J. Roca, “The Problem of Anarchism” (1928)

Le problème de l’Anarchisme

Un des problèmes les plus intéressants qui se présentent à nous est l’étude des différentes tendances anarchistes.

Mais peut-il y avoir différentes tendances anarchistes ? Ou, mieux encore, qu’est-ce que l’anarchisme, non point considéré au point de vue de la négation générale du principe d’autorité, mais envisagé au point de vue psychologique ? La réponse à ces questions doit être fournie par le sujet : l’Anarchiste.

Or, à mon sens, le véritable anarchiste, c’est l’être humain qui se trouvant comprimé au dedans de la vie sociale, avec ses préjugés et sa tyrannie, rompt avec elle. C’est un humain qui veut respirer librement à des altitudes plus élevées et qui ne s’agenouille pas pour ramasser les miettes du banquet de la vie. L’anarchiste est donc un « en dehors », un être qui doit vivre en dehors de la société.

Mais alors, quel but poursuit l’anarchiste ? En général, on répond que ce but est d’amener l’humanité à l’anarchisme comme la cause finale de l’anarchiste est une opinion qui manque de psychologie. La conception individuelle de l’anarchiste ne peut s’appliquer à tout le monde. L’anarchiste est une âme exubérante qui ne peut faire servir son individualité au profit des fantômes extérieurs. Tous les hommes n’éprouvent pas le besoin de liberté qu’il ressent : l’idéal anarchiste est l’apanage du petit nombre. L’esclave sera toujours un esclave.

L’humanité s’est écartée du seul anarchisme possible à pratiquer par l’ensemble des hommes : la vie à l’état de nature. L’humanité s’est engagée dans une voie où elle est tyrannisée par la science et la cruauté des hommes. La science, par ses prodiges, pourra-t-elle rendre aux hommes la liberté qu’elle leur a enlevée ? C’est douteux et la réponse appartient à l’avenir.

Mon point de vue est donc absolument individualiste.

C’est l’idée de Nietzsche qui déclare que les droits de l’individu sont supérieurs à ceux de la société — c’est la conception d’Ibsen qui définit l’homme seul comme étant le plus fort — c’est l’éthique de Stirner qui fait du moi le centre de toute circonférence.

A la vérité, ces concepts sont trop abstraits ; on ne peut les admettre qu’au point de vue de la philosophie des valeurs.

Dans le domaine des réalités, l’isolé n’est point respecté. L’individualité supérieure qui veut s’élever ne peut se frayer passage dans l’atmosphère sociale. On ne dit pas : « Respectons un tel parce que ses vues sont élevées », au contraire, on l’écrase.

L’isolement donc est défavorable à l’anarchiste. Il s’isole parce que son idéal est contradictoire aux idéaux de l’environnement social, mais du fait qu’il vit en isolé, le milieu le prive de ses droits naturels. Le mécanisme de la en effet, dépend de la base sociale, et c’est celle qui possède le pouvoir et par conséquent s’arroge les droits.

De là retour à l’association, à celle dont l’idéal est le même que celui de l’individu.

Au milieu du chaos confus que représente l’existence sociale, chaque jour plus avilie par le mercantilisme — et les possibilités futures se montrant incertaines et lointaines — les anarchistes doivent constituer un monde à part, un monde de réalités, dans lequel chaque anarchiste puisse jouir du maximum de liberté possible, par conséquent du maximum de bonheur possible. Cette conception n’exclut pas cependant l’idée générale de poursuivre un but donné, par exemple de mener l’humanité vers des régions plus élevées, plus libres.

Le problème à l’égard de l’individu se pose donc ainsi :

1. L’anarchisme ne peut être une idée-générale, car il est nécessaire d’avoir le droit d’être anarchiste. L’anarchiste ne peut donc être qu’ « individualiste ».

2. L’individu étant opprimé par la société, il est dans la nécessité de défendre son individualité.

Quant à l’avenir, c’est pour moi un point d’interrogation.

Lutter pour l’anarchie, m’est un plaisir si je trouve du plaisir dans la lutte. Si cette lutte me donne un résultat, tant mieux pour moi. — J. ROCA.

The Problem of Anarchism

One of the most interesting problems that presents itself to us is the study of the different anarchist tendencies.

But can there be different anarchist tendencies? Or, better yet, what is anarchism, not considered from the point of view of the general negation of the principle of authority, but envisioned from the psychological point of view? The answer to these questions must be furnished by the subject: the Anarchist.

Now, as I understand it, the true anarchist is the human being who, finding themselves constricted within social life, with its prejudices and its tyranny, breaks with it. It is a human being who wants to breathe freely at higher altitudes and who does not kneel down to gather the scraps from the banquet of life. The anarchist is thus an « en-dehors », a being who must live outside of society.

But then, what aim does the anarchist pursue? In general, we respond that this aim is to lead humanity to anarchism, as the final cause of the anarchist is an opinion that lacks psychology. The individual conception of the anarchist cannot be applied to everyone. The anarchist is an exuberant soul who cannot make their individuality serve the profit of external phantoms. Not everyone feels the need for liberty that they feel: the anarchist ideal is the prerogative of a small number. The slave will always be a slave.

Humanity has wandered from the only anarchism that might be practiced by all: life in the state of nature. Humanity has committed itself to a path where it is tyrannized by science and the cruelty of men. Could science, through its miracles, give me the liberty that it has taken from them? It is doubtful, but the answer belongs to the future.

My point of view is thus absolutely individualist.

It is the idea of Nietzsche, who declared that the rights of the individual are superior to those of society — it is the conception of Ibsen, who defined the solitary man as the strongest — it is the ethic of Stirner, who made the self the center of every circumference.

In truth, these concepts are too abstract; we can accept them only from the point of view of the philosophy of value.

In the domain of realities, the isolated is not respected. The superior individuality who wants to elevate themselves cannot clear themselves a passage in the social atmosphere. We do not say: “Let’s respect such a one because their views are elevated.” On the contrary, we crush them.

So isolation is unfavorable to the anarchist. They isolate themselves because their ideal contradicts the ideals of the social environment, but because they live in isolation, the milieu deprives them of their natural rights. The mechanism, in fact, depends on the social base, which possesses the power and consequently usurps the rights.

Hence the return to association, with those whose ideal is the same as the individual.

In the midst of the confused chaos that social existence represents, each day more degraded by commercialism — and future possibilities appearing uncertain and distant — anarchists must constitute a world apart, a world of realities, in which each anarchist can enjoy the maximum possible freedom and, consequently, the maximum possible happiness. However, this conception does not exclude the general idea of pursuing a given goal, for example of leading humanity to higher, freer regions.

The problem with regard to the individual is posed thus:

1. Anarchism cannot be a general idea, for it is necessary to have the right to be anarchist. The anarchist can thus only be “individualist.”

2. The individual being oppressed by the society, it must defend its individuality.

As for the future, it is for me a question mark.

To struggle for anarchy is a pleasure for me if I find pleasure in the struggle. If that struggle brings a result, so much the better for me. — J. Roca.

J. Roca, “Le problème de l’Anarchisme,” L’En dehors 7 no. 135 (fin Mai 1928): 2.

[Working translation by Shawn P. Wilbur]

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