P.-J. Proudhon, “The Creation of Order in Humanity” — Chapter II

OF THE

CREATION OF ORDER

IN HUMANITY

OR

PRINCIPLES OF POLITICAL ORGANIZATION

BY
P.-J. PROUDHON
 
Istæ sunt generationes cœli et terræ…
Juxtà genus suum et speciem suam.
(Gen. i et ii.)
 
NEW EDITION
 
1873
 
[originally published 1843, revised 1849]

[These draft translations are part of on ongoing effort to translate both editions of Proudhon’s Justice in the Revolution and in the Church into English, together with some related works, as the first step toward establishing an edition of Proudhon’s works in English. They are very much a first step, as there are lots of decisions about how best to render the texts which can only be answered in the course of the translation process. It seems important to share the work as it is completed, even in rough form, but the drafts are not suitable for scholarly work or publication elsewhere in their present state. — Shawn P. Wilbur, translator]


CHAPTER I


CHAPITRE II

LA PHILOSOPHIE

§ I. — La Philosophie à la recherche des causes. — Aberrations philosophiques ; hallucinations des penseurs.

79. Par la Religion, l’esprit demeure absorbé dans la substance : par la Philosophie, il s’affranchit de cette contemplation passive, et se met à rechercher la cause des phénomènes qui passent devant lui, la force qui fait mouvoir et changer incessamment la scène du monde. De là vient que la Philosophie a été définie par quelques-uns, science des causes [1], titre menteur, puisque la cause nous est aussi impénétrable que la substance.

CHAPTER II

PHILOSOPHY

§ I. — Philosophy in search of causes. — Philosophical aberrations; hallucinations of thinkers.

79. Through Religion, the mind remains absorbed in substance: through Philosophy, it frees itself from this passive contemplation, and begins to seek the cause of the phenomena that pass before it, the force that incessantly moves and changes the stage of the world. Hence it is that Philosophy has been defined by some as the science of causes, [1] a lying title, since the cause is as impenetrable to us as the substance.

80. L’idée de cause, dans l’entendement, est, ou peu s’en faut contemporaine de l’idée de substance ; mais, absorbée d’abord et comme éclipsée par celle-ci, elle s’en dégage peu à peu, et saisit à son tour le sceptre de l’intelligence. Et comme la religion expliquait l’univers par la division de la substance intime, par une sorte de démembrement du Tout divin ; de même la Philosophie prétend à son tour rendre raison des choses par une causation toute-puissante, et, si j’ose ainsi dire, par une extérioration de la force. De cette diversité d’hypothèses résultèrent, sur la création, l’essence et les attributs de Dieu, la nature de l’âme, ces systèmes d’ætiologie, ontologie et théosophie, qu’on a vus, avec des succès à peu près égaux, se partager l’empire de la spéculation, et qui, modifiés ou repétris, forment encore le fonds de la philosophie officielle. — De là aussi la différence du génie religieux et du génie philosophique : le premier, incurieux, inerte ; le second, scrutateur intrépide, aspirant à maîtriser la nature après l’avoir devinée.

80. The idea of cause, in the understanding, is contemporaneous, or nearly so, with the idea of substance; but, absorbed at first and as if eclipsed by it, it frees itself little by little, and seizes in its turn the scepter of intelligence. And as religion explained the universe by the division of the intimate substance, by a sort of dismemberment of the divine Whole, in the same way Philosophy pretends in its turn to explain things by an all-powerful causation, and, if I dare say so, by an exteriorization of force. From this diversity of hypotheses on creation, the essence and the attributes of God, and the nature of the soul, have resulted these systems of aetiology, ontology and theosophy, which we have seen, with almost equal success, divide up the empire of speculation, and which, modified or reshaped, still form the basis of official philosophy. — Hence also the difference between the religious genius and the philosophical genius: the first, incurious, inert; the second, an intrepid seeker, aspiring to master nature after having divined it.

81. Aussitôt que l’esprit a réfléchi en lui-même la notion de cause, qu’il s’en est imbu et comme saturé, l’homme change : auparavant il ne faisait que croire, maintenant il aspire à comprendre, que dis-je ? il se flatte de créer. Les rapports de coexistence et de succession qu’il découvre entre les propriétés et les modifications des êtres sont autant de prodiges qui l’étonnent et qui semblent lui promettre le secret de nouveaux prodiges. Prenant la succession des rapports pour la cause des phénomènes, il ne doute pas qu’en s’emparant d’une cause, il n’en tire de merveilleux effets ; et, dans son enthousiasme, s’imaginant avoir trouvé le secret de la création, il se promet d’égaler par ses œuvres les œuvres du Dieu que jadis il adorait. Dès lors il prend en mépris les prêtres et leurs dogmes : plus avancé qu’eux, en effet, puisqu’il possède une idée qui leur manque ; mais non moins ignorant, puisque l’expérience et la théorie ne l’éclairent pas encore, il laisse la foi brute au vulgaire, et se déclare philosophe, égal à Dieu.

Telle fut l’origine de la philosophie. Le premier qui remarqua le lien ou rapport qui unissait deux phénomènes consécutifs fut le père des philosophes. Mais, ainsi que nous l’avons fait observer, ce rapport étant pris pour cause, l’esprit humain dut s’égarer dès le premier pas, et la philosophie parcourir un immense dédale de superstitions et d’erreurs.

C’est ce qu’il est essentiel de faire ressortir.

81. As soon as the mind has reflected in itself the notion of cause, as soon as it is imbued with it and, as it were, saturated, man changes: before he only believed, now he aspires to understand. What am I saying? He fancies himself a creator. The relations of coexistence and succession that he discovers between the properties and the modifications of beings are so many marvels, which astonish him and which seem to promise him the secret of new marvels. Taking the succession of relations for the cause of phenomena, he does not doubt that by seizing on a cause, he draws marvelous effects from it; and, in his enthusiasm, imagining that he has discovered the secret of creation, he promises himself to equal by his works the works of the God whom he formerly worshipped. From then on he has held the priests and their dogmas in contempt. He is more advanced than them, indeed, since he possesses an idea that they lack; but no less ignorant, since experience and theory do not yet enlighten him. He leaves brute faith to the masses, and declares himself a philosopher, equal to God.

Such was the origin of philosophy. The first who noticed the bond or relation that united two consecutive phenomena was the father of the philosophers. But, as we have observed, this relation being taken as a cause, the human mind must have lost its way at the first step, and philosophy had to run through an immense maze of superstitions and errors.

This is what it is essential to emphasize.

82. Voici donc la philosophie tenant en main, à ce qu’il lui semblait, la clef de la nature. La première chose sur laquelle elle s’essaya fut la religion. Ainsi, avant de connaître rien du monde, la philosophie dogmatisa sur l’auteur du monde ; avant d’étudier l’homme, elle spécula sur Dieu : aujourd’hui même, les philosophes ne procèdent pas autrement.

La plus ancienne forme religieuse est le panthéisme. Or, la philosophie, en divisant les causes, divisa la divinité ; bien plus, elle décrivit la subordination des dieux, et raconta leurs généalogies. Le Chaos et la Nuit engendrèrent le Ciel et la Terre ; de ceux-ci naquirent l’Air et l’Eau (Jupiter et Neptune) ; lesquels produisirent ensuite : le premier, le Soleil et la Lune (Apollon et Diane) ; le second les Tritons et les Néréides, les monstres marins et leurs bergers. Par une allégorie plus abstraite, l’Amour et le Mariage naquirent de la Beauté, qui, avec la Jeunesse, était fille de l’Air et du Temps[2].

82. Here, then, is philosophy holding in its hand, or so it seemed, the key to nature. The first thing it dabbled in was religion. Thus, before knowing anything of the world, philosophy dogmatized on the author of the world; before studying man, it speculated on God: even today, philosophers do not proceed otherwise.

The oldest religious form is pantheism. Now, philosophy , by dividing the causes, divided the divinity; much more, it described the subordination of the gods, and recounted their genealogies. Chaos and Night engendered Heaven and Earth; from these were born Air and Water (Jupiter and Neptune); which then produced: first, the Sun and the Moon (Apollo and Diana); second, the Tritons and the Nereids, the sea monsters and their shepherds. By a more abstract allegory, Love and Marriage were born of Beauty, which, with Youth, was the daughter of Air and Time. [2]

83. L’action philosophique fut certainement la cause déterminante du polythéisme et de la mythologie, comme elle devint par la suite la cause de leur chute et des réformes qui s’introduisirent postérieurement dans la religion. Car, il faut le redire, la religion est essentiellement immuable : les progrès qu’on lui attribue sont dus à l’influence secrète de la philosophie, qui, s’emparant du dogme, le modifie selon ses vues et façonne la religion à son image. Voilà comment s’est produite à la longue la religion quasi-rationaliste de Bossuet ; et ce mouvement, auquel la religion résiste toujours, quelques-uns l’ont appelé révélation progressive, attribuant à la religion ce qu’il est dans sa nature de repousser et de combattre. C’est ainsi que le gouvernement absolu, une fois envahi par les idées de constitution et de liberté, aboutit fatalement à une réforme et une organisation nouvelle : dit-on pour cela que le despotisme est progressif ?

83. Philosophical action was certainly the determining cause of polytheism and mythology, as it later became the cause of their fall and of the reforms that were later introduced into religion. For, it must be repeated, religion is essentially immutable: the progress attributed to it is due to the secret influence of philosophy, which, seizing dogma, modifies it according to its views and shapes religion in its image. This is how the quasi-rationalist religion of Bossuet was produced in the long run; and this movement, which religion always resists, some have called progressive revelation, attributing to religion what it is in its nature to repel and combat. It is in this way that absolute government, once invaded by the ideas of constitution and freedom, leads inevitably to a reform and a new organization: Do we say as a result that despotism is progressive?

84. L’espoir de deviner la nature et de commander aux éléments en s’emparant des causes produisit une foule de superstitions : les mathématiques mêmes n’en furent pas exemptes. Comme les nombres servaient à exprimer certains rapports, on crut qu’ils étaient causes de phénomènes : de là l’axiome de Pythagore : Les nombres gouvernent le monde. Le livre de la Sagesse dit simplement : Dieu a tout disposé avec nombre, poids et mesure. Ici, le nombre est considéré comme mode ou loi ; là il est pris pour cause : la différence est celle de la science à la superstition.

Toute l’antiquité attribuait des vertus occultes à certains nombres : Pythagore ne jurait que par le nombre quatre. Des propriétés merveilleuses étaient attribuées à la dyade, à la triade, au septénaire, à la décade. Celle-ci était regardée comme le nombre parfait, parce qu’il est la somme de un, deux, trois, quatre, additionnés. Les chronologies des Indiens, des Chaldéens et des Égyptiens sont des combinaisons allégoriques de nombres, que l’on admirait alors, et que nous trouverions puériles. Le fameux Kepler ne fut point à l’abri de ces superstitions arithmétiques : comme tout son siècle, il croyait aux propriétés magiques des nombres ; et ce fut cette singularité qui le conduisit à la découverte des lois auxquelles il a donné son nom.

84. The hope of understanding nature and commanding its elements by seizing on causes produced a host of superstitions: even mathematics was not exempt from them. As the numbers were used to express certain relations, it was believed that they were causes of phenomena: hence the axiom of Pythagoras: Numbers govern the world. The book of Wisdom simply says: God has arranged everything by number, weight and measure. Here, the number is considered as mode or law; there it is taken for cause: the difference is that of science to superstition.

All of antiquity attributed occult virtues to certain numbers: Pythagoras swore only by the number four. Marvelous properties were attributed to the dyad, to the triad, to the septenary, to the decade. This was regarded as the perfect number, because it is the sum of one, two, three and four, added together. The chronologies of the Indians, Chaldeans and Egyptians are allegorical combinations of numbers, which were admired then, and which we would find puerile. The famous Kepler was not immune to these arithmetical superstitions: like his entire century, he believed in the magical properties of numbers; and it was this singularity that led him to the discovery of the laws to which he gave his name.

85. La superstition dans les mathématiques ! est-il rien aujourd’hui de si peu croyable ? Et cependant rien de mieux attesté par l’histoire. Le premier pas de l’homme dans la science est toujours pour le merveilleux : ce n’est qu’après de longs efforts qu’il abandonne, pour le simple et le vrai, de futiles curiosités.

Au reste, nous serons moins surpris de ce fait, en réfléchissant que la géométrie et l’arithmétique sont quelquefois l’apanage de l’instinct, aussi bien que de la réflexion. N’est-ce pas par instinct que l’abeille construit ses hexagones ? On a des exemples d’animaux qui, attachés à une meule, à un tournebroche, à la corde d’un puits, etc., apprennent à calculer leur tâche avec la dernière précision. Ces animaux n’ont aucun système de numération : comment donc savent-ils compter ? Ainsi l’homme, avant de réfléchir, est soumis à la loi de l’instinct : et, pour achever notre comparaison, on a vu dans tous les temps des enfants étonner par leur instinct arithmétique les plus forts mathématiciens ; mais, chose singulière ! ces petits prodiges, une fois assujettis aux méthodes savantes, n’ont point paru en général s’élever au-dessus des autres hommes.

En résumé, le nombre exprime un rapport : or l’idée de rapport, postérieure à celle de cause, a été prise pour celle-ci : de là les chimères qu’on s’est forgées sur les propriétés causatives des nombres.

85. Superstition in mathematics! Is there anything so unbelievable today? And yet nothing is better attested by history. The first step of man in science is always toward the marvelous: it is only after long efforts that he abandons, for the simple and the true, futile curiosities.

Moreover, we will be less surprised by this fact, by reflecting that geometry and arithmetic are sometimes the prerogative of instinct as well as of reflection. Isn’t it by instinct that the bee builds its hexagons? There are examples of animals that, attached to a millstone, a rotisserie, the rope of a well, etc., learn to calculate their task with the utmost precision. These animals have no number system: how do they know how to count? Thus man, before reflecting, is subject to the law of instinct: and, to complete our comparison, children have always been seen to amaze the strongest mathematicians by their arithmetic instinct; but, strange thing! these little prodigies, once subjected to learned methods, did not generally seem to rise above other men.

To sum up, number expresses a relation. Now the idea of relation, posterior to that of cause, was taken for the latter: hence the chimeras that have been forged regarding the causative properties of numbers.

86. Sans parler des fausses hypothèses qui firent dans le commencement la base de l’Astronomie, hypothèses qui appartiennent plutôt à la science qu’à la philosophie, puisqu’elles ne sont que la description des mouvements apparents du ciel ; que de folies ne produisit pas l’étude des astres sous le nom d’Astrologie, c’est-à-dire, Divination par les causes célestes ?

Le cours du soleil étant la cause des alternatives du jour et de la nuit, la source de la chaleur et de la lumière ; les phases de la lune coïncidant avec le flux et le reflux de l’Océan, et paraissant jouir d’une influence secrète sur la végétation, les maladies, etc. : il n’en fallut pas davantage pour faire supposer dans les astres une puissance occulte qui gouvernait toutes les destinées. Puisqu’on calculait le retour d’une éclipse, les positions de la lune et le retard des étoiles, ne pouvait-on aussi calculer et prédire les gelées, les famines, les pestes, les guerres et les révolutions ?…

On dit : Ces prédictions étaient absurdes, de semblables effets étant sans rapport avec les causes. — Mais qu’on m’explique une fois ce que l’on entend par ces mots, rapport de l’effet à la cause ? Pour moi, je vois des termes enchaînés les uns aux autres dans des séries variées à l’infini ; mais je ne connais point de causes, bien que cette idée soit naturelle et nécessaire à mon esprit, bien même qu’elle y soit le produit de la perception externe (voir ch. iii ; § 7) ; et je ne saurais dire ce qu’une cause peut ou ne peut pas produire. Où donc est l’absurdité des astrologues, si on leur accorde que le soleil, la lune et les étoiles sont des causes ?

86. Without speaking of the false hypotheses that formed the basis of astronomy in the beginning—hypotheses that belong rather to science than to philosophy, since they are only the description of the apparent movements of the sky—what folly did the study of the stars produce under the name of Astrology, that is to say, Divination by celestial causes?

The course of the sun being the cause of the alternations of day and night, the source of heat and light; the phases of the moon coinciding with the ebb and flow of the ocean, and seeming to enjoy a secret influence on vegetation, disease, etc., nothing more was needed to make us imagine an occult power in the stars that governed all destinies. Since we calculated the return of an eclipse, the positions of the moon and the delay of the stars, could we not also calculate and predict frosts, famines, plagues, wars and revolutions?…

Someone will say: These predictions were absurd, the effects being unrelated to the causes. — But let someone explain to me once what is meant by these words, “relationship of effect to cause”? For me, I see terms linked together in infinitely varied series; but I know no causes, although this idea is natural and necessary to my mind, although it is the product of external perception (see ch.  iii; § 7); and I cannot say what a cause may or may not produce. Where then is the absurdity of the astrologers, if we grant to them that the sun, the moon and the stars are causes?

87. Faire d’un être brut ou vivant une portion de la divinité, ou bien attribuer à cet être une faculté causative, cela, au fond, revient absolument au même ; sur ce point la religion et la philosophie ne différent pas : je vais en donner de nouvelles preuves.

D’après l’ancienne mythologie, le chêne était, disait-on, l’arbre de Jupiter ; l’olivier appartenait à Minerve, le peuplier à Hercule, le pin à Cybèle, la vigne à Bacchus, le blé à Cérès, le myrte à Vénus. La germination était sous la garde de Proserpine, les fleurs sous celle de Zéphir et de Flore ; pendant que les fruits mûrissaient sous l’influence de Vertumne et Pomone. On sait les histoires de la myrrhe, du tournesol, du laurier, du roseau, du narcisse, de l’hyacinthe, du mûrier. — De même l’aigle fut l’oiseau du dieu du tonnerre ; le moineau, la colombe, la chèvre, animaux lascifs, appartinrent à Vénus, comme le hibou à Pallas, et le serpent à Esculape : Vesta fut traînée par des lions et Bacchus par des tigres ; Mars eut un coq pour favori. Telle fut la première histoire naturelle. Ce n’était qu’un panthéisme divisé d’après des analogies et de grossières comparaisons ; c’était, pour me servir de l’expression consacrée, l’incarnation de l’être infini et invisible, en autant de parties qu’il y a dans la nature d’animaux et de plantes.

La philosophie, opérant sur cette donnée avec le concept de cause, donna lieu à des imaginations encore plus extravagantes, et dont les esprits les plus sceptiques en matière de religion[3] ne furent pas toujours exempts. Ce même Dieu, cette nature, cette cause créatrice enfin, qui animait le lion, l’aigle, le cheval, le serpent, l’homme, le hibou, ne pouvait-elle aussi produire des phénix, des centaures, des hippogriffes, des licornes, des sirènes, des chevaux ailés, des animaux parlants, des arbres aux pommes d’or, des plantes douées de sucs merveilleux, capables de rendre ceux qui en boiraient invulnérables et immortels[4] ? L’anatomie et la physiologie comparées répondent positivement : Non, cela n’est pas possible ; et la métaphysique, ainsi que nous le verrons plus tard, donne la raison transcendante de ce jugement. Eh bien, quel est, encore aujourd’hui, je ne dis pas le théologien, mais le philosophe, qui osât à ce point limiter la puissance divine ?

87. To make of a brute or living being a portion of the divinity, or else to attribute to this being a causative faculty, that, at bottom, amounts absolutely to the same thing; on this point religion and philosophy do not differ: I am going to give new proofs of it.

According to ancient mythology, the oak was said to be the tree of Jupiter; the olive tree belonged to Minerva, the poplar to Hercules, the pine to Cybele, the vine to Bacchus, the wheat to Ceres, the myrtle to Venus. The germination was under the care of Proserpina, the flowers under that of Zephyr and Flora; while the fruits were ripening under the influence of Vertumnus and Pomona. We know the stories of myrrh, sunflower, laurel, reed, narcissus, hyacinth, mulberry. — Likewise the eagle was the bird of the god of thunder; the sparrow, the dove, the goat, lascivious animals, belonged to Venus, like the owl to Pallas, and the serpent to Aesculapius; Vesta was dragged by lions and Bacchus by tigers; Mars had a rooster for a favourite. Such was the first natural history. It was only a pantheism divided according to analogies and gross comparisons; it was, to use the established expression, the incarnation of the infinite and invisible being, in as many parts as there are in the nature of animals and plants.

Philosophy, operating on this datum with the concept of cause, gave rise to even more extravagant imaginations, from which the most skeptical minds in matters of religion [3] were not always exempt. This same God, this nature, this creative cause finally, which animated the lion, the eagle, the horse, theserpent, man, owl, could it not also produce phoenixes, centaurs, hippogriffs, unicorns, mermaids, winged horses, talking animals, trees with golden apples, plants endowed with marvelous juices, capable of making those who drink it invulnerable and immortal? [4]  Comparative anatomy and physiology respond positively: No, that is not possible; and metaphysics, as we shall see later, gives the transcendent reason for this judgment. Well, who is yet today, I do not say the theologian, but the philosopher, who would dare to limit the divine power to such an extent?

88. M. Dumas a écrit tout au long l’histoire philosophique (lisez superstitieuse) de la chimie ; et il serait à désirer qu’un travail analogue fût exécuté sur toutes les sciences. Dans cet excellent ouvrage, on voit les chimistes s’opiniâtrer à poursuivre la découverte d’une panacée et le secret de la transmutation des métaux, sur la foi de ce principe que la nature est toute-puissante dans ses éléments, qu’il ne s’agit que de mettre en jeu leurs vertus latentes pour opérer des prodiges, en un mot sur la foi de l’idée de cause. Et ce qui surprendra peut-être, c’est que ceux-là mêmes qui ont renoncé à ces chimères ne sauraient encore prouver, ni par raisonnement, si par expérience, que le grand œuvre soit impossible. En effet, aucun des résultats de l’analyse et de la composition chimique n’est expliqué à priori par la science ; tellement que, sous ce rapport, les effets produits dans les laboratoires peuvent passer pour autant de merveilles. Comment donc la formation d’un sel, la désoxydation d’un métal, la concentration d’un acide, si surprenantes par elles-mêmes, n’eussent-elles pas fait espérer de découvrir à la fin l’eau de jouvence, le secret de faire de l’or et de se rendre invisible ?… Ici l’expérience ne nous a point encore appris à prévoir ; toute notre sagesse consiste à ne rien préjuger.

88. M. Dumas has written throughout the philosophical (read superstitious) history of chemistry; and it would be desirable that a similar work be carried out on all the sciences. In this excellent work, we see chemists stubbornly pursue the discovery of a panacea and the secret of the transmutation of metals, on the faith of this principle that nature is all-powerful in its elements, that it is only a question of bringing into play their latent virtues to work wonders, in a word, on the faith of the idea of cause. And what will perhaps surprise is that the very people who have renounced these chimeras cannot yet prove, either by reasoning, nor by experience, that the great work is impossible. Indeed, none of the results of chemical analysis and composition are explained a priori by science; so much so that, in this respect, the effects produced in the laboratories can pass for so many marvels. How, then, could the formation of a salt, the deoxidation of a metal, the concentration of an acid, so surprising in themselves, not have given hope of discovering in the end the water of youth, the secret of making gold and making oneself invisible?… Here experience has not yet taught us to foresee; all our wisdom consists in not prejudging anything.

89. C’est Dieu, nous dit la religion, qui, s’entretenant avec notre premier père, lui apprit à parler : c’est Dieu qui, pour punir l’orgueil des premiers hommes, selon les uns ; pour les forcer à se répandre, selon les autres, divisa le langage, et produisit la multitude des idiomes.

Mais, se demanda la philosophie, Dieu qui nous a donné la parole n’a-t-il pu faire parler les bêtes ? Qui nous dit que les animaux n’ont point une langue dont ils se servent entre eux, et que nous n’entendons pas ? qui nous assure qu’autrefois ils ne parlèrent pas la nôtre ?… Tel fut le début de la pensée libre dans la linguistique, ou histoire naturelle des langues. Toutes les mythologies sont pleines d’animaux parlants ; et la question, pourquoi de tous les animaux, l’homme est le seul qui parle, est encore obscure en philosophie.

La parole servait à exprimer les lois, à invoquer les dieux et à rendre en leur nom des oracles ; à chanter les héros, à gouverner les conseils et conduire les armées, à prononcer les formules de jugement, de conjuration, de serment et d’anathème. C’en fut assez pour attribuer à certaines combinaisons de syllabes et de mots un pouvoir magique, capable de ressusciter les morts, de faire apparaître les démons, et de bouleverser la nature. Jésus, selon les Juifs, accomplit tous ses miracles à l’aide du nom de Jéhovah, qu’il avait dérobé dans le temple. Le pouvoir d’exorciser était le premier que l’Église conférait au prêtre, et que la rareté des possessions, dans ce siècle incrédule, a fait réserver aux évêques et tomber en mépris. — D’autres superstitions philologiques ont eu vogue dans ces derniers temps : mais ce n’est pas ici le lieu d’en parler[5].

89. It is God, religion tells us, who, conversing with our first father, taught him to speak: it is God who, to punish the pride of the first men, according to some; to force them to spread, according to others, divided the language, and produced the multitude of idioms.

But, wondered philosophy, couldn’t God who gave us speech make animals speak? Who tells us that animals do not have a language that they use among themselves, and that we don’t hear? Who assures us that formerly they did not speak ours?… Such was the beginning of free thought in linguistics, or the natural history of languages. All mythologies are full of talking animals; and the question—why of all the animals, man is the only one who speaks?—is still obscure in philosophy.

The word served to express the laws, to invoke the gods and to render oracles in their name; to sing the heroes, to govern the councils and lead the armies, to pronounce the formulas of judgment, conjuration, oath and anathema. This was enough to attribute to certain combinations of syllables and words a magical power, capable of raising the dead, of making demons appear, and of upsetting nature. Jesus, according to the Jews, performed all his miracles with the help of the name of Jehovah, which he had stolen from the temple. The power to exorcise was the first that the Church conferred on the priest, and which the rarity of possessions, in this unbelieving age, caused to be reserved for bishops and to fall into contempt. — Other philological superstitions have been in vogue in recent times: but this is not the place to discuss them.[5] .

90. Dans la politique, l’idée de causalité est encore dominante : sous le nom d’Autorité, elle apparaît partout comme principe des institutions et des lois.

Qui dit loi dit rapport : c’est, comme je l’ai précédemment exprimé, la condition de l’ordre, ce qu’il y a d’exclusivement formel et d’idéal dans la nature, partant de plus indépendant des concepts de substance et de cause. Or, qu’est-ce que l’autorité ? Le pouvoir de faire des lois, pouvoir qui, dans l’origine, fut attribué à Dieu seul, et devint plus tard l’apanage du souverain (peuple ou monarque), dont la volonté eut ainsi force législatrice. De là ces conséquences monstrueuses : que cela seul que le législateur déclare être bien est bien ; que ce qu’il déclare être mal est mal, et que le reste est indifférent ; que le droit n’existe qu’en vertu de la loi, écrite, laquelle n’a rien d’absolu ni d’immuable ; que l’état des citoyens, la division des pouvoirs, la distinction du juste et de l’injuste sont ce qu’il plaît au souverain, cause efficiente de la loi ; que le gouvernement de la société n’est point une science, mais un art, c’est-à-dire quelque chose d’essentiellement arbitraire, duquel on peut disputer sans fin, sans avoir jamais raison ni tort ; enfin que le dernier mot de la Politique est la force. Nous verrons plus tard comment la fabrication des lois se transforme peu à peu en description des lois : contentons-nous, quant à présent, de signaler les superstitions politiques et judiciaires qu’engendra l’idée d’autorité.

90. In politics, the idea of causality is still dominant: under the name of Authority, it appears everywhere as the principle of institutions and laws.

Whoever says law says relation: it is, as I have previously expressed, the condition of order, what is exclusively formal and ideal in nature, starting from what is most independent of the concepts of substance and cause. Now, what is authority? The power to make laws, a power which, in the beginning, was attributed to God alone, and later became the prerogative of the sovereign (people or monarch), whose will thus had legislative force. Hence these monstrous consequences: that only what the legislator declares to be good is good; that what he declares to be evil is evil, and the rest is indifferent; that the right exists only by virtue of the law, written, which has nothing absolute or immutable about it; that the state of the citizens, the division of powers, the distinction between the just and the unjust are what pleases the sovereign, the efficient cause of the law; that the government of society is not a science, but an art, that is to say something essentially arbitrary, about which one can argue endlessly, without ever being right or wrong; finally that the last word of Politics is force. We will see later how the production of laws is transformed little by little into the description of laws: let us content ourselves, for the present, with pointing out the political and judicial superstitions engendered by the idea of authority.

91. Comme les lois de la nature étaient définies un acte de la volonté divine, de même les lois civiles furent considérées comme l’expression de la volonté du souverain. Dès lors, l’essentiel fut, pour les peuples, non de contrôler la vérité de la loi, mais de s’assurer de l’idonéité du juge, de la légitimité du prince. Or en quoi consistaient cette idonéité et cette légitimité ? Dans la possession de certains signes ou ornements, et dans l’accomplissement de certaines cérémonies. De là une symbolique gouvernementale et judiciaire, faisant pendant à la symbolique religieuse : le roi fut inauguré par une onction ; il porta un sceptre et une couronne, il s’assit sur un trône, et fut l’ombre de Dieu. Le magistrat eut aussi ses insignes, sans lesquels toutes ses opérations eussent été nulles ; les jugements furent assujettis à des formalités, rendus avec appareil, exécutés solennellement. Mais c’est surtout dans la procédure et l’enquête que la superstition établit son règne : il suffit de rappeler les jugements de Dieu, la procédure secrète et la torture. Une sorte d’efficacité étant attribuée à tous ces rites, on finit par y voir la source de la légitimité du prince et de l’infaillibilité du juge ; la personne des rois fut sacrée ; et les jugements justes, c’est-à-dire rendus selon les formes prescrites, devinrent irréformables. — Présentement, les formalités imposées aux tribunaux, débarrassées d’une grande partie de leur antique appareil, se rapprochent davantage des méthodes analytiques et synthétiques ; mais combien il reste à faire encore, et que de résistances à vaincre !….

91. As the laws of nature were defined as an act of the divine will, so the civil laws were considered as the expression of the will of the sovereign. From then on, the essential thing was, for the people, not to inspect the truth of the law, but to make sure of the suitability of the judge, of the legitimacy of the prince. Now, in what did this suitability and this legitimacy consist? In the possession of certain signs or ornaments, and in the performance of certain ceremonies. Hence a governmental and judicial symbolism, matching the religious symbolism: the king was inaugurated by an anointing; he carried a scepter and a crown, sat on a throne, and was the shadow of God. The magistrate also had his insignia, without which all his operations would have been void; judgments were subject to formalities, rendered with apparatus, executed solemnly. But it is especially in the procedure and the investigation that superstition establishes its reign: it is enough to recall the judgments of God, the secret procedures and the torture. A sort of efficacy being attributed to all these rites, one ends up seeing in them the source of the legitimacy of the prince and the infallibility of the judge; the person of the kings was sacred; and judgments just, that is to say rendered according to the prescribed forms, became irreformable. — At the present time, the formalities imposed on the courts, freed of a large part of their ancient apparatus, are closer to analytical and synthetic methods; but how much remains to be done, and how much resistance is there to overcome!….

92. Je ne pousserai pas plus loin ces exemples, que tout le monde peut multiplier à son gré ; je dirai, en me résumant, que la confusion des rapports avec les causes, et l’espoir chimérique, bien que rationnel en un sens, de tout expliquer et de tout produire à l’aide de ces dernières, constituent l’essence de la philosophie ; que c’est elle qui a introduit la superstition dans la religion[6] ; elle qui, par son impuissante méthode, a si longtemps entravé le progrès des sciences ; elle qui a multiplié les discordes, allumé le fanatisme des sectes, légitimé tour à tour le despotisme monarchique et l’ostracisme républicain ; elle enfin qui, par l’effronterie de ses contradictions, a mis en péril la morale, et fait douter de la vertu même.

92. I will not push any further these examples, which anyone can multiply at will; I will say, in summary, that the confusion of the relations with the causes, and the chimerical hope, although rational in a sense, of explaining everything and of producing everything with the aid of the latter, constitute the essence of philosophy; that it was philosophy that introduced superstition into religion; [6]  that, through its impotent method, has so long impeded the progress of science; that multiplied the discords, kindled the fanaticism of sects, legitimizing alternately monarchical despotism and republican ostracism; finally it was philosophy that, through the effrontery of its contradictions, has endangered morality and cast doubt on virtue itself.

93. On doit comprendre à présent pourquoi de ses vastes con-ceptions la philosophie n’a jamais fait sortir que de vaines et im-puissantes théories. Comme elle prétendait, à priori, expliquer et produire les faits par les causes, elle se plaçait en dehors de l’expérience, et toujours l’expérience démentait la philosophie. Aussi voyez les livres des philosophes : grandes annonces, grandes prétentions, élans sublimes, discours magnifiques, style profond, air de mystère ; science nulle. Que de gens ont espéré voir jaillir de sociétés de maçons et rose-croix, des illuminés de Swedenborg et de Weisshaupt, de la théosophie des de Bonald et des de Maistre, de l’expansion d’Azaïs, de la palingénésie de Ballanche, du panthéisme allemand, de l’éclectisme français, et tout récemment des inspirations saint-simoniennes, une lumière pure et ardente, qui embraserait la société et régénérerait le monde ! On voyait des fanatiques, la plupart de bonne foi, épris d’une idée fixe ou éblouis de l’aperception soudaine de quelques rapports généraux, et qui se hâtaient de crier : Accourez tous ; voici la clef du grand arcane, la nature n’a plus de voiles : et l’on avait la complaisance de les écouter et de les suivre.

93. We must now understand why philosophy has never produced anything from its vast conceptions but vain and impotent theories. As it claimed, a priori, to explain and produce facts by causes, it placed itself outside of experience, and experience always belied philosophy. And see the books of the philosophers: great announcements, great pretensions, sublime impulses, magnificent speeches, profound style, an air of mystery, but zero science. How many people have hoped to see a pure and ardent light burst forth from the societies of Masons and Rosicrucians, from the visionaries of Swedenborg and Weisshaupt, from the theosophy of de Bonald and de Maistre, from the expansion of Azaïs, from the palingenesis of Ballanche, from the German pantheism, the French eclecticism, and more recently the Saint-Simonian inspirations, which would set society ablaze and regenerate the world! We have seen fanatics, most of them in good faith, in love with a fixed idea or dazzled by the sudden perception of some general relations, who hastened to cry out: Come on, all of you. Here is the key to the great mystery; nature has no more veils. And we had the indulgence to listen to them and follow them.

94. Le principe des illusions philosophiques est cette espèce de transport, quelquefois passager, souvent durable et opiniâtre, qui suit l’aperception subite d’une haute vérité, ou de rapports imprévus. Cette maladie mentale, particulière aux esprits contemplatifs, n’a point été signalée par les psychologues, peut-être parce qu’en étant atteints la plupart, ils ne pouvaient la reconnaître. Qu’on me permette, avant de terminer cet article, d’en donner la description.

Il n’est pas rare de voir des hommes d’une grande sagacité, d’un jugement exquis, d’une raison supérieure, poursuivis d’une idée qui, semblable à une illumination soudaine, leur a traversé le cerveau, et y produit les imaginations les plus singulières. Tantôt c’est une croyance superstitieuse qui les obsède, et qui, agissant sur toutes leurs idées, semble altérer leur raison ; tantôt ils se croient l’objet de la haine ou de la défiance universelle ; d’autres fois, saisissant de biais une vérité générale et la creusant avec une ardeur incroyable, on les voit s’ingénier à réaliser des hypothèses fantastiques, et se livrer à d’extravagantes spéculations. Chez tous, en remontant à l’origine de leur maladie, on découvre constamment, comme cause déterminante, soit un sentiment, soit une idée.

94. The principle of the philosophical illusions is that kind of [emotional] transport, sometimes transitory, often lasting and obstinate, that follows the sudden perception of a high truth, or of unforeseen relations. This mental illness, peculiar to contemplative minds, has not been pointed out by psychologists, perhaps because, most of them being affected, they could not recognize it. Allow me, before ending this article, to give a description of it.

It is not uncommon to see men of great sagacity, of exquisite judgment, of superior reason, pursued by an idea that has crossed their brains like a sudden illumination, and produced there the most singular imaginations. Sometimes it is a superstitious belief that obsesses them, which, acting on all their ideas, seems to alter their reason; sometimes they believe themselves the object of universal hatred or mistrust; at other times, seizing a general truth sideways and digging into it with incredible ardor, we see them ingeniously realizing fantastic hypotheses, and giving themselves up to extravagant speculations. In all of them, in going back to the origin of their illness, we constantly discover, as the determining cause, either a feeling or an idea.


95. L’un des plus fameux exemples de cette idéomanie a été J.-J. Rousseau, qui, pour avoir très-bien aperçu les vices de la société, prit comme point de départ de ses écrits réformistes un état de nature impossible ; et pour avoir publié une profession de foi déiste avec quelques idées républicaines, et s’être montré peu favorable aux philosophes, crut l’Europe entière liguée contre lui.

Une autre célébrité du même genre fut Marat, né à Boudry dans le canton de Neufchâtel : celui-ci avait calculé que 200,000 têtes abattues sauveraient la révolution ; et, en qualité d’inventeur, il était persuadé que nul autre que lui ne pouvait s’acquitter de cette commission.

Je connais un paysan que ses mauvaises affaires ont fait surnommer le Cudot[7], et son entêtement Brutus, et qui, doué d’ailleurs d’un jugement sain et d’une intelligence peu commune, croit les plus singulières choses qui jamais soient entrées dans l’esprit d’un homme. Ainsi, il est persuadé qu’il existe un moyen occulte dont les ministres ont tous le secret, de pénétrer, à distance et sans communication intermédiaire, la pensée cachée d’un homme. Il prétend sentir en lui-même lorsqu’on le sonde ; et il appelle cet art de sonder, ou inquisitionner, comme il dit, des noms de métaphysique, métamorphose et métempsycose. Il a même forgé, pour son usage, les verbes métaphysiquer et métempsycoser. Lui-même se croit très-fort sur la métaphysique. Si, par exemple, venant à la ville, il aperçoit contre un mur quelque grande affiche en caractères rouges ou bleus, papier orange, il en tire à l’instant des conséquences à perte de vue et extrêmement originales. Une autre de ses imaginations est qu’il existe contre sa famille et lui un vaste complot, dont l’origine remonte au temps de François Ier, et dont l’épiscopat serait l’âme. Cet homme, lorsque ses idées le travaillent, est d’une extrême violence et d’une grande timidité.

Mais le type de la fascination intellectuelle, l’idéomane par excellence, a été l’auteur du Monde industriel, Ch. Fourier. Je donnerai, au chapitre suivant, la psychologie de ce rêveur phénoménal, que personne jusqu’à ce jour ne me semble avoir compris, je n’en excepte aucun de ses disciples, tous rêveurs comme lui.

95. One of the most famous examples of this ideomania was J.-J. Rousseau, who, while having very clearly perceived the vices of society, took as the starting point of his reformist writings an impossible state of nature; and while having published a deistic profession of faith with some republican ideas, and having shown himself little favorable to the philosophers, believed the whole of Europe in league against him.

Another celebrity of the same kind was Marat, born at Boudry in the canton of Neufchâtel: he had calculated that 200,000 slaughtered heads would save the revolution; and, as an inventor, he was persuaded that no one but himself could fulfill this commission.

I know a peasant, nicknamed, on account of his bad business has caused him to nickname the Cudot [7], and, on account of his stubbornness, Brutus, who, endowed otherwise with a sound judgment and an uncommon intelligence, believes the most singular things that ever entered the mind of a man. Thus, he is convinced that there is an occult means, the secret of which is possessed by all the ministers, of penetrating, at a distance and without intermediary communication, the hidden thought of a man. He pretends to feel in himself when he is probed; and he calls this art of probing, or inquisition, as he says, metaphysics, metamorphosis, and metempsychosis. He even forged, for his own use, the verbs to metaphysic and to metempsychose. He himself believes himself very good at metaphysics. If, for example, coming to town, he sees on a wall some large poster in red or blue characters, on orange paper, he immediately draws endless and extremely original conclusions. Another of his imaginations is that there exists against him and his family a vast conspiracy, the origin of which goes back to the time of François I, of which the episcopate would be the heart. This man, when his ideas work on him, is extremely violent and very timid.

But the type of intellectual fascination, the ideomaniac par excellence, was the author of Le Monde Industriel, Ch. Fourier. I will give, in the following chapter, the psychology of this phenomenal dreamer, whom no one until now seems to me to have understood, I do not exclude any of his disciples, all dreamers like him.

96. Or, les hommes dont je parle ne sont ni fous ni maniaques ; mais, s’il est pour les facultés intellectuelles une hallucination analogue à celle des facultés sensitives, je dirai qu’ils sont véritablement hallucinés. Chez l’un, c’est la mémoire qui est frappée ; chez l’autre, le jugement ; chez la plupart, c’est la faculté de généraliser et d’abstraire. L’influence qu’ils exercent sur tout ce qui les approche est quelquefois extraordinaire : en dépit de l’étrangeté de leurs discours, la force de leur conviction, la persévérance de leur conduite, toujours conséquente à leurs idées, les rencontres singulières qui leur arrivent, et qui semblent autant de preuves de la vérité de leurs opinions, leur attirent à la longue des adhérents, souvent plus exaltés qu’eux-mêmes et plus fanatiques. S’ils sont doués de quelque talent, d’une instruction variée, d’une éloquence naturelle, d’une certaine audace de caractère, l’émotion qu’ils produisent, les sympathies qu’ils éveillent, s’étendent comme la flamme, et occasionnent parfois de terribles embrasements. Telle fut la célèbre et infortunée Jeanne Darc. Cette fille, que Voltaire a si indignement violée, que son siècle a trahie, cette pucelle que personne en son temps n’a comprise, et que de nos jours le ciseau d’une autre jeune fille a rendue populaire, n’était point, comme le prétend M. Lélut, hallucinée de l’imagination et des sens ; mais, selon notre définition, hallucinée de l’entendement. Chaste, douce et pieuse, pleine de courage et aimant sa patrie comme une Charlotte Corday, ayant pour toute philosophie, en un siècle d’ignorance, les leçons de son curé, Jeanne Darc était idéomane : son idée fixe était qu’elle devait faire sacrer le roi à Reims et chasser les Anglais. Mais comment expliquer cette hallucination de jeune fille, à laquelle le royaume dut sa délivrance ? Nous ne croyons pas à l’inspiration surnaturelle ; d’ailleurs, l’Église a condamné Jeanne comme sorcière et ne l’a jamais réhabilitée : pour les philosophes, ils n’ont jamais pu que sourire de sa mission politique, tout en admirant son caractère.

Dans certaines organisations, lorsque pour la première fois l’âme passe de l’opération instinctive à l’opération réfléchie, et que l’entendement, d’abord inconscient de lui-même, commence à s’illuminer de la raison, le passage est si prompt, l’éclair est si puissant et si rapide, le saisissement si universel, que l’intelligence, effrayée, éperdue, en reste comme paralysée et perdue dans quelqu’une de ses facultés. Si donc, dans ce moment où une vérité générale s’empare de la conscience, la perception est irrégulière ou incomplète, alors il s’établit pour toujours dans l’âme un préjugé, une superstition, une sorte de vision fantastique, qui obsède et fascine l’individu.

Dans Jeanne Darc, le sentiment patriotique, exalté par les discours du village, lui fit tout à coup entrevoir qu’un coup de main hardi sauverait la nation, et que le sacre du roi, produisant sur le peuple un effet magique, ferait plus de tort aux prétentions des Anglais que le gain d’une bataille. Cette idée, qui lui fut propre, car sans doute elle ne la tint de personne, bien que d’autres eussent pu l’avoir, se transforma bientôt en celle-ci, qu’elle seule, Jeanne Darc, devait exécuter ce dessein. Enfin, toujours assaillie des mêmes pensées comme d’une révélation impérative, incapable de juger un état si nouveau pour elle, croyant écouter, tandis qu’elle raisonnait, Jeanne en vint à prendre son propre jugement pour une voix intérieure : son imagination fit le reste.

96. Now, the men of whom I speak are neither mad nor maniacs; but, if there is for the intellectual faculties a hallucination analogous to that of the sensitive faculties, I will say that they are truly hallucinating. In one, it is the memory that is struck; in the other, judgment; in most it is the faculty of generalizing and abstracting. The influence they exert on everyone who approaches them is sometimes extraordinary: despite the strangeness of their speeches, the strength of their conviction, the perseverance of their behavior, always consistent with their ideas, the singular encounters that arrive, and which seem so many proofs of the truth of their opinions, attract to them in the long run adherents, often more exalted than themselves and more fanatical. If they are endowed with some talent, with a varied education, with a natural eloquence, with a certain audacity of character, the emotion which they produce, the sympathies which they arouse, spread like the flame, and sometimes cause terrible conflagrations. Such was the famous and unfortunate Joan of Arc. This girl, whom Voltaire so unworthily violated, whom her century betrayed, this maid whom no one understood in her day understood, and who in our day has been made popular by the chisel of another young girl, was not, as M. Lélut claims, hallucinating from the imagination and the senses; but, according to our definition, hallucinating from the understanding. Chaste, gentle and pious, full of courage and loving her country like a Charlotte Corday, having for her only philosophy, in a century of ignorance, the lessons of her priest, Joan of Arc was ideomaniac: her fixed idea was that she had to consecrate the king at Reims and drive out the English. But how to explain this young girl’s hallucination, to which the kingdom owed its deliverance? We don’t believe in supernatural inspiration; moreover, the Church condemned Jeanne as a witch and never rehabilitated her: as for the philosophers, they could only smile at her political mission.

In certain organizations, when for the first time the soul passes from instinctive operation to reflective operation, and the understanding, at first unconscious of itself, begins to be illuminated by reason, the passage is so prompt, the flash is so powerful and so rapid, the shock so universal, that the intelligence, frightened and bewildered, remains paralyzed and lost in some of its faculties. If therefore, at this moment when a general truth takes hold of the consciousness, the perception is irregular or incomplete, then there is established forever in the soul a prejudice, a superstition, a sort of fantastic vision, which obsesses and fascinates the individual.

In Joan of Arc, patriotic feeling, exalted by the speeches of the village, made her suddenly glimpse that a bold coup de main would save the nation, and that the coronation of the king, producing a magical effect on the people, would do more harm to the pretensions of the English than the winning of a battle. This idea, which was her own, for no doubt she got it from no one, although others might have had it, was soon transformed into this, that she alone, Joan of Arc, was to carry out this design. Finally, always assailed by the same thoughts as by an imperative revelation, incapable of judging a state so new to her, believing that she was listening, while she reasoned, Joan came to take her own judgment for an inner voice: her imagination did the rest.

97. Je range parmi les hallucinés de cette espèce les philosophes. Le principe de causalité, en se révélant à l’esprit, produisit l’idéomanie universelle et profonde, que j’ai retracée à grands traits, et qui résume à elle seule toutes les superstitions scientifiques, politiques et religieuses. Lorsque l’âme, novice encore, passe sans gradation de l’inconscience aux vives clartés de la raison, elle s’effarouche, se trouble, et en reçoit quelquefois d’irrémédiables atteintes. Voilà ce qui explique pourquoi certaines nations se sont de bonne heure arrêtées dans leur développement. L’explosion de bon sens pratique, de morale élevée et de haute raison fut prodigieuse en Confucius et ses successeurs : les Chinois en furent comme éblouis, et l’on ne saurait dire que leur civilisation ait fait depuis un seul pas.

J’oserai même affirmer que le progrès des idées en Europe vient uniquement du choc des préjugés, des superstitions et hallucinations diverses, qu’engendré la variété des tempéraments et des habitudes. L’antagonisme des idées provoquant incessamment dans les hommes nouveaux des perceptions plus compréhensives, des idées plus générales, leur faisant imaginer des causes toujours supérieures, l’esprit humain, de préjugé en préjugé, d’hypothèse en hypothèse, parvient à saisir les vrais rapports des choses, et s’arrête à la science pure.

C’est ce progrès de la philosophie qu’il me reste à décrire.

97. I rank the philosophers among the hallucinated of this species. The principle of causality, revealing itself to the mind, produced the universal and profound ideomania, which I have traced in broad strokes, and which alone sums up all scientific, political, and religious superstitions. When the soul, still a novice, passes without gradation from unconsciousness to the vivid clarity of reason, it is frightened, troubled, and sometimes subject to irremediable attacks. This is what explains why certain nations have stopped early in their development. The explosion of practical good sense, high morality and lofty reason was prodigious in Confucius and his successors: the Chinese were dazzled by it, and it cannot be said that their civilization has made a single step since then.

I would even dare to affirm that the progress of ideas in Europe comes solely from the clash of prejudices, superstitions and various hallucinations engendered by the variety of temperaments and habits. The antagonism of ideas incessantly provoking in new men more comprehensive perceptions, more general ideas, making them imagine ever higher causes, the human mind, from prejudice to prejudice, from hypothesis to hypothesis, manages to grasp the true relations of things, and stops at pure science.

It is this progress of philosophy that remains for me to describe.

§ II. — Progrès dans la recherche des causes. — Invention de la sophistique.

98. Toutes les superstitions qui ont précédé la constitution de chaque science ont eu la philosophie pour mère : cette assertion ne serait-elle point une calomnie ? — Je montrerai dans ce paragraphe que la partie essentielle de la philosophie, celle sans laquelle les autres n’existent pas, la Logique[8], en un mot, procède du même principe que les erreurs que nous venons de passer en revue, qu’elle est elle-même une hallucination de l’idée de cause.

§II. — Progress in the search for causes. — Invention of sophistry.

98. All the superstitions that preceded the constitution of each science had philosophy for their mother: would not this assertion be a slander? — I will show in this section that the essential part of philosophy, that without which the others do not exist, Logic, [8] in short, proceeds from the same principle as the errors we have just reviewed, that it is itself a hallucination of the idea of cause.

99. On a vu que la Religion, première forme que revêt le sentiment, contemplation extatique de la substance infinie, absorption de l’entendement dans la conception de l’être, n’a point de méthode. Sa dialectique consiste à dire voyez ; et, lorsque voir est impossible, croyez. Quant aux problèmes, soit physiques, soit métaphysiques ou moraux, dont l’esprit de l’homme est invinciblement porté à chercher la solution, la religion se borne à les énoncer sous une expression hiéroglyphique, en un mot, à les symboliser : elle ne les résout pas.

Or, de même que la religion, première manifestation de l’esprit, naît du sentiment de l’existence ; de même la philosophie naît du sentiment de l’activité personnelle, de l’idée de causalité. Ni la religion ni la philosophie ne se demandent si les substances et les causes peuvent être saisies, analysées, connues ; elles croient fermement à leur réalité, parce qu’elles ne peuvent pas ne pas y croire, et cela leur suffit. En vertu de ce double principe, l’une conçoit des attributs et des propriétés, l’autre des phénomènes et des effets, là où nous verrons seulement (ch. iii) des rapports de succession, de juxtaposition, de quantité ou de forme. D’où il suit que savoir, pour la religion, c’est croire à la substance infinie et à ses attributs ; pour la philosophie, c’est saisir les causes et les suivre dans leurs effets ; pour nous, la science consistera dans la classification des rapports et la formation des séries.

99. We have seen that religion, the first form assumed by feeling, the ecstatic contemplation of infinite substance, the absorption of the understanding in the conception of being, has no method. Its dialectic consists in saying see, and, when seeing is impossible, believe. As for the problems, whether physical, metaphysical or moral, the solutions of which the mind of man is irresistibly inclined to seek, religion limits itself to stating them in the form of a hieroglyphic expression, in short, to symbolizing them: it does not not solve them.

Now, just as religion, the first manifestation of the mind, is born from the feeling of existence; in the same way philosophy is born from the feeling of personal activity, from the idea of causality. Neither religion nor philosophy asks whether substances and causes can be grasped, analyzed, known; they firmly believe in their reality, because they cannot not believe in it, and that is enough for them. By virtue of this double principle, the one conceives of attributes and properties, the other of phenomena and effects, where we will only see (ch.  iii) relations of succession, juxtaposition, quantity or form. Whence it follows that to know, for religion, is to believe in infinite substance and its attributes; for philosophy, it is to grasp the causes and follow them in their effects; for us, science will consist in the classification of relations and the formation of series.

100. Qu’est-ce donc qui distingue les alchimistes, les astrologues, les sorciers, des philosophes ? Rien, si ce n’est l’objet auquel les uns et les autres appliquent le principe de causalité. Pendant que ceux-là se flattent de produire des effets miraculeux en dirigeant l’action des puissances naturelles ou des causes, les philosophes, bornant leur sphère à la métaphysique et à la morale, se proposent d’arriver à la connaissance du vrai par la filiation des idées. Le procédé des uns et des autres est le même : saisir la cause, la puissance, le principe, et en faire jaillir le phénomène, le mouvement, l’idée. L’identité de méthode est tellement vraie qu’on la rencontre partout : partout on a vu, d’un côté, des magiciens et des astrologues, qui dans le fond n’étaient que de mauvais physiciens, chercher dans les forces de la matière des moyens de créer, de métamorphoser et de prédire ; de l’autre, des raisonneurs se persuader qu’avec des arbres généalogiques d’idées, ils résoudraient en dehors de l’expérience et de l’analyse les problèmes relatifs à l’homme et à la société.

100. What then distinguishes alchemists, astrologers and sorcerers from philosophers? Nothing, except the objects to which each apply the principle of causality. While the former flatter themselves that they produce miraculous effects by directing the action of natural powers or causes, the philosophers, limiting their sphere to metaphysics and morals, propose to arrive at the knowledge of truth by the filiation of ideas. The process of both is the same: seize the cause, the power, the principle, and make the phenomenon, the movement, the idea burst forth. The identity of method is so true that we meet it everywhere: everywhere we have seen, on the one hand, magicians and astrologers, who basically were only bad physicists, seek in the forces of matter means of creating, of metamorphosing and of predicting; on the other hand, reasoners persuade themselves that with the genealogical trees of ideas, they would resolve, outside of experience and analysis, the problems relating to man and to society.

101. Cette préoccupation de l’esprit humain paraît avoir été dans sa plus grande intensité vers les quatrième et cinquième siècles avant notre ère, au temps où vécurent, en Grèce, Socrate, Platon, et les sophistes : aux Indes, les gymnosophistes Gotama, Kanada, et autres.

Or, toutes les fois qu’une opinion, une pensée, une tendance quelconque, agite et gouverne un grand nombre d’hommes, tôt ou tard il se rencontre un individu en qui la pensée générale se concentre et se formule, et qui en devient le représentant, le théoricien, l’organe. Tel fut, pour me renfermer en un seul exemple, Aristote.

Aristote n’a point inventé la logique : comme de la comparaison des gouvernements il avait déduit une politique ; de la comparaison des orateurs, une rhétorique ; de la comparaison des poètes, une poétique : de même de l’analyse et de la comparaison des sophistes, il déduisit la logique, mais, on peut le dire, sans garantie de sa part, et sous bénéfice d’inventaire. Aristote ne fut pas plus créateur en ceci que dans ses autres ouvrages : il décrivit, ou réduisit en théorie les procédés dialectiques usités de son temps et avant lui, par les philosophes de toutes les écoles sans exception. Aussi Aristote distinguait-il la philosophie de la science, qu’il nommait épistémé, connaissance des choses susceptibles d’être démontrées. Il avait vu que la sophistique ne produit pas la certitude.

Je parlerai en leur lieu de la méthode de Socrate et des idées de Platon.

101. This preoccupation of the human mind seems to have reached its greatest intensity towards the fourth and fifth centuries before our era, at the time when, in Greece, Socrates, Plato, and the sophists lived, and in India, the gymnosophists Gotama, Kanada, and others.

Now, whenever an opinion, a thought, any tendency whatever, agitates and governs a large number of men, sooner or later an individual is found in whom the general thought is concentrated and formulated, and who becomes the representative, the theoretician, the organ. Such was, to confine myself to a single example, Aristotle.

Aristotle did not invent logic. As from the comparison of governments he had deduced a politics; from the comparison of speakers, a rhetoric; from the comparison of the poets, a poetics; likewise from the analysis and comparison of the sophists, he deduced logic, but, one can say, without guarantee on his part, and with reservations. Aristotle was no more creative in this than in his other works. He described, or reduced to theory, the dialectical procedures used in his time and before him by philosophers of all schools, without exception. Also Aristotle distinguished philosophy from science, which he called episteme, knowledge of things capable of being demonstrated. He had seen that sophistry does not produce certainty.

I will speak instead of the method of Socrates and the ideas of Plato.

102. L’art des sophistes, décrit par Aristote, est renfermé tout entier dans la théorie du syllogisme.

Or, le syllogisme, de quelque manière qu’on le construise, se réduit invariablement à une seule opération : extraire d’une proposition générale (que l’on considère comme mère, puissance, cause, ou contenant) une proposition particulière (que l’on regarde comme fille, produit, ou contenu). Cette extraction se fait à l’aide d’une proposition intermédiaire, qui figure le rapport de la cause à l’effet.

Ainsi le syllogisme renferme trois termes : une proposition mère ou génératrice qu’on appelle majeure ; une proposition instrument, qu’on appelle mineure ; une proposition engendrée, qui se nomme conséquence. — On donne aussi aux deux premières propositions le nom commun de prémisses.

Tout syllogisme doit renfermer au moins une proposition générale, soit affirmative, soit négative. La raison en est claire : la cause doit impliquer l’effet, la mère être plus âgée que la fille, le principe précéder la conséquence, la puissance être capable de l’effort, etc.

Dans la construction du syllogisme, la proposition générale peut occuper indifféremment la première ou la deuxième place : en effet, c’est de la combinaison des prémisses, de la cause mise en action, que doit jaillir, comme l’éclair jaillit d’une batterie électrique, la conséquence.

Je laisse de côté les détails gymnastiques et stratégiques des auteurs, sur l’art d’employer le syllogisme, soit pour l’attaque, soit pour la défense. Les curieux peuvent consulter la logique de Port-Royal, ou celle de Bossuet, ou celle de Kant, et lire les aventures merveilleuses des argumentateurs célèbres, Protagoras, Gorgias, Dicéarque, Abailard, Guillaume de Champeaux, et autres, qui furent les preux du syllogisme. Contentons-nous d’analyser cette méthode, et montrons que, lors même qu’elle rencontre juste, ses conclusions sont toujours illégitimes.

102. The art of the sophists, described by Aristotle, is contained entirely in the theory of the syllogism.

Now, the syllogism, however it may be constructed, is invariably reduced to a single operation: to extract from a general proposition (which we consider as mother, power, cause, or container) a particular proposition (which we regard as daughter, product, or content). This extraction is done with the help of an intermediate proposition, which represents the relation of cause to effect.

Thus the syllogism contains three terms: a mother or generative proposition that is called major; an instrumental clause, which is called minor; a proposition generated, which is called consequence. — The first two propositions are also given the common name of premises.

Every syllogism must contain at least one general proposition, either affirmative or negative. The reason is clear: the cause must imply the effect, the mother must be older than the daughter, the principle must precede consequence, the power be capable of the effort, etc.

In the construction of the syllogism, the general proposition can occupy either the first or the second place. Indeed, it is from the combination of the premises, of the cause put into action, that must spring, as the lightning springs from a electric battery, the consequence.

I leave aside the gymnastic and strategic details of the authors, on the art of employing the syllogism, either for attack or for defense. The curious can consult the logic of Port-Royal, or that of Bossuet, or that of Kant, and read the marvelous adventures of the famous controversialists: Protagoras, Gorgias, Dicéarque, Abailard, Guillaume de Champeaux, and others, who were the champions of the syllogism. Let us content ourselves with analyzing this method, and show that, even when it is correct, its conclusions are always illegitimate.

103.

SYLLOGISME
     
Majeure.   Tout homme est mortel
Mineure.   Or Pierre est homme.
Conclusion.   Donc Pierre est mortel.

103.

SYLLOGISM
     
Major.   Every man is mortal.
Minor.   Now, Pierre is a man.
Conclusion.   Thus, Pierre is mortal.

Certes, il serait difficile de citer un meilleur syllogisme. La conclusion est sûre, et il n’entre pas dans mon esprit de la contester : je dis seulement que cette démonstration d’une vérité certaine ne vaut absolument rien.

Le vice radical de tout syllogisme est que la majeure est une hypothèse qui, loin de donner la certitude à la conséquence, la reçoit d’elle au contraire. En effet, Tout homme, dit-on, est mortel. Je ne remarquerai point que, dans l’état actuel des sciences, cette proposition ne saurait être démontrée à priori ; je ne demanderai pas si la mortalité de l’homme est un résultat nécessaire de l’organisation, et comment, pourquoi ?… D’après une tradition respectable, l’homme aurait été créé incorruptible : d’où vient qu’il ne l’est plus ? pourquoi l’équilibre entre la nutrition et l’excrétion, l’absorption et l’exhalation n’est-il pas tel qu’une jeunesse perpétuelle en soit le résultat ? pourquoi faut-il que l’homme vieillisse enfin ? Les philosophes spiritualistes et les théosophes nous promettent, après la mort, une vie nouvelle et impérissable : pourquoi cette vie ne commence-t-elle pas dès maintenant ? pourquoi une transition ?… Et, si cette espérance est fondée, qui nous dit qu’un jour, par le perfectionnement de l’espèce, la vie présente n’acquerra pas l’incorruptibilité ultra-mondaine ? Longtemps on a cru à la possibilité d’échapper à la mort ; on en a même cité des exemples. Preuve sans réplique que la première expérience que l’homme a faite du trépas n’a point suffi pour lui en démontrer la nécessité, qu’en cela, comme en tant d’autres choses, le particulier ne lui a pas immédiatement donné la révélation du général. — Encore une fois, je laisse toutes ces considérations ; j’admets que la proposition Tout homme est mortel soit prouvée, et je me borne à demander comment s’est faite la démonstration ? Sans doute en recherchant quels individus réunissent les caractères de mortalité, puis en formant de ces individus un groupe ou genre, qu’on aura appelé groupe des mortels ou des hommes. Il n’y a pas d’autre marche à suivre. Donc, puisque le genre n’est autre que la collection des espèces, la certitude du particulier est antérieure à la certitude du général ; donc, rigoureusement, la majeure de tout syllogisme n’est vraie qu’autant que la conclusion est prouvée, et le syllogisme n’est en lui-même qu’un cercle vicieux ou une pétition de principe.

Certainly, it would be difficult to cite a better syllogism. The conclusion is certain, and it does not enter my mind to contest it: I am only saying that this demonstration of a certain truth is worth absolutely nothing.

The radical vice of any syllogism is that the major hypothesis is one that, far from giving certainty to the consequence, receives it from it on the contrary. Indeed, every man, they say, is mortal. I will not remark that, in the actual state of the sciences, this proposition cannot be demonstrated a priori; I will not ask if the mortality of man is a necessary result of his organization, and how, why?… According to a respectable tradition, man would have been created incorruptible: how does it happen that he is no longer? Why is the balance between nutrition and excretion, absorption and exhalation not such that perpetual youth is the result? Why must man finally grow old? Spiritualist philosophers and theosophists promise us, after death, a new and imperishable life: why does this life not begin now? Why a transition?… And, if this hope is well-founded, who can say that one day, through the perfection of the species, the present life shall not acquire ultra-worldly incorruptibility? For a long time we believed in the possibility of escaping death; examples have even been cited. Unanswerable proof that man’s first experience of death was not enough to demonstrate to him its necessity, that in this, as in so many other things, the particular did not immediately give him the revelation of the general. — Again, I set aside all these considerations; I accept that the proposition Every man is mortal is proven, and I confine myself to asking how was the demonstration made? No doubt by researching which individuals unite the characteristics of mortality, then by forming of these individuals a group or genus, which will have been called the group of mortals or men. There is no other way to go. Therefore, since the genus is nothing other than the collection of species, the certainty of the particular is prior to the certainty of the general; therefore, rigorously, the major premise of any syllogism is true only insofar as the conclusion is proved, and the syllogism is in itself only a vicious circle or a question of principle.

104. Lorsque Descartes a dit : Je pense ; donc je suis ; s’il a voulu dire seulement (chose d’ailleurs probable) que, d’après notre manière de concevoir, ce qui pense à plus forte raison est, ou, en d’autres termes, indiquer le rapport de classification entre l’être et la pensée, c’est-à-dire entre l’être et l’être pensant, Descartes a parlé juste. Mais s’il a prétendu, comme tout le monde paraît l’avoir compris, déduire du fait de la pensée la réalité de l’existence, il a fait un cercle vicieux. En effet, qu’est-ce, pour nous, qu’exister ? c’est, au plus bas degré, avoir la solidité, l’impénétrabilité, la gravitation ; à un degré supérieur, sentir, croître, se mouvoir ; au degré le plus élevé, vouloir et raisonner. La majeure sous-entendue dans le cogito ergo sum de Descartes n’est donc pas autre chose qu’un genre abstraitement formé par nous sur des apparences ou modalités particulières : mais comme, selon la remarque de Kant, le concept de modalité ne renferme pas celui de substance, la réalité substantielle de ces apparences n’est pas prouvée par leur classification.

104. When Descartes said: I think; therefore I am; if he only wanted to say (something quite probable) that, according to our way of conceiving, what thinks must even more certainly exist, or, in other words, to indicate the relation of classification between being and thought, that is to say between being and thinking being, Descartes spoke correctly. But if he claimed, as everyone seems to have understood, to deduce the reality of existence from the fact of thought, he has made a vicious circle. Indeed, what is it, for us, to exist? it is, in the lowest degree, to have solidity, impenetrability, gravitation; at a higher level, to feel, to grow, to move; in the highest degree, will and reason. The major premise implied in the cogito ergo sum of Descartes is therefore nothing other than a genus abstractly formed by us on particular appearances or modalities: but since, according to Kant’s remark, the concept of modality does not include that of substance, the substantial reality of these appearances is not proven by their classification.

105. Arguments de l’immatérialité et de l’immortalité de l’âme

Ce qui pense est nécessairement indivisible :
Or la matière est divisible à l’infini ;
Donc le moi pensant n’est pas matière.
— La mort n’est que la division des parties :
Or l’âme ne peut être divisée ;
Donc l’âme est immortelle.

Ces deux syllogismes, longtemps regardés comme inattaquables, sont basés sur des généralités dénuées de certitude.

1o La science ne nie ni n’affirme que ce qui pense soit indivisible ; elle n’en sait rien : mais elle nie qu’on puisse démontrer la divisibilité à l’infini de la matière, et plusieurs physiciens ont pris décidément parti contre cette opinion. La substance de l’âme pourrait donc être une particule matérielle, indivisible, si l’on veut, atomiquement, mais soumise, comme toute autre, aux phénomènes d’affinité et de composition chimique. D’après cela, la monade qui pensait dans le cerveau de Newton ne serait point anéantie ; mais elle pourrait avoir passé indifféremment dans la pulpe d’une orange, dans le pis d’une chèvre ou dans la tête d’un enfant.

2o La mort, ajoute-t-on, n’est que la division des parties. — Mais s’il est une vérité reconnue en physique, c’est que la matière, divisible ou non à l’infini, est indestructible. Ce qui périt par la mort, c’est un aggrégat, un organisme, capable de certains effets spontanés et de certains mouvements. L’unité de substance, exclusivement attribuée à l’âme, ne lui donnerait donc aucun avantage sur la matière.

3o L’âme, dit-on, est indivisible, parce que la pensée est indivisible. Mais, observait Kant, l’auteur des catégories, c’est confondre mal à propos les concepts de quantité et de qualité : rien n’autorise à dire que l’attribut de la pensée soit en même temps l’attribut du sujet.

4o Qui nous assure, en effet, que la pensée ne puisse être aussi bien l’effet d’une synthèse organique que le produit d’une force simple et indivisible ? Connaissons-nous toutes les propriétés de la matière ? pouvons-nous limiter la puissance de ses organismes ? Pour moi, je ne vois point qu’il soit nécessaire de recourir à des forces occultes à mesure que l’on parcourt l’échelle des êtres ; et si je conçois qu’il y ait progrès du cristal à la plante, de la plante à l’insecte, et de celui-ci au quadrupède, je conçois aussi qu’il y ait progrès du quadrupède à l’homme. J’entrevois, d’après cette gradation, comment se constituent l’unité et la simplicité du moi humain ; je n’ai pas besoin pour cela de recourir à la présence d’un agent inconnu. Quoi donc ! faudra-t-il admettre des âmes de singes, des âmes de poissons, des âmes de chenilles, des âmes de poiriers et des âmes de champignons ?… Je n’ai garde, assurément, de donner ces analogies pour des preuves ; je ne les offre que comme probabilités ; et, contre le syllogisme plus haut proposé, cela me suffit ; je réponds à une généralité par une autre.

105. Arguments for the immateriality and immortality of the soul

What thinks is necessarily indivisible: 

Now matter is infinitely divisible; 

Therefore the thinking self is not matter.

— Death is only the division of parts: 

Now the soul cannot be divided; 

Therefore the soul is immortal.

These two syllogisms, long regarded as unassailable, are based on generalities devoid of certainty.

1. Science neither denies nor affirms that what thinks is indivisible; it knows nothing about it: but it denies that we can demonstrate the infinite divisibility of matter, and several physicists have decidedly taken sides against this opinion. The substance of the soul could therefore be a material particle, indivisible, if you will, atomically, but subject, like any other, to the phenomena of affinity and chemical composition. According to this, the thinking monad in Newton’s brain would not be annihilated; but it could have passed indifferently through the pulp of an orange, the udder of a goat or the head of a child.

2. Death, it is added, is only the division of parts. — But if there is one recognized truth in physics, it is that matter, infinitely divisible or not, is indestructible. What perishes by death is an aggregate, an organism, capable of certain spontaneous effects and certain movements. The unity of substance, exclusively attributed to the soul, would therefore give it no advantage over matter.

3. The soul, it is said, is indivisible, because thought is indivisible. But, observed Kant, the author of the categories, this is to confuse the concepts of quantity and quality inappropriately: nothing authorizes us to say that the attribute of thought is at the same time the attribute of the subject.

4. Who assures us, in fact, that thought cannot be as much the effect of an organic synthesis as the product of a simple and indivisible force? Do we know all the properties of matter? Can we limit the power of its organisms? For my part, I do not see that it is necessary to have recourse to occult forces as one traverses the scale of beings; and if I conceive that there is progress from the crystal to the plant, from the plant to the insect, and from the latter to the quadruped, I also conceive that there is progress from the quadruped to the man. I glimpse, according to this gradation, how the unity and the simplicity of the human self are constituted; I do not need for that to have recourse to the presence of an unknown agent. What then! Will it be necessary to admit the souls of monkeys, the souls of fish, the souls of caterpillars, the souls of pear trees and the souls of mushrooms?… I am certainly careful not to give these analogies as proofs; I offer them only as probabilities; and, against the syllogism proposed above, that is enough for me. I respond to one generality with another.

106. Dans le syllogisme analysé au no 103, la majeure était une roposition générale vraie ; dans les deux syllogismes que je viens d’examiner, comme dans ceux qui vont suivre, les propositions générales sont de pures hypothèses, que rien absolument ne démontre. C’est la marche ordinaire de la philosophie : sur un fait mal défini, sur une analogie vague, elle établit une proposition universelle, d’où elle tire des conséquences à l’infini.

106. In the syllogism analyzed in No. 103, the major premise was a true general proposition; in the two syllogisms that I have just examined, as in those that are about to follow, the general propositions are pure hypotheses, which absolutely nothing demonstrates. This is the ordinary course of philosophy: on an ill-defined fact, on a vague analogy, it establishes a universal proposition, from which it draws consequences ad infinitum.

SYLLOGISME SUR L’AUTEUR DU MAL

Le mal ne peut être l’effet que d’une nature intelligente et libre :

     
Or { 1° Dieu est l’être souverainement bon et parfait ;

2° Au contraire l’homme est curieux, indiscret, borné dans ses moyens, asservi a ses sens, sujet à l’erreur, etc. ;

Donc l’homme est auteur du mal.

Ce sophisme a été formulé en dogme par Rousseau, dans la première phrase d’Émile. « Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses ; tout dégénère entre les mains de l’homme. » Depuis que l’homme existe, la Religion et la Philosophie se sont accordées à le charger de tous les désordres de ce bas monde. Mais si, comme on le croit généralement, l’homme est sorti le dernier des mains du Créateur, d’où sait-on que le mal n’a paru sur la terre qu’à son arrivée ? d’où sait-on que le mal n’est point inhérent à la nature, une condition de la création ? Comment l’homme, né de Dieu tout bon et tout sage, a-t-il pu avoir une volonté mauvaise ? comment a-t-il pu se tromper ? pourquoi, si la raison ne lui devait venir que par degrés, un instinct sûr, en attendant, ne la suppléait-il pas ? Qui sait même si, au lieu de dire tout dégénère entre les mains de l’homme, nous ne devons pas croire que la destinée de l’homme est de procurer l’amélioration de tout ?…

Le respect d’un Dieu inconnu, la crainte de faire planer sur lui un soupçon injurieux à sa puissance et à sa bonté ont fait seuls imaginer l’horrible dogme d’une souillure originelle, et les expiations sanglantes qui en ont été la suite : c’est ce dogme qui a inspiré les sacrifices humains connus sous le nom d’actes de foi, les macérations et les extravagances des ascètes, le délire des stylites et des fakirs, et tant de pratiques abominables ou ridicules, depuis les reliques authentiquées du pape jusqu’aux pastilles du grand Lama.

SYLLOGISM ON THE AUTHOR OF EVIL

Evil can only be the effect of an intelligent and free nature:

Now:

1. God is the supremely good and perfect being;

2° On the contrary, man is curious, indiscreet, limited in his means, enslaved to his senses, subject to error, etc.;

Therefore, man is the author of evil.

This sophism was formulated into dogma by Rousseau, in the first sentence of Emile. “All is well coming out of the hands of the Author of things; everything degenerates in the hands of man. Since man has existed, Religion and Philosophy have agreed to charge him with all the disorders of this lower world. But if, as is generally believed, man emerged last from the hands of the Creator, how do we know that evil only appeared on earth when he arrived? How do we know that evil is not inherent in nature, a condition of creation? How could man, born of God, who is all good and all wise, have had an evil will? How could he be mistaken? Why, if reason was to come to him only by degrees, did not a sure instinct, in the meantime, supply it? Who knows even if, instead of saying everything degenerates in the hands of man, we must not believe that the destiny of man is to provide the improvement of everything?…

Respect for an unknown God, the fear of making a suspicion insulting to his power and his goodness hover over him, alone made us imagine the horrible dogma of an original defilement, and the bloody expiations that followed it. It is this dogma that has inspired the human sacrifices known as acts of faith, the macerations and extravagances of the ascetics, the delirium of the stylites and fakirs, and so many abominable or ridiculous practices, from the authenticated relics of the pope to the pastilles of the great Lama.

107. J’emprunte le syllogisme suivant à l’école phalanstérienne.

L’organisation sociale est la combinaison régulière des forces individuelles ;
Or, la combinaison des forces est essentiellement subordonnée à l’accord des passions ;
Donc, organiser la société, c’est harmoniser les passions[9].

Le vice de ce raisonnement, comme de tous les syllogismes du monde, consiste à affirmer, sans preuves, une proposition générale, puis à passer de cette proposition hypothétique à une autre encore plus douteuse, et qui souvent en est séparée par des abîmes.

a) « L’organisation sociale est la combinaison régulière des forces individuelles. »

C’est probable : mais, bien que cette proposition puisse être vraie, elle n’est pas autre chose qu’une formule, c’est-à-dire le résumé d’une analyse qui épuiserait tous les faits d’organisation. Or, une formule est précisément ce qui a le plus besoin d’être démontré ; elle ne se pose pas, de prime-abord, comme principe. Sais-je, en effet, tout ce qui peut être affirmé de l’organisation sociale ? Ai-je saisi tous les points de vue d’après lesquels on peut la définir ? Faut-il ne voir dans les hommes que des travailleurs, et dans la société qu’un atelier ? et puis-je accorder une majeure qui suppose juste ce qui est en question ?

b) « La combinaison des forces est essentiellement subordonnée à l’accord des passions. »

Autre formule qu’il eût fallu démontrer. La force est-elle produite ou seulement excitée par la passion ? qu’est-ce que la force ? qu’est-ce que la passion ? La force est-elle dépendante de la passion, au point que la régularisation de celle-là ne puisse être obtenue que par la satisfaction de celle-ci ? et pourquoi ?… Il n’y a pas de fin aux questions que cette mineure soulève.

c) « Donc organiser la société, c’est harmoniser les passions. »

Pourquoi ne serait-ce pas plus simplement harmoniser les forces, c’est-à-dire le travail ? Quelle nécessité de remonter aux causes, tandis que l’on peut obtenir le même résultat en s’arrêtant à leurs effets ? Et qui nous dit que, dans le cas dont il s’agit, régulariser les effets ne soit pas gouverner les causes ; que discipliner les actions ne soit pas précisément harmoniser les passions ?

Ici, je ne dispute point sur la valeur du système de Fourier ; qu’il soit vrai ou faux, peu importe : je constate seulement que la méthode syllogistique par laquelle ses disciples s’efforcent de le démontrer est radicalement nulle.

107. I borrow the following syllogism from the Phalansterian school.


Social organization is the regular combination of individual forces;

Now, the combination of forces is essentially subordinated to the agreement of the passions;

Therefore, to organize society is to harmonize the passions [9] .

The vice of this reasoning, as of all the syllogisms in the world, consists in affirming, without proof, a general proposition, then in passing from this hypothetical proposition to another still more doubtful, and which is often separated from it by abysses.

a) “Social organization is the regular combination of individual forces.”

It is probable, but, although this proposition may be true, it is nothing but a formula, that is to say the summary of an analysis that would exhaust all the facts of organization. Now, a formula is precisely what most needs to be demonstrated; it does not arise, at first glance, as a principle. Do I know, in fact, all that can be affirmed of social organization? Have I grasped all the points of view from which it can be defined? Should we see in men only workers, and in society only a workshop? And can I agree a major major that just assumes what is in question?

b) “The combination of forces is essentially subordinated to the agreement of the passions.”

Another formula that should have been demonstrated. Is force produced or only excited by passion? What is force? What is passion? Is force dependent on passion, to the point that the regularization of the former can only be obtained by the satisfaction of the latter? And why?… There is no end to the questions this minor premise raises.

c) “So to organize society is to harmonize the passions.”

Why wouldn’t it be more simply to harmonize the forces, that is to say the work? What need to go back to the causes, when one can obtain the same result by stopping at their effects? And who can say that, in the case in question, to regularize the effects is not to govern the causes; that disciplining actions is not precisely harmonizing the passions?

Here I am not disputing the value of Fourier’s system. Whether it is true or false matters little. I only observe that the syllogistic method by which his disciples endeavor to demonstrate it is fundamentally invalid.

108. L’auteur que je viens de citer ajoute :

« Donc, puisque ce sont les passions qui dirigent, c’est par l’étude des passions qu’il faut aborder la solution du problème social. »

Voilà l’illusion perpétuelle des philosophes : se rendre maîtres de causes par elles-mêmes incoercibles, afin de produire des effets préconçus. Remarquons, en outre, dans ce dernier passage, la confusion des idées de force, cause, puissance, agent ou moteur, avec celles de règle, direction, loi, mesure. Les passions sont tout au plus les forces motrices et impulsives des actions ; mais, en déterminant la volonté, elles obéissent à certaines indications du sens intime, qu’on appelle motifs. Le motif est à la passion ce que la morale est à la physiologie, ce qu’une direction bien calculée est à une fougue aveugle et imprudente. Selon que les motifs sont bons ou mauvais, les actions deviennent utiles ou funestes : la passion, l’essor qui nous fait agir, est par elle-même indifférente au bien et au mal.

J’accorderai volontiers que les motifs par lesquels on a prétendu jusqu’ici gouverner les passions, considérés scientifiquement, sont détestables : mais cela ne prouve pas que la physiologie des passions, séparée de l’étude des motifs, puisse seule conduire à la régularisation de la société : et quand on aura bien préconisé l’utilité, la sainteté et l’orthodoxie des passions, on ne sera pas plus avancé que si l’on avait fait un long discours pour démontrer que l’homme qui veut vivre a besoin de manger. Car, en bonne hygiène, la question n’est pas de savoir si manger est une chose utile et permise, mais ce qu’il convient et combien il convient que l’homme mange. Bien loin que l’appétit puisse en cela servir de règle, l’expérience prouve qu’il est de sa nature insatiable : comparez la dépense comestible d’un vieux gastronome avec celle d’un jeune soldat ; la soif de maîtresses d’un célibataire à cheveux blancs avec la continence d’un robuste campagnard marié[10].

108. The author I have just quoted adds:

“So, since it is the passions that govern, it is through the study of the passions that the solution of the social problem must be approached.”

This is the perpetual illusion of the philosophers: to make themselves masters of causes that are in themselves incoercible, in order to produce preconceived effects. Note, moreover, in this last passage, the confusion of the ideas of force, cause, power, agent or motor, with those of rule, direction, law, measure. The passions are at most the driving and impulsive forces of actions; but, in determining the will, they obey certain indications of the intimate sense, which are called motives. Motive is to passion what morality is to physiology, what a well-calculated direction is to blind and imprudent ardor. Depending on whether the motives are good or bad, the actions become useful or harmful: passion, the impetus that makes us act, is by itself indifferent to good and evil.

I will willingly grant that the motives by which we have hitherto claimed to govern the passions, considered scientifically, are detestable, but that does not prove that the physiology of the passions, separated from the study of motives, can alone lead to the regularization of society. And when we have properly encouraged the utility, sanctity and orthodoxy of the passions, we will be no further advanced than if we had made a long speech to demonstrate that the man who wants to live needs to eat. For, in good hygiene, the question is not whether eating is a useful and permissible thing, but what and how much it is appropriate for man to eat. Far from appetite being able to serve as a rule in this, experience proves that it is insatiable by nature: compare the expenditure for food of an old gourmet with that of a young soldier; the thirst for mistresses of a white-haired bachelor with the continence of a robust country groom. [10]

109. Toute preuve fournie par voie de syllogisme peut être infirmée par un autre syllogisme : c’est ce qui ne manque pas d’arriver dans les disputes, pour peu que les parties déploient d’habileté.

Ainsi au premier syllogisme que nous avons analysé, Pierre est mortel, on a répondu, il y a bien longtemps, par cet autre :

Ce qui fait mourir, c’est la peine, la douleur, la misère, les qualités grossières, et morbifiques des aliments, le défaut d’équilibre dans les fonctions :

Or, on peut concevoir un état social et un milieu tel que ces causes de mort n’existent pas ;

Donc alors l’homme ne serait plus mortel.

Ce syllogisme, qu’on trouve dans tous les traités de théologie, et que Malebranche a développé dans sa Recherche de la vérité, n’est autre que la fable du Paradis terrestre, formulée en abstraction.

Au syllogisme sur l’immortalité de l’âme on a répondu, comme je l’ai rapporté (105), par un syllogisme tiré de la loi de progrès, et de la communauté organique qui rattache l’homme aux animaux, aux plantes, aux cailloux.

Au syllogisme sur l’origine du mal on a opposé celui-ci :

Si l’homme est auteur du mal, ou Dieu a prévu que sa créature abuserait de sa liberté, ou il n’est pas omniscient.
S’il l’a prévu, et qu’il ne l’ait pas empêché, il est impuissant ;
S’il a pu l’empêcher, et qu’il ne l’ait pas voulu, il est méchant.

En un mot, on a dit : Dieu est tout-puissant ; or le mal existe, donc Dieu est inexcusable.

Cet effroyable syllogisme, dont toute la force s’évanouit dès qu’on abandonne la conception anthropomorphique des attributs de Dieu, se dressant comme un fantôme sorti de l’enfer, a donné le cauchemar à toutes les cervelles de docteurs ; et de leurs longues et tribulantes insomnies sont nés les systèmes fameux sur la grâce, le libre arbitre, la prédestination, le double principe, le Paraclet, etc. : excréments de l’intelligence, qui ont infecté pendant des siècles la raison des peuples.

Enfin, contre les partisans de la réhabilitation des passions, on a opposé la foi et l’expérience universelle :

Tous les maux de l’humanité viennent des passions ;
Plus on leur lâche la bride, plus le crime abonde ; — moins on leur accorde au contraire, plus on s’élève dans la vertu :
Donc, il faut réprimer, dompter, anéantir les passions ; — donc, il faut des prisons, des bourreaux, des gendarmes, des diables, pour intimider les passions, etc.

109. Any proof furnished by means of a syllogism can be invalidated by another syllogism: this is what never fails to happen in disputes, provided the parties display skill.

Thus to the first syllogism that we analyzed, Pierre is mortal, we answered, a long time ago, by this other:

What makes you die is the pain, the pain, the misery, the coarse qualities and morbific foods, the lack of balance in the functions:

Now, one can conceive of a social state and an environment such that these causes of death do not exist;

So then man would no longer be mortal.

This syllogism, which is found in all theological treatises, and which Malebranche developed in his Recherche de la vérité, is none other than the fable of the Terrestrial Paradise, formulated in abstraction.

The syllogism on the immortality of the soul has been answered, as I have reported (105), by a syllogism drawn from the law of progress, and from the organic community that links man to animals, plants, to stones.

To the syllogism on the origin of evil we have opposed this:

If man is the author of evil, or God has foreseen that his creature would abuse his freedom, or he is not omniscient;

If he foresaw it, and did not prevent it, he is powerless;

If he was able to prevent it, and he did not want to, he is wicked.

In short, it has been said: God is all-powerful, but evil exists; therefore God is inexcusable.

This frightful syllogism, the full force of which vanishes as soon as one abandons the anthropomorphic conception of the attributes of God, rising like a phantom out of hell, has given the brains of all the doctors nightmares; and from their long and tribulating insomnia were born the famous systems of grace, free will, predestination, the double principle, the Paraclete, etc.: excrements of the intelligence, which for centuries have infected the reason of the people.

Finally, against the partisans of the rehabilitation of the passions, faith and universal experience have been opposed:

All the evils of humanity come from the passions;

The more we loosen their rein, the more crime abounds; — the less we grant them, on the contrary, the more we rise in virtue:

Therefore, it is necessary to repress, tame, annihilate the passions; — therefore, we need prisons, executioners, policemen, devils, to intimidate the passions, etc.

110. Le résultat final de cette méthode d’argumentation devait être le suicide de la philosophie. Le scepticisme est l’inévitable conséquence de la logique d’Aristote.

En fait, certaines idées nous paraissent vraies, certaines autres fausses ; de plus, nous revenons à tout moment d’opinions que nous avions d’abord admises ; nos jugements sont pleins de contradictions, et nous savons que les sens, la conscience, le raisonnement nous trompent. On demande donc, d’une part, si la raison a un moyen quelconque de s’assurer de la vérité et de redresser ses jugements ; de l’autre, si ce qui lui semble invinciblement vrai, est vrai. C’est à quoi l’on a fait la désespérante réponse que voici :

110. The end result of this method of argument was to be the suicide of philosophy. Skepticism is the inevitable consequence of Aristotle’s logic.

In fact, some ideas seem true to us, some others false; moreover, we turn constantly from opinions that we had initially accepted; our judgments are full of contradictions, and we know that the senses, the conscience and the reason deceive us. We therefore ask, on the one hand, if reason has any means whatever of ascertaining the truth and of correcting its judgments; on the other, if what seems to it invincibly true, is true. This is why we made the following desperate response:

argument du scepticisme

Nous ne savons rien que par la raison ; elle est le principe causateur de toutes nos idées.

Or, la légitimité de la raison, ou sa conformité avec le vrai, ne se peut démontrer par la raison, puisque ce serait faire la raison principe et conséquence, cause et effet, sujet et objet, et tourner dans un cercle ; ni par un principe en dehors et au-dessus de la raison, puisque pour découvrir sûrement ce principe, il faudrait le posséder déjà.

Donc, puisque la raison est le principe de la connaissance, notre condition nécessaire est le doute.

Voilà donc la philosophie, comme l’astronome de la fable, tombée dans un gouffre. Depuis que cet argument a été fait par les sceptiques, les dogmatistes se sont évertués à retirer la philosophie de ce gouffre ; mais, hélas ! chaque fois qu’ils ont cru la ressaisir, elle s’est enfoncée davantage. Aucun syllogisme, en effet, n’est possible contre celui des sceptiques, puisque, s’attaquant à la raison, à la cause effective de tout principe et de toute idée, il ne laisse hors de lui rien à quoi l’esprit se puisse prendre.

argument from skepticism

We know nothing except by reason; it is the causal principle of all our ideas.

Now, the legitimacy of reason, or its conformity with truth, cannot be demonstrated by reason, since that would be to make reason principle and consequence, cause and effect, subject and object, and turn in a circle; nor can it be demonstrated by a principle outside and above reason, since to discover this principle with certainty, it would be necessary to possess it already.

Thus, since reason is the principle of knowledge, our necessary condition is doubt.

Here, then, is philosophy, like the astronomer in the fable, fallen into an abyss. Ever since this argument was made by skeptics, dogmatists have striven to lift philosophy out of this gulf; but alas! each time they thought they had grasped it again, it sank deeper. No syllogism, in fact, is possible against that of the skeptics, since, attacking reason, the effective cause of every principle and every idea, it leaves nothing beyond itself of which the mind can take hold.

111. De nos jours, on a cru échapper au scepticisme en lui faisant sa part. On a dit : Les principes premiers de la raison sont indémontrables ; l’entendement est ainsi fait qu’il y adhère fatalement, invinciblement. Il est inutile, il est absurde de chercher si ces principes sont d’accord avec la réalité objective et absolue : ce serait sortir de notre condition d’hommes ; ce serait dire à Dieu : pourquoi nous as-tu faits ainsi ? Mais, ce qui est possible, c’est de vérifier la conformité de notre connaissance avec les principes premiers, avec les lois formelles de notre raison ; c’est, en un mot, de nous assurer si nous sommes d’accord avec nous-mêmes, ou non.

L’inventeur de cette échappatoire est Kant. Toute sa philosophie consiste à déterminer quels sont les principes premiers de la raison, et à donner des règles pour conduire l’esprit dans le raisonnement. Cette entreprise fit grand bruit, et l’on admira la puissance de génie vraiment extraordinaire du philosophe.

Mais, répliqua-t-on aussitôt, si les lois formelles de la raison sont indémontrables à priori, si la raison ne peut être contrôlée par un principe hors d’elle, nous ne sommes décidément sûrs de rien : qu’importe que notre croyance soit invincible ? nous vivons sur une hypothèse.

Et, pouvait-on ajouter, la prétention de vérifier l’accord de la connaissance avec les lois formelles de la raison est tout à fait vaine. D’abord, comment distinguer, dans l’entendement, ce qui est principe premier et loi formelle, de ce qui est simplement connaissance ? cette opération ne suppose-t-elle pas déjà l’emploi d’un principe premier ? nous voilà à reculons. Admettons ensuite que les principes premiers soient trouvés : pour vérifier si la connaissance est d’accord avec eux, il faut une règle : où la prendre ? dans les principes premiers ? nous tournons dans le cercle. Dira-t-on enfin que l’évidence ne se démontre pas ? Mais nous éprouvons tous les jours qu’une connaissance, d’abord obscure, se détermine peu à peu, se débrouille, et tout à coup paraît évidente : il arrive même quelquefois que des choses que nous trouvions évidentes ne le sont pas du tout. Qu’est-ce donc qui produit l’évidence, et à quel signe se reconnaît-elle ?

Il est évident, si quelque chose peut l’être, qu’avec la méthode syllogistique la raison est comme un labyrinthe où les routes se croisent et se confondent sans commencement ni fin ; où le général devant sa certitude au particulier, et le particulier n’étant intelligible que par le général, tout devient à la fois principe et conséquence ; où l’esprit, enfin, n’ayant aucun point d’attache, ne sait d’où il vient ni où il va, ne peut connaître et répugne à douter.

Ce qui prouve, du reste, mieux que tous les raisonnements, que l’Analytique transcendentale n’a pas même résolu, comme l’espérait son auteur, la moitié du problème, c’est que, depuis Kant, la mêlée est devenue générale parmi les philosophes, et que sur les matières de philosophie le doute plane aujourd’hui plus profond que jamais. La théologie seule a profité de ces disputes : à son ancienne dialectique elle a ajouté ce dilemme : la Foi ou le Doute. C’est la fraternité ou la mort.

111. In our days, we thought we could escape skepticism by doing our part. It has been said: The first principles of reason are indemonstrable; the understanding is so made that it adheres to it fatally, invincibly. It is useless, it is absurd to inquire whether these principles agree with objective and absolute reality: that would be to depart from our condition as men; it would be saying to God: why did you make us like this? But what is possible is to verify the conformity of our knowledge with the first principles, with the formal laws of our reason; it is, in a word, to ascertain whether we agree with ourselves or not.

The inventor of this loophole is Kant. His whole philosophy consists in determining what are the first principles ofreason, and to give rules to guide the mind in reasoning. This enterprise caused a great stir, and people admired the truly extraordinary power of genius of the philosopher.

But, it was immediately replied, if the formal laws of reason are indemonstrable a priori, if reason cannot be controlled by a principle outside of it, we are decidedly sure of nothing: what does it matter that our belief be invincible? we live on an assumption.

And, one might add, the claim of verifying the agreement of knowledge with the formal laws of reason is quite vain. First, how to distinguish, in the understanding, what is first principle and formal law, from what is simply knowledge?does not this operation already suppose the use of a first principle? here we are backwards. Let us then admit that the first principles are found: to check whether knowledge agrees with them, a rule is needed: where to take it? in first principles? we turn in the circle. Will we finally say that the obvious is not demonstrated? But we experience every day that a piece of knowledge, at first obscure, becomes clearer little by little, becomes clearer, and suddenly seems obvious: it even sometimes happens that things which we find obvious are not at all so. What, then, produces the evidence, and by what sign is it recognizable?

It is obvious, if anything can be, that with the syllogistic method reason is like a labyrinth where roads intersect and merge without beginning or end; where the general before its certainty to the particular, and the particular being intelligible only by the general, everything becomes both principle and consequence; where the mind, finally, having no point of attachment, does not know where it comes from or where it is going, cannot know and is reluctant to doubt.

What proves, moreover, better than all reasoning, that the Transcendental Analytic has not even solved, as its author hoped, half of the problem, is that, since Kant, the fray has become general. among the philosophers, and that on the matters of philosophy the doubt hangs today deeper than ever. Theology alone has profited from these disputes: to its ancient dialectic it has added this dilemma: Faith or Doubt. It is fraternity or death.

112. Redisons-le : La philosophie n’est qu’une méthode illusoire, consistant à aller du général au particulier, ou plutôt, comme elle ose encore s’en vanter, de la cause au phénomène : et cela avant d’avoir étudié la loi des êtres, avant d’avoir classé les faits, avant d’avoir établi, par des analyses et des comparaisons suffisantes, des genres et des espèces véritables. Aussi de ses prétendues généralités, de ses aphorismes hypothétiques et de ses abstractions causatives, la philosophie n’a-t-elle déduit le plus souvent que des propositions fausses, que l’expérience a dû rectifier tous les jours, détruisant ainsi, par un travail contradictoire, ce que la théorie syllogistique avait édifié.

112. Let us repeat it: Philosophy is only an illusory method, consisting in going from the general to the particular, or rather, as it still dares to boast, from the cause to the phenomenon: and that before having studied the law of beings, before having classified the facts, beforeof having established, by sufficient analyzes and comparisons, true genera and species. Also from its pretended generalities, its hypothetical aphorisms and its causative abstractions, philosophy has most often deduced only false propositions, which experience has had to rectify every day, thus destroying, by a contradictory work, which the syllogistic theory had built up.

§ III. — Influence de la sophistique sur la civilisation.

113. La méthode de déduction ayant été, pour ainsi dire, réduite en machine par Aristote, cette invention parut si merveilleuse que tout le monde s’empressa de l’adopter et de s’en servir. Alors le vertige fut universel : religion, jurisprudence, morale, médecine et physique, tout releva de généralités, entités, quiddités et qualités occultes, dans lesquelles, ainsi qu’en leurs sources, on commença de puiser à plein syllogisme la science et la foi.

Ici de nouveaux détails sont nécessaires.

§III. — Influence of sophistry on civilization.

113. The method of deduction having been, so to speak, reduced to a machine by Aristotle, this invention appeared so marvelous that everyone hastened to adopt it and make use of it. Then the vertigo was universal: religion, jurisprudence, morality, medicine and physics, all related to generalities, entities, quiddities and occult qualities, in which, as well as in their sources, we began to draw science and faith in full syllogism.

Here new details are necessary.

114. Religion. Ce fut vers l’époque où la philosophie d’Aristote nous revint des Arabes que la théologie chrétienne prit une forme systématique et régulière. Les premiers Pères, plus contemplatifs que dialecticiens, avaient laissé la doctrine flottante, vague, indécise : les scolastiques mirent l’ordre dans les matériaux et les idées, et tout ce que l’exposition de la foi eut de rationnel peut être attribué à Aristote. Thomas d’Aquin, surnommé le docteur angélique, ne connaissait et n’employait que le syllogisme : l’usage des divisions et sous-divisions, si fréquent dans la Somme, n’y est guère qu’un auxiliaire de la méthode déductive ; l’idée de faire servir le classement des rapports à l’argumentation est aussi loin de la pensée du théologien qu’il l’avait été de celle d’Aristote son maître.

L’édifice des scolastiques, fondé et achevé presque en même temps que les cathédrales du moyen âge, n’a pas sensiblement changé depuis ; maintenant, comme alors, la démonstration catholique se réduit à une série de syllogismes, dont je vais rapporter le sommaire[11].

114. Religion. It was about the time when the philosophy of Aristotle came back to us from the Arabs that Christian theology took a systematic and regular form. The first Fathers, more contemplatives than dialecticians, had left the doctrine floating, vague, undecided: the scholastics put order in the materials and the ideas, and all that the exposition of the faith had of rational can be attributed to Aristotle . Thomas Aquinas, nicknamed the angelic doctor, only knew and used the syllogism: the use of divisions and sub-divisions, so frequent in the Somme,is hardly more than an auxiliary to the deductive method; the idea of using the classification of relations for argumentation is as far from the thought of the theologian as it had been from that of Aristotle, his teacher.

The edifice of the scholastics, founded and completed almost at the same time as the cathedrals of the Middle Ages, has not sensibly changed since; now, as then, the Catholic demonstration is reduced to a series of syllogisms, of which I am going to report the summary [11] .


115. a) Tout ce qui arrive a une cause et suppose une fin : donc l’existence de l’homme et l’ordre de l’univers prouvent un Être nécessaire, créateur, tout-puissant, bon, juste, sage, rémunérateur et vengeur.

b) L’idée de Dieu nous conduit à celle de rapports entre lui et ses créatures : donc il existe pour l’homme une loi naturelle, qui n’est autre que la première manifestation de la volonté divine, manifestation à laquelle ont participé tous les peuples.

c) Cette loi naturelle s’oblitérant dans l’intelligence des hommes par suite de la barbarie du premier âge, la raison conduit à admettre une révélation subséquente, par laquelle Dieu aura fait connaître d’une manière plus précise le culte qui lui plaît, les dogmes qui le concernent, les lois morales que nous devons suivre, etc.

d) Mais une révélation divine ne peut s’opérer que par des signes divins, c’est-à-dire par des prophéties et des miracles : donc, il est absurde de disputer sur la possibilité de choses dont on démontre à priori la nécessité : il ne s’agit que de savoir si ces prophéties et ces miracles sont suffisamment attestés. Or, des écritures, des lois, des fêtes commémoratives, des annales authentiques, des révolutions miraculeuses, des martyrs, une tradition non interrompue, etc., etc., sont les attestations de ces prodiges, les lettres de créance des intermédiaires entre Dieu et nous.

e) Des dogmes divins doivent être par eux-mêmes au-dessus d’une raison bornée : or, la Trinité, la Rédemption, l’Eucharistie, etc., satisfont à cette loi.

f) Ces dogmes doivent être en rapport avec nos devoirs et notre destinée : en effet, le dogme de la Rédemption explique notre misère, et soutient notre espérance, en nous montrant une vie meilleure ; l’Eucharistie augmente en nous la force et la charité, en faisant descendre la divinité dans nos âmes, etc.

g) Toute législation suppose une magistrature et un enseignement : donc il y a une Église, un corps de prêtres enseignant, et réglementant de la part de Dieu. Le principe des prétendus réformés est l’anarchie.

h) L’interprétation des choses divines ne pouvant se faire par les seules forces de la raison, la révélation doit être permanente dans le corps enseignant : donc l’Église est infaillible.

116. Toutes ces propositions sont autant de formules syllogistiques, renfermant par-ci par-là quelque lambeau de vérité, mais la plupart basées sur des faits altérés, défigurés, mal interprétés, sur des légendes populaires, des allégories ou des symboles pris au pied de la lettre ; enfin sur des généralités imaginées après coup pour le besoin de la cause, et dépourvues de réalité. J’omets, pour abréger, la démonstration de l’existence et des attributs de Dieu, sur laquelle il y a tout à dire.

c) L’insuffisance d’une première révélation, loin de prouver la nécessité d’une deutérose, prouverait seulement l’incapacité du révélateur. Puis, quand on admettrait l’hypothèse des théologiens, il faudrait encore montrer que la plus grande barbarie a régné là où une seconde révélation a fait défaut ; et réciproquement, que là où cette révélation a eu lieu, la plus haute civilisation a suivi. Mais qui nous dit que la première révélation, c’est-à-dire la loi naturelle, soit insuffisante ? L’Église catholique n’a jamais connu la loi naturelle.

d) Une révélation divine se reconnaît, dit-on, à des signes divins, à des prophéties et des miracles. Elle se reconnaîtrait encore mieux à son universalité, à sa permanence dans tous les lieux et tous les hommes. Or, c’est ce qui ne se rencontre pas : Dieu a donc des préférences ; pourquoi ?… — Mais qui ne voit que la majeure de ce syllogisme n’est que le cas particulier des miracles transformé en thèse générale ?

e f) Même observation sur l’incompréhensibilité des dogmes. Les dogmes, en effet, sont des symboles représentatifs des grands phénomènes de la nature et des problèmes sociaux, dont on a fait des mystères et des talismans. Cette origine des dogmes se reconnaît à leur énoncé aussi bien qu’à leur histoire.

g h) Relativement à l’Église, si je faisais ce syllogisme : le représentant de Dieu doit être le plus savant, le plus bienfaisant, le plus pur, le plus chaste, le plus dévoué, le meilleur parmi les hommes ; — or ;… — donc les prêtres ne sont pas les organes de Dieu : que répondraient MM. du Clergé, eux qui ne s’adjugent que l’infaillibilité ? Que mon syllogisme est mauvais[12]. Soit : mais le leur ne vaut pas mieux. En effet, j’admets la nécessité d’une juridiction et même d’une révélation permanente ; sur quoi portera l’exercice de ce privilége ? sur les faits ou sur le dogme ? Si l’infaillibilité de l’Église ne s’étend pas jusqu’à la critique des faits, les faits sur lesquels cette infaillibilité repose tombent alors dans la critique humaine ; la raison les déclare insuffisants, et tout est à recommencer.

Ainsi la religion, dans laquelle les sophistes ne virent qu’une invention des législateurs, parce qu’ils la trouvaient à l’origine de toutes les sociétés ; la religion, d’abord mystique et naïve, a fini par être elle-même syllogistiquement démontrée. Le syllogisme seul a fait la théologie ; le raisonnement servait la déraison : mais ne nous en plaignons pas, c’était un progrès immense. Une religion qui argumente est une religion qui s’exécute : le premier qui mit la philosophie au service de la foi (philosophia theologiæ ancilla) jeta, sans y penser, les fondements de l’incrédulité : l’humble servante a détrôné sa maîtresse.

117. Législation. Ceux qu’on appelle publicistes et jurisconsultes sont à la politique et aux lois ce que les théologiens sont à la religion : interminables syllogiseurs in baroco et barbara. L’idée de causalité les domine au point qu’ils en sont quelquefois torturés et comme stupides. Quoi de plus pitoyable, par exemple, que de les voir se demander : Quelle est l’origine des lois ? Avant qu’il y eût des lois écrites, existait-il des droits et des devoirs ? y avait-il des actions répréhensibles ? y avait-il du bien ou du mal ?

La notion exacte de loi est de toutes celle qui entre le plus difficilement dans la tête d’un légiste : c’est à peine si nos jurisconsultes les plus philosophes commencent à comprendre que le législateur ne crée pas d’obligations ni de droits, qu’il ne fait que les proclamer ; que le rapport naturel indiqué par la formule de proclamation est précisément ce qu’il faut entendre par le mot loi ; que ce rapport existe indépendamment de la promulgation du souverain ; qu’il commande par lui-même la soumission de la conscience et l’adhésion de la volonté ; que par conséquent toutes ces expressions d’obligations légales, conventions tacites, droit naturel, quasi-délit, quasi-contrat, servitudes contractées par la prescription, juridiction volontaire, etc., etc. et les innombrables rubriques qui en naissent, n’ont pas de sens.

Que l’on ne s’attende pas à ce que je me mette en frais d’érudition : là où il faudrait citer tous les auteurs, le plus court est de ne citer personne. L’histoire syllogistique de la jurisprudence embrasserait vingt volumes, et remplirait un cours de trois années. Quelques exemples seulement, pour faire mieux entendre le procédé législatif.

115. a) Everything that happens has a cause and supposes an end: therefore the existence of man and the order of the universe prove a necessary, creative, almighty, good, just, wise, remunerative and vengeful Being.

b) The idea of God leads us to that of the relationship between him and his creatures: therefore there exists for man a natural law, which is none other than the first manifestation of the divine will, a manifestation in which all the peoples have participated.

c) This natural law being obliterated in the intelligence of men as a result of the barbarism of the first age, reason leads us to admit a subsequent revelation, by which God will have made known in a more precise manner the worship that pleases him, the dogmas that concern him, the moral laws that we must follow, etc.

d) But a divine revelation can only take place by divine signs, that is to say by prophecies and miracles. Therefore, it is absurd to argue about the possibility of things whose necessity is demonstrated a priori. It is only a question of knowing if these prophecies and these miracles are sufficiently attested. Now, scriptures, laws, commemorative festivals, authentic annals, miraculous revolutions, martyrs, an uninterrupted tradition, etc., etc., are the attestations of these prodigies, the credentials of the intermediaries between God and ourselves.

e) Divine dogmas must be by themselves above a limited reason: now, the Trinity, the Redemption, the Eucharist, etc., satisfy this law.

f) These dogmas must be related to our duties and our destiny: in fact, the dogma of Redemption explains our misery, and sustains our hope, by showing us a better life; the Eucharist increases strength and charity in us, bringing down divinity into our souls, etc.

g) All legislation presupposes a magistracy and a teaching: therefore there is a Church, a body of priests teaching and regulating on the part of God. The principle of the so-called reformers is anarchy.

h) Since the interpretation of divine things cannot be done by the forces of reason alone, revelation must be permanent in the teaching body: therefore the Church is infallible.

116. All these propositions are so many syllogistic formulas, containing here and there some shred of truth, but most of them based on altered, disfigured, misinterpreted facts, on popular legends, allegories or symbols taken at face value; finally on generalities imagined after the fact for the need of the cause, and devoid of reality.

I omit, to shorten things, the demonstration of the existence and attributes of God, about which there is everything to say.

c) The insufficiency of a first revelation, far from proving the necessity of a deuterosis, would only prove the incapacity of the revealer. Then, when we admit the theologians’ hypothesis, we would still have to show that the greatest barbarism reigned there where a second revelation has failed; and conversely, that where this revelation took place, the highest civilization followed. But who is to tell us that the first revelation, that is to say the natural law, is insufficient? The Catholic Church has never known natural law.

d) A divine revelation is recognized, it is said, by divine signs, prophecies and miracles. It would be recognized even better by its universality, its permanence in all places and all people. Now, this is what cannot be found: God therefore has preferences; why?… — But who does not see that the major part of this syllogism is only the particular case of miracles transformed into a general thesis?

e f) The same observation on the incomprehensibility of dogmas. Dogmas, in fact, are representative symbols of the great phenomena of nature and of social problems, which have been made into mysteries and talismans. This origin of dogmas can be recognized by their statement as well as by their history.

g h) Relative to the Church, if I made this syllogism: the representative of God must be the most learned, the most beneficent, the purest, the most chaste, the most devoted, the best among men; — now;… — therefore the priests are not the organs of God: what would the gentlemen of the clergy, who claim only infallibility, respond? That my syllogism is bad. [12] So be it: but theirs is no better. Indeed, I admit the necessity of a jurisdiction and even of a permanent revelation; on what will the exercise of this privilege rest? On facts or on dogma? If the infallibility of the Church does not extend to the criticism of facts, the facts on which this infallibility rests then fall within the scope of human criticism; reason declares them insufficient, and everything has to be started over again.

Thus religion, in which the sophists saw only an invention of the legislators, because they found it at the origin of all societies; religion, at first mystical and naive, ended by being itself syllogistically demonstrated. The syllogism alone made theology; reason served unreason. But let’s not complain about it; it was an immense progress. A religion that argues is a religion that executes: the first who put philosophy at the service of faith (philosophia theologiæ ancilla) laid, without thinking about it, the foundations for incredulity: the humble servant dethroned his mistress.

117. Legislation. Those who are called publicists and jurisconsults are to politics and law what theologians are to religion: endless syllogizers in baroco et barbara. The idea of causality dominates them to the point that they are sometimes tortured and seem stupid. What could be more pitiful, for example, than to see them asking themselves: What is the origin of the laws? Before there were written laws, were there rights and duties? Were there any wrongdoings? Was there good or evil?

The exact notion of law is of all things that which enters the mind of a jurist with the greatest difficulty: our most philosophical jurists have barely begun to understand that the legislator does not create obligations or rights, that he only proclaims them; that the natural relation indicated by the formula of proclamation is precisely what is to be understood by the word law; that this relation exists independently of the promulgation of the sovereign; that it commands by itself the submission of the conscience and the adhesion of the will; that consequently all these expressions of legal obligations, tacit agreements, natural law, quasi-delict, quasi-contract, servitudes contracted by prescription, voluntary jurisdiction,etc., etc. and the innumerable headings which arise from it have no meaning.

Do not expect me to go to great expense in scholarship: where it would be necessary to quote all the authors, the shortest way is to quote no one. The syllogistic history of jurisprudence would embrace twenty volumes, and would fill a course of three years. A few examples only, will make the legislative process better understood.

118. Aux yeux du légiste, toute loi procède de l’Autorité.

Or, l’autorité, c’est la coutume, ou le droit écrit, ou les conventions, ou la volonté manifestée du souverain.

De là cette double conséquence : 1o la loi n’oblige qu’après la promulgation faite par l’autorité publique ; 2o  la loi n’a point d’effet rétroactif. Propositions aussi fausses que le principe dont elles émanent, mais qui, dans l’état actuel des choses, sont de précieuses garanties, qu’il ne sera de longtemps possible d’abroger.

M. de Maistre a prétendu que les principes de la société ne s’écrivaient pas, et, à ce propos, il s’est beaucoup raillé de la Déclaration des droits faite par l’Assemblée constituante. M. de Maistre s’est trompé : en aucun pays on n’a vu de principes politiques reconnus que ceux qui étaient écrits ; en aucun pays on n’a regardé comme crimes ou délits que les actions déclarées telles par des lois écrites ; la pratique des sociétés, sur ce point, a été constante, et c’est elle qui a donné lieu aux théories syllogistiques des auteurs. Le Décalogue, écrit sur deux tables de marbre, n’est pas autre chose qu’une déclaration de principes.

Par la disposition naturelle de l’esprit humain de ne reconnaître comme vrai que ce qu’il a lui-même déclaré vrai, le peuple, comme les enfants, est toujours porté à concevoir la loi comme un commandement émané d’un maître : il se plaindrait qu’on voulût le juger sur des lois qu’on ne lui aurait pas fait connaître, qu’on lui appliquât des principes trouvés pendant l’instance, ou après la perpétration du délit. De là, nécessité de légiférer tant bien que mal ; nécessité d’écrire.

119. La loi étant l’expression d’une volonté souveraine, principiante et causatrice, la politique, le gouvernement des États a été un art, quelque chose d’arbitraire, non une science : cela est encore de foi pour les philosophes, aussi bien que pour les poëtes. « Les lois des nations, dit Rousseau, ne peuvent avoir l’inflexibilité de celles de la nature[13]. »

Tu regere imperio populos, Romane, memento ;
Hæ tibi erunt artes…

écrivait Virgile[14].

Les principes de cet art sont curieux.

Toute autorité vient de Dieu, dit l’Apôtre. C’est bien : mais où commence le droit de remontrances ? où finit-il ? Et si l’autorité n’a point égard aux réclamations, à qui appeler ? où est le recours ?

Si veut le roi, si veut la loi, disent les monarchistes ; car, ajoutent-ils, le roi est le mieux éclairé sur les besoins de l’État ; le roi n’a point d’autre intérêt que celui du peuple ; le roi ne peut vouloir le mal de la nation ; le roi ne peut mal faire de propos délibéré… N’est-ce pas parfaitement déduit ? Mais, Dieu ! si l’on venait aux preuves !

Toute justice émane du roi, est-il écrit dans la Charte, d’après une ancienne coutume féodale, prise à contre-sens. Autre consécration du bon plaisir.

Mais non, s’écrient les démocrates : la souveraineté est au peuple ; le plébiscite est la loi suprême… — Le peuple est donc législateur et gouvernement ? — Non, il se fait représenter. — À merveille : et quelles sont les règles d’après lesquelles agissent les représentants du peuple ? — Le but de la société est le bonheur commun. — Assurément : mais les règles pour y parvenir ? — Les droits de l’homme et du citoyen sont la liberté, l’égalité, la sûreté, la propriété. — Sans doute : mais les règles qui doivent réaliser et maintenir ces droits ? — Tous les citoyens sont électeurs. — C’est juste : et les règles qui dirigeront les élus ? — Quand la loi est violée, l’insurrection est le premier des droits et le plus saint des devoirs[15]. — D’accord : je m’engage à prouver, quand on voudra, que tout ce que fait aujourd’hui le gouvernement pourrait motiver l’exercice de ce droit. Mais, encore une fois, à quel signe reconnaîtrai-je que la loi est violée ?…

120. C’est ainsi qu’ont de tout temps procédé les faiseurs de constitutions et de déclarations de droits : après quelques banalités solennellement énoncées sur le but de la société, sur la source des lois et l’origine de la souveraineté, et sur les droits naturels[16], ils énumèrent les attributions du prince, règlent les conditions électorales et d’éligibilité, la tenue des assemblées et leurs prérogatives ; quelques mots sur les ministres et les différents ordres de fonctionnaires : et la constitution est faite. Mais le comment, le pourquoi, la raison définitive de chaque chose, en un mot, la science qui prescrit un tel arrangement, et permettrait au premier venu de le retrouver, si le souvenir en était perdu : voilà ce qu’un homme de bon sens est en droit d’exiger, et qui n’a été publié nulle part.

Ce que l’on découvre de plus clair dans ces inventions constitutionnelles, c’est le classement hiérarchique des citoyens et des fonctionnaires, divisés, comme la formule d’Aristote, en majeurs, mineurs et supérieurs. Dans l’ordre civil, l’ouvrier dépend du fabricant ; le fabricant, de l’entrepreneur ; l’entrepreneur, du négociant ; le négociant, du banquier ; le banquier, du capitaliste, qui, principe universel d’action, domine tout et ne dépend de personne. Dans le militaire, le soldat obéit au caporal, qui obéit au sergent, qui obéit au capitaine, qui obéit au commandant, qui obéit au général, qui obéit au roi, qui n’obéit à aucun. Dans les sphères administratives, même subordination : le substitut est sous la main du procureur du roi, qui est sous la main du procureur général, qui est sous la main du ministre. Quelquefois la subordination se croise et se complique : un agent de police, par exemple, reçoit également des ordres de la municipalité, du parquet, de la préfecture. Tous ces hommes sont enfilés les uns à la suite des autres comme les grains d’un chapelet, ou plutôt comme les membres d’un syllogisme sans fin. Selon qu’ils se rapprochent davantage de la tête ou de la queue, la somme de leurs avantages augmente ou diminue. Sans doute, ce système a sa raison d’être, puisqu’il existe ; je reconnais même que l’invention n’en revient à personne : mais enfin, existe-t-il en vertu d’une loi absolue, nécessaire, immuable ? ou bien ne serait-ce qu’une forme d’organisation préparatoire et sujette à métamorphose ? Quelle que doive être la réponse, il faut démontrer, analyser, formuler : il faut une science, enfin, avec laquelle l’autorité du Péripatétique n’a rien de commun.

121. Ainsi que la politique, la jurisprudence est réglée selon la méthode déductive : un coup d’œil jeté sur le code suffit.

Du principe que l’homme à dix-huit ans et la femme à quinze sont capables d’engendrer, on a tiré la conséquence qu’ils pouvaient contracter mariage : de là un immense désordre dans les familles ; le bonheur des mariages, la condition des femmes, la vigueur des enfants compromis, etc.

Du principe que le consentement seul fait l’union des personnes, on a conclu doctement que, ce consentement venant à cesser, le mariage est rompu de fait, et que le divorce peut avoir lieu : de là une large porte ouverte aux caprices des époux, au désordre des femmes, à l’abandon des enfants, à la promiscuité des sexes. Le divorce, en certains cas, peut être utile et nécessaire : mais les théories d’après lesquelles on a voulu l’établir l’ont rendu monstrueux, et l’on a été forcé d’y renoncer.

Du principe que la dernière volonté de l’homme est sacrée, on a déduit toute la théorie des testaments, théorie souvent utile, souvent odieuse ; modifiée sans cesse, remaniée, retournée de cent façons étranges. — Puis, comme on a cru pouvoir présumer, en certains cas, cette volonté dernière, on a déterminé d’après cette présomption les degrés de parenté conférant droit d’héritage ; et l’on a introduit le hasard dans la distribution des biens, et le hasard a conduit à des résultats immoraux et absurdes.

Du principe que la propriété est entière et absolue, est sorti le droit d’accession ; puis, comme la propriété se limite par la propriété, on a été conduit à une foule de spéculation sur l’incorporation, l’alluvion, l’usufruit, les servitudes, les prescriptions, la mitoyenneté, etc., où les contradictions fourmillent, et où l’atroce le dispute quelquefois à l’absurde. Les jurisconsultes ont prétendu régler la propriété sans connaître les lois de la production : c’était prendre la chose à rebours. L’homme n’étant propriétaire que des choses qu’il consomme à titre de dividende et n’exerçant sur les instruments de travail et les produits qu’un droit d’usage, la science de la production est la base de la justice distributive et du droit.

Malgré ces énormités, tout n’est pas, en jurisprudence non plus qu’en politique, absolument faux, absolument mauvais : disons même que, par le travail interne des sociétés et les progrès de l’expérience et de la raison, le chaos se débrouille peu à peu, les éléments se classent et se coordonnent, si bien qu’au point où nous sommes parvenus, il est déjà possible de découvrir par l’analyse les lois absolues selon lesquelles s’accomplit insensiblement la réforme, et, sans révolution ni déplacements, de hâter la constitution normale des sociétés.

122. La philosophie est le mouvement de l’esprit vers la science, avec le syllogisme pour méthode : elle n’est point la science ni aucune espèce de science. Aussi n’a-t-elle jamais pu, malgré les efforts de ses adeptes, ni déterminer son objet, ni circonscrire son domaine, ni se créer une méthode : elle reste, malgré l’appel des modernes éclectiques, sous l’empire du syllogisme, et placée en dehors de l’observation et de l’expérience. Ce qu’elle a produit dans les diverses parties du domaine qu’elle s’attribue se réduit à rien ; ce qu’elle sait de plus positif, elle le tient d’ailleurs ; ce qu’elle tente d’opérer est copie ou plagiat.

123. Psychologie. Les prêtres trouvèrent la raison de chaque chose en Dieu, et virent tout dans le moi divin : les philosophes modernes ont changé cela ; ils rapportent tout au moi humain. Le moi est le principe et le sujet de l’investigation philosophique : sensations, sentiments, idées, instinct moral et religieux, justice, droit, sociabilité, certitude, tout se connaît, se démontre, s’explique, suivant eux, par la contemplation du moi. C’est toujours l’inconnu servant de point de départ pour arriver à l’inconnu ; le phénomène étudié, non dans ses lois, mais dans sa cause.

Le philosophe s’enferme dans sa chambre, ferme ses contrevents, tire ses rideaux, se met les poings sur les yeux, et songe. Ne troublez pas sa contemplation ! il étudie le moi, il fait de la psychologie. M. Jouffroy, notre plus grand psychologue, raconte de lui-même qu’il passa de la sorte les deux premières années de son professorat ; aussi, quelles hautes vérités lui furent révélées pendant cette retraite, sur l’amour et la haine, le désir et l’aversion, l’expansion et la concentration, l’attraction et la répulsion !… Demandez plutôt à ceux qu’il louait et qui le louent.

Ôtez de la psychologie la sensibilité, l’activité et la liberté ; la sensation, l’attention, la perception, le jugement, l’imagination, la mémoire, la volonté, la passion, c’est-à-dire les noms qu’on a donnés aux apparences du moi, aux phases de son développement et de son action, et dites ce qui reste ? Que l’on me montre une seule loi animique découverte par la psychologie traditionnelle : et je consens pour ma peine à relire tout le fatras des psychologues.

124. Ontologie ou Métaphysique. Qu’est-ce que l’ontologie ? est-elle science ou méthode ? que veut-elle ? que cherche-t-elle ? qu’est-elle dans sa spécialité ? et si elle n’a pas de spécialité, qu’est-elle par rapport à l’univers ? Que le plus hardi des philosophes réponde s’il l’ose.

« L’ontologie, selon M. Jouffroy, est la science du monde invisible, des substances et des causes. » Par ce seul mot, l’ontologie est jugée.

Au reste, puisque le propre d’une science est, avant tout, de déterminer son objet, voyons comment l’ontologie définit les objets et les instruments de son étude.

118. In the eyes of the jurist, all law proceeds from Authority.

Now, authority is custom, or written law, or conventions, or the manifest will of the sovereign.

Hence this double consequence: 1. the  law obliges only after the enactment made by the public authority; 2.   the law has no retroactive effect. Propositions as false as the principle from which they emanate, but which, in the present state of things, are precious guarantees, which it will not be possible to repeal for a long time.

M. de Maistre claimed that the principles of society could not be written and, in this connection, he made great fun of the Declaration of Rights made by the Constituent Assembly. M. de Maistre was mistaken: in no country have we seen any political principles recognized other than those that were written; in no country have they considered as crimes or misdemeanors any actions but those declared as such by written laws; the practice of societies on this point has been constant, and it is this which has given rise to the syllogistic theories of authors. The Decalogue, written on two marble tablets, is nothing more than a declaration of principles.

By the natural disposition of the human mind to recognize as true only what it has itself declared true, the people, like children, are always inclined to conceive the law as a command emanating from a master. They would complain that one wanted to judge them according to laws that were not made known to that, that one applied to them principles discovered during the proceedings, or after the commission of the offence. Hence the need to legislate in some fashion; the need to write.

119. The law being the expression of a sovereign, originating and causative will, the policy, the government of the States was an art, something arbitrary, not a science: it is still a matter of faith for the philosophers, as much as for the poets. “The laws of nations,” says Rousseau, “cannot have the inflexibility of those of nature.” [13]

You regere imperio populos, Romane, memento;
Hae tibi erunt artes…

wrote Virgil. [14]

The principles of this art are curious.

All authority comes from God, says the Apostle. That’s good: but where does the right to remonstrance begin? Where does it end? And if authority has no regard for complaints, to whom are we to appeal? Where is the recourse?

If the king wills, so the law wills, say the monarchists; for, they add, the king is best informed about the needs of the state; the king has no other interest than that of the people; the king cannot wish the harm of the nation; the king cannot deliberately do wrong… Isn’t that perfectly deduced? But, God! If one came to the proofs!

All justice emanates from the king, it is written in the Charter, according to an old feudal custom, taken against the grain. Another consecration of good pleasure.

But no, cry the democrats: sovereignty belongs to the people; the plebiscite is the supreme law… — So the people are the legislator and the government? — No, it has made itself represented. — Very well: and what are the rules according to which the representatives of the people act? — The goal of society is the common happiness. — Certainly: but the rules for achieving this? — The rights of man and of the citizen are liberty, equality, security, property. — Undoubtedly: but the rules that must realize and maintain these rights? — All citizens are electors. — That’s right: what about the rules that will govern the elect? — When the law is violated, insurrection is the first of rights and the holiest of duties. [15] — All right: I will undertake to prove, whenever you want, that everything the government does today could motivate the exercise of this right. But, again, by what sign shall I recognize that the law is broken?…

120. This is how the makers of constitutions and declarations of rights have always proceeded: after a few banalities solemnly stated on the purpose of society, on the source of laws and the origin of sovereignty, and on the natural rights [16], they enumerate the attributions of the prince, regulate the electoral conditions and conditions of eligibility, the behavior of the assemblies and their prerogatives; a few words on the ministers and the different orders of functionaries—and the constitution is made. But the how, the why, the definitive reason for each thing, in a word, the science that prescribes such an arrangement, and would allow the first comer to find it, if the memory of it were lost: this is what a man of good sense is entitled to demand, and which has not been published anywhere.

What we discover most clearly in these constitutional inventions is the hierarchical classification of citizens and civil servants, divided, like Aristotle’s formula, into majors, minors and superiors. In the civil order, the workman depends on the manufacturer; the manufacturer, on the entrepreneur; the entrepreneur, on the merchant; the merchant, on the banker; the banker, on the capitalist, who, universal principle of action, dominates everything and depends on no one. In the military, the soldier obeys the corporal, who obeys the sergeant, who obeys the captain, who obeys the commander, who obeys the general, who obeys the king, who obeys no one. In the administrative spheres, the same subordination: the substitute is under the hand of the royal prosecutor, who is under the hand of the general prosecutor, who is under the hand of the minister. Sometimes the subordination intersects and becomes more complicated: a police officer, for example, also receives orders from the municipality, the prosecutor’s office, the prefecture. All these men are threaded one after the other like the beads of a rosary, or rather like the members of an endless syllogism. Depending on whether they get closer to the head or the tail, the sum of their advantages increases or decreases. No doubt this system has its raison d’etre, since it exists; I even recognize that the invention does not belong to anyone: but finally, does it exist by virtue of an absolute, necessary and administrative law? Or is it only a preparatory form of organization subject to metamorphosis? Whatever the answer must be, we must demonstrate, analyze, formulate: we need a science, finally, with which the authority of the Peripatetic has nothing in common.

121. Like politics, case law is settled according to the deductive method: a glance at the code suffices.

From the principle that a man at eighteen and a woman at fifteen are capable of begetting, the consequence has been drawn that they could contract marriage: hence an immense disorder in families; the happiness of marriages, the condition of women and the vigor of children compromised, etc.

From the principle that consent alone brings people together, it has been learned that, this consent coming to an end, the marriage is broken in fact and that divorce can take place: hence a wide door open to the whims of the spouses, to the disorder of women, to the abandonment of children, to the promiscuity of the sexes. Divorce, in certain cases, can be useful and necessary, but the theories according to which one wanted to establish it made it monstrous, and we were forced to renounce it.

From the principle that the last will of man is sacred, we have deduced the whole theory of testaments, a theory often useful, often odious; endlessly modified, rearranged, turned around in a hundred strange ways. — Then, as it was thought possible to presume, in certain cases, this last will, one determined according to this presumption the degrees of kinship conferring right of inheritance; and chance has been introduced into the distribution of goods, and chance has led to immoral and absurd results.

From the principle that property is entire and absolute, there arose the right of accession; then, as property is limited by property, we were led to a host of speculation on incorporation, alluvion, usufruct, servitudes, prescriptions, joint ownership, etc., where contradictions abound and where the atrocious sometimes competes with the absurd. The jurisconsults claimed to regulate property without knowing the laws of production: this was taking the matter backwards. Man being the owner only of the things he consumes as a dividend and exercising over the instruments of labor and the products only a right of use, the science of production is the basis of distributive justice and of right.

Despite these enormities, not everything, in jurisprudence any more than in politics, is absolutely false, absolutely bad: let us even say that, through the internal work of societies and the progress of experience and reason, the chaos is untangled little by little, the elements are classified and coordinated, so that at the point we have reached, it is already possible to discover by analysis the absolute laws according to which reform is imperceptibly accomplished and, without revolution or displacements, to hasten the normal constitution of societies.

122. Philosophy is the movement of the mind towards science, with the syllogism for method: it is not science or any kind of science. So it has never been able, despite the efforts of its adepts, either to determine its object, or to circumscribe its domain, or to create a method for itself. It remains, despite the call of the eclectic moderns, under the sway of the syllogism, and placed outside observation and experience. What it has produced in the various parts of the domain that it claims for itself is reduced to nothing; what it knows most positively, it gets from elsewhere; what it is trying to do is copying or plagiarism.

123. Psychology . The priests found the reason for everything in God, and saw everything in the divine self. Modern philosophers have changed that; they relate everything to the human self. The self is the principle and the subject of philosophical investigation: sensations, feelings, ideas, moral and religious instinct, justice, right, sociability and certainty, everything is known, demonstrated and explained, according to them, by contemplation of the self. It is always the unknown serving as a starting point to arrive at the unknown; the phenomenon studied, not in its laws, but in its cause.

The philosopher shuts himself up in his room, closes his blinds, draws his curtains, puts his fists over his eyes and dreams. Do not disturb his contemplation! He studies the self; he does psychology. M. Jouffroy, our greatest psychologist, relates that he spent the first two years of his professorship in this way. So what high truths were revealed to him during this retreat, on love and hate, desire and aversion, expansion and concentration, attraction and repulsion?… Ask instead those whom he praised and who praise him.

Remove from psychology sensitivity, activity and liberty; sensation, attention, perception, judgment, imagination, memory, will and passion, all the names given to the appearances of the self, to the phases of its development and of its action, and tell me what remains? Show me a single law of the soul discovered by traditional psychology: and I consent, for my pains, to re-read all the hodgepodge of the psychologists.

124. Ontology or Metaphysics. What is ontology? Is it science or method? What does it want? What is it looking for? What is it in its specialty? And if it has no specialty, what is it in relation to the universe? Let the boldest of philosophers respond if he dares.

“Ontology,” according to M. Jouffroy, “is the science of the invisible world, of substances and causes.” By this single word, ontology is judged.

Moreover, since the characteristic of a science is, above all, to determine its object, let us see how ontology defines the objects and the instruments of its study.

DÉFINITIONS DE L’ÂME

Aristote : L’âme est la première entéléchie d’un corps naturel doué d’une vie potentielle.

Descartes : L’âme est un être pensant, indivisible et inétendu.

Hegel : L’esprit, c’est le dernier mot de la nature : l’esprit, c’est la nature qui, après avoir subi un certain nombre de déterminations, s’élève à une sphère plus haute. — (Il ajoute que la philosophie est le dernier terme de la manifestation de l’esprit, le fin du fin.)

Damiron : L’âme est autre chose que le moi ; ou plutôt elle est davantage, elle existe avant d’être moi ; elle le devient en se développant ; et, dans la suite de ses destinées, lors même qu’il lui arriverait de cesser de se connaître et de mourir à la conscience, elle serait encore, malgré tout, dût-elle n’être à d’autre titre que les éléments désunis d’un corps qui se dissout, ou qu’une force qui se perd dans le vague sein de l’être.

Desquiron de Saint-Agnan : L’âme est un feu électrique qui anime et vivifie le corps de l’homme.

L’âme est l’éther de l’éther.

L’âme est un principe créateur qui vivifie la matière.

L’âme est une émanation de la divinité.

(Ces dernières définitions sont renouvelées des anciens.)

Les Pythagoriciens : L’idée est l’objet du raisonnement démonstratif. D’autres : L’idée est un nombre.

Platon : Les idées sont les types éternels ou les modèles des choses, et les principes de notre connaissance, auxquels nous rapportons par la pensée l’infinie variété des objets individuels.

Descartes : L’idée est la forme de chacune de nos pensées, par la perception immédiate de laquelle nous avons connaissance de ces mêmes pensées.

Locke : Ce qu’on nomme idée est l’objet de la pensée.

Condillac : Une idée est une sensation transformée.

La Romiguière : L’idée est un sentiment distinct.

Destutt de Tracy : L’idée est une vue, une perception, enfin une connaissance quelconque.

Buffon : Les idées sont des sensations composées.

Bonnet : L’idée est toute manière d’être l’âme, dont elle a la conscience et le sentiment.

Kant réserve le nom d’idées aux catégories de l’entendement, revêtues par la raison du caractère de l’absolu.

Baron de Reiffenberg : L’idée est ce que chacun sait.

Assez de galimatias. Nous pouvons définir l’ontologie : Science qui a pour base la facilité de parler, et l’impuissance d’examiner. (Montesquieu.)

DEFINITIONS OF THE SOUL

Aristotle  : The soul is the first entelechy of a natural body endowed with potential life.

Descartes : The soul is a thinking, indivisible and unextended being.

Hegel : Spirit is the last word of nature: spirit is nature that, after having undergone a certain number of determinations, rises to a higher sphere. — (He adds that philosophy is the last term of the manifestation of the spirit, the end of the end.)

Damiron : The soul is something other than the self; or rather it is more, it exists before being me; it becomes so as it develops; and, in the course of its destinies, even when it happens to cease to know itself and to die in consciousness, it would still exist, in spite of everything, even if it were in no other way than as the disunited elements of a body that is dissolving or of a force that is lost in the vague bosom of being.

Desquiron de Saint-Agnan : The soul is an electric fire that animates and vivifies the human body.

The soul is the ether of the ether.

The soul is a creative principle that vivifies matter.

The soul is an emanation of divinity.

(These latter definitions are extensions of the former.)

The Pythagoreans : The idea is the object of demonstrative reasoning. Others: The idea is a number.

Plato: Ideas are the eternal types or patterns of things and the principles of our knowledge, to which we relate in thought the infinite variety of individual objects.

Descartes: The idea is the form of each of our thoughts, by the immediate perception of which we have knowledge of these same thoughts.

Locke: What is called an idea is the object of thought.

Condillac: An idea is a transformed sensation.

La Romiguière: The idea is a distinct feeling.

Destutt de Tracy  : The idea is a view, a perception, in short, any kind of knowledge.

Buffon: Ideas are compound sensations.

Bonnet: The idea is any way of being the soul, of which it has consciousness and feeling.

Kant reserves the name ideas for the categories of the understanding, invested by reason with the character of the absolute.

Baron de Reiffenberg  : The idea is what everyone knows.

Enough rigmarole. We can define ontology: A science based on the facility of speaking, and the impotence of examining. (Montesquieu.)

125. Morale. La philosophie revendique la morale comme partie intégrante de son domaine.

Aux yeux de la critique, l’étude de la morale ne constitue point une science, ni même une section de science : c’est un recueil de préceptes et de règles de conduite empruntés à l’esthétique, à l’hygiène, à la physiologie, à l’économie politique, à la psychologie, etc. ; en un mot, aux différentes sphères de la science. L’obligation morale consiste dans l’adhésion forcée de la raison aux lois de l’ordre.

Ainsi, devoirs sociaux, ou rapports de l’homme à l’homme : matière d’économie politique.

Tempérance, chasteté, politesse : matière d’hygiène, de physiologie et de goût.

La morale, je le répète, est cet ensemble de motifs destinés à régler nos actions et à servir de frein à nos penchants ; c’est la pharmacie de l’âme, comme disait l’Égyptien Osymandias : ce n’est point une science, c’est une encyclopédie.

126. Les philosophes l’entendent autrement : selon eux, la morale naît tout entière de la psychologie, de la connaissance du moi. Dieu, disent-ils, a mis en nous l’image du bien. Cette image du juste, du beau, du saint et du vrai, est la grande matrice de toutes nos idées morales, l’archée de nos devoirs et de nos droits, le paradigme de nos vertus. Or la morale est la conformité de notre volonté à l’idéal qui nous est révélé dans la conscience ; d’où il suit que pour accomplir la loi deux choses sont nécessaires : 1o connaître le type divin qui existe en nous ; 2o diriger nos facultés vers la réalisation de ce type. Tout cela est d’une déduction rigoureuse : malheureusement, le prétendu type est sujet à s’altérer, par conséquent à fausser notre conscience ; et l’on a oublié de nous dire à quoi nous pouvons reconnaître que les inspirations de celle-ci sont légitimes. N’importe : un si beau raisonnement ne pouvait manquer d’être admiré ; aussi l’a-t-on poussé à outrance.

La loi morale n’étant autre chose que le commandement absolu de la conscience, on s’est demandé ce que la conscience prescrivait à l’homme de faire à l’égard du prince, à l’égard de ses semblables, à l’égard de lui-même. Au lieu de regarder l’homme et son semblable, le prince et le citoyen, comme deux termes dont le rapport existait indépendamment de la conscience, et constituait la véritable loi morale, on s’est imaginé que celle-ci préexistait tout entière, avec ses conséquences et ses applications, dans le moi, et l’on a entrepris de le démontrer syllogistiquement en dehors de toute observation et analyse. C’est alors que l’arbitraire s’est introduit dans la morale, et que le respect de la tyrannie, le mépris du travail sous prétexte de détachement et de mysticité, la, pratique de superstitions ridicules ou atroces, ont été érigés en vertus : c’est alors qu’on a pu former les âmes à la servitude par une morale imaginaire, et justifier toutes les formes du gouvernement. Je n’irai pas loin chercher mes preuves.

127. Je commence par la politique.

« L’ère des gouvernements simples est l’enfance de l’humanité. La vérité n’est dans aucun de ces gouvernements : car la vérité, c’est la vie ; et la vie n’est pas une chose simple. La vie est partout l’harmonie de deux termes : dans la nature, c’est l’accord du mouvement et de la mesure ; dans la société, c’est l’union de l’ordre et de la liberté. »

Majeure magnifiquement énoncée, et dont la démonstration complète immortaliserait un auteur : Le gouvernement est chose complexe, ou synthétique. Poursuivons.

« Je ne sache rien de plus propre à inspirer le dégoût des théories creuses, que l’étude attentive du gouvernement représentatif… Ce gouvernement ne représente ni des volontés, par elles-mêmes variables et changeantes ; ni des classes, il n’y en a pas : il représente des principes.

« Ces principes sont l’ordre, la liberté, l’accord de l’ordre et de la liberté.

« Le pouvoir qui représente l’ordre doit être fort et un : donc royauté et hérédité.

« Le pouvoir qui représente la liberté proviendra de l’élection, parce que la volonté représente le mieux la liberté.

« Le pouvoir modérateur est une espèce d’aristocratie, formée des notabilités de la nation. » (Cousin, Cours de Philosophie de l’histoire.)

Reprenons : Le gouvernement doit être synthétique. — Or le gouvernement représentatif est synthétique, puisqu’il représente des principes opposés ; — donc le gouvernement de juillet est le plus respectable des gouvernements, et la charte est un chef-d’œuvre !

Je laisse à penser au lecteur s’il ne lui semble pas, au contraire, d’après l’expérience des vingt dernières années, que les principes monarchique et démocratique soient toujours au moment de s’entredévorer, bien loin de s’unir ? Ô philosophe ! votre merveille de gouvernement représentatif a tout l’air d’une Thébaïde ; et votre syllogisme pèche, non par la règle générale, mais par le vice de l’application. Il s’agissait de synthétiser deux principes, l’ordre et la liberté, la démocratie et l’unité ; et vous n’avez fait que mettre aux prises des passions et des intérêts !

128. La politique étant, d’après les philosophes, une dépendance de la morale, et la morale une dépendance de la philosophie, les philosophes se sont trouvés, en vertu d’un sorite, les arbitres des princes, des législateurs, des parlements, de l’instruction publique ; pour tout dire, les premiers dans la société, les plus grands parmi les hommes.

« Quels sont, demande M. Cousin, les genres les plus favorables au développement des grands hommes ? La religion tue l’individualité ; l’industrie ne se développe que petit à petit ; les arts et le gouvernement des états offrent plus de chances ; mais les deux genres qui se prêtent le plus au développement des grandes individualités sont la guerre et la philosophie. »

Certainement M. Cousin, lorsqu’il débitait cette phrase, ne faisait aucun retour sur lui-même ; je voudrais pourtant avoir vu le jeu de sa physionomie.

« Nulle autre part il n’y a plus de grands hommes qu’en philosophie. »

J’en conclus qu’il est moins difficile de s’y faire grand qu’ailleurs.

« Les deux plus grandes choses qui soient dans le monde, c’est agir ou penser… »

M. Cousin prend-il le fracas et la grandiloquence pour la grandeur ?

« Le champ de bataille, ou la vie de cabinet. »

Bien entendu que l’homme qui pense doit l’emporter sur celui qui tue. On prendrait cela pour une facétie de M. Cousin, si l’on ne savait jusqu’où va la candeur philosophique.

« La pensée a droit à la grandeur et à la protection de l’État. Il remplit directement sa mission, lorsqu’il consacre par une loi la liberté de penser, de parler et de publier ; il la remplit encore, mais indirectement, quand il proclame l’admissibilité de tous aux emplois. Qui ne voit, en effet, que la pensée pour se développer veut un but, et que le monopole des hautes fonctions lui coupe les ailes, en lui enlevant l’espoir d’une haute récompense ? »

Ici la pudeur du maître a tellement enveloppé le syllogisme qu’il est nécessaire que je le dégage :

La plus haute capacité a droit à la plus haute fonction de l’État, sans quoi elle ne pourrait vivre :

Or le philosophe est l’homme de capacité, l’homme grand par excellence ;

Donc c’est au philosophe de gouverner l’État.

Frédéric II a répondu à ce syllogisme, en disant que, quand il voudrait châtier une province, il y enverrait des philosophes.

129. Souvent, au lieu de formuler sa pensée en syllogismes complets et enchaînés l’un à l’autre, le philosophe se borne à exprimer une série de généralités sans rapport entre elles et sans conséquences indiquées : alors l’œuvre philosophique devient un galimatias continuel, que l’on admire d’autant plus qu’il étourdit davantage, et dont l’effet sur l’entendement ressemble à celui d’une potion opiacée sur le cerveau. Les moralistes, surtout, sont sujets à ces divagations : entre dix mille exemples que je pourrais citer, je choisis le suivant :

« Si le sexe est à vrai dire le moyen matériel dont se sert la nature pour fonder la famille, il n’est ni le seul ni le plus puissant ; et il y en a un autre, à la fois plus élevé, plus vif, plus durable et plus pur. Il y a aussi le sexe moral : dans l’âme comme dans les organes, il se rencontre des qualités qui de conscience à conscience font qu’on a besoin de s’unir et de marier en quelque sorte sa pensée à une autre pensée, sa volonté à une autre volonté. Tout est arrangé avec harmonie ; tout est fait pour le concours, et il n’y a pas contradiction entre la destination physique d’un être et sa destination spirituelle. L’homme est homme à la fois par le corps et par l’esprit, et la femme pareillement. Mais dans ce concert, le premier rôle est toujours à l’esprit ; c’est ce qui sent et qui pense, ce qui veut et qui fait, c’est la tête et le cœur, c’est la personne en un mot que l’on aime, quand elle est bonne, de ce long et tendre amour qui dure autant que la vie… Et quand deux âmes sont encore unies par le caractère de la beauté, c’est-à-dire quand la première excelle par la grandeur et l’élévation de ses facultés, la seconde par la grâce et le doux mouvement des siennes, tous deux se charment de manière à s’adorer avec ivresse et une entraînante admiration. La beauté n’est nullement chose de sens, et ne paraît dans le sens que par reflet et expression…

« Les époux ont des enfants ; avant de les avoir, ils les espéraient ; quand ils les ont, ils les chérissent ; ils en sont heureux comme d’un bien qui comble le vœu de leur amour… C’est ici leur sang, c’est leur fruit, c’est leur vie même reproduite sous les formes les plus gracieuses et les plus touchantes, qui sert d’expression et de symbole à leur union ; et l’expression est d’autant plus fidèle, qu’elle procède de l’acte même où l’union est la plus complète[17]… »

Arrêtons-nous sur l’acte où l’union est la plus complète. Ce style et ces idées sont inqualifiables : est-ce une méditation philosophique, une pastorale ou un dithyrambe ? Que résulte-t-il de là ? quel est ce sexe de l’âme ? qu’est-ce que l’amour ? qu’est-ce que le mariage ? quelles sont les lois de l’un et de l’autre ?… Est-ce là, enfin, ce que les éclectiques nomment de la philosophie morale ?…

130. Terminons ce paragraphe par une double observation.

1o Pendant la première période du mouvement philosophique, l’esprit, fidèle encore à la religion, s’était borné à l’agiter en tout sens, à en développer les fictions et en poursuivre les mystères : pendant la période que nous venons de décrire, il se sépare hautement de la donnée religieuse et la traite en ennemie. Fier de sa puissance logique, il dédaigne la foi, et n’admet plus que ce que le syllogisme révèle. Alors commence la guerre entre les hommes de la résistance et de l’immobilité, et les chercheurs d’aventures et poursuivants de découvertes : prêtres d’un côté, philosophes de l’autre, également aveugles et par là même également intolérants, se maudissent et se signalent à la haine et à la vengeance des peuples. Sous couleur d’impiété, les ministres des cultes font brûler les philosophes, qui, de leur côté, conspirant dans l’ombre, ourdissent les révolutions où l’on massacre les prêtres par milliers. Mais les uns ni les autres ne savent, pour parler comme l’Évangile, de quel esprit ils procèdent : marchant et s’égarant dans une égale obscurité, une même lumière doit à la fin les envelopper tous, éclairer leurs pas et dissiper leurs rêves.

2o Comme la religion est la contemplation du Tout indistinct et infini, la conception de l’absolu par la foi ;

De même la philosophie est l’investigation de la cause universelle, la recherche de la toute-science par la déduction des idées.

Jusqu’ici donc la philosophie n’est qu’une pansophie impuissante : nous allons voir comment le progrès des découvertes et le changement de la méthode, amenant la création de sciences spéciales et positives, conduit à l’extinction de la philosophie.

125. Morality. Philosophy claims morality as an integral part of its domain.

In the eyes of critics, the study of morality does not constitute a science, nor even a section of science: it is a collection of precepts and rules of conduct borrowed from aesthetics, hygiene, physiology, political economy, psychology, etc.; in short, to the different spheres of science. Moral obligation consists in the forced adherence of reason to the laws of order.

Thus, social duties, or relations between man and man: matters of political economy.

Temperance, chastity, politeness: matters of hygiene, physiology and taste.

Morality, I repeat, is that set of motives destined to regulate our actions and serve as a check on our inclinations; it is the pharmacy of the soul, as the Egyptian Osymandias said: it is not a science, it is an encyclopedia.

126. Philosophers understand it differently: according to them, morality is born entirely of psychology, of the knowledge of the self. God, they say, has placed within us the image of good. This image of the just, the beautiful, the holy and the true, is the great matrix of all our moral ideas, the ark of our duties and our rights, the paradigm of our virtues. Now morality is the conformity of our will to the ideal that is revealed to us in conscience; from which it follows that in order to fulfill the law two things are necessary: 1. to  know the divine type which exists within us; 2. to direct our faculties towards the realization of this type. All this is a rigorous deduction: unfortunately, the so-called type is liable to change, consequently to falsify our consciousness; and they have forgotten to tell us by what signs we can recognize that the inspirations of the latter are legitimate. No matter: such fine reasoning could not fail to be admired; so it has been pushed to the limit.

The moral law being nothing other than the absolute commandment of conscience, it has been asked what conscience prescribes to man to do with regard to the prince, with regard to his fellows, with the regard to himself. Instead of regarding the man and his fellow man, the prince and the citizen, as two terms whose relation existed independently of conscience, and constituted the true moral law, it was imagined that the latter pre-existed entirely, with its consequences and its applications, in the self, and we have undertaken to demonstrate it syllogistically apart from all observation and analysis. It was then that arbitrariness was introduced into morality, and that respect for tyranny, contempt for labor under the pretext of detachment and mysticism, the practice of ridiculous or atrocious superstitions, were erected into virtues: it was then that we were able to train souls for servitude through an imaginary morality, and to justify all forms of government. I won’t go far to seek my proofs.

127. I start with politics.

“The era of simple governments is the childhood of humanity. Truth is not in any of these governments: for truth is life and life is not a simple thing. Life is everywhere the harmony of two terms. In nature, it is the accord of movement and measure; in society, it is the union of order and freedom.”

A magnificently stated major premise, whose complete demonstration would immortalize an author: Government is a complex or synthetic thing. Let’s continue.

“I know of nothing more apt to inspire disgust with theories hollow than the careful study of representative government… This government does not represent wills, which are themselves variable and changing; nor classes, as there are none: it represents principles.

“These principles are order, liberty, the accord of order and liberty.

“The power that represents order must be strong and single: therefore royalty and heredity.

“The power that represents liberty will come from election, because the will best represents liberty.

“The moderating power is a kind of aristocracy, made up of the notable figuress of the nation. (Cousin, Cours de Philosophie de l’histoire.)

Let us summarize: The government must be synthetic. — Now, representative government is synthetic, since it represents opposing principles; — therefore the government of July is the most respectable of governments, and the charter is a masterpiece!

I leave the reader to think if it does not seem to him, on the contrary, according to the experience of the last twenty years, that the monarchical and democratic principles are always on the point of devouring each other, far from uniting? O philosopher! Your marvel of representative government looks like a Thebaid; and your syllogism sins, not by the general rule, but by the vice of application. It was a question of synthesizing two principles, order and lliberty, democracy and unity; and you have only brought passions and interests into conflict!

128. Politics being, according to philosophers, a dependence on morality, and morality a dependence on philosophy, philosophers have found themselves, by virtue of a sorites, the arbiters of princes, legislators, parliaments, public education; in short, the first in society, the greatest among men.

“What are,” asks M. Cousin, “the genres most favorable to the development of great men? Religion kills individuality; industry develops only gradually; the arts and the government of the states offer more chances; but the two genres which best lend themselves to the development of great individualities are war and philosophy.”

Certainly M. Cousin, when he uttered this phrase, did not contradict himself; I should like, however, to have seen the play of his countenance.

“Nowhere are there more great men than in philosophy.” 


I conclude that it is less difficult to make yourself big there than elsewhere.

“The two greatest things in the world are to act or to think…”

Does Mr. Cousin take noise and grandiloquence for greatness?

“The field of battle, or the life of the study.”

Of course, the man who thinks must prevail over the man who kills. One would take this for a joke on the part of M. Cousin, if we did not know how far philosophical candor goes.

“Thought has a right to grandeur and to the protection of the State. It fulfills its mission directly when it establishes by law the liberty to think, speak and publish; it fulfills it again, but indirectly, when it proclaims the admissibility of all to employment. Who does not see, in fact, that thought, in order to develop itself, requires a goal, and that the monopoly of high functions cuts its wings, by depriving it of the hope of a high reward?”

Here the modesty of the master has so enveloped the syllogism that it is necessary for me to release it:

The highest capacity is entitled to the highest office of the state, without which it could not live:

Now the philosopher is the man of ability, the great man par excellence;

So it is up to the philosopher to govern the state.

Frederick II responded to this syllogism by saying that, when he wished to chastise a province, he would send philosophers there.

129. Often, instead of formulating his thought in complete and linked syllogisms, the philosopher limits himself to expressing a series of generalities unrelated to each other and without indicated consequences: then the philosophical work becomes a continualgibberish, which we admire all the more because it stuns more, and whose effect on the understanding resembles that of an opiate potion on the brain. Moralists, especially, are subject to these ramblings: among ten thousand examples that I could cite, I choose the following:

“If sex is really the material means used by nature to found the family, it is neither the only one nor the most powerful; and there is another, at the same time higher, more lively, more durable and purer. There is also the moral sex: in the soul as in the organs, there are qualities that, from conscience to conscience, make one need to unite and to somehow marry one’s thought to another thought, one’s will to another will. Everything is arranged with harmony; everything is done for competition, and there is no contradiction between the physical destination of a being and its spiritual destination. Man is man both in body and in spirit, and woman likewise. But in this concert, the leading role is always in the mind; it is what feels and what thinks, what wants and what does, it is the head and the heart, it is the person in a word that one loves, when it is good, with that long and tender love that lasts as long as life… seconded by the grace and the gentle movement of the other, both charm each other in such a way as to adore each other with intoxication and a stirring admiration. Beauty is in no way a thing of meaning, and only appears in meaning through reflection and expression…

“The spouses have children; before having them, they hoped for them; when they have them, they cherish them; they are happy with them as with a good that fulfills the wish of their love… It is here their blood, it is their fruit, it is their very life reproduced in the most graceful and touching forms, which serves as expression and symbol of their union; and the expression is all the more faithful, as it proceeds from the very act in which the union is most complete.” [17]

Let us dwell on the act where the union is the most complete. This style and these ideas are indescribable: is it a philosophical meditation, a pastoral or a dithyramb? What results from this? What is this sex of the soul? What is love? What is marriage? What are the laws of one and the other?… Is this, finally, what the eclectics call moral philosophy?…

130. Let us end this section with a double observation.

1. During  the first period of the philosophical movement, the mind, still faithful to religion, was limited to agitating it in all directions, to developing its fictions and pursuing its mysteries: during the period we have just described, it separates itself openly from the religious datum and treats it as an enemy. Proud of its logical power, it disdains faith, and only admits what the syllogism reveals. Then begins the war between the men of resistance and immobility, and the seekers of adventure and pursuers of discoveries: priests on one side, philosophers on the other, equally blind and therefore equally intolerant, curse each other and signal themselves to the hatred and revenge of the peoples. Under the color of impiety, the ministers of religion burn the philosophers, who, on their side, conspiring in the shadows, hatch the revolutions where the priests are massacred by the thousands. But neither of them know, to speak like the Gospel, from what spirit they proceed: walking and wandering in equal darkness, the same light must in the end envelop them all, illuminate their steps and dissipate their dreams.

2. As religion is the contemplation of the indistinct and infinite All, the conception of the absolute by faith;

Similarly philosophy is the investigation of the universal cause, the search for the all-science by the deduction of ideas.

So far, then, philosophy is only an impotent pansophy: we are going to see how the progress of discoveries and the change of method, leading to the creation of special and positive sciences, lead to the extinction of philosophy.

§ IV. — Transformation du syllogisme. — Démembrement et fin de la
philosophie.

131. Les prêtres disaient : L’univers est le reflet du grand Être, dont l’essence et les attributs se découvrent à nous dans ses ouvrages. Adoration, foi, amour au Créateur des mondes.

Les philosophes répondirent : Les ouvrages de Dieu sont impénétrables dans leur substance ; nous ne voyons que des puissances et des phénomènes ; pour nous élever jusqu’à Lui, il faut parcourir la chaîne des effets et des causes.

Mais, observent les savants, les causes ainsi que les substances sont insaisissables ; nous ne percevons que des rapports et des lois.

En deux mots, comme la méditation sur Dieu et ses œuvres avait conduit à la conception des forces et des causes, de même l’investigation de celles-ci aboutit sur tous les points à la découverte de l’ordre et de ses conditions.

Mais cette évolution n’a point lieu par un vaste mouvement d’ensemble ; elle ne s’opère que par une fragmentation insensible du champ philosophique et religieux. Au commencement, la philosophie abandonne une foule de choses à la religion ; de son côté, la science, nécessairement spéciale, reste longtemps étrangère aux spéculations de la philosophie : mais enfin, la carrière philosophique s’étendant toujours envahit la religion, et les spécialités scientifiques se multipliant sans fin, le domaine de la philosophie disparaît.

132. La décadence de la philosophie, ou plutôt sa conversion en connaissance exacte, commence par l’altération de sa méthode. Le syllogisme, de formule généalogique et déductive qu’il était, devient, à l’insu même de ceux qui l’emploient, formule d’équation et de généralisation. Car il n’est point dans la marche habituelle de l’esprit humain, non plus que de la nature, de sauter brusquement d’une idée à l’idée contraire, de quitter une ébauche pour recommencer à nouveau son travail ; mais d’arriver au but par des rectifications et des amendements graduels, dont le résultat n’est point une destruction, mais une métamorphose.

133. Lorsque le mathématicien, formé à l’école philosophique, s’est dit, le compas à la main :

A est égal à B,
Or B est égal à C,
Donc A est égal à C ;

il a donné à sa démonstration le tour syllogistique, mais il n’a pas fait de syllogisme ; il a fait une équation. Toutes les démonstrations de la géométrie sont de cette espèce ; elles ont été résumées dans cet axiome, Deux quantités égales à une troisième sont égales entre elles, axiome qui n’est point, comme on le dit, une vérité simple, mais la formule générale de la méthode géométrique.

134. Or, dans ce raisonnement de géomètre, deux choses sont à noter :

1o La majeure et la mineure peuvent être deux propositions particulières, et la conclusion être une proposition plus générale que les prémisses, sans que la certitude du raisonnement en soit le moins du monde affectée, ce qui n’a pas lieu dans le syllogisme. C’est même ainsi que les mathématiques s’élèvent à ces hautes et magnifiques formules, qui sont comme le résumé succinct d’une longue série d’équations, et qu’on appelle lois.

2o La comparaison des termes ayant fait ressortir le rapport d’identité qui les unit, l’idée qui représente ce rapport est dite abstraite, comme qui dirait, tirée de deux ou plusieurs sujets différents. L’idée abstraite ne représente par elle-même rien de réel, c’est-à-dire, ni cause ni substance.

135. Toute la science humaine consiste à abstraire et formuler des rapports… À ce compte, dira-t-on, la philosophie est la science par excellence : quelle autre est plus riche en abstractions ? — Oui, me permettrai-je d’ajouter, en abstractions mal tirées, c’est-à-dire en rapports imaginaires. Depuis que la philosophie s’est proclamée science des causes, du général, de la vérité, de l’être, elle n’a cessé, tout en syllogisant, de formuler et d’abstraire ; mais jamais elle n’a déterminé l’objet sur lequel elle opérait : or, la marche de l’abstraction varie selon l’objet de chaque science ; et la philosophie a l’univers entier pour objet, et la philosophie n’a pour méthode que le syllogisme ; — jamais elle n’a essayé de donner une théorie générale et transcendante de l’abstraction ; or, sans cette théorie, la certitude sur les points controversés encore par la philosophie ne peut être acquise. Plagiaire de la science et toujours poursuivie par son hallucination de causalité, la philosophie a montré son impuissance jusque dans ses imitations : empruntant des abstractions partout, et de leur comparaison ne tirant que des analogies ; prenant ses syllogismes retournés (l’induction) pour un art d’abstraire, et les abstractions qu’elle forgeait pour des causes.

Mais j’ai trop parlé déjà des aberrations de la philosophie : hâtons-nous d’achever son histoire.

136. La comparaison des termes, le rapport, qu’elle fournit, l’idée abstraite qui en résulte, ayant donné le signal de la révolution, on commença à renoncer aux rêveries de l’école, et à revenir à l’expérience. Bacon fut, comme chacun sait, le promoteur principal de cette réforme. La méthode syllogistique fut délaissée, mais prêta encore sa forme aux assimilations progressives ou équations graduées, par lesquelles on s’élève du connu à l’inconnu.

Il n’est pas peut-être une seule loi, en physique, qui n’ait été de la sorte découverte. Descartes expliquait le système du monde par l’hypothèse syllogistique des tourbillons ; Newton renversa cette hypothèse en faisant équation entre la chute d’une pomme et la révolution de la lune.

Avant Lavoisier, le phlogistique passait pour une des grandes puissances de la nature, et l’on appelait les oxydes métalliques, métaux déphlogistiqués : on croyait que l’oxyde était un corps simple, et le métal, ce même corps simple, vivifié en quelque sorte par le phlogistique. Lavoisier montra, la balance à la main, par une équation sensible, que l’oxyde étant plus pesant que le métal, c’était lui qui était le composé ; puis, en dégageant l’oxygène, que le phlogistique n’existait pas.

137. En politique, le principe d’hiérarchie, qui attribuait jadis une autorité absolue au père de famille, avait conduit à l’esclavage, au plébéianisme ou prolétariat, et enfin à la monarchie absolue : le principe nouveau, bien que partant d’une hypothèse fausse, commença la période d’affranchissement des nations modernes.

On disait autrefois :

Obéissance à Dieu ;

Obéissance à la loi qui vient de Dieu ;

Obéissance au roi qui tient ses pouvoirs de Dieu[18].

On dit maintenant :

Respect aux conventions et aux contrats ;

Respect aux institutions, qui ne sont que des contrats,

Respect à l’autorité publique, conservatrice du pacte social.

La première formule emporte l’idée de filiation, de causation ; la seconde implique l’idée d’égalité, de ressemblance. En effet, qu’est-ce qu’un contrat, sinon la reconnaissance des rapports d’individu à individu ?

Bossuet est l’orateur de l’ancienne politique ; Rousseau celui de la nouvelle. Reste à savoir si l’ordre social repose sur des conventions et des contrats : mais toujours est-il que déjà la méthode nouvelle a pénétré notre droit public.

§ IV. — Transformation of the syllogism. — Dismemberment and end of philosophy.

131. The priests said: The universe is the reflection of the great Being, whose essence and attributes are revealed to us in his works. Adoration, faith, love to the Creator of the worlds.

The philosophers answered: The works of God are impenetrable in their substance; we only see powers and phenomena; to raise ourselves up to to Him, we must traverse the chain of effects and causes.

But, observe the scholars, the causes as well as the substances are elusive; we perceive only relations and laws.

In short, as meditation on God and his works had led to the conception of forces and causes, so the investigation of these leads on all points to the discovery of order and its conditions.

But this evolution does not take place through a vast general movement; it operates only through an insensible fragmentation of the philosophical and religious field. At the beginning, philosophy abandons a host of things to religion; for its part, science, necessarily special, remains for a long time foreign to the speculations of philosophy: but finally, the ever-expanding philosophical career invades religion and scientific, specialties multiplying endlessly, the domain of philosophy disappears.


132. The decadence of philosophy, or rather its conversion into exact knowledge, begins with the alteration of its method. The syllogism, genealogical and deductive formula that it was, becomes, without the knowledge even of those which employ it, a formula of equation and generalization. For it is not in the habitual course of the human mind, any more than in that of nature, to leap abruptly from one idea to the opposite idea, to leave a sketch to begin its work anew; but to arrive at the goal by gradual rectifications and amendments, the result of which is not destruction, but metamorphosis.

133. When the mathematician, trained in the philosophical school, said to himself, compass in hand:

A is equal to B,
But B is equal to C,
So A is equal to C;

he gave his demonstration the syllogistic turn, but he did not make a syllogism; he made an equation. All the demonstrations of geometry are of this kind; they have been summed up in this axiom, Two quantities equal to a third are equal to each other, an axiom that is not, as they say, a simple truth, but the general formula of the geometrical method.

134. Now, in this geometrical reasoning, two things should be noted:

1. The major  and the minor premises may be two particular propositions, and the conclusion may be a proposition more general than the premises, without the certainty of the reasoning being affected in the least, which does not take place in the syllogism. It is even in this way that mathematics rises to those lofty and magnificent formulas, which are like the succinct summary of a long series of equations, and which are called laws.

2. The comparison  of the terms having brought out the relation of identity that unites them, the idea that represents this relation is said to be abstract, as it were, drawn from two or more different subjects. The abstract idea by itself represents nothing real, that is to say, neither cause nor substance.

135. All of human science consists in abstracting and formulating relations… On this account, it will be said, philosophy is the science par excellence: what other is richer in abstractions? — Yes, I would venture to add, in badly drawn abstractions, that is to say in imaginary relations. Since philosophy proclaimed itself the science of causes, of the general, of truth, of being, it has never ceased, while syllogizing, to formulate and abstract; but it has never determined the object on which it operated. Now, the course of abstraction varies according to the object of each science; and philosophy has the whole universe for object, and philosophy has for method only the syllogism; — it has never tried to give a general and transcendent theory of abstraction; however, without this theory, certainty regarding the points still disputed by philosophy cannot be acquired. Plagiarizing science and always pursued by its hallucination of causality, philosophy has shown its impotence even in its imitations: borrowing abstractions everywhere and from their comparison drawing only analogies; taking its inverted syllogisms (induction) for an art of abstraction,

But I have already spoken too much of the aberrations of philosophy: let us hasten to complete its history.

136. The comparison of terms, the relation it furnishes, the abstract idea that results from it, having given the signal for the revolution, we began to renounce the reveries of school, and to return to experience. Bacon was, as everyone knows, the main promoter of this reform. The syllogistic method was abandoned, but still lent its form to the progressive assimilations or graduated equations, by which one rises from the known to the unknown.

There is not perhaps a single law in physics that has not been discovered in this way. Descartes explained the system of the world by the syllogistic hypothesis of vortices; Newton reversed this hypothesis by making an equation between the fall of an apple and the revolution of the moon.

Before Lavoisier, phlogiston was considered one of the great powers of nature, and metallic oxides were called dephlogisticated metals: it was believed that the oxide was a simple body and the metal, this same simple body, vivified in some way by the phlogiston. Lavoisier showed, balance in hand, by a sensitive equation, that the oxide being heavier than the metal, it was this that was the compound; then, by disengaging the oxygen, that the phlogiston did not exist.

137. In politics, the principle of hierarchy, which formerly attributed absolute authority to the father of the family, had led to slavery, to plebeianism or proletariat, and finally to absolute monarchy: the new principle, although starting from a false assumption, began the period of liberation for the modern nations.

It used to be said:

Obedience to God;
Obedience to the law that comes from God;
Obedience to the king who holds his powers from God [18] .

We now say:

Compliance with conventions and contracts;
Respect for institutions, which are only contracts,
Respect for public authority, conservator of the social pact.

The first formula carries the idea of filiation, of causation; the second implies the idea of equality, of resemblance. Indeed, what is a contract if not the recognition of relationships between individual and individual?

Bossuet is the orator of the old politics; Rousseau that of the new. It remains to be seen whether the social order rests on conventions and contracts, but the fact remains that the new method has already suffused our public right.

138. Aussitôt que par la détermination de leur objet et la création de leur méthode, les diverses spécialités scientifiques se furent détachées de la philosophie, la guerre s’alluma entre les savants et les philosophes, comme autrefois elle s’était allumée entre les philosophes et les prêtres. Toutefois la rivalité fut moins passionnée, elle ne s’étendit point jusqu’aux masses, et s’exprima seulement par le mépris. Les savants prirent en pitié profonde ces philosophes, dont un ancien disait, il y a plus de deux mille ans, qu’il n’était absurdité si grande qu’ils n’eussent soutenue ; les physiciens se divertirent des théories sur le vide et les atomes ; les chimistes, par l’organe de l’un d’eux, érigèrent cette plaisanterie en axiome : Bon péripatéticien, mauvais chimiste, et réciproquement ; les mathématiciens badinaient de l’ontologie et de la logique ; les physiologistes tournaient en ridicule la psychologie : toutes les sciences, enfin, à peine délivrées du cauchemar philosophique, levèrent le pied contre celle qui avait été leur mère.

Les philosophes, de leur côté, toujours superbes, toujours présomptueux malgré leurs mécomptes, dédaignent, comme de petits génies, ces hommes enfermés dans l’étroite sphère de leur spécialité ; ils se flattent d’avoir seuls des idées universelles, et se prétendent savants, à tout le moins, dans la première des sciences, la science de l’homme, de la société, de Dieu. Ils oublient que limiter ainsi leurs prétentions, c’est perdre du terrain : que dis-je ? une foule de spécialités naissantes déjà menacent le champ qu’ils se sont arrogé. La philologie a planté son drapeau sur l’un des plus fertiles cantons de la science de l’esprit ; la physiologie, l’anatomie comparée, la crânioscopie, le magnétisme animal, se permettent tous les jours des excursions sur les terres de la psychologie ; l’économie politique paraît vouloir prendre pour elle tout ce qui concerne le gouvernement des sociétés. Que restera-t-il tout à l’heure à la philosophie ?

139. Autre observation non moins importante : À mesure que la philosophie se retire, la certitude se forme ; à mesure que l’analyse, la comparaison, l’abstraction et les méthodes de classification se perfectionnent, la science naît ; en sorte que l’on peut dire avec vérité, que le plus grand obstacle à la science, après la religion, c’est la philosophie. Bien plus, le scepticisme lui-même, ce fils aîné de la philosophie, semble la suivre dans sa déroute ; déjà il est évincé d’une foule de positions, et, chose à noter, les seules où il règne encore sont précisément les mêmes que la philosophie occupe, et que la vraie méthode n’a point éclairées de son flambeau. À cet instant suprême, la philosophie éperdue se recueille, et tente un dernier effort.

140. Après avoir, pendant une longue suite de siècles, tourmenté la nature et fatigué la conscience de ses ardentes investigations ; après avoir élevé système sur système, et, toujours élargissait ses hypothèses, s’être pour ainsi dire égalée à l’infini, la philosophie en vient à se saisir elle-même : elle s’interroge à son tour ; elle veut se connaître, et elle entreprend de dresser son inventaire. Les philosophes, entraînés par l’exemple général et par la puissante voix de Bacon, honteux de se voir dépassés, veulent, eux aussi, observer, analyser, comparer. Mais, comme ils ne sauraient déroger, les faits qu’ils observeront, analyseront, compareront, seront des faits philosophiques. Sans sortir du domaine qui leur est propre, ils se font historiens, compilateurs, érudits : par cela seul ils deviennent d’autres hommes. Pour la première fois l’esprit de science les illumine ; pour la première fois leur psychologie promet quelque chose, et l’on espère que de l’histoire de la philosophie sortira peut-être une science philosophique.

Il n’en sera rien pourtant : cette tentative désespérée n’aboutira qu’au néant. La destinée de la philosophie est de porter le flot de l’esprit humain jusqu’aux rives si longtemps désirées de la certitude et de la méthode : une fois l’initiation accomplie, l’initiatrice doit mourir.

141. Cette vaste exégèse de philosophie ancienne et moderne, entreprise à la gloire des penseurs dits philosophes, et au grand bénéfice de leurs successeurs dits éclectiques, a produit, selon les tempéraments, un double résultat.

Les uns n’ont vu dans l’amas incohérent des songes philosophiques que des témoignages de folie et d’impuissance, et se sont rejetés aussitôt, qui dans le scepticisme, qui dans la religion[19].

Les autres, plus robustes ou plus opiniâtres, ont senti leur confiance se raviver, plus forte que jamais. D’une part, ils avaient aperçu, à travers le chaos des doctrines, une gradation qui, par une suite d’oscillations et avec une force invincible, conduisait l’esprit d’un système à l’autre, sans qu’il lui fût possible d’anticiper jamais sur sa route ; et cette marche, constamment observée, leur faisait entrevoir pour la philosophie le commencement d’une nouvelle période. D’autre part, présumant que, de l’ensemble même des sciences constituées hors de leur domaine, il sortirait une philosophie qui les embrasserait toutes, ils se mirent, par provision, à préparer les matériaux de cette philosophie, en faisant une sorte de choix et d’assortiment parmi les immenses ruines que le temps avait accumulées sur leur territoire.

Quel fut le résultat de cette entreprise ?

142. D’après ce qui vient d’être dit et ce que l’on a vu plus haut, la période philosophique se développe en quatre moments principaux :

L’ère des superstitions, dans laquelle la philosophie se rapproche de la condition religieuse, et où l’esprit, entraîné par le concept de cause, prend son essor dans l’infini des spéculations ;
L’ère de la sophistique, ou de la constitution du syllogisme, première régularisation du jugement ;
L’ère de la détermination des sciences, par l’observation des faits et la transformation du syllogisme en équation ;
Enfin l’ère de l’autopsie philosophique, ou prélude à la découverte de la méthode universelle.

Tel est le véritable cycle philosophique.

143. Mais l’exégèse des nouveaux sophistes n’embrasse pas les choses d’une manière aussi simple : ils ont tracé de leur côté un cycle de la philosophie, qui, par certains points, se rapproche de celui-là, mais dont l’échelle est beaucoup moins exactement déterminée, et les époques plus indécises.

Période panthéiste, où l’esprit, absorbé dans la contemplation de la nature, plongé dans les idées d’être, de vie, d’intelligence, ne voit qu’un être, une cause, un esprit. Cette période est, comme l’on voit, semi-religieuse et semi-philosophique : les philosophes modernes revendiquent, comme étant de leur domaine, les systèmes religieux de théogonie, cosmogonie et politique.
Période matérialiste et période spiritualiste, ordinairement contemporaines, réactionnaires l’une à l’autre, et belligérantes. Les systèmes que ces deux périodes représentent emploient également le syllogisme, et s’en servent avec un pareil avantage.
Période sceptique et période mystique, produites par l’épuisement intellectuel qu’occasionnent les disputes des périodes précédentes. Le scepticisme et le mysticisme sont le Charybde et le Scylla de la philosophie.
Enfin période éclectique, coïncidant avec le quatrième moment de la série plus haut énoncée.

144. Le vice de cette classification, consiste en ce que les auteurs ont varié dans leur point de vue (voir ch. iii, § 5), et ont caractérisé leurs périodes, tantôt par la doctrine, tantôt par la méthode. Ainsi, la période éclectique indique moins un système qu’un procédé ; les périodes matérialiste et spiritualiste, au contraire, sont prises des systèmes en vogue ; tandis que les périodes sceptique et mystique n’indiquent ni système ni méthode. Ce cycle, en un mot, ne formule pas le progrès de l’éducation de l’intelligence : il rappelle seulement quelques vues de la raison, et le double écueil où elle se brise.

Le cycle décrit par nous, au contraire, représente uniquement le mouvement de l’esprit hors de la religion et sa marche vers la science : c’est ainsi, par exemple, que l’ère éclectique s’y trouve régulièrement placée après l’ère de la détermination des sciences, qui suit elle-même la transformation du syllogisme.

138. As soon as the various scientific specialties were detached from philosophy, by the determination of their object and the creation of their method, war broke out between scholars and philosophers, as it had formerly ignited between philosophers and priests. However, the rivalry was less passionate, it did not extend to the masses, and was expressed only by contempt. The scholars took deep pity on these philosophers, of whom one ancient said, more than two thousand years ago, that there was no absurdity so great that they had not supported it; the physicists were amused by theories of vacuum and atoms; the chemists, through one of their number, turned this joke into an axiom: Good peripatetician, bad chemist, and reciprocally; mathematicians joked about ontology and logic; physiologists ridiculed psychology: all the sciences, finally, barely delivered from the philosophical nightmare, suddenly fled that the discipline that had been their mother.

The philosophers, on their side, always haughty, always presumptuous in spite of their disappointments, look down, like little geniuses, on these men enclosed in the narrow sphere of their specialty; they flatter themselves that they alone have universal ideas, and claim to be learned, at the very least, in the first of the sciences, the science of man, of society, of God. They forget that to limit their claims in this way is to lose ground. What am I saying? A host of nascent specialties are already threatening the field they have arrogated to themselves. Philology has planted its flag over one of the most fertile cantons of the science of the mind; physiology, comparative anatomy, cranioscopy, animal magnetism, allow themselves daily excursions into the lands of psychology; political economy seems to want to take for itself everything that concerns the government of societies. Soon, what will remain of philosophy?

139. Another observation no less important: As philosophy withdraws, certainty is formed; as analysis, comparison, abstraction and methods of classification are perfected, science is born; so that we can say with truth that the greatest obstacle to science, after religion, is philosophy. Nay more, skepticism itself, that eldest son of philosophy, seems to follow it in its defeat; already it is ousted from a host of positions and, one thing to note, the only ones where it still reigns are precisely the same ones that philosophy occupies, and that the true method has not illuminated with its torch. At this supreme moment, distraught philosophy collects itself and attempts a last effort.

140. After having, for a long succession of centuries, tormented nature and fatigued the conscience with its ardent investigations; after having raised system upon system and, always expanding its hypotheses, having, so to speak, equalized itself to infinity, philosophy comes to grasp itself: it questions itself in its turn; it wants to know it self and it undertakes to draw up its inventory. The philosophers, carried along by the general example and by the powerful voice of Bacon, ashamed of seeing themselves overtaken, also want to observe, analyze, compare. But, as they cannot derogate, the facts that they will observe, analyze and compare will be philosophical facts. Without departing from their own domain, they become historians, compilers, scholars: by this alone they become other men. For the first time the spirit of science enlightens them; for the first time their psychology promises something, and it is hoped that from the history of philosophy will perhaps emerge a philosophical science.

However, this will not be the case: this desperate attempt will only end in nothing. The destiny of philosophy is to carry the flow of the human spirit to the long-desired shores of certainty and method: once the initiation is accomplished, the initiator must die.


141. This vast exegesis of ancient and modern philosophy, undertaken to the glory of thinkers called philosophers, and to the great benefit of their successors called eclectics, has produced, according to temperament, a double result.

Some have seen in the incoherent heap of philosophical dreams only testimonies of madness and impotence, and have immediately thrown themselves, some into skepticism, some into religion. [19]

The others, more robust or more stubborn, felt their confidence rekindled, stronger than ever. On the one hand, they had perceived, through the chaos of doctrines, a gradation which, by a series of oscillations and with an invincible force, led the mind from one system to another, without was possible to anticipate ever on its way; and this progress, constantly observed, gave them a glimpse of the beginning of a new period in philosophy. On the other hand, presuming that, from the very ensemble of sciences constituted outside their domain, there would emerge a philosophy which would embrace them all, they began, by way of provision, to prepare the materials for this philosophy, by making a sort of choice and assortment among the immense ruins that time had accumulated on their territory.

What was the result of this enterprise?

142. According to what has just been said and what we have seen above, the philosophical period develops in four main moments:

The era of superstitions, in which philosophy approaches the religious condition, and when the mind, carried away by the concept of cause, takes off into the infinity of speculation;

The era of sophistry, or of the constitution of the syllogism, the first regularization of judgment;

The era of the determination of sciences, by the observation of facts and the transformation of the syllogism into an equation;

Finally the era of the philosophical autopsy, or prelude to the discovery of the universal method.

This is the true philosophical cycle.

143. But the exegesis of the new sophists does not embrace things in such a simple way: they have traced on their side a cycle of philosophy, that, in certain points, approaches this one, but the scale of which is much less exactly determined and the periods more indecisive.

Pantheistic period, when the mind, absorbed in the contemplation of nature, immersed in the ideas of being, of life, of intelligence, sees only one being, one cause, one spirit. This period is, as we see, semi-religious and semi-philosophical: modern philosophers claim as their domain the religious systems of theogony, cosmogony and politics.

Materialist period and spiritualist period, usually contemporaneous, reactionary to each other and belligerent. The systems represented by these two periods also employ the syllogism, and use it with equal advantage.

Skeptical period and mystical period, produced by the intellectual exhaustion caused by the disputes of the preceding periods. Skepticism and mysticism are the Charybdis and Scylla of philosophy.

Finally , an eclectic period, coinciding with the fourth moment in the series mentioned above.

144. The vice of this classification consists in the fact that the authors have varied in their point of view (see ch.  iii, §5), and have characterized their periods, sometimes by doctrine, sometimes by method. Thus, the eclectic period indicates less a system than a process; the materialist and spiritualist periods, on the contrary, are taken from the systems in vogue; while the skeptical and mystical periods indicate neither system nor method. This cycle, in a word, does not formulate the progress of the education of the intelligence: it merely recalls some views of reason and the double stumbling block on which it breaks.

The cycle described by us, on the contrary, represents only the movement of the mind out of religion and its march towards science: it is thus, for example, that the eclectic era is regularly placed there after the era of the determination of the sciences, which itself follows the transformation of the syllogism.

145. Quoi qu’il en soit de l’exactitude du cycle philosophique décrit par les modernes, et dont M. Cousin s’est fait l’interprète dans une suite de leçons les plus intéressantes de ses cours, les conséquences qui en résultèrent furent précieuses, soit pour l’intelligence de l’histoire, soit pour l’avancement de la psychologie. On peut affirmer hardiment que ce qui a été dit de meilleur sur l’enfance des sociétés, le progrès de la civilisation, la valeur du symbolisme religieux, et la tendance des gouvernements, date de la publication de ces idées, qui, rapidement vulgarisées, gouvernent maintenant l’opinion.

L’histoire de la philosophie, entreprise par les philosophes, a donné le secret des révolutions de l’humanité et soulevé un coin du voile qui couvre notre nature. Grâce à ces études, nous savons que le développement de l’individu est identique au développement de l’espèce, et que celle-ci n’étant, pour ainsi dire, que le grossissement de celui-là, c’est dans l’histoire et la législation comparées qu’il faut étudier le moi, et chercher la psychologie. Grâce à cette revue des philosophies, la Religion a été devinée ; le sens de ses dogmes et de ses mystères a été compris, et nous avons senti en même temps que cette forme primitive de notre pensée révélait en nous des aspirations inexplicables et d’impérieuses tendances. Grâce enfin à l’examen de conscience des philosophes, le jour commence à luire sur l’avenir des peuples, ensevelis encore dans les langes d’une superstition sacrée ou d’un fatalisme inflexible ; le respect de l’homme et la foi à ses hautes destinées sont revenus au cœur des politiques ; les royautés s’abaissent, le prolétariat grandit, et de toutes parts on proclame que le peuple atteint l’âge viril, et qu’il est temps de constituer la grande famille.

Ce que ne comprenait pas Bossuet, et qu’il adorait sous le nom de Providence ; ce que Montesquieu soupçonnait à peine ; ce qu’entrevirent Herder et Vico, la grande loi de l’histoire, en un mot le Progrès, nous le voyons se dégager devant la discussion éclectique comme le soleil apparaît au milieu des nuages chassés par le souffle de la bise. De tels services ne s’oublient pas, et suffisent à légitimer, aux yeux de la raison, le passage de la philosophie. Mais tous les faits sociaux ne sont pas donnés ; encore quelques efforts d’intelligence, encore quelques secousses du monstre populaire, et l’histoire se lira dans l’avenir comme dans le passé : alors, embrassant le temps dans ses deux dimensions, nous commencerons à devenir comme des dieux, éternels.

146. Quelles sont donc les conclusions prises par la philosophie elle-même, d’après les données de son histoire, sur sa destinée future ? Elles sont au nombre de deux.

a) La première pensée que suggérèrent l’analyse et la comparaison de tant de doctrines fut une pensée d’éclectisme : il n’en pouvait être autrement. En effet, disait-on, l’erreur n’est jamais absolue : cela se démontre à priori. L’erreur n’est qu’une image inexacte de la réalité, un rapport mal saisi, une loi mal formulée. On peut affirmer, jusqu’à certain point, que sur Dieu, l’homme et la société, toutes les vérités essentielles ont été entrevues ; qu’elles se trouvent chacune consignée quelque part dans les écrits des philosophes ; seulement, elles ont été ou mal rendues, ou mal classées ; par conséquent, la preuve reste à faire. Si donc il était possible, dans tout ce que la philosophie a produit, de dégager le vrai du faux, de retrouver l’ordre et la série, sans doute il sortirait de ce travail une masse d’idées qui, si elle ne dissipait tous les doutes et ne répondait à toutes les questions, offrirait du moins les parties principales d’une philosophie définitive, qu’il serait alors plus aisé de compléter.

Certainement l’éclectisme, en se proposant de faire l’épuration des matériaux accumulés par la philosophie, poursuivait une tâche utile, et, sous ce rapport, je le trouve exempt de blâme. Mais qui dit éclectisme dit nécessairement ordonnance de choses dispersées et confondues ; pour trouver cette ordonnance, il faut une règle, une mesure, une méthode enfin : donc, d’après le but avoué des éclectiques, l’éclectisme se résout tout entier dans la recherche d’une méthode.

147. b) La méthode nécessaire à la constitution de la science philosophique présumée ne peut être ni celle usitée jusqu’à ce jour en philosophie, puisque par son moyen l’on n’a rien su produire ; ni aucune des méthodes particulières suivies dans les sciences, puisque ce qui a détaché chaque science du faisceau philosophique est précisément la spécialité de sa méthode.

Il reste que la méthode demandée résulte de la comparaison des sciences et des méthodes : ainsi donc, ou cette méthode n’est pas, ou elle est universelle, transcendante, absolue.

148. Une dernière question se présente : La méthode universelle conduira-t-elle à une science universelle ?

Sur ce point, les opinions se divisent. Les uns, et ceux-là forment le plus grand nombre, travaillent résolument à réaliser l’ancien programme, scientia Dei, hominis et mundi, à ramener tout à un seul principe, à une seule cause, à un fait unique ; à faire de la philosophie, en un mot, une pansophie. Telle est la pensée qui a fait éclore les grands systèmes de philosophie allemande, et chez nous, les hardies synthèses de MM. Azaïs, de Lamennais, Saint-Simon, Fourier. Il n’est si mince bachelier qui, jetant pêle-mêle physique et littérature, histoire naturelle et psychologie, morale et langues, ne s’imagine arriver bientôt au dernier mot de la science, à la possession de l’absolu[20].

Les autres protestent contre cette intempérance de généralisation, et craignent que l’intervention des sciences dans la philosophie n’ait pour résultat final de lui enlever la spécialité, sans laquelle une science, ne se distinguant pas des autres, est comme si elle n’était pas. M. Jouffroy, dans sa classification posthume des sciences philosophiques, a même cherché à déterminer cette spécialité : selon lui, la philosophie est la connaissance du moi, de ses facultés, de ses rapports avec l’Univers et Dieu ; elle se divise naturellement en psychologie, logique et morale.

149. Au chapitre suivant, nous ferons voir, contre les partisans de la première opinion, que l’idée d’une science universelle est, comme la quadrature du cercle et la transmutation des métaux, une chimère irréalisable, presque une contradiction dans les termes. Quant aux autres, sans revenir sur ce que nous avons précédemment démontré, savoir : que la logique n’est point une méthode, mais une hallucination ; que la morale n’est point une science, mais un spicilége ; que la psychologie est toute dans l’histoire, la biographie, et même la zoologie : nous prouverons que l’invention de la méthode universelle aura pour effet immédiat de diviser ce qui reste du domaine philosophique, et de ses fragments séparés de constituer autant de sciences spéciales et régulières.

150. Résumons.

De même que la Religion, la Philosophie est tout, et n’est rien.

Première forme de la pensée, première hypothèse offerte au travail de l’entendement, lien d’amour entre l’homme et Dieu, la Religion a été bonne, et toujours on se rappellera avec complaisance cet âge poétique du cœur et de la raison. Comme système ou doctrine révélée d’en haut, aspirant à soumettre l’esprit par l’obéissance, et bravant le contrôle de la science, la Religion est mauvaise, et doit être au plus tôt abolie.

La Philosophie, essor de l’intelligence vers la certitude, révolte de la conscience contre le joug religieux, cri de liberté, la Philosophie a été bonne : mais, source de sophisme, principe de doute et d’opiniâtreté, de contradiction et d’orgueil, aujourd’hui instrument de despotisme pour quelques charlatans, la Philosophie est détestable : guerre à la Philosophie !

La Religion est la nourrice de l’homme ; la Philosophie, comme une enchanteresse, le ravit sur ses pas, le conduit au temple de la vérité, et ne l’abandonne que sur le seuil. C’est pourquoi les noms de Religion et de Philosophie ne périront pas : la période du sentiment se renouvelant sans cesse pour chacun de nous, et la marche déductive s’offrant toujours la première pour les choses inconnues, l’on continuera de dire un esprit philosophique, une pensée religieuse. Mais on cessera de prendre pour des réalités la Religion et la Philosophie.

Sans la Religion, l’humanité eût péri dans l’origine ; sans la Philosophie elle croupissait dans une éternelle enfance : mais l’opinion que Religion et Philosophie signifient autre chose qu’un état particulier de la conscience et de l’entendement, a été la plus grande maladie de l’esprit humain. La Religion et la Philosophie, conçues, la première comme révélation de dogmes divins, la seconde, comme science des causes, ont rempli le monde de fanatiques et d’hallucinés, dont les fureurs et les ridicules ont fait douter si le monde n’était point l’œuvre d’un Dieu paillasse ou anthropophage.

Toujours un peu de philosophie s’est mêlé à la Religion ; toujours un souffle de religion a pénétré la Philosophie. Le christianisme fut une religion philosophique, la plus philosophique des religions : Confucius, Platon, Paul apôtre, Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand, ont été des philosophes religieux. Leurs écrits sont immortels : mais de toutes les choses qu’il nous importait le plus de savoir, et dont ils ont parlé quelquefois avec une si grande éloquence, Dieu et la société, ils n’ont rien su, ils ne nous ont rien appris : et le mélange de qualités contraires que nous remarquons en eux a été sans fruit pour la science.

Quelle est donc l’illusion de ceux qui maintenant parlent d’unir, comme deux réalités, la Philosophie et la Religion ? La théologie est tombée, la sophistique est frappée à mort : il n’y a plus de religion, il n’y a point de philosophie.

145. Whatever may be the exact nature of the philosophical cycle described by the moderns, of which M. Cousin made himself the interpreter in a series of the most interesting lessons of his courses, the consequences that resulted from it were valuable both for the understanding of history and for the advancement of psychology. We can boldly affirm that the best that has been said about the infancy of societies, the progress of civilization, the value of religious symbolism, and the tendency of governments, dates from the publication of these ideas, which, rapidly popularized, now rule public opinion.

The history of philosophy, undertaken by the philosophers, has revealed the secret of the revolutions of humanity and lifted a corner of the veil that covers our nature. Thanks to these studies, we know that the development of the individual is identical to the development of the species, and that the latter being, so to speak, only the magnification of the former, it is in the comparative history and legislation that we must study the self and seek psychology. Thanks to this review of philosophies, Religion has been divined; the meaning of its dogmas and its mysteries has been understood, and we have felt at the same time that this primitive form of our thought revealed in us inexplicable aspirations and imperious tendencies. Thanks finally to the examination of conscience by the philosophers, the day begins to shine on the future of the peoples, still buried in the swaddling clothes of a sacred superstition or an inflexible fatalism; respect for man and faith in his high destiny have returned to the heart of politics; royalties are brought low, the proletariat grows and from all quarters it is proclaimed that the people have reached virile age, and that it is time to form the great family.

What Bossuet did not understand, and what he adored under the name of Providence ; what Montesquieu hardly suspected; what Herder and Vico glimpsed, the great law of history, in a word, Progress, we see emerge before the eclectic discussion as the sun appears in the midst of the clouds chased by the breeze. Such services cannot be forgotten and suffice to legitimize, in the eyes of reason, the passage of philosophy. But not all social facts are given; a few more efforts of the intelligence, a few more shocks from the popular monster, and history will be read in the future as in the past: then, embracing time in its two dimensions, we will begin to become like the gods, eternal.

146. What, then, are the conclusions reached by philosophy itself, according to the data of its history, regarding its future destiny? They are two in number.

a) The first thought suggested by the analysis and comparison of so many doctrines was a thought of eclecticism: it could not be otherwise. Indeed, it was said, error is never absolute: this is demonstrated a priori. Error is only an inexact image of reality, a badly grasped relation, a badly formulated law. One can affirm, up to a certain point, that about God, man and society, all the essential truths have been glimpsed; that they are each found recorded somewhere in the writings of the philosophers; it is just that they were either badly rendered or badly classified; therefore, the proof remains to be made. If therefore it were possible, in everything that philosophy has produced, to separate the true from the false, to rediscover the order and the series, no doubt there would emerge from that work a mass of ideas that, if it did not dissipate all doubts and did not answer all questions, would at least offer the main parts of a definitive philosophy, which it would then be easier to complete.

Certainly eclecticism, by proposing to purify the materials accumulated by philosophy, was pursuing a useful task, and in this respect I find it exempt from blame. But whoever says eclecticism necessarily says ordering of scattered and confused things; to find this order, a rule, a measure, a method is needed. Therefore, according to the avowed aim of the eclectics, eclecticism resolves itself entirely in the search for a method.

147. b) The method necessary for the constitution of the presumed philosophical science cannot be either that used up to this day in philosophy, since by its means nothing has been produced; nor any of the particular methods followed in the sciences, since what each science has detached from the philosophical bundle is precisely the specialty of its method.

It remains that the method requested results from the comparison of sciences and methods: thus, either this method does not exist, or it is universal, transcendent, absolute.

148. A final question presents itself: Will the universal method lead to a universal science?

On this point, opinions are divided. Some, and these form the greater number, work resolutely to realize the ancient program, scientia Dei, hominis et mundi, to reduce everything to a single principle, a single cause, a single fact; to make philosophy, in a word, a pansophy. Such is the thought that gave birth to the great systems of German philosophy, and among us, to the bold syntheses of Azaïs, de Lamennais, Saint-Simon, Fourier. There is not student so platry that, throwing together physics and literature, natural history and psychology, morals and languages pell-mell, he does not imagine that he will soon arrive at the last word of science, at the possession of the absolute. [20]

The others protest against this intemperate generalization and fear that the intervention of the sciences in philosophy will have the final result of depriving it of the specialty, without which a science, not distinguishing itself from the others, is as if it was not. M. Jouffroy, in his posthumous classification of the philosophical sciences, even sought to determine this specialty: according to him, philosophy is the knowledge of the self, of its faculties, of its relations with the Universe and God; it divides naturally into psychology, logic, and morals.

149. In the following chapter, we will show, against the partisans of the first opinion, that the idea of a universal science is, like the squaring of the circle and the transmutation of metals, an unrealizable chimera, almost a contradiction in terms. As for the others, without returning to what we have previously demonstrated, namely that logic is not a method, but a hallucination; that morals is not a science, but a spicilege; that psychology is all in contained in history, biography and even zoology: we will prove that the invention of the universal method will have the immediate effect of dividing what remains of the philosophical domain, and of constituting so many special and regular sciences from its separated fragments.

150. Let us sum things up.

Like Religion, Philosophy is everything and it is nothing.

First form of thought, first hypothesis offered to the work of the understanding, bond of love between man and God, Religion was good, and we will always remember with complacency this poetic age of the heart and reason. As a system or doctrine revealed from above, aspiring to subdue the mind by obedience, and defying the control of science, Religion is evil, and must be abolished as soon as possible.

Philosophy, flight of intelligence towards certainty, revolt of conscience against the religious yoke, cry of liberty, Philosophy has been good: but, source of sophism, principle of doubt and stubbornness, of contradiction and pride, today an instrument of despotism for some charlatans, Philosophy is detestable: war on Philosophy!

Religion is the nurse of man; Philosophy, like an enchantress, ravishes him in his tracks, leads him to the temple of truth and only abandons him on the threshold. This is why the names of Religion and Philosophy will not perish: the period of sentiment being constantly renewed for each of us, and the deductive course always offering itself first for unknown things, we will continue to speak of a philosophical mind, a religious thought. But we will stop taking Religion and Philosophy for realities.

Without Religion, humanity would have perished in the beginning; without Philosophy it stagnated in an eternal childhood: but the opinion that Religion and Philosophy signify something other than a particular state of consciousness and understanding, has been the greatest disease of the human mind. Religion and Philosophy, conceived, the first as the revelation of divine dogmas, the second, as the science of causes, have filled the world with fanatics and hallucinators, whose fury and ridicule have made people doubt if the world was not not the work of a straw God or a man-eating God.

A little philosophy has always been mixed with religion; a breath of religion has always penetrated Philosophy. Christianity was a philosophical religion, the most philosophical of religions: Confucius, Plato, Paul the Apostle, Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand were religious philosophers. Their writings are immortal: but of all the things that it was most important for us to know, and of which they spoke sometimes with such great eloquence, God and society, they knew nothing, they taught us nothing: and the mixture of contrary qualities that we notice in them has been fruitless for science.

What then is the illusion of those who now speak of uniting, as two realities, Philosophy and Religion? Theology has fallen, sophistry has been struck to death: there is no longer religion, there is no philosophy.


NOTES

1. L’homme d’expérience, dit Aristote, ne sait que le fait : l’homme d’art sait le pourquoi, la cause.

2. « Bacchus était fils de Jupiter et de Sémélé, c’est-à-dire que le vin est fils du ciel et des montagnes, parce qu’on plante la vigne sur des hauteurs, Bacchus amat colles, et qu’elle a besoin pour fructifier des influences du ciel. Sémélé, pendant sa grossesse, ayant voulu voir Jupiter dans l’éclat de sa gloire et avec sa foudre, en fut consumée, et Bacchus naquit avant terme. Cela signifie que dans les pays chauds la vigne, plantée sur des montagnes, est souvent desséchée par des ardeurs excessives, et qu’alors elle ne peut pas mûrir. Jupiter mit cet enfant dans sa cuisse, et après sa naissance, il fut élevé par le secours des Hyades, des Heures et des Nymphes. Cette fable nous fait entendre que, pour préserver le raisin de la sécheresse, on s’avisa de le mettre à l’ombre, et de planter la vigne sous des arbres ; qu’étant ainsi à couvert, elle mûrit avec le secours des Hyades ou de la rosée ; des Heures, c’est-à-dire du temps ; et des Nymphes, ou de la culture que lui donnent les femmes. » (Bergier, Éléments primitifs des langues.)
La Religion avait divinisé tous les êtres : la Philosophie établit des rapports de cause à effet entre ces divinités.

3. Témoin Sénèque et Pline.

4. Les Égyptiens parlaient d’un livre de Thaut sur les trente-six herbes qui servaient aux horoscopes. Dans l’Odyssée, Mercure apporte à Ulysse l’herbe Moly, qui doit le préserver des enchantements de Circé. L’antiquité est pleine de ces superstitions, dont le cours s’est encore accru au moyen âge.

5. La superstition est tellement de l’essence de la philosophie, que, sous les empereurs, les noms de philosophe et de magicien étaient synonymes. La secte néoplatonique tout entière était livrée à la magie. Le fameux Julien, qui essaya de rationaliser le paganisme et de mettre la raison dans la mythologie, fut le plus fanatique et le plus célèbre de tous ces nécromans.

6. D’après l’origine que nous assignons à la philosophie, on comprend que l’athéisme et la superstition puissent fort bien s’allier ensemble, cette apparente contradiction n’a plus rien qui étonne.

7. Mot du patois de Franche-Comté : spéculateur, faiseur de projets, visionnaire.

8. La logique n’est pas autre chose ici que la syllogistique. (Note de l’éditeur.)

9. A. Paget, Introd. à la science sociale, p. xxxiii.

10. L’irritation croissante de la passion par la jouissance a donné lieu au proverbe populaire : L’appétit vient en mangeant ; ainsi qu’au vers de Juvénal sur Messaline : Et lassata viria necdum satiata recessit.

11. Voir Bossuet, Traité de la connaissance de Dieu, Méditations sur les Évangiles, Exposition de la foi catholique ;Fénelon, Lettres au Chevalier de Hamsay ;Bergier, Traité de la Religion ; — Laluzerne, Dissertations ;Frayssinous, Conférences, etc.

Comparer aussi la démonstration de l’Existence de Dieu par Clarke, et celle de l’Immortalité de l’Âme, par Rousseau, avec les preuves récemment apportées par les philosophes allemands, écossais, français et autres.

12. C’est pourtant le même que faisait Bossuet contre l’infaillibilité du pape. Le gallican ne s’apercevait pas que ce qu’il disait d’un seul pouvait se dire de deux, de cent, de tous, même assemblés en concile. En effet, d’après cet argument, qu’on pourrait appeler exception d’indignité, qui m’assure qu’un prêtre soit jamais en état de dire la messe, et un concile, de définir une question de foi ?

13. Émile, liv. ii.

14. Œneid, lib. vi.

15. Constitution de l’an 2 et de l’an 3.

16. Voir, comme modèle de ce style, l’Introduction au Dictionnaire politique, par Garnier-Pagès, petit chef-d’œuvre de sophistique et d’insignifiance.

17. Damiron, Philosophie morale.

18. La première loi de notre nature, dit Domat, est d’être faits pour Dieu.

19. L’Essai sur l’Indifférence de M. de Lamennais ne fut pas moins une œuvre de réaction religieuse dirigée contre la philosophie, qu’une mercuriale adressée à l’insouciance épicurienne du siècle. — On n’a pas oublié non plus les conversions, vraies ou simulées, de MM. Bautain, Buchez et autres. — Le plus illustre des disciples de M. Cousin, M. Jouffroy, ne cachait pas dans l’intimité le dégoût qu’il éprouvait pour la philosophie. Lui qui avait montré, dans des articles devenus fameux, comment les religions finissent, pressentait aussi la fin de la philosophie. Il n’en a pas moins prétendu que la philosophie avait son objet à elle, son champ d’observation et sa méthode ; mais comme il n’a fait que le dire, et que tout concourt à prouver le contraire, j’aime mieux, pour l’honneur de M. Jouffroy, croire aux confidences de l’homme qu’aux écrits du professeur.

20. L’auteur ne serait-il pas lui-même un de ces minces bacheliers ?… (Note de l’éditeur.)

NOTES TO CHAPTER II

1. The man of experience, says Aristotle, only knows the fact: the man of art knows the why, the cause.

2. “Bacchus was the son of Jupiter and Semele, that is to say, wine is the son of the sky and the mountains, because vines are planted on heights, Bacchus amat colles, and that it needs influences from heaven to bear fruit. Sémélé, during her pregnancy, having wished to see Jupiter in the splendor of her glory and with her lightning, was consumed by it, and Bacchus was born prematurely. This means that in hot countries the vine, planted on mountains, is often dried up by excessive heat, and that it cannot then ripen. Jupiter put this child in his thigh, and after his birth he was brought up by the help of the Hyades, the Hours and the Nymphs. This fable makes us understand that, in order to preserve the grapes from drought, they took it into their heads to put them in the shade, and to plant the vines under trees; that being thus covered, it ripens with the help of the Hyades or the dew; Hours, that is, time; and of the Nymphs, or of the cultivation given him by the women. » (Bergier, Éléments primitifs des langues.) 


Religion had deified all beings: Philosophy establishes cause and effect relationships between these deities.

3. Witness Seneca and Pliny.

4. The Egyptians spoke of a book by Thaut on the thirty-six herbs used for horoscopes. In the Odyssey, Mercury brings Odysseus the herb Moly, which must protect him from Circe’s enchantments. Antiquity is full of these superstitions, the course of which increased still more in the Middle Ages.

5. Superstition is so much of the essence of philosophy, that under the emperors the names philosopher and magician were synonymous. The entire neoplatonic sect was given over to magic. The famous Julien, who tried to rationalize paganism and put reason into mythology, was the most fanatical and famous of all these necromancers.

6. According to the origin that we assign to philosophy, we understand that atheism and superstition can very well combine together, this apparent contradiction is no longer surprising.

7. Word from the dialect of Franche-Comté: speculator, planner, visionary.

8. Logic here is nothing but syllogistics. (Editor’s note.)

9. A. Paget, Introd. à la science sociale, p. xxxiii .

10. The growing irritation of passion by enjoyment has given rise to the popular proverb: Appetite comes with eating; as well as the verse of Juvenal on Messalina: Et lassata viria necdum satiata recessit .

11. See Bossuet, Traité de la connaissance de Dieu, Méditations sur les Évangiles, Exposition de la foi catholique;Fénelon, Lettres au Chevalier de Hamsay;Bergier, Traité de la Religion; — Laluzerne, Dissertations;Frayssinous, Conférences, etc. 


Compare also the demonstration of the Existence of God by Clarke, and that of the Immortality of the Soul, by Rousseau, with the proofs recently brought by German, Scottish, French and other philosophers.

12. It is however the same that Bossuet made against the infallibility of the pope. The Gallican did not realize that what he said of one could be said of two, of a hundred, of all, even assembled in council. Indeed, according to this argument, which one could call exception of indignity, who assures me that a priest is ever in a condition to say mass, and a council, to define a question of faith?

13. Emile, book. ii.

14. Aeneid, lib. vi .

15. Constitution of Year 2 and Year 3.

16. See, as a model of this style, the Introduction au Dictionnaire politique, by Garnier-Pagès, a little masterpiece of sophistication and insignificance.

17. Damiron, Introduction au Dictionnaire politique.

18. The first law of our nature, says Domat, is to be made for God.

19. The Essai sur l’Indifférence by M. de Lamennais was no less a work of religious reaction directed against philosophy than a mercurial addressed to the epicurean carelessness of the century. — Nor have we forgotten the conversions, real or simulated, of MM. Bautain, Buchez and others. — The most illustrious of M. Cousin’s disciples, M. Jouffroy, did not conceal in private the disgust he felt for philosophy. He who had shown, in articles that have become famous, how religions come to an end, also foresaw the end of philosophy. He nevertheless claimed that philosophy had its own object, its field of observation and its method; but as he has only said so, and as everything contributes to prove the contrary, I prefer, for the honor of M. Jouffroy, to believe in the confidences of the man than in the writings of the professor.

20. Isn’t the author himself one of these thin bachelors? … (Editor’s note.)


CHAPTER III

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