E. Armand, The Anarchist Individualist Initiation — II

The Anarchist Individualist Initiation

E. ARMAND

[ENGLISH TEXT ONLY]



2. Les réformateurs et les transformateurs du milieu social.

7) La douleur universelle

Ils sont rares ceux qui, du haut d’un optimisme béat, proclament que la Société . est parfaite. Si bien que les réformateurs, améliorateurs ou transformateurs de la Société sont légion. Il est si peu exact que les hommes soient contents de leur sort, que tout le monde se plaint de son lot, même les mieux partagés. Sans rechercher le degré de sincérité que renferment ces lamentations, le fait est patent et la douleur se proclame « universelle ».

Que la civilisation contemporaine ait fait faillite, c’est un lieu commun que de l’écrire. Que les civilisations antérieures n’aient pas mieux réussi, nul ne saurait le nier. Elles ont, les unes et les autres, échoué en ceci : qu’elles n’ont jamais pu assurer aux êtres humains qu’elles rassemblaient sous leur égide une somme de bonheur suffisante pour que la vie — la vie individuelle et la vie collective — fût trouvée bonne et agréable à vivre. Il est vrai que les civilisations qui se sont succédé ne se sont pas toujours assigné clairement ce but, ou bien elles ne se le sont proposé que d’une façon parfois fort imparfaite, et il est évident qu’elles ont souvent exclu de la participation au bonheur, tel qu’elles se le représentaient, une portion considérable de sous-hommes : hors castes de toutes catégories, esclaves, serfs et autres. Cependant, plus ou moins complètement, avec plus ou moins d’exceptions, les grandes civilisations qui ont brillé sur la planète avaient en vue, d’une façon générale, le bonheur des peuples pour ou parmi lesquels elles florissaient.

Je prétends qu’elles ont échoué, misérablement échoué. Je concède volontiers que les conducteurs qui les orientaient aux époques les plus glorieuses, les plus remarquables, les plus prospères de leur histoire, ont fourni tout l’effort dont ils étaient capables. Je n’en maintiens pas moins que la vie « civilisée », la vie « sociale », jadis et aujourd’hui, est une charge, un fardeau, voire une douleur continue pour la plupart des vivants. Et cela à un tel point qu’on peut se demander si vie « en société » et malheur ne sont pas des termes synonymes. Sans doute y a-t-il des exceptions, mais il y en a si peu, et elles sont l’apanage d’un nombre si restreint de privilégiés, qu’elles ne font guère que confirmer la thèse de l’universelle souffrance.

2. The reformers and transformers of the social milieu.

7) Universal sorrow

Those who proclaim, from the height of a blissful optimism, that Society is perfect are rare. As a result, the reformers, improvers and transformers of Society are legion. It is so far from the case that individuals are content with their condition, that everyone complains about their lot in life, including those best provided for. Without seeking the degree of sincerity that these lamentations contain, the fact is obvious and the sorrow is proclaimed as “universal.”

It is a commonplace to write that contemporary civilization has failed. That the previous civilizations did not succeed any better, no one will deny. They have all run aground on this fact: they have never been able to guarantee the human beings whom they gather under their aegis a sum of happiness sufficient that life— individual life and collective life—should be found good and pleasant to live. It is true that the civilizations that have followed one another have not always set themselves this goal, or that they have only proposed it in a very imperfect manner. And it is obvious that they have often excluded from participation in that happiness, such as they imagined it, a considerable share of sub-humans: outcasts of all categories, slaves, serfs and others. In nearly every case, however, with some few exceptions, the great civilizations that have sparkled on the planet had set their sights, in a general fashion, on the happiness of the people for or among whom they flourished.

I claim that they have failed and failed miserably. I readily concede that the conductors who guided them, in the most glorious, remarkable and prosperous epochs of their history, have contributed all the effort of which they were capable. I nonetheless maintain that “civilized” life, “social” life, both formerly and today, is a weight, a burden, even a constant sorrow for the majority of the living—and this to such an extent that one wonders if life “in society” and woe are not synonymous terms. No doubt there are exceptions, but they are so few, and they are the prerogative of such a limited number of privileged persons, that they do little more than confirm the thesis of universal suffering.

8) Réformateurs et transformateurs religieux.

Il serait fastidieux d’énumérer toutes les classes et sous-classes entre lesquelles se cataloguent les réformateurs et les transformateurs du milieu social. Un gros volume n’y suffirait pas et ce n’est pas le but de notre livre. Trois grandes divisions suffiront à les embrasser tous. Les plus anciens en date sont les réformateurs religieux.

Pour les esprits avertis, leurs thèses ne présentent plus qu’un intérêt rétrospectif. Leurs fantaisies eurent de la valeur dans les temps — pas toujours très reculés — où les hommes, même les mieux doués, craintifs en face des phénomènes mal expliqués ou des incidents fortuits de l’existence, cherchaient un recours, un appui, une réponse à leurs questions dans une intervention extra-humaine. Car c’est à une intervention extra-humaine, extra-naturelle, volonté de la divinité ou révélation de sa volonté qu’en reviennent toujours les réformateurs religieux. Le membre de la Société, ou plutôt la créature, est un jouet aux mains du créateur ; le grand drame de l’évolution historique des groupements humains, l’inégalité des naissances ou des aptitudes, la mainmise des puissants et des arrogants sur le reste des hommes, tout cela provient du bon vouloir de la divinité — c’est l’expression tangible de son ouvrage. « Que la volonté divine soit faite ! », voilà le dernier mot des âmes les plus spirituelles, les plus éperdument religieuses, même quand cette soi-disant volonté implique annihilement de la personnalité individuelle, acceptation passive de tout ce qui étouffe la croissance et l’épanouissement de la vie personnelle.

8) Religious reformers and transformers.

It would be tedious to enumerate all the classes and sub-classes in the catalog of reformers and transformers of the social environment. A thick volume would not be sufficient and that is not the aim of our book. Three large divisions will suffice to cover them all. The most ancient are the religious reformers.

For sophisticated minds, their theories present no more than a retrospective interest. Their fantasies were valuable in a time — not always very remote — when individuals, even the most gifted, fearful in the face of poorly explained phenomena or the accidental incidents of existence, sought a recourse, a support, a response to their questions in an extra-human intervention. For it is an extra-human, extra-natural intervention, the will of the divinity or the revelation of that will to which the religious reformers always return. The member of Society, or rather its creature, is a plaything in the hands of the creator; the great drama of the historical evolution of human groupings, the inequality of births or aptitudes, the control of the powerful and arrogant over the rest of humanity — all of that arises from the good will of the divinity and is the tangible expression of its work. “Let the divine will be done!” — That is the last word of the most spiritual souls, the most frantically religious, even when that so-called will implies the annihilation of the individual personality, passive acceptance of all that which suppress the growth and blossoming of the individual life.

9) L’expiation, le péché, le sacrifice.

Mais il y a un autre point de vue qu’il faut étudier pour assimiler le problème religieux dans toute son étendue et bien comprendre l’ « état d’âme religieux ». L’être sincèrement, profondément religieux est dévoré par un besoin inextinguible, inassouvissable d’expiation. Même irréprochable au point de vue moral et social, il sent comme une aspiration. irrésistible au renoncement à ses facultés de réflexion pour trouver une joie âpre et obsédante dans un sentiment aigu de regret et de remords de ne point se trouver conforme à un certain idéal de valeur ou de niveau moral, soit qu’il se soit tracé lui-même cet idéal, soit qu’il lui ait été indiqué par le dogme ou montré par le prêtre. L’être sincèrement religieux place en un absolu de pureté et de sainteté qu’il dénomme Dieu la somme de toutes les valeurs spirituelles qu’il est capable de concevoir ou d’imaginer. Il se sent toujours impuissant et misérable par rapport à cet absolu spirituel, vis-à-vis duquel il a conscience d’être moralement responsable.

Il établit une telle différence entre l’être en proie aux passions sensuelles qu’il est et le fantôme extra-naturel qu’il a édifié, qu’il se sent sans cesse en état plus ou moins accentué de désobéissance. Qu’est-ce que « le péché » en effet, sinon d’avoir cédé à l’attirance des passions, c’est-à-dire avoir préféré les jouissances tangibles et les excitations qu’elles procurent, aux abnégations et aux anéantissements « de la chair », ou encore à l’observation de certains rites, de certaines cérémonies ? L’être foncièrement religieux est un tourmenté qui va dans la vie en se demandant toujours comment il s’y prendra pour expier son insuffisance, racheter son péché. Il va sans dire que le sacrifice d’une génisse ou d’un bouc, ou même d’une plaintive tourterelle, pour symbolique qu-il soit, ne saurait contenter la, délicatesse de conscience d’un être éminemment spirituel. Le sang seul, c’est-à-dire la vie (1), rachète le péché. Pour expier, l’homme à état d’âme religieux se sacrifiera, se consacrera, se renoncera. Il fera don de sa vie : de sa chair et de son sang, c’est-à- dire qu’il mortifiera sa chair en imposant silence au bouillonnement de son sang, dût-il pour cela s’infliger des souffrances corporelles. Il se consacrera au service de la divinité, s’imposera toutes sortes de privations, s’abstiendra — malgré le désir qui l’en dévore — de goûter aux joies de l’existence, angoissé jusqu’à l’heure de la mort par un doute poignant, ignorant s’il a accompli suffisamment ou de la bonne façon de quoi calmer la colère de Dieu, de cet Absolu jaloux qui réclame de ses fidèles ou de ses créatures une soumission, une dévotion complète.

(1) « C’est par la raison qu’il est l’âme que le sang fait expiation ». (Lévitique, XVII, 2.)

9) Atonement, sin, sacrifice.

But there is another point of view that must be studied in order to consider the religious problem in its full extent and to clearly understand the “state of the religious soul.” The deeply, sincerely religious being is devoured by an unquenchable, insatiable need for atonement. Even when irreproachable from the moral and social point of view, it feels an almost irresistible desire to renounce its faculties of reflection in order to find a bitter, nagging joy in a keen feeling of regret and remorse for not finding itself in conformity to a certain ideal of value or moral level, whether it has drawn that ideal itself, or whether it has been recommended by dogma or shown by the priest. The sincerely religious being places within a pure, sanctified absolute, which it calls God, the sum of all the spiritual values that it is capable of conceiving or imagining. It always feels that it is powerless and miserable in relation to that spiritual absolute, toward which it is conscious of being morally responsible.

It establishes such a difference between itself, as a being preyed on by sensual passions, and the extra-natural phantom that is has created, that it constantly feels itself in a more or less heightened state of disobedience. What indeed is “sin,” if not having yielded to the pull of the passions, having preferred tangible enjoyments, and the stimulation they bring, to the denial and annihilation of “the flesh,” or to the observation of certain rites and ceremonies? The fundamentally religious being is a tormented soul, who goes through life always asking itself how it will go about atoning for its shortcomings and redeeming its sin. It goes without saying that the sacrifice of a heifer or a goat, or even of a mournful turtle dove, symbolic as it is, will not satisfy the delicacy of conscience of an eminently spiritual being. Blood alone, life, redeems sin. To atone, the man in a religious state of mind will sacrifice himself, devote himself, renounce himself. He will give his life, his flesh and his blood. He will mortify his flesh by imposing silence on the boiling of his blood, even to the point of inflicting bodily suffering on himself. He will devote himself to the service of the divinity. He will impose all sorts of privations on himself, he will abstain — despite the desire that devours him — from tasting the joys of existence, distressed until the hour of death by a poignant doubt, not knowing if he has accomplished enough, or in the right way, to calm the anger of God, of that jealous Absolute who demands of his faithful, his creatures, a complete submission and devotion.

(1) « C’est par la raison qu’il est l’âme que le sang fait expiation ». (Leviticus, XVII, 2.) [Roughly: “It is because it is the soul that the blood makes atonement.”] [*]

[*] The ESV renders Leviticus 17:11 in this way: “For the life of the flesh is in the blood, and I have given it for you on the altar to make atonement for your souls, for it is the blood that makes atonement by the life.”

10) L’aboutissant religieux

Les réformateurs religieux n’ont jamais atteint que deux résultats : ou, sous prétexte de réformes, plonger leurs disciples dans un abîme de résignation et d’atrophie plus profond encore que le gouffre d’où ils prétendaient les tirer, ou bien, s’ils ont montré quelque sincérité, amener leurs partisans à. les dépasser, à devenir non plus des modificateurs des formes religieuses, mais des critiques de la base religieuse elle-même. Tel fut le cas de la Réforme qui aboutit loin du but que lui assignaient ses initiateurs : aux libres-penseurs du dix-huitième siècle d’abord ; à la diffusion de l’esprit critique contemporain ensuite, à l’anarchisme enfin, que l’on peut considérer comme le point culminant, normal et logique de l’évolution de la libre-pensée. Nous y reviendrons.

Quelles réformes, quelles transformations nous ont proposées les réformateurs religieux ? Généralement, le retour à une conception religieuse de jadis, abandonnée ou défigurée par des zélateurs corrompus ou attiédis. Quels idéals ont-ils présentés ? Une divinité unique ou partagée, un panthéon de dieu ou de demi-dieux doués ou affligés de tous les attributs, de toutes les qualités, de tous les défauts, de toutes les sottises dont les mortels se parent ou se déparent. Ils en reviennent tous là : à des dieux œuvrant, besognant comme des hommes pour que les hommes deviennent des dieux. La grande marotte des réformateurs religieux, c’est de pousser l’homme à devenir semblable à Dieu ou à s’annihiler en lui, sinon en ce bas monde, du moins en l’autre, puisque — soupape de sûreté et encouragement à la résignation — un jour luira après la mort, où la créature élue contemplera le créateur « face à face », où l’âme se complaira en d’éternelles béatitudes, où l’esprit retournera à l’esprit. Qu’importe que le nom de ce lieu de délices varie selon les races ou les climats. Qu’il se nomme Champs-Élysées, Walhalla ou Nirvana, le Paradis se réalise toujours de l’autre côté du tombeau.

Nous entendons les objections : nous sommes trop exclusifs, nous faisons bon marché et de révélation où planent les métaphysiques théologiques et du grand mystère qui gît à la racine des religions, la lutte entre le bien et le mal, le beau et le laid, le grand et le vil, le pur et l’impur ! Les religions parlèrent le langage de leur temps, c’est entendu -nous fait-on remarquer- mais leur vision dernière c’était le triomphe du juste et du bon qu’elles symbolisaient en des images frappant l’imagination. Nous ne nierons pas l’importance des religions dans l’histoire du développement des hommes : c’est un stade par lequel il dut passer.

N’oublions pas que, dans la pratique, ce que les prêtres ont pour but, c’est surtout le triomphe du dogme sur la libre recherche, du tyran sur le révolté, de l’obéissance au mystère sur la divulgation de l’initiation. Pour l’individualiste, c’est Prométhée qui a raison contre Jupiter, Satan contre Jéhovah, Eblis contre Allah, Ahriman contre Ormuzd.

La grandeur de la théologie, en y regardant de près, s’évanouit en casuistique. Si jamais les subtilités religieuses avaient atteint le degré d’élévation qu’on prétend, il ne resterait qu’à en tirer une conclusion : le regret de savoir que des cerveaux bien doués se soient livrés à pareils jeux d’esprit. Finalement, nul ne songe. à nier le désintéressement, la sincérité, l’enthousiasme pur de maint réformateur religieux dont les idées ne purent dépasser les conceptions courantes. Ils ont droit à notre impartiale appréciation, à rien d’autre.

10) The religious outcome.

Religious reformers have always achieved one of two results: either, under the pretext of reform, they plunge their followers into an abyss of resignation and atrophy even more profound than the chasm from which they pretend to pull them, or, if they show some sincerity, they lead their partisans to surpass them, to become no longer modifiers of religious forms, but critics of the religious basis itself. This was the case with the Reformation, which led far from the goal that its originators assigned it: first, to the free-thinkers of the eighteenth century; then to the spread of the contemporary critical spirit and finally to anarchism, which we can consider the normal and logical culmination of the evolution of freethought. We will return to this point.

What reforms, what transformations have the religious reformers proposed to us? Generally, the return to a religious idea of the past, abandoned or distorted by corrupt zealots or lukewarm sorts. What ideals have they presented? A divinity, single or divided, a pantheon of gods or demi-gods endowed or afflicted with all the attributes, all the qualities, all the faults and all the follies with which mortals are adorned or marred. They all come down to this: some working gods, slaving away like men so that men become gods. The great hobby horse of the religious reformers is to push humans to become like God or to annihilate themselves in him — if not in this world below, at least in the other — since — safety-valve and encouragement to resignation — a day will shine after death, when the elect creature will contemplate the creator “face to face,” when the soul will bask in eternal beatitude, when the spirit will return to the spirit. What does the name of this place of delights matter? It varies according to races or climates. Call it the Champs-Élysées, Valhalla or Nirvana. Paradise is always realized beyond the tomb.

We hear the objections: we are too exclusive, we ride roughshod over revelation, where the theological metaphysics soar, and over the great mystery which lies at the root of the religions, the struggle between good and evil, the beautiful and the ugly, the great and the base, the pure and the impure! The religions will speak the language of their times, that is understood—nous fait-on remarquer—but their last vision was the triumph of the fair and the good that they symbolized in some images that strike the imagination. We do not deny the importance of the religions in the history of the development of men: it is a stage through which it must pass.

Do no forget that, in practice, the aim of the priests is, above all, the triumph of dogma over free inquiry, of the tyrant over the rebel, of obedience to the mystery over the revelation of the initiation. For the individualist, it is Prometheus who was in the right against Jupiter, Satan against Jehovah, Eblis against Allah, Ahriman against Ormuzd.

The grandeur of theology, if you look at it closely, vanishes into casuistry. If the religious nuances have never reached the degree of elevation that is claimed, there remains only one conclusion to draw from it: the regret of knowing that some well-endowed brains are given to such mental games. In the end, no one dreams of denying the selflessness, the sincerity, the pure enthusiasm of many religious reformers whose ideas may surpass the common conceptions. They have a right to our impartial estimation and to nothing else.

11) L’idéal des réformateurs religieux.

Résumons : les réformateurs religieux ont :

a) pour Idéal humain le croyant : il leur est impossible de donner une éducation autre qu’une éducation basée sur la foi, cette vertu « indémontrable » ; le croyant « l’homme qui a la foi » — quelle que soit son instruction ou quelles que soient ses aptitudes — ne franchira jamais certaines frontières, n’osera pas goûter aux fruits que produit « l’arbre du bien et du mal », n’expérimentera point toutes choses ; c’est un timoré : il a peur de se trouver face à face avec un fait qui détruise sa foi ;

b) pour idéal moral : Dieu, c’est-à-dire une entité fictive, scientifiquement indémontrable, prétendue extra humaine et en réalité créée par l’homme, produit de son imagination ;

c) pour idéal social : le règne de Dieu sur la terre, autrement dit une société où n’habiteraient plus que des prêtres chargés d’expliquer et de commenter la volonté de la divinité, et des croyants contraints à l’accomplir. En un mot, une société basée sur le « fait divin ».

11) The ideal of the religious reformers.

Let us summarize the ideals of the religious reformers:

a) Their human ideal is the believer. It is impossible for them to give an education other than one based on faith, that “indemonstrable” virtue; the believer, “the man who has faith”–whatever may be his education or aptitude–will never cross certain frontiers, will not dare to taste the fruits produced by “the tree of good and evil,” will not experience all things; he is faint-hearted: he fears finding himself face to face with a fact that destroys his faith.

b) Their moral ideal is God, a fictive entity, not demonstrable by science, allegedly extra-human and in reality created by humans, a product of their imagination.

c) Their social ideal is the reign of God on the earth or, in other words, a society no longer inhabited by anyone but priests, charged with explaining and interpreting the will of the divinity, and believers, constrained to accomplish it. In short, a society based on the “divine fact.”

12) Réformateurs et transformateurs légalitaires.

Si ceux qui proposent une réforme religieuse de la Société perdent du terrain chaque jour, il n’en va pas de même pour les réformateurs légalitaires, autrement dit ceux qui ne sauraient concevoir la Société que basée sur un code de réglementations et d’ordonnances désignées par abstraction : la Loi. Les réformateurs légalitaires admettent que la Société actuelle n’est pas parfaite, qu’elle est loin de l’être, lui concèdent d’être perfectible, éminemment, infiniment perfectible ; ils prétendent en même temps que les imperfections de la Société proviennent des défectuosités des lois, insuffisamment ou injustement appliquées, mais ils ajoutent que si ces lois étaient modifiées, remaniées dans un sens plus généreux, plus équitable, appliquées plus humainement, cette même Société, sans en devenir parfaite, se transformerait en un séjour de plus en plus supportable et agréable à habiter.

12) Egalitarian reformers and transformers.

If those who propose a religious reform of Society lose ground every day, it is not the same for the legalistic reformers, those who only know how to think of Society as based on the code of regulations and ordinances designated abstractly as the Law. The legalistic reformers, admitting that the present Society is not perfect, that it is far from being so, allow that it is perfectible, eminently, infinitely perfectible; they claim at the same time that the imperfections of Society arise from defects in the laws, insufficiently or unjustly applied, but they add that if these laws were modified, redrafted in a more general, more equitable sense, applied more humanely, that same Society, without becoming perfect, would transform itself into an abode more and more bearable and pleasant to inhabit.

13) La loi et le « bon citoyen ».

Nulle agglomération d’hommes, disent-ils, ne peut subsister sans lois écrites, réglementant les droits et les devoirs de « bon citoyen ». : chacun en fixant les infractions déterminant leurs châtiments. Aux lois, à la loi, leur expression idéale, le citoyen doit obéir, comme le croyant obéit à la divinité. Aux commentateurs de la loi, il doit la même déférence respectueuse que le fidèle aux interprètes de la volonté divine. C’est à la conformité de ses actes extérieurs avec la loi qu’on reconnaît le citoyen modèle. L’idéal des légalitaires, l’idéal type, c’est le « bon citoyen » qui, par obéissance à la loi, par amour pour elle, fait litière de son indépendance, de ses aspirations personnelles même les plus légitimes, de ses affections, s’il le faut ; — se sacrifie lui-même et, le cas échéant, ceux qui lui sont les plus chers. Dura lex, sed lex.

13) The law and the “good citizen.”

No agglomeration of people, they say, can subsist without written law, regulating the rights and duties of the “good citizen:” each setting the infractions and determining their punishment. To the laws, or to the law, their ideal expression, the citizens owe obedience, as the believer must obey the divinity. They owe the same respectful deference to the commentators of the law as they faithful owe to the interpreters of the divine will. It is by their conformity of their outward acts to the law that we recognize the model citizens. The ideal of the legalists, the ideal type, is the “good citizen” who by obeying the law, out of love for it, sacrifices his independence, even his most legitimate personal aspirations, and his affections, if necessary,—sacrificing himself and, if need be, those who are most dear to him. Dura lex, sed lex.

14) Origine de la loi.

La loi peut émaner d’un seul, comme c’est le cas pour les aristocraties. En réalité, à part d’extraordinaires exceptions, elle n’émane jamais du monarque seul, même dans les régimes les plus absolutistes ; les lois en vigueur sont l’expression des intérêts ou des conceptions de la camarilla groupée autour du trône, des partisans de la dynastie régnante.

La loi peut encore émaner d’un petit nombre d’individus, influents dans l’Etat, dans les mains desquels se trouve concentrée la gestion gouvernementale, — que ces privilégiés soient des prêtres, comme dans le cas des théocraties, si fréquentes dans l’antiquité, où la loi. reposait le plus souvent sur des fondations mystiques ; ou des laïques, comme dans le cas des aristocraties ou des oligarchies dont l’exemple très étudié nous est fourni par les républiques italiennes du Moyen âge. Dans ce cas-là, les lois sont purement destinées à conserver en possession de la domination politique et économique un petit nombre de familles dont l’œuvre consiste à faire admettre, tantôt comme révélation divine, tantôt comme indispensable à la sûreté de l’Etat, la nécessité de la continuité de leur autorité.

La loi peut encore paraître émaner du plus grand nombre, de la majorité des citoyens, être l’expression de la « souveraineté populaire », comme on le prétend dans le cas des démocraties, monarchies constitutionnelles ou républiques. Ce n’est qu’une apparence, car dans nos collectivités contemporaines l’éducation dispensée aux masses fait d’elles un reflet des idées et des intérêts des « classes dirigeantes », de la « bourgeoisie » ; les lois démocratiques ne formulent que ces idées ou ces intérêts.

14) Origin of the law.

The law can issue from one alone, as in the case of aristocracies. In reality, apart from extraordinary exceptions, it never issues from the monarch alone, even in the most absolutist regimes; the laws in force are the expression of the interests or ideas of the camarilla grouped around the throne, of the partisans of the ruling dynasty.

The law can issue from a small number of individuals, influential within the State, in the hands of which is found concentrated the management of the government,–let this privileged few be priests, as in the case of the theocracies, so common in antiquity, where the law most often rested on mystical foundations; or laymen, as in the case of the aristocracies or the oligarchies, the well-studied example of which is furnished by the Italian republic of the Middle Ages. In that case, the laws are purely destined to preserve in possession of political and economic domination a small number of families whose work consists of making acceptable, now as a divine revelation, now as indispensable to the security of the State, the necessity of continuing their authority.

The law can also appear to issue from the greatest number, from the majority of the citizens, to be the expression of “popular sovereignty,” as we maintain in the case of democracies, constitutional monarchies or republics. This is only an appearance, for in our contemporary collectivities the education dispensed to the masses makes them a reflection of the ideas and interests of the “directing classes,” of the “bourgeoisie;” the democratic laws only express these ideas or these interests.

15) La loi dans son application

Dans la pratique, la loi se résume en ceci : qu’étant admis certains principes régissant les sociétés : principes civiques, moraux, économiques, etc., il s’agit de formuler une règle d’application qui détermine les circonstances dans lesquelles le sujet ou le citoyen affermit ou met en danger lesdits principes.

Prenons le principe de la « propriété », pierre angulaire du droit civil ; la tâche de la loi consistera non seulement à confirmer en leurs droit ceux qui possèdent, mais encore à les protéger contre les attaques de ceux qui attenteraient à ces droits. La loi déterminera dans quelles conditions la propriété s’acquiert, se perd, se transmet ; elle énoncera en outre les châtiments qu’il convient d’infliger à ceux qui tentent de s’attribuer la propriété d’autrui ; elle établira la signification juridique des faits qualifiés « violence », « ruse », « fraude », « dol ». Elle n’ira pas au-delà. La loi ne s’occupera pas s’il est juste ou injuste que la propriété ou le capital soient concentrés dans les mains de quelques-uns, si cet accaparement lui-même n’est pas la cause des attaques à la propriété ; s’il y a une propriété équitable ou une propriété inique. Elle n’en a cure.

Autre exemple : les lois constitutionnelles françaises décrètent que tout citoyen est majeur à 21 ans et qu’il jouit à ce moment de ses droits civils et politiques. Elle ne se préoccupe pas de la capacité morale de l’individu mis ainsi à même de choisir les législateurs, elle ne s’inquiète pas s’il possède la moindre notion de la gestion des affaires publiques s’il peut être menteur, fourbe, lâche, ivrogne ; savoir à peine lire et écrire ; la loi n’en a cure.

Prenons encore le mariage, qui joue un très grand rôle dans le droit actuel. Deux êtres humains se présentent devant un officier d’état civil et les voici liés, — sinon pour la vie, puisque le divorce, tout long et coûteux qu’il soit à obtenir, peut dissocier le lien conjugal, — mais pour une période toujours assez longue durant laquelle l’un des conjoints, le mari, exerce sur l’autre une tutelle à laquelle ce dernier ne peut. que rarement ou exceptionnellement se soustraire. La loi ne s’inquiétera pas si c’est une union dictée par l’amour, un mariage de convenances, ou un accouplement arrangé par des parents soucieux bien plus d’unir des intérêts que des affections. Elle ne se demande pas s’il y a eu tromperie, dissimulation de caractère ou de tempérament, si les conjoints sont qualifiés pour remplir le rôle d’époux, si leur union est le fruit d’un attachement mutuel ou le résultat d’un entraînement sensuel ou passager. La loi n’en a cure.

Un criminel paraît devant un tribunal, peu importe le délit. Que va-t-il se produire ? Drapé dans sa robe de pourpre et d’hermine, défenseur de la Société, l’applicateur de la loi ne s’occupera ni de l’éducation de l’homme qui se présente à sa barre, ni des influences héréditaires qui ont pu déterminer ses actes, ni des péripéties de son existence. Il ne se demandera pas si avant de « tomber », le délinquant n’a pas résisté à cent tentations ; si les conditions d’existence du milieu lui-même ne l’ont pas entraîné à commettre le délit qu’on lui impute maintenant à défaveur. Il n’en a cure, il condamnera.

15) The law in its application

In practice, the law is summed up in this way: it being admitted that certain principles rule societies—civic, moral, economic principles, etc.—it is a question of formulating a rule of application that determines the circumstances in which the subject or citizen reinforces or puts in danger the aforesaid principles.

Let us take the principle of “property,” cornerstone of civil rights; the task of the law will consist not only of confirming those who possess in their rights, but also to protect them against the attacks of those who would attack those rights. The law will determine in what conditions property is gained, lost, or transmitted; it will also announce the punishments it is appropriate to inflict on those who attempt to claim the property of others; it will establish the legal meaning of the acts designated as “violence,” “ruse,” “fraud,” and “misrepresentation.” It will go no farther. The law does not concern itself with whether it is just or unjust that property or capital are concentrated in the hands of some, if that monopolization is not itself caused by attacks on property; if there is an equitable property or a sinful property. The law does not care.

Another example: French constitutional law decrees that every citizen reaches majority at 21 years and that from that moment they enjoy their civil and political rights. It does not concern itself with the moral capacity of the individual enabled thus to choose the legislators. It is not worried if he possesses the least notion of the management of public affairs, if he could be lying, dishonest, cowardly, drunken, or barely knows how to read and write; the law does not care.

Let us also consider marriage, which plays a very large role in the current law. Two human beings present themselves before an officer of the civil state and there they are united,—if not for life, since divorce, as long and costly as it is to obtain, can split the conjugal link,—but for a period, always sufficiently long, during which one of the spouses, the husband, exercises over the other a tutelage from which this latter can only rarely or exceptionally remove themselves. The law will not fret if it is a union dictated by love, a marriage of convenience, or a couple arranged by parents much more concerned with uniting interests than affections. It does not ask if there has been trickery, concealment of character or temperament, if those united are qualified to fulfill the roles of spouses, if their union was the fruit of a mutual attachment or the result of being carried away by their senses and the moment. The law does not care about it.

A criminal appears before a tribunal; the crime matters little. What will happen? Dressed in his robe of purple and ermine, defender of Society, the one who applies the law will not concern itself with the education of the man who presents himself at the bar, nor with the hereditary influences that could have determined his acts, nor with the twists and turns of his existence. He will not ask if before “falling,” the delinquent has not resisted a hundred temptations; if the conditions of existence of the milieu itself have not led him to commit the infraction that we now impute to him with disfavor. He does not care. He will condemn.

16) L’idéal légalitaire

En résumé, les légalitaires présentent :

a) un idéal humain : le parfait citoyen, l’être qui obéit à la loi. Aussi, l’éducation légalitaire que l’Etat dispense au futur citoyen a t-elle pour but, selon un programme bien arrêté, de le pénétrer de respect à l’égard des faits, des gestes et des hommes qui consacrent, protègent et perpétuent les choses reconnues bien fondées par la loi ;

b) un idéal moral : la Loi, une abstraction, de création purement humaine, mais essentiellement restrictive des besoins, des aspirations du constituant de la Société envisagé comme individu ;

c) un idéal social : l’Etat, une Société où les rapports entre les hommes sont uniquement conçus et réalisés dans les limites établies par la loi, en d’autres termes, basée sur le « fait légal ».

16) The legalistic ideal

In summary, the legalistic reformers present:

a) a human ideal: the perfect citizen, the being who obeys the law. Also, the legalistic education that the State dispenses to the future citizen aims, according to a well ordered program, to permeate it with respect with regard to the facts, deed and men who sanction, protect and perpetuate the things recognized as well-founded by the law;

b) a moral ideal: the Law, an abstraction, of purely human creation, but essentially restrictive of the needs, of the aspirations of the constituent of Society considered as an individual;

c) a social ideal: the State, a Society where the relations between men are only conceived and realized within the limits established by the law, in other words, based on “legal fact.”

17) Réformateurs et transformateurs économiques.

En opposition apparente avec les théories des réformateurs religieux et légalitaires, avec le but évident de les évincer, se dressent, derniers venus et déjà puissants, ceux que nous dénommerons les réformateurs, transformateurs « économiques » ceux qui fondent la vie des agglomérations humaines sur l’arrangement de la production, de la distribution et de la consommation des choses nécessaires à la subsistance des membres des sociétés, autrement dit les « socialistes ».

17) Economic reformers and transformers.

In apparent opposition to the theories of the religious and legalistic reformers, with the obvious aim of toppling them, rising up, last come and already powerful, those that we name the “economic” reformers, and transformers, those who base the life of the human agglomerations on the arrangement of production, distribution and consumption of the things necessary for the subsistence of the members of societies, otherwise known as the “socialists.”

18) Les origines du socialisme. Les précurseurs socialistes.

Bien que le socialisme collectiviste, le socialisme scientifique se targue d’origines récentes et que le .communisme, accomplissement du socialisme, ne prétende parfois remonter au début du XIXe siècle il est hors de doute que les différentes écoles socialistes comptent de nombreux précurseurs, surtout parmi les sectes chrétiennes du Moyen âge. En France, en Allemagne, dans les Pays Bas et ailleurs ont abondé les socialistes ou communistes qui prétendaient tirer des idées évangéliques leurs idées d’égalité économique, de mise en commun de la richesse collective. Ils ont d’ailleurs des successeurs contemporains. Les épisodes historiques auxquels Albigeois, Vaudois, Anabaptistes, Niveleurs et bien d’autres encore ont attaché leur nom et dû de passer à la postérité en sont une preuve suffisante ; au temps de Cromwell, Winstanley le piocheur rédigeait une charte collectiviste. Les annales judiciaires, cela va sans dire, nous représentent ces précurseurs comme des bandits de grand chemin ou des possédés du démon et il faut deviner plutôt que rétablir la vérité quand on parcourt le jargon juridique qui motive les condamnations à mort de tant d’entre eux.

D’ailleurs, l’idée d’égalité économique a toujours persisté, latente, parmi les chrétiens hétérodoxes : c’est une tradition qui paraît remonter loin, à l’agglomération judéo-chrétienne de Jérusalem qui, au lendemain de la disparition du fondateur du christianisme, se constituait en groupement collectiviste volontaire. Légende, peut-être, qui ne ferait que prouver l’ancienneté de la tradition. Quoi qu’il en soit, la forme scientifique du collectivisme ou du communisme contemporain n’est qu’une adaptation économique à l’esprit des temps actuels du christianisme, surtout du catholicisme. Sous une terminologie différente le socialisme et le christianisme préconisent l’amour entre les hommes, tous les hommes, qu’ils appellent chacun et tous au banquet de la vie sans réclamer d’effort autre qu’une adhésion extérieure à un programme, nous allions dire l obéissance à un credo. C’est avec raison qu’on a pu qualifier le socialisme : « la religion du fait économique ».

18) The origins of socialism. The socialist precursors.

Although the collectivist socialism, the scientific socialism, boasts of recent origins and communism, the accomplishment of socialism, sometimes claims to date back to the beginning of the 19th century, it is beyond doubt that the different socialist schools count numerous precursors, especially among the Christian sects of the Middle Ages. In France, in Germany, in the Low Countries and elsewhere socialists or communists have abounded who claim to have drawn their notions of economic equality, of pooling the collective wealth, from evangelical ideas. Moreover, they have some contemporary successors. The historical episodes to which the Albigenses, Waldenses, Anabaptists, Levellers and so many others have attached their names and shall pass on to posterity are a sufficient proof of it; in the time of Cromwell, Winstanley the digger wrote up a collectivist charter. The judicial annals, it goes without saying, represent these precursors to us as highway robbers or as possessed by devils, but we must guess rather than reestablish the truth when we scan the legal jargon that motivates the death sentences of so many of them.

Moreover, the idea of economic equality has always persisted, latent, among the heterodox Christians: it is a tradition that appears to go back a long time, to the Judeo-Christian conurbation of Jerusalem which, the day after the disappearance of the founder of Christianity, was established as a voluntary collectivist association. A legend, perhaps, which would only prove the age of the tradition. Whatever the case, the scientific form of collectivism or contemporary communism is only an economic adaptation of Christianity, especially of Catholicism, to the spirit of the present day. In different terminologies, socialism and Christianity recommend love between men, all men; they call each and all to the banquet of life without demanding any other effort than an external adherence to a program, we were about to say obedience to a credo. It is with reason that we could call socialism: “the religion of the economic fact.”

19) Le fait économique.

Sous sa forme actuelle, le socialisme affirme et se fait fort de prouver que le problème humain est uniquement d’ordre économique. L’homme n’intéresse le socialisme qu’envisagé sous son double rôle, sous sa double fonction de producteur et de consommateur. La Société fonctionnera donc parfaitement dès que les socialistes ou communistes se trouveront dans les conditions requises pour y organiser le travail et y répartir les produits.

19) The economic fact.

In its present form, socialism maintains and strives to prove that the human problem is only of the economic order. Man is only of interest to socialism considered in his double role, in his double functio as producer and consumer. So Society will function perfectly as soon as the socialists or communists find themselves in the conditions required to organize labor and divide the products.

20) Les divers aspects du socialisme.

Nombreux sont les moyens proposés pour atteindre ce but, tout différents qu’ils soient selon les périodes et les races. La thèse est d’une simplicité enfantine : qu’on nous mette à même, disent les socialistes, de nous emparer de la puissance nécessaire pour administrer la Société et, bon gré, mal gré, nous appliquerons nos doctrines. En dépit d’un antagonisme apparent, on s’aperçoit bientôt, à l’étude, que loin de se combattre les moyens proposés pour conquérir cette puissance se complètent. Parmi les socialistes, les uns veulent employer la violence révolutionnaire et s’emparer par la force de l’administration des choses, les autres comptent sur le bulletin de vote pour parvenir plus rapidement à ce qu’il est d’usage de nommer « la conquête des pouvoirs publics ». Ici, le socialisme se proclame matérialiste, est violemment athée et sensualiste ; là il est .moniste, teinté d’un mysticisme mécaniste ; ailleurs il fraye volontiers avec le christianisme, s’intitule même « chrétien social » ou « socialiste chrétien ».

On a vu le socialisme se commettre avec les antimilitaristes, les antipatriotes et même les syndicalistes anarchisants ; on l’a vu caporaliste, partisan de la « défense nationale », fuir les anarchistes comme la peste et, possédant le pouvoir, les traquer comme n’importe quel gouvernement bourgeois.

N’importe où, d’ailleurs, en temps d’élection, un candidat socialiste sait changer de veste, d’antimilitariste avéré se transformer en un vague pacifiste et faire risette aux capitalistes de la circonscription ; ne s agit-il pas avant tout de ne point effrayer !’électeur ? Dans le catholicisme on rencontre ainsi des confesseurs d’une austérité remarquable ; et d’autres, coulants, qui s’entendent à merveille à absoudre les mondaines de leurs péchés mignons.

Tout cela est logique. Une chose importe : conquérir une position permettant d’organiser la production et la répartition des produits indispensables à l’alimentation des sociétés, Qu’il s’agisse de la manière forte, chère aux socialistes ou communistes révolutionnaires antiparlementaires, qu’il s’agisse d’une saturation lente et progressive des populations et des assemblées parlementaires, selon le rêve des socialistes opportunistes, tout en revient au transfert de la puissance gouvernementale des mains de la « bourgeoisie » capitaliste (de la classe qui détient le « capital » espèces et le « capital » outils) à celles du « prolétariat » (classe des salariés et ouvriers de toute catégorie, représentée par ses dirigeants).

20) The various aspects of socialism.

The means proposed to attain that goal are numerous, all different as they are according to periods and races. The thesis is of an infantile simplicity: let it be made possible, say the socialists, for us to take possession of the power necessary to manage Society and, willy-nilly, we will apply our doctrines. Despite an apparent antagonism, we will soon see, on consideration, that, far from clashing, the means proposed to conquer that power complement one another. Among the socialists, some want to employ revolutionary violence and seize the administration of things by force, others count on the ballot to achieve most rapidly what we are accustomed to calling “the conquest of the public powers.” Here, socialism proclaims itself materialist, is violently atheist and sensualist; there it is monist, tinted with a mechanist mysticism; elsewhere it mixes willingly with Christianity, even calling itself “social Christian” or “Christian socialist.”

We have seen socialism side with the antimilitarists, the anti-patriots and even the anarchistic syndicalists; we have seen it [appear] corporalist, a partisan of “national defense,” flee the anarchists like the plague and, possessing the power, hunt them down like any old bourgeois government.

Anywhere, moreover, at election time, a socialist candidate knows to change jackets, transforming from a proven antimilitarist into a vague pacifist, making little smiles to the capitalists of the district; isn’t it above all a question of not frightening the voters? In Catholicism we thus encounter some confessors of a remarkable puritanism; and others, easy-going, who extend themselves marvelously to absolve the worldly of their favorite little sins.

That is all logical. One thing matters: to win a position allowing the organization of production and the division of the products indispensable to the feeding of societies. Whether it is a question of strong-arm tactics, dear to the revolutionary and anti-parliamentary socialists or communists, or it is a question of a slow and progressive saturation of the populations and parliamentary assemblies, according to the dram of the opportunist socialists, all of it comes down to the transfer of the governmental power from the hands of the capitalist “bourgeoisie” (from the class that possesses monetary “capital” and “capital” tools) to those of the “proletariat” (class of the wage-earners and workers of every category, represented by its directors).

21) Importance du socialisme.

Il serait puéril de nier l’influence qu’a acquis le socialisme. Il a suscité dans les couches profondes du prolétariat, dans mainte âme généreuse, l’enthousiasme et les espérances que souleva le christianisme parmi les esclaves de l’empire romain. En des temps de superstition, tandis que croulait le prestige des dieux, le christianisme proclama, par la voix d’apôtres d’abord ardents et désintéressés, que devant Dieu, créateur des cieux et de la terre, tous les hommes étaient égaux, chanson douce à l’oreille des déshérités.

De nos jours, alors que le christianisme a fait faillite, que la Révolution française a promulgué, sinon réalisé, l’égalité politique, qu’à mesure que diminue le respect du passé, l’instruction se répand ; de nos jours, le socialisme fait appel aux nécessités immédiates : à celles qui tombent sous les sens. La question sociale, clame-t-il, c’est une question de ventre, Magerfrage, une question d’estomac ! Dans une Société où s’affirment sans cesse des besoins nouveaux, — parfois artificiels, c’est entendu, mais qui n’en réclament pas moins impérieusement satisfaction, — comment cet appel ne rencontrerait-il pas d’écho, d’autant plus que pour le répandre et le commenter, le socialisme n’a manqué ni de talents, ni de dévouements ?

21) Importance of socialism.

It would be childish to deny the influence that socialism has acquired. It has aroused in the deep layers of the proletariat, in many a generous soul, the enthusiasm and hopes raised among the slaves of the Roman Empire by Christianity. In superstitious times, when the prestige of the gods crumbled, Christianity proclaimed, through apostles at first passionate and selfless, that before God, creator of the heavens and the earth, all human beings were equal, a song sweet to the ears of the disinherited.

In our time, when Christianity has gone bankrupt, the French Revolution has promulgated, if not realized, political equality, and education spreads as respect for the past diminishes; in our time, socialism appeals to immediate necessities—to those perceptible by the senses. The social question, it proclaims, is a question of the belly, Magerfrage, a question of the stomach! In a Society where new needs are constantly asserted,— sometimes artificial, it is understood, but which demand satisfaction no less imperiously,—how will that appeal not encounter an echo, especially as socialism lacks neither talents, nor dedication to spread and interpret itself?

22) Le syndicalisme.

Sous l’appellation de syndicalisme manifestée une activité révolutionnaire, d’abord hostile à l’action parlementaire et politique, — s’efforçant de grouper les ouvriers en syndicats professionnels et d’entretenir dans le monde ouvrier une agitation continuelle. Les moyens préconisés par le syndicalisme consistent à présenter aux employeurs et salarieurs des revendications toujours croissantes, augmentation de salaires, diminution des heures de travail, etc., etc., — à pousser employés et salariés à la grève en cas de refus ou de retour sur les concessions octroyées, de façon à infliger des pertes plus ou moins graves aux capitalistes qui voient ainsi leurs capitaux, espèces ou moyens de production, demeurer plus ou moins longtemps improductifs. Le syndicalisme avancé a préconisé l’action directe, le « sabotage », s’est affiché antimilitariste, etc. Fils du socialisme, il place à la base de sa conception de la Société le fait économique. On peut dire qu’à l’égard du socialisme le syndicalisme remplit le rôle d’aiguillon et on conçoit parfaitement que dans les milieux ouvriers révolutionnaires, son succès ait été vif.

22) Syndicalism.

Under the name of syndicalism appeared a revolutionary activity, first hostile parliamentary and political action,—attempting to group the workers in unions, according to profession, and maintain a constant agitation among the workers. The means recommended by syndicalism consist of presenting to the employers and wage-payers always increasing demands, increase of wages, decrease of the hours of labor, etc., etc.,—to urge employees to strike in case of refusal or return of the concessions granted, in a manner to inflict more or less serious losses on the capitalists who thus see their capital, money and means of production remain unproductive for a longer or shorter time. The advanced form of syndicalism has recommended direct action, “sabotage,” has shown itself antimilitarist, etc. A child of socialism, it places the economic fact at the base of its conception of Society. We can say that with regard to socialism, syndicalism fills the role of goad and we appreciate perfectly that in the milieus of the revolutionary workers, its success has been brilliant.

23) L’organisation.

Il convient d’ajouter ici que les réformateurs ou transformateurs socialistes du milieu social ne conçoivent pas cette réforme ou transformation sans une « organisation », c’est-à-dire sans l’existence d’organes directeurs représentés par toutes sortes de commissions administratives et légiférantes, par une multitude de fonctionnaires exécutifs d’un ordre ou d’un autre — rouages qu’ils affirment indispensables au fonctionnement de cette grande machine animée qu’est l’organisme sociétaire.

« S’organiser » — voilà le grand mot d’ordre socialiste. « Organisez-vous » ont crié socialistes, communistes et syndicalistes à la « classe » des prolétaires et des déshérités des biens de la terre. S’organiser — pour la conquête des pouvoirs — pour l’obtention de la nationalisation d’un service public — pour le vote d’une réforme — pour le gain d’un salaire plus élevé peut-être ; s’organiser implique non seulement une hiérarchisation de fonctions, mais encore — et inévitablement — la reconnaissance d’une norme juridique avec le corollaire inévitable des obligations et des sanctions.

23) Organization.

It should be added here that the socialist reformers or transformers of the social milieu do not conceive of that reform or transformation without an “organization,” without the existence of guiding organs represented by all sorts of administrative and legislative commissions, by a multitude of executive functionaries of one sort or another—cogs that they maintain are indispensable to the functioning of the great, animated machine that is the societary organism.

“Organize”—that is the great socialist watchword. The socialists, communists and syndicalists have cried “Organize yourselves!” to the “class” of proletarians and to those disinherited of the goods of the earth. Organize — for the conquest of power — in order to obtain the nationalization of a public service — to vote in a reform — perhaps to gain a higher wage; to organize implies not only a hierarchic organization of functions, but also — and inevitably — the recognition of a legal norm, with the inevitable corollary of obligations and sanctions.

24) La dictature du prolétariat.

La bourgeoisie ne possède pas de doctrine bien définie et bien établie pour justifier sa mainmise sur les hautes fonctions administratives des Sociétés humaines, et son accaparement du capital-espèces et du capital-outils, avec leurs cortèges de monopoles et de privilèges. En dehors de l’affirmation théocratique, que si les choses sont telles, c’est que Dieu l’a voulu — et ils y ont rarement recours — les « capitalistes » n’ont que des lieux communs à invoquer pour expliquer la situation privilégiée qu’ils occupent dans le milieu social. En fin de compte, c’est sur la répression légale, les mesures exceptionnelles, la force armée, l’appui que leur prêtent les plus rampants d’entre les salariés adaptés au système dominant et intéressés à sa durée, sur la veulerie des multitudes, que s’appuie la « classe » capitaliste pour maintenir ses prérogatives.

Les « leaders » du prolétariat ont donc eu beau jeu pour édifier et propager de nouveaux systèmes d’administration du milieu humain où le fait économique jouerait le premier rôle, et qui réorganiseraient sur un plan tout autre la production et la répartition des utilités de consommation : le capital et la puissance qu’il procure passant, bien entendu, aux mains de la nouvelle gestion sociétaire. Pour parvenir à ce résultat, force était de déposséder de sa situation dirigeante la catégorie sociale occupante, et cela sans pitié ni arrière-pensée. Autrement dit, il était indispensable que le prolétariat s’emparât de l’administration des choses, éliminât du pouvoir et contraignit au silence tous ceux qui seraient hostiles ou feraient mine d’être hostiles à sa domination de classe.

Il est indubitable que les chefs des masses prolétariennes crurent un moment pouvoir atteindre ce but grâce au jeu des institutions représentatives ; certains voient encore dans ces institutions un puissant auxiliaire. On s’aperçut bien vite, à cause de l’inertie des masses populaires insouciantes ou corrompues par le capitalisme, d’une part ; à cause de l’influence démoralisante exercée sur les élus ouvriers par l’atmosphère parlementaire, d’autre part, que le bulletin de vote se révélait insuffisant pour assurer le succès de la transformation attendue.

Pour faire triompher les revendications socialistes et les ambitions expropriatrices du prolétariat la grande ressource est de s’emparer violemment des rênes de l’Etat, avec l’appui de l’Armée, de décréter la révolution sociale à l’état permanent,. d’instituer « une dictature du prolétariat » — ou plutôt de son « élite », personnifiée, par ses meneurs — administrative et économique, refluant balayant, supprimant toutes les résistances de ceux qui ont intérêt à la perpétration du régime capitaliste, toutes les oppositions de nature à mettre en danger le régime nouveau ou même à faire douter de son efficacité.

24) The dictatorship of the proletariat.

The bourgeoisie does not possess a well-defined and well-established doctrine to justify its hold on the high administrative functions of human Societies, and its monopolization of capital-funds and capital-tools, with their procession of monopolies and privileges. Apart from the theocratic affirmation that if things are so, it is because God willed it — and they rarely have recourse to it — the “capitalists” only have commonplaces to call upon to explain the privileged situation that they occupy in the social milieu. At the end of the day, it is on legal repression, exceptional measures, armed force, the support lent to them by the most groveling among the employees who are adapted to the dominant system and interested in its continuation, on the spinelessness of the multitude, that the capitalist “class” leans on to maintain its prerogatives.

So it’s all very well for the “leaders” of the proletariat to construct and disseminate new systems of administration of the human milieu where the economic fact will play the leading role, and which will reorganize on an entirely different plan the production and distribution of the utilities of consumption: the capital and the power that it procures passing, naturally, into the hands of the new societary management. To achieve this result, it was necessary to dispossess the occupying social class from its position as director—and that without pity or mental reservation. In other words, it was indispensable that the proletariat take possession of the administration of things, to eject from power and force into silence all those who were hostile or appeared to be hostile to its class domination.

There is no doubt that the leaders of the proletarian masses thought for a moment they might achieve this goal, thanks to the play of representative institutions; some still see a powerful auxiliary in these institutions. We saw very quickly, because of the inertia of the popular masses, unconcerned or corrupted by capitalism, on the one hand, and because of the demoralizing influence exerted on the worker-members by the parliamentary atmosphere, on the other hand, that the ballot showed itself insufficient to assure the success of the expected transformation.

In order to make the socialist demands and expropriative ambitions of the proletariat prevail, the primary means is to violently take hold of the reins of the State, with the support of the Army, to decree the social revolution in a permanent state, to establish “a dictatorship of the proletariat” — or rather of its “elite,” personified, by its leaders — administrative and economic, flowing back, sweeping away, suppressing all the resistances of those who have an interest in the perpetration of the capitalist regime, all the oppositions likely to put the new regime in danger or even to cast doubt on its efficacy.

25) L’idéal socialiste.

Résumons : Les socialistes présentent :

a) Un idéal humain : le parfait producteur et le consommateur parfait, l’être humain dont la vie intégrale consisterait à s’adapter à une organisation de l’activité productrice telle que sa consommation lui soit assurée. L’enseignement socialiste vise à rapporter au fait économique tous les aspects du développement des sociétés humaines : politiques, éthiques aussi bien qu’économiques ;

b) Un idéal moral : le droit pour tous à la consommation, à la vie économique et, avec des nuances, la disparition des inégalités sociales, présentées comme fruit du capitalisme, et l’abolition de la propriété, présentée comme fruit de l’exploitation ;

c) Un idéal social : l’Etat collectiviste ou la Société communiste. Une Société basée sur le fait économique ; en d’autres termes, une Société où les rapports entre les hommes étant déterminés par la réglementation mathématique ou scientifique de la satisfaction des besoins de chacun, on ne reconnaîtrait plus ni « concurrence » économique, ni « lutte pour la vie ».

25) The socialist ideal.

Let us summarize: The socialists offer:

a) A human ideal: the perfect producer and the perfect consumer, the human being whose entire life will consist of adapting itself to an organization of productive activity that will provide for its consumption. Socialist education aims to relate to the economic fact all aspects of the development of human societies: political and ethical, as well as economic;

b) A moral ideal: the right of all to consumption, to economic life and, with some nuances, the disappearance of social inequalities, which are presented as the fruits of capitalism, and the abolition of property, which is presented as the fruit of exploitation;

c) A social ideal: the collectivist State or the communist Society. A Society based on the economic fact; in other words, a Society where, the relations between individuals being determined by the mathematical or scientific regulation of the satisfaction of the needs of each, one can encounter neither economic “competition,” nor the “struggle for life.”

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