his prejudices; it finally, is what forms or breaks the convictions. The dialectical series is the queen of thought, the unique and generating type of all ideas, the absolute condition of truth, the criterion of evidence. All the labors of thinkers have had the object of discovering it; all the truth they said came to them from it, all their errors are due to the fact that they misunderstood it. Even today, when so many people argue, when everyone judges, when no one agrees, it is the serial law that, in the midst of so many contradictory opinions, formulates those judgments of public good sense that alone support the society, rally people’s minds and prevent two men who meet without ever having seen each other from cutting each other’s throats.
But let us once learn to define, group and classify our ideas, and we will be surprised to see that all truth is common to us, and that we only differ over phantoms.
260. I. Serial operation. The serial rule of operation, or the law of formation of any series, is unique:
Never deviate, in the association of terms, from point of view and reason.
This rule results from all that we have previously explained about the properties of the series, its primordial unity, its reason, its forms, its point of view. I will not go into new details, and I pass immediately to the application of the serial law to the dialectic.
261. When Fourier said:
“In places where the civilized people do not die of pressing hunger, they die of slow hunger through privation; of speculative hunger which obliges him to nourish himself with unhealthy things; of imminent hunger by overworking oneself, by giving oneself up out of need to pernicious functions, to outrageous fatigues, whence are born fevers, infirmities.”
Fourier has made a series of reasoning that could be lengthened still further, but which, as we have just read it, is strikingly accurate. What is the disease that usually kills the people? Such is the question that Fourier asks himself. And rapidly running through the various causes of disease to which the people succumb, he replies: “Hunger. It is absurd to say it only when it kills instantly; to be more or less immediate, the cause is none the less real. The duration of the torture, the consent of the victim, the terror caused by the horrible specter matters little: in all cases I see only one cause, hunger.” Such is Fourier’s thought. If this man had always reasoned in the same way, and if he had given the theory of his procedure, metaphysics would have been accomplished, social science would have been very advanced, and I would never have dreamed of taking up the pen.
I imagine an academy putting to the contest the question resolved by Fourier in four lines, and from all sides arriving memoirs, beautiful in philanthropy, admirable in style, full of statistics and calculations; long strings of syllogisms and of inductions, with supporting documents and notes: what would all this be, I ask, next to Fourier’s terrible category? The counting of this hideous family, whose mother is Hunger, and the inevitable offspring Death, does it not say a hundred times more than all the speeches?
Let us take up Fourier’s reasoning again, and render, by a typographical sign, the truth that can be grasped by the eyes:
Hunger kills the people | { | 1. immediately, pressing hunger, 2. over time, slow hunger; 3. by poisoning, speculative hunger; 4. by fear, imminent hunger. |
It is always hunger. Hunger is here considered as a genus, which, under four main species, brings death to the people. In this series, point of view and reason merge: these are the effects, near or far, of hunger.
We see, by this example, that the series consists in reducing to a recognized truth, taken, not as a principle, but as a type or first term, one or more doubtful propositions, not as consequences, but as species or varieties.
The series indicator sign is the bracket.
263. Another example:
“If one had said to these bourgeois of the Middle Ages who conquered their liberty with passion, that there were men who claimed the right of human reason, the right of examination; men whom the Church treated as heretics, they would have stoned or burned them at once. On the other hand, these same writers, who claimed the right of human reason, spoke of the efforts of emancipation by the communes as of an abominable crime, of the overthrow of society. Between the philosophical movement and the communal movement, between political emancipation and rational emancipation, war seemed declared. It took centuries to reconcile these two great powers, and make them understand the community of their interests.” (Guizot, De la Civilisation,lesson of May 23, 1828.)
Greater things cannot be expressed in fewer words. Men inspired by a common thought, liberty, mutually anathematizing each other; the identity of the idea veiled by the difference of the objects to which it is applied, and of the centuries employed to classify two species; what a lesson!
Liberty of persons, Liberty of labor, Liberty of conscience, Liberty of examination, Liberty of the vote. |
} | Liberty! |
immortal series, do we have to constantly remind the world of it?
The liberty of persons determined the fall of the feudal regime; the liberty of labor led to the abolition of masters; liberty of conscience prepared the ruin of Catholicism; liberty of examination has enlightened the caves of politics, and pierced through the cloak of despotism: when liberty of the vote would lead to the reform of constitutional government, would it be for M. Guizot to impede this liberty?
264. Let us note, before going further, that the terms which that up the dialectical series are almost always, in themselves, logical series, that is to say, signs representing multiple facts or unknown principles, and that the expression yjsy sums them up is still a logical series. What, for example, is poisoning? In how many ways can it take place? How do unhealthy, badly prepared, insufficient foods act on the viscera in such a way as to imperceptibly determine a fatal alteration? What are the qualities of good food?… And what is liberty? All questions that the logical series does not prejudge, and of which it limits itself to expressing the unknown subject, but manifests by appreciable phenomena.
Now, just as the introduction of the word color in an optics book cannot be the source of any error, although it expresses absolutely nothing real, does not explain the nature of light, and be only the abbreviating sign of the appearances of the luminous ray; likewise, the words liberty of persons, liberty of conscience, liberty of labor, representing only series of facts, and prejudging nothing about their common principle, cannot become a source of error in serial reasoning.
265. It is not the same with the syllogistic method. Here the philosopher, led by the principle of causality, instead of noting the relations of identity or non-identity of sensible, material facts, claims to explain their first and determining cause, and ends up getting lost in the clouds of ontology. For example, instead of demonstrating by a comparative analysis that the liberty of labor is identical to the liberty of persons; the liberty of conscience identical to the first two; liberty of examination and of suffrage identical to these: in other words, instead of grouping the human acts represented by these various formulas into one and the same category, it addresses itself to the human soul (principle unknown); it interrogates the self (cause unknown); it spies on the first movement of the will (faculty unknown); and as it makes the will prior to reason (another faculty unknown), it calls this voluntary movement (which he has not seen) Freedom. Then he exclaims that liberty is spontaneous, independent, that it must be respected in its manifestations; which amounts to this somewhat silly proposition that liberty is free. This is where our philosophers are still at: and, on this point, I can defy the denials. But what happens? Let the philosopher be answered that liberty is necessarily responsible, and that responsibility supposes a rule. And as this rule is the work of authority, that is to say of the government, that is to say of the priest, that is to say of the master, liberty, for those who do not are neither prefects, nor electors, nor capitalists, nor priests, is strictly reduced to nothing.
266. A final example.
In the fourth century of our era, some Christian money lenders, not daring, out of scruple of conscience, to receive interest on their sums, had imagined, with more or less good faith, that what was not money did not give usury. Consequently, instead of investing their capital at so many as per hundred, they invested them at so many pounds of bread, so many chlamydes, so many vases per hundred. Saint Ambrose exclaims on this occasion: Et vestis usura est, et esca usura est. Here, in serial form, is the reasoning of this Father:
Money for rent of money, [31] Clothing for rent of money, Food for rent of money, Furnishings for rent of money All things finally for rent of money, |
} | Usury. |
It is difficult to understand today how such a simple truth could appear obscure to the devotees of the primitive Church. Now, we are just as unreasonable, as we will see by the following series, which is only the first turned around:
Money for rent of money, Money for rent of furnishings, Money for rent of houses, Money for rent of pastures, Money for rent of fields, Money for rent of all that exists, |
} | Usury. |
This is what, since Saint Ambrose, who had come, as we see, half the way, the Catholic Church could not understand. I have devoted six hundred pages to demonstrating this series in all its aspects; but, although I had not concluded on the division of the goods, I converted few people. This made me see that if the truth rejoices the healthy minds, it is unbearable to the sick.
267. Since I have touched on this question of property, allow me to examine here, by the torch of serial dialectics, an argument of M. Chevalier against the system of equal wages. We will see by this criticism that, outside the series, there is no certainty, no salvation.
According to the most authentic calculations, said M. Chevalier in one of his opening speeches, if the incomes of the whole of France were shared equally among all its inhabitants, the sum of income per head would not exceed 63 cents, approximately, per day. Equality of distribution, added the learned professor, far from curing pauperism, would therefore have the sole result of impoverishing everyone.
This argument, directed against egalitarian utopians, has produced a certain sensation, like all scary things; and the journalists have repeated it over and over again: however, in whatever manner one turns it, it is impossible to see in it anything other than a forgetting of justice and principles.
In principle, M. Chevalier’s assertion proves nothing; for, if everyone is poor with twelve sous a day, is that a reason for taking six from me out of charity, and giving them to my neighbor, who will profit as much? — Yes, they say, because without that everyone would be poor. It is possible: but by concluding, according to this datum, to the status quo of fortunes, we abandon the point of view of the discussion, which is precisely to know if equality is a right, to throw ourselves into another order of ideas, in statistics.
In fact, the calculation reported by Mr. Chevalier proves nothing again, because the assumption on which it is established is outside of practice. Indeed, it is not by head that the incomes of France are consumed, it is by families. Now, suppose each family composed on the average of four persons: at 63 cents per day for each individual, that makes for the family 2 fr. 52 c. But, for many households, especially in the countryside, 2 fr. 52 c. per day are already wealthy; while if the consumption took place per capita, supposing the same quadruple product, 2 fr. 52 c. would be little. In what, then, does the flaw in M. Chevalier’s reasoning consist? By dividing the nation into individuals, it annihilates the serial force that results from grouping into families, and which is the most powerful antidote to misery.
268. Remarks . — 1. In the dialectical series, the units, very diverse as to the matter or the object which they represent, are in a relationship of identity as to their point of view; which makes this series, however abstract it may be, the simplest of all, and the calculation of its units, the easiest of serial combinations.
2. The number of units in this series is almost always unlimited: but this circumstance does not detract from the certainty of the reasoning. Indeed, either the unknown terms of the series have their reason identical to that of the known terms, and then the one and the other together form only one and the same series; or else the unknown terms differ from the others in their reason, and then they form a new series, which does not change the first. Thus the proof obtained by a dialectical series is absolute in its specialty; all imaginable cases can neither invalidate it nor create an exception.
3. The order in which the dialectical units follow one another is irrelevant to the series: indeed, since these units are identical, their transposition cannot alter the form of the group, which would no longer take place if they were equivalent, powerful or progressive in reason (225, 269 et seq.).
We see, from this, that we cannot, without contradiction, suppose between the terms of a dialectical series any bond of anteriority or posteriority, any relation of more to less, of cause to effect, etc.; we see, in a word, why the syllogism is absurd.
4. The dialectical series brings together the most disparate objects: thus, the matter of property embracing the three kingdoms of nature, the products of art, science and industry, the reasonings that can be do on the right of property also apply to all these things. Now, it is the difference of matter and form in the objects that, every day, makes us regard as untrustworthy analogies series of rigorous accuracy, and reject the best demonstrated propositions. The mind hardly gets used to conceiving as adequate from one point of view, things between which the imagination and the senses discover a prodigious distance, and this gross illusion of matter and form maintains disorder in politics and administration, the contradiction in the laws perverts the judgments and makes the opinion stationary on the current of the truth. Equality before the law has cost torrents of blood; the equivalence of functions, which must sooner or later lead to equal pay, makes the political world smile with pity; and the idea that the same punishment should reach the crowned culprit as the criminal escaped from prison seems monstrous to all. But the moment is approaching when public reason will seize the truth of these theorems, demonstrable by equations as certain as those of algebra.
269. II. Systematization of series. The dialectical series is therefore formed by virtue of a relationship of identity, or at least of equivalence, which the mind, from a given point of view, discovers between things that are otherwise disparate and heterogeneous. To demonstrate is to run through successively the terms of a series, and to ascertain in them the presence of this relation; to speak our language, it is to verify the reason; in a word, it is to seriate. And just as writing paints thought to the eyes, just as the position of figures represents the relation of numbers, so the serial relation is visibly expressed, in dialectics, by the bracket.
Any judgment supposes an equation between two or more terms. As, in the examples that we have previously reported, the same formula always comes back, the series is simple; there is no system. Thus equality before the law, liberty, property can be the subject of very long, very varied, very profound works, but works that, offering neither multiplicity of views nor coordination of ideas, are limited to analysis and a perpetual assimilation, will not form a picture, a symmetrical and varied whole, something, so to speak, organized, alive.
The dialectical series, at this first degree, has its analogues in decimal numeration, in the measurement of angles, in the divisions of time, crystalline precipitations, etc.
270. But when the different terms of the series result from the successive transformation of each of them; or, what amounts to the same thing, when they are provided by the various points of view presented by a first term; or else, finally, when the point of view and the reason under which one gathers the serial units are multiple; then a picture is formed, a series composed of limbs and organs, having feet, a center, a head; there is a system.
At this second degree, the analogues of the dialectical series are, in the natural sciences, the figure of animals, plants, and their organization; in the arts, a story, a poem, a painting, a statue, a bas-relief, a building, an opera.
A few examples, by showing us how a system of ideas is formed, will reveal to us the elements of metaphysical synthesis.
271. Here, according to Fourier, is the enumeration of the essential attributes of God: we will judge, on these arduous questions, of the difference between the syllogistic and subjective method, employed by the philosophers, and the serial, experimental and objective method, followed by Fourier. I keep the language and the signs adopted by this author in his formulas.
attributes of god
. . . Radical.
Primary. — Pivotal. |
{ | 1. Integral direction of the movement. 2. Economy of resources. 3. Distributive justice. 4. Universality of providence. Unity of system. |
272. This figure represents a whole system of theodicy. Without going into the criticism of Fourier’s opinions on the Divinity, let us try to realize this theological synthesis, the most beautiful, in my opinion, that has yet been proposed.
According to Fourier, God is the soul, the universal life, the intimate and everywhere widespread force that, according to mathematical laws, agitates, animates and moves all beings. These laws, this mathematics, as Fourier says, which preside over divine operations, are like the pure intelligence and thought of God. From this ontological and noological conception of the divine Being is deduced, by a transformation of terms, the entire system of its attributes.
1. God, universal, immanent force, acting according to mathematical law (scholarly, precise, directing), 2. uses of means and energy only what is strictly necessary; so that there is neither superabundance, nor wastage, nor useless complication. — 3. This economy of springs calls for a distributionexact, under penalty of being missing in some part. — 4. But economy of resources and good distribution presuppose that everything is foreseen, that supervision is universal and permanent. — 5. Finally, the pivotal attribute, extreme and antithetical to the radical , embraces and sums up all the others: Unity of system. [32]
273. Let us now remark the difference of this series from that which we have previously studied; then we will compare it with the syllogistic method.
a) If we studied all the cosmological, meteorological, zoological phenomena, etc., successively from each of these points of view:
1. Integral direction of forces and motion;
2. Economy of resources;
3. Sufficient and proportional distribution;
4. Universality of Providence;
5. Unity of system;
we would only recognize, by a series of comparisons and equations, five categories of cosmic laws; the phenomena thus analyzed would give rise to simple or first degree series. These series, considered in themselves and separately, presenting only one idea, one aspect, an immutable relation, however infinite the number of their terms, would not make a body, a picture, a harmony; they would be, if I dare use this expression, five atoms, five monads.
But if, gathering together in a single frame these five categories of laws, we compare them with each other, we immediately discover a progression from one to the other; we find that they fit into each other, and yet they are not the same thing; moreover, it seems that among them one is the base, another the apex, and the latter, the center.
This is not all: examining more closely this new series, a truly organized series, like the object that it wishes to depict, we find that, while the determination of the attributes of God by the analysis of natural phenomena envisaged under various points of view required immense work and long trial and error, it was possible, the first attribute being given, to rise quickly to the others by a simple transformation of the formula, much like in arithmetic, multiplication is an abbreviation of addition.
274. b) What are now the attributes of God, according to philosophers and theologians? Unity, eternity, omniscience, omnipotence, justice, goodness, infinity, and even immateriality. God is one in three persons, Father, Son and Holy Spirit…, etc. What rule was followed for the determination of these attributes? This rule, here it is without oratorical precaution: Man is made in the image of God; therefore the attributes of God, minus the sin, are the attributes of humanity elevated to the maximum. Man is one in his essence, but triple in his manifestations, matter, life, thought, sensation-sentiment-knowledge; he wills, he loves, he judges, he foresees; but he is subject to death, to error, to vice; while the same faculties in God cannot be deflected, and know no limits. And as God, by his omnipotence, is the creator of all contingent things, among which are bodies, God has no body, otherwise he would be limited, and would have created himself, which implies contradiction.
In this hypothesis of the Divinity made man, in which induction, syllogism and the principle of contradiction play such a strange role, I clearly see a copy, a plagiarism; but I discover neither invention, nor idea, nor system. What is God in relation to the world? What is this ruleless providence attributed to him? What is meant by the immaterial nature of God? What idea are we to form of this omnipotence, of this arbitrary wisdom? And this pretended trinity, what is it but a cosmological generalization or a vain anthropomorphism? How do all these attributes engender one another? How, as far as we are concerned, does foresight agree with goodness?… I do not insist; because I do not want to make fun of anyone.
275. The process by which the transformation of formulas takes place, in the systematic or compound series, has some resemblance to induction or inverted syllogism, but is not induction.
The moon is an opaque body, revolving around the earth and on itself, as the earth, of which it is the satellite, turns on itself and around the sun; therefore there are men in the moon: here is an induction by analogy. — Man could only receive from the Creator what the Creator possessed within himself; therefore man is made in the image of God: here is an induction by causality.
However, these two reasonings are flawed, in that the conclusion is separated from the major premise by an abyss. In the system of the world, each globe can have its own destination, coordinated with that of the other celestial bodies, but nevertheless distinct: how can we affirm from this that the role of the moon is in all things similar to that of the earth? — God is the author of all beings without exception: why make man, rather than other creatures, like God? — In order to save anthropomorphism, will we throw ourselves into universal identity? But universal identity applied to creation is adequate to universal diversity, which is the highest possible contradiction.
276. On the contrary, what is there in what we call transformation of formula? An ordinary equation, which, no longer performed on various subjects considered from the same point of view, but on the different sides of a single subject, makes this subject a progression, a composition, a differentiated and systematic whole. The earth presents successively to the sun each of its meridians and each of its poles: therefore there are on the earth alternations of shade and light, of heat and cold, of torpor and life, of dawns and twilights, etc This series of phenomena constitutes the economy of the globe, founded entirely on this double phenomenon, the passage of the sun at the meridian and the balancing on the poles. Similarly, in Fourier’s theological series, the second term does not express anything beyond the first; the third nothing beyond the second, and thus for the others. They are like the phases of the divine Being, engendering one another, and forming by their sequence the system of his attributes.
Certainly, I do not believe that Fourier’s formula exhausts all there is to say about the divine Being; it left many important questions in the shadows, such as, for example, whether God is adequate to the world; whether he exist in the world or outside the world; whether he is man or something other than man; whether there is a divine self, a will, a divine liberty, etc. But however incomplete it may be, the series of attributes of God given by Fourier is regularly formed, and we could offer it as a model of systematization.
277. Everyone knows that the Newtonian system is only a series of formulas transformed, according to a fundamental hypothesis, attraction. Two bodies placed at a distance in space weigh on each other in direct proportion to their masses and inverse to the square of their distances: if one of the two is given any impulse whatsoever, they will describe an orbit around a focus; if instead of two bodies, you suppose twelve, fifteen, thirty of them, various in mass, volume and distance, you will have a very varied series, very complicated phenomena, forming by their whole a figure, a system.
278. The systematic or compound series can also result from the multiplicity of point of view and of reason. Botany will offer us an example.
Linnaeus had classified the plants according to the number and the insertion of the genital organs: this was, as has been said previously (186), to make the whole vegetable kingdom depend on a single point of view. This classification has been given the name of system: wrongly, it seems to me. The distribution of Linnaeus is a simple series, similar to that which consists in classifying serpents according to the number of their plates, and spiders according to the position of their eight eyes. But when Bernard de Jussieu, completing the work of Adanson, had made all the parts of the plant contribute to the classification of plants, not equally, but because of their physiological importance, then we really had a system; botany was no longer reduced to monoecious thought, if I dare use this expression borrowed from science itself; it was, like the beings it describes, organized.
279. Le plus magnifique exemple de série systématique engendrée par la multiplicité du point de vue, est celui que nous offre le développement de l’esprit humain.
L’homme ne sait rien que par l’expérience : les sens sont le véhicule de toutes ses idées. C’est le spectacle de la nature qui, d’abord, donne à notre entendement sa forme et ses lois (§ vii), et qui plus tard imprime à nos opinions et à nos préjugés le caractère qui les distingue : religions, philosophies, méthodes savantes, nous sont données par l’observation externe. Cela se démontre par l’analyse successive des idées, et par leur réduction générale à une intuition primaire, saisie par la pensée comme type.
Or, cette classification des idées, considérées seulement du point de vue de l’objectivité de leur origine, ne donne lieu qu’à une série simple : mais si, reprenant les différents termes de cette série, nous les étudions dans leur essence propre, c’est-à-dire dans l’intuition spéciale qui a donné naissance à chacun d’eux, il résultera de leur comparaison une série nouvelle, qui sera comme le tableau généalogique et progressif des opinions humaines. C’est là le système que poursuivirent avec tant d’ardeur les Dupuis, les Volney, les Tennemann, et autres historiens des opinions religieuses et philosophiques, système que nous possédons aujourd’hui dans ses plus larges divisions (70, 71, 142), mais qui, pour les détails, est encore loin d’être achevé.
280. L’ordre historique n’est pas le seul auquel puissent être soumises les opinions et les connaissances humaines. Le savant Ampère en à présenté le développement sous une formule ingénieuse, et non moins sûre que la synthèse historique (173) ; enfin, j’ai offert un fragment d’une troisième systématisation, sur laquelle je prie le lecteur de vouloir bien s’arrêter encore quelques instants.
La division de la nature en trois règnes, Minéral, Végétal, Animal, si facile à saisir aux intelligences les moins capables d’abstraction, paraît avoir fourni la plus ancienne division des facultés de l’homme et des catégories de l’entendement. Or, de cette division du sujet humain, déduite elle-même de la division de la nature, on peut faire découler une systématisation à l’infini de toutes nos opérations et connaissances.
Suit la nomenclature des industries, des arts et des sciences ; celle des idées morales et religieuses, et enfin la distribution des fonctions publiques.
281. Ce qui frappe dans ce système, c’est le rapport de progression et de régression des termes entre eux, dans quelque sens qu’on les envisage.
A) L’expérience nous révèle trois grandes manifestations de l’être : les corps bruts, les êtres organisés non sensibles, les êtres organisés et sensibles. D’après cette triple manifestation, la raison est naturellement conduite à supposer dans la nature trois principes indépendants : la matière, la vie, l’esprit[33]. Mais l’esprit ne se manifeste qu’à la condition de la vie ; et celle-ci, pour paraître, réclame à son tour un corps qu’elle anime et organise. Il y a donc dépendance et progrès, du moins quant à notre perception, entre les trois manifestations de l’être.
De même, sans activité ou énergie propre, point de liberté ; sans la sensibilité, l’activité dormirait dans un éternel repos. Il faut qu’une excitation quelconque éveille l’activité et la tire de son engourdissement pour qu’elle éclate dans sa spontanéité, et se distingue de tout ce qui n’est point elle-même. En revanche, comme dans la série précédente la matière n’entraîne pas nécessairement la vie, ni la vie l’esprit ; dans la deuxième série, l’activité ne suppose pas invinciblement la conscience ou la liberté, et la sensibilité se conçoit sans un déploiement de force intérieure, en un mot, sans activité.
Même observation sur la mémoire, l’imagination, le jugement. Le jugement est la synthèse de deux ou plusieurs idées, choisies par l’imagination dans le magasin de la mémoire.
Passant aux concepts fondamentaux de la raison, l’espace est placé avant le temps, parce que, dans l’ordre d’acquisition des concepts, le premier est nécessaire à la conception du second. De même que dans le moi le temps est donné par la succession des idées, de même, dans le monde, le temps est donné par la succession des mouvements qui arrivent dans l’espace. — À ces deux concepts je joins celui de nombre, c’est-à-dire division, ou diversité, omis par Kant dans l’énumération des concepts de l’entendement, mais qui appartient à l’esthétique transcendentale aussi bien que ceux de temps et d’espace, puisque, sans ce concept, aucune perception, aucun phénomène n’est possible. Car, supposez dans l’espace une substance infinie, mais identique ; dans cette substance, une force infinie, mais en repos ; et dans cette force un moi : vous aurez les quatre concepts fondamentaux d’espace, temps, substance et cause, toute la matière de l’univers et de la connaissance. Et cependant il manquera encore, à cet univers, une condition formelle d’existence ; à ce moi, une condition formelle d’aperception, savoir, la différenciation du même, la diversité dans le temps et l’espace. Le nombre (division, multiplication, diversité), aussi bien que le temps et l’espace, est donc nécessaire à la formation de nos idées : il précède, pour me servir du langage de Kant, les catégories de la raison pure, c’est-à-dire les points de vue généraux d’après lesquels toute série est possible ; mais il suppose le temps et l’espace, quelque chose qui puisse être augmenté, divisé, diversifié[34].
Après l’espace, le temps et le nombre, conditions formelles de l’aperception, vient la matière même de la connaissance, c’est-à-dire la substance, la cause et la série. Or, la cause suppose un substratum, une substance où elle réside et d’où elle s’élance ; la série résulte de l’action de la cause sur une substance divisible et différenciable : depuis longtemps on n’a rien laissé à dire sur ce sujet.
Je ne dirai plus qu’un mot sur l’ordre dans lequel j’ai fait suivre les trois manifestations de l’homme en société, savoir, le langage, le travail, et l’association. Il semble, au premier abord, que le langage et le travail soient plutôt des effets sociaux que des conditions de la société : en effet, l’homme ne travaille avec succès qu’en proportion du nombre de ses collaborateurs (division du travail) ; l’homme isolé ne parle pas. Mais comme il s’agit moins ici de l’agglomération des individus que de l’organisation même des citoyens, on trouve, en y regardant de plus près, que les hommes ont parlé longtemps avant d’avoir formé des sociétés régulières ; puis, que la science sociale, qui commence à peine de naître, résulte surtout des lois de la production, de l’économie. Ainsi l’association est donnée par la division du travail, qui suppose la communication des hommes entre eux par la parole.
Je laisse au lecteur intelligent le soin d’appliquer ces observations au reste du tableau.
B) Nous avons reconnu, dans le développement horizontal des termes, une série régressive de droite à gauche : considérons maintenant le développement de chaque colonne de haut en bas ; l’analogie des termes y est telle, qu’il serait impossible d’y faire le moindre changement sans briser l’harmonie du tout, et jeter la confusion dans le système.
-
- Ire colonne.
- Matière, principe premier, passif, sujet et lien des phénomènes.
- Sensibilité, faculté réceptive, matrice et fondement de la connaissance, sujet des sentiments et des idées.
- Mémoire, magasin des idées, faculté servante, chargée de fournir à l’intelligence ses matériaux.
- Espace, concept donné par l’abstraction de la matière.
- Substance, concept donné par l’abstraction des propriétés de la matière.
- Quantité, concept de l’être en tant que susceptible d’appréciation et de mesure.
- Nom, désignation de la chose et de l’attribut.
- Industrie, transformation et appropriation des choses par le travail.
- Atelier, série de producteurs, 1ère catégorie sociale.
-
- IIe colonne.
- Vie, principe moteur, divisant, aveugle.
- Activité, faculté de réagir sur les sensations et d’en extraire des représentations.
- Imagination, puissance de rapprocher les idées. £
- Temps, concept donné par l’abstraction des phénomènes ou du mouvement, c’est-à-dire des manifestations de la vie universelle.
- Cause, concept donné par la succession des mouvements.
- Qualité, concept de l’être, en tant que doué de propriétés tendantielles, vertus ou facultés.
- Verbe, signe de l’action, du mouvement, de la vie.
- Art, réalisation du beau (concept de qualité) par l’industrie.
- Commerce, circulation des richesses, vie de la société.
-
- IIIe colonne.
- Esprit, principe impassible, inactif, voyant, comparant, dirigeant, unifiant.
- Liberté, nom propre de la conscience ou du moi : faculté d’unir synthétiquement les représentations. (Le libre arbitre, faculté de choisir entre deux déterminations, résulte de l’union de l’activité et de la liberté.)
On peut appliquer à ce tableau toutes les observations exposées dans le texte. Plus bas (§ vii), nous montrerons comment tous les concepts, sans excepter ceux d’espace et de temps, sont donnés dans la série.
- Jugement, faculté de prononcer sur la convenance et la disconvenance des idées.
- Nombre, concept donné par la comparaison des idées.
- Série, concept général de la synthèse des idées.
- Modalité, concept général des formes, propriétés, et puissances de la série.
- Relation, signe des rapports des êtres et de leurs attributs, des causes et de leurs effets.
- Science, description des lois et rapports des êtres.
- Gouvernement, synthèse de la société, par la répartition du travail et la distribution du produit.
Chacune de ces colonnes est comme une famille d’idées frappées au même coin et présentant le même caractère.
C) La progression entre les termes du tableau n’existe pas seulement dans les groupes horizontaux et dans les colonnes ; elle se retrouve encore d’un ternaire à un autre ternaire, de manière que le premier terme du groupe inférieur résume les termes du supérieur.
Ainsi, dans ces quatre termes, Matière, Vie, Esprit, Sensibilité, la progression est continue : en effet, par quoi se manifeste d’abord l’union organique des trois principes ? par la sensibilité. Lapides crescunt, vegetalia crescunt et vivunt, animalia crescunt, vivunt et sentiunt, dit Linnée. Cela signifie qu’il y a de la matière dans les pierres ; de la matière et de la vie dans les plantes ; de la matière, de la vie et de l’esprit dans les animaux. La sensibilité, la faculté de sentir est la première chose qui sépare le règne animal du végétal : quel que soit le principe, réel ou formel, de cette faculté, nous appelons ce principe, Esprit.
De même, la mémoire résulte de l’union synthétique de la sensibilité, de l’activité et de la liberté, ou conscience. Lorsque par la pensée le moi se distingue et se saisit lui-même, il se reconnaît d’abord à sa permanente identité. Or la permanence du moi dans la succession des idées constitue proprement la mémoire.
La même chose a lieu pour les concepts : la substance n’est, pour la pensée, que la synthèse des trois conditions formelles de l’intuition sensible, espace, temps, nombre ; c’est-à-dire quelque chose qui est étendu, qui dure et se mesure. En passant au ternaire suivant, la quantité est un prédicat de la série (composée d’éléments ou d’unités).
Au-dessous du concept de modalité commence la division des connaissances humaines, dont le langage, le travail, et la société forment les ordres majeurs et parallèles, ordres qui, par conséquent, ne présentent plus de l’un à l’autre cet enjambement.
Je ne connaissais la Critique de la raison pure que par de médiocres analyses, et j’avais à peine entendu parler de Hégel, lorsque, préoccupé d’idées trinitaires, je construisais le système dont je viens de rapporter la partie fondamentale. Ce fut pour moi comme une préparation à la théorie sérielle, que sous des noms divers je ne cessais de poursuivre, et dont j’acquis enfin l’intelligence le jour où, fatigué de systèmes où je me trouvais comme emprisonné, je formai le projet, pour avoir le large, non d’abandonner mais de résoudre les uns dans les autres tous les systèmes. Alors je compris, d’un seul coup, l’indépendance des divers ordres de séries et l’impossibilité d’une science universelle ; les lois de la série simple, et les éléments de la synthèse.
282. Il ne faut que deux termes pour former une série simple ; il n’en faut que trois pour former un système. Deux bassins de même métal, d’égal diamètre et de forme semblable, placés sur une barre, à égale distance du milieu, forment une série simple ; suspendez cette barre sur un pivot, de manière que ses extrémités libres se fassent contre-poids, vous aurez un système : la Balance.
Depuis Kant, la dialectique s’est enrichie d’une figure auparavant peu connue, et à laquelle la balance semble avoir servi de modèle ; j’en ai parlé déjà au § 3 de ce chapitre à propos des catégories. Elle consiste en ce que, deux termes antithétiques étant donnés, il résulte de leur union un 3e terme, différent des deux autres, et les résolvant par une sorte de balance ou d’équation. Voici d’abord la figure, que l’on peut disposer de deux manières :
Thèse Antithèse |
} | Synthèse |
Ou bien,
Les exemples suivants, pris des catégories de Kant, montrent l’usage de cette figure :
Unité Pluralité |
} | Totalité | Réalité Négation |
} | Limitation |
Les concepts d’unité et de pluralité joints ensemble produisent celui de totalité : la réalité et la négation balancées l’une par l’autre donnent l’idée de limite.
Lorsque la figure est régulièrement construite, que les deux premiers termes sont en opposition réelle, et que le troisième les résout en une idée distincte, la démonstration est péremptoire : il y a trois termes corrélatifs, mais de chacun desquels la même chose ne peut être affirmée. C’est ainsi que les trois premiers chapitres de cet ouvrage forment entre eux une progression d’après laquelle, le troisième terme étant admis, les deux autres doivent être individuellement rejetés.
Thèse. Antithèse. |
Religion. Philosophie. |
{ | Synthèse. Métaphysique. |
Quel est l’attribut essentiel de la Religion ? La foi.
Quel est celui de la Philosophie ? Le besoin de se rendre compte, la sophistique.
Tant que l’homme croit sans raisonner, il ne sait pas ;
Tant qu’il cherche et argumente, il ne sait pas ;
Lorsqu’il croit sur l’autorité d’une démonstration certaine, il sait.
La science, en satisfaisant tout à la fois au besoin de croire et au besoin de comprendre, résout la foi dans le raisonnement, et met fin aux disputes par l’évidence : il n’y a plus lieu, après cette synthèse, ni à la philosophie, ni à la religion.
Lors donc que M. Pierre Leroux annonce que la religion de l’avenir sera philosophique, ou bien, ce qui dans sa pensée revient au même, que la philosophie sera religieuse, M. Pierre Leroux dresse la balance, mais il ne fait pas la pesée. L’accord de la foi et de la raison ne produira pas un christianisme nouveau, ni une religion progressive, ni une philosophie des sciences, ni un éclectisme transcendental ; cet accord, jusqu’ici introuvable, sera la science pure ou ne sera rien : philosophes et théologiens, il faut vous y résoudre.
283. La synthèse ne détruit pas réellement, mais formellement, la thèse et l’antithèse : ainsi, dans l’exemple qui précède, les objets de la foi ne sont pas niés, mais expliqués ; l’investigation philosophique n’est point supprimée, mais dirigée par la méthode. La méthode, en un mot, abolit la religion et la philosophie, non dans leur contenu, mais dans leur forme.
La synthèse n’est pas un juste-milieu : on croit, ou l’on nie ; on raisonne, ou l’on s’abstient ; on sait, ou l’on ignore. En religion et en philosophie, le juste-milieu est une trahison : dans la science, c’est une absurdité.
La synthèse n’est pas non plus un éclectisme : elle ne consiste pas à souder la moitié d’une idée à la moitié d’une autre idée : elle est la résolution complète et la combinaison intime de la thèse et de l’antithèse.
Ainsi, lorsque j’ai soutenu que la propriété et la communauté pures étaient deux principes simples et antithétiques, incapables, l’un et l’autre, de servir de base à l’organisation sociale et à une science du droit, et qu’il fallait chercher dans leur synthèse le principe supérieur de la société, les critiques étaient en droit de me dire : Exposez cette synthèse ; ils ne devaient pas m’accuser, comme ils l’ont fait, de pousser à l’invasion des propriétés, puisque d’après ma propre dialectique c’eût été rendre la synthèse impossible ; ils n’avaient pas non plus besoin de crier que hors de la propriété et de la communauté il n’y avait rien, puisqu’il était question de les unir synthétiquement.
284. La série composée ou systématique est susceptible de formes nombreuses : échelonnée ou graduée, comme dans les règnes animal et végétal : c’est la forme la plus ordinaire aux ouvrages de raisonnement, dans lesquels on procède par divisions et subdivisions du sujet ; — centralisée ou pivotante, comme dans le système planétaire ; — périodique, comme dans l’histoire des révolutions sociales, religieuses et philosophiques ; — équilibrée, comme dans les catégories de Kant ; — symétrique, comme dans les systèmes d’encyclopédie ternaire et quaternaire ; — harmonique, comme dans la poésie et les arts ; organisée, comme dans les animaux et les plantes, etc. Ces diverses formes peuvent aussi se marier ensemble, comme dans l’ode, où se trouvent à la fois le rhythme, la mesure et la période.
285. Ce qui donne la forme à la série simple est le rapport, tantôt d’égalité, tantôt de progression, de puissance, etc., qui réunit les membres de la série (229) ; ce qui donne la forme à la série composée, c’est, en outre, la pluralité et la disposition des points de vue. Cela s’observe dans la plus restreinte des séries composées. En effet, deux choses sont à considérer dans le nombre, l’unité et la pluralité : rassemblez par la pensée ces deux points de vue de toute grandeur mesurable, vous aurez l’idée complexe de totalité, laquelle n’est pas l’unité à l’exclusion de la pluralité, ni la pluralité à l’exclusion de l’unité, mais simultanément l’une et l’autre. Dans cette série le point de vue est double, et présente par là même une opposition ; ce qui n’aurait point lieu s’il était triple quadruple, ou d’un degré plus élevé. Voilà pourquoi, dans le système ternaire exposé plus haut, le point de vue étant triple (la matière, la vie, l’esprit), le troisième terme de chaque groupe n’est pas la synthèse des deux autres, bien qu’en poursuivant le développement de ce système, cela puisse quelquefois arriver.
286. Ce que nous venons de dire sur la systématisation des séries peut donner une idée des grandes lois de la nature, et suffira pour l’intelligence des chapitres suivants. L’équation et la totalisation dans la diversité, c’est-à-dire la série, ses éléments et ses lois : tel est, en dernière analyse, le mystère de la raison et de l’univers.
D’après cet exposé on comprendra, je l’espère, qu’un système de philosophie, de politique, de littérature ou d’art, n’est point une chose arbitraire, une création de l’entendement ; pas plus que les systèmes de Copernic et de Ptolémée, de Linnée et de Jussieu, de Buffon et de Cuvier, de Lavoisier et de Davy ne furent des inventions de ces grands hommes. Pourvu qu’un auteur soit fidèle à son point de départ, que ses raisonnements soient basés sur une raison constante, qu’il ne s’aventure pas, sans boussole dialectique, sur l’océan des spéculations, le système qu’il aura produit pourra être plus ou moins compréhensif et rendre compte d’un plus ou moins grand nombre de faits ; mais ce sera toujours une conception nécessaire, indépendante de la volonté, et dont la conscience et la raison ne sauraient être responsables. Il en est, en un mot, de nos idées comme des corps inorganisés et des êtres vivants : soumises en elles-mêmes à un ordre naturel et déterminé, et susceptibles en outre de se coordonner par l’influence respective de leurs éléments, et de servir tour à tour de point de vue et de raison, d’engrenage et de pivot, à une variété infinie de combinaisons et de systèmes.
287. S’il en est ainsi, nous pouvons espérer de parvenir un jour à une théorie du beau, d’après laquelle la peinture, l’architecture et la statuaire seraient traitées comme des sciences exactes, et la composition artistique assimilée à la construction d’un navire, à l’intégration d’une courbe, à un calcul de forces et de résistances. C’est alors que l’artiste, jadis homme d’imagination et de foi, devenant homme de raisonnement et de science, brillerait au premier rang dans la sphère de la raison pure ; sa mission serait de synthétiser sur la toile et le marbre, par la couleur et le ciseau, les points de vue les plus divers, les éléments dont la détermination et la série sont éminemment transcendentales : société, histoire, mœurs, lois, croyances, rapports du physique et du moral, passions, idées, avec la création pour décor et l’infini pour cadre. Alors nous comprendrions que les œuvres de l’art, comme celles de la nature, sont d’autant plus belles et plus ravissantes qu’elles sont soumises à des lois plus exactes, à une sérialité plus profonde et plus compliquée : que là aussi la réflexion et la méthode surpassent infiniment le plus heureux instinct, et que le moment approche où, grâce aux théories de synthèse esthétique et d’intégration sérielle, la production raisonnée du beau remportera sur les merveilles de l’inspiration spontanée, autant que la science moderne l’emporte sur les fables antiques, et la philosophie de l’histoire sur la légende.
288. Mais avant de nous plonger dans cette perspective sans bornes, occupons-nous sur toute chose d’assurer les fondements de notre observatoire.
Deux choses paraissent désormais acquises à la science :
1o Raisonner, créer des systèmes, c’est trouver des séries ;
2o La série, c’est-à-dire toute aperception de l’esprit, toute opération de l’entendement, peut être rendue sensible à l’œil même, soit par le groupe, soit par la progression, l’opposition, la symétrie, etc., des espèces dans le groupe.
L’écriture ne peignait que la parole ; l’échelle musicale, avec ses notes et ses clefs, ne représente que des sons ; les signes de l’arithmétique et de l’algèbre ne rappellent que des nombres et des proportions ; les figures de la géométrie n’expriment que des rapports de solidité et de superficie. La théorie sérielle donne un corps aux idées, figure l’abstraction, et répand sur l’universalité des connaissances une lumière égale, par la construction des concepts et le jeu des séries.
289. Que celui-là donc qui se dévoue à l’enseignement des hommes, qui entreprend de réformer leurs préjugés et de rectifier leurs jugements, connaisse ses devoirs. Je veux que l’écrivain, plus ami de la vérité que de la gloire du bien dire, plus désireux de me convaincre que de me surprendre, sans négliger l’élégance du style, la force de la pensée, la rapidité de l’exposition, fasse briller à mes yeux, dans une pénétrante analyse, le rapport des termes qu’il compare ; qu’il m’en fasse toucher au doigt la formule ; qu’il justifie de la propriété et de la suffisance de son point de vue ; que par la puissance des divisions et des groupes, par la magie des figures, il me montre, pour ainsi dire, in concreto, la vérité de ce qu’il affirme ; surtout que dans la conclusion il ne dépasse jamais le champ de la série.
Mais avant d’exiger des auteurs de telles conditions de certitude, il faut apprendre à ceux qui lisent, aussi bien qu’à ceux qui écrivent, ce que c’est que phraser et ce que c’est que prouver.
Tout le fatras, l’obscurité, les contradictions, l’entortillage, les inextricables paralogismes, les sophismes brillants et les séduisantes chimères dont nos livres regorgent ; toutes les incertitudes de l’opinion, les bavardages de la tribune, le chaos dans les lois, l’antagonisme des pouvoirs, les conflits administratifs, le vice des institutions, viennent de notre misérable logique, de notre logique anti-sérielle.
Quelques exemples nous enseigneront l’usage de la série dans la réfutation et la critique, et termineront ce paragraphe.
290. III. Sophismes. Toute erreur vient originairement ou de l’absence de série, ou d’une violation de la série.
« Là où il n’y a pas d’hérédité, il n’y a pas de caste : il y a corporation. L’esprit de corps a ses inconvénients, mais est très-différent de l’esprit de caste. On ne peut appliquer le mot de caste à l’Église chrétienne : le célibat des prêtres a empêché que le clergé chrétien ne devînt une caste. » (Guizot, de la Civilisation en Europe.)
Avec cette manière de décider, on affirme tout ce que l’on veut, et l’on est dispensé de donner des preuves.
On croyait en France, avant 1789, que le clergé était une caste. Il formait le premier ordre de la nation, possédait un tiers des terres, s’imposait librement les secours qu’il jugeait devoir accorder à l’État, intervenait dans les affaires publiques et ne souffrait pas qu’on intervînt dans les siennes, percevait ses immenses revenus à titre de propriété, non de salaire, en un mot faisait tous actes d’indépendance seigneuriale et de privilége. Les prêtres n’avaient point de femmes, différant en cela de la caste nobiliaire ; ils se recrutaient par initiation ou adoption : à cette filiation spirituelle était attachée pour eux la survivance d’usufruit, l’hérédité. Rien de ce qui appartenait une fois à l’Église ne rentrait dans la nation ; au contraire, le clergé pouvait toujours recevoir (toujours prendre), ce qui est le caractère physiognomonique de la caste.
À côté de ce clergé existaient des corporations d’arts et métiers. Celles-ci étaient soumises à une loi commune, fraternisaient entre elles, se fournissaient réciproquement des sujets, ressortissaient des mêmes tribunaux. Bien que ceux qui en faisaient partie jouissent du mariage et de l’hérédité, leurs biens n’étaient point inaliénables ; eux seuls payaient l’impôt, et ne transmettaient à leurs enfants d’autre privilége que la roture, d’autre monopole que le travail. Ces corporations ne formaient point caste.
Ainsi l’inégalité devant la loi, la propriété inaliénable, le monopole de la fonction, le privilége de l’oisiveté, la différence de juridiction : voilà ce qui constitue la caste ; l’hérédité, conséquence de la génération ou de l’adoption, la soutient. Autre chose est le droit de caste, autre chose le mode de sa transmission.
Or, c’est la distinction des individus en nobles et roturiers, en propriétaires inamovibles et possesseurs sujets à l’expropriation, en monopoleurs et monopolisés, et non pas en mariés et célibataires, qui, dans tous les pays du monde, a produit différentes catégories de personnes, les unes que nous marquons du signe positif :
Noblesse héréditaire, Magistrature héréditaire, Clergé propriétaire, Privilége, monopole inaliénable. |
} | + Caste. |
Les autres que nous affectons du signe négatif :
Fonctionnaires amovibles ; Industriels, commerçants, laboureurs, exposés aux chances de l’expropriation, etc. ; Soldats privés du droit à l’avancement ; Ouvriers et compagnons ; Serfs, mainmorte blés, emphytéotes, parias. |
} | — Caste. |
Depuis la révolution, le clergé a perdu ses biens ; les prêtres, salariés de l’État, ont été mis au niveau civique ; l’Église a été dépouillée de ses priviléges, et la caste sacerdotale supprimée. Mais voici que le clergé réclame le monopole de l’enseignement aussi bien que celui du culte ; que les évêques et les séminaires se livrent au négoce, accumulent des capitaux, acquièrent des propriétés, s’indignent d’être salariés et travaillent à ressaisir leur ancienne influence. Or, de par la révolution, le clergé ne faisait plus caste : qu’est-ce donc qu’il tend à redevenir ? Changez le nom, si vous voulez, vous ne changerez pas la chose. Il suffit de former la série, pour montrer ce que fut, ce que veut être le clergé.
291. La confusion des séries est surtout familière aux casuistes, avocats, jurisconsultes, administrateurs, gens chargés d’expliquer la morale et d’appliquer la loi, la plupart incapables d’échelonner une suite de principes, et auxquels il suffit presque toujours que la matière du fait change pour faire varier leur jugement. Nulle part autant qu’au barreau vous n’entendez parler de genres et d’espèces ; mais nulle part aussi vous ne trouvez un tel art de sophistication, une telle confusion de séries. De temps en temps, l’expérience administrative et judiciaire révèle quelqu’une de ces longues erreurs : alors un tremblement général se fait sentir dans la société et menace d’engloutir l’édifice.
On s’est aperçu, par exemple, qu’il était injuste, absurde, funeste aux débiteurs et aux créanciers, que, pour un billet protesté, on pût saisir, exproprier et vendre, en quarante-huit heures et presque sans frais, un mobilier de vingt mille francs ; tandis que les frais et formalités de saisie d’un demi-arpent de terre étaient tels qu’un créancier aimait mieux perdre sa créance que de faire valoir son hypothèque. Aux yeux de la raison, de la justice, de la morale, de l’économie, les obligations sont parfaitement égales : pourquoi une semblable différence de procédure ?… Il s’agit donc d’opérer sur ce point une réforme ; les cours royales sont consultées ; la question est pendante : or, quelle que soit la décision, on peut dire que les conséquences en seront incalculables. En effet, l’inviolabilité est-elle conservée à la propriété immobilière, la société est assise sur un abus, le crédit est impossible et fait place à l’usure. Au contraire, la réforme proposée est-elle admise, les immeubles entrent en circulation, le sol fuit sous nos pieds, les maisons dansent sur la place publique comme les vaisseaux sur l’Océan. Qui peut dire où aboutira cette mobilité universelle ?…
Il reste un moyen, c’est de ramener l’obligation commerciale et l’obligation hypothécaire à une série supérieure, qui d’un point de vue plus élevé statue spécialement sur l’une et sur l’autre.
292. La série est la condition nécessaire de l’ordre, de la force, de la beauté, de la vie, de la pensée, de l’action : tout ce qui manque à cette condition est ruineux, inorganique, impuissant, non viable, faux. Ce principe posé, il est facile de juger, à priori et sans attendre l’expérience, de la valeur d’une hypothèse et de la vérité d’un système : il suffit d’examiner si cette hypothèse ou ce système satisfait aux lois de la série.
On lit, au commencement du code d’Instruction criminelle, la liste des officiers de police judiciaire :
1. Gardes champêtres et forestiers ; 2. Commissaires de police ; 3. Maires et adjoints du maire ; 4. Procureurs du roi et leurs substituts ; 5. Juges de paix ; 6. Officiers de gendarmerie ; 7. Commissaires généraux de police ; 7. Juges d’instruction. |
} | Police. |
Ajoutez, comme auxiliaires, les préfets, sergents de ville, inspecteurs de l’esprit public, et mouchards.
Il y a là évidemment l’ébauche d’une série de fonctionnaires publics ; mais quel est le caractère spécifique (le point de vue) de cette série ? quel rapport, soit de subordination, soit de hiérarchie, unit entre eux ces fonctionnaires ? Comment ces individualités forment-elles un tout, un organisme, un institut ? Quelques-uns de ces personnages sont les valets des autres ; d’autres cumulent des attributions qui devraient être séparées ; la plupart sont établis dans un but de répression, de despotisme et d’espionnage : je cherche des sentinelles armées pour la protection des personnes ; je ne découvre guère que des satellites du pouvoir. La série des officiers de police judiciaire est un monstre composé de membres arrachés à vingt cadavres : j’en conclus que notre police ne peut être utilement et régulièrement exercée ; qu’elle est tracassière, indiscrète, hostile à la liberté des citoyens, autant au moins qu’à l’industrie des vagabonds et malfaiteurs ; moins redoutable, enfin, à la corruption, au monopole, à l’agiotage, qu’au travail et aux mœurs.
293. Lorsque Condillac, résumant son traité de grammaire générale, s’exprime en ces termes :
- « Il ne faut que des substantifs pour nommer tous les objets ;
- « Il ne faut que des adjectifs pour exprimer toutes les qualités ;
- « Il ne faut que des prépositions pour exprimer tous les rapports ;
- « Il ne faut que le verbe être pour prononcer tous les jugements ; »
je puis, sans remonter à l’origine des langues et sans en dresser l’inventaire ; sans me perdre dans l’étymologie et les accidents de la dérivation ; sans m’informer si, par exemple, dans la première période du langage, le substantif et l’adjectif n’étaient pas le même vocable ; si le verbe être n’est point une création de la raison postérieure à l’organisation des idiomes primitifs ; si dans le verbe il ne faut pas considérer autre chose que l’existence : je puis, dis-je, reconnaître, à première vue, que la théorie de Condillac est vicieuse et son système grammatical formé d’éléments mal assortis.
Condillac, cherchant la série des éléments primordiaux du discours, a pris pour point de vue, d’un côté les choses (essences, qualités, rapports) ; de l’autre, la raison : c’est-à-dire, pour employer ici le langage de l’école, qu’il a procédé tout à la fois à parte rei et à parte mentis, en d’autres termes, qu’il a confondu l’objectif et le subjectif. Voici la figure :
Parties du discours d’après les objets, | { | Substantif, Adjectif, Préposition. |
|
Partie du discours d’après le sujet, | I | Verbe être. |
Comment réunir en un seul genre ces quatre espèces ?… La théorie est donc fausse ; car, puisqu’il s’agit d’une science, il faut une série ; puisqu’il s’agit des éléments de cette science, il faut que la série soit simple, par conséquent la dualité du point de vue n’y peut être admise, et c’est le premier défaut de la classification de Condillac.
Puis, en supposant que l’objectif et le subjectif aient dû entrer l’un et l’autre comme points de vue dans la détermination des espèces grammaticales, il fallait systématiser, je veux dire réunir en série composée ces espèces ; montrer que la nature et la pensée s’y rencontrent chacune dans une proportion certaine ; que les formes du discours reproduisent, du côté de la nature, non-seulement les objets, les qualités et les rapports, mais aussi les causes, les forces, les actions et réactions ; du côté de la pensée, non-seulement le jugement, mais encore la comparaison, l’imagination, la mémoire, les passions.
En toute hypothèse, la théorie de Condillac est fausse, et il est impossible qu’elle ne le soit pas : c’est ce que nous avions à démontrer. Quelle est maintenant la véritable série des parties du discours ? c’est au philologue à nous l’apprendre. La métaphysique n’est point une méthode d’invention (194), mais un instrument de démonstration et de vérification, en un mot un critérium.
294. Peu de gens, en France, ont lu la Critique de la raison pure, beaucoup moins ont cherché à s’en rendre compte : j’ajoute qu’à moins d’une métaphysique plus haute, le système de Kant pouvait difficilement être, je ne dis pas jugé, mais compris. Une opération semblable à celle qu’on vient de lire montrera la valeur des catégories de Kant.
Il semble d’abord que la division des catégories en quatre familles, Quantité, Qualité, Relation, Modalité (cette dernière a rapport aux formes du jugement), soit une imitation de la série grammaticale, Substance, Qualité, Rapport, Jugement ; si bien que le philosophe allemand présente déjà, comme le grammairien français, la confusion de l’objet pensé et du sujet pensant, confusion de laquelle on a vu qu’il ne pouvait sortir une classification régulière. Toutefois, sans rien induire de cette ressemblance fâcheuse, examinons en eux-mêmes les genres et espèces métaphysiques de Kant (210, 281).
Kant établit quatre classes, égales entre elles, de catégories : Quantité, Qualité, Relation, Modalité, renfermant chacune trois catégories subalternes.
Dans la classe de Relation, il comprend les idées générales de Substance et de Cause : c’est renverser l’ordre généalogique des concepts. L’esprit pense d’abord la chose, puis la quantité et la qualité de cette chose. Les concepts de Substance et Cause, parallèles entre eux, c’est-à-dire primitifs et congénères, mais logiquement successifs, doivent ouvrir le tableau des catégories, et marcher avant leurs prédicats de quantité et qualité, subdivisés à leur tour en thèse, antithèse et synthèse.
Chose singulière, la méprise de Kant vint d’une illusion optique : ce profond analyste ayant accouplé les mots substance-attribut, cause-effet, action-réaction, remarqua qu’ils étaient corrélatifs l’un à l’autre, et les rangea en conséquence sous la rubrique Relation, faisant ainsi d’une fiction logique un concept transcendental de la raison. Il oubliait que l’attribut et le phénomène ne sont que la substance et la cause perçues par nous, c’est-à-dire manifestées dans la Série, et que, s’il convient de faire de celle-ci une catégorie à part, elle ne doit point être dissimulée sous celles de Substance-attribut, Cause-effet, parce que ces prétendus rapports n’existent pas.
Quant au concept de Modalité, isolé, pour ainsi dire, dans le tableau de Kant, il est à la série ce que la quantité et la qualité sont à la substance et à la cause, et conséquemment il rentre dans la sphère de l’objectif. En effet, les catégories de modalité sont relatives à la forme des jugements : or, qu’est-ce que raisonner ? c’est sérier ; qu’est-ce que juger ? c’est reconnaître la série. Donc la forme des jugements est identique à la forme des séries ; par conséquent le jugement tire ses lois non de lui-même, mais des choses (§ vii). Ainsi les catégories de modalité sont, comme les autres, données empiriquement, et, sous ce rapport, le tableau de Kant est plus régulier qu’il ne le croyait lui-même.
295. Mais pourquoi quatre classes de catégories ? Kant lui-même l’ignorait : frappé de la régularité tout artificielle de son système, et ne soupçonnant pas les changements à vue de la loi sérielle, il attribuait à l’ordonnance de ces catégories un caractère de nécessité qui ne s’y trouve pas, et prenait cette ordonnance même pour une démonstration. Il s’agit donc de rendre raison de la distribution quaternaire des catégories.
Kant, ainsi que je l’ai précédemment fait observer (281, note), reconnaissait deux concepts transcendentaux de l’entendement, l’espace et le temps ; plus, quatre classes de concepts de la raison pure, quantité, qualité, relation, modalité : en tout six. Le concept transcendental de nombre, division ou diversité, qui engendre la série et ses dépendances, a disparu dans ces quatre classes, qui toutes le supposent, et où il est facile de le reconnaître. En effet, quantité, qualité, rapports et modes ne se conçoivent que d’un objet nombre, divisé, différencié, sérié, figuré ; bien plus, ne peuvent affecter que des séries.
Le concept de nombre ou division, générateur de la loi sérielle, ayant donc été omis dans l’esthétique transcendentale, il y eut une lacune entre les concepts de l’entendement et ceux de la raison ; puis, les catégories de substance et de causalité disparaissant sous une fiction logique, et la série se produisant sous le nom de modalité, au lieu du développement ternaire :
Espace, | Temps, | Nombre, | |||
Substance, | Cause, | Série, | |||
Quantité, | Qualité, | Modalité, |
on obtint par cette soustraction une série binaire redoublée :
Kant observe que les catégories de la raison pure se divisent en deux parties, l’une qu’il nomme catégories mathématiques, quantité et qualité ; l’autre, catégories dynamiques, relation, modalité. Cette distinction s’explique d’elle-même : les quatre classes de concepts étant soumis à l’influence secrète de la série, qui les précède dans l’ordre ternaire, la série les détermine nécessairement selon qu’on la considère elle-même, d’une part, dans ses éléments et ses formes ; de l’autre, dans sa puissance et ses propriétés (§ vii).
Kant aurait pu remarquer de même que la première division est gouvernée par le concept d’espace et la seconde par le concept de temps. La raison de ces analogies se trouve dans l’origine, ou, si l’on aime mieux, dans la cause occasionnelle de ces deux concepts, donnés, l’un par la perception des corps (étendus et figurés), l’autre par la perception des phénomènes, du mouvement et de la vie. Pour le lecteur intelligent, je n’ai pas besoin d’insister davantage.
Enfin, au delà des classes, Kant abandonne la distribution par deux et par quatre, et revient à la distribution par trois :
Unité, | pluralité, | totalité | |||
Réalité, | négation, | limitation, etc. |
C’est que le système ternaire se développant de lui-même et fatalement sous la triple influence de ses points de vue générateurs (280 et suiv.), une fois la distribution par quatre engagée dans les termes de la distribution par trois, elle était forcément entraînée dans son mouvement.
Ainsi de cela seul que Kant ne connaissait pas la série, et faisait des concepts de substance et de cause un groupe artificiel, il fut amené, par les nécessités de la logique, à une classification d’abord quaternaire des concepts, classification qui suppose partout le nombre et la diversité comme condition formelle de l’intuition synthétique, et rappelle constamment la série comme le seul thème dans lequel nous soient donnés la quantité, la qualité, la relation et le mode. Arrivé là, le système devait reprendre la forme ternaire, qui est pour nous celle des grandes divisions de la nature.
Autant qu’on pouvait l’espérer d’une métaphysique qui n’atteignait pas la loi sérielle, les catégories de Kant sont irréprochables.
296. Ainsi que Kant, Fourier eut le rare privilége qu’aucun de ses contradicteurs n’a pu jusqu’ici entamer son système, aucun de ses disciples en rendre compte. On s’est soulevé contre ses paradoxes ; on a démontré maintes fois l’inexactitude de ses assertions, ou pour mieux dire de son langage ; mais en somme la théorie de Fourier est debout ; la critique n’a fait encore que gambader devant elle. Pour juger ce réformateur, il ne fallait pas moins qu’une réforme de la logique.
L’instinct de Fourier le conduisait à la sériation des idées : j’en ai rapporté plusieurs preuves. Mais, comme il n’avait point approfondi les règles de cette dialectique, comme il ne connaissait la série, pour ainsi dire, que de nom et par une intuition irréfléchie, il remplit ses ouvrages de formules extraordinaires, attrayantes pour des esprits artificieux, mais dont ni lui, ni aucun des siens, ne sut jamais constater la vérité ou l’erreur.
Le défaut habituel de Fourier est, au lieu d’expliquer les faits, de vouloir les deviner, les créer par ses formules. Voici comment il détermine l’état physiologique de l’homme dans l’autre monde :
« Des corps éther-aromaux que reprendront nos âmes et du séjour ultra-mondain. On n’a sur ce sujet aucune idée régulière, parce que la science n’a pas su classer les éléments en quadrille régulier, avec pivot et analogies :
279. The most magnificent example of a systematic series engendered by the multiplicity of the point of view, is that offered to us by the development of the human mind.
Man knows nothing except through experience: the senses are the vehicle of all his ideas. It is the spectacle of nature that first gives our understanding its form and its laws (§ vii), and that later imprints on our opinions and our prejudices the character that distinguishes them: religions, philosophies, learned methods, are given to us by external observation. This is demonstrated by the successive analysis of ideas, and by their general reduction to a primary intuition, grasped by thought as a type.
Now, this classification of ideas, considered only from the point of view of the objectivity of their origin, only gives rise to a simple series: but if, taking up the different terms of this series, we study them in their proper essence, that is to say, in the special intuition that gave birth to each of them, there will result from their comparison a new series, which will be like the genealogical and progressive table of human opinions. This is the system pursued with such ardor by the Dupuis, the Volneys, the Tennemanns, and other historians of religious and philosophical opinions, a system which we possess today in its broadest divisions (70, 71, 142), but which, for the details, is still far from being completed.
280. The historical order is not the only one to which human opinions and knowledge are subject. The scholar Ampère presented its development under an ingenious formula, no less sure than the historical synthesis (173); finally, I offered a fragment of a third systematization, on which I beg the reader to be good enough to dwell for a few more moments.
The division of nature into three kingdoms, Mineral, Vegetable, Animal, so easy to grasp for intelligences least capable of abstraction, seems to have furnished the oldest division of the faculties of man and of the categories of the understanding. Now, from this division of the human subject, itself deduced from the division of nature, we can derive an infinite systematization of all our operations and knowledge.
Follows the nomenclature of industries, arts and sciences; that of moral and religious ideas, and finally the distribution of public functions.
281. What is striking in this system is the relation of progression and regression of the terms to one another, in whatever sense they are considered.
A) Experience reveals to us three great manifestations of being: raw bodies, non-sensible organized beings, organized and sensible beings. According to this triple manifestation, reason is naturally led to suppose in nature three independent principles: matter, life, mind. [33] But the mind manifests itself only on the condition of life; and the latter, in order to appear, demands in its turn a body which it animates and organizes. There is therefore dependence and progress, at least as far as our perception is concerned, between the three manifestations of being.
Likewise, without activity or proper energy, there is no liberty; without sensibility, activity would sleep in eternal rest. Some excitation must awaken the activity and pull it out of its numbness so that it bursts into its spontaneity and distinguishes itself from all that is not itself. On the other hand, as in the previous series, matter does not necessarily lead to life, nor life to mind; in the second series, activity does not invincibly presuppose consciousness or liberty, and sensibility is conceived without a deployment of interior force, in a word, without activity.
Same observation on memory, imagination, judgment. Judgment is the synthesis of two or more ideas, chosen by the imagination from the storehouse of memory.
Passing to the fundamental concepts of reason, space is placed before time, because, in the order of acquisition of concepts, the first is necessary for the conception of the second. Just as in the self time is given by the succession of ideas, so in the world time is given by the succession of movements which occur in space. — To these two concepts I add that of number, that is to say, division, or diversity, omitted by Kant in the enumeration of the concepts of the understanding, but which belongs to transcendental aesthetics as well as those of time and space, since, without this concept, no perception, no phenomenon is possible. For suppose in space an infinite but identical substance; in this substance, an infinite force, but at rest; and in this force one self: you will have the four fundamental concepts of space, time, substance and cause, all the matter of the universe and of knowledge. And yet this universe will still lack a formal condition of existence; to this self, a formal condition of apperception, knowledge, the differentiation of the same, diversity in time and space. Number (division, multiplication, diversity), as well as time and space, is therefore necessary for the formation of our ideas: it precedes, to use Kant’s language, the categories of pure reason, that is, the general points of view according to which any series is possible; but it presupposes time and space, something that can be increased, divided, diversified. [34]
After space, time and number, the formal conditions of apperception, comes the very matter of knowledge, that is, substance, cause and series. Now, the cause supposes a substratum, a substance in which it resides and from which it springs; the series results from the action of the cause on a divisible and differentiable substance: for a long time nothing has been left to say on this subject.
I will only say a word about the order in which I have followed the three manifestations of man in society, knowledge, language, labor, and association. It seems, at first sight, that language and labor are rather social effects than conditions of society: indeed, man only labors successfully in proportion to the number of his collaborators (division of labor); the isolated man does not speak. But as it is less a question here of the agglomeration of individuals than of the very organization of citizens, we find, on looking more closely, that men spoke long before having formed regular societies; then, that the social science, which is barely beginning to be born, results above all from the laws of production, of the economy. Thus association is given by the division of labor, which presupposes the communication of men among themselves by speech.
I leave it to the intelligent reader to apply these observations to the rest of the table.
B) We have recognized, in the horizontal development of the terms, a regressive series from right to left: let us now consider the development of each column from top to bottom; the analogy of terms is such that it would be impossible to make the slightest change without breaking the harmony at all, and throwing confusion into the system.
First column.
Matter, first principle, passive, subject and link of phenomena.
Sensibility, receptive faculty, matrix and foundation of knowledge, subject of feelings and ideas.
Memory, warehouse of ideas, serving faculty, responsible for furnishing the intelligence with its materials.
Space, concept given by the abstraction of matter.
Substance, concept given by the abstraction of the properties of matter.
Quantity, concept of being as capable of appreciation and measurement.
Noun, designation of the thing and of the attribute.
Industry, transformation and appropriation of things through work.
Workshop, series of producers, first social category.
Second column.
Life, driving principle, dividing, blind.
Activity, ability to react on sensations and to extract representations from them.
Imagination, power to bring ideas together.
Time, concept given by the abstraction of phenomena or movement, that is to say, manifestations of universal life.
Cause, concept given by the succession of movements.
Quality, concept of being, as endowed with tendential properties, virtues or faculties.
Verb, sign of action, movement, life.
Art, realization of the beautiful (concept of quality) by industry.
Commerce, circulation of wealth, life of society.
Third column.
Mind, impassive principle, inactive, seer, comparing, directing, unifying.
Liberty, proper name of consciousness or of the self: faculty of synthetically uniting representations. (Free will, the ability to choose between two determinations, results from the union of activity and freedom.)
All the observations set out in the text can be applied to this table. Below (§ vii) we will show how all the concepts, not excepting those of space and time, are given in the series.
Judgment, ability to pronounce on the suitability and disagreement of ideas.
Number, concept given by the comparison of ideas.
Series, general concept of the synthesis of ideas.
Modality, general concept of the forms, properties, and powers of the series.
Relation, sign of the relationships of beings and their attributes, causes and their effects.
Science, description of the laws and relationships of beings.
Government, synthesis of society, by the distribution of labor and the distribution of the product.
Each of these columns is like a family of ideas struck at the same corner and presenting the same character.
C) The progression between the terms of the table does not only exist in the horizontal groups and in the columns; it is found again from one ternary to another ternary, so that the first term of the lower group sums up the terms of the upper one.
Thus, in these four terms, Matter, Life, Mind, Sensibility, the progression is continuous: indeed, by what first manifests the organic union of the three principles? by sensitivity. Lapides crescunt, vegetalia crescunt et vivunt, animalia crescunt, vivunt et sentiunt, says Linnaeus. This means that there is matter in the stones; matter and life in plants; matter, life and spirit in animals. Sensibility, the faculty of feeling, is the first thing that separates the animal kingdom from the vegetable kingdom: whatever the principle, real or formal, of this faculty, we call this principle, Mind.
Likewise, memory results from the synthetic union of sensibility, activity and liberty, or consciousness. When the self distinguishes itself through thought and grasps itself, it first recognizes itself by its permanent identity. Now the permanence of the self in the succession of ideas properly constitutes memory.
The same thing takes place for the concepts: substance is, for the thought, only the synthesis of the three formal conditions of the sensible intuition, space, time, number; that is to say, something that is extended, which lasts and is measured. Moving on to the next ternary, the quantity is a predicate of the series (composed of elements or units).
Below the concept of modality begins the division of human knowledge, of which language, labor, and society form the major and parallel orders, orders that, consequently, no longer present this spanning from one to the other.
I only knew the Critique of Pure Reason through mediocre analyses, and I had barely heard of Hegel when, preoccupied with Trinitarian ideas, I was constructing the system of which I have just reported the fundamental part. It was for me like a preparation for the serial theory, which under various names I never ceased to pursue, and of which I finally acquired the intelligence the day when, tired of systems in which I found myself imprisoned, I formed the project, to have the open sea, not to give up but to resolve all the systems into each other. Then I understood, at a stroke, the independence of the various orders of series and the impossibility of a universal science; the laws of the simple series, and the elements of synthesis.
282. Only two terms are needed to form a simple series; it only takes three to form a system. Two basins of the same metal, of equal diameter and of similar shape, placed on a bar, at equal distance from the middle, form a simple series; suspend this bar on a pivot, so that its free ends act as a counterweight, you will have a system: the Balance.
Since Kant, the dialectic has been enriched by a previously little-known figure, for which the balance seems to have served as a model; I have already spoken of it in § 3 of this chapter in connection with the categories. It consists in the fact that, two antithetical terms being given, there results from their union a third term, different from the two others, and resolving them by a sort of balance or equation. First, here is the figure, which can be arranged in two ways:
Thesis Antithesis |
} | Synthesis |
Or,
Thesis — Antithesis
Synthesis.
The following examples, taken from Kant’s categories, show the use of this figure:
Unity Plurality |
} | Totality | Réality Negation |
} | Limitation |
The concepts of unity and plurality joined together produce that of totality: reality and negation balanced by each other give the idea of limit.
When the figure is regularly constructed, when the first two terms are in real opposition, and when the third resolves them into a distinct idea, the demonstration is peremptory: there are three correlative terms, but from each of which the same thing cannot be affirmed. It is thus that the first three chapters of this work form between them a progression according to which, the third term being admitted, the two others must be individually rejected.
Thesis. Antithesis. |
Religion. Philosophy. |
{ | Synthesis. Métaphysics. |
What is the essential attribute of Religion? Faith.
What is that of Philosophy? The need to realize, sophistry.
As long as man believes without reasoning, he does not know;
As long as he searches and argues, he does not know;
When he believes in the authority of a certain demonstration, he knows.
Science, by satisfying both the need to believe and the need to understand, resolves faith in reasoning, and puts an end to disputes through evidence: there is no longer any need, after this synthesis, for philosophy or religion.
So when M. Pierre Leroux announces that the religion of the future will be philosophical, or else, which in his mind amounts to the same thing, that philosophy will be religious, M. Pierre Leroux draws the scales, but he does not make the weighing. The accord of faith and reason will not produce a new Christianity, nor a progressive religion, nor a philosophy of science, nor a transcendental eclecticism; this agreement, hitherto impossible to find, will be pure science or will be nothing: philosophers and theologians, you must resolve to do so.
283. Synthesis does not really, but formally, destroy thesis and antithesis: thus, in the preceding example, the objects of faith are not denied, but explained; philosophical investigation is not suppressed, but directed by the method. The method, in a word, abolishes religion and philosophy, not in their content, but in their form.
Synthesis is not a happy medium: one believes, or one denies; one reasons, or one abstains; we know, or we do not know. In religion and philosophy, the happy medium is a betrayal: in science, it is an absurdity.
Neither is synthesis an eclecticism: it does not consist in welding half of an idea to half of another idea: it is the complete resolution and the intimate combination of the thesis and the antithesis.
Thus, when I maintained that pure property and pure community were two simple and antithetical principles, neither of which could serve as the basis of social organization and of a science of right, and that it was necessary to seek in their synthesis the superior principle of society, the critics had the right to say to me: Expose this synthesis; they should not accuse me, as they did, of pushing for the invasion of properties, since according to my own dialectic that would have made synthesis impossible; nor did they need to cry out that outside property and community there was nothing, since it was a question of uniting them synthetically.
284. The compound or systematic series is susceptible of numerous forms: staggered or graduated, as in the animal and vegetable kingdoms: it is the most ordinary form in works of reasoning, in which one proceeds by divisions and subdivisions of the subject; — centralized or pivoting, as in the planetary system; — periodical, as in the history of social, religious, and philosophical revolutions; — balanced, as in Kant’s categories; — symmetrical, as in the ternary and quaternary encyclopedia systems; — harmonic, as in poetry and the arts; organized,as in animals and plants, etc. These various forms can also be married together, as in the ode, where the rhythm, the measure and the period are found at the same time.
285. What gives form to the simple series is the relation, sometimes of equality, sometimes of progression, of power, etc., which unites the members of the series (229); what gives form to the composite series is, moreover, the plurality and arrangement of points of view. This is observed in the most restricted of the composite series. Indeed, two things are to be considered in the number, the unity and the plurality: bring together by thought these two points of view of any measurable magnitude, you will have the complex idea of totality, which is not unity to the exclusion of plurality, nor plurality to the exclusion of unity, but both simultaneously. In this series the point of view is double, and thereby presents an opposition; which would not take place if it were triple quadruple, or of a higher degree. This is why, in the ternary system exposed above, the point of view being triple (matter, life, spirit), the third term of each groupis not the synthesis of the other two, although by continuing to develop this system, it can sometimes happen.
286. What we have just said about the systematization of series can give an idea of the great laws of nature, and will suffice for the understanding of the following chapters. The equation and the totalization in diversity, that is to say the series, its elements and its laws: such is, in the last analysis, the mystery of reason and of the universe.
From this exposition it will be understood, I hope, that a system of philosophy, politics, literature, or art, is not something arbitrary, a creation of the understanding; any more than the systems of Copernicus and Ptolemy, of Linnaeus and Jussieu, of Buffon and Cuvier, of Lavoisier and Davy were inventions of these great men. Provided that an author is faithful to his starting point, that his reasoning is based on a constant reason, that he does not venture, without a dialectical compass, on the ocean of speculation, the system that he will have produced may be more or less comprehensive and account for a greater or lesser number of facts; but it will always be a necessary conception, independent of the will, for which conscience and reason cannot be responsible. It is, in short, with our ideas as with unorganized bodies and living beings: subject in themselves to a natural and determined order, and capable moreover of being co-ordinated by the respective influence of their elements, and of serving in turn as point of view and reason, as engrenage and pivot, to an infinite variety of combinations and systems.
287. If this is so, we can hope to arrive one day at a theory of the beautiful, according to which painting, architecture and statuary would be treated as exact sciences, and artistic composition assimilated to the construction of a ship, to the integration of a curve, to a calculation of forces and resistances. It is then that the artist, formerly a man of imagination and faith, becoming a man of reasoning and science, would shine in the first rank in the sphere of pure reason; his mission would be to synthesize on canvas and marble, by color and chisel, the most diverse points of view, the elements whose determination and series are eminently transcendental: society, history, mores, laws, beliefs, relations physical and moral, passions, ideas, with creation as a backdrop and infinity as a frame. Then we would understnad that the works of art, like those of nature, are as much more beautiful and ravishing as they are subject to more exact laws, to a more profound and more complicated seriality: that here too reflection and method infinitely surpass the happiest instinct, and that the moment is approaching when, thanks to the theories of aesthetic synthesis and serial integration, the reasoned production of beauty will prevail over the marvels of beauty. spontaneous inspiration, as much as modern science prevails over ancient fables, and the philosophy of history over legend.
288. But before plunging into this limitless perspective, let us take care of everything to ensure the foundations of our observatory.
Two things now seem to be acquired by science:
1. To reason, to create systems, is to find series;
2. The series, that is to say any apperception of the mind, any operation of the understanding, can be made perceptible to the eye itself, either by the group, or by the progression, the opposition, the symmetry, etc., of the species in the group.
Writing painted only speech; the musical scale, with its notes and its keys, represents only sounds; the signs of arithmetic and algebra recall only numbers and proportions; the figures of geometry express only relations of solidity and surface. Serial theory gives substance to ideas, represents abstraction, and sheds an equal light on the universality of knowledge, through the construction of concepts and the interplay of series.
289. Let him therefore who devotes himself to the teaching of men, who undertakes to reform their prejudices and rectify their judgments, know his duties. I want the writer, more a friend of the truth than of the glory of the well-said, more eager to convince me than to surprise me, without neglecting the elegance of the style, the force of the thought, the speed of the exposition, shine before my eyes, in a penetrating analysis, the relation of the terms that he compares; let me touch the formula with my finger; let him justify the property and the sufficiency of his point of view; let him show me by the power of divisions and groups, by the magic of figures, so to speak, in concreto, the truth of what he affirms; especially since in the conclusion it never goes beyond the scope of the series.
But before demanding from authors such conditions of certainty, those who read, as well as those who write, must be taught what it is to phrase and what it is to prove.
All the jumble, the obscurity, the contradictions, the twists and turns, the inextricable paralogisms, the brilliant sophisms and the seductive chimeras with which our books abound; all the uncertainties of public opinion, the chatter from the tribune, the chaos in the laws, the antagonism of powers, the administrative conflicts, the vice of institutions, come from our miserable logic, from our anti-serial logic.
A few examples will teach us the use of the series in refutation and criticism, and will end this section.
290. III. Sophisms. Every error comes originally either from the absence of a series, or from a violation of the series.
“Where there is no heredity, there is no caste: there is corporation. The esprit de corps has its drawbacks, but is very different from the esprit de caste. The word caste cannot be applied to the Christian Church: the celibacy of priests has prevented the Christian clergy from becoming a caste. (Guizot, de la Civilisation en Europe.)
With this way of deciding, one affirms all that one wants, and one dispenses with giving proofs.
It was believed in France, before 1789, that the clergy was a caste. It formed the first order of the nation, owned a third of the land, freely imposed on itself the assistance it deemed necessary to grant to the State, intervened in public affairs and did not allow anyone to interfere in its own, collected its immense revenues by title of property, not of wages, in a word, made all acts of seigniorial independence and privilege. The priests had no wives, differing in this from the noble caste; they were recruited by initiation or adoption: to this spiritual filiation was attached for them the survival of usufruct, heredity. Nothing that once belonged to the Church returned to the nation; on the contrary, the clergy could always receive (always take), which is the physionomic character of the caste.
Alongside this clergy existed associations of arts and crafts. These were subject to a common law, fraternized among themselves, provided each other with subjects, came under the same tribunals. Although those who were part of it enjoyed marriage and heredity, their property was not inalienable; they alone paid the taxes, and transmitted to their children no other privilege than commonness, no other monopoly than labor. These corporations did not form a caste.
Thus inequality before the law, inalienable property, the monopoly of office, the privilege of idleness, the difference of jurisdiction: this is what constitutes caste; heredity, the consequence of generation or adoption, supports it. The right of caste is one thing, the mode of its transmission is another.
Now, it is the distinction of individuals into nobles and commoners, into irremovable proprietors and possessors subject to expropriation, into monopolists and monopolized, and not into married and single, which, in all the countries of the world, has produced different categories of people, some of which we mark with the positive sign:
Hereditary nobility, Hereditary magistracy, Proprietary clergy, Privilege, inalienable monopoly. |
} | + Caste. |
The others that we affect with the negative sign:
Removable functionaries; Manufacturers, merchants, laborers, exposed to the chances of expropriation, etc. ; Soldiers deprived of the right of advancement; Workers and compagnons ; Serfs, mainmorte blés, longterm lessees, pariahs. |
} | — Caste. |
Since the revolution, the clergy have lost their property; the priests, salaried by the State, have been brought up to civic level; the Church has been stripped of its privileges, and the sacerdotal caste suppressed. But now we see that the clergy claims the monopoly of teaching as well as that of worship; that the bishops and the seminaries devote themselves to trade, accumulate capital, acquire property, are indignant at being wage-earners and work to regain their former influence. Now, because of the revolution, the clergy no longer formed a caste: what, then, is it tending to become again? Change the name, if you want, you won’t change the thing. It is enough to form the series, to show what the clergy was, what it wants to be.
291. The confusion of series is especially familiar to casuists, lawyers, jurists, administrators, people responsible for explaining morals and applying the law, most of them incapable of staggering a series of principles, and for whom it is almost always sufficient that the matter of the fact changes to vary their judgment. Nowhere so much as at the bar do you hear of genera and species; but nowhere also do you find such an art of sophistication, such a confusion of series. From time to time, administrative and judicial experience reveals one of these long errors: then a general tremor makes itself felt in society and threatens to engulf the edifice.
It was realized, for example, that it was unjust, absurd, fatal to debtors and creditors, that, for a protested note, one could seize, expropriate and sell, in forty-eight hours and almost free of charge, a furniture of twenty thousand francs; while the costs and formalities of seizing half an arpent of land were such that a creditor would rather lose his claim than enforce his mortgage. In the eyes of reason, of justice, of morality, of economy, the obligations are perfectly equal: why such a difference in procedure?… It is therefore a question of carrying out a reform on this point; the royal courts are consulted; the question is open: now, whatever the decision, we can say that the consequences will be incalculable. Indeed, is the inviolability preserved in real estate property, society is based on abuse, credit is impossible and gives way to usury. On the contrary, the proposed reform is admitted, the buildings enter circulation, the ground flees under our feet, the houses dance on the public square like the ships on the Ocean. Who can say where this universal mobility will end up?…
There remains a way, and that is to reduce the commercial obligation and the mortgage obligation to a superior series, which from a higher point of view rules especially on one and on the other.
292. The series is the necessary condition of order, of force, of beauty, of life, of thought, of action: whatever lacks this condition is ruinous, inorganic, impotent, unviable, fake. This principle being established, it is easy to judge, a priori and without waiting for experience, the value of a hypothesis and the truth of a system: it suffices to examine whether this hypothesis or this system satisfies the laws of series.
We read, at the beginning of the Code of Criminal Instruction, the list of judicial police officers:
1. Gardes champêtres et forestiers ; 2. Commissaires de police ; 3. Maires et adjoints du maire ; 4. Procureurs du roi et leurs substituts ; 5. Juges de paix ; 6. Officiers de gendarmerie ; 7. Commissaires généraux de police ; 7. Juges d’instruction. |
} | Police. |
Add, as auxiliaries, the prefects, sergeants of the city, inspectors of public spirit, and informers.
There is obviously the outline of a series of public functionaries; but what is the specific character (the point of view) of this series? What relationship, whether of subordination or hierarchy, unites these functionaries? How do these individualities form a whole, an organism, an institute? Some of these characters are servants of others; others combine attributions that should be separated; most are established with the aim of repression, despotism and espionage: I am looking for armed sentinels for the protection of people; I only discover the satellites of power. The series of judicial police officers is a monster composed of limbs torn from twenty corpses: I conclude that our police cannot be usefully and regularly exercised; that it is annoying, indiscreet, hostile to the freedom of citizens, as much at least as to the industry of vagabonds and criminals; less redoubtable, finally, to corruption, to monopoly, to speculation, than to work and morals.
293. When Condillac, summarizing his treatise on general grammar, expresses himself in these terms:
“Only substantives are needed to name all objects;
“Only adjectives are needed to express all the qualities;
“Only prepositions are needed to express all relationships;
“It only takes the verb to be to pronounce all judgments;”
I can, without going back to the origin of languages and without drawing up an inventory of them; without losing myself in the etymology and the accidents of the derivation; without informing mydrlg if, for example, in the first period of language, the substantive and the adjective were not the same vocable; if the verb to be is not a creation of reason posterior to the organization of primitive idioms; if in the verb one must not consider anything other than existence: I can, I say, recognize, at first sight, that Condillac’s theory is flawed and its grammatical system formed of ill-assorted elements.
Condillac, seeking the series of primordial elements of discourse, took as his point of view, on the one hand things (essences, qualities, relations); on the other, reason: that is to say, to use here academic language, that he proceeded both parte rei and parte mentis, in other words, that he confused the objective and the subjective. Here is the figure:
Parts of speech according to the objects, | { | Substantive, Adjective, Preposition. |
|
Parts of speech according to the subject, | I | Verb to be. |
How can these four species be united in a single genus?… The theory is therefore false; for, since it is a question of a science, a series is necessary; since it is a question of the elements of this science, the series must be simple, consequently the duality of the point of view cannot be admitted there, and this is the first defect of Condillac’s classification.
Then, supposing that the objective and the subjective had both had to enter as points of view in the determination of grammatical species, it was necessary to systematize, I mean to unite these species into a composite series; to show that nature and thought each meet there in a certain proportion; that the forms of discourse reproduce, on the side of nature, not only objects, qualities, and relations, but also causes, forces, actions, and reactions; on the side of thought, not only judgment, but also comparison, imagination, memory, passions.
In any event, Condillac’s theory is false, and it is impossible for it not to be: that is what we had to demonstrate. What is now the true series of parts of speech? it is up to the philologist to teach us. Metaphysics is not a method of invention (194), but an instrument of demonstration and verification, in a word, a criterion.
294. Few people in France have read the Critique of Pure Reason, far fewer have sought to realize it: I add that unless there was a higher metaphysics, Kant’s system could hardly be, I do not say judged, but understood. An operation similar to the one we have just read will show the value of Kant’s categories.
It seems first that the division of the categories into four families, Quantity, Quality, Relation, Modality (the latter relates to the forms of judgment), is an imitation of the grammatical series, Substance, Quality, Relation, Judgment; so much so that the German philosopher already presents, like the French grammarian, the confusion of the thought object and the thinking subject, a confusion from which, as we have seen, a regular classification could not emerge. However, without inducing any of this annoying resemblance, let us examine Kant’s metaphysical genera and species in themselves (210, 281).
Kant establishes four classes, equal to each other, of categories: Quantity, Quality, Relation, Modality, each containing three subordinate categories.
In the class of Relation, it includes the general ideas of Substance and Cause: this is reversing the genealogical order of concepts. The mind first thinks the thing, then the quantity and quality of that thing. The concepts of Substance and Cause, parallel to each other, that is to say primitive and congeneric, but logically successive, must open the table of categories, and march before their predicates of quantity and quality, subdivided in their turn into thesis, antithesis and synthesis.
Singularly enough, Kant’s mistake came from an optical illusion: this profound analyst, having coupled the words substance-attribute, cause-effect, action-reaction, noticed that they were correlative to each other, and arranged them accordingly under the rubric Relation, thus making a logical fiction a transcendental concept of reason. He forgot that the attribute and the phenomenon are only the substance and the cause perceived by us, that is to say manifested in the Series, and that, if it is appropriate to make of this a separate category, it must not be dissimulated under those of Substance-attribute, Cause-effect, because these pretended relations do not exist.
As for the concept of Modality, isolated, so to speak, in Kant’s picture, it is to the series what quantity and quality are to substance and cause, and consequently it enters into the sphere of the objective. Indeed, the categories of modality are relative to the form of judgments: now, what is reasoning? It is serious; what is it to judge? It is to recognize the series. So the form of the judgments is identical to the form of the series; therefore judgment derives its laws not from itself, but from things (§ vii). Thus the categories of modality are, like the others, given empirically, and in this respect Kant’s picture is more regular than he himself believed.
295. But why four classes of categories? Kant himself was unaware of this: struck by the entirely artificial regularity of his system, and not suspecting the changes at sight of the serial law, he attributed to the organization of these categories a character of necessity which is not there. not, and took this very prescription for a demonstration. It is therefore a question of explaining the quaternary distribution of categories.
Kant, as I have previously observed (281, note), recognized two transcendental concepts of the understanding, space and time; plus, four classes of concepts of pure reason, quantity, quality, relation, modality: in all six. The transcendental concept of number, division or diversity, which engenders the series and its dependencies, has disappeared in these four classes, which all suppose it, and where it is easy to recognize it. In fact, quantity, quality, relations and modes can only be conceived of a numbered, divided, differentiated, serial, figured object; much more, can only affect series.
The concept of number or division, generator of the serial law, having therefore been omitted in transcendental aesthetics, there was a gap between the concepts of understanding and those of reason; then, the categories of substance and causality disappearing under a logical fiction, and the series occurring under the name of modality, instead of the ternary development:
Space, | Time, | Number, | |||
Substance, | Cause, | Series, | |||
Quantity, | Quality, | Modality, |
we obtained by this subtraction a reduplicated binary series:
Space-time,
Quantity, Quality, — Relationship, Modality.
Kant observes that the categories of pure reason are divided into two parts, one that he calls mathematical categories, quantity and quality; the other, dynamic categories, relation, modality. This distinction is self-explanatory: since the four classes of concepts are subject to the secret influence of the series, which precedes them in the ternary order, the series necessarily determines them according to whether it is considered itself, on the one hand, in its elements and forms; on the other, in its power and properties (§ vii).
Kant could have remarked likewise that the first division is governed by the concept of space and the second by the concept of time. The reason for these analogies is found in the origin, or, if you prefer, in the occasional cause of these two concepts, given, one by the perception of bodies (extended and figurative), the other by the perception of phenomena, movement and life. For the intelligent reader, I need not insist further.
Finally, beyond the classes, Kant abandons the distribution by twos and by fours, and returns to the distribution by threes:
Unity, | plurality, | totality | |||
Reality, | negation, | limitation, etc. |
This is because the ternary system developing by itself and inevitably under the triple influence of its generative points of view (280 et seq.), once the distribution by four engaged in the terms of the distribution by three, it was necessarily drawn into its movement.
Thus from the fact alone that Kant did not know the series, and made the concepts of substance and cause an artificial group, he was led, by the necessities of logic, to a classification of concepts that was at first quaternary, a classification that everywhere supposes number and diversity as the formal condition of synthetic intuition, and constantly recalls the series as the only theme in which quantity, quality, relation and mode are given to us. Arrived there, the system had to resume the ternary form, which is for us that of the great divisions of nature.
As much as one could hope from a metaphysics that did not reach the serial law, Kant’s categories are irreproachable.
296. Like Kant, Fourier had the rare privilege that none of his opponents has hitherto been able to undermine his system, none of his disciples to account for it. People have risen up against his paradoxes; the inaccuracy of his assertions, or to speak more correctly of his language, has been demonstrated many times; but on the whole Fourier’s theory is standing; criticism has still only frolicked before it. To judge this reformer, nothing less than a reform of logic was needed.
Fourier’s instinct led him to the seriation of ideas: I have reported several proofs of this. But, as he had not deepened the rules of this dialectic, as he knew the series, so to speak, only by name and by an unthinking intuition, he filled his works with extraordinary formulas, attractive to artful minds, but of which neither he nor any of his family was ever able to ascertain the truth or the error.
Fourier’s habitual defect is, instead of explaining the facts, to want to guess them, to create them by his formulas. This is how he determines the physiological state of man in the other world:
“Of the ether-aromal bodies that our souls will take over and of the ultra-mundane abode. We have no regular idea on this subject, because science has not been able to classify the elements into a regular quadrille, with pivot and analogies:
Amitié. | Terre. | Air. | Ambition. | |||
Famille. | Eau. | Arome. | Amour. |
Je supplie le lecteur de ne pas s’impatienter en voyant une si prodigieuse aberration d’intelligence. Nous avons devant nous un esprit vigoureux, mais révolté et solitaire, qui cherche la vérité en dehors des notions communes, l’entrevoit un instant et s’égare misérablement. Fourier avait appris dans le catéchisme que les qualités des corps glorieux, après la résurrection, seront la clarté, l’agilité, l’impassibilité et la subtilité. Travaillant sur cette donnée, il entreprit de découvrir quels éléments entraient dans la composition de ces corps, et ce fut alors qu’il imagina de mettre en contredanse les éléments, avec les passions affectives pour partenaires. Dans ce quadrille, le FEU conduit la musique et commande les figures !
D’après cette contre-proposition de passions et d’éléments, il est démontré, selon Fourier, que le haut monde, où l’amour et l’ambition jouent le plus grand rôle, emploie pour ses corps les deux éléments subtils et actifs, éther et arome, et laisse au bas monde, où l’amitié et la famille sont dominantes, les éléments grossiers, terre et eau, « qui forment le corps de la lourde espèce humaine, plus pesante encore en intellectuel qu’en matériel. »
« Quant au feu, ajoute Fourier, à titre d’élément pivotal, il est commun aux deux sortes de corps, mais en degrés différents ; car nos corps cis-mondains sont hors d’affinité avec le feu, dont ils ne supportent que 32 degrés en chaleur et 24 en boisson. »
La série que je viens de rapporter d’après Fourier est du genre de celles que nous avons nommées systématiques : ai-je besoin de montrer qu’elle n’a de réalité que sur le papier ? Fourier procède ici comme dans une règle de proportion, où la simple opposition des extrêmes et des moyens indique le rapport des nombres. Ainsi réminiscence de catéchisme, réminiscence d’arithmétique : voilà ce qui fournit à Fourier le sujet et la forme de cette série. L’infortuné cherchait la dialectique sérielle et n’arrivait qu’à un vain symbolisme, à des analogies et des antithèses.
Autre chose était d’imaginer une combinaison systématique des éléments et des passions, autre chose de prouver que cette combinaison était conforme à la réalité. Fourier ne s’en met nullement en peine : la preuve, selon lui, que les corps des bienheureux sont composés d’éther et d’arome, résulte de l’analogie de ces éléments avec l’ambition et l’amour, et de leur opposition avec la terre et l’eau et leurs analogues, amitié et famille. Or, ceci est digne de l’attention du lecteur ; bien qu’il soit d’une témérité souveraine de parler des choses de l’autre vie, la loi sérielle donne le moyen de constater directement la fausseté des imaginations de Fourier.
Je suppose qu’un homme, se disant inspiré, vienne attester de la part de Dieu la vérité du dogme résurrectionniste enseigné par Fourier, et appuie son autorité sur des prophéties et des miracles, je lui répondrais encore : Homme de Dieu, vous mentez, et votre dogme même m’en fournit la preuve. Vous parlez d’éléments : or les corps auxquels vous donnez ce nom sont des composés ; par conséquent votre système quadrangulaire repose sur de faux principes. Vous classez les éléments en subtils et grossiers ; mais vous prenez pour grossièreté et subtilité les différents états chimiques des corps (la fluidité et la solidité), par conséquent vos analogies partent d’un faux point de vue. Vous appelez élément aromal les gaz et les impondérables : or la gazéité ne constitue pas l’élément ; quant aux fluides, nous ne pouvons rien dire encore sur leur nature : par conséquent votre analogie des arômes et des amours est au moins prématurée. Seriez-vous illuminé d’en haut sur la chimie comme vous prétendez l’être sur la religion ?…
Ainsi, dans les choses mêmes qui dépassent le champ de l’expérience ou qui sont encore peu connues, la loi sérielle, c’est-à-dire la théorie générale de la construction des idées, peut découvrir, à priori, l’invraisemblance d’une hypothèse. Je vais en donner une dernière preuve.
297. Fourier prétend avoir déterminé et classé régulièrement les passions. On trouve en effet dans ses écrits et dans ceux de ses disciples une sorte de tableau synoptique des passions, dont le moindre défaut, malgré les commentaires qu’on en a faits, est d’être parfaitement inintelligible.
Radicales.
Goût. Ambition. Cabaliste. |
}
} } |
Sous-foyères.
sensitives, tendance au luxe (rapports affectives, tendances aux groupes. (rap- distributives ou mécanisantes, tendantes |
} | Pivotale.
UNITÉISME, |
Ce tableau présente un système échelonné à la manière des divisions zoologiques, c’est-à-dire par genre, espèces et variétés. J’ai dit que ce système était inintelligible : j’observerai d’abord que le défaut d’intelligibilité d’un système ne vient pas de l’obscurité des termes qui le composent, mais de l’absence d’un lien qui les unisse. Ainsi, nous connaissons parfaitement, du moins par l’usage, chacun de nos sens : nous savons de même ce que sont l’ambition, l’amitié, l’amour, la famille ; et les phalanstériens nous ont appris ce qu’ils entendent par composite, cabaliste et papillonne. Ajoutons même que les faits, soit physiques, soit animiques ou sociaux, qui ont donné lieu à cette nomenclature duodécimale, sont vrais : là ne gît pas la difficulté. Mais nous n’en savons pas mieux combien il existe de passions, quelles sont leurs espèces, quelle en est la série. Est-ce donc la liste imaginée par Fourier qui va nous l’apprendre ?
I. Arrêtons-nous d’abord aux sous-foyères. Fourier les divise en trois catégories (remarquez ce nombre) : la première relative aux sensations, la seconde aux sentiments ou affections de l’âme, la troisième aux facultés intellectuelles. Voilà donc cette perpétuelle trinité humaine, aperçue dès l’origine de la philosophie, et restaurée de nos jours avec tant d’éclat. L’homme est un composé d’organes, de vie et de pensée ; il est Sensibilité, Activité, Raison ; ou bien encore Sensation-Sentiment-Connaissance. Jusque-là Fourier n’est point inventeur : une chose seulement le distingue. Avant lui, le nom de passions ou affections avait été réservé aux manifestations du sentiment et de l’activité : Fourier le rend commun aux sens et aux facultés de l’entendement. C’était son droit, s’il y était amené par une généralisation : mais la formation d’un genre, d’un groupe, d’une série, suppose quelque chose de commun entre les termes, un point de vue qui les rassemble et une raison qui les coordonne, c’est-à-dire un principe d’identité et un principe de différence. Où cela est-il indiqué dans le tableau de Fourier ?
Aucun philosophe jusqu’à présent n’a essayé de résoudre en un genre unique les sens, les affections et la pensée. La raison en est qu’une pareille généralisation nous est impossible, de même qu’il nous est impossible de réduire à un genre suprême ces trois universaux de la nature, la Matière, la Vie, l’Esprit. Le seul genre que nous puissions former des trois principes élémentaires de toute nature créée, c’est l’Être, une abstraction ; la véritable synthèse des facultés sensitives, affectives et distributives est l’homme, une chose concrète. Nous ne savons rien au delà.
D’après la psychologie ordinaire, les passions sont les mouvevements de l’âme provoqués par le rapport des sens et par les perceptions de l’esprit : de là naissent non-seulement les affections sociales et les passions charnelles, mais encore certaines passions qui tiennent aux facultés supérieures de la raison, l’amour du beau, du vrai, du bien. D’après Fourier, les passions sont tout à la fois les mouvements de l’âme, les facultés sensitives et les intellectuelles. Or, à ne considérer que la méthode, l’analyse psychologique a sur l’analyse de Fourier une supériorité évidente : dans la première, en effet, on aperçoit entre les facultés et les passions un rapport de dépendance, par conséquent un principe de systématisation ; dans la nomenclature de Fourier, au contraire, on ne découvre aucun lien de coordination ou de connexité, partant point de série, point d’idée.
II. Passons aux radicales.
a) Selon les psychologues, les mouvements de l’âme, provoqués par l’excitation organique et par les idées, se déroulent en une progression binaire et contrastée : désir et aversion, amour et haine, joie et tristesse, admiration et mépris. Quelle que soit l’importance de ces distinctions, on y trouve du moins une ordonnance que le tableau de Fourier ne présente pas. Quel est, par exemple, le rapport soit physiologique, soit progressif, soit d’opposition, qui unit aux sens l’ambition, l’amour, le familisme ? comment ces deux catégories de passions forment-elles un système ? quel est le point de vue, la raison qui les synthétise ? qu’y a-t-il de commun entre la réceptivité organique et les impulsions intérieures de l’âme ? quel rapport du toucher à l’amitié ?…
D’après l’interprétation récente d’un disciple de Fourier[35], sous les noms de vue, ouïe, goût, odorat, toucher, il faut moins entendre l’appareil organique et la sensation dont il est le véhicule, que les passions qui y correspondent. Ainsi la faculté ouïe représenterait, par exemple, l’attrait à la musique, au chant, à la déclamation, à la mélodie, à l’harmonie, etc.
Si tel est le véritable sens de Fourier, je réponds qu’alors les passions sensitives ne sont plus passions radicales ; que ce sont des sentiments mixtes, produits par la faculté tout intellectuelle d’apercevoir le beau dans les divers objets de l’intuition sensible, jointe à la délectation physico-morale qui en résulte. De la sorte, les prétendues passions sensitives appartiennent aux facultés intellectuelles par l’idéal qui leur a donné naissance, et aux affections ou passions proprement dites, par les mouvements qu’elles occasionnent dans le sens intime.
b) A côté de l’ambition, passion vague et indéterminée, Fourier place l’amitié, l’amour et le familisme, trois déterminations objectives de cette autre passion plus générale, l’amour. Nouvelle confusion du genre et de l’espèce, nouvelle perturbation de la série.
M. Hippolyte Renaud définit l’ambition : affection corporative, ligue pour la gloire et l’intérêt. Quelle est, d’après cela, la différence caractéristique qui sépare l’ambition de la cabaliste, dont nous parlerons tout à l’heure ?
Au surplus, Fourier paraît avoir réduit les affectives aux quatre espèces que nous venons de voir par suite d’une méprise grammaticale prenant le mot affectus, affection, c’est-à-dire mouvement de l’âme, ou simplement passion, au sens restreint et métonymique d’amour pour les personnes, de sympathie ou sociabilité.
c) Jusqu’ici les passions mentionnées par Fourier ont été, tantôt des facultés du corps ou de l’âme, tantôt des mouvements de la volonté vers les objets de l’intuition. La papillonne n’est rien de tout cela ; c’est un besoin. Il faut, dit Fourier, pour que l’attrait soit conservé dans le travail, en varier l’objet et la forme, ne pas prolonger les séances, exercer tour à tour les puissances de l’être, afin de le conduire à son développement intégral. Je conviens, toutes réserves faites relativement au mode d’application, de la justesse de ces remarques. Mais par quel procédé de généralisation le besoin de changement et d’alternance, besoin en lui-même négatif, est-il assimilé aux attractions positives et objectives des sens et du sentiment ?
« La papillonne n’est évidemment que satiété et besoin relativement à deux objets de passions, c’est-à-dire tout simplement succession d’une passion à une autre : ce n’est pas une passion particulière, mais une pure idée. L’inconstance par elle-même n’est pas une passion, parce qu’elle n’a pas d’objet : c’est une conséquence idéale d’un double fait, de la satisfaction d’un besoin et de la naissance d’un autre. Rien donc en cela de primitif,
« La cabaliste est la rivalité et l’émulation : mais ces deux sentiments ont leur raison, le premier dans l’ambition, la cupidité, par conséquent dans les passions de luxe ; et la rivalité n’est plus dès lors que l’une de ces passions, ou toutes ces passions réunies, qui cherchent à triompher d’un obstacle. Quant à l’émulation, elle tient ou au respect relatif de soi-même, ou à l’estime de l’opinion, ou à ces deux choses à la fois. Ce n’est donc pas une passion primitive et spéciale, mais la conséquence d’une ou de plusieurs autres passions, ou plutôt vertus sociales, qui ne figurent point dans la liste de Fourier, quoiqu’elles soient primitives. Elles se résolvent dans l’idée du bien et dans le sentiment qui en est la conséquence.
« La composite ou exaltante, n’étant que l’ensemble d’un certain nombre des passions précédentes ou un degré supérieur de chacune d’elles, n’est pas non plus une passion particulière.
« D’où l’on voit que la liste des passions, leur division, leur analyse, n’a pas été faite avec une grande rigueur par Fourier. Qu’en conclurons-nous ? Qu’elle est redondante et incomplète tout à la fois ; que, si l’auteur raisonne conséquemment, sa mécanique des passions sera mal faite, puisqu’elle manquera de certains ressorts et qu’elle en aura d’autres pour le moins inutiles. Et dès lors nous ne pouvons manquer d’avoir des inquiétudes sérieuses sur le jeu de la machine sociale[36]. »
Je remercie M. Tissot d’avoir écrit pour moi cet excellent morceau de dialectique sérielle. Aucune des soi-disant passions distributives de Fourier n’est radicale et objective : la papillonne est une idée ; la cabaliste une contre-épreuve de l’ambition, à moins qu’on ne la prenne pour cet instinct tout bestial de ruse et de duplicité, qui est l’opposé de la candeur et de la franchise ; la composite est un maximum, ou, comme son nom l’indique, une composition de passions. Toutes trois, enfin, semblent plutôt faites pour la justification d’un système, que résulter d’une analyse à priori ; et quand les fouriéristes, embarrassés de cette critique, reculent et se retranchent dans les faits, ils prouvent simplement par là qu’ils ne comprennent pas la question.
III. Il ne sera pas plus difficile de montrer que la passion unitéiste ou pivotale n’est, comme les précédentes, qu’un mot sans réalité. L’unitéisme est-il la synthèse des sous-foyères ? J’ai montré que cette synthèse était inconcevable, partant impossible. Est-ce une passion spéciale, et, comme l’on dit, sui generis ? Alors elle n’est pas à sa place ; spéciale, elle ne peut être unitéiste, elle n’unit rien. Est-ce, comme on paraît le croire, cette espèce d’enthousiasme religieux que produit dans l’âme la contemplation de l’ordre, l’intelligence de l’unité dans la multiplicité ; ou bien est-ce la faculté de synthétiser, d’unifier, de sérier ; ou bien enfin est-ce l’un et l’autre ? Dans le premier cas, l’unitéisme ne diffère pas de la composite ; dans le second, il n’est autre chose que l’entendement lui-même[37] ; dans le troisième, l’unitéisme n’est pas un, il est double.
298. Telle est la critique sommaire de la théorie passionnelle de Fourier. Nous avons montré, à cette occasion, comment telle conception, qui au premier coup d’œil semble ne pouvoir être jugée que par l’expérience, apparaît tout à coup, grâce à la puissance de la méthode sérielle, dans la nudité et la fragilité de l’erreur. Comme, dans la nature, la série est la condition absolue de l’ordre, de la vie, de la beauté ; ainsi, dans la science, la série est la condition suprême de l’intelligible et du vrai. Et comme aucune série régulière ne peut avoir lieu dans les idées qui n’ait sa réalité dans la nature, pareillement encore les erreurs de classification et de série que commet la raison sont autant de dérogations funestes aux lois éternelles de la création et de la Providence.
Toutefois, rendons à Fourier le tribut d’honneur qui lui est dû : cet homme cherchait la théorie sérielle avec des pivots, des ambigus, des accords et des discords, comme Pascal enfant apprenait la géométrie avec des ronds et des barres. Moins heureux que ce grand mathématicien, Fourier a échoué dans son entreprise : peut-être ne lui a-t-il manqué, pour réussir, que cette instruction philosophique sur laquelle il a répandu tant de mépris et de colère.
Friendship. | Earth. | Air. | Ambition. | |||
Family. | Water. | Aroma. | Love. |
I beg the reader not to get impatient on seeing such a prodigious aberration of intelligence. We have before us a vigorous, but rebellious and solitary mind, which seeks the truth outside common notions, glimpses it for a moment and loses itself miserably. Fourier had learned in the catechism that the qualities of glorious bodies, after the resurrection, will be clarity, agility, impassivity and subtlety. Working on this data, he undertook to discover which elements entered into the composition of these bodies, and it was then that he imagined putting the elements into a contra-dance, with the affective passions as partners. In this quadrille, FIRE leads the music and commands the figures!
From this counter-proposition of passions and elements, it is demonstrated, according to Fourier, that the high world, where love and ambition play the greatest part, employs for its bodies the two subtle and active elements , ether and aroma, and leaves to the lower world, where friendship and family are dominant, the coarse elements, earth and water, “which form the body of the heavy human species, even heavier in intellectual than in material.”
“As for fire,” adds Fourier, “as a pivotal element, it is common to both kinds of bodies, but in different degrees; for our cis-mundane bodies are out of affinity with fire, of which they only support 32 degrees in heat and 24 in drink.”
The series that I have just reported according to Fourier is of the kind that we have called systematic: do I need to show that it only has reality on paper? Fourier proceeds here as in a rule of proportion, where the simple opposition of extremes and means indicates the ratio of numbers. Thus reminiscence of catechism, reminiscence of arithmetic: this is what provides Fourier with the subject and the form of this series. The unfortunate man was looking for the serial dialectic and only arrived at a vain symbolism, at analogies and antitheses.
It was one thing to imagine a systematic combination of elements and passions, another thing to prove that this combination was in conformity with reality. Fourier takes no trouble about it: the proof, according to him, that the bodies of the blessed are composed of ether and aroma, results from the analogy of these elements with ambition and love, and from their opposition to land and water and their analogues, friendship and family. But this is worthy of the reader’s attention; although it is supremely rash to speak of the things of the other life, the serial law provides the means of directly ascertaining the falsity of Fourier’s imaginations.
I suppose that a man, claiming to be inspired, comes to attest on behalf of God the truth of the resurrectionist dogma taught by Fourier, and bases his authority on prophecies and miracles, I would answer him again: Man of God, you are lying, and your very dogma furnishes me with the proof of it. You speak of elements: now the bodies to which you give this name are compounds; therefore your quadrangular system rests on false principles. You classify the elements into subtle and gross; but you take for coarseness and subtlety the different chemical states of bodies (fluidity and solidity), consequently your analogies start from a false point of view. You call aromal element the gases and imponderables: but gasity does not constitute the element; as for the fluids, we cannot yet say anything about their nature: consequently your analogy of aromas and loves is at least premature. Are you enlightened from above on chemistry as you claim to be on religion?…
Thus, in the very things that go beyond the field of experience or are still little known, the serial law, that is to say the general theory of the construction of ideas, can discover, a priori, the improbability of a hypothesis. I will give one last proof.
297. Fourier claims to have regularly determined and classified the passions. In fact, we find in his writings and in those of his disciples a sort of synoptic table of the passions, the slightest defect of which, despite the comments made on it, is that it is perfectly unintelligible.
Radicals.
Taste. Ambition. Cabalist. |
}
} } |
Sub-centers.
sensitive, tendency to luxury (relations with the external world.) affective, tendencies to groups. (relations with humanity.) distributive or mechanizing, tending to the series (social relations.) |
} | Pivotal.
UNITYISM, |
This table presents a staggered system in the manner of zoological divisions, that is to say by genus, species and varieties. I said that this system was unintelligible: I will observe first of all that the lack of intelligibility of a system does not come from the obscurity of the terms that compose it, but from the absence of a link that links them. Thus, we know perfectly, at least by use, each of our senses: we know in the same way what are ambition, friendship, love, family; and the phalansterians have taught us what they mean by composite, cabalistic and papillon. Let us even add that the facts, whether physical, psychic or social, that gave rise to this duodecimal nomenclature, are true: that is not where the difficulty lies. But we do not know better how many passions there are, what are their species, what is the series. So is it the list imagined by Fourier that will teach us?
I. Let us stop first at the sub-centers. Fourier divides them into three categories (note this number): the first relating to the sensations, the second to the feelings or affections of the soul, the third to the intellectual faculties. Here, then, is this perpetual human trinity, perceived from the origin of philosophy, and restored in our day with so much brilliance. Man is a composite of organs, life and thought; he is Sensibility, Activity, Reason; or even Sensation-Sensibility-Knowledge. This far Fourier is not an inventor: only one thing distinguishes him. Before him, the name of passions or affections had been reserved for manifestations of feeling and activity: Fourier makes it common to the senses and to the faculties of understanding. It was his right, if he were led to it by a generalization: but the formation of a genre, of a group, of a series, supposes something common between the terms, a point of view that brings them together and a reason that coordinates them, that is to say a principle of identity and a principle of difference. Where is this indicated in the Fourier table?
No philosopher has hitherto attempted to resolve senses, affections, and thought into a single genus. The reason is that such a generalization is impossible for us, just as it is impossible for us to reduce to a supreme genus these three universals of nature, Matter, Life, Mind. The only genus we can form of the three elementary principles of any created nature is Being, an abstraction; the true synthesis of the sensitive, affective and distributive faculties is man, a concrete thing. We don’t know anything beyond that.
According to ordinary psychology, the passions are the movements of the soul provoked by the relation of the senses and by the perceptions of the mind: from this are born not only the social affections and the carnal passions, but also certain passions that belong to the superior faculties of reason, love of the beautiful, true, good. According to Fourier, the passions are at the same time the movements of the soul, the sensitive faculties and the intellectual ones. Now, considering only the method, psychological analysis has an obvious superiority over Fourier’s analysis: in the first, in fact, we perceive between the faculties and the passions a relationship of dependence, consequently a principle of systematization; in Fourier’s nomenclature, on the contrary, we find no link of coordination or connection, hence there is no series, no idea.
II. Let us pass on to the radicals.
a) According to psychologists, the movements of the soul, caused by organic excitement and by ideas, take place in a binary and contrasting progression: desire and aversion, love and hatred, joy and sadness, admiration and contempt. Whatever the importance of these distinctions, there is at least an order that Fourier’s table does not present. What is, for example, the relation, whether physiological, or progressive, or of opposition, that unites ambition, love, and familism to the senses? How do these two categories of passions form a system? What is the point of view, the reason that synthesizes them? What do organic receptivity and the inner impulses of the soul have in common? what is the relation of touch to friendship?…
According to the recent interpretation of a disciple of Fourier [35], under the names of sight, hearing, taste, smell, touch, it is less necessary to hear the organic apparatus and the sensation of which it is the vehicle, than the corresponding passions. Thus the faculty of hearing would represent, for example, the attraction to music, singing, declamation, melody, harmony, etc.
If such is the true meaning of Fourier, I answer that then the sensitive passions are no longer radical passions; that they are mixed sentiments, produced by the entirely intellectual faculty of perceiving the beautiful in the various objects of sensible intuition, joined to the physical-moral delight that results therefrom. In this way, the so-called sensitive passions belong to the intellectual faculties through the ideal that gave them birth, and to the affections or passions properly so called, by the movements that they occasion in the intimate sense.
b) Alongside ambition, a vague and indeterminate passion, Fourier places friendship, love and familism, three objective determinations of that other more general passion, love. New confusion of genus and species, new disruption of the series.
Mr. Hippolyte Renaud defines ambition: corporate affection, league for glory and interest. What is, according to this, the characteristic difference that separates ambition from the cabbalist, of which we will speak presently?
Moreover, Fourier seems to have reduced the affectives to the four species that we have just seen as a result of a grammatical mistake taking the word affectus, affection, that is to say movement of the soul, or simply passion, in the restrained and metonymic sense of love for people, sympathy or sociability.
c) Hitherto the passions mentioned by Fourier have sometimes been faculties of the body or of the soul, sometimes movements of the will towards the objects of intuition. The papillon is none of these; it is a need. It is necessary, says Fourier, so that the attraction is preserved in labor, to vary the object and the form of it, not to prolong the sessions, to exercise in turn the powers of the being, in order to lead it to its integral development. I agree, with all reservations regarding the mode of application, to the accuracy of these remarks. But by what process of generalization is the need for change and alternation, a need that is negative in itself, assimilated to the positive and objective attractions of the senses and feeling?
“The papillon is obviously only satiety and need relative to two objects of passion, that is to say quite simply a succession from one passion to another: it is not a particular passion, but a pure idea. Inconstancy by itself is not a passion, because it has no object: it is an ideal consequence of a double fact, of the satisfaction of a need and the birth of another. There is therefore nothing primitive in this.
“The cabalist is rivalry and emulation: but these two feelings have their reason, the first in ambition, cupidity, consequently in the passions of luxury; and rivalry is henceforth only one of these passions, or all these passions united, which seek to triumph over an obstacle. As for emulation, it depends either on relative self-respect, or on the esteem of public opinion, or on these two things at the same time. It is therefore not a primitive and special passion, but the consequence of one or more other passions, or rather social virtues, which do not figure in Fourier’s list, although they are primitive. They are resolved in the idea of the good and in the feeling that is its consequence.
“The composite or exalting, being only the whole of a certain number of the preceding passions or a superior degree of each of them, is not a particular passion either.
“From which we see that the list of passions, their division, their analysis, was not made with great rigor by Fourier. What shall we conclude? That it is redundant and incomplete at the same time; that, if the author reasons consistently, his mechanics of the passions will be badly made, since it will lack certain springs and will have others that are at the very least useless. And therefore we cannot fail to have serious concerns about the game of the social machine.” [36]
I thank M. Tissot for having written for me this excellent piece of serial dialectics. None of Fourier’s so-called distributive passions is radical and objective: the papillon is an idea; the cabalist a counterproof of ambition, unless one takes it for that wholly bestial instinct of cunning and duplicity, which is the opposite of candor and frankness; the composite is a maximum, or, as its name suggests, a composition of passions. All three, finally, seem to be made more for the justification of a system than to result from an a priori analysis; and when the Fourierists, embarrassed by this criticism, recoil and entrench themselves in facts, they simply prove thereby that they do not understand the question.
III. It will not be more difficult to show that the unityist or pivotal passion is, like the preceding ones, only a word without reality. Is unity the synthesis of sub-focuses? I have shown that this synthesis was inconceivable, hence impossible. Is it a special passion, and, as they say, sui generis? So it is out of place; special, it cannot be unityist, it unites nothing. Is it, as one seems to believe, that kind of religious enthusiasm produced in the soul by the contemplation of order, the understanding of unity in multiplicity; or is it the faculty of synthesizing, of unifying, of serializing; or finally is it one and the other? In the first case, unityism does not differ from the composite; in the second, it is nothing other than the understanding itself [37]; in the third, the unityism is not one, it is double.
298. Such is the summary criticism of the theory of passion of Fourier. We have shown, on this occasion, how such a conception, which at first glance seems to be able to be judged only by experience, suddenly appears, thanks to the power of the serial method, in the nudity and fragility of the error. As, in nature, the series is the absolute condition of order, of life, of beauty; thus, in science, the series is the supreme condition of the intelligible and the true. And as no regular series can take place in ideas that does not have its reality in nature, similarly again the errors of classification and series that reason commits are so many disastrous derogations from the eternal laws of creation and Providence.
However, let us pay Fourier the tribute of honor that is due to him: this man was looking for the serial theory with pivots, ambiguities, agreements and discords, like Pascal as a child learned geometry with rounds and bars. Less fortunate than this great mathematician, Fourier failed in his enterprise: perhaps all he lacked, to succeed, was this philosophical instruction on which he poured out so much contempt and anger.
§ VI. — Avantages d’une dialectique sérielle : tendance des esprits à la série.
299. Résumons en quelques lignes les faits exposés dans les précédents paragraphes.
La nature est infinie dans la variété de ses ouvrages. Cette fécondité de la puissance créatrice, toujours nouvelle et toujours imprévue, toujours luxuriante et pleine d’harmonie, a été pour l’homme, dès le commencement, une source permanente d’inspiration et d’enthousiasme, en même temps qu’un texte inépuisable de conjectures. À la vue de ces étonnantes merveilles, la pensée humaine, confondue, s’est réfugiée jusqu’au sein de l’Être incréé, principe de vie et grand ordonnateur des mondes : et de cette contemplation primitive naquirent des religions innombrables, aussi variées dans leurs formes que les manifestations du Dieu qu’elles célèbrent. Le premier mot de toute langue, le premier refrain de tout hymne fut le nom de Dieu, Iou, Io, Pæan ; et ce nom sacré, inexplicable, comme un écho répété d’âge en âge, retentit encore au milieu de notre société incrédule : Gloria in altissimis Deo ; Hosanna, Alléluia.
Mais, parmi cette infinie variété de combinaisons et de formes, la raison ne pouvait languir en une éternelle extase, ni s’égarer en de perpétuelles erreurs : le mécanisme qui multiplie autour de nous les circonvolutions du labyrinthe est en même temps le fil conducteur et la clef qui nous aide à en dévoiler les détours. Et comme, pour écrire et calculer les plus effroyables nombres, il nous a suffi d’une simple combinaison de signes, de même, pour nous reconnaître dans cet océan de figures et de types, il nous suffit d’une loi souveraine, la Série.
300. Cette loi suprême gouverne la nature, donne la forme à nos pensées, redresse nos jugements et constitue la science : elle peut être définie : l’intuition synthétique dans la diversité, la totalisation dans la division.
La loi sérielle exclut toute idée de substance et de cause, bien qu’elle en reconnaisse la réalité objective : elle indique un rapport d’égalité, de progression ou de similitude ; non d’influence ou de continuité.
De quelque côté que l’on considère la nature, elle présente une sériation ; de sorte que les choses offrant à nos yeux autant de séries différentes que de points de vue, nous sommes forcés pour nous reconnaître d’en adopter un, sans toutefois donner l’exclusion aux autres, que nous devons au contraire étudier comparativement.
Chaque objet étant sérié selon un mode spécial, chaque science est un mode particulier de sériation, une variante de la loi sérielle.
Cette loi a été entrevue dès le commencement du monde. L’Éternel, nous dit la Genèse, créa les animaux et les plantes chacun selon son genre et son espèce. Mais, toujours occultée en partie, soit par le mysticisme de la foi, soit par les sophismes de la raison, la loi sérielle est aujourd’hui à la veille d’une émersion totale. Toutes les puissances de l’esprit humain convergent dans cette direction.
301. De ces considérations générales passant à l’analyse, nous avons vu que la série se décompose en trois éléments : le point de vue ; la matière ou l’unité, qui n’est bien souvent elle-même que le point de vue ; enfin la raison, ou le rapport des unités.
Le point de vue peut être réel ou fictif : dans le premier cas, la série est naturelle, inhérente à l’objet ; dans le second, elle est une création de notre entendement, qui, tantôt en vue d’une plus pleine jouissance, remanie et transpose les séries d’un objet à l’autre, tantôt pour les besoins du discours, pour les agréments de la poésie et de l’art, crée des genres de convention, des groupes intelligibles, sur lesquels il opère comme sur des séries objectives ; ou bien associe en figures ingénieuses et brillantes des types essentiellement disparates.
Selon la matière et le rapport des unités, la série prend des formes et conséquemment des propriétés diverses, desquelles résulte l’infinie variété de l’univers ; selon la simplicité ou la multiplicité du point de vue, la série forme des agrégats univoques, ou des organismes composés et de vastes systèmes.
Toutes les formes de la création, toutes les combinaisons de la pensée, toutes les inventions de l’industrie viennent donc se résoudre en une formule générale, qui est comme la métaphysique de la nature.
302. Soit que l’on réfute, soit que l’on démontre, l’art du raisonnement consiste à reconnaître si la proposition, prise dans son ensemble, ou comparée à telle autre proposition exprimée ou sous-entendue, forme une série régulière ; si cette série est propre à l’objet en question ou empruntée d’ailleurs ; si le rapport est fidèlement observé entre les parties ou unités sérielles ; si le point de vue ne varie pas. Lorsque ces diverses conditions ont été remplies, la série est exacte, et la proposition est démontrée.
Ainsi raisonner, c’est classer : opération qui comprend deux parties distinctes : 1o l’analyse des termes ; 2o le dégagement de leur rapport. Comme le naturaliste dit : Le bœuf rumine, la chèvre rumine, le mouton, le cerf, le chameau ruminent ; donc ces animaux forment un groupe ou série que j’appelle série des ruminants ; de même le métaphysicien, comparant entre elles des idées dont l’objet est divers, les groupe en genres et en espèces, selon l’identité des rapports et du point de vue.
303. Tout ce qui peut être pensé par l’esprit ou perçu par les sens est nécessairement série.
Les anciens reconnaissaient quatre éléments, l’eau, l’air, la terre et le feu, auxquels ils rapportaient tous les corps organisés et inorganisés. De ces quatre éléments, aucun n’est admis comme tel dans la chimie moderne ; bien plus, lorsqu’à ces éléments décomposés par elle elle a prétendu en substituer de plus simples, en fort grand nombre, et sur cette base nouvelle élever l’édifice d’un système, il s’est trouvé des hommes qui ont révoqué en doute la simplicité des nouveaux éléments et ont expliqué les phénomènes chimiques par toutes sortes d’hypothèses (188).
Les philosophes, qui ramènent toutes les choses visibles et invisibles à trois principes ; les théologiens, qui ont divinisé ces principes ; les logiciens, qui réduisent à dix ou douze les formes élémentaires de la pensée, ressemblent aux anciens et modernes naturalistes. Les catégories de la raison sont tout à la fois des intuitions simples et de hautes généralisations (341 et suiv.) ; elles rentrent les unes dans les autres et s’engendrent réciproquement ; ce sont plutôt des jalons posés par l’esprit à travers le champ de la pensée que des éléments intellectuels ; et qui oserait dire que les trois principes des causalistes, la Matière, la Vie, l’Esprit, et les cinquante-six éléments des chimistes, ne sont pas, comme les catégories d’Aristote et de Kant, de pures spéculations de notre intelligence ? Nous avons fait la nature et la raison semblables à un arbre généalogique, dont le tronc se partage en quelques branches principales, subdivisées à leur tour en rameaux et ramuscules, à l’infini. Nous prenons des abstractions chimiques pour des décompositions : mais, pauvres myopes que nous sommes, nous ne voyons pas que chacune de ces prétendues décompositions devient pour chaque partie séparée une cause qui la rend à son tour décomposable ; que la série et l’unité, la diversité et la synthèse sont la condition essentielle de toute phénoménalité comme de toute perception ; que dans la double sphère de l’objectif et du subjectif, l’être et l’idée est nécessairement composant et composé, un et multiple, élément et série : et parce que notre analyse s’arrête, nous prétendons limiter la nature. Vanité des vanités ! la nature se joue de nos réductions, et notre propre raison se moque de nos catégories. La série se multiplie par la division : pour atteindre l’indécomposable, c’est-à-dire l’indivisible, l’inconditionné, l’être en soi, il faut sortir de la série, sortir du phénomène, et nous élancer jusqu’à Dieu, que nous ne connaissons que par la foi.
304. Quelque sujet qu’on traite, la conclusion est toujours indiquée par la formation de la série ; de sorte que sérier des idées, c’est conclure.
En France, la loi n’accorde le droit d’élection qu’aux censitaires à 200 francs. Tout le monde a répété que cette manière de déterminer la capacité électorale était mauvaise, parce que la cote du contribuable n’a rien de commun avec le patriotisme et les lumières. Kant aurait dit dans son langage qu’on avait mal à propos conclu de la quantité à la qualité, chose aussi peu raisonnable que si l’on avait dit : Celui-là seul sera électeur, qui sera reconnu chaque année apte au service par le conseil de révision.
Mais enfin telle est la loi, loi amenée par cinquante années de remaniements politiques, et à laquelle il ne serait pas difficile de trouver des raisons justificatives, je veux dire de raisonnables excuses. Il faut l’appliquer : il s’agit donc de savoir qui paye. Or cette recherche, si simple au premier coup d’œil, d’après les contrôleurs et receveurs fiscaux, est peut-être de toutes les opérations administratives la plus délicate et la plus difficile.
Et d’abord, sur quoi se prélève l’impôt ? L’impôt se divise en foncier, personnel, mobilier, patente, licence, prestations en nature, etc. ; c’est-à-dire impôt sur les terres, maisons et instruments de travail ; impôt sur les hommes, sur le travail, sur la consommation, sur le produit. Mais cette série de l’impôt est inutile pour l’objet qui nous occupe, car elle est purement verbale, et se réduit en réalité à une seule espèce, l’impôt sur le produit. En effet, le propriétaire, le capitaliste, l’industriel, le débitant, le consommateur payent leur contribution foncière sur leur revenu, leur personnelle sur leur revenu, leurs patente, licence, centimes additionnels, etc., etc., sur leur revenu. S’ils entamaient leur principal, ils se ruineraient ; s’ils retranchaient sur leur nécessaire comme le pauvre peuple à qui l’impôt indirect arrache le morceau de la bouche, ils périraient de faim. C’est donc en définitive sur le produit que se perçoivent les impôts : la conséquence nécessaire est que les producteurs sont les vrais contribuables.
Maintenant qui est-ce qui produit, qui est-ce qui travaille ? Je ne veux point ici réchauffer l’inquiétante distinction des producteurs et des improductifs : la matière est épuisée, et ne peut que déplaire là où les faits accomplis ont force de loi. J’admets que le propriétaire, le rentier et le capitaliste produisent réellement par le prêt de leurs capitaux ; que tel qui ne fait que consommer, produit encore : du moins m’accordera-t-on en revanche qu’ils ne produisent pas seuls ; et si l’on évalue leur participation au produit d’après le taux ordinaire des redevances, locations et fermages, on trouvera que la part du propriétaire dans la production ne dépasse guère le vingtième du produit. Ainsi, que l’impôt soit acquitté par la main des propriétaires ou par celle des emprunteurs et fermiers, quelle que soit, en un mot, la personne qui verse les espèces, peu importe : les travailleurs non-propriétaires supportent à eux seuls les dix-neuf vingtièmes des contributions. — Ils devraient, d’après la loi, nommer 19 députés sur 20.
La démonstration que je viens d’esquisser repose sur deux séries consécutives : 1o réduction de toutes les variétés d’impôt à une espèce, l’impôt sur la production ; 2o évaluation du produit de chaque contribuable d’après son salaire ou revenu, et détermination de la capacité électorale d’après le produit. Ici nous avons opéré seulement sur deux classes de citoyens ; le difficile serait d’appliquer l’opération aux individus. C’est alors que se présenteraient en foule les questions les plus épineuses : la répartition des salaires ; la solidarité du travail, l’appréciation du talent ; le droit de l’apprenti, de l’ouvrier, du maître ; enfin la comparaison des spécialités industrielles, et la proportion de leurs représentants. Il faudrait constater si, par les désordres de la concurrence, les inégalités de l’offre et de la demande, l’indiscipline des ateliers, la faveur, le monopole et le privilége, nul n’est privé ou ne jouit illicitement du droit de vote ; si les producteurs étant tous solidaires ne doivent pas être considérés comme virtuellement associés ; si, par conséquent, ils ne doivent pas obtenir tous une part d’influence dans l’expression de la volonté générale.
La conséquence d’un pareil travail serait infailliblement la suivante : par cela seul qu’on déterminerait au moyen de l’analyse les individualités industrielles composant la série des producteurs payant l’impôt, comme cette série embrasserait l’universalité des travailleurs, on conclurait forcément à l’universalisation des droits électoraux, et probablement à un système d’élection à double degré, avec mandat et indemnité : toutes choses que la loi actuelle a précisément pour objet d’éviter.
Donc, je le répète, sérier, c’est conclure ; former un genre avec des espèces, c’est conclure : car, qui dit conclusion dit formule générale, genre ou série.
305. Puisque former une série ou formuler une conclusion est une opération identique, la méthode sérielle est à l’abri des inconvénients de l’induction et du syllogisme. En effet, dans ces deux espèces d’arguments, l’esprit va du connu à l’inconnu en abandonnant son point de départ, et se lançant dans le vide ; dans la série, au contraire, il glisse d’un terme à l’autre sur le fil non interrompu de l’identité ; puis, joignant les extrémités de la chaîne, embrasse tous les cas particuliers sous un même horizon. Or c’est cet horizon qui exprime la totalité sérielle : tout ce qui le dépasse est étranger à la série ; par conséquent la conclusion, n’étant que la formule synthétique de cette série, est démontrée par le fait même de l’analyse. Conclure hors de l’horizon sériel serait méconnaître la théorie, et se contredire dans les termes.
Si, par exemple, de la démonstration qui précède, et par laquelle nous avons fait voir qu’aux termes de la loi qui nous régit tout travailleur doit être électeur ; si, dis-je, on introduisait que tout électeur est éligible, on ferait un paralogisme, parce que rien ne prouve encore que les conditions électorales soient les mêmes que les conditions d’éligibilité[38].
306. La dialectique sérielle est, comme l’arithmétique et la géométrie, exacte, rigoureuse, infaillible dans sa marche ; mais aussi, comme ces dernières, elle ne garantit pas nécessairement le succès dans l’application.
On conçoit, en effet, que dans un problème de mathématiques une donnée ait été omise, ou bien que les termes de la question proposée ne traduisent pas fidèlement le problème à résoudre : dans l’un et l’autre cas, l’opération pourra être irréprochable, sans que pour cela le succès qu’on espère de l’application puisse être obtenu. Les chiffres n’auront pas failli, mais bien l’énoncé du problème.
Il en est de même du raisonnement sérié : il répond avec justesse et précision aux questions qui lui sont adressées ; mais il ne préjuge pas l’utilité même et la compétence des questions. Ainsi, il est indubitable qu’en prenant pour condition du droit électoral un quantum quelconque de contribution l’on arrivera au suffrage universel ; mais cela ne prouve pas que le suffrage universel soit toujours chose utile et opportune. Il est d’autres considérations sociales, qui toutes se résolvent dans celle du progrès, et dont il est nécessaire ici de tenir compte : et je regarde, quant à moi, comme des ennemis de la liberté, ou tout au moins comme des imprudents, ceux qui demandent l’application immédiate de cet aphorisme politique : Tout citoyen est électeur, et tout électeur est éligible[39].
La métaphysique, ne craignons pas de le redire, n’est point une méthode d’invention ; elle n’enseigne pas à découvrir le vrai point de vue des questions (248 et suiv., 253), à fixer de plain-saut la position d’un problème. Mais qu’on lui soumette une hypothèse, et, en construisant la série supérieure dont cette hypothèse fait partie comme unité, elle saura promptement reconnaître si elle satisfait à toutes les propositions collatérales ; et c’est en quoi la métaphysique surpasse les mathématiques, forcées de recourir à elle pour le même objet. Ainsi, pour revenir à notre loi électorale, après avoir prouvé que le suffrage universel en est la conséquence, la dialectique sérielle démontrerait bientôt, par l’analyse et par les faits, que l’extension des droits politiques ne résout pas le problème de l’organisation ; qu’elle en est le corollaire plutôt que le principe ou le moyen ; que, par conséquent, vouloir arriver par la première à la seconde, au lieu de les faire marcher de front, c’est supposer entre elles une filiation qui n’existe pas, c’est raisonner en philosophe.
307. Les anciens logiciens comparaient le syllogisme double, ou dilemme, à un glaive à deux tranchants : cette image serait faible pour donner une idée de la méthode sérielle, soit dans la réfutation, soit dans la preuve. C’est comme une machine cylindrique, écrasant et broyant les sophismes par milliers ; c’est le char de feu d’Ézéchiel, éclairant au loin sa route et roulant sans s’arrêter ni reculer jamais.
308. On a vu avec quelle facilité la méthode sérielle découvre à priori le vice de certaines théories auxquelles le syllogisme ne peut atteindre, et qui semblent défier le sens commun et l’expérience. Elle n’est pas moins puissante pour anéantir l’autorité de certains faits longtemps admis comme légitimes par la conscience humaine, ou du moins regardés comme nécessaires dans la pratique des nations.
Faits anté-normaux et anormaux. — Dans le développement de la civilisation, et la constitution lente et progressive des sociétés, il se passe une multitude de faits, soit de préparation et de transition, soit de subversion et d’antagonisme, témoignages éclatants des efforts de la nature créatrice, mais qui tous ne peuvent servir que d’une manière négative à la démonstration de l’ordre.
De ce nombre sont, comme faits préparatoires ou anté-normaux, c’est-à-dire antérieurs à l’ordre, la religion et la philosophie, la royauté et la démocratie ; — comme faits anormaux ou de subversion, le despotisme, l’esclavage, l’inégalité des conditions, la guerre ; et, comme conséquences du désordre, les institutions soit répressives, cours pénales, prisons, échafauds ; soit palliatives, hôpitaux, ateliers de charité, aumône.
Or, la méthode sérielle prouve à priori, d’une manière invincible, que tous ces faits doivent tôt ou tard s’annihiler ou du moins s’affaiblir indéfiniment.
L’axiome métaphysique sur lequel elle se fonde est celui-ci : Cela seul est durable, vivace, utile et beau, qui est sérié ; cela seul est d’institution naturelle et permanente, qui a son ordination en soi, cujus lex in ipso est ; ou, comme disait Montesquieu, dont les lois résultent de ses propriétés essentielles.
309. Faits anté-normaux. Parlerai-je de la religion ? La religion n’est point ordonnée en elle-même, ni pour le dogme, ni pour le culte, ni pour la discipline, ni pour le gouvernement. Le christianisme, par exemple, a déduit sa trinité divine de la trinité cosmique ; son dogme de l’incarnation est une réminiscence panthéiste ; son gouvernement une imitation de la hiérarchie civile et militaire des Romains ; ses fêtes, par une coïncidence singulière, sont distribuées selon le cours du soleil et les positions des astres ; son histoire appuyée sur des témoignages humains. Essaye-t-il de se prouver, il raisonne comme la philosophie.
En toute chose la religion, institution soi-disant divine, copie la science humaine ; et, pour se mettre d’accord avec la raison, elle demande, au nom de la raison, la soumission de la raison.
Mais la religion est sentiment, foi, amour, admiration spontanée, obéissance aveugle : elle est le commencement de la science, initium sapientiœ timor Domini, le point de départ de la réflexion et de la liberté : c’est le fait le plus ancien, le plus universel, et, dans son principe, le plus indestructible de notre espèce.
Par ces motifs, la religion n’est point un fait de subversion, mais un fait précurseur de l’ordre ; fait qui, par conséquent, expire dans l’établissement de l’ordre.
Nous verrons au chapitre V comment il convient de procéder à l’abolition ou plutôt à la transformation de ce fait.
Je ne reviendrai point sur la philosophie : il est suffisamment démontré, ce me semble, que, comme investigation générale du vrai, la philosophie n’a en soi ni distribution, ni méthode, ni spécialité, par conséquent, pas de réalité. Et quand, selon les expressions de Jouffroy, elle cherche à déterminer son objet, sa circonscription, sa méthode ; quand, enfin, elle veut se faire science ou norme, elle avoue que jusque-là elle n’a été rien, et qu’en se spécialisant elle s’abdique elle-même.
Quant à la royauté et à la démocratie, considérées dans leur idée pure, nous en parlerons en leur lieu.
310. Faits anormaux. Les faits anormaux se distinguent des anté-normaux, en ce qu’ils n’ont pas leur raison dans le développement régulier de l’être, mais dans l’antagonisme de ses puissances, et qu’au lieu de se métamorphoser comme ceux-ci, en se régularisant, ils disparaissent tout à fait.
Je prends pour exemple l’esclavage. L’esclavage est un fait subversif, parce que, d’une part, son principe est dans la violence, non dans le droit, c’est-à-dire contraire à l’ordre ; de l’autre, parce que, de deux choses l’une : ou il n’est pas organisé, c’est-à-dire il y a absence de série dans cet état ; ou, s’il est organisé, il ne peut l’être que sur le modèle d’une société libre.
Partout où, comme chez les Romains, les esclaves sont entassés pêle-mêle dans une étable, conduits au travail comme des bêtes de somme, nourris sans salaire, accouplés au caprice du maître, frappés, tués, jetés à la voirie comme des charognes, l’esclavage n’est pas organisé : c’est un assassinat.
Au contraire, accordez-vous à l’esclave un petit pécule ; le soumettez-vous à la loi du mariage ; lui donnez-vous des principes de morale et de droit ? Alors vous effacez en lui le signe de l’esclave ; vous créez cette brute à votre image ; vous fondez une société nouvelle dans la vôtre ; et plus vous mettez d’ordre dans votre chenil humain, plus vous le rapprochez de votre foyer. Ordre et servitude, termes contradictoires, dont le premier absorbera tôt ou tard le second.
La même chose s’observe dans le despotisme. Ou le despote est absolu, c’est-à-dire que l’État est sans lois fixes, que tout y marche au gré de la volonté changeante et journalière du maître, et c’est le désordre et la confusion ; — ou bien le despote fait des règlements et ordonnances, institue des coutumes, divise son autorité, en d’autres termes, imite la constitution des États libres. Mais dès lors que le despote statue et légifère, il est obligé de s’accorder avec lui-même, puis d’être raisonnable, puis d’être juste ; plus ces qualités lui viennent, plus il perd son caractère de despote ; et si quelque jour sa volonté toute-puissante, subitement éclairée, décrétait dans son arbitraire la constitution régulière de la société, le despotisme aurait enfanté l’égalité et la liberté, le despotisme périrait par l’ordre. Ceci, du reste, est l’histoire de tous les gouvernements.
Nous parlerons de la guerre, autre fait anormal, en traitant du métier de soldat.
311. Les faits que nous venons de rappeler ont tous été regardés jadis comme nécessaires, légitimes, conformes à l’ordre institué par la Providence : l’expérience et le progrès du temps ont changé sur ce point l’opinion des peuples. Mais on n’accorde pas de même l’anomalie de cet autre fait : l’inégalité des conditions parmi les hommes. Or, avant d’aborder cette question sous le point de vue économique, on me saura gré, peut-être, de l’apprécier au point de vue transcendental de la théorie sérielle.
L’argument ordinaire des partisans de l’inégalité est celui-ci :
Tout est inégal dans la nature : les animaux et les plantes, la force, la taille, la beauté ; la hauteur des montagnes, la grandeur des rivières, la longueur des jours, l’intensité de la chaleur, etc.
Entre les hommes, il y a inégalité physique, morale, intellectuelle ; inégalité de travail, inégalité de talent, inégalité de dévouement.
Donc il est nécessaire qu’il y ait inégalité de conditions.
Ce raisonnement est d’autant plus spécieux qu’il a toute l’apparence d’une série, et, qui plus est, d’une série embrassant l’universalité des choses. On va voir quelle est la faiblesse, j’ai presque dit le ridicule, de cet ambitieux sophisme.
D’abord, les faits qu’on accumule en faveur de cette prétendue loi d’inégalité ne forment point entre eux une série ; ils ne sont pas gouvernés par une loi commune ; c’est une suite d’analogies. Or, nous savons que la ressemblance de deux séries dont le sujet est divers n’est point un argument de l’identité de la loi qui les gouverne, et suppose même diversité de principe. Où est ici, par exemple, la raison sérielle qui unit les propriétés chimiques et physiologiques des corps, le cours des astres, les formes organiques, l’intelligence, le talent et la beauté, avec la condition sociale de l’homme ?…
À mon tour, si je raisonnais ainsi : Chez l’homme et chez tous les êtres vivants, les yeux sont égaux, les oreilles égales, les pieds, les mains, les poumons égaux ; les intervalles du pouls égaux : du moins, la tendance naturelle, l’idéal, la loi de la beauté, est dans l’égalité parfaite des parties doubles. Dans la nature, les fluides tendent à l’équilibre, et les liquides au niveau ; le magnétisme présente deux pôles égaux ; l’électricité a deux faces toujours en équilibre ; la lumière et les corps élastiques font leur angle de réflexion égal à leur angle d’incidence ; les oscillations du pendule sont isochrones ; deux horloges en communication sur une tige de bois ou de métal se mettent bientôt à l’unisson ; dans la plupart des séries, les unités sont en rapport d’égalité ou d’équivalence ; la raison ne procède que par identité ou équation ; enfin, l’égalité devant la loi forme la base de notre droit public : qui peut dire que cette égalité ne s’étendra pas jusqu’aux fonctions sociales, d’abord ; puis, dans chaque fonction, jusqu’aux hommes ? Qui sait si les unités de la série industrielle (les travailleurs), par une combinaison qui leur est propre, ne se balancent pas l’une l’autre, de manière que les conditions des individus soient égales ? Si, dis-je, j’invoquais toutes ces analogies, qu’aurait-on à répondre ? que l’analogie ne prouve rien ? J’en tombe d’accord : aussi je répudie cette preuve.
312. Dans mes mémoires sur la propriété, j’ai fait voir que l’inégalité des conditions était contraire aux idées de société, fraternité, grande famille, que l’on invoque aujourd’hui comme principe de la réforme future : j’ai montré de plus que, dans la pratique l’inégalité de répartition était mathématiquement impossible. Par le premier argument, je mettais le fait en contradiction avec la tendance ; par le second, je faisais ressortir la qualité subversive, anormale, partant non durable de ce fait. Mais, dans l’un ni dans l’autre cas, je ne saisissais le fait dans sa cause, et n’en démontrais à priori l’illégitimité.
§ VI. — Advantages of a serial dialectic: tendency of minds to the series.
299. Let us summarize in a few lines the facts set out in the preceding sections.
Nature is infinite in the variety of her works. This fruitfulness of the creative power, always new and always unforeseen, always luxuriant and full of harmony, has been for man, from the beginning, a permanent source of inspiration and enthusiasm, at the same time as a text of endless conjectures. At the sight of these astonishing marvels, human thought, confounded, took refuge even in the bosom of the uncreated Being, principle of life and great organizer of the worlds; and from this primitive contemplation were born innumerable religions, as varied in their forms as the manifestations of the God they celebrate. The first word of any language, the first refrain of any hymn was the name of God, Iou, Io, Pæan; and this sacred, inexplicable name, like an echo repeated from age to age, still resounds in the midst of our incredulous society: Gloria in altissimis Deo; Hosanna, Hallelujah.
But, among this infinite variety of combinations and forms, reason could not languish in eternal ecstasy, nor wander in perpetual errors: the mechanism that multiplies the convolutions of the labyrinth around us is at the same time the common thread and the key that helps us to reveal its detours. And just as, to write and calculate the most terrible numbers, we only needed a simple combination of signs, so, to recognize ourselves in this ocean of figures and types, we only need a sovereign law, the Series.
300. This supreme law governs nature, gives form to our thoughts, straightens our judgments and constitutes science. It can be defined: synthetic intuition in diversity, totalization in division.
The serial law excludes any idea of substance and cause, although it recognizes their objective reality: it indicates a relationship of equality, progression or similarity; not of influence or continuity.
From whatever side we consider nature, it presents a seriation; so that things offering to our eyes as many different series as points of view, we are forced to recognize ourselves to adopt one, without however excluding the others, which we must on the contrary study comparatively.
Each object being serialized according to a special mode, each science is a particular mode of seriation, a variant of the serial law.
This law has been glimpsed from the beginning of the world. The Lord, Genesis tells us, created animals and plants, each according to its kind and species. But, still partially obscured, either by the mysticism of faith or by the sophisms of reason, serial law is today on the eve of total emergence. All the powers of the human mind converge in this direction.
301. From these general considerations passing to the analysis, we have seen that the series is broken down into three elements: the point of view; the material or unity, which is very often only the point of view; finally the reason, or the ratio of units.
The point of view can be real or fictitious: in the first case, the series is natural, inherent to the object; in the second, it is a creation of our understanding, which, sometimes with a view to a fuller enjoyment, reorganizes and transposes the series from one object to another, sometimes for the needs of discourse, for the convenience of poetry and art, creates conventional genres, intelligible groups, on which it operates as on objective series; or else associates in ingenious and brilliant figures essentially disparate types.
According to the material and the relation of the units, the series takes on various forms and consequently various properties, from which results the infinite variety of the universe; according to the simplicity or the multiplicity of the point of view, the series forms univocal aggregates, or compound organisms and vast systems.
All the forms of creation, all the combinations of thought, all the inventions of industry are thus resolved into a general formula, which is like the metaphysics of nature.
302. Whether refuting or demonstrating, the art of reasoning consists in recognizing whether the proposition, taken as a whole, or compared with some other proposition expressed or implied, forms a regular series; whether this series is specific to the object in question or borrowed from elsewhere; whether the relationship is faithfully observed between the parts or serial units; if the point of view does not vary. When these various conditions have been fulfilled, the series is exact, and the proposition is proved.
Thus to reason is to classify, an operation that comprises two distinct parts: 1. the analysis of terms; 2. the release of their report. As the naturalist says: The ox ruminates, the goat ruminates, the sheep, the deer, the camel ruminates; therefore these animals form a group or series which I call the series of ruminants; likewise the metaphysician, comparing ideas whose object is different, groups them into genera and species, according to the identity of the relations and of the point of view.
303. Everything that can be thought by the mind or perceived by the senses is necessarily serial.
The ancients recognized four elements, water, air, earth and fire, to which they related all organized and unorganized bodies. Of these four elements, none is admitted as such in modern chemistry; moreover, when for these elements decomposed by it, it claimed to substitute simpler ones, in large numbers, and on this new basis to raise the edifice of a system, there were men who revoked in doubted the simplicity of the new elements and explained chemical phenomena by all sorts of hypotheses (188).
The philosophers, who reduce all things visible and invisible to three principles; the theologians, who deified these principles; the logicians, who reduce to ten or twelve the elementary forms of thought, resemble the ancient and modern naturalists. The categories of reason are both simple intuitions and lofty generalizations (341 et seq.); they enter into each other and engender each other reciprocally; they are rather milestones laid down by the mind through the field of thought than intellectual elements; and who would dare to say that the three principles of the causalists, Matter, Life, Mind, and the fifty-six elements of the chemists, are not, like the categories of Aristotle and Kant, pure speculations of our intelligence? We have made nature and reason similar to a genealogical tree, the trunk of which is divided into a few main branches, subdivided in their turn into branches and ramuscules, ad infinitum. We take chemical abstractions for decompositions, but, poor myopes that we are, we do not see that each of these pretended decompositions becomes for each separated part a cause that renders it in turn decomposable; that series and unity, diversity and synthesis are the essential condition of all phenomenality as of all perception; that in the double sphere of the objective and the subjective, being and idea are necessarily component and compound, one and multiple, element and series: and because our analysis stops, we claim to limit nature. Vanity of vanities! Nature plays with our reductions, and our own reason makes fun of our categories. The series multiplies by division: to reach the indecomposable, that is to say, the indivisible, the unconditioned, being in itself, we must leave the series, leave the phenomenon, and soar to God, whom we only know by faith.
304. Whatever subject one deals with, the conclusion is always indicated by the formation of the series; so that to classify ideas is to conclude.
In France, the law grants the right of election only to censitaires at 200 francs. Everyone repeated that this way of determining electoral capacity was bad, because the taxpayer’s rating has nothing in common with patriotism and enlightenment. Kant would have said in his language that one had inappropriately concluded from quantity to quality, something as unreasonable as if one had said: He alone will be an elector, who will be recognized each year as fit for service by the review board.
But, in the end, such is the law, a law brought about by fifty years of political changes, and for which it would not be difficult to find justifiable reasons, I mean reasonable excuses. It must be applied: it is therefore a question of knowing who pays. Now this search, so simple at first glance, according to the controllers and tax collectors, is perhaps the most delicate and difficult of all administrative operations.
And first, what is the tax levied on? The tax is divided into land, personnel, furniture, patent, license, benefits in kind, etc.; that is to say, tax on lands, houses and instruments of labour; tax on men, on labor, on consumption, on produce. But this series of taxes is useless for the object that occupies us, because it is purely verbal, and is reduced in reality to only one species, the tax on the product. Indeed, the owner, the capitalist, the industrialist, the retailer, the consumer pay their land tax on their income, their personal contribution on their income, their patent, license, additional centimes, etc., etc., on their income. If they dipped into their principal, they would be ruined; if they cut back on their necessities like the poor people to whom the indirect tax tears the morsel of the mouth, they would perish of hunger. It is therefore ultimately on the the product that taxes are collected: the necessary consequence is that the producers are the true taxpayers.
Now who produces, who labors? I do not want here to take up again the worrying distinction between producers and unproductive: the matter is exhausted, and can only displease where accomplished facts have the force of law. I admit that the proprietor, the rentier and the capitalist really produce by the loan of their capital; that those who only consume, still produce: at least I will be granted, on the other hand, that they do not produce alone; and if we estimate their participation in the product according to the ordinary rate of royalties, location rents and farm rents, we will find that the part of the owner in the production hardly exceeds the twentieth of the product. Thus, whether the tax is paid by the hand of the proprietors or by that of the borrowers and tenants, whatever may be, in a word, the person who pays the cash does not matter: the non-owner workers alone bear nineteen-twentieths of the contributions. — They should, by law, appoint 19 deputies out of 20.
The demonstration that I have just sketched rests on two consecutive series: 1. reduction of all varieties of tax to one species, the tax on production; 2. evaluation of the product of each taxpayer according to his salary or income, and determination of the electoral capacity according to the product. Here we have operated on only two classes of citizens; the difficulty would be to apply the operation to individuals. It was then that the thorniest questions would arise in droves: the distribution of wages; the solidarity of labor, the assessment of talent; the right of the apprentice, the worker, the master; finally the comparison of industrial specialties, and the proportion of their representatives. It should be ascertained whether, by the disorders of competition, the inequalities of supply and demand, the lack of discipline in the workshops, favor, monopoly and privilege, no one is deprived or does not enjoy illicitly the right to voting; if the producers, being all interdependent, should not be considered as virtually associated; if, consequently, they should not all obtain a share of influence in the expression of the general will.
The consequence of such a work would infallibly be the following: by the mere fact that one would determine by means of analysis the industrial individuals composing the series of producers paying the tax, as this series would embrace the universality of the workers, one would conclude necessarily to the universalization of electoral rights, and probably to a two-tier election system, with mandate and indemnity: all things that the current law is precisely intended to avoid.
So, I repeat, to seriate is to conclude; to form a genus with species is to conclude: for who says conclusion says general formula, genus or series.
305. Since forming a series or formulating a conclusion is an identical operation, the serial method is free from the disadvantages of induction and syllogism. Indeed, in these two kinds of arguments, the mind goes from the known to the unknown by abandoning its point of departure, and launching itself into the void; in the series, on the contrary, it slips from one term to another on the uninterrupted thread of identity; then, joining the extremities of the chain, embraces all the particular cases under the same horizon. Now it is this horizon that expresses the serial totality: everything that goes beyond it is foreign to the series; consequently the conclusion, being only the synthetic formula of this series, is demonstrated by the very fact of analysis. To conclude outside the serial horizon would be to misunderstand the theory, and to contradict oneself in the terms.
If, for example, from the preceding demonstration, and by which we have shown that under the terms of the law which governs us, every worker must be an elector; if, I say, we introduced that every voter is eligible, we would make a paralogism, because nothing yet proves that the electoral conditions are the same as the conditions of eligibility. [38]
306. Serial dialectics is, like arithmetic and geometry, exact, rigorous, infallible in its progress; but also, like the latter, it does not necessarily guarantee success in application.
It is conceivable, in fact, that in a mathematical problem a datum has been omitted, or that the terms of the question proposed do not faithfully translate the problem to be solved: in either case, the operation may be irreproachable, without the hoped-for success of the application being obtained. The figures will not have failed, but instead the statement of the problem.
The same is true of serial reasoning: it responds with accuracy and precision to the questions addressed to it; but it does not prejudge the very usefulness and competence of the questions. Thus, it is indubitable that by taking as a condition of the electoral right any quantum of contribution one will arrive at universal suffrage; but that does not prove that universal suffrage is always a useful and opportune thing. There are other social considerations, which all resolve themselves into that of progress, and of which it is necessary here to take account. And I regard, as for me, as enemies of freedom, or at least as imprudent, those who demand the immediate application of this political aphorism: Every citizen is a voter, and every voter is eligible. [39]
Metaphysics, let us not be afraid to repeat it, is not a method of invention; it does not teach to discover the true point of view of questions (248 et seq., 253), to fix the position of a problem. But let us submit a hypothesis to it and, by constructing the higher series of which this hypothesis forms part as a unit, it will quickly know how to recognize whether it satisfies all the collateral propositions; and it is in this that metaphysics surpasses mathematics, forced to have recourse to it for the same object. Thus, to return to our electoral law, after having proven that universal suffrage is its consequence, the serial dialectic would soon demonstrate, by analysis and by facts, that the extension of political rights does not solve the problem of organization that it is the corollary rather than the principle or the means; that, consequently, to want to arrive by the first at the second, instead of making them walk abreast, is to suppose between them a filiation that does not exist, it is to reason like a philosopher.
307. The ancient logicians compared the double syllogism, or dilemma, to a two-edged sword: this image would be weak to give an idea of the serial method, either in refutation or in proof. It is like a cylindrical machine, crushing and crushing sophistry by the thousands; it is Ezekiel’s chariot of fire, lighting up his road in the distance and rolling on without ever stopping or retreating.
308. We have seen with what facility the serial method discovers a priori the vice of certain theories to which the syllogism cannot reach, and which seem to defy common sense and experience. It is no less powerful in destroying the authority of certain facts long admitted as legitimate by the human conscience, or at least regarded as necessary in the practice of nations.
Ante-normal and abnormal facts. — In the development of civilization, and the slow and progressive constitution of societies, a multitude of facts take place, either of preparation and transition, or of subversion and antagonism, striking testimonies of the efforts of creative nature, but all of which can only serve in a negative way to demonstrate order.
Of this number are, as preparatory or ante-normal facts, that is to say, prior to order, religion and philosophy, royalty and democracy; — as abnormal or subversive acts, despotism, slavery, inequality of conditions, war; and, as consequences of disorder, either repressive institutions, penal courts, prisons, scaffolds; or palliative institutions, hospitals, charity workshops, alms.
Now, the serial method proves a priori, in an invincible manner, that all these facts must sooner or later be annihilated or at least weaken indefinitely.
The metaphysical axiom on which it is based is this: That alone is durable, living, useful and beautiful, which is serial; that alone is of natural and permanent institution, which has its ordination in itself, cujus lex in ipso est; or, as Montesquieu said, whose laws result from its essential properties.
309. Ante-normal facts. Shall I talk about religion? Religion is not ordained in itself, neither for dogma, nor for worship, nor for discipline, nor for government. Christianity, for example, deduced its divine trinity from the cosmic trinity; its dogma of the incarnation is a pantheistic reminiscence; its government an imitation of the civil and military hierarchy of the Romans; its festivals, by a singular coincidence, are distributed according to the course of the sun and the positions of the stars; its history based on human testimonies. If it tries to prove itself, it reasons like philosophy.
In everything religion, a so-called divine institution, copies human science; and, in order to agree with reason, it demands, in the name of reason, the submission of reason.
But religion is feeling, faith, love, spontaneous admiration, blind obedience: it is the beginning of science, initium sapientiœ timor Domini, the starting point of reflection and liberty: it is the oldest fact, the most universal and, in principle, the most indestructible of our species.
For these reasons, religion is not a fact of subversion, but a precursor of order; a fact that, therefore, expires in the establishment of order.
We shall see in Chapter V how it is appropriate to proceed to the abolition or rather to the transformation of this fact.
I will not return to philosophy: it has been sufficiently demonstrated, it seems to me, that, as a general investigation of truth, philosophy has in itself neither distribution, nor method, nor specialty, consequently, no reality. And when, according to the expressions of Jouffroy, it seeks to determine its object, its circumscription, its method; when, finally, it wants to become a science or a standard, it admits that until then it has been nothing, and that by specializing it abdicates itself.
As for royalty and democracy, considered in their pure idea, we will speak of them in their place.
310. Abnormal facts. The abnormal facts are distinguished from the ante-normal, in that they do not have their reason in the regular development of the being, but in the antagonism of its powers, and that instead of metamorphosing like these, by becoming regularized, they disappear altogether.
I take slavery as an example. Slavery is a subversive fact, because, on the one hand, its principle is in violence, not in right, that is to say contrary to order; on the other, because one of two things is true of it: either it is not organized, that is to say there is an absence of series in this state; or, if it is organized, it can only be so on the model of a free society.
Wherever, as among the Romans, slaves are piled up pell-mell in a stable, driven to work like beasts of burden, fed without pay, mated at the whim of the master, beaten, killed, thrown into the garbage dump like carrion, slavery is not organized: it is murder.
On the contrary, grant yourself to the slave a small nest egg; submit him to the law of marriage; do you give him principles of morality and of law? Then you erase in him the sign of the slave; you create this brute in your image; you found a new society in yours; and the more order you put in your human kennel, the closer you bring it to your home. Order and servitude, contradictory terms, the first of which will sooner or later absorb the second.
The same thing is observed in despotism. Either the despot is absolute, that is to say that the State is without fixed laws, that everything in it works according to the changing and daily will of the master, and there is disorder and confusion; — or else the despot makes regulations and ordinances, institutes customs, divides his authority, in other words, imitates the constitution of free states. But as soon as the despot rules and legislates, he is obliged to agree with himself, then to be reasonable, then to be just; the more these qualities come to him, the more he loses his despotic character; and if some day his all-powerful will, suddenly enlightened, decreed in its arbitrary nature the regular constitution of society, despotism would have given birth to equality and liberty, despotism would perish by order. This, moreover, is the history of all governments.
We will talk about the war, another abnormal fact, by dealing with the profession of soldier.
311. The facts that we have just recalled were all formerly regarded as necessary, legitimate, in conformity with the order instituted by Providence: experience and the progress of time have changed the opinion of the people on this point. But the anomaly of this other fact is not granted in the same way: the inequality of the conditions among men. Now, before approaching this question from the economic point of view, you will perhaps be grateful to me for appreciating it from the transcendental point of view of serial theory.
The usual argument of the partisans of inequality is this:
Everything is unequal in nature: animals and plants, strength, size, beauty; the height of the mountains, the size of the rivers, the length of the days, the intensity of the heat, etc.
Among men, there is physical, moral, intellectual inequality; inequality of work, inequality of talent, inequality of devotion.
Therefore it is necessary that there be inequality of conditions.
This reasoning is all the more specious in that it has all the appearance of a series, and, what is more, of a series embracing the universality of things. We will see what is the weakness, I almost said the ridiculousness, of this ambitious sophism.
First, the facts that are accumulated in favor of this pretended law of inequality do not form a series between them; they are not governed by a common law; it is a series of analogies. Now, we know that the resemblance of two series whose subject is different is not an argument for the identity of the law that governs them, and even supposes diversity of principle. Where is here, for example, the serial reason that unites the chemical and physiological properties of bodies, the course of the stars, organic forms, intelligence, talent and beauty, with the social condition of man?…
In my turn, if I reasoned thus: In man and in all living beings, the eyes are equal, the ears equal, the feet, the hands, the lungs equal; the intervals of the pulse equal: at least, the natural tendency, the ideal, the law of beauty, is in the perfect equality of the double parts. In nature, fluids tend to equilibrium, and liquids to level; magnetism presents two equal poles; electricity has two sides always in balance; light and elastic bodies make their angle of reflection equal to their angle of incidence; the oscillations of the pendulum are isochronous; two communicating clocks on a wooden or metal rod soon go into unison; in most series, the units are in a relationship of equality or equivalence; reason proceeds only by identity or equation; finally, equality before the law forms the basis of our public right: who can say that this equality will not extend to social functions, first of all; then, in each function, down to the men? Who knows if the units of the industrial series (the workers), by a combination of their own, do not balance each other, so that theconditions of individuals are equal? If, I say, I invoked all these analogies, what would one have to answer? That analogy proves nothing? I agree: so I repudiate this evidence.
312. In my memoirs on property, I showed that the inequality of conditions was contrary to the ideas of society, fraternity, large family, which are invoked today as a principle of future reform: I have further showed that, in practice, unequal distribution was mathematically impossible. By the first argument, I put the fact in contradiction with the tendency; by the second, I brought out the subversive, abnormal, hence unsustainable quality of this fact. But, in either case, I did not grasp the fact in its cause, and did not demonstrate a priori its illegitimacy.
313. On dit : Les éléments de la condition humaine sont le travail, le talent, l’intelligence ; or les capacités individuelles sont inégales ; donc il est dans l’ordre que les conditions le soient aussi.
Le fait énoncé dans ce syllogisme est indubitable : l’inégalité des conditions est l’expression de l’inégalité des capacités. Peu importe que, dans le détail, cette règle souffre une foule d’exceptions ; que la fortune ne soit pas toujours en raison du talent, et que souvent le génie honore l’indigence : il s’agit moins ici de la valeur respective des riches et des pauvres dans un moment donné, que de la signification sociale et de la cause primitive du fait. C’est donc la capacité humaine qu’il faut soumettre à l’analyse, si l’on veut pénétrer la raison de cette antinomie flagrante, savoir, d’une part, la tendance à l’égalité, et l’impossibilité mathématique d’une répartition inégale ; de l’autre, une cause naturelle et irrésistible d’inégalité.
314. J’écrivais, en juin 1842, au journal la Phalange, en réponse à quelques articles dirigés contre la doctrine de l’égalité :
« Si l’école sociétaire pense sérieusement, comme elle l’a maintes fois exprimé, que l’inégalité des capacités soit essentielle à sa théorie, qu’une lice soit ouverte dans la Phalange… Vous démontrerez, par une analyse approfondie des facultés et des lois de l’esprit humain, que l’inégalité des capacités entre les hommes est nécessaire et permanente ; vous expliquerez la cause originelle de cette inégalité ; vous en assignerez les extrêmes limites ; vous en formulerez les lois et en calculerez les proportions et les rapports. Car ce n’est rien que d’énoncer un fait : les philosophes, les moralistes, les hommes d’État et les vieilles femmes, tout le monde s’accorde à dire qu’aujourd’hui, du moins, les individus ne se valaient pas l’un l’autre en talent et en capacité. Mais ce fait brut n’apprend rien : il faut en étudier les causes et les lois, si l’on veut qu’il prenne rang dans la science.
« De mon côté, je ferai voir, par une dialectique dont la certitude sera éprouvée, que le fait d’inégalité intellectuelle entre les individus est purement accidentel et transitoire ; que la tendance de la société est à l’égalité des intelligences, comme au nivellement des conditions ; que l’équivalence des talents et capacités est la norme de la raison collective dont nous ne sommes tous que des manifestations ; je développerai les causes de cette inégalité passagère qui tourmente tant de nobles cœurs ; j’exposerai sa raison d’être et sa marche décroissante ; enfin je donnerai la mesure de comparaison des capacités, et, si j’ose ainsi dire, le noomètre de l’espèce humaine. »
Les rédacteurs de la Phalange, prenant sans doute ce défi pour une bravade, ne crurent pas devoir y répondre. Je n’entrerai pas aujourd’hui dans les détails qu’une semblable discussion exige : cela me mènerait trop loin. Je me contenterai de présenter le sommaire de la thèse, laissant à l’école sociétaire, en réparation de ses préjugés aristocratiques, l’honneur du développement,
315. Si le lecteur a présent à la mémoire tout ce que nous avons exposé jusqu’ici touchant la religion, la philosophie, le progrès des sciences, l’émergence de la théorie sérielle, et la création d’une méthode transcendentale de la connaissance, le fait d’inégalité entre les capacités doit lui apparaître, dans la civilisation, comme une anomalie, et, en soi-même, comme une impossibilité.
L’activité, ou la faculté productrice de l’homme, se compose de deux éléments : 1o l’aptitude ou spécialité instinctive ; — 2o l’intelligence.
L’aptitude est donnée par le tempérament, les premières impressions, l’éducation, les habitudes ; l’intelligence se développe en trois périodes successives ; l’aperception spontanée, la réflexion, la connaissance méthodique ou la science.
Toutes les aptitudes, étant données par la nature, sont également estimables, également bonnes ; seulement elles peuvent être corrigées ou diminuées, transformées, fortifiées, exaltées, créées même, par la génération, le régime, la discipline ; en un mot, par toutes les circonstances du milieu où se développe l’individu, mais surtout par la méthode, que l’on peut ici définir : l’éducation de l’intelligence. Les modifications auxquelles l’homme soumet les animaux et les plantes, cette action merveilleuse qu’il exerce sur les êtres vivants, sont l’image et l’analogue de celles qu’il peut exercer sur lui-même. Le temps viendra où la production des spécialités, aujourd’hui abandonnée au hasard, sera réglée par l’infaillible compas de la science…
L’intelligence, qu’on appelle aussi la raison, est une, identique, égale à elle-même dans tous les hommes, et pure, c’est-à-dire indépendante des temps, des lieux, des tempéraments, des préjugés. Mais elle reçoit sa direction, et pour ainsi dire sa physionomie (sa différenciation), de l’aptitude, spécialité instinctive et naturelle. La raison, quant à la matière et à la forme de la connaissance, est impersonnelle et objective ; d’où il suit que, relativement à un même objet, elle n’est susceptible ni de plus ni de moins : elle est la même ou elle n’est pas.
Or, la loi du développement artistique et industriel est d’élever sans cesse le travail à l’idée pure : en d’autres termes, de le faire passer de la pratique spontanée (plus ou moins heureuse) à la science. En sorte que le terme du progrès, dans la sphère de l’activité humaine, est l’équation entre le talent ou l’aptitude, et l’intelligence.
316. C’est ce que Fourier sentait profondément lorsqu’il écrivait ces lignes : « En 1788, des Académies mettaient au concours la question suivante : Le génie est-il au-dessus des règles ? Doute injurieux au génie : il ne demande pas de prérogatives anarchiques ; il ne veut que s’affranchir des entraves du préjugé, sans pour cela s’écarter des voies de vérité certaines, des sciences physiques et mathématiques. »
Si tout est soumis à des règles, quelle peut être, dans une créature intelligente, la part de l’instinct, ou, comme nous disons, du talent ? Le génie n’est plus qu’une anticipation de la méthode, une expression servant à désigner dans l’homme le vif pressentiment de la règle, et le besoin de s’y soumettre. L’apogée du génie consiste dans cette vue intime de la loi : au delà il devient science, et une nouvelle vie commence pour l’individu. Tant que cette transformation n’a pas eu lieu, tant que la loi n’est pas pleinement révélée, le génie, roi de la pensée, plane sur le vulgaire qui l’admire et ne peut l’atteindre, parce qu’il ne peut le comprendre. C’est ainsi que nous admirons les grandes personnifications de la réflexion et de la spontanéité : Platon, Aristote, Spinosa, Kant, Fourier. Que voulaient-ils ? Où allaient-ils ? Quel Dieu, les inspirant, leur dictait de si étonnantes idées ? Nous n’en savons rien : ces hommes étaient pour nous des prodiges, des mystères. Mais à présent que la théorie sérielle, inaugurée, nous a découvert les lois et les aspirations secrètes de l’esprit humain, les conditions de la beauté et de la certitude, nous pouvons, enfants que nous étions hier, suivre à la course ces géants, et, par une illumination soudaine, nous nous trouvons leurs égaux.
Dans l’ordre scientifique, les méthodes ; dans l’industrie, les procédés techniques ; dans l’éducation, la discipline ; partout des divisions et des séries : voilà ce qui élève sans cesse le bas-fond des sociétés au niveau des plus belles intelligences, et amène peu à peu, non l’identité, mais l’équivalence des capacités.
317. Posons donc comme corollaires de la théorie sérielle les propositions suivantes :
Dans toute société inorganique ou simpliste, sous le règne de la spontanéité religieuse et de l’hallucination philosophique, l’homme n’ayant atteint nulle part son entier développement ; la science n’étant pas faite ou n’existant que par parties ; le travail s’effectuant sans division : le champ de l’activité humaine est nécessairement restreint ; les capacités, ignorantes, peu ou point différenciées, mal distribuées, sont inégales.
À mesure que la science s’élève, que le travail se divise, que l’industrie prend son essor, le nombre des capacités devient proportionnellement plus grand ; et ce progrès, tout empirique, se manifeste par l’établissement des aristocraties.
Le travail d’initiation dans la science étant incomparablement plus facile que celui de découverte, et les conditions de progrès ultérieurs se multipliant à chaque progrès accompli, la marche des intelligences ordinaires est plus rapide dans sa continuité, que le vol toujours plus embarrassé des intelligences d’élite.
Enfin, la somme des idées augmentant toujours, on supplée, d’abord par des résumés et des notions générales, puis par une théorie des lois mêmes de l’art et de la raison, à l’impossibilité de tout apprendre ; et la totalité de la connaissance se divise pour chacun en deux parties : l’une qui constitue le fonds commun par lequel l’individu est en rapport avec la société ; l’autre, qui se compose d’idées particulières et plus approfondies dont l’objet forme sa spécialité.
Puis donc que le progrès de la civilisation se résout essentiellement dans la perfection des méthodes et des instruments de travail, dans la réalisation facile et précise des idées par les organes ; en un mot, dans la soumission complète de la nature à la raison ; et puisque la raison est identique dans tous les hommes, il s’ensuit que les membres divers d’une société sont autant d’organes spéciaux de facultés équivalentes de la raison universelle (ch. IV, § iii).
318. Et il ne sert à rien de dire qu’en résolvant ainsi toutes les facultés humaines dans l’exercice régulier d’une raison servie par des organes, il pourrait encore se rencontrer des inégalités d’érudition et de mémoire : car la supériorité d’un individu sur ses semblables dépend moins de la quantité de ses connaissances que de l’usage qu’il sait en faire, en style d’école, de la puissance synthétique de son intuition.
Or la théorie sérielle non-seulement nous prépare à l’invention et à la synthèse, et tend par conséquent à égaliser dans tous la faculté créatrice ; mais elle nous apprend encore à considérer un même objet sous des points de vue d’une fécondité inépuisable, en sorte que l’intelligence peut toujours gagner en profondeur ce qu’elle perd en étendue. Et si l’on objecte qu’en certains sujets toutes les facultés semblent dépasser la mesure commune, ce qui, à égalité de travail, doit entretenir entre ces sujets et les autres une inégalité perpétuelle, je répondrai que ce qui est vrai dans un temps ne l’est plus dans un autre, parce que c’est un attribut de la raison d’être limitée par ses propres lois. D’un côté, l’attention est une, non discursive ; la compréhension successive, non simultanée ; de l’autre, la loi sérielle, qui par les méthodes donne une si forte impulsion à la masse des esprits, arrête, par une spécialisation de plus en plus étroite, l’intelligence prête à s’envoler dans la sphère de l’universel et de l’absolu ; tout cela combiné fait que le plus puissant génie a toujours moins de ressources pour s’élever dans une spécialité que, bon gré mal gré, il est forcé de choisir, que les capacités inférieures, chacune dans la sphère qui lui est propre, n’en ont pour l’atteindre.
319. En résumé, l’inégalité des capacités, quand elle n’a pas pour cause les vices de constitution, les mutilations ou la misère, résulte de l’ignorance générale, de l’insuffisance des méthodes, de la nullité ou de la fausseté de l’éducation, de la divergence de l’intuition par défaut de série ; d’où naissent l’éparpillement et la confusion des idées. Or tous ces faits, producteurs d’inégalité, sont essentiellement anormaux[40] : donc l’inégalité des capacités est anormale.
Au contraire, toutes les grandes découvertes ont eu pour objet des séries, et pour moyen des procédés de sériation ; toutes les grandes intelligences ont été éminemment synthétiques : leurs travaux, marqués au coin de la loi sérielle, ont été le levier du perfectionnement social. C’est par la faculté de classification, de sériation et de synthèse, que notre race élève son noble front au-dessus de toutes les autres, et qu’elle finira par demeurer seule maîtresse et usufruitière du globe. Car toute individualité incapable de s’ordonner par la science et la raison, dans une société savante et raisonneuse, est condamnée à servir ou à périr : elle est anormale.
Or la série est la loi du progrès, comme la forme de la raison et de la nature ; la série est ce dont l’intelligence s’empare avec le plus d’amour et de facilité ; la série donne des forces à la faiblesse en même temps qu’elle impose des entraves au génie : j’en conclus que la tendance sociale est à l’équivalence des capacités.
Mais les capacités seront-elles jamais parfaitement égales ? Demandons plutôt si les passions ne commettront plus d’écart ; si les machines ne causeront jamais d’accident ; s’il ne naîtra plus de phthisiques ; si tous les hommes ressembleront à l’Apollon, et les femmes à la Vénus. Je dis donc, et je puis le dire sans danger pour la liberté, que cette égalité absolue est peu probable : il suffit, pour notre gouverne, qu’elle soit démontrée comme la norme et la condition de la société. L’infirmité physique, morale et intellectuelle, comme une lèpre hideuse, est aujourd’hui le mal du plus grand nombre ; elle doit progressivement être guérie, et réduite à une minorité toujours décroissante : tel est le principe de l’égalité civile. La charité nous est commandée envers les incurables : tel est le précepte de la fraternité universelle.
Nous verrons plus tard, en cherchant les conditions du travail, quelle peut être la mesure de comparaison des capacités.
320. Prouver la vérité d’une proposition en allant du connu à l’inconnu ; réfuter un sophisme ; déterminer la valeur d’une hypothèse sans attendre l’expérience ; démontrer l’anomalie d’un fait, et par conséquent réduire son autorité à rien : c’est toujours la même opération ; c’est constater, par la construction des idées, la présence ou l’absence de la série, en un mot, c’est former des genres et des espèces. Voilà la raison de cette singulière puissance d’à priori que l’on ne saurait s’empêcher d’admirer dans la dialectique sérielle, et qui l’élève si fort au-dessus de l’ancienne logique ; voilà ce qui fait de la méthode transcendentale, dont nous avons exposé les éléments, un critérium de la vérité indépendant des faits eux-mêmes, une règle qui nous affranchit des démonstrations si coûteuses et souvent si funestes de l’expérience, comme les mathématiques nous préservent de toute tentative impliquant une violation de leurs lois.
Je m’étais proposé d’abord de montrer dans ce paragraphe comment, en matière législative, la théorie sérielle apprend à découvrir des principes absolus, d’une application toujours facile, toujours exacte, et dont les conséquences, si loin qu’on les pousse, ne s’écartent jamais de la raison et de l’équité : avantage que la jurisprudence ancienne et moderne regarde comme impossible d’atteindre, puisqu’elle a fait de la proposition contraire une de ses plus sages maximes. Tant la philosophie du droit manque de principes et de méthode ! Mais le temps me presse ; déjà j’ai dépassé les bornes que je m’étais assignées : d’ailleurs, cette opération rentre dans les précédentes, et plus tard, exécutée avec l’étendue qu’elle demande, elle se présentera avec plus d’avantage.
321. Puisque l’espace, le temps, le nombre, le mouvement, la force, la vie, etc., éléments primordiaux de toutes les séries naturelles, ne sont pas des négations, des limitations l’un de l’autre ; qu’au contraire ces éléments de la création se supposent réciproquement, se servent de principe, de mesure et de terme, souvent s’expliquent et se traduisent tour à tour ; il est impossible que la nature, dans l’infinie variété de ses combinaisons, se contredise ; que ses lois se heurtent, qu’une série soit la négation d’une autre série. Au contraire, un même problème pourra être comme le point de jonction de deux ordres sériels différents ; pourra même, lorsqu’il se trouvera inaccessible à la science dans la série qui lui est propre, être prouvé indirectement comme postulé d’une autre série.
Toutes les races humaines sortent-elles d’un même couple, comme on l’a cru longtemps d’après une fausse interprétation de la Genèse ? La preuve directe serait une généalogie authentique de tous les peuples depuis la création, ou bien une démonstration physiologique de la distinction absolue des races. Or, sur une pareille question, la science des Ussérius et des d’Hozier est muette ; la physiologie et l’embryogénie ne présentent guère, soit pour l’affirmative, soit pour la négative, que des probabilités à peu près égales. Cependant il faut que le problème soit résolu ; et tôt ou tard, la comparaison des langues, la psychologie, l’éthique, l’esthétique elle-même, répondront infailliblement Oui ou Non[41].
Moïse, Jésus-Christ, les apôtres, ont-ils eu des communications surnaturelles et opéré des miracles ? La preuve historique ou testimoniale, la première de toutes, manque ; du moins elle ne réunit pas les conditions de crédibilité qu’exigerait une commission d’enquête ; d’un autre côté, comment nier et déclarer impossible ce qui sort du domaine de l’expérience ? Or l’histoire comparée des religions, la connaissance des lois de la nature et de la marche de l’esprit humain ont fait justice de cette opinion.
L’homme a-t-il inventé son langage ou bien l’a-t-il reçu tout formé par inspiration divine ? La psychologie, par l’organe de Condillac et de M. de Bonald, s’est prononcée tour à tour pour les deux hypothèses ; puis, par l’organe de Rousseau, elle s’est déclarée en ce point sceptique.
Or l’analyse comparée des langues montre que la parole est un instinct de notre espèce, postérieurement développé et cultivé par la réflexion ; que l’homme parle comme il chante, comme il danse, comme il se forme en sociétés ; que les formes ingénieuses des langues primitives s’expliquent de la même manière que les produits, quelquefois étonnants, de l’art primitif, c’est-à-dire par la puissance créatrice de la spontanéité et de l’instinct ; et que la formule dubitative de Rousseau : « Si la pensée est nécessaire pour expliquer la parole, la parole ne l’est pas moins pour expliquer la pensée, » revient tout à fait à dire : Si la marche est nécessaire pour expliquer la danse, la danse ne l’est pas moins pour expliquer la marche. — En effet, où la spontanéité seule opère, il est absurde de chercher du raisonnement.
La propriété qu’ont les différents ordres sériels de s’éclairer les uns les autres sera fréquemment rappelée dans la suite de cet ouvrage ; elle nous servira à montrer que, si toute vérité n’a qu’une preuve, elle peut invoquer plusieurs témoignages. En attendant, nous déduirons de ce qui précède cet aphorisme métaphysique, dont, pressé par le temps, je laisse au lecteur le soin de chercher, les applications, et de déterminer la portée :
Le postulé immédiat d’une série est vrai comme cette série, car il forme avec elle série.
322. Tel est l’exposé sommaire, et sans doute bien imparfait encore, de la Loi sérielle. C’est en ce moment que j’éprouve le besoin de renouveler l’aveu de mon insuffisance, non pour infirmer la certitude générale de mes propositions : grâce au ciel, cette certitude est, à mes yeux, inébranlable ; mais afin d’appeler l’attention des hommes spéciaux et des métaphysiciens sur cette grande loi de la nature, vers laquelle convergent toutes les intelligences. Je n’ignorais pas, en commençant cet écrit, combien peu je devais compter, pour donner une théorie même élémentaire de la loi sérielle, et sur la variété d’une érudition qui me manque, et sur la profondeur d’études que je n’ai pas faites, et sur une habitude des formules scientifiques que je n’ai point acquise. Comme tout le monde aujourd’hui, j’ai bien plus la routine, ou si l’on veut l’instinct de la série, que je n’en possède les secrets. Mais, engagé par mes précédents mémoires, et contraint, en quelque sorte, par l’impatience des personnes qui m’ont fait l’honneur de les lire, je devais, avant de poursuivre mon œuvre de socialiste, faire connaître, qu’on me pardonne l’expression, ma philosophie. Que ceux-là, maintenant, dont le savoir dans les mille spécialités de la connaissance surpasse de si haut ma médiocrité donnent l’accroissement à ce germe, conçu d’une vue générale et superficielle des choses. Ce qui me reviendra dans cette vaste entreprise de rénovation intellectuelle (et puissé-je n’être point déçu dans mon humble espérance !) sera d’avoir saisi le caractère spécifique du génie et la forme de toute pensée créatrice, moi que la nature dota seulement d’une mobile curiosité, et qui fus par la fortune déshérité de science…
323. Le siècle attend une lumière nouvelle. L’ancienne logique ne paraît plus guère que dans ces cours appelés de théologie et philosophie ; dans ces gymnases d’avocats décorés du nom de tribunaux, et dans quelques feuilles arriérées. L’immense majorité des écrivains raisonne par généralisations, classifications, analogies, mots qui, dans la langue usuelle, signifient presque toujours série. Ce serait un beau travail, de montrer dans les publications les plus éminentes de l’époque le progrès de la loi sérielle ; de montrer, dis-je, que nos philosophes fameux, nos grands publicistes, de même que nos savants les plus illustres, sont tous, dans la partie la plus admirée de leurs écrits, dans celles de leurs idées qui, par l’adhésion populaire, sont devenues autant d’aphorismes, des faiseurs de séries. Je regrette d’autant plus de ne pouvoir ici me livrer à cette étude, qu’elle me fournirait l’occasion précieuse, et sûrement très-profitable pour moi, de relever en une foule d’écrits ce qui fait le plus d’honneur au talent de leurs auteurs : mais, après avoir tant critiqué, trop critiqué peut-être, il faut encore que je me prive du bénéfice de mes éloges.
Tout est maintenant à l’universel et à la synthèse : professeurs de l’université, lauréats de l’institut, philosophes de tous les partis, appellent de concert une loi générale, un principe supérieur, qui, embrassant les sciences organisées, donne l’objet, la circonscription et la formule de la science politique. Déjà les masses répondent à ces invocations du génie : or, quand le peuple crie à Dieu, Dieu ne peut tarder de descendre.
324. Lorsqu’une coalition jalouse, pour renverser un ministre, ameutait l’opinion contre le gouvernement personnel, que faisait-elle autre chose, sinon d’appeler de la volonté royale à un principe impersonnel, infaillible et absolu, que l’on supposait devoir s’exprimer par la représentation nationale et la majorité des suffrages ?
Lorsque le prolétariat dit à la classe aisée : Comme vous avez conquis le pouvoir et la propriété, ainsi nous voulons devenir souverains et propriétaires, que demande-t-il, sinon l’extension jusqu’à lui d’une série qui, commençant au roi, passe par la noblesse et le clergé, et se continue dans la bourgeoisie ou féodalité industrielle ?
Et lorsqu’un pouvoir bourgeois, dans son instinct d’immobilité, répond aux prolétaires : Devenez censitaires à 200 fr., et vous serez électeurs ; n’est-ce pas comme s’il disait : « Nul ne peut être exclu de la série politique, s’il satisfait à la loi d’admission, » tout en se trompant sur cette loi ?
Lorsqu’enfin le gouvernement s’efforce de diriger les élections, s’attribue la nomination aux emplois, récompense les citoyens qui l’appuient, assure des retraites à ses fonctionnaires, tandis qu’il abandonne aux misères de l’anarchie et taille à merci et miséricorde le peuple extra-officiel, ne nous enseigne-t-il pas, à son insu, que, si nous voulons constituer la série sociale, il faut que nous entrions tous dans le gouvernement ?
C’est ainsi que la réforme pénètre insensiblement dans la politique et la jurisprudence : la nécessité de généraliser et de définir conduisant les esprits, renouvelant les méthodes, et faisant l’épuration des principes. Cette influence secrète de la loi sérielle peut s’observer tous les jours dans les leçons des professeurs qui comprennent leur siècle, dans les plaidoyers des avocats vraiment jurisconsultes, et jusque dans les arrêts de la cour de cassation, dont les applications doctrinales annoncent un travail secret, indice non équivoque d’une prochaine métamorphose.
325. Mais le symptôme le plus frappant de la révolution qui se prépare, c’est cette philosophie éclectique tant sifflée, et qui tant de fois a mérité de l’être ; philosophie qui a pénétré de son souffle le gouvernement, l’instruction publique, les tribunaux, l’industrie, le commerce, la société tout entière, et qui, sous les noms de juste-milieu, de statu quo progressif, de monarchie républicaine, de philosophie religieuse, d’association des travailleurs et des capitalistes, acceptant tout, voulant concilier tout, cherche évidemment, dans cette confusion universelle, une méthode universelle.
Il n’y a pas d’éclectisme en mathématiques ; il n’y en a cas en physique, chimie, minéralogie, anatomie, histoire naturelle ; l’idée seule d’éclectisme dans les sciences dignes de ce nom est absurde. Lors donc que M. Cousin, chef de l’école éclectique, s’est mis à explorer la philosophie ancienne et moderne, songeait-il à former, de fragments empruntés à tous les systèmes, un syncrétisme discordant et inharmonique ? Non : ce que voulait M. Cousin, ce que cherchent ses disciples, c’étaient moins des idées nouvelles qu’une méthode de classification des idées acquises, une carte de l’esprit humain, disait Jouffroy.
L’éclectisme a donc tout accepté, tout recueilli : en cela consistait son rôle ; là est aussi sa gloire et son titre à notre reconnaissance. L’éclectisme est une philosophie, si j’ose ainsi dire, expectante et toute d’érudition, notant chaque fait, enregistrant chaque idée, bonne ou mauvaise, et classant artificiellement découvertes et systèmes, en attendant que la méthode naturelle soit trouvée. Cette philosophie a jeté le doute et la désolation dans les âmes : nul n’a droit de s’en plaindre. Toute raison qui aspire à la certitude se doit à elle-même de n’admettre rien d’hypothétique, comme aussi de ne rejeter rien de probable.
Lorsque Gassendi attaquait le système des tourbillons, les cartésiens lui disaient : Vos raisons sont fort bonnes ; mais que mettez-vous à la place des tourbillons ? — Je ne sais, répondait l’Épicurien ; mais je jure que vos tourbillons n’existent pas. Quelques années plus tard, l’attraction était découverte.
Ainsi lorsqu’on a dit à l’éclectisme : Qu’avez-vous mis à la place de Platon, de Malebranche, de Condillac ? qu’avez-vous mis à la place de la religion ? qu’avez-vous mis à la place de la monarchie et de la république ? l’éclectisme devait se taire, et son silence eût été sublime. Car, après la constance de la vertu dans l’adversité, il n’est rien de plus grand que la constance de la raison dans l’incertitude. Tous les torts de l’éclectisme viennent de ce qu’il a molli devant l’impatience du siècle et dogmatisé avant l’heure.
313. It is said: The elements of the human condition are labor, talent, intelligence; yet individual capacities are unequal; so it is in order that the conditions be also.
The fact stated in this syllogism is indubitable: the inequality of conditions is the expression of the inequality of capacities. It matters little that, in detail, this rule suffers from a host of exceptions; that fortune is not always due to talent, and that genius often honors indigence: it is less a question here of the respective value of the rich and the poor at a given moment, than of the social significance and the primary cause of the fact. It is therefore the human capacity that must be subjected to analysis, if we want to penetrate the reason for this flagrant antinomy, namely, on the one hand, the tendency to equality, and the mathematical impossibility of an unequal distribution; on the other, a natural and irresistible cause of inequality.
314. I wrote, in June 1842, to the newspaper La Phalange, in response to some articles directed against the doctrine of equality:
“If the societary school thinks seriously, as it has repeatedly expressed, that the inequality of capacities is essential to its theory, let a list be open in the Phalange… You will demonstrate, by a thorough analysis of the faculties and from the laws of the human mind, that the inequality of capacities between men is necessary and permanent; you will explain the original cause of this inequality; you will assign its extreme limits; you will formulate its laws and calculate its proportions and ratios. For it is nothing to state a fact: philosophers, moralists, statesmen and old women, everyone agrees that today, at least, individuals do not equal each other in talent and ability. But this crude fact teaches nothing: it is necessary to study its causes and its laws, if one wants it to take rank in science.
“For my part, I will show, by a dialectic whose certainty will be tested, that the fact of intellectual inequality between individuals is purely accidental and transitory; that the tendency of society is towards the equality of intelligences, as towards the leveling of conditions; that the equivalence of talents and abilities is the norm of the collective reason of which we are all but manifestations; I will develop the causes of this temporary inequality that torments so many noble hearts; I will expose its raison d’etre and its downward trend; finally I will give the measure of comparison of capacities, and, if I dare say so, the noometer of the human species.”
The editors of the Phalange, no doubt taking this challenge for bravado, did not think it necessary to respond to it. I will not go into the details that such a discussion requires today: that would take me too far. I will content myself with presenting the summary of the thesis, leaving to the societary school, in reparation for its aristocratic prejudices, the honor of development.
315. If the reader remembers all that we have exposed hitherto concerning religion, philosophy, the progress of science, the emergence of serial theory, and the creation of a transcendental method of knowledge, the fact of inequality between capacities must appear to him, in civilization, as an anomaly and, in itself, as an impossibility.
The activity, or the productive faculty of man, is composed of two elements: 1. the aptitude or instinctive specialty ; — 2. the intelligence.
Aptitude is given by temperament, first impressions, education, habits; intelligence develops in three successive periods; spontaneous apperception, reflection, methodical knowledge or science.
All aptitudes, being given by nature, are equally estimable, equally good; only they can be corrected or diminished, transformed, fortified, exalted, even created, by generation, regime, discipline; in a word, by all the circumstances of the environment in which the individual develops, but above all by the method, which can be defined here: the education of the intelligence. The modifications to which man subjects animals and plants, this marvelous action that he exercises on living beings, are the image and the analog of those which he can exercise on himself. The time will come when the production of specialties, today abandoned to chance, will be regulated by the infallible compass of science…
Intelligence, which is also called reason, is one, identical, equal to itself in all men, and pure, that is to say independent of times, places, temperaments, prejudices. But it receives its direction, and so to speak its physiognomy (its differentiation), from aptitude, an instinctive and natural specialty. Reason, as to the matter and form of knowledge, is impersonal and objective; whence it follows that, relative to the same object, it is susceptible neither of more nor of less: it is the same or it is not.
Now, the law of artistic and industrial development is to constantly elevate work to the pure idea: in other words, to make it pass from spontaneous practice (more or less successful) to science. So that the term of progress, in the sphere of human activity, is the equation between talent or aptitude and intelligence.
316. This is what Fourier felt deeply when he wrote these lines: “In 1788, the Academies put the following question to competition: Is genius above the rules? A doubt insulting to genius: it does not ask for anarchic prerogatives; it only wants to free itself from the shackles of prejudice, without thereby departing from certain paths of truth, from the physical and mathematical sciences.”
If everything is subject to rules, what can be, in an intelligent creature, the share of instinct, or, as we say, of talent? Genius is no more than an anticipation of method, an expression serving to designate in man the keen presentiment of the rule, and the need to submit to it. The apogee of genius consists in this intimate view of the law: beyond that it becomes science, and a new life begins for the individual. As long as this transformation has not taken place, as long as the law has not been fully revealed, genius, king of thought, hovers over the vulgar who admire it and cannot reach it, because it cannot understand it. This is how we admire the great personifications of reflection and spontaneity: Plato, Aristotle, Spinosa, Kant, Fourier. What did they want? Where were they going? What God, inspiring them, dictated such astonishing ideas to them? We know nothing about it: these men were for us prodigies, mysteries. But now that the serial theory, inaugurated, has revealed to us the laws and the secret aspirations of the human spirit, the conditions of beauty and certainty, we can, children that we were yesterday, follow after these giants, and, by a sudden illumination, we find ourselves their equals.
In the scientific order, methods; in industry, technical processes; in education, discipline; everywhere divisions and series: this is what constantly raises the bottom of societies to the level of the finest intelligences, and gradually brings about, not the identity, but the equivalence of capacities.
317. Let us then posit as corollaries of the serial theory the following propositions:
In any inorganic or simplist society, under the reign of religious spontaneity and philosophical hallucination, man having nowhere reached his full development; science not being made or existing only in parts; work being carried out without division: the field of human activity is necessarily restricted; the capacities, ignorant, little or not differentiated, badly distributed, are unequal.
As science rises, as labor is divided, as industry takes off, the number of capacities becomes proportionately greater; and this entirely empirical progress is manifested by the establishment of aristocracies.
The work of initiation in science being incomparably easier than that of discovery, and the conditions for further progress multiplying with each progress accomplished, the march of ordinary intelligences is faster in its continuity than the ever more embarrassed flight of elite intelligences.
Finally, the sum of ideas always increasing, one makes up, first by summaries and general notions, then by a theory of the very laws of art and reason, for the impossibility of learning everything; and the totality of knowledge is divided for each into two parts: one which constitutes the common fund by which the individual is in relation with society; the other, which is composed of particular and deeper ideas, the object of which forms its speciality.
Since, then, the progress of civilization is essentially resolved in the perfection of the methods and instruments of labor, in the easy and precise realization of ideas by the organs; in a word, in the complete submission of nature to reason; and since reason is identical in all men, it follows that the various members of a society are so many special organs of equivalent faculties of universal reason (ch. IV, § iii).
318. And it is useless to say that in thus resolving all the human faculties in the regular exercise of a reason served by the organs, there could still be inequalities of erudition and memory: for the superiority of an individual over his fellows depends less on the quantity of his knowledge than on the use he knows how to make of it, in style of school, of the synthetic power of his intuition.
Now the serial theory not only prepares us for invention and synthesis, and consequently tends to equalize the creative faculty in all; but it also teaches us to consider the same object from points of view of inexhaustible fecundity, so that intelligence can always gain in depth what it loses in breadth. And if it is objected that in certain subjects all the faculties seem to exceed the common measure, which, with equality of labor, must maintain between these subjects and the others a perpetual inequality, I will answer that what is true in one time is no longer so in another, because it is an attribute of reason to be limited by its own laws. On the one hand, attention is one, non-discursive; successive, non-simultaneous comprehension; on the other, the serial law, which by methods gives such a strong impulse to the mass of minds, arrests, by a narrower and narrower specialization, the intelligence ready to take flight into the sphere of the universal and the absolute; all this combined means that the most powerful genius always has fewer resources to rise in a specialty which, willy-nilly, he is forced to choose, than the lower capacities, each in its own sphere, have to achieve it.
319. In summary, the inequality of capacities, when it is not caused by defects of constitution, mutilations or misery, results from general ignorance, from the insufficiency of methods, from nullity or from falsity of education, of the divergence of intuition by default of series; whence arise the scattering and confusion of ideas. Now all these facts, producers of inequality, are essentially abnormal [40] : therefore the inequality of capacities is abnormal.
On the contrary, all the great discoveries have had series as their object, and processes of seriation as their means; all the great intelligences have been eminently synthetic: their works, marked at the corner of the serial law, have been the lever of social improvement. It is through the faculty of classification, of seriation and synthesis, that our race raises its noble head above all the others, and that it will end by remaining sole mistress and usufructuary of the globe. For any individuality incapable of ordering itself by science and reason, in a learned and reasoning society, is condemned to serve or perish: it is abnormal.
Now the series is the law of progress, like the form of reason and nature; the series is what the intelligence seizes with the most love and ease; the series gives strength to weakness at the same time as it imposes obstacles to genius: I conclude that the social tendency is towards the equivalence of capacities.
But will the capacities ever be perfectly equal? Let us rather ask if the passions will no longer err; if the machines will never cause an accident; if there will be no more consumptions; if all men will resemble Apollo, and women Venus. I therefore say, and I can say it without danger to liberty, that this absolute equality is unlikely: it suffices, for our guidance, that it be demonstrated as the norm and the condition of society. Physical, moral and intellectual infirmity, like a hideous leprosy, is today the disease of the greatest number; it must gradually be cured, and reduced to an ever-decreasing minority: such is the principle of civil equality. Charity is commanded of us towards the incurable: such is the precept of universal fraternity.
We will see later, by looking for the conditions of labor, what can be the measure of comparison of capacities.
320. To prove the truth of a proposition by going from the known to the unknown; to refute a fallacy; to determine the value of a hypothesis without waiting for experience; to demonstrate the anomaly of a fact, and consequently reduce its authority to nothing: it is always the same operation; it is to ascertain, by the construction of ideas, the presence or absence of the series, in a word, it is to form genera and species. This is the reason for this singular power of a priori which one cannot help admiring in the serial dialectic, and which raises it so far above the old logic; this is what makes the transcendental method, the elements of which we have exposed, a criterion of truth independent of the facts themselves, a rule that frees us from demonstrations so costly and often so disastrous from experience, as mathematics safeguard against any attempt involving a violation of their laws.
I first proposed to show in this section how, in legislative matters, serial theory teaches us to discover absolute principles, always easy to apply, always exact, whose consequences, however far they are pushed, never deviate from reason and equity: an advantage that ancient and modern jurisprudence regard as impossible to attain, since it has made the contrary proposition one of its wisest maxims. So much does the philosophy of right lack principles and method! But time is pressing me; I have already exceeded the limits that I had assigned to myself: moreover, this operation comes within the preceding ones, and later, carried out with the extent that it requires, it will present itself with more advantage.
321. Since space, time, number, motion, force, life, etc., primordial elements of all natural series, are not negations, limitations of each other; since, on the contrary, these elements of creation reciprocally suppose each other, make use of principle, measure and term, often explain and translate one another in turn; it is impossible for nature, in the infinite variety of her combinations, to contradict herself; that her laws collide, that one series be the negation of another series. On the contrary, the same problem could be like the point of junction of two different serial orders; it may even, when it finds itself inaccessible to science in the series that is proper to it, be indirectly proven as postulated in another series.
Do all human races come from the same couple, as was believed for a long time after a false interpretation of Genesis? The direct proof would be an authentic genealogy of all peoples from creation, or else a physiological demonstration of the absolute distinction of races. Now, on such a question, the science of the Ussérius and the d’Hoziers is silent; physiology and embryogeny hardly present, either for the affirmative or for the negative, more than nearly equal probabilities. However, the problem must be solved; and sooner or later, the comparison of languages, psychology, ethics, aesthetics itself, will infallibly answer yes or no .
Did Moses, Jesus Christ, the apostles have supernatural communications and work miracles? Historical or testimonial evidence, first of all, is missing; at least it does not meet the conditions of credibility required by a commission of inquiry; on the other hand, how to deny and declare impossible that which comes outside of the domain of experience? Now the comparative history of religions, the knowledge of the laws of nature and of the functioning of the human mind have done justice to this opinion.
Did man invent his own language or did he receive it all formed by divine inspiration? Psychology, through the organ of Condillac and M. de Bonald, has declared itself in turn for the two hypotheses; then, through the organ of Rousseau, she declared herself skeptical on this point.
Now the comparative analysis of languages shows that speech is an instinct of our species, subsequently developed and cultivated by reflection; that man speaks as he sings, as he dances, as he forms societies; that the ingenious forms of primitive languages are explained in the same way as the sometimes astonishing products of primitive art, that is to say, by the creative power of spontaneity and instinct; and that Rousseau’s doubtful formula: “If thought is necessary to explain speech, speech is no less necessary to explain thought,” comes down to saying: If walking is necessary to explain dancing, dance is no less so for explaining walking. — Indeed, where spontaneity alone operates, it is absurd to seek reasoning.
The property that the different serial orders have of enlightening each other will be frequently recalled in the rest of this work; it will serve us to show that, if any truth has only one proof, it can invoke several testimonies. In the meantime, we will deduce from what precedes this metaphysical aphorism, of which, pressed for time, I leave it to the reader to seek out the applications and to determine the scope:
The immediate postulate of a series is true like this series, because it forms with it a series.
322. Such is the summary, and no doubt still very imperfect, presentation of the Serial Law. It is at this moment that I feel the need to renew the admission of my insufficiency, not to invalidate the general certainty of my propositions: thank heaven, this certainty is, in my eyes, unshakeable; but in order to call the attention of special men and metaphysicians to this great law of nature, towards which all intelligences converge. I was aware, when I began this writing, how little I had to count, to give even an elementary theory of the serial law, and on the variety of an erudition which I lack, and on the depth of studies that I have not made, and on a habit of scientific formulas that I have not acquired. Like everyone today, I have much more the routine, or if you like the instinct of the series, than I possess the secrets. But, committed by my previous memoirs, and constrained, in a way, by the impatience of the people who have done me the honor of reading them, I had to, before continuing my work as a socialist, make known, forgive me the expression, my philosophy. Let those, now, whose knowledge in the thousand specialties of knowledge so far surpasses my mediocrity, give growth to this germ, conceived from a general and superficial view of things. What will come back to me in this vast undertaking of intellectual renewal (and may I not be disappointed in my humble hope!) will be to have grasped the specific character of genius and the form of all creative thought, I whom nature endowed only with a mobile curiosity, and who was by fortune deprived of knowledge…
323. The century awaits a new light. The old logic no longer appears except in those courses called theology and philosophy; in those gymnasiums of lawyers decorated with the name of courts, and in some underdeveloped pages. The immense majority of writers reason by generalizations, classifications, analogies, words which, in ordinary language, almost always mean series. It would be a fine job to show in the most eminent publications of the time the progress of the serial law; to show, I say, that our famous philosophers, our great publicists, as well as our most illustrious scholars, are all, in the most admired part of their writings, in those of their ideas which, by popular adhesion, have become so many aphorisms, makers of series. I regret all the more not being able to devote myself here to this study, as it would provide me with the precious opportunity, certainly very profitable for me, to pick out in a crowd of writings what does the most honor to the talent of their authors: but, after having criticized so much, too much perhaps, I must still deprive myself of the benefit of my praise.
Everything is now universal and synthesis: professors of the university, laureates of the institute, philosophers of all parties, call together a general law, a superior principle, which, embracing the organized sciences, gives the object, constituency and formula of political science. Already the masses are responding to these invocations of genius: now, when the people cry out to God, God cannot delay descending.
324. When a jealous coalition, to overthrow a minister, stirred up public opinion against personal government, what else was it doing but appealing from the royal will to an impersonal, infallible, and absolute principle, which one supposed to have to express itself by the national representation and the majority of the votes?
When the proletariat says to the well-to-do class: As you have conquered power and property, so we want to become sovereigns and proprietors, what is it asking for if not the extension to it of a series that, beginning in king, goes through the nobility and the clergy, and continues in the bourgeoisie or industrial feudalism?
And when a bourgeois power, in its instinct of immobility, responds to the proletarians: Become censitaires at 200 francs, and you will be voters; Isn’t it as if he were saying: “No one can be excluded from the political series, if he satisfies the law of admission,” while being mistaken about this law?
When at last the government endeavors to direct the elections, assigns to itself appointments to offices, rewards the citizens who support it, assures pensions to its functionaries, while it abandons itself to the miseries of anarchy and shamelessly exploits the extra-official people, don’t they teach us, unwittingly, that if we want to constitute the social series, we must all enter into the government?
It is thus that the reform penetrates imperceptibly into politics and jurisprudence: the necessity of generalizing and defining directing minds, renewing methods, and purifying principles. This secret influence of the serial law can be observed every day in the lessons of professors who understand their century, in the pleas of truly jurisconsult lawyers, and even in the judgments of the Court of Cassation, whose doctrinal applications announce a work secret, unequivocal indication of a forthcoming metamorphosis.
325. But the most striking symptom of the revolution that is preparing is this eclectic philosophy so much hissed, and which so many times has deserved to be; a philosophy that has penetrated with its breath the government, public instruction, the courts, industry, commerce, society as a whole, and which, under the names of middle ground, progressive status quo, republican monarchy, of religious philosophy, of association of workers and capitalists, accepting everything, wanting to reconcile everything, evidently seeks, in this universal confusion, a universal method.
There is no eclecticism in mathematics; there is no case in physics, chemistry, mineralogy, anatomy, natural history; the very idea of eclecticism in the sciences worthy of the name is absurd. So when M. Cousin, head of the eclectic school, began to explore ancient and modern philosophy, was he dreaming of forming, from fragments borrowed from all systems, a discordant and inharmonious syncretism? No: what M. Cousin wanted, what his disciples were looking for, were less new ideas than a method of classifying acquired ideas, a map of the human mind, said Jouffroy.
Eclecticism therefore accepted everything, collected everything: in this consisted its role; there also is its glory and its claim to our recognition. Eclecticism is a philosophy, if I may so speak, expectant and all scholarly, noting every fact, recording every idea, good or bad, and artificially classifying discoveries and systems, until the natural method is found. This philosophy cast doubt and desolation in souls: no one has the right to complain about it. Any reason that aspires to certainty owes it to itself not to admit anything hypothetical, just as it does not reject anything probable.
When Gassendi attacked the system of vortices, the Cartesians said to him: Your reasons are very good; but what do you put in place of the swirls? — I don’t know, replied the Epicurean; but I swear your whirlpools don’t exist. A few years later, attraction was discovered.
So when we said to eclecticism: What have you put in the place of Plato, Malebranche, Condillac? What have you put in the place of religion? What have you put in place of the monarchy and the republic? eclecticism had to be silent, and its silence would have been sublime. For, after the constancy of virtue in adversity, there is nothing greater than the constancy of reason in uncertainty. All the faults of eclecticism come from the fact that it has softened before the impatience of the century and dogmatized before its time.
§ VII. — Solution du problème de la certitude.
326. Avant de chercher les éléments de la science politique, il convient, autant pour écarter toute objection préjudicielle de la part du scepticisme que pour montrer la puissance de notre méthode, de résoudre une question que le plus grand effort de la philosophie a été de déclarer inabordable, je veux parler du critérium de la certitude.
Le problème de la certitude, autrement dit problème logique, ou problème de la légitimité absolue de la connaissance, se divise en deux : 1o le problème de l’origine des idées ; 2o le problème de la certitude, ou de la conformité de la connaissance avec la réalité. On verra, en effet, que toutes les difficultés élevées contre la certitude absolue de nos jugements reposent sur l’ignorance où nous sommes de l’origine de nos idées ; de sorte que, cette origine étant connue, le problème de la certitude est résolu.
Telle sera la marche de la discussion où nous allons entrer.
§VII. — Solution of the problem of certainty.
326. Before seeking the elements of political science, it is appropriate, as much to remove any prejudicial objection on the part of skepticism as to show the power of our method, to resolve a question that the greatest effort of philosophy has been to declare unreachable, I mean the criterion of certainty.
The problem of certainty, otherwise known as the logical problem or the problem of the absolute legitimacy of knowledge, divides in two: 1. the problem of the origin of ideas; 2. the problem of certainty, or of the conformity of knowledge with reality. We see, in fact, that all the difficulties raised against the absolute certainty of our judgments rest on our ignorance of the origin of our ideas; so that, that origin being known, the problem of certainty is resolved.
Such will be the course of the discussion we are about to begin.
327. Suivant Platon, les idées viennent de Dieu, en qui elles existent substantiellement ; elles sont préformées dans les âmes avant leur sortie de l’Élysée et leur union à des corps : les sensations ne font qu’en provoquer dans l’esprit la réminiscence. Ainsi nous n’acquérons pas nos idées, suivant Platon ; nous nous en souvenons. L’idée pure (l’idéal) de chaque objet est en Dieu ; les corps ne font que la reproduire concrètement d’une manière plus ou moins parfaite, que notre âme, d’après la communication qu’elle a reçue, reconnaît et apprécie. Les idées, en un mot, sont les exemplaires éternels des choses, les types ou échantillons dont notre âme a reçu l’empreinte, et d’après lesquels ont été créés tous les êtres.
On voit d’après cet exposé combien il serait facile, avec un peu de bonne volonté, de soutenir que Platon n’a fait qu’exprimer, sous un symbole religieux, l’origine objective et cosmique des idées, plus, la faculté que nous avons de redresser intellectuellement les formes qui s’écartent de leur type ; en d’autres termes, de calculer une série d’après sa raison. Mais il est probable que Platon ne concevait pas la chose avec cette précision scientifique.
327. According to Plato, ideas come from God, in whom they exist substantially; they are preformed in souls before their departure from Elysium and their union with bodies: the sensations only arouse the recollection of them in the mind. So we do not acquire our ideas, according to Plato; we remember them. The pure idea (the ideal) of each object is in God; bodies only concretely reproduce it in a more or less perfect manner, which our soul, according to the communication that it has received, recognizes and assesses. The ideas, in short, are the eternal exemplars of things, the types or samples of which our soul has received the imprint, and according to which all beings have been created.
We see from this account how easy it would be, with a bit of good will, to maintain that Plato merely expressed, with a religious symbol, the objective and cosmic origin of ideas, plus, the capacity that we have to intellectually correct the forms that stray from their type; in other words, to calculate a series according to its reason. But it is probable that Plato did not conceive of things with that scientific precision.
328. Aristote, ou pour mieux dire l’école qui l’a pris pour chef, faisait dépendre toutes les idées de la sensation, de là le célèbre aphorisme : Rien n’est dans l’entendement qui n’ait été auparavant dans le sens.
On a objecté, contre ce système, que la sensation était tout au plus occasion, moyen, ou véhicule de l’idée, mais non pas cause : ajoutons que comme on n’explique rien en faisant remonter à Dieu, auteur de toutes choses, l’origine des idées ; de même nous n’en savons pas davantage en rapportant aux sens, c’est-à-dire à la suggestion de la nature, cette même origine.
328. Aristotle, or more accurately the school that has taken him for head, made all ideas depend on sensation, with the famous aphorism: There is nothing in the understanding that has not been previously in the senses.
It has been objected, against this system, that sensation was at most the occasion, means, or vehicle of the idea, but not the cause: let us add that as we explain nothing by making the origin of ideas trace back to God, author of all things; just so, we know nothing more of it by relating it to the senses, that is to the suggestion of nature, that same origin.
329. Peu à peu l’on distingua différentes espèces d’idées : ce qui conduisit à multiplier, en proportion égale, les sources des idées.
Parmi les idées, les unes sont des représentations d’objets sensibles, distincts, particuliers ; ces idées furent, en conséquence, nommées particulières, et attribuées à la sensation : les autres semblent plutôt exprimer des points de vue généraux, et furent pour cette raison appelées générales. Mais quelle était la source des idées générales ?
Une première hypothèse, suggérée par l’analogie, s’offrait d’elle-même, et fut aussitôt adoptée. Puisque les idées particulières avaient une réalité particulière objective, les idées générales devaient semblablement avoir une réalité générale objective ; et l’on supposa que bonté, beauté, force, vie, grandeur, couleur, pesanteur, etc., désignaient des choses réelles, aussi bien que tel homme, tel animal, telle plante. D’après cela, toutes les idées étaient encore issues des sens : mais quelles étaient ces réalités générales que représentaient les idées de même nom, voilà ce que l’on ne pouvait dire.
329. We gradually distinguish different sorts of ideas, which leads us to multiply, in equal proportion, the sources of ideas.
Among the ideas, some of the representations of perceptible, distinct, particular objects; these ideas were, consequently, named particular, and attributed to sensation: the others seem instead to express general points of view, and were for that reason called general. But what was the source of the general ideas?
A first hypothesis, suggested by analogy, offered itself, and was immediately adopted. Since the particular ideas had a particular objective reality, the general ideas must similarly have a general objective reality; and we suppose that goodness, beauty, strength, life, size, color, weight, etc., designate real things, as well as such a man, animal, or plant. According to that hypothesis, all the ideas were still issues of sense. But what were these general realities represented by the ideas of the same name? That is what we could not say.
330. Dans cet embarras, quelques-uns soutinrent que les idées générales étaient de purs mots, sans réalité, créés par la faculté de comparer et d’abstraire. Ainsi les idées les plus importantes à l’entendement, celles sans lesquelles le raisonnement est impossible, étaient dues à la faculté, innée ou accidentelle, divine ou physiologique, d’imposer des noms, en un mot, de parler. C’était prendre l’effet pour la cause : on ne parle que ce que l’on pense ; on ne nomme que ce que l’on aperçoit ; on ne crée des mots que pour des représentations ; de sorte que la question revenait toujours : Qu’est-ce que représentent les idées générales ?
Ceux qui réalisaient toutes les idées furent nommés réalistes ; ceux qui réduisaient à de simples noms les idées générales furent appelés nominaux.
330. In that predicament, some maintained that the general ideas were pure words, without reality, created by the ability to compare and abstract. Thus the ideas most important to the understanding, those without which reasoning is impossible, were due to the faculty, innate or accidental, divine or physiological, of imposing names, in a word, of speaking. It was to take the effect for the cause: we only speak what we think; we only name what we can see; we only create words for representations; so that the question always returns: What represents the general ideas?
Those who realized all the ideas were named realists; those who reduced the general ideas to mere names were called nominals.
331. Il y eut une opinion intermédiaire, dont l’auteur fut Abailard, et qui, sous le nom de conceptualisme, affirma que les idées générales ou universaux n’étaient ni des réalités ni des mots, mais des conceptions de l’esprit. L’esprit, disait-on, aperçoit des ressemblances et des dissemblances entre les individus, lesquels ne sont en eux-mêmes ni genres ni espèces ; et par sa faculté de généraliser, il produit spontanément ces idées générales, dont le langage devient le truchement. Au fond, la différence entre le nominalisme et le conceptualisme est assez légère : dans l’un, les idées générales sont des noms donnés à des riens, bien que suggérés par la comparaison des objets ; dans l’autre, elles sont des produits de l’activité intellectuelle, de véritables créations de l’entendement. Du reste, l’opinion d’Abailard expliquait le fait par le fait même ; elle revient à dire : l’esprit a des idées générales, parce qu’il a la puissance de créer ou de recevoir des idées générales.
331. There was a transitional opinion, of which the author was Abelard, and which, under the name of conceptualism, affirmed that the general or universal ideas were neither realities nor words, but conceptions of the mind. The mind, it was said, perceives similarities and differences between individuals, which are in themselves neither genera nor species; and by its faculty for generalizing, it spontaneously produces some general ideas, of which language becomes the means of expression. At base, the difference between nominalism and conceptualism is rather slight: in the one, the general ideas are names given to nothings, although suggested by the comparison of objects; in the other, they are the products of intellectual activity, true creations of the understanding. In addition, the opinion of Abelard explained the fact by the fact itself; it amounted to saying: the mind has general ideas, because it has the power to create or receive general idea.
332. J’abrège autant que je puis l’histoire de ces querelles, qui coûtèrent la vie au professeur la Ramée, devenu fameux dans les contes d’enfants. Descartes et Malebranche se déclarèrent pour l’innéité des idées, sans trop s’expliquer ni sur le mode de cette innéité, ce qu’avait essayé Platon ; ni sur ce qu’ils entendaient par idées. Locke, et Condillac son disciple, revinrent au système pur et simple de la sensation, comme origine de toutes les idées : le dernier est célèbre par son système de la sensation transformée.
Les choses en étaient là, et le système de Locke passait sans contradiction, lorsque Hume, Anglais, sceptique, avisa que si toutes les idées viennent de la sensation, elles ne doivent rien contenir de plus que ce qui est dans la sensation. Or, observa Hume, la sensation nous donne bien l’idée de succession, mais on ne saurait en tirer l’idée de cause : donc cette idée est une chimère, un vain préjugé, sans réalité. Cette réflexion de Hume concluait droit à l’athéisme, ou tout au moins à un scepticisme sans remède : elle souleva les méditations de Reid, et fit reprendre le problème de l’origine et de la légitimité des idées.
Le raisonnement de Hume, formulé en syllogisme, se réduit à dire : Toutes les idées viennent des sensations ; or, l’idée de cause ne couvre aucune réalité sensible : donc l’idée de cause n’est qu’une idée de succession.
Mais, sans disputer de l’origine externe ou interne des idées, un fait demeure certain, savoir, l’existence dans notre esprit de l’idée très-nette et très-distincte de cause ; et cela est si vrai, que l’argumentation de Hume a pour objet de corriger cette idée. En présence de ce fait, il n’est syllogisme qui tienne : il fallait, ou chercher comment l’idée de cause peut être donnée par la sensation, ou, si l’on ne pouvait le dire, déclarer que le système de la sensation était faux, puisqu’il y avait une idée dont il ne pouvait rendre compte.
Cette observation si simple suffisait pour anéantir le scepticisme de Hume, et l’on aurait dû s’en tenir là : mais on voulut renchérir et raffiner sur le système conceptualiste, et l’on aboutit à un scepticisme cent fois plus profond.
332. I abbreviate as much as possible the history of these quarrels, which cost the life of Petrus Ramus, who has become famous in tales for children. Descartes and Malebranche came out for the innateness of ideas, without much explanation either of the mode of that innateness, which is what Plato had attempted; nor of what they understood as ideas. Locke, and Condillac his disciple, returned to the pure and simple system of sensation, as the origin of all ideas: the latter is celebrated for his system of transformed sensations.
Things were thus, and the system of Locke passed without contradiction, when Hume, an Englishman and skeptic, realized that if all ideas came from sensation, they could contain nothing more than is in sensation. Now, observed Hume, sensation give us the idea of succession, but we cannot draw from it the idea of cause: so that idea is a chimera, a vain prejudice, without reality. That reflection of Hume led straight to atheism, or at least to a skepticism without remedy: it gave rise to the meditations of Reid, and made him take up once again the problem of the origin legitimacy of ideas.
The argument of Hume, formulated in a syllogism, amounts to saying: All ideas come from sensations; now, the idea of cause does not correspond to any perceptible reality, so the idea of cause is only an idea of succession.
But, without disputing the external or internal origin of ideas, one fact remained certain, namely, the existence in our mind of the very clear and distinct idea of cause; and that is so true that the arguments of Hume aimed to correct that idea. In the face of that fact, no syllogism holds: it is either necessary to seek how the idea of cause can be given by sensation, or, if that could not be done, to declare that the system of sensation was false, since there was an idea for which it could not account.
That simple observation was sufficient to destroy the skepticism of Hume, and one should have stopped there: but one wanted to go further and refine the conceptualist system, and was led to a skepticism a hundred times more profound.
333. D’abord on distingua entre les idées générales proprement dites, celles qui naissent en nous de l’abstraction ou généralisation, et reposent sur une donnée sensible ;
Et les conceptions soi-disant sans réalité objective, et que l’on a soutenu n’être formées ni par induction, ni par déduction.
Les premières furent des produits de la réflexion ; les secondes, des produits de l’activité spontanée. C’est en cela que consiste à peu près toute la différence entre le nouveau système et celui d’Abailard ; et l’on peut dire que sur cette pointe d’aiguille les géants de la métaphysique moderne ont entassé des montagnes.
Les idées d’espace et de temps, se dirent-ils, de substance, de cause, et toutes celles qui en dérivent, quantité, qualité, relation, mode, etc., ne sont pas des représentations de réalités, mais des modifications ou déterminations du moi, des formes de l’entendement qui lui sont propres comme l’étendue et l’impénétrabilité le sont à la matière, et qui se manifestent à la conscience à l’occasion des phénomènes extérieurs, ou des sensations. De même qu’à la vue d’un crime, d’une belle action, d’un objet séduisant ou hideux, l’âme éprouve spontanément de l’horreur, de l’enthousiasme et de l’amour, sans qu’on puisse attribuer ces sentiments à la sensation ; de même, en présence des phénomènes, la raison conçoit spontanément, fatalement, en dehors de la sensation, les idées de temps et d’espace, de substance et de cause. Chronologiquement, ces idées sont postérieures à la perception des phénomènes ; logiquement, elles les précèdent, elles les frappent de leur caractère, en sorte que non-seulement nous ne connaissons pas les choses en soi, mais nous ne percevons pas même les phénomènes sous des lois générales que nous puissions assurer leur être propres, nous les percevons sous les lois spéciales de notre entendement.
333. First one distinguishes between general ideas properly speaking, those that arise in us from abstraction or generalization, and rest on some perceptible fact;
And the so-called conceptions without objective reality, that one maintains are formed neither by induction, nor by deduction.
The first were products of reflection; the second, products of spontaneous activity. It was in this that consisted nearly all the difference between the new system and that of Abelard; and we can say that on that pinpoint the giants of modern metaphysics have piled up mountains.
The ideas of space and time, they say to themselves, of substance, cause, and of all those that derive from them, quantity, quality, relation, mode, etc., are not representations of realities, but modifications or determinations of the self, of the forms of the understanding that are proper to them, as extend and impenetrability are to matter, and that manifest themselves in the consciousness on the occasion of external phenomena, or sensations. Just as at the sight of a crime, of a good deed, of a charming or hideous object, the soul spontaneously feels horror, enthusiasm or love, without our being able to attribute these sentiments to the sensation; just so, in the presence of phenomena, the reasons spontaneously, inevitably conceives, apart from the sensation, the ideas of time and space, of substance and of cause. Chronologically, these ideas are posterior to the perception of the phenomena; logically, the precede them, they strike them with their character, so that not only do we not know things in themselves, but we do not even perceive the phenomena under the general laws that could assure us of their proper being, we perceive them under the specific laws of our understanding.
334. Ce système, qui a pour lui du moins l’avantage d’être assez bien suivi, a été, depuis les travaux de Reid et de Kant et l’exposition qu’en a faite M. Cousin, admis en France presque sans discussion ; il règne dans la philosophie universitaire : mais il est loin d’être sans reproches.
D’abord il n’explique rien. Les concepts, dit-on, sont les formes de l’entendement qui se révèlent à la conscience à l’occasion de la sensation. Mais qui empêche d’en dire autant des intuitions, ou idées particulières ? C’est ce que faisait Platon : toute représentation, selon lui, était une réminiscence de l’âme, excitée dans la conscience à l’occasion de la sensation. Depuis, on s’est expliqué cette excitation de l’idée dans l’âme, en la comparant à une impression faite par un type sur une substance molle, et adéquate à ce type ; et comme on ne trouvait pas le type objectif des idées-concepts, on a conclu droit à la subjectivité de leur origine. Voilà tout le secret du criticisme kantien : ce qui n’a point d’existence substantielle, comme l’espace et le temps, ou d’objectivité perceptible, comme la substance et la cause, ne peut être qu’une conception de l’esprit. On sent tout ce que cette argumentation a de faux : la conclusion est séparée de la majeure par un abîme, et le syllogisme de Kant n’a pas même le mérite d’être lié dans toutes ses parties. Kant, en raisonnant de la sorte, violait les préceptes qu’il avait lui-même posés : il induisait de certaines qualités de l’idée (comme la nécessité, la non-réalité) une certaine modalité dans le sujet ; il faisait une permutation de catégories, ou, comme nous dirions, il changeait son point de vue.
334. This system, which has for it at least the advantage of being rather well followed, has been, since the works of Reid and Kant and the explanation that Mr. Cousin made of it, accepted in France almost without discussion; it reigns in the philosophy of the universities: but it is far from being blameless.
First it explains nothing. The concepts, it is said, are the forms of the understanding that are revealed to consciousness on the occasion of sensation. But what prevents us from saying as much about intuitions, or individual ideas? That is what Plato did: every representation, in his opinion, was a recollection of the soul, aroused in the consciousness on the occasion of sensation. Since, that excitation of the idea in the soul has been explained by comparing it to an impression made by a type on a soft substance, adequate to that type; and as we did not find the objective type of these idea-concepts, we have decided on the subjectivity of their origin. That is the whole secret of the Kantian criticism: that which has no substantial existence, like space and time, or perceptible objectivity, like substance and cause, can only be a conception of the mind. We sense all that is false about that argument: the conclusion is separated from the major premise by an abyss, and the syllogism of Kant does not even have the merit of being linked in all its parts. Kant, by reasoning in this way, violated the precepts that he had himself posed: he induced from certain qualities of the idea (like necessity, non-reality) a certain modality in the subject; he made a permutation of categories, or, as we would say, he changed his point of view.
335. Cette difficulté n’est rien encore.
Puisque toutes les idées dépendent des concepts ou formes innées de l’entendement et de la puissance plastique exercée par lui sur les perceptions de la sensibilité, il s’ensuit que la vérité est pour nous tout humaine et n’a rien d’absolu. Kant en est demeuré d’accord ; et, nonobstant les subtilités de M. Cousin, qui n’ont converti personne, M. Jouffroy a eu la bonne foi de convenir que cela était vrai.
En effet, d’après ce système, bien que nos idées soient soumises à certaines lois subjectives de subordination, de génération et de dépendance, rien ne nous assure qu’elles soient la traduction fidèle des réalités extérieures : de sorte que nous ne pouvons affirmer que le monde soit tel que nous croyons le voir, et les objets conformes à nos représentations. Il a donc fallu accepter cette terrible conséquence : mais, comme fiche de consolation, on a dit qu’il était tout à la fois de la nature de l’intelligence et de chercher sans cesse la démonstration de sa légitimité, et de ne pouvoir jamais l’obtenir.
Une tendance sans objet, l’idée du vrai en soi à côté de l’impossibilité d’une certitude absolue ! Il y avait là quelque chose de contradictoire, qui aurait dû arrêter sur la pente du scepticisme un esprit aussi pénétrant que Jouffroy. C’était l’inconséquence de Hume reparaissant sous une autre forme. Aussi la rigueur de raisonnement du scepticisme transcendental n’arrêta point l’essor des esprits : les philosophes les plus éminents se mirent avec une ardeur incroyable à chercher la solution de ce problème, l’accord de la perception avec la réalité, du subjectif avec l’objectif, du noumène avec le phénomène : les uns absorbant l’objet dans le sujet, et idéalisant le monde, qui de la sorte était le rêve de l’esprit ; les autres, extériorant, matérialisant, panthéisant le moi, ou plutôt identifiant le moi et le non-moi, le subjectif et l’objectif, dans une unité supérieure, un absolu inconditionné, duquel ils dérivèrent l’un et l’autre, et faisant du monde, de l’homme, de la pensée, de Dieu même (le moi cosmique), une sorte d’évolution de cet absolu.
Telles furent, en substance, les hypothèses de Fichte, Schelling, Hégel, et d’une foule d’autres : hypothèses évidemment nées du besoin de sortir de l’impasse où la critique de Kant avait jeté les esprits ; mais hypothèses radicalement impuissantes, puisqu’elles accordaient toute cette critique : la subjectivité des concepts suivant la raison, comme l’ombre suit le corps, dans toutes ses spéculations, et les frappant fatalement de son caractère. Car avec la subjectivité des concepts, la conformité de la connaissance avec la réalité extérieure, quelque effort que l’on fasse, reste à jamais indémontrable, l’idée même d’absolu est un non-sens. Identifier le moi et le non-moi, comme l’ont fait, sous des formes diverses, Fichte, Schelling, Hégel, ou résoudre la diversité actuelle en une identité anté-génésiaque et hypothétique, c’est abandonner la question : car il ne s’agit point ici de ce qu’ont pu être le monde et les idées à l’époque inobservable de l’identité absolue, c’est-à-dire avant la création ; il s’agit de la conformité des lois du monde avec celles de la pensée de l’homme, postérieurement à l’identité absolue, c’est-à-dire après la création.
335. That difficulty is still nothing.
Since all the ideas depend on the innate concepts or forms of the understanding and the plastic power exerted by it on the perceptions of sensibility, it follows that for us truth is entirely human and not at all absolute. Kant remained in agreement; and, despite the niceties of Mr. Cousin, who has converted no one, Mr. Jouffroy has had the good faith to admit that this was true.
Indeed, according to this system, while our ideas are subject to certain subjective laws of subordination, generation and dependence, nothing assures us that they are the faithful translation of external realities: so that we can only maintain that the world is as we think we see it, and the objects conform to our representations. So we must accept this terrible consequence: but, as a form of consolation, we have said that it was all at once of nature and the intelligence to constantly seek the demonstration of its legitimacy, and to never be able to obtain it.
A tendency without object, the idea of the true in itself beside the impossibility of an absolute certainty! There was something contradictory there, which should have stopped on the slope of skepticism a mind as penetrating as Jouffroy. It was the inconsistency of Hume reappearing in another for. And the rigor of reasoning of the transcendental skepticism would not stop the flight of the minds: the most eminent philosophers knuckled down with an incredible ardor to seek the solution of that problem, the agreement of perception with reality, of the subjective with the objective, of the noumena with the phenomena: some absorbing the subject into the object, and idealizing the world, which in this way was the dream of the mind; the others, exteriorizing, materializing, pantheizing the self, or rather identifying the self and the non-self, the subjective and the objective, in a higher unity, an unconditioned absolute, from which they derive both, and making of the world, of man, of thought, of God himself (the cosmic self), a sort of evolution of that absolute.
Such were, in substance, the hypotheses of Fichte, Schelling, Hegel, and a crowd of others: hypotheses obviously born from the need to escape the impasse where the critique of Kant had cast minds; but fundamentally powerless hypotheses, since that granted that whole critique: the subjectivity of the concepts following reason, as the shadow follows the body, in all its speculations, and stamping them fatally with its character. For with the subjectivity of the concepts, the conformity of knowledge with external reality, whatever effort was made, remained forever indemonstrable, the very idea of the absolute is nonsense. To identify the self and the non-self, as Fichte, Schelling, and Hegel have done in various forms, or to resolve the actual diversity in an anté-génésiaque and hypothetical identity, is to abandon the question: for it is not a question her of what the world and ideas could be in the unobservable era of absolute identity, before creation; it is a question of the conformity of the laws of the world with the laws of the thought of man, subsequent to the absolute identity, after the creation.
336. Voici donc à quel point la discussion est arrivée.
Les idées se divisent en trois espèces :
a) Idées particulières, intuitions, représentations ou images, données immédiatement par les sens ;
b) Idées générales, ou universaux, formés par abstraction et généralisation, d’après les données des sens ;
c) Conceptions, ou idées pures, qui ne semblent formées ni par induction ni par déduction, en d’autres termes, qui ne sont point abstraites ni généralisées d’après le rapport des sensations.
Or, admettant pour un moment cette classification des idées considérées sous le rapport de leur origine, on conviendra, je pense, que la plus grande obscurité règne sur la formation des idées générales et des concepts, et sur cette prétendue faculté de l’esprit, soit de généraliser et d’abstraire, soit de concevoir spontanément des idées. Je me propose donc de montrer ici que concepts et universaux ne sont pas autre chose que des intuitions empiriques, et réciproquement que toute intuition implique universel et concept, et cela sans faire aucun usage de raisonnement, soit inductif soit déductif. Il s’ensuivra, non que des idées soient des sensations transformées (proposition inintelligible pour moi), mais la reproduction fidèle, sur un miroir vivant et sensible, qui est l’esprit, de la nature elle-même.
Mais, dira-t-on, quel que soit le mode de formation des idées, est-il possible de prouver que la valeur n’en soit pas subjective, et toute proposition émise dans ce but n’implique-t-elle pas nécessairement contradiction ?
Au lieu de répondre à cette difficulté, je demande la permission de raisonner dans l’hypothèse de l’objectivité originelle des idées : on verra bientôt que la distinction du moi et du non-moi, du noumène et du phénomène, du subjectif et de l’objectif, en ce qui concerne l’origine des idées, est aussi insignifiante que le serait, pour la physique générale, de substituer l’expansion universelle à l’attraction universelle.
336. Here is the point that the discussion has reached.
Ideas are divided into three varieties:
a) Particular ideas, intuitions, representations or images, given immediately by the senses;
b) General, or universal ideas, formed by abstraction and generalization, according to the data of the senses;
c) Conceptions, or pure ideas, which do not seem to be formed by induction or deduction, in other words, which are not abstracted no generalized according to the relations of the sensations.
Now, admitting for a moment that classification of ideas considered in relation to their origin, we would agree, I think, that the greatest obscurity reigns over the formation of general ideas and concepts, and on that so-called faculty of the mind, either of generalizing and abstracting, or of spontaneously conceiving of ideas. So I propose to show here that concepts and universals are nothing but empirical intuitions, and reciprocally that every intuition implies a universal and concept, and that without making any use of reasoning, whether inductive or deductive. It would follow, not that ideas are transformed sensations (a proposition unintelligible for me), but the faithful reproduction, on a living and sensible mirror, which is the mind, of nature itself.
But, it will be said, whatever the mode of formation of ideas, is it possible to prove that its value is not subjective, and every proposition issued for this purpose does not necessarily imply contradiction?
Instead of responding to that difficulty, I ask permission to reason according to the hypothesis of the original objectivity of ideas: we will soon see that the distinction of the self and the non-self, of the noumena and phenomena, of the subjective and objective, with regard to the origin of ideas, is as insignificant as it would be, for general physics, to substitute universal expansion for universal attraction.
337. a) L’intuition s’explique d’elle-même, ou plutôt ne s’explique pas du tout. Je regarde un cheval, je flaire une odeur, je goûte un fruit, je palpe une étoffe : chacun de ces actes me donne, par un organe spécial, une sensation immédiatement suivie de conscience, c’est-à-dire d’intuition. Comment la sensation produit-elle dans le moi une illumination accompagnée d’image ? comment la conscience s’éveille-t-elle au sein de la vie, et réfléchit-elle le monde extérieur ? Voilà ce que nous ne savons pas. Nous disons seulement : Le moi communique avec les objets par les sens ; le véhicule (l’objectif et le réflecteur) est connu ; l’observateur nous échappe. De ce côté, notre science s’arrête comme devant un abîme.
Observons toutefois le caractère de l’intuition. À proprement parler, l’intuition consiste moins dans l’aperception exclusive d’un objet que dans la différenciation nettement dessinée et fidèlement circonscrite de cet objet d’avec le milieu ambiant. Dans l’intuition, l’objet se détache du non-moi par la sensation, comme par le tracé d’une ligne noire une figure se détache sur un fond blanc. En sorte qu’on peut définir l’intuition : une forme que notre âme, par la sensation, détache de l’infini, qui renferme toutes les formes possibles.
Jusqu’ici la philosophie n’a pas trouvé la moindre difficulté à l’exposition du phénomène : il lui a paru naturel, facile à comprendre, qu’un objet produisît sur l’âme, l’esprit ou l’intelligence, comme on voudra l’appeler, une sorte d’image dont cette âme avait conscience, puisqu’elle la reproduisait dans le langage. On n’a pas soulevé la question de savoir si l’intuition était une forme de l’entendement déterminée à l’occasion de la sensation, ou, comme disait Platon, une réminiscence ; on a cru simplement que, l’intuition venant après la sensation, elle était une représentation de l’objet.
337. a) Intuition explains itself, or rather is not explained at all. I look at a horse, I smell an odor, I taste a fruit, I feel a cloth: each of these acts gives me, by a special organ, a sensation immediately follows from consciousness, that is to say intuition. How does the sensation produce in the self an illumination accompanied by an image? How does consciousness awaken in the heart of life, and reflect the external world? That is what we do not know. We only say: The self communicates with objects through the senses; the vehicle (the objective and the reflector) is known; observer escapes us. From that side, our science stops as before an abyss.
Let us observe, however, the character of the intuition. Properly speaking, the intuition consists less in the exclusive aperception of an object than in the differentiation, clearly drawn and accurately described, of that object from the surrounding environment. In the intuition, the object is detached from the non-self by sensation, as by the tracing of a black line a figure is detached from a white background. So that we can define intuition: a form that our soul, by sensation, detaches from the infinite, that contains all the possible forms.
To this point philosophy has not found the least difficulty in the exposition of the phenomenon: it has appeared natural, easy to understand, that an object produced on the soul, the mind or the intelligence, as it may be called, a sort of image of which the soul had consciousness, since it reproduced it in language. We have not raised the question of knowing if the intuition was a form of understanding determined on the occasion of the sensation, or, as Plato said, a recollection; we have simply believed, the intuition coming after the sensation, it was a representation of the object.
338. Voici où commence l’embarras.
b) Que l’âme ait, par exemple, l’idée d’un cheval, rien de mieux, dit-on, puisque ce cheval existe dans la nature : mais comment l’âme peut-elle avoir l’idée du genre auquel appartient le cheval, et qui comprend, avec le cheval, l’âne, le zèbre, le couagga ? Le genre dont le cheval fait partie n’est pas un objet formé de quatre animaux, ce n’est pas un être particulier, ce n’est rien. Et pourtant c’est quelque chose, disait Bossuet.
Cette réflexion s’applique à tous les genres, espèces, collections, en un mot, à tous les universaux : elle a servi de motif ou de prétexte pour distinguer, en outre des intuitions, une seconde espèce d’idées, les idées générales. On s’est rendu compte de la formation de ces idées de la manière suivante.
Lorsque l’on considère simultanément plusieurs objets déterminés ayant entre eux des points de ressemblance, si l’on sépare intellectuellement ces points de ressemblance des autres qualités, propriétés et modifications des objets, il en résulte une intuition spéciale, formée des éléments identiques arrachés à la diversité des objets, et rapprochés ensuite par l’imagination : cet acte particulier de l’entendement se nomme abstraction ou généralisation. Ainsi l’idée générale, quant à la matière, a la même origine que l’intuition : quant à la production, elle en diffère essentiellement. Du reste, les genres et les espèces n’existent pas dans la nature ; ils ne sont rien de réel, ils sont des créations de l’entendement.
338. Here is where the difficulty begins.
b) Let the soul have, for example, the idea of a horse, nothing better, it is said, since the horse exists in nature: but how can the soul have the idea of the genus to which the horse belongs, and which includes, with the horse, the ass, the zebra, the quagga? The genus of which the horse is part is not an abject formed from four animals, it is not a particular being, it is nothing. And yet it is something, said Bossuet.
That reflection applies to all genera, species, collections, in a word, to all the universals: it has served as motive or pretext to distinguish, besides the intuitions, a second species of ideas, the general ideas. We have accounted for the formation of these ideas in the following manner.
When we simultaneously consider several determined objects having among them points of resemblance, if we intellectually separate these points of resemblance from other qualities, properties and modifications of the objects, there results a special intuition, formed of identical elements extracted from the diversity of objects, and brought closer then by the imagination: that particular act of the understanding is named abstraction or generalization. Thus the general idea, as to matter, has the same origin as intuition: as for production, it differs essentially from it. Moreover, the genera and species do not exist in nature; they are nothing real, they are creations of the understanding.
339. Cette manière d’expliquer la formation des idées générales suppose que l’esprit ne reçoit de la nature que des images particulières, individuelles, unes ; par conséquent, que toute idée de genre et d’espèce a sa cause formelle dans la raison. En effet, dit-on, l’univers ne renferme que des êtres particuliers ou individualisés ; ce cheval, cette orange, ce rayon de lumière, sont des choses qui se laissent voir, toucher, saisir ; tandis qu’une collection, un genre, échappe à tous les sens et n’existe que pour l’esprit.
Pauvre philosophe ! ne comprendrez-vous jamais que dans les objets qui affectent votre sensibilité vous ne percevez que des séries ? que l’un, le particulier, l’individuel, vous apparaît dans les choses, non par le fait d’une matérialisation grossière, mais par le rapport qui groupe et totalise les unités sérielles, en forme des organismes et des agrégats ? Concevrez-vous enfin que, comme un animal, une plante, un cristal, sont des séries au même titre que les genres et les espèces zoologique et botanique, pareillement ces genres et ces espèces sont des individualités au même titre que cet animal, cette plante, ce cristal ; et que toute la différence entre les unes et les autres est dans l’essence de leurs unités intégrantes, dans le point de vue et la raison qui les associent, dans l’intervalle qui les sépare ? Que parlez-vous d’idées simples et d’idées générales ? Rapprochez donc par la pensée ce dont votre main ne peut saisir le lien ; rassemblez en une case ces êtres si distants pour vous dans l’espace ; groupez-les comme en un polypier, et vous retrouverez cette unité, cette individualité objective, que votre esprit, plus prompt que votre œil, a depuis longtemps aperçue, et que vous nommiez idée générale. Car l’unité ne vous est percevable que dans la série : il ne vous est pas donné de la découvrir ailleurs. La série est tout à la fois unité et multiplicité, particulier et général : véritables pôles de toute perception, et qui ne peuvent exister l’un sans l’autre.
Ainsi les idées de genre, d’espèce, de collection, que l’on attribue si ingénument à l’activité créatrice de la raison, sont précisément tout ce qu’il nous est donné de savoir de ce monde ; tandis que l’un, le particulier, le concret, dont on fait l’objet propre d’une intuition passive, n’est autre que l’aperception du rapport sériel, aperception que la nature synthétique de notre entendement rend seule possible.
Lors donc que l’esprit s’imagine créer, par abstraction ou généralisation, le genre et l’espèce, il les voit en réalité d’une vue aussi simple, aussi immédiate, qu’il se sentait voir les objets par l’intuition. L’adhérence ou la séparation des parties, leur organisation, leur fixité ou leur mobilité, leur succession dans l’espace et dans le temps, ne sont que des modes particuliers de la série, qui, nous frappant de trop près ou de trop loin, nous en déguisent l’unité. Il y a plus : si, dans nos représentations intellectuelles, quelque chose pouvait être appelé création, ce serait assurément le particulier, l’un, dont nous ne saisissons la réalité substantielle nulle part. Mais l’aperception de l’unité s’expliquera suffisamment par celle de la série, dont le rapport s’objective à nous dans le tout, et peut être défini la répétition du même.
339. This manner of explaining the formation of general ideas supposes that the mind only receives from nature particular, individual unes images; consequently, that every idea of genus and species has its formal cause in reason. Indeed, they say, the universe only contains particular or individualized beings; this horse, that orange, this ray of light, are things that allow themselves to be seen, touched or felt; while a collection, a genus, escapes all the senses and only exists for the mind.
Poor philosopher! Will you never understand that in the objects that affect your sensibility you only perceive some series? That the one, the particular, the individual, appeared to you things, not by the fact of a rough materialization, but by the relation that groups and totalizes the serial unities, in the form of organisms and aggregates? Do you finally see that, as an animal, a plant, or a crystal are series by the same title as the zoological and botanical genera and species, in the same way these genera and these species are individualities by the same title as that animal, this plant, that crystal; and that the whole difference the one and the others are in the essence of their integrative unities, in the point of view and the reason that associates them, in the interval that separates them? What do you say of simple ideas and general ideas? So draw closer by thought that of which your hand cannot seize the link; gather in one case these being so distant for you in space; group them as in a polypier, and you will find that unity, that objective individuality, that your mind, more rapid than your eye, has long glimpsed, and that you name a general idea. For the unity is only perceptible by you in the series: it is not given to you to discover it elsewhere. The series is simultaneous unity and multiplicity, particular and general: true poles of all perception, which cannot exist without one another.
Thus the idea of genus, species, and collection, that we attribute so ingenuously to the creative activity of reason, are precisely all that is give to us to know in this world; while the one, the particular, the concrete, of which we make the proper object of a passive intuition, is nothing but the apperception of the serial relation, an apperception that the synthetic nature of our understanding alone makes possible.
So as soon as the mind thinks of creating, by abstraction or generalization, the genus and species, it sees them in reality with a view so simple, so immediate, that it feels it sees the objects by intuition. The adhesion or separation of the parts, their organization, their fixity or their mobility, their succession in space and time, are only particular modes of the series, which, striking us from too close or too far, disguise its unity from us. There is more: if, in our intellectual representations, something could be called creation, it would certainly be the particular, the one, of which we nowhere grasp the substantial reality. But the apperception of the unity will be sufficiently explained by that of the series, of which the relation s’objective à nous in the whole, and can be defined as the repetition of the same.
340. Généraliser, abstraire, c’est donc, comme dans l’intuition, percevoir une série, mais une série dont les unités sont séparées par des intervalles plus ou moins grands, ou se trouvent engagées dans d’autres séries. Et puisque nous ne saisissons des objets que la forme, toute intuition implique nécessairement, du côté de l’objet, différenciation et division ; mais, comme l’essence du moi est l’unité, la simplicité, l’indivisibilité, l’esprit a la faculté de percevoir dans la série le rapport, c’est-à-dire ce que la série a de formel, d’immatériel, de purement intelligible, l’unité et la totalité.
Conséquemment il n’est pas vrai de dire : Les genres et les espèces n’existent pas dans la nature ; ce sont des vues de notre esprit : la nature ne renferme que des objets particuliers et individuels. Car, en suivant ce raisonnement, les êtres qualifiés individus n’auraient pas plus de titre à l’existence que les genres et les séries qu’ils forment entre eux : les molécules organiques qui composent cette orange et ce cheval sont séparées les unes des autres comme les astres qui circulent autour du soleil : toute la différence, encore une fois, est dans la longueur des intervalles. Est-ce la faute de la nature si nous ne savons classer les perceptions qu’elle nous envoie que par l’espacement des parties ?
Ainsi toute idée, prétendue généralisée ou abstraite, se résout dans l’aperception plus ou moins immédiate d’une série : en sorte que idée générale et intuition sont choses parfaitement identiques, quant à la production, puisque c’est toujours groupe ou série. Mais comme, dans la nature, les séries les plus diverses de matière, de raison et de point de vue sont engagées les unes dans les autres, on a cru voir un déchirement et une recomposition là où, pour parvenir à la série, l’intuition avait à traverser des milieux pleins ou à franchir des espaces.
Considérez cette boule, dont la matière vous est inintelligible autant qu’impénétrable : qu’y voyez-vous ? figure, couleur, pesanteur, élasticité, en un mot, tout ce que les abstracteurs ont appelé qualités secondes. Or toutes ces choses sont, à proprement parler, des expressions sérielles (séries logiques, anticipations de l’expérience, 241). La rondeur est cette série géométrique, appelée sphère, qui circonscrit et limite les autres séries, dont l’ensemble compose une boule. La couleur indique un certain arrangement des molécules ; l’odeur et la saveur révèlent à votre âme, par des organes spéciaux, d’autres aspects sériels de ces mêmes molécules. La pesanteur et l’élasticité se rapportent à la force de cohésion des parties et de gravitation de la masse, force inintelligible et insaisissable en soi, comme la matière, mais soumise à des lois de proportion et de série dont les unes se manifestent par le son, et que le calcul est parvenu à déterminer ; et les autres se produisent dans le cours des astres et l’accélération de la chute des graves.
Passons à la troisième espèce d’idées, aux concepts.
340. To generalize to abstract, it is thus, as in the intuition, to perceive the series, but a series of which the unities are separated by greater or lesser intervals, or are found engaged in other series. And since we only grasp the forms of objects, every intuition necessarily implies, from the side of the object, differentiation and division; but, as the essence of the self is unity, simplicity, indivisibility, the mind has the ability to perceive in the series the relation, that is to say what is formal, immaterial, and purely intelligible in the series, the unity and the totality.
Consequently, it is not true to say: The genera and species does not exist in nature; these are some view of our mind: nature only contains particular and individual objects. For, by following this reasoning, the beings considered individuals would not have any more title to existence than the genera and the series that they form among them: the organic molecules that make up that orange and that horse are separated from one another like the stars [planets] that circulate around the sun: all the difference, one more time, is in the length of the intervals. Is it the fault of nature if we only know how to classify the perceptions that it sends us by the spacing of the parts?
Thus every so-called generalized or abstract idea, is resolved in the more or less immediate apperception of a series: so that the general idea and intuition are perfectly identical things, with regard to production, since it is always a group or series. But as, in nature, the most diverse series of nature, reason and point of view are involved in one another, we have thought we see a division and a rearrangement there where, in order to arrive at the series, the intuition had to traverse some milieux pleins or to cross some spaces.
Consider this ball, the matter of which is unintelligible as well as impenetrable to you: what do you see? Shape, color, weight, elasticity, in short, everything that the abstracters have called secondary qualities. Now all these things are, properly speaking, serial expressions (logical series, anticipations of experience, 241). The roundness is that geometrical series, called sphere, that circumscribes and limits the other series, the ensemble of which makes up a bowl. The color indicates a certain arrangement of molecules; the smell and taste reveal to your soul, by special organs, other serial aspects of these same molecules. The weight and elasticity relate to the force of cohesion of the parts and gravitation of the mass, a force unintelligible and ungraspable in itself, like matter, but subject to some laws of proportion and of series, some of which are manifested by sound, and that calculation is able to determine; and the others are produced in the course of the stars and the acceleration of the free fall.
Let us pass to the third species of ideas, to concepts.
341. c) Les concepts sont des perceptions, non plus de la totalité sérielle, mais des lois, des formes et des éléments de la série. C’est une classe de séries logiques (241), ayant pour objet de désigner dans le discours, non plus le matériel, mais le formel des séries. J’ai déjà parlé de la formation du premier et du plus important de ces concepts, l’unité. L’unité, ai-je dit, nous est donnée originellement dans la répétition du même, ou, si l’on aime mieux, dans l’identité des parties sériées : l’intuition nous en devient possible, comme celle des objets eux-mêmes, sous la condition d’un moi doué de la faculté d’unir synthétiquement la diversité de l’aperception. Or, cette faculté, Kant l’a reconnu lui-même, est tout l’entendement. Elle ne peut se trouver qu’en une substance simple, c’est-à-dire non sériée, ne formant point groupe ou multiplicité totalisée. Cette condition admise, l’origine des concepts s’explique avec la même facilité que celle des intuitions, par des représentations objectives.
Ainsi le concept d’unité n’est autre que l’intuition même de la série, ou des termes de la série : car comme, du côté de l’objet, la série se forme du rapport des unités ; ainsi, du côté du sujet, l’unité devient visible par l’analyse du groupe qui la renferme. En sorte que les divers moments de la formation des concepts sont en sens inverse des conditions logiques de la phénoménalité des objets. L’âme distingue d’abord une série, c’est-à-dire un groupe circonscrit, une totalité déterminée ; puis, dans cette totalité, elle reconnaît des parties, et acquiert le concept de pluralité ; enfin, saisissant soit le rapport d’identité qui unit les parties, soit la partie elle-même, elle arrive au concept d’unité.
(Le concept de continuité ou contiguïté est une hypothèse de l’esprit, suggérée par la comparaison des séries plus ou moins larges, plus ou moins serrées. Il en est de même des concepts d’indifférence, d’infini, de même ; ce sont, à proprement parler, des négations de la série, dont la condition absolue est la détermination, la différenciation, la division, la variété.)
La série étant un groupe d’unités et ces unités pouvant être indéfiniment répétées, la comparaison de plusieurs séries, sous le point de vue de l’accumulation de leurs unités, donne le concept de quantité. C’est encore une variété de l’intuition sérielle, rendue possible, comme j’ai dit, par la faculté synthétique de l’entendement.
Du reste, quantité, totalité, pluralité, unité, sont des formules logiques (241), c’est-à-dire des termes de convention servant à désigner, non plus des séries, mais les lois générales de toute série, lois dont la connaissance est en nous, comme celle de la série, absolument empirique. L’observation du système solaire était nécessaire à Kepler pour la découverte des lois auxquelles il a donné son nom ; et la connaissance de ces lois n’est, comme celle des objets auxquels elles se rapportent, qu’une acquisition de l’expérience. De même, l’idée générale des formes et des éléments sériels n’est qu’une acquisition de l’esprit, comme l’aperception même des séries.
341. c) Concepts are perceptions, no longer of the serial totality, but of the laws, of the forms and elements of the series. They are a class of logical series (241), intended to designate in discourse, no longer the material, but the formal of the series. I have already spoken of the formation of the first and of the most important of these concepts, unity. Unity, I have said, is given to us originally in the repetition of the same, or, if you prefer, in the identity of the seriated parts: the intuition of it becomes possible for us, like that of objects themselves, under the condition of a self endowed with the ability to synthetically unite the diversity of the apperception. Now, that faculty, Kant himself recognized, is all the understanding. It can only be found in a simple substance, that is to say not seriated, forming no group or totalized multiplicity. That condition admitted, the origin of concepts is explained with the same ease as that of the intuitions, by objective representations.
Thus the concept of unity is nothing but the very intuition of the series, or of the terms of the series: for as, from the side of the object, the series is formed from the relation of the unities; thus, from the side of the subject, the unity becomes visible through the analysis of the group that contains it. So that the various moments of the formation of the concepts are the other way around from the logical conditions of the phenomenality of the objects. The soul first distinguishes a series, that is to say a circumscribed group, a determined totality; then, in that totality, it recognizes some parts, and acquires the concept of plurality; finally, grasping either the rapport of identity that unites the part, or the part itself, it arrives at the concept of unity.
(The concept of continuity or contiguity is a hypothesis of the mind, suggested by the comparison of larger or smaller, more or less narrowed series. It is the same with the concepts of indifference, infinite, same; there are, to speak properly, some negations of the series, of which the absolute condition is determination, differentiation, division, variety.)
The series being a group of unities and these unities being able to be endlessly repeated, the comparison of several series, from the point of view of the accumulation of their unities, gives the concept of quantity. It is still a variety of the serial intuition that makes possible, as I have said, by the synthetic faculty of the understanding.
Moreover, quantity, totality, plurality, unity, are logical formulas (241), some conventional terms serving to designate, no longer the series, but the general laws of every series, laws of which the knowledge is in us, like that of the series, absolutely empirical. The observation of the solar system was necessary for Kepler to discover the laws to which he gave his name; and the knowledge of these laws was only, like that of the objects to which they were related, an acquisition de of experience. Just so, the general idea of the serial forms and elements is only an acquisition of the mind, like the apperception of the series itself.
342. La formation des concepts de la deuxième classe de catégories s’explique avec une facilité égale. Qui dit série, ou totalité dégagée de l’infini indifférencié, dit nécessairement circonscription et limite. Or la limite a été définie, il y a longtemps, négation de tout développement ou réalité ultérieure. Mais la circonscription de la série peut être plus ou moins exacte, plus ou moins pure dans sa réalisation : c’est-à-dire que l’expression physique du rapport intelligible qui lie les unités peut être plus ou moins fidèle : de là le concept transcendental de qualité[42]. Tous ces concepts se résolvent en dernière analyse dans la faculté qu’a l’esprit de dire oui, lorsqu’il a l’intuition d’une série ; non, lorsque cette intuition cesse tout à coup : — oui, lorsque la raison des unités est observée ; non, lorsqu’elle ne l’est pas. Ce ne sont pas là des formes de l’entendement, ce sont des actes de la conscience. Et ces actes sont dénommés par l’esprit, en raison des objets qui les provoquent.
342. The formation of the concepts of the second class of categories is explained with an equal ease. Who says series, or totality pulled from the undifferentiated infinite, necessarily says circumscription and limit. Now the limit has been defined, long ago, negation of every development or ulterior reality. But the circumscription of the series can be more or less exact, more or less pure in its realization: that is to say that the physical expression of the intelligible relation that links the unities can be more or less faithful: from there the transcendental concept of quality.[1] All these concepts are resolved in the last analysis in the faculty that the mind has of saying yes, when it has the intuition of a series; no, when that intuition suddenly ceases: — yes, when the reason of the unities is observed; no, when it is not. These are not forms of the understanding, they are acts of consciousness. And these acts are named by the mind, according to the objects that they bring about.
343. Dans la théorie sérielle, les concepts s’engendrent réciproquement, se soutiennent et se supposent l’un l’autre : cet enchaînement admirable, on le chercherait en vain dans la critique de Kant. Là les catégories symétrisées, je dirais presque cristallisées dans un cadre immobile, sont indépendantes l’une de l’autre, sans lien commun, sans genèse. Leur point de jonction est l’entendement : hors de là, elles n’offrent aucun rapport entre elles ; elles se suivent, mais on ne sait ce qu’elles sont ni d’où elles viennent. Et, qu’on veuille bien le remarquer, il n’en pouvait être autrement dans le système des formes innées de la raison : car, supposez que les catégories soient ou des conversions l’une de l’autre, ou des aspects divers d’une intuition primitive ; le système s’écroule aussitôt, et tout cet effort d’argumentation pour affranchir la connaissance humaine de l’intuition sensible, comme condition suprême de sa possibilité, aboutit au néant.
343. In the serial theory, the concepts mutually engender one another, maintain and suppose one another: that admirable sequence, we would seek it in vain in the criticism of Kant. There the symmetrized categories, I would say nearly crystallized in an immobile cadre, are independent of one another, without common link, without genesis. Their junction point is the understanding: apart from that, they offer no relation among themselves; they follow one another, but we do not know what they are or where they come from. And, let us note it well, it could not be otherwise in the system of forms innate to reason: for, suppose that the categories are conversions of one another, or various aspects of a primitive intuition; the system immediately crumbles, and all that effort of argumentation to free human knowledge from the sensible intuition, as supreme condition of its possibility, comes to naught.
344. Comme la catégorie de quantité est donnée par l’analyse de la série en tant que multiple et différenciée, et celle de qualité par la défectuosité, plus ou moins grande, de la réalisation physique, de la série : ainsi la catégorie de modalité embrasse les propriétés de la série par rapport au jugement, c’est-à-dire les conditions d’intelligibilité des choses. C’est ce que nous avons suffisamment expliqué en traitant tour à tour des formes et des lois de la série, de la source de tout sophisme et des causes de nos erreurs, des faits anormaux et anté-normaux ; en d’autres termes, de ce qui constitue pour nous le possible, le réel, le nécessaire ; et leurs corrélatifs, l’impossible, le non-être, le contingent. La quatrième classe de catégories implique la théorie entière de la loi sérielle : comme la série elle-même, elle est essentiellement empirique, et les concepts qui la composent se résolvent tous, comme ceux de quantité et qualité, en un acte soit d’affirmation, soit de négation de la conscience, provoqué par l’analyse de ses propres représentations.
344. As the category of quantity is given by the analysis of the series as multiple and differentiated, and that of quality by the more or less defective nature of the physical realization of the series: thus the category of modality includes the properties of the series in relation to judgment, the conditions of intelligibility of things. That is what we have sufficiently explain by treating in turn the forms and laws of the series, the source of every sophism and the causes of our errors, some abnormal and anté-normaux facts; in other words, what constitutes for us the possible, the real, the necessary; and their correlatives, the impossible, the non-being, the contingent. The fourth class of categories implies the entire theory of the serial law: like the series itself, it is essentially empirical, and the concepts that compose it are all resolved, like those of quantity and quality, in an act either of affirmation, or of negation of the consciousness, provoked by the analysis of its own representations.
345. L’élément, le rapport, les propriétés, modes et aspects divers de la série, ont été sommairement énumérés par Kant dans sa table des catégories : mais comme ce philosophe ne saisissait point la série en elle-même et dans son objectivité, il fut conduit à subjectiver sous le nom ancien de concepts, les différentes parties de l’intuition. En autres termes, ce que décrit Kant après Aristote, sous le nom de catégories, ce sont les principes constituants de la SÉRIE. Or, si l’idée de série est une idée toute d’expérience, il faut avouer que les idées des éléments et des lois de la série sont aussi d’expérience, par la raison décisive que ce qui est vrai du tout est vrai de chacune des parties, ce qui est vrai du système est vrai à plus forte raison du principe.
Le rôle de l’entendement dans l’aperception contribuait encore à entretenir Kant dans son erreur. En effet, supposons le moi multiple et sérié, et toute représentation de l’extérieur devient impossible. Rétablissez, au contraire, dans le moi, l’identité et l’indivision ; rendez-lui sa nature amorphe, et avec elle la faculté de saisir l’unité de l’intuition : aussitôt la conscience s’éveille, la pensée entre en exercice, les images et les idées arrivent en foule, et la raison se constitue. Mais, avant l’intelligence de la série, et sous la préoccupation de la théorie des idées générales, que pouvait penser un psychologue de cette espèce d’intuitions qui n’étaient ni représentatives de genres ou d’espèces, ni représentatives d’objets individuels ? Nécessairement il les devait prendre pour des formes à priori de l’entendement, formes qu’il imposait à toute perception, comme conditions d’intelligibilité, mais qui n’étaient point inhérentes à la perception.
345. The element, the relation, the properties, modes and various aspects of the series, have been summarily enumerated by Kant in his table of the categories: but as that philosopher did not grasp the series in itself and in its objectivity, he was led to subjectize under the ancient name of concepts, the parts of the intuition. In other words, what Kant described after Aristotle, under the name of categories, these are the constituent principles of the series. Now, if the idea of series is an idea entirely from experience, we must confess that the ideas of the elements and of the laws of the series are also of experience, by the decisive reason that who is true of all is true of each of the parts, what is true of the system is even more true of the principle.
The role of the understanding in the aperception contributed more to maintain Kant in his error. In fact, let us suppose the self is multiple and seriated, and every representation from the exterior becomes impossible. Reestablish, on the contrary, identity and indivisibility in the self; give it back its nature amorphous, and with it the ability to grasp the unity of the intuition: immediately the consciousness will awaken, thought enters into exercise, images and ideas arrive in a mass, and reason is constituted. But, before the intelligence of the series, and under the preoccupation with the theory of general ideas, what could a psychologist think of that species of intuitions that were neither representative of genera or species, nor representative of individual objects? They must inevitably take them for some a priori forms of the understanding, form that it imposes on every perception, as conditions of intelligibility, but which are not inherent in perception.
346. Le moi est un, identique, indivisible : c’est pour cela qu’il demeure impénétrable à lui-même, et ne se connaît que par ses opérations, lesquelles tirent toute leur dénomination de la nature ou de la forme des objets qui les excitent. C’est par là aussi qu’il est capable de sensibilité, d’aperception et de connaissance : c’est en vertu de cette unité essentielle qu’il convertit en idées les impressions qui lui sont transmises par les sens, contemple la série jusque dans ses éléments et ses lois, et s’élève enfin aux concepts de substance et de cause.
Sous le voile multiforme, multicolore de la série, par delà la série, nous percevons dans les objets la substance et la cause : le moi les devine plutôt qu’il ne les voit, et s’en empare, mais sans les pénétrer intimement elles-mêmes. Montrons d’abord l’objectivité de ces concepts ; nous en constaterons plus tard la réalité.
Concept de causalité. Selon Kant, l’idée de cause est une catégorie de la raison, c’est-à-dire une forme de l’intelligence, déterminée en elle, non par la sensation, mais à l’occasion de la sensation. L’idée de cause, en un mot, est une loi de la pensée : nous ne saurions nous démontrer à nous-mêmes qu’elle soit aussi une loi de l’être.
Mécontent de cette hypothèse, qu’apparemment il jugeait trop sceptique, l’éclectisme a cru faire merveille dans ces derniers temps d’y substituer une démonstration tirée de ce qu’il nomme, avec une vanité d’enfant, méthode psychologique. À l’aide de cette méthode, l’éclectisme prétend démontrer la légitimité de l’idée de cause, non-seulement comme loi de la pensée, mais comme fait. L’idée de cause, dit-il, est donnée immédiatement dans la conscience : c’est à la conscience, seul juge compétent en cette matière, qu’il faut s’adresser pour avoir l’origine de l’idée de cause. — Cette volte, comme on va voir, n’était pas heureuse ; elle faisait rétrograder la métaphysique.
Le moi se sent libre, actif ; il croit à sa spontanéité, à sa force causatrice : rien n’est plus vrai. Toutes ses manifestations semblent justifier aussi cette opinion qu’il a de lui-même ; il produit volontairement des idées, des combinaisons, des mouvements ; chacun de ses actes, enfin, dénote une exertion de force. Mais tout cela ne déguiserait-il point une dépendance plus profonde, une subalternisation d’un genre particulier, mais non moins absolue, dans la vaste chaîne des phénoménalités et des contingences ? La communication du mouvement n’a pas lieu nécessairement d’une manière uniforme et continue, comme dans le choc de plusieurs billes placées l’une derrière l’autre : on y remarque aussi des interruptions et des recrudescences, des synthèses et des points de centralisation, d’où jaillissent ensuite, à l’improviste, et sous des conditions certaines, des efforts que nous disons spontanés, parce que nous en avons perdu la trace. L’homme, ainsi que tous les êtres organisés, est un de ces foyers ou réservoirs de mouvement, qu’alimentent les phénoménalités éparses dans le milieu qui les environne, et dans lesquels une industrieuse organisation convertit en actes spéciaux les impulsions mécaniques ou sympathiques venues du dehors. Qu’est-ce qu’une pareille causalité, à côté de celle dont notre conscience a reçu l’image ? Si l’homme est cause, c’est comme la poudre qui fait éclater la bombe, comme la vapeur qui fait jouer nos machines, comme l’estomac du quadrupède qui nous fournit de laitage. Tous ces foyers de mouvement sont-ils causes, vous dites : Je le sens ! À la bonne heure, mais comment le voyez-vous ?
Revenons donc à l’hypothèse de Kant : et après avoir admis avec lui le concept de cause comme loi de la pensée, montrons-en l’origine dans l’intuition de la série.
346. The self is one, identical, indivisible: that is why it remains impenetrable to itself, an only knows itself through its operations, which draw all their denomination from the nature or form of the objects that they excite. This is also the reason that it is capable of sensibility, of apperception and of knowledge: it is by virtue of that essential unity that it converts into ideas that impressions that are transmitted it to the senses, contemplates the series even in its elements and its laws, and finally raises itself to the concepts of substance and cause.
Under the multiform, multicolored veil of the series, beyond the series, we perceive in objects the substance and the cause: the self surmises rather than sees them, and grasps them, but without entering into them deeply. Let us first show the objectivity of these concepts; later we will record their reality.
Concept of causality. According to Kant, the idea of cause is a category of the reason, a form of the intelligence, determined in it, not by sensation, but on the occasion of sensation. The idea of cause, in short, is a law of thought: we could not demonstrate to ourselves that it is also a law of being.
Dissatisfied with this hypothesis, that it apparently judged too skeptical, eclecticism thought to work wonders in these recent times by substituting a demonstration drawn from what it calls, with a childish vanity, the psychological method. With the aid of that method, eclecticism claims to demonstrate the legitimacy of the idea of cause, not only as a law of thought, but as a fact. The idea of cause, it says, is given immediately in consciousness: it is to the consciousness, only competent judge in this matter, that it is necessary to turn in order to have the origin of the idea of cause. — That turnabout, as we will see, was not fortunate; it made metaphysics retreat.
The self feels itself free and active; it believes in its spontaneity, in its causative force: nothing is more true. All its manifestations also seem to justify the opinion that it has of itself; it deliberately produces ideas, combinations, and movements; each of its acts, finally, indicates an exertion of force. But all of that will not disguise a deeper dependence, a subalternization of a particular sort, but no less absolute, in the vast chain of phenomenalities and contingencies? The communication of the movement does not necessarily take place in a uniform and continuous manner, as in the shock of several marbles placed one behind the other: we also note some interruptions and recrudescences, syntheses and points of centralization, from which then spring, impromptu, and under certain conditions, some efforts that we call spontaneous, because we have lost the lost the track. Man, along with all organized beings, is one of those centers or reservoirs of movement, that feed the scattered phenomenalities in the milieu that surrounds them, and in which an industrious organization converts into specific acts the mechanical or sympathetic impulsions come from outside. What is such a causality, beside that of which our consciousness has received the image? If the man is the cause, he is like the powder that makes the bomb explode, like the steam that makes our machines work, like the stomach of the quadruped that furnishes us dairy produce. Are all these centers of movement causes, you say: I feel it! About time, but how do you see it?
So let us return to the hypothesis of Kant: and after having admitted with him the concept of cause as a law of thought, let us show its origin in the intuition of the series.
347. Les sens, disait Hume, témoignent bien que les phénomènes se suivent, mais non pas qu’ils soient liés. Pour apercevoir la succession de deux faits, il suffit de la mémoire, c’est-à-dire de l’identité permanente du moi : mais l’idée de succession n’implique pas nécessairement celle de causalité. — Les critiques n’ont rien trouvé à reprendre à cet argument de Hume ; ils ont blâmé seulement, comme j’ai dit (332), la conclusion qu’en avait tirée l’auteur.
Des naturels de la Nouvelle-Hollande se trouvant rassemblés au pied d’un rocher, au moment où ils sifflaient, un fragment de roc se détacha subitement, et ils furent tous écrasés. Depuis ce temps-là, dit Dumont d’Urville, les Australiens s’abstiennent de siffler au pied des montagnes. C’est que, dans leur esprit, la chute de la montagne et le sifflet sont deux phénomènes qui se lient.
Le philosophe et le sauvage, je veux dire la réflexion et la spontanéité, s’accordent donc à concevoir la cause comme le lien des phénomènes. Mais, d’abord, dans quel cas peut-on dire que les phénomènes sont liés, et comment l’esprit aperçoit-il ce lien ? C’est, j’ose le dire, ce que la philosophie n’a jamais su.
Toutes les séries dont la nature nous offre l’inépuisable assemblage se divisent primordialement en deux grandes catégories : les unes, que nous appellerons stables ou fixes, parce que, pour subsister, leurs unités doivent être cohérentes ou tout au moins simultanées : cette espèce de série nous donnera tout à l’heure le concept de substance ; — les autres, auxquelles nous donnerons le nom de fluentes, parce que leurs unités coulent, pour ainsi dire, et s’évanouissent, comme l’eau des fleuves et le souffle des vents. Les unités de cette seconde espèce de série se nomment moments[43].
Ces moments, bien qu’ils n’aient entre eux ni cohésion ni simultanéité, n’en sont pas moins gouvernés par une raison commune : sans cela, ils ne formeraient pas série. C’est ce que la transmission du son, de la lumière, et en général de tout mouvement, rend facilement intelligible. Dans les éclipses des satellites de Jupiter, l’observateur placé à une distance de moitié moindre que celle où nous sommes de cette planète ne verrait plus le satellite que nous l’apercevrions encore ; et réciproquement lorsque l’occultation cesserait pour lui, elle commencerait pour nous. Dans cette série de mouvements vibratoires, les unités (vibrations) ne sont évidemment ni cohérentes ni simultanées ; elles sont simplement liées. Mais à quelle condition sont-elles liées ? à la condition de l’homogénéité de leur matière, et d’un rapport soit d’égalité, soit d’identité ou de progression, qui rende possible leur mutuelle influence. Ainsi les vibrations de l’air (le son) ne transmettent pas les vibrations de l’éther (la lumière), parce qu’il n’y a pas homogénéité de matière ; ainsi la chute d’un aérolithe n’entraîne pas la terre hors de son orbite, parce qu’il n’y a pas rapport convenable entre leurs masses.
La série nous fait donc connaître à priori quand les phénomènes sont liés, et quand ils ne le sont pas ; en d’autres termes, quelles sont les conditions de la causalité ou manifestation de la force. Ce premier point obtenu, reste à savoir comment la force elle-même, la cause enfin, nous apparaît dans le phénomène.
Or, le concept de cause étant corrélatif dans l’esprit à celui de substance, nous les exposerons en même temps l’un et l’autre.
347. The senses, said Hume, testify that phenomena follow one another, but not that they are linked. In order to glimpse the succession of two facts, nothing is required but memory, the permanent identity of the self: but the idea of succession does not necessarily imply that of causality. — The critics have found nothing to respond to that argument of Hume; they have only blamed, as I have said (332), the conclusion that the other drew from it.
Some naturels of New Holland being assembled at the foot of a rock, at the moment when they whistled, a fragment of rock suddenly broke away, and they were all crushed. Since that time, said Dumont d’Urville, the Australians abstain from whistling at the foot of mountains. That is because, in their mind, the fall of the mountain and the whistles are two phenomena that are linked.
So the philosopher and the savage, I mean reflection and spontaneity, agree to conceive of cause as the link of phenomena. But, first, in what case can we say that the phenomena are linked, and how does the mind perceive this link? It is, I dare say, what philosophy has never known.
All the series, of which nature offers us the inexhaustible assemblage, are primordially divided into two great categories: some, which we will call stable or fixed, because, in order to persist, their unities must be coherent or at least simultaneous: that species of series will later give us the concept of substance; — the others, to which we will give the name of fluentes, because their unities flow, so to speak, and disappear, like the water of the rivers and the breath of the winds. The unities of that second species of series are called moments.
These moments, while they had between them neither cohesion nor simultaneity, are no less governed by a common reason: without that, they would not form series. This is what the transmission of sound, of light, and in general of every movement, makes easily intelligible. In the eclipses of the satellites of Jupiter, the observer placed at a distance of less than half of that at which we are from that planet would not longer see the satellite that we would still perceive; and reciprocally when the occultation will cease for him, it will begin for us. In this series of vibratory movements, the unities (vibrations) are obviously neither coherent nor simultaneous; they are simply linked. But on what condition are they linked? On the condition of the homogeneity of their matter, and of a relation either of equality, or of identity or progression, which makes possible their mutual influence. Thus the vibrations of the air (sound) do not transmit the vibrations of the ether (light), because there is not a homogeneity of matter; thus the fall of an aerolite does not draw the earth outside of its orbit, because there is no suitable relation between their masses.
So the series makes us know à priori when the phenomena are linked, and when they are not; in other words, what are the conditions of the causality or manifestation of the force. This first point obtained, it remains to know how the force itself, the cause finally, appeared to us in the phenomenon.
Now, the concept of cause being correlative in the mind to that of substance, we will lay them both out at the same times.
348. Concept de substance. Tous les objets qui tombent sous nos sens nous offrent un assemblage de séries engagées les unes dans les autres, et que l’on peut considérer comme se servant réciproquement de pivot et de rayon, d’élément et de rapport, de sujet et d’attribut. Cette corrélation des séries s’exprime dans le langage philosophique par les termes antithétiques de substance et de modification. Ainsi, dans la boule d’ivoire, la forme chimique ou moléculaire étant prise comme série principale ou substantielle, la saveur, la pesanteur, l’élasticité sont ses attributs. Les rôles pourraient être changés entre ces diverses expressions sérielles sans que l’objet fût détruit, et la justesse du raisonnement compromise : mais l’usage a décidé qu’en toute série fixe l’une des séries élémentaires serait spécialement et exclusivement considérée comme substratum des autres, comme substance,
La même observation s’applique aux séries fluentes : dans cet ordre d’intuitions, les unités, ou moments, se déterminant l’une l’autre, prennent tour à tour, selon le point de vue où l’on se place, les noms de moteur et de mobile, d’agent et de patient, de cause et de phénomène.
C’est ce qu’avait très-bien aperçu Kant, lorsqu’il faisait entrer les concepts de substance et d’attribut, de cause et d’effet (inhérence et dépendance), dans la catégorie de relation : tous ces termes, en effet, sont autant d’expressions corrélatives indiquant tour à tour les diverses faces d’une série.
Mais l’illustre auteur de l’Analytique s’était arrêté dans sa route. La série est un tout composé d’éléments groupés sous une certaine raison ou loi. Cette raison et la forme qu’elle engendre sont la partie intelligible de la série ; l’élément sériel, considéré en lui-même et seulement comme partie intégrante d’une série, est chose obscure, inintelligible. Le ton mi, séparé de la gamme ; le rayon rouge, séparé du faisceau lumineux, ne signifient rien pour l’esprit ; un animal, une plante, séparés de l’espèce, du genre et du règne, ne se comprennent pas. De même encore une poignée de grains, un massif d’arbres, un troupeau de bêtes, donnent bien une idée de pluralité ou de collection ; mais tant que nous ne les rapportons pas à une série arithmétique, ces collections sont inintelligibles.
C’est seulement lorsque l’unité sérielle peut être à son tour prise pour série, et conséquemment être soumise à l’analyse, qu’elle devient claire à l’esprit, à qui elle fournit une idée. Jusque-là c’est un je ne sais quoi sans figure et sans nom, incompréhensible, impénétrable. L’âme, en vertu de sa propre essence, qui est l’unité et l’indifférenciation, l’âme sent l’élément sériel ; mais n’en recevant pas d’empreinte, elle ne se l’explique pas, elle le nie. Elle l’appelle non-moi, matière.
La même chose a lieu dans la série fluente : une plante germe, se développe, pousse des fleurs qui la reproduiront à l’infini ; — l’homme agit, se meut, pense, aime et raisonne ; le choc des corps, le son, la lumière, le cours des astres, tout cela nous présente des séries d’un certain ordre, tantôt simples, tantôt complexes, dont les lois peuvent être calculées et les résultats prévus, mais dans lesquelles le moment pris en lui-même est, comme l’élément dans la série fixe, à la fois sensible et inintelligible.
Or, cette unité sérielle, qui tantôt demeure et tantôt passe, qui se laisse, pour ainsi dire, toucher, mais non pas voir, ai-je besoin de dire que c’est précisément ce qui nous fournit, là le concept de substance, ici le concept de cause, substance et cause, ou comme qui dirait, ce qui dans l’aperception reste inintelligible ? et l’origine de ces concepts peut-elle actuellement être douteuse ?…
348. Concept of substance. All the objects that fall under our senses offer us an assemblage of series engaged in one another, and that we can consider as serving reciprocally as pivot and radius, element and relation, subject and attribute. That correlation of series is expressed in the philosophical language by the antithetical terms of substance and modification. Thus, in the ball of ivory, the chemical or molecular form being taken as principal or substantial series, the fragrance, weight, and elasticity are its attributes. The roles could be changed between these various serial expressions without the object being destroyed, and the accuracy of the reasoning compromised: but custom has decided that in every fixed series one of the elementary series will be specifically and exclusively considered as the substratum of the others, as substance.
The same observation applied to the fluentes series: in this order of intuitions, the unities, or moments, determine one another, taking by turns, according to the point of view where we are place, the names of motor and mobile, agent and patient, cause and phenomenon.
That is what Kant so very clearly, when he brought in the concepts of substance and attribute, cause and effect (inherence and dependence), in the category of relation: all these terms, in fact, are so many correlative expressions indicating by turns the various aspects of a series.
But the illustrious author of the Analytic had stopped on his road. The series is a whole made up of elements grouped according to a certain reason or law. That reason and the form that it gives rise to are the intelligible part of the series; the serial element, considered in itself and only as an integral part of a series, is an obscure, unintelligible thing. The tone mi, separated from the gamut; the red ray, separated from the beam of light, signifies nothing for the mind; an animal, a plant, separated from the species, genus and kingdom, are not understood. Just so a handful of grain, a mass of trees, a herd of animals, give a good idea of plurality or collection; but as long as we do not relate them to an arithmetic series, these collections are unintelligible.
It is only when the serial unity can be in its turn taken for series, and consequently be subject to the analysis, that it becomes clear to the mind, to which it furnishes an idea. Up to this point it is a je ne sais quoi without shape and without name, incomprehensible, impenetrable. The soul, by virtue of his own essence, which is the unity and the lack of differentiation, the soul senses the serial element; but not receiving its imprint, it does not explain it, it denies it. It calls it non-self, matter.
The same thing takes place in the fluente series: a plant germinates, develops, sprouts flowers that reproduce endlessly; — the man acts, moves, thinks, loves and reasons; the impact of bodies, sound, light, the courses of the stars, all that presents us with series of a certain order, now simple, now complex, the law of which can be calculated and the results foreseen, but in which the moment taken in itself is, like the element in the fixed series, at once sensible and unintelligible.
Now, that serial unity, which now remains and now passes, which allows itself, so to speak, to touch, but not to see, do I need that say that it is precisely what furnishes us, there the concept of substance, here the concept of cause, substance et cause, or as one might say, what remain unintelligible in apperception? And can the origin of these concepts actually be in doubt?…
349. Pour rendre cette démonstration complète, disons comment les idées de substance et de cause, d’analytiques qu’elles sont d’abord dans l’intuition, deviennent, à fur et à mesure de l’expérience, absolues et pour ainsi dire extra-sérielles.
D’un côté, l’élément sériel, tant qu’il n’est envisagé que comme élément, est essentiellement inintelligible : en effet, l’unité, l’identité, l’indifférence ne s’expliquent pas. Mais ce même élément est-il considéré à son tour, non plus comme partie, mais comme tout ; non plus comme composant, mais comme composé : alors la série reparaît, une série subordonnée à la première, mais toujours composée d’unités susceptibles de se décomposer à leur tour en de nouvelles séries formées d’autres unités. D’autre part, à mesure que l’on descend la chaîne des séries, les formes semblent se rapprocher de plus en plus et se résoudre finalement en une seule : cela est surtout saillant dans la classification des formes animales et végétales. L’esprit se demande donc s’il est un terme à cette sériation infinie ; si, dans chaque objet, il est une série primordiale dont les éléments soient indécomposables : en d’autres termes, s’il est un atome premier de toute série substantielle et un moment premier de toute série causative ; si enfin, dans la nature, la substance est identique et la cause universelle.
En résumé, l’esprit, en parcourant la chaîne des séries, soit fixes, soit fluentes, passe continuellement de l’intelligible à l’inintelligible, de l’idée à la sensation, et vice versa. Ce qui donne lieu à l’idée se nomme rapport, loi, groupe ou série ; ce qui produit la sensation est simplement matière, élément ou substance, moment ou cause. Or, comme il est un terme où l’analyse des formes et des phénomènes est forcée de s’arrêter, où par conséquent la sensation ne fournit plus rien à l’esprit et n’est la source d’aucune idée, on a donné à cette sensation, radicalement obscure, inintelligible, indémontrable, négative, les noms abusifs d’idée de substance et d’idée de cause. Et lorsqu’à cette qualification d’idée on eut substitué celle plus logique de concept, comme les concepts de substance et de cause ne répondaient à rien d’appréciable à la raison, puisqu’ils sont la négation de toute série ultérieure, — négation de forme, non d’objet, — au lieu de dire que ces concepts étaient la sensation, non suivie d’idée, des réalités extérieures, on affirma qu’ils étaient des idées pures, des formes non empiriques de l’entendement.
Ainsi, au lieu de dire avec Hume ; La sensation ne suffit point à expliquer l’idée de cause, donc cette idée ne correspond à rien de réel ; nous disons, nous : L’idée ou plutôt le concept de causalité n’est qu’une sensation, et c’est pourquoi ce concept est inintelligible, inexplicable.
C’est ici qu’il conviendrait de reprendre la discussion des antinomies de la raison pure, dont tout le mystère consiste dans la nécessité pour l’esprit de sérier afin de comprendre, et sur lesquelles la théorie sérielle répandrait une vive lumière. Mais les bornes de cet écrit ne nous permettent pas de sonder plus avant ces profondeurs métaphysiques : il suffit que nous ayons montré, dans l’intuition sensible, l’origine des universaux et des catégories.
349. To make this demonstration complete, let us say how the ideas of substance and cause, as analytic as they are first in intuition, become gradually, with experience, absolute and so to speak extra-serial.
On the one hand, the serial element, as long as it is only envisioned as an element, is essentially unintelligible: in fact, the unity, the identity, the indifference is not explained. But this same element is considered in its turn, no long as a part, but as a whole; no longer as component, but as compound: then the series reappeared, a series subordinated to the first, but always composed of unities likely to be broken down in their turn into new series formed of other unities. On the other hand, to the degree that we descend the chain of the series, the forms seem to draw closer and closer to one another and to finally resolve in a single one: that is especially prominent in the classification of the animal and vegetable forms. So the mind demands if there is an end to that infinite seriation; if, in each object, there is a primordial series the elements of which the are inseparable: in other words, if it is a first atom of every substantial series and a first moment of every causative series; so finally, in nature, the substance is identical and the cause universal.
In summary, the mind, by scanning the chain of the series, whether fixed or fluentes, passes continually from the intelligible to the unintelligible, from the idea to the sensation, and vice versa. What gives rise to the idea is called relation, law, group or series; what produces the sensation is simply matter, element or substance, moment or cause. Now, as it is a term where the analysis of forms and phenomena is forced to stop, where consequently sensation furnishes nothing more to the mind and is the source of no idea, we have given to that completely obscure, unintelligible, indemonstrable, and negative sensation the abusive names of idea of substance and idea of cause. And when to that qualification of idea we have substituted the more logical one of concept, as the concepts of substance and cause respond to nothing appreciable to reason, since they are the negation of every later series, — negation of form, not of object, — instead of saying that these concepts were the sensation, not followed by the idea, external realities, we affirm that they are pure ideas, non-empirical forms of the understanding.
Thus, instead of saying with Hume: Sensation is not sufficient to explain the idea of cause, so that idea corresponds to nothing real. We say: The idea or rather the concept of causality is only a sensation, and that is why that concept is unintelligible, inexplicable.
It is here that it is appropriate to take up again the discussion of the antinomies of pure reason, all the mystery of which consists in the necessity for the mind of classifying [sérier] in order to understand, and on which the serial theory will shine a bright light. But the limits of this light do not allow me to delve any deeper into these metaphysical depths: it is enough that we have shown, in the sensible intuition, the origin of the universals and categories.
350. Concepts de temps et d’espace. Toute série est un conditionné, cela est impliqué dans la notion même de la série. Or, l’esprit ne percevant dans la nature que des séries, tout se rapporte nécessairement à l’un ou à l’autre de ces deux objets : la série et ses conditions.
Les conditions fondamentales de la série sont : 1o la division ; 2o l’élément ou l’unité ; 3o le rapport des unités. L’unité et le rapport nous ont donné successivement les idées catégoriques de quantité, qualité, modalité, substance et cause : pour contester l’origine que nous avons assignée à ces concepts, il faudrait renverser toute la théorie sérielle, et nier que les idées de cohésion et de mouvement vinssent de l’intuition empirique. En effet, l’idée universelle de substance est due à l’hypothèse que le moi, en vertu de son unité propre, fait, et ne peut pas ne pas faire, d’un dernier élément qui, indécomposable lui-même, sert à la constitution de toute série fixe et permanente : l’idée universelle de cause est adéquate à celle d’un fluide ralliant et entraînant les substances, comme le fluide électrique, par son passage, agite cent personnes formant la chaîne, d’une commotion tour à tour reçue et transmise.
Les concepts d’espace et de temps, corrélatifs entre eux comme les idées de substance et de cause, sont donnés par la condition première de toute série, la division.
La série se compose nécessairement d’unités. Chaque unité sérielle se sépare et se distingue de l’unité voisine comme la thèse de l’antithèse, le moi du non-moi, c’est-à-dire absolument et indéfiniment ; de sorte qu’entre l’une et l’autre il est possible d’insérer autant de moyens termes qu’on voudra, c’est-à-dire toute une série. Par exemple, entre le rayon rouge et le rayon orangé, la nuance varie continuellement ; entre le ton mi et le ton fa, les tons moyens sont innombrables, bien que l’oreille n’en saisisse pas la différence ; entre les solipèdes et les ruminants, la nature pouvait créer une foule de variétés et d’espèces ; entre un nombre et un autre nombre, on peut insérer des moyens arithmétiques à l’infini ; entre un phénomène et un autre phénomène, on conçoit la force se transmettant par une chaîne de moments de plus en plus serrée ; enfin entre un point donné dans le vide et un autre point, la distance, si petite qu’elle soit, est toujours susceptible de division.
Renversons maintenant l’hypothèse : au lieu d’insérer des moyens termes entre les unités d’une série, concevons cette série elle-même prolongée à l’infini. Ainsi, au delà des rayons visibles, l’esprit conçoit des ondes de plus en plus affaiblies ; au delà des sons perceptibles, des vibrations toujours plus rares ; au delà des espèces animales connues, de nouvelles manifestations de la vie. De même, au plus grand nombre possible l’esprit peut toujours ajouter une unité ; au lieu d’une communication sériée de la force, l’esprit la conçoit se produisant spontanément et opérant sans transition ; par delà Sirius et tous les soleils, l’espace s’étend encore.
Cette propriété de la série, de serrer ses unités ou de se prolonger indéfiniment, est analogue à celle dont nous parlions tout à l’heure, de présenter une série toujours nouvelle dans chacun de ses éléments, aussi loin qu’on en pousse l’analyse. Or, l’espace et le temps ne sont que des modes particuliers de cette puissance de différenciation indéfinie[44] ; mais l’esprit humain, conditionné par la série dont il est la vivante image, et subjugué d’abord par les idées de cohérence et de succession, les premières qu’il reçoive de l’intuition sensible, s’est objectivé à lui-même les concepts négatifs et spéciaux de temps et d’espace, et il en a fait ces deux figures gigantesques qui tiennent une si grande place dans la poésie, la théologie et la philosophie. L’espace et le temps ne sont rien de réel, pas plus que les millions de moyens arithmétiques que l’on peut insérer entre un et deux ; ce ne sont pas non plus des formes de l’entendement, mais de simples modalités sérielles, particulières aux séries fluente et géométrique, et dont l’homme a fait deux capacités contenant tous les phénomènes et tous les êtres.
350. Concepts of time and space. Every series is conditionned, that is implied in the very notion of the series. Now, the mind perceiving in nature only series, everything relates necessarily to one or the other of these two objects: the series and its conditions.
The fundamental conditions of the series are: 1) division; 2) the element or the unity; 3) the relation of the unities. The unity and the relation have given to us successively the categorical ideas of quantity, quality, modality, substance and cause: in order to contest the origin that we have assigned to these concepts, it would be necessary to overturn the whole serial theory, and to deny that the ideas of cohesion and movement come from the empirical intuition. In fact, the universal idea of substance is due to the hypothesis that the self, by virtue of its own unity, makes, and cannot not make, from a last element that, inseparable itself, serves the constitution of every fixed and permanent series: the universal idea of cause is fitting to that of a fluid uniting and pulling substances, as the electric fluid, by its passage, moves one hundred persons forming the chain, with a shock by turns received and transmitted.
The concepts of space and time, correlative between them like the ideas of substance and cause, are given by the first condition of every series, division.
The series is necessarily composed of unities. Each serial unity is separated and distinguished from the neighboring unity as the thesis and the antithesis, the self and non-self, that is to say absolutely and indefinitely; so that between the two it is possible to insert as many middle terms as you wish, that is to say a whole series. For example, between the red ray and the orange ray, the shade varies continually; between the mi and the fa, the intermediate tones are countless, although the ear does not grasp the difference; between the solipeds and the ruminants, nature could create a mass of varieties and species; between one number and another number, we can insert arithmetic means infinitely; between a phenomenon and another phenomenon, we conceive the force being transmitted by a chain of moments more and more closely packed; finally between one given point in the void and another point, the distance, as small as it may be, is always capable of division.
Let us now turn the hypothesis around: instead of inserting middle terms between the unities of a series, let us conceive that series itself prolonged infinitely. Thus, outside of the visible rays, the mind conceives of weaker and weaker waves; beyond the perceptible tones, some vibrations always more rare outside of the known animal species, new manifestations of life. Likewise, to the largest possible number the mind can always add one unity; instead of a seriated communication of force, the mind conceive of it being produced spontaneously and operating without transition; beyond Sirius and all the stars, space still extends.
That property of the series, of drawing together its unities or of prolonging itself indefinitely, is analogous to that of which we spoke just now, of presenting a series always new in each of its elements, as far as one could analyze it. Now, space and time are only particular modes of that power of indefinite differentiation; but the human mind, conditioned by the series of which it is the living image, and subjugated first by the ideas of coherence and succession, the first that it would receive from the sensible intuition, is to objectivize to itself the negative and specific concepts of space and time, and it has made of them these two gigantic figures that occupy such a large place in poetry, theology and philosophy. Space and time are nothing real, any more than the millions of arithmetic means that we can insert between one and two; nor are they forms of the understanding, but simple serial modalities, particular to the fluente geometric series, from which man has made two capacities containing all phenomena and all beings.
351. L’idée du temps, suivant les psychologues, nous est donnée dans la conscience par la succession de nos pensées ; l’idée de l’espace nous vient par la vue et le toucher.
Mais d’abord nos pensées elles-mêmes, d’où viennent-elles ? Des phénomènes extérieurs dont l’âme reçoit la représentation, et auxquels nous sommes liés nous-mêmes, et comme phénomènes, et comme centres de mouvement. Donc, d’après le témoignage de la raison, le temps est une condition objective de phénoménalité avant d’être une forme subjective de notre entendement.
Une comparaison rendra ceci plus clair. Supposons l’Univers animé et intelligent, Dieu enfin, comme l’entend le panthéisme ; alors, en suivant le raisonnement des psychologues, l’idée de temps serait donnée à l’Univers-Dieu dans la succession de ses pensées. Mais les pensées de l’Univers-Dieu sont les phénomènes qui se passent en lui ; de sorte que, pour lui, l’idée de temps serait encore une intuition objective. Or, la différence de l’Univers-Dieu à nous, relativement au concept de temps, c’est que nous voyons les phénomènes, types de nos pensées, extérieurement à nous, tandis que l’Univers-Dieu les verrait en soi, par introspection.
Quant à l’idée d’espace, comment des métaphysiciens ont-ils pu ramener seulement à deux espèces d’aperceptions (la vue et le tact) une forme absolue de la connaissance ? C’eût été à peine pardonnable à des hommes de la société primitive, aux philosophes de l’âge d’or. Ou l’espace et le temps conditionnent toutes nos intuitions, ou ils perdent leur caractère d’absolu et ne sont eux-mêmes que des modes particuliers de la condition absolue de toute connaissance, de la série.
351. The idea of time, according to the psychologists, is given to us in consciousness by the succession of our thoughts; the idea of space comes to us through sight and touch.
But first, where do our thoughts themselves come from? From external phenomena of which the soul receives the representation, and to which we are linked ourselves, as phenomena, and as centers of movement. Thus, according to the testimony of reason, time is an objective condition of phenomenality before being a subjective form of our understanding.
A comparison will make this more clear. Let us suppose that the Universe is animated and intelligent, is God, finally, as pantheism understands God; then, by following the reasoning of the psychologists, the idea of time would be given to the Universe-God in the succession of its thoughts. But the thoughts of the Universe-God are the phenomena that occur within it; so that, for it, the idea of time would still be an objective intuition. Now, the difference between the Universe-God and us, in relation to the concept of time, is that we see the phenomena, types of our thoughts, external to ourselves, while the Universe-God would see them within itself, by introspection.
As for the idea of space, how have the metaphysicians been able to bring back to only two species of apperceptions (sight and touch) an absolute for of knowledge? That would hardly have been forgivable in the men of primitive societies, in the philosophers of the golden age. Either space and time condition all our intuitions, or they lose their absolute character and are themselves only particular modes of the absolute condition of all knowledge, of the series.
352. L’origine des idées-concepts, telle qu’elle se découvre par l’analyse de la série, trouve dans la philologie un éclatant témoignage. Dans les langues les plus anciennes, les idées de substance et de cause, de temps et d’espace n’ont point de termes qui les expriment, ou, si elles en ont, ces termes sont détournés de leur signification primitive et pris par métaphore. Or, si l’homme, en vertu de son organisation, a trouvé spontanément dans les articulations de sa voix les signes des idées qui lui venaient par les sens, comment cette même organisation ne lui a-t-elle pas fourni des signes pour les idées-concepts, préexistant dans l’entendement et s’éveillant seulement à l’appel de la sensation ? Comment les idées pures ont-elles été désignées par des noms d’objets sensibles, par des signes d’intuitions ? Pourquoi, par exemple, dans les idiomes primitifs, être est-il synonyme de vivre, substance synonyme de bois ou de pierre, cause synonyme de père ou de mère ? Là encore, le temps c’est la vie ; l’espace est l’air compris sous la cavité du ciel : partout un signe concret pour une idée métaphysique, le phénomène servant de symbole à une conception. D’où vient cela, encore une fois, si les concepts de l’entendement et les catégories de la raison pure sont les formes essentielles de la pensée ? Où était l’impossibilité de créer des signes spéciaux pour des idées spéciales, que dis-je ? pour des idées nécessaires ?
352. The origin of the idea-concepts, as it is discovered by the analysis of the series, finds a striking testimony in philology. In the most ancient languages, the ideas of substance and cause, of time and space have no terms that express them, or, if they have them, these terms are turned from their original meaning and taken as metaphors. Now, if man, by virtue of his organization, has spontaneously found in the articulations of his voice the signs of the ideas that come to him through the senses, how has that same organization not furnished him with signs for the idea-concepts, preexisting in the understanding and awakening only at the call of sensation? How have the pure ideas be designated by the names of sensible objects, by signs of intuitions? Why, for example, in the primitive idioms, is being synonymous with living, substance a synonym of wood or stone, cause a synonym of father or mother? At that stage, time is life; space is the air included under the cavity of the sky: everywhere a concrete sign for a metaphysical idea, the phenomenon serving as the symbol of a conception. Why is that, once more, if the concepts of the understand and the categories of pure reason are the essential forms of thought? Or was the impossibility to create special signs for special ideas—what I am saying?—for necessary ideas?
353. On dit que l’homme a suivi en cela la loi générale des langues, dans lesquelles toute intuition s’exprime par un vocable en rapport avec l’objet, tandis que les concepts sont rendus par des métaphores et des analogies, précisément parce qu’ils sont purs et dégagés de tout empirisme.
Cet argument, outre qu’il explique le fait par le fait même, suppose de plus que l’homme ne pouvait directement représenter par la parole les choses abstraites et intelligibles ; mais le fait vient démentir cette assertion. Ce qu’il y a de plus exclusivement intelligible au monde, c’est le rapport : or les signes de rapport sont non-seulement contemporains des signes d’intuition, mais encore, comme ces derniers, primitifs et spéciaux aux idées qu’ils représentent. Tels sont les articles, prénoms, prépositions et conjonctions, qu’aucune analyse, soit logique, soit étymologique, n’a pu ramener à des signes concrets, détournés de leur signification primitive, à des métaphores. Bien plus, les mots qui semblaient devoir le mieux traduire la catégorie de substance, les substantifs, sont tous formés d’après les apparences et modifications des objets, et d’après les rapports qu’ils soutiennent entre eux ; quant aux verbes, ou attributs propres à la catégorie de cause (force, vie, action), ils sont d’une construction plus complexe et n’ont paru que tard dans le langage. De sorte que, dans les langues, tout fut d’abord signe de phénomène et signe de rapport, c’est-à-dire expression symbolique de la série et de ses formes. Et que serait-ce si, descendant de plus en plus dans l’analyse étymologique, on montrait les substantifs et les attributifs formés de radicaux amorphes, d’articulations élémentaires, qui tous peuvent être considérés comme des particules relatives ? Comment accorder alors, dans le système de Kant, cette lenteur du langage à créer des expressions pour les idées générales de substance, cause, espace et temps, avec la création spontanée des signes de rapport et de série ?…
353. We say that in this man has followed the general law of languages, in which every intuition is expressed by a vocable in relation with the object, while the concepts are depicted by some metaphors and analogies, precisely because they are pure and freed from all empiricism.
That argument, as well as explaining the fact by the fact itself, supposes in addition that man could not directly represent by word abstract and intelligible things; but the fact comes to refute that assertion. What’s more, what there is exclusively intelligible in the world, is the relation: not the signs of relation are not only contemporary with the signs of intuition, but [are] also, like them, original and specific to the ideas they represent. Such are the articles, first name, prepositions and conjunctions, that no analysis, whether logical or etymological, could bring back to some concrete signs, turned from their original meanings, into metaphors. Bien plus, the words that seem best able to translate the category of substance, the substantives, all are formed according to the appearances and modifications of the objects, an according to the relations that they maintain among them; as for the verbs, or attributes proper to the category of cause (force, life, action), they are of a more complex construction and have only appeared later in the language. So that, in the languages, all was first a sign of phenomenon and sign of relation, that is to say symbolic expression of the series and its forms. And what would it be if, descending more and more into etymological analysis, we would show the substantives and attributives formed from amorphous roots, elementary articulations, which could all be considered as relative particles? How to grant then, in the system of Kant, that tardiness of language in creating expressions for the general ideas of substance, cause, space and time, with the spontaneous creation of the signs of relation and series?…
354. Ceci nous mène à une observation curieuse, mais dont le lecteur ne sera pas surpris. L’ordre de l’aperception spontanée des concepts est inverse de celui de leur détermination scientifique.
On a vu tout à l’heure comment l’examen de la série, de ses éléments, de ses lois et de ses modes, conduit successivement des concepts de totalité, pluralité, unité ; limitation, négation, réalité ; nécessité, existence, possibilité, aux concepts plus généraux de Quantité, Qualité, Modalité ; puis à ceux de Cause et de Substance, et de ceux-ci aux idées de Temps et d’Espace. Mais, dans la première période de son éducation intellectuelle, l’Humanité ne parvient point aux concepts par cette voie d’analyse : elle y est portée de plein saut par la vivacité de l’intuition, et s’élance du premier bond aux sommets de la métaphysique, Dieu, l’Infini, l’Espace, le Temps, la Substance, la Cause, la Série, la Pensée ; enfin commence l’observation autoptique amenant à sa suite la méthode. Arrivée à ce terme, la raison remonte la pente qu’elle avait descendue, pour ne s’arrêter qu’au lieu d’où elle est partie.
Mais l’aperception primitive des concepts est si confuse et si vague que la parole ne peut l’exprimer : de là cette contradiction philologique que nous avons relevée tout à l’heure. L’homme ne peut que bégayer ses sentiments et ses sensations : il parle ses idées. L’animal crie, chante, se plaint, parce qu’il est sensible : il ne parle pas, parce qu’il n’a point d’idées, parce que son intelligence n’est point à lui, parce que son âme n’est point, comme la notre, émancipée de la Divinité.
Ce qui d’abord tourmente les enfants et excite leur inquiétude, est l’espace. Existe-t-il une voûte au-dessus de nos têtes, et par delà cette voûte, une autre qui la renferme, puis une troisième qui contienne celle-ci, etc. ? C’est ainsi que l’esprit, informé par la loi sérielle, poursuit la série lors même qu’il ne rencontre plus d’objet, comme l’oiseau qui, privé d’air, s’efforce d’aspirer le vide. Les Hébreux se figuraient le monde comme une suite de sphères concentriques : le nom même d’espace, dans leur langue, est synonyme de plaque de métal, parce que, suivant leur opinion, le premier ciel était de cristal poli comme un miroir métallique. Tous les peuples ont placé de l’autre côté de la sphère céleste le séjour des bienheureux et des anges, et le trône de la Divinité.
Un autre sujet d’anxiété non moins vive est le Temps. L’imagination s’élance d’abord à l’origine des choses et se demande : Avant la création, qu’y avait-il, et que faisait Dieu ? La plupart des faiseurs de cosmogonies ont répondu qu’il méditait. Aussi Dieu est-il généralement représenté sous les traits d’un vieillard à la pensée profonde : on l’a appelé l’Ancien, l’Éternel, comme plus tard, à l’aide des concepts de Substance et de Cause, on l’a nommé le Vivant, le Fort, l’Être suprême, Créateur ou Causateur de toutes choses. J’ai raconté aux précédents chapitres l’histoire de ces deux derniers concepts et leur influence sur la société.
354. This leads us to an observation that is curious, but which will not surprise the reader. The order of spontaneous aperception of concepts is inverse to that of their scientific determination.
We have just seen how the examination of the series, its elements, its laws and its modes, brings successively the concepts of totality, plurality, unity; limitation, negation, reality; necessity, existence, possibility, to the more general concepts of Quantity, Quality, Modality; then to those of Cause and Substance, and from those to the ideas of Time and Space. But, in the first period of its intellectual education, Humanity cannot reach the concepts by that path of analysis: it is carried there in a leap by the vivacity of the intuition, and launches itself with the first bound to the summits of metaphysics, God, the Infinite, Space, Time, Substance, Cause, Series, Thought; finally begins the autoptique observation bringing the method in its wake. Arriving at this limit, reason goes back up the slope that it had descended, to only stop at the place from which it had left.
But the primitive apperception of the concepts is so confused and so vague that speech cannot express it: from this the philological contradiction that we have just raised. Man can only stammer his sentiments and sensations: he speaks his ideas. The animal cries, sings, moans, because it is sensible: it does not speak, because it has no ideas, because its intelligence is not its own, because its soul is not, like our own, emancipated from the Divinity.
What first torments children and excites their concern, is space. Is there a vault above our heads, and beyond that vault, another than contains it, then a third that contains that one, etc.? This is how the mind, informed by the serial law, pursues the series even when it no longer encounters an object, like a bird, that, deprived of air, tries to breath the void. The Hebrews depicted the world as a series of concentric sphere: even the name of space, in their language, is synonymous with sheet of metal, because, according to their opinion, the first heaven was of crystal polished like a metallic mirror. All people have placed on the other side of the celestial sphere the destination of the blessed and angels, and the throne of the Divinity.
Another subject of anxiety, no less keen, is Time. The imagination soars first to the origin of things and asks itself: Before the creation, what was there, and what did Go do? The majority of the makers of cosmogonies have responded that he meditated. And God is generally represented as an old man in deep thought: we have called him the Ancient, the Eternal, as later, with the aid of the concepts of Substance and Cause, we have named him the Living, the Strong, the Supreme Being, Creator or Cause of all things. I have recounted in the preceding chapters the history of those last two concepts and their influence of society.
355. Si la discussion dans laquelle nous venons d’entrer au sujet des universaux et des catégories a porté la lumière dans l’esprit du lecteur, le problème logique, ou problème de la légitimité de la connaissance, est résolu. Qu’entend-on par critérium de certitude ? La condition absolue de la science. Or, cette condition, nous l’avons suffisamment exposée dans les six premiers paragraphes de ce chapitre : c’est la série. La série, c’est-à-dire : 1o la division, la multiplicité, le nombre ; 2o un rapport différentiel, engendrant synthèse, totalisation, groupe.
Qu’est-ce qu’une idée ? L’intuition d’une série.
Qu’est-ce que la vérité ? La démonstration de cette série. La vérité, disait Leibnitz, est dans la liaison des idées, c’est-à-dire dans leur série.
Qu’est-ce qui distingue le rêve de la veille ? C’est que, dans le rêve, les idées sont brisées, les intuitions formées de fragments de séries, et toutes les lois de la pensée, lois selon lesquelles le moi rêvant lui-même pense, à chaque instant violées.
Que faut-il entendre par concepts ? La représentation de l’élément, de la raison et des modes de la série. Cet élément, cette raison et ces modes, considérés dans leur universalité, deviennent eux-mêmes les points de vue généraux de toute série.
« Toute la faculté de l’entendement, dit le philosophe de Rœnigsberg, consiste à réduire la synthèse de la diversité à l’unité de l’aperception » ; c’est-à-dire à se représenter fidèlement la série, puis à la prendre elle-même pour unité.
Le concept d’unité, adéquat à celui d’infini, est la forme propre et spéciale de l’entendement, comme elle est la condition de toute aperception. Au delà de l’unité, comme au delà de l’infini, il n’y a rien.
« Mais, ajoute Kant, l’entendement ne donne l’unité de l’aperception à priori qu’au moyen des catégories. » Cela veut dire que, d’abord, nous ne pouvons former de série sans un point de vue.
« Le concept sans intuition ne donne pas la connaissance. » Pour avoir l’intelligence d’une série, il ne suffit pas d’un point de vue ; il faut une matière, un élément. Ce n’est pas tout encore : le point de vue et l’élément étant donnés, « les lois particulières qui concernent des phénomènes déterminés empiriquement ne peuvent dériver des catégories, quoiqu’elles y soient soumises ; » c’est-à-dire qu’après le point de vue et la matière, une dernière chose est essentielle à la formation de la série, c’est le rapport ou la raison.
Donc, l’élément (matière ou substratum de la série), le point de vue et la raison étant donnés, la série peut être construite, et toute science est possible à priori. Je dis plus : la sensation n’étant intelligible que par la série, l’hypothèse d’une science à posteriori, c’est-à-dire d’une science qui aurait besoin d’autre chose que de ses conditions formelles, est une absurdité. Le rôle de l’observation empirique, relativement à la formation de la connaissance, se borne, soit à susciter des phénomènes, comme dans la physique et la chimie expérimentales, pour en découvrir ultérieurement les lois rationnelles ; soit à vérifier les conclusions de la théorie dans le phénomène. Mais l’observation n’est pas la science, pas plus que la mémoire, pas plus que la sensation.
355. If the discussion in which we just entered on the subject of the universals and categories has cast some light in the mind of the reader, the logical problem, or problem of the legitimacy of the knowledge, is resolved. What do we mean by criterion of certainty? The absolute condition of science. Now, that condition, we have sufficiently explained it in the first six paragraphs of this chapter: it is the series. The series that is to say: 1) division, multiplicity, number; 2) a differential relation, begetting synthesis, totalization, group.
What is an idea? The intuition of a series.
What is truth? The demonstration of that series. The truth, said Leibnitz, is in the linking of ideas, in their series.
What distinguishes dream from waking? It is because, in the dream, the idea are broken, the intuitions formed from fragments of series, and all the laws of thought, laws according to which the self dreaming itself things, at each instant violated.
What is meant by concepts? The representation of the element, of the reason and of the modes of the series. That element, that reason and those modes, considered in their universality, become themselves the general points of view of every series.
“The whole faculty of the understanding,” said the philosopher of Königsberg, “consists in reducing the synthesis of the diversity to the unity of apperception;” that is to say in faithfully representing the series, then to take it itself for unity.
The concept of unity, adequate to that of infinity, is the proper and specific form of the understanding, as it is the condition of every apperception. Beyond the unity, as beyond infinity, there is nothing.
“But,” adds Kant, “the understanding only gives the unity of the à priori apperception by means of the categories.” That means that, first, we can form series without a point of view.
“The concept without intuition does not give knowledge.” In order to have the understanding of a series, it is not enough to have a point of view; there must be material, an element. That is still not all: the point of view and the element being given, “the particular laws that concern phenomena determined empirically cannot derive from the categories, although they are subject to them;” that is to say that after the point of view and the material, one last thing is essential to the formation of the series, it is the relation or reason.
Thus, the element (matter or substratum of the series), the point of view and the reason being given, the series can be constructed, and all science is possible à priori. I say more: the sensation only being intelligible through the series, the hypothesis of an à posteriori science, a science that would need something other than its formal conditions, is an absurdity. The role of empirical observation, relative to the formation of the knowledge, is limited, either to provoke some phenomena, as in experimental physics and chemistry, in order to later discover its rational laws; or to verify the conclusions of the theory in the phenomenon. But the observation is not science, any more than memory, any more than sensation.
356. Que ce soit donc le moi qui, en vertu de l’unité de son essence et de sa faculté synthétique, convertisse ses sensations en idées, puis, à l’occasion des phénomènes, détermine en lui les lois de la pensée et construise le monde métaphysique ; ou bien que ce soit la nature qui se réfléchisse dans la conscience, et lui découvre peu à peu et les formes intelligibles de l’être et ses impénétrables principes : — que la diversité soit dans la nature et la synthèse dans le moi, ou bien que toutes deux soient dans l’objet, et seulement la faculté de les apercevoir dans le sujet : n’est-ce pas, au fond, par rapport à la connaissance, toujours la même chose ? Qu’importe à la science, qu’importe à la certitude, cette différence d’opinion ? Une chose demeure constante : pour que le moi se détermine, pour qu’il pense, pour qu’il se connaisse lui-même, il lui faut des sensations, des intuitions ; il lui faut un non-moi, dont les impressions répondent à sa propre capacité. La pensée est la synthèse de deux forces antithétiques, l’unité subjective et la multiplicité objective ; de sorte que nous avons le droit de poser cet aphorisme : Ce que les sens révèlent est adéquat à ce que pense la raison, et réciproquement : Toute série construite dans l’entendement est possible à l’expérience.
Les cieux instruisent la terre, a dit le poëte ; la terre redit les leçons du ciel. Voilà en deux mots le résumé de la métaphysique. La loi est absolue, la même pour l’esprit, la même pour la matière. Dualité ineffable, pôles mystérieux de la création, échos sympathiques de la parole divine, l’Homme et le Monde, comme les séraphins d’Isaïe, crient l’un à l’autre : Saint, saint, saint est l’Éternel, le Dieu des sphères, le Créateur des séries !
356. So either it is the self that, by virtue of the unity of its essence and of its synthetic faculty, converts its sensations into ideas, then, on the occasion of the phenomena, determines in it the laws of thought an constructs the metaphysical world; or else it is nature that is reflected in consciousness, and reveals to it gradually the intelligible forms of being and its impenetrable principles: — let the diversity be in nature and the synthesis in the self, or that both are in the object, and only the faculty of perceive [apercevoir] them [is] in the subject: isn’t it, at base, in relation to knowledge, always the same thing? What does this difference of opinion matter to science, or certainty? One thing remains constant: in order for the self to be determined, in order for it to think, in order for it to know itself, there must be sensations, intuitions; the self requires a non-self, the impressions of which respond to its own capacity. Thought is the synthesis of two antithetical forces, the subjective unity and the objective multiplicity; so that we have the right to pose this aphorism: What the senses reveal is adequate to what the reason thinks, and reciprocally: Every series constructed in the understanding is possible in experience.
The heavens instruct the earth, the poet has said; the earth repeats the lessons of heaven. That is, in a few words, the summary of metaphysics. The law is absolute, the same for the mind, the same for the material. Ineffable duality, mysterious poles of creation, sympathetic echoes of the divine speech, the Man and the World, like the seraphim of Isaiah, crying to one another: Holy, holy, holy is the Eternal, the God of the spheres, the Creator of the series!
357. Comment, à cette heure, l’objection fondamentale du scepticisme contre l’autorité de la raison pourrait-elle trouver place ?
« La raison ne peut être démontrée par elle-même, parce que ce serait une pétition de principe ; ni par un principe antérieur, parce que ce principe aurait besoin d’être prouvé par un autre, celui-ci par un troisième, et que ce serait reculer à l’infini. » Cet argument, conçu selon la méthode syllogistique ou de causalité, tombe devant la méthode sérielle, dans laquelle les idées se démontrent, non plus par des actes de naissance et procès-verbaux généalogiques, mais par leurs genres, leurs espèces et leurs séries, résultant de leurs différences et de leurs rapports.
Comment aussi ne pas rire de pitié en voyant les niaiseries éclectiques sur cette même question de la certitude : « L’évidence ne se démontre pas ; l’aperception des principes premiers est spontanée, irréfléchie, prompte comme l’éclair, impersonnelle, subjective et objective tout à la fois, etc., etc. ? » En lisant cette partie des travaux de M. Cousin, où il se place naïvement au-dessus de Kant, on est tenté de douter que ce professeur, malgré son admirable talent, ait rien compris au philosophe dont il s’est fait l’interprète[45].
357. How, at that hour, could the fundamental objection of skepticism against the authority of reason find a place?
“Reason cannot be demonstrated by itself, because that would be a begging of the question; nor by a prior principle, because that principle would need to be proven by another, that one by a third, and that this would retreat infinitely.” That argument, conceived according to the syllogistic or causal method, falls before the serial method, in which the ideas are demonstrated, no longer by acts of birth and genealogical reports, but by their genera, their species and their series, resulting from their differences and their relations.
And how not to laugh in pity at seeing the eclectic inanities regarding that same question of certainty: “The evidence is not demonstrated; the aperception of the first principles is spontaneous, thoughtless, swift as lightning, impersonal, subjective and objective at once, etc., etc.?” In reading that part of the works of Mr. Cousin, where he naively places himself above Kant, we are tempted to doubt that this professor, despite his admirable talent, has understood nothing of the philosopher of which he has made himself the interpreter.
358. Mais, en échappant au scepticisme transcendental, ne retombons-nous pas dans l’idéalisme absolu, c’est-à-dire, pour nous servir d’une expression singulière, mais énergique, dans le nihilisme ? Les lois du monde et celles de la raison sont les mêmes, cela paraît démontré ; mais si nous ne percevons dans le monde que des séries et des lois, qu’est-ce que le monde ? qu’y a-t-il au delà de notre pensée ? Sommes-nous assurés de l’existence des corps ? et nos idées de substance et de cause sont-elles rien de plus que des signes logiques, des figures de convention qui ne couvrent aucune réalité ? Dès lors, que prouve la théorie sérielle ? Sinon qu’une fantasmagorie nous obsède, hors de laquelle il n’y a pour nous que le néant.
Cette objection, présentée avec une force saisissante par les sceptiques de tous les siècles, a toujours fait reculer l’analyse, et il faut le dire, elle est demeurée sans solution. Toute la réponse qu’on y a faite a été d’en appeler à la foi inébranlable du genre humain, fondée sur le témoignage des sens, témoignage qui par lui-même ne prouve rien, puisque, comme nous l’avons observé, la sensation est inintelligible. Et pourtant le fait de conscience invoqué contre l’idéalisme suffit déjà pour infirmer ce système ; car, puisque le genre humain croit à l’existence des corps, c’est qu’il y a une raison, instinctive ou raisonnée, d’y croire ; mais quelle est cette raison ?
On voit que le problème posé par l’idéalisme se réduit à légitimer par la raison pure un préjugé du sentiment. Le sentiment de l’existence des corps, le concept de corporéité nous est donné par l’étendue, la solidité, l’impénétrabilité de la matière, les phénomènes d’attraction, répulsion et changement. Or, en dehors de la sensation, la métaphysique fournit-elle des motifs de croire à la réalité des corps ?
358. But, in escaping the transcendental skepticism, let us not fall back into absolute idealism, that is to say, to make use of a singular, but energetic expression, into nihilism? The laws of the world and those of reason are the same, that appears to have been demonstrated; but if we perceive in the world only series and laws, what is the world? What is there beyond our thought? Are we assured of the existence of bodies? And are our ideas of substance and cause nothing more than logical signs, conventional figures that cover no reality? From then on, what proves the serial theory? If not that a phantasmagoria obsesses us, apart from which there is for us only nothingness.
That objection, presented with a striking force by the skeptics of all centuries, has always made analysis back down, and we must say, it has remained without solution. The only response that we have made has been to appeal to the unshakeable faith of the human race, founded on the testimony of the senses, a testimony that proves nothing by itself, since, as we have observed, sensation is unintelligible. And yet the fact of consciousness invoked against idealism is already sufficient to disconfirm this system; for, since the human race believes in the existence of the body, it is because there is a reason, instinctive or well-reasoned, for believing it; but what is that reason?
We see that the problem posed by idealism is reduced to legitimating by pure reason a prejudice of sentiment. The sentiment of the existence of bodies, the concept of corporality is given to use by the extent, the solidity, the impenetrability of the material, the phenomena of attraction, repulsion and change. Now, apart from sensation, does metaphysics furnish motives for believing in the reality of bodies?
359. Ici l’induction, aussi bien que le syllogisme, est impuissante : comment l’esprit, partant du noumène et du phénomène, arriverait-il à ce qui n’est ni noumène ni phénomène ? Comment se démontrerait-il par les idées quelque chose qui n’est point idée ?… — La théorie sérielle semble également incompétente : son axiome fondamental est que, hors des lois et de leurs combinaisons, l’esprit ne peut connaître rien. C’est par elle cependant que nous réfuterons l’idéalisme.
Au § iv (231 et suiv.), nous avons distingué des séries naturelles et des séries artificielles. Les premières, avons-nous dit, sont celles dont l’objet porte sa loi en lui-même ; les secondes sont des transpositions, des jeux de l’industrie humaine, une sorte de complément de la création, inventé pour l’agrément et la commodité de notre vie. Une distinction analogue ou, pour mieux dire, la même distinction reproduite sous un aspect plus large, va nous donner la preuve que nous cherchons.
Toutes les représentations dont s’occupe l’esprit humain se divisent en deux grandes catégories : la première, que nous nommerons des séries idéelles ; la seconde, des séries réelles. Or, si je prouve que cette classification est fondée sur un caractère certain, n’aurai-je pas résolu le problème ?
359. Here the induction, as well as the syllogism, is powerless: how would the mind, starting from noumena and phenomena, arrive at what is neither noumena nor phenomena? How would it demonstrate to itself by ideas something that is not an idea?… — The serial theory seems equally incompetent: its fundamental axiom is that, apart from the laws and their combinations, the mind can know nothing. It is with it, however, that we will refute idealism.
At § iv (231 and following), we have distinguished some natural series and some artificial series. The first, we have said, are those whose object bears its law within itself; the second are some transpositions, some play of human industry, a sort of complement of the creation, invented for the attractiveness and convenience of our life. An analogous distinction or, to put it better, the same distinction reproduced in a much larger aspect plus large, will give us the proof that we seek.
All the representations with which the human mind concerns itself divide into two great categories: the first, that we will name ideal series; the second, real series. Now, if I prove that this classification is based on a certain character, wouldn’t I have resolved the problem?
360. Ce caractère consiste en ce que, dans la série idéelle, les unités peuvent être transposées, former d’autres séries, et se convertir l’une dans l’autre sans que leur essence soit détruite ; tandis que dans la série réelle les unités sont incommutables et inconvertibles. Je m’explique.
On a dit que les plantes étaient des animaux retournés : cette comparaison exprime très-bien la différence des organisations animale et végétale ; mais elle ne suppose pas la possibilité expérimentale du fait. Ouvrez un chien vivant, et reportez aux extrémités de ses quatre membres les organes de la respiration, de l’absorption, de la sécrétion et de la génération ; vous tuerez ce chien, mais vous ne produirez pas un nouvel organisme. Essayez de faire un homme avec des organes rapportés de cent cadavres, vous ne le pouvez pas davantage. Ainsi, dans un sujet organisé, la transposition, l’interversion des parties organiques est impossible. De même dans les deux règnes les espèces sont inaltérables : on n’a jamais vu le cheval devenir éléphant, la baleine se métamorphoser en écrevisse, ni le melon pendre aux ceps de la vigne. Dans les séries animales et végétales, les unités ou espèces sont donc encore inconvertibles, mais elles ne peuvent souffrir de modifications un peu profondes sans périr. Le chêne ne saurait s’arrêter aux dimensions du rosier, ni celui-ci acquérir la majesté du cèdre ; on ne fera pas du lion un animal domestique, propre à garder les troupeaux, et se nourrissant de foin.
Je sais bien que le règne minéral (les gaz, l’eau, l’air, la lumière) soutient et alimente le règne végétal et devient pour ainsi dire, végétal ; que les plantes se transforment en matière animale dans les sacs digestifs des herbivores, des rongeurs, des granivores, des insectes, etc. ; qui, à leur tour, servent de pâture aux carnassiers et à l’homme. Mais ce ne sont pas là des séries qui se convertissent : ce sont, dans l’échelle des êtres, des séries d’ordre supérieur qui se continuent en s’assimilant des matériaux inertes, soustraits à des séries d’ordre inférieur. Dans ces décompositions et recompositions organiques, les atomes physiques ne périssent pas, il est vrai, mais les unités sérielles sont anéanties. Il y aurait conversion de séries si, par exemple, des fragments de trèfle non trituré et digéré produisaient un bœuf vivant ; si une tortue devenait aigle, comme la chenille qui, sans périr, devient papillon.
360. That character consists in that, in the ideal series, the unities can be transposed, form other series, and convert into one another without their essence being destroyed; while in the real series the unities are incommutable and inconvertible. I will explain.
We have said that plants were animals turned around: that comparison expresses very well the difference in animal and vegetable organizations; but it does not suppose the experimental possibility of the fact. Open a living dog, and transfer to the extremities of its four members the organs of respiration, absorption, secretion and generation; you will kill that dog, but you will not create a new organism. Try to make a man with organs transferred from a hundred cadavers, you still couldn’t do it. Thus, in an organized subject, the transposition, the inversion of the organic parts is impossible. Just as in the two kingdoms the species are inalterable: we have never seen the horse become an elephant, the whale transform into a crayfish, nor the melon hang from the grapevine. In the animal and vegetable series, the unities or species are thus still inconvertible, but they cannot suffer modifications at all profound without perishing. The oak could not stop at the dimensions of the rose bush, nor the rose bush acquire the majesty of the cedar; we would not make the lion a domestic animal, proper to guard the herds, and feeding on hay.
I know well that the mineral kingdom (the gases, water, air, light) sustains and feeds the vegetable kingdom and becomes, so to speak, vegetable; that the plants are transformed into animal matter in the digestive sacs of herbivores, rodents, granivores, insects, etc.; that, in their turn, serve as food for carnivores and man. But it is not series that are converted there: they are, in the scale of beings, series of a higher order that continue by assimilating inert materials, subtracted from series of a lower order. In these organic decompositions and recompositions, the physical atoms do not perish, it is true, but the serial unities are destroyed. There would be conversion of series if, for example, some fragments of clover not crushed and digested produced a living bullock; if a tortoise became an eagle, like the caterpillar that, without perishing, becomes a butterfly.
361. Ainsi, dans la série réelle, il y a une nature, un quelque chose qui résiste, qui se défend, qui veut rester ce qu’il est, et se brise plutôt que de se soumettre à aucune métamorphose, à la plus légère altération ; quelque chose de plus que le poids, la couleur, le mouvement, la figure, la série ; quelque chose enfin d’intraitable à la pensée de l’homme[46].
361. Thus, in the real series, there is a nature, a something that resists, that defends itself, that wants to remain what it is, and breaks rather than submit to any metamorphosis, to the slightest alteration; something more than the weight, the color, the movement, the shape, the series; something finally intractable to the thought of man.
362. Au contraire, dans la série idéelle, les unités peuvent être transposées, retournées, sans cesser d’être elles-mêmes et de former des séries. La conversion qu’on a vue (213) du système quaternaire d’Ampère en un système ternaire en est un exemple. Les opérations mathématiques sont toutes des conversions sérielles. Additionner, multiplier, diviser, extraire, en d’autres termes, composer et décomposer un nombre, n’est-ce pas en convertir les genres et les espèces ? D’un triangle équilatéral faites un rectangle d’égale surface ou d’égal périmètre ; les propriétés de la ligne, des parallèles, de l’angle, subsistent toujours les mêmes. Si le cercle est incommensurable avec le carré, cela vient de ce que le cercle a quelque chose d’anti-sériel, la ligne qui le décrit étant une image de continuité plutôt que de série. Mais on opère cette conversion d’une manière aussi approchée que l’on veut en sériant la circonférence, c’est-à-dire en décrivant de chaque côté de cette ligne un polygone d’un grand nombre de côtés.
L’invention de Guttenberg présente un exemple frappant de conversion sérielle. La casse typographique n’est qu’une série dont les unités mobiles peuvent servir indistinctement à reproduire tous les livres imaginables. La même chose arriverait si, au lieu de lettres, la casse renfermait tous les mots d’une langue avec leurs inflexions et désinences. Alors ce serait comme un vaste système vocabulaire et grammatical composé d’une multitude de séries dont les unités serviraient sans cesse à former de nouveaux groupes, sans perdre leurs rapports et sans se détruire.
Notre système métrique n’est pas moins remarquable : là aussi on voit une série linéaire devenir tour à tour mesure de capacité, de solidité, de poids, de monnaie.
Plus on observe la nature, plus on approfondit les lois de l’intelligence, et plus on se convainc de la certitude de cette distinction entre les séries réelles et les séries idéelles. L’eau bout à une certaine température, au delà de laquelle elle cesse d’absorber du calorique : il y a donc entre la chaleur et l’eau une proportion chimique qui ne peut être dépassée sans que la forme élémentaire du liquide soit détruite. L’eau ne peut devenir ni flamboyante ni lumineuse ; au delà de 80o R. elle s’évapore ; décomposée, elle fournit deux gaz dont l’un est respirable et l’autre combustible. Mais le thermomètre, le baromètre, le gazomètre, le calorimètre, tous les instruments qui nous servent à mesurer l’intensité des forces physiques, peuvent recevoir des graduations très-diverses, qui toutes se convertiront les unes dans les autres.
Les langues, séries de signes articulés, présentent un phénomène extraordinaire : homologues, identiques dans leurs éléments ou radicaux primitifs, c’est-à-dire dans ce qu’elles ont de purement idéel, formées, en un mot, des mêmes unités, elles sont toutes des conversions l’une de l’autre, elles sont sœurs : mais seulement analogues, inégales, pour tout ce qu’elles tiennent de la nature physiologique et sociale de l’homme, elles cessent peu à peu de s’entendre, deviennent inconvertibles l’une à l’autre, souvent même intraduisibles.
362. On the contrary, in the ideal series, the unities can be transposed, turned around, without ceasing to be themselves and form series. The conversion that we have seen (213) of the system quaternary of Ampère into a ternary system is one example of it. The mathematical operations are all serial conversions. To add, multiply, divide, subtract, in other words, to put together and take apart a number, isn’t that to convert genera and species? From an equilateral triangle make a rectangle of equal surface or equal perimeter; the properties of the line, of the parallels, of the angle, always remain the same. If the circle is incommensurable with the edge, that is because the circle has something anti-serial about it, the line that describes it being an image of continuity rather than of series. But we work that conversion in a manner so inexact that we wish to sériant the circumference, that is by drawing on each side of that line a polygon of a great number of sides.
The invention of Guttenberg presents a striking example of serial conversion. The typographic case is only a series of which the mobile unities can serve indistinctly to reproduce all the imaginable books. The same thing would occur if, instead of letters, the case contained all the words of a language with their inflections and endings. So it would be like a vast vocabulary and grammatical system composed of a multitude of series whose unities would constantly serve to form new groups, without losing their relations and without being destroyed.
Our metric system is no less remarkable: there as well we see a linear series becomes by turns a measure of capacity, solidity, weight, and of currency.
The more we observe nature, the more we plumb the laws of intelligence, and the more we convince ourselves of the certainty of that distinction between the real series and the ideal series. Water boils at a certain temperature, beyond which it ceases to absorb the caloric: there is thus between the heat and the water a chemical proportion that cannot be surpassed without the elementary form of the liquid being destroyed. The water cannot become blazing or luminous; above 80o R. it evaporates; decomposed, it furnishes two gases, one of which is breathable and the other combustible. But the thermometer, the barometer, the gasometer, the calorimeter, all the instruments that we use to measure the intensity of physical forces, can receive very diverse graduations, which will all convert into one another.
The languages, series of articulated signs, present an extraordinary phenomenon: homologues, identical in their elements or primitive roots, in that which is purely ideal in them, formed, in short, of the same unities, they are all conversions of one another, they are sisters: but only analogues, unequal, for all that they take from the physiological and social nature of man, they gradually cease to under stand one another, become inconvertible into one another, often even untranslatable.
363. En résumé, toute série se compose d’unités groupées sous une loi commune : mais tantôt ces unités peuvent être séparées et servir à d’autres séries sans cesser pour cela d’être les mêmes, et cette propriété de conversion est le propre des choses intelligibles ; tantôt les unités opposent à leur conversion une invincible résistance, et ne laissent, après la destruction de la série, que leurs derniers éléments. En présence de ce fait, la pensée ne se reconnaît plus ; la raison s’étonne en voyant se rompre le fil de ses opérations ; et le moi intelligent, créateur de séries, confesse un non-moi anti-sériel, substantiel ou causatif, inintelligent et inintelligible…
Ainsi la métaphysique joint son autorité à celle du sens intime pour nous attester quelque chose hors de notre pensée ; l’idéalisme, tant objectif que subjectif, demeure convaincu de chimère, et les angoisses du scepticisme ne peuvent désormais nous atteindre[47].
363. In summary, every series is composed of unities grouped according to a common law: but soon these unities can be separated and serve other series without ceasing for that to be the same, and that property of conversion is peculiar to intelligible things; soon the unities oppose to their conversion an invincible resistance, and leave, after the destruction of the series, only their last elements. In the face of that fact, thought no longer recognizes itself; reason is astonished at seeing the thread of its operations broken; and the intelligent self, creator of series, confesses a non-self that is anti-serial, substantial or causative, unintelligent and unintelligible…
Thus metaphysics joins it authority to that of the intimate sense in order to attest to us something outside of our thought; idealism, as much objective as subjective, remains convinced of chimera, and the anxieties of skepticism can from now on touch us.
NOTES.
1. Nous avons fait remarquer déjà que ce que l’auteur entend par métaphysique est la même chose que ce que M. Aug. Comte appelle philosophie positive. Nous ajouterons que cette métaphysique correspond, pour le fond, à ce que les Allemands nomment logique. (Note de l’éditeur.)
2. Auteur de plusieurs ouvrages de linguistique : 1o Poèmes islandais, Imprimerie royale, 1839 ; 2o De linguarum origine et natura ; 3o Recherches sur la quantité prosodique. Strasbourg, 1841.
3. Confiance, orgueil de jeune homme ! — L’auteur n’a rien créé, rien inventé du tout. (Note de l’éditeur.)
4. Cette progression est le fait le mieux constaté de l’histoire ecclésiastique. Les premiers chrétiens ne disputaient guère que sur des points de morale et de discipline, et sur la formule des mystères : dans les siècles suivants, on se divisa sur l’essence même des mystères et l’authenticité des dogmes ; enfin on nia la compétence de l’Église et on fit appel à la raison individuelle. Dès ce moment, tout fut perdu.
5. E. Quinet, Du Génie des Religions.
6. On verra plus tard que comme la science des nombres est plus en rapport avec la métaphysique élémentaire ou analytique, la géométrie l’est davantage avec la synthèse ou métaphysique de composition.
7. Comparez la force d’un tissu de soie à celle d’une feuille de papier ; la pellicule de l’œuf avec l’enveloppe de la chenille ; la résistance d’une planche de sapin avec celle d’un plateau de verre.
8. Nommée par Fourier sériaire, contrairement à l’étymologie et l’analogie. La terminaison aire désigne en général une qualité ou fonction dans les personnes : donataire, commanditaire, locataire, propriétaire, prolétaire, adversaire, commissaire, fonctionnaire, légataire, actionnaire, feudataire, contraire, etc. — Sériel, comme constitutionnel, fonctionnel, différentiel, tendantiel, providentiel, matériel, idéel, réel, formel, etc. Sans être profond linguiste, il suffit de comparer ces deux séries pour se convaincre de l’irrégularité de la dénomination adoptée par Fourier.
9. Critique de la raison pure, trad. de Tissot.
10. Il est impossible de concevoir comment le rapport de nombre par lequel on exprime les pesanteurs spécifiques des corps n’aurait qu’une certitude subjective, tandis que le rapport du diamètre à la circonférence aurait une certitude objective. Les corps ne nous enseignent pas plus la géométrie que l’arithmétique : ils nous fournissent des termes de comparaisons, dans leur symétrie, leur série ou leur différence, et c’est en les comparant que nous devinons les secrets de la nature, la science de Dieu, si j’ose ainsi dire. Ainsi ou il faut admettre la légitimité objective de l’arithmétique au même titre que celle de la géométrie ; ou il faut nier celle-ci, et avec elle la certitude extérieure de toutes nos idées, c’est-à-dire mettre en doute l’existence des êtres. Au 7e §, nous répondrons à ce doute.
11. La démonstration de l’identité du produit, dans quelque ordre que l’on multiplie les facteurs, est prise, comme l’on voit, de la loi sérielle, ci n’a rien de spécialement arithmétique : il est étonnant que les mathématiciens ne s’en soient pas aperçus.
12. Lorsqu’on démontre en géométrie que la surface du rectangle est égale au produit de la base multipliée par la hauteur, de sorte que si l’une est 5 et l’autre 40, le produit sera 50 ; il ne faut pas croire, malgré l’expression arithmétique, que ce théorème eût pu être prévu par l’arithmétique.
De même la géométrie pure ne peut prévoir l’astronomie ; ni la chimie minérale, la chimie organique, ni celle-ci la politique. Toutes les fois qu’un élément nouveau s’introduit dans une science, comme l’étendue dans l’arithmétique, l’attraction ou le mouvement dans la géométrie, etc., la science change ; et il se produit un nouvel ordre de choses.
13. Mémoires de Colebrooke, traduction de Pauthier.
14. Ravaisson, Métaphysique d’Aristote.
15. Voici ses propres paroles : « Mens humana si agat in materiem, pro modo naturae operatur, atque ab eâdem determinatur : si ipsa in se vertatur, tanquam aranea texens telam, tum demum indeterminata est, et parit telas quasdam doctrinae tenuitate fili operisque mirabiles, sed quoad usum fri volas et inanes. »
C’est bien à tort que la philosophie compte Bacon parmi les siens ; il ne l’a point flattée.
16. L’auteur n’a pas été toujours aussi sévère envers Descartes : voir le Système de contradictions économiques, tome II, ch. xi, et ailleurs, où il dit que la philosophie allemande est sortie de Descartes. (Note de l’éditeur.)
17. Qui sait si, dans trois ou quatre mille ans, la similitude du nom aidant à l’identité du travail, quelque étymologiste ne prétendra pas que Kant est le même personnage que Kanada, désigné tour à tour par son nom sanscrit ou allemand ? (Note de l’éditeur.)
18. Cependant il faut dire, pour être juste, que le but de Kant, en faisant l’inventaire des catégories, a été de montrer que la loi fondamentale du raisonnement consiste, par-dessus toute chose, à ne point conclure d’une catégorie à une autre, ce qui est, comme ou le verra plus bas, le principe même de la dialectique sérielle. Il y a peu de dialecticiens comparables à Kant : malheureusement il n’a point réduit en principes, comme l’a fait Hégel, sa dialectique.
19. Voici donc que le grand Tout sera non-seulement un et triple, mais double et quadruple, septuple, décuple, centuple !.. Sera-ce le Dieu que nous devons adorer ? Pas encore.
20. Cette division revient à la définition de l’homme par M. P. Leroux : L’homme est sensation-sentiment-connaissance ; et à la formule psychologique de M. Cousin : Sensibilité, Activité, Raison.
21. Ne serait-ce point faire beaucoup trop d’honneur à l’inventeur de l’attraction passionnelle ? La série avait été découverte et analysée par d’autres avant Fourier, comme l’a judicieusement démontré P. Leroux. (Note de l’éditeur.)
22. E. de Pompery, Théorie de l’association et de l’unité universelle.
23. J’ai connu Fourier : il avait la tête moyenne, les épaules et la poitrine larges, l’habitude du corps nerveuse, les tempes serrées, le cerveau médiocre : un certain air d’enthousiasme répandu sur sa figure lui donnait l’air d’un dilettante en extase. Rien en lui n’annonçait l’homme de génie, pas plus que le charlatan.
24. Voir tome ii de la Destinée sociale, par M. Considérant, les tableaux synoptiques de la série de parade et de la série de culture des poiriers.
25. Peut-être cette assertion sera-t-elle contredite par quelque mathématicien sceptique : tout ce que j’ai à lui répondre, c’est qu’alors tout n’est pas fait pour la démonstration mathématique, et qu’elle réclame une application mieux entendue de la loi sérielle.
26. On dira peut-être que la propriété de conserver ou de transmettre le calorique tient à la nature chimique des corps, et point du tout à la division des masses. Mais qu’est-ce que la nature chimique des corps, ou telle autre quiddité abstraite qu’il plaira d’invoquer ici ? Pour moi, je vois qu’en général les corps les plus denses, et dont la constitution moléculaire est la mieux sériée (comme les métaux), sont les meilleurs conducteurs du calorique ; tandis que ceux qui, sous un même volume, renferment le moins de matière, ou dont les parties constituantes sont confuses, obscures, peu ou point sériées, comme le bois, l’argile, les graisses, le sable, un tas de paille, ou une balle de coton, sont mauvais conducteurs.
Mais ici l’on peut faire une objection : comment la série est-elle, pour les métaux, cause de conductibilité, et, pour un toit de chaume, par exemple, cause de non-conductibilité ? Il faut distinguer : tout est série dans la nature ; or, puisque nous voyons qu’il s’y passe des phénomènes opposés, il faut bien que des séries diverses produisent des effets contraires. Or, c’est ce que nous voyons ici : la série moléculaire des métaux laisse un passage facile au calorique ; tandis que les poils d’un mérinos, serrés les uns contre les autres, outre la série de leurs molécules constituantes, forment entre eux une série nouvelle, qui corrige l’effet de la première.
Cela est si vrai qu’un homme qu’on exposerait à un froid vif dans une boîte de sapin hermétiquement fermée courrait risque de geler, tandis que la même planche qui lui sert de prison, divisée en copeaux longs et soyeux, pourrait servir à lui faire une chaude fourrure. La substance des poils n’est-elle pas la même que celle de la corne ? Pourquoi donc la nature a-t-elle revêtu les animaux de poils, afin de les préserver du froid, au lieu de les cuirasser comme des homards et des tortues ? Pourquoi la composition des sept couleurs en une série élémentaire produit-elle la lumière blanche, tandis que leur réunion en une série artificielle, par la superposition de verres de couleur, produit la plus profonde obscurité ?…
27. Ceci était écrit avant la découverte de Neptune, d’Hébé, Iris, et autres planètes microscopiques, qui portent ce nombre total a 35 ou 36. (Note de l’éditeur.)
28. J’ai moi-même fait usage de cet argument dans un opuscule sur le Dimanche, à une époque où, ne connaissant pas la loi sérielle, je raisonnais comme tout le monde ; mais dans les trois mémoires que j’ai publiés postérieurement sur la propriété, et qui m’ont servi comme d’exercice pour arriver à la métaphysique, j’ai rejeté cette preuve.
29. La division des devoirs adoptée par les modernes est prise du point de vue objectif : 1. Devoirs envers Dieu ; 2. envers le prochain ; 3. envers soi-même.
30. Tout cela signifie que la syntaxe ne peut, dans aucun cas, tenir lieu de dialectique. (Note de l’éditeur.)
31. Le lecteur ne doit pas perdre de vue que le loyer ne s’entend ni de l’indemnité due au possesseur qui se prive, ni des frais d’entretien de la chose. Le loyer est ce qui est perçu comme prix du prêt, ou produit du capital. Or on sait que le capital, sans le travail, est essentiellement improductif.
32. Voir Système des contradictions économiques, par P.-J. Proudhon, 2 vol. in-8, prologue, chap. viii, et ailleurs, les idées du même écrivain, sur la Divinité. (Note de l’éditeur.)
33. Il est entendu que par les dénominations de matière, vie, esprit, nous désignons trois catégories de phénomènes, sans rien affirmer sur la nature de leurs principes. C’est ainsi qu’on a nommé attraction la cause inconnue, réelle ou fictive des phénomènes chimiques et sidéraux. Nous connaissons des phénomènes de pesanteur, d’impénétrabilité, de sensibilité organique, de locomotion spontanée, de liberté, etc. ; nous rangeons ces phénomènes en trois grandes catégories, à chacune desquelles nous attribuons une cause spéciale et réelle, mais sans pouvoir en dire autre chose, sinon qu’elle existe, et que nous le croyons nécessairement.
34. On peut faire une objection. Les concepts de temps et d’espace sont des intuitions sensibles, bien que non d’objets réels ; tandis que le nombre ou la diversité est une abstraction de la raison, comprise dans la catégorie de quantité. D’ailleurs, nous pouvons toujours faire abstraction du nombre ou de la diversité, tandis que l’espace et le temps, une fois donnés par la sensibilité, s’imposent à l’entendement d’une manière nécessaire, et ne peuvent plus être abstraits.
Je réponds : Il faut distinguer la diversité, en tant qu’attribut ou prédicable de quantité, et la diversité en tant que condition absolue de toute phénoménalité. Or, la même objectivité, le même caractère d’infini et de nécessité qui se trouvent dans les concepts d’espace et de temps appartiennent aussi à ce concept, que nous révèle particulièrement la divisibilité de la matière, et qui n’est lui-même que l’inévitable synthèse de l’espace et du temps. En effet, selon Kant, nous ne concevons l’espace que comme un agrégat d’espaces limités, ajoutés les uns aux autres, sans fin et dans toutes les directions ; nous ne concevons le temps que sous l’idée d’une ligne tirée mentalement et prolongée, dans ses deux directions, à l’infini. Aussitôt donc que le temps et l’espace ont été conçus dans l’entendement, le nombre ou la diversité y entre avec eux : faites abstraction de l’univers entier, les concepts d’espace et de temps demeurent, et avec eux celui d’agrégat, de prolongation, de diversité, de nombre. Ce n’est pas ma faute si notre langage manque d’un terme générique qui résume toutes ces expressions.
Enfin, c’est par le concept de nombre ou diversité que la loi sérielle est rendue immédiatement possible, et que le voile de la création est levé.
Kant paraît avoir senti lui-même que les concepts d’espace et de temps ne se liaient pas d’une manière intime aux catégories de la raison pure, et qu’entre celles-ci et ceux-là il y avait un vide. Il enseigne : 1o que la première chose nécessaire pour la connaissance des objets est la diversité de l’intuition ; 2o que rien autre chose que la quantité, la qualité et la relation (celle-ci, d’après Kant, renferme les concepts de substance et de cause ; voir plus bas, 284) ne forme la matière des jugements ; que la 4e classe de catégories, la modalité (qui n’est pas la même chose que la diversité), considère les objets de l’intuition, non en eux-mêmes ni les uns par rapport aux autres, mais par rapport à l’entendement, c’est-à-dire en tant que ces objets lui apparaissent comme possibles, réels ou nécessaires. (Critique de la raison pure, trad. de Tissot.)
Or, si Kant avait réfléchi que la diversité de l’intuition, condition subjective de la possibilité de la connaissance, présupposait elle-même un concept objectif, nécessaire, analogue à ceux d’espace et de temps, il aurait vu que, comme dans les quatre classes de catégories, la troisième catégorie est toujours la synthèse des deux premières, de même le concept de nombre est une synthèse de l’espace et du mouvement ; que ce concept forme la transition de l’esthétique à la logique transcendentale ; que la diversité étant donnée dans la substance et la cause, il en résulte, par l’unité synthétique de l’aperception, la série ; que la série est la forme propre et objective du jugement, de même que les corps et leurs propriétés, les causes et les phénomènes, et l’action des uns sur les autres, en sont la matière ; que, considérée sous ce dernier point de vue, la série (série serrée, large, progressive, etc.) engendre les trois premières classes de catégories (quantité, qualité, relation), tandis que considérée dans sa formation, ses modes, ses lois (point de vue et raison de la série ; série naturelle, artificielle, similiforme ; faits normaux et anormaux, 300), elle produit la quatrième classe de catégories, la modalité.
D’après cette détermination nouvelle des concepts fondamentaux de l’entendement et de la raison, le tableau des catégories, conformément au système cosmologique ternaire, eût été dressé de la manière suivante :
Conditions de la connaissance. | Espace. | Temps. | Nombre (division, diversité). | ||
Matière de la connaissance. | Substance. Inhérence. |
Cause. Dépendance. |
Série. Réciprocité. |
||
Forme des jugements. | Quantité. Unité, pluralité, totalité. |
Qualité. Réalité, négation, limitation. |
Modalité. Possibilité, existence, nécessité. |
35. H. Renaud, Solidarité.
36. Tissot, Du Suicide et de la Révolte.
37. Kant, Critique de la raison pure.
38. La raison sur laquelle se fondent les partisans de l’éligibilité universelle est que rien ne doit limiter la volonté du peuple souverain, et qu’il faut s’en rapporter à son bon sens et à son intérêt évident pour le choix des députés. Mais alors pourquoi le peuple souverain lui-même limite-t-il sa volonté par des lois ? pourquoi ne s’en rapporte-t-il pas, en tout et pour tout, à son bon sens et à son plus grand intérêt ? Or, si telle est la pratique de tous les temps, pourquoi l’élection des députés ne serait-elle pas soumise a des conditions et règlements, aussi bien que la propriété, l’administration, l’industrie, etc. ? Rien dans la société, comme dans l’univers, ne doit se faire que par règle, loi, poids et mesure : toute tendance contraire est anti-sérielle, anti-organique, et rétrograde : c’est une inspiration de mysticité ou de philosophie.
39. Au reste, mon opinion ne diffère de la leur que d’une cinquantaine d’années d’éducation populaire : pour le moment, il me semble qu’une réforme qui porterait à un million le nombre des électeurs en France, en les choisissant surtout dans les villes, produirait, par la solidarité des intérêts, tout le bien qu’on attend du suffrage universel. Ainsi, je ne nie pas le droit (263), je conteste seulement l’opportunité de l’application. Le peuple, en partie, est encore mineur : c’est un fait qu’on ne saurait méconnaître (a).
(a) L’événement a confirmé depuis cette prévision. Les élections d’avril et décembre 1848 auront donné une rude leçon aux démocrates phraséologues. Ce n’est pas la seule fois que l’auteur aura été prophète. (Note de l’éditeur.)
40. Le fait qui exprime le mieux l’inégalité des intelligences, résultat de l’ignorance générale et de l’insuffisance des méthodes, est le scepticisme. Or, la loi sérielle est la mort du scepticisme, le remède à toutes les maladies de la raison, le critérium de la certitude (§ vii) : donc la loi sérielle est le niveau des intelligences.
41. La métaphysique a déjà répondu. Qu’importe que l’homme soit né dans un coin de la terre, d’où, il se sera répandu sur tous les points du globe, ou qu’il soit indigène à toutes les latitudes et à tous les pays ? L’unité de la race ne tient point à l’unité généalogique, mais à l’identité organique et surtout téléologique. Ce qui produit l’unité dans la série, ce n’est pas le fait, puisque le fait est toujours divers ; c’est l’idée. (Note de l’éditeur.)
42. On voit ici pourquoi le concept de qualité n’est point applicable aux mathématiques, qui n’opèrent que sur des séries exactes et des figures régulières. Le concept de qualité commence dans la physique, réalisation de la série pure, de l’idée.
43. Moment de momentum, pour movimentum, mouvement.
44. Kant, qui regardait le temps et l’espace comme les conditions uniques et suprêmes de l’aperception sensible, était loin de soupçonner qu’un jour on leur trouverait tant d’analogues. Or, le même argument que Kant faisait à Hume, à propos de l’idée de causalité, nous le lui opposons à lui-même au sujet des concepts de temps et d’espace. Ces concepts sont des hypothèses ou postulata de la raison ; mais ce ne sont pas les seuls de leur espèce ; il faut y en joindre une foule d’autres, qui tous se résolvent dans l’idée commune d’infini.
45. C’est aussi l’opinion des Allemands. (Note de l’éditeur.)
46. Tout cela est on ne peut plus clair, et parfaitement exprimé. Ce qui suit laisse plus à désirer. L’auteur veut dire, ce semble, que les êtres dont se compose la nature dans tous les règnes, bien qu’ils ne nous soient connus qu’en tant qu’ils sont séries, et comme séries, sont cependant quelque chose de plus que des idées. La preuve, ajoute-t-il, que ces objets ne sont pas de simples idées, c’est qu’ils ne se laissent point manier, faire et défaire, composer, décomposer ou recomposer à volonté, ce qui est le propre de l’idée pure. Toute opération intellectuelle peut très-bien se transformer en une autre, par exemple, ce qui est démontré par syllogisme être démontré par induction ou série et vice versa, sans que la vérité, le résultat de l’opération en souffre. Pourquoi cela ? Parce que, dans ce qui fait ici l’objet de l’analyse, il n’y a pas autre chose qu’une idée. Mais bien que l’entendement conçoive, à priori, la possibilité de disséquer un animal et puis de le faire revivre, comme l’on démonte et remonte une horloge, l’expérience prouve qu’une telle opération est impossible : preuve, conclut l’écrivain, et nous sommes en cela tout à fait de son avis, que l’animal est quelque chose de plus qu’une idée.
D’après cette théorie idéo-réaliste, la réalité de l’être irait en croissant du minéral au végétal, et du végétal à l’animal et à l’homme : elle atteindrait son maximum dans la société, la chose à la fois la plus libre, et qui souffre le moins l’arbitraire de ceux qui la gouvernent. C’est précisément le contraire de ce que suppose le vulgaire (Note de l’éditeur.)
47. Cette démonstration du réalisme nous paraît tout à fait neuve en philosophie, et nous la recommandons, comme celle de l’origine des idées générales et des concepts, aux méditations des métaphysiciens. (Note de l’éditeur.)
NOTES TO CHAPTER III.
1. We have already remarked that what the author means by metaphysics is the same as what Mr. Aug. Comte calls positive philosophy. We will add that this metaphysics corresponds, at base, to what the Germans call logic. (Publisher’s note.)
2. Author of several works on linguistics: 1o Poèmes islandais, Imprimerie royale, 1839 ; 2o De linguarum origine et natura ; 3o Recherches sur la quantité prosodique. Strasbourg, 1841.
3. Confidence, pride of the young man! — The author has created nothing, invented nothing at all. (Publisher’s note.)
4. This progression is the best known fact in ecclesiastical history. The first Christians hardly disputed except on points of morality and discipline, and on the formula of the mysteries: in the following centuries, people were divided on the very essence of the mysteries and the authenticity of the dogmas; finally, the competence of the Church was denied and an appeal was made to individual reason. From that moment all was lost.
5. E. Quinet, Du Génie des Religions.
6. We will see later that as the science of numbers is more related to elementary or analytical metaphysics, geometry is more related to synthesis or the metaphysics of composition.
7. Compare the strength of a silk cloth to that of a sheet of paper; the pellicle of the egg with the envelope of the caterpillar; the resistance of a fir plank with that of a glass plate.
8. Named by Fourier sériaire, contrary to etymology and analogy. The ending aire designates in general a quality or function in persons: donataire, commanditaire, locataire, propriétaire, prolétaire, adversaire, commissaire, fonctionnaire, légataire, actionnaire, feudataire, contraire, etc. — Sériel, like constitutionnel, fonctionnel, différentiel, tendantiel, providentiel, matériel, idéel, réel, formel, etc. Without being a profound linguist, it suffices to compare these two series to be convinced of the irregularity of the denomination adopted by Fourier.
9. Critique de la raison pure, translation of Tissot.
10. It is impossible to conceive how the ratio of numbers by which the specific gravities of bodies are expressed would have only a subjective certainty, while the ratio of the diameter to the circumference would have an objective certainty. Bodies do not teach us geometry any more than arithmetic: they provide us with terms of comparison, in their symmetry, their series or their difference, and it is by comparing them that we guess the secrets of nature, the science of God, if I may say so. Thus, we must admit the objective legitimacy of arithmetic in the same way as that of geometry; or we must deny this, and with it the external certainty of all our ideas, that is to say, cast doubt on the existence of beings. In the 7th §, we will answer this doubt.
11. The demonstration of the identity of the product, in whatever order we multiply the factors, is taken, as we see, from the serial law, there is nothing particularly arithmetical about it: it is astonishing that the mathematicians did not notice it.
12. When it is shown in geometry that the area of the rectangle is equal to the product of the base multiplied by the height, so that if one is 5 and the other 10, the product will be 50; one must not believe, despite the arithmetical expression, that this theorem could have been foreseen by arithmetic.
Likewise pure geometry cannot predict astronomy; neither inorganic chemistry nor organic chemistry, nor the latter politics. Whenever a new element is introduced into a science, such as extension in arithmetic, attraction or motion in geometry, etc., the science changes; and a new order of things arises.
13. Mémoires de Colebrooke, translation by Pauthier.
14. Ravaisson, Métaphysique d’Aristote.
15. Here are his own words: “Mens humana si agat in materiem, pro modo naturae operatur, atque ab eâdem determinatur : si ipsa in se vertatur, tanquam aranea texens telam, tum demum indeterminata est, et parit telas quasdam doctrinae tenuitate fili operisque mirabiles, sed quoad usum fri volas et inanes.”
It is quite wrong that philosophy counts Bacon among its own; he did not flatter it.
16. The author has not always been so severe toward Descartes: see the Système de contradictions économiques, tome II, ch. xi, and elsewhere, where he says that German philosophy sprang from Descartes. (Publisher’s note.)
17. Who knows whether, in three or four thousand years, the similarity of the name helping the identity of the work, some etymologist will not claim that Kant is the same personage as Kanada, designated alternately by his Sanskrit or German name? (Publisher’s note.)
18. However, it must be said, to be fair, that Kant’s aim, in making the inventory of the categories, was to show that the fundamental law of reasoning consists, above all things, in not concluding from a category to another, which is, as will be seen below, the very principle of the serial dialectic. There are few dialecticians comparable to Kant: unfortunately he did not reduce his dialectic to principles, as Hegel did.
19. Behold then that the great All will be not only one and triple, but double and quadruple, sevenfold, tenfold, hundredfold!… Will it be the God whom we must adore? Not yet.
20. This division goes back to the definition of man by M. P. Leroux: Man is sensation-sentiment-knowledge; and Mr. Cousin’s psychological formula: Sensibility, Activity, Reason.
21. Wouldn’t that be doing far too much honor to the inventor of passional attraction? The series had been discovered and analyzed by others before Fourier, as P. Leroux has wisely demonstrated. (Publisher’s note.)
22. E. de Pompery, Théorie de l’association et de l’unité universelle.
23. I knew Fourier: he had an average head, broad shoulders and chest, the habit of a nervous body, tight temples, a mediocre brain: a certain air of enthusiasm spread over his face gave him the air of a dilettante in ecstasy. Nothing in him announced the man of genius, any more than the charlatan.
24. See volume ii of La Destinée sociale, by M. Considerant, the synoptic tables of the parade series and the pear-cultivation series.
25. Perhaps this assertion will be contradicted by some skeptical mathematician: all I have to answer him is that then everything is not done for the mathematical demonstration, and that it requires a better understood application of the serial law.
26. It will perhaps be said that the property of conserving or transmitting caloric is due to the chemical nature of bodies, and not at all to the division of masses. But what is the chemical nature of bodies, or some other abstract quiddity that it would be nice to invoke here? As for me, I see that in general the densest bodies, and whose molecular constitution is the best serialized (like the metals), are the best conductors of caloric; while those that, under the same volume, contain the least matter, or whose constituent parts are confused, obscure, hardly or not seriated, like wood, clay, fats, sand, a heap of straw, or a cotton ball, are poor conductors.
But here one can make an objection: how is the series, for metals, a cause of conductivity, and, for a thatched roof, for example, a cause of non-conductivity? We must distinguish: everything is series in nature; now, since we see that opposite phenomena take place there, it is necessary that various series produce contrary effects. Now, this is what we see here: the molecular series of metals leaves an easy passage to caloric; while the hairs of a merino, pressed together, in addition to the series of their constituent molecules, form between them a new series, which corrects the effect of the first.
This is so true that a man exposed to bitter cold in a hermetically sealed pine box would run the risk of freezing, while the same plank which serves as his prison, divided into long and silky shavings, could serve to make him a warm fur. Is not the substance of the hairs the same as that of the horn? Why then did nature coat the animals with hair, in order to preserve them from the cold, instead of armoring them like lobsters and turtles? Why does the composition of the seven colors in an elementary series produce white light, while their union in an artificial series, by the superposition of colored glasses, produces the deepest darkness?…
27. This was written before the discovery of Neptune, Hebe, Iris, and other microscopic planets, which bring this total number to 35 or 36. (Publisher’s note.)
28. I myself made use of this argument in a booklet on Sunday, at a time when, not knowing the serial law, I reasoned like everyone else; but in the three memoirs that I published later on property, and which served me as an exercise in arriving at metaphysics, I rejected this proof.
29. The division of duties adopted by the moderns is taken from the objective point of view: 1. Duties towards God; 2. towards the neighbour; 3. towards oneself.
30. All this means that syntax cannot, in any case, take the place of dialectic. (Publisher’s note.)
31. The reader must not lose sight of the fact that the rent does not mean either the indemnity due to the possessor who deprives himself, or the cost of maintaining the thing. The rent is what is perceived as the price of the loan, or the product of the capital. We know that capital, without labor, is essentially unproductive.
32. See Système des contradictions économiques, by P.-J. Proudhon, 2 vol. in-8, prologue, chap. viii, and elsewhere, the ideas of the same writer, on the Divinity. (Publisher’s note.)
33. It is understood that by the denominations of matter, life, mind, we designate three categories of phenomena, without affirming anything about the nature of their principles. This is how the unknown, real or fictitious cause of chemical and sidereal phenomena has been called attraction. We know phenomena of gravity, impenetrability, organic sensibility, spontaneous locomotion, freedom, etc.; we arrange these phenomena into three great categories, to each of which we attribute a special and real cause, but without being able to say anything else about it, except that it exists, and that we necessarily believe it.
34. An objection can be made. The concepts of time and space are sensible intuitions, though not of real objects; while number or diversity is an abstraction of reason, included in the category of quantity. Moreover, we can always disregard number or diversity, whereas space and time, once given by sensibility, impose themselves on the understanding in a necessary way, and can no longer be abstract.
I answer: We must distinguish between diversity, as an attribute or predicable of quantity, and diversity as the absolute condition of all phenomenality. Now, the same objectivity, the same character of infinity and necessity wthathich are found in the concepts of space and time also belong to this concept, which the divisibility of matter reveals to us in particular, and which is itself only the inevitable synthesis of space and time. Indeed, according to Kant, we conceive of space only as an aggregate of limited spaces, added to each other, endlessly and in all directions; we conceive of time only under the idea of a line drawn mentally and extended, in its two directions, to infinity. As soon, therefore, as time and space have been conceived in the understanding, number or diversity enters there with them: disregard the entire universe, the concepts of space and time rema