Les papillons de nuit
THÉORIQUEMENT, je ne suis pas tendre pour les inaptes à l’effort,
Et j’avoue que je ne me lamenterais pas outre mesure si ceux qui ne peuvent se passer d’autorité libéraient de leur présence le sol de la planète,
Valets et maitres, meneurs et menés, matriculés et matriculateurs, représentants et représentés,
Y compris — ceci entre nous — les dames que démange le prurit électif.
Mais je ne suis point cruel.
Je suis bien trop égoïste pour subir de voir ou d’entendre geindre, souffrir, supplicier ou torturer autour de moi.
Je le suis à ce point que pour éviter qu’à ma lampe viennent se heurter les papillons, je clos mes volets.
J’ai en horreur l’obstination de la bestiole qui s’acharne, bien que je la chasse, à venir heurter la cheminée de verre ardente,
S’acharne et revient vingt fois à la charge, jusqu’à ce que, brûlée, grillée, carbonisée en partie, elle chute sur ma table de travail,
Où pour lui éviter de plus longs tourments, je l’achève.
Eh bien ! les pitoyables insectes se rient de mes volets clos ; ils en franchissent triomphalement les interstices ; lamentablement ironiques, les voici qui voltigent et tournoient autour de ma lampe et recommencent à se cogner au verre brulant,
Et de temps à autre un grésillement menu m’annonce le début d’une minuscule agonie.
* * *
Ce soir, chaque fois que s’entend ce petit
bruit, il né rappelle la folie des hommes,
Lesquels, eux aussi, se laissent attirerai par ce qui brille, luit ou resplendit dans la nuit de l’existence banale,
L‘amour, le savoir, le mode, la simplicité, le luxe, le dévouement, la renommée, la sagesse, l’argent, les liens sociaux, le jeu, l’amitié, la morale, les liens de la chair, le devoir, la débauche, l’irréductibilité, l’harmonie,
Chacun selon son goût, chacun selon son tempérament, chacun selon sa chimère ou sa marotte,
Lesquels, eux aussi, insouciants des conseils, inattentifs aux expériences, finissent par se briser contre la paroi surchauffée de l’absolu,
Derrière laquelle flamboie une perfection hors de portée, un assouvissement hors d’atteinte.
Or, ce soir, ce rapprochement pèse lourdement sur ma pensée,
Et ces grésillements menus sont comme autant de coups d’aile glacés qui frôlent mon front enfiévré.
Aussi, pour éviter cette hantise,
J’ai fini par fermer la croisée et condamner l’huis.
Me voici seul avec moi-même…
E. Armand.
Moths
In theory, I am not tender towards those ill-suited to effort,
And I admit that I would not be too sorry if those who cannot do without authority liberated the soil of the planet from their presence,
Servants and masters, leaders and led, registered and registrars, representatives and represented,
Including — just between us — the ladies who scratch the electoral itch.
But I am not cruel.
I am to selfish to suffer seeing or hearing the moaning, suffering, torment or torture around me—
To such an extent that, in order to avoid the collision of moths with my lamp, I close my shutters.
I hate the stubbornness of the beast that persists, although I shoo it away, in striking the fiery glass chimney,
It struggles and returns twenty times to the load, until, burnt, grilled, partially charred, it falls on my worktable,
Or, to save it further torments, I finish it off.
Well! the pitiful insects laugh at my closed shutters; they triumphantly slip through the gaps; pitiably ironic, here they are fluttering and circling around my lamp and starting to bang against the burning glass again,
And every now and then a small sizzle announces the beginning of a tiny agony.
***
This evening, every time I hear that little noise, it reminds me of the folly of human beings,
Who, too, will let themselves be attracted by what shines, gleams or sparkles in the night of banal existence,
Love, knowledge, fashion, simplicity, luxury, dedication, fame, wisdom, money, social ties, gambling, friendship, morals, ties of the flesh, duty, debauchery, insurmountability, harmony,
Each according to their taste, each according to their temperament, each according to their chimera or hobby horse,
Who, too, heedless of advice, heedless of experience, end up smashing themselves against the overheated wall of the absolute,
Behind which flames a perfection beyond reach, an unattainable satisfaction.
Now, this evening, this comparison weighs heavily on my thoughts,
And those tiny sizzles are like so many icy wings flaps brushing against my fevered forehead.
So, to avoid this dread,
I have ended up closing the window and shutting the front door.
And here I am, alone with myself…
E. Armand.
E. Armand, “Les papillons de nuit,” Par-delà la Mêlée 1 no. 14 (début Août 1916): 2.
[Working translation by Shawn P. Wilbur]