E. Armand, “Parmi ce qui se publie” (1923-1939)

André LORULOT : Chez les Loups, mœurs anarchistes. Editions de l’Idée Libre, 6 fr.

Chez Les Loups est le premier livre que j’ai lu à ma sortie de la Maison Centrale de Nîmes et malgré les sept mois qui se sont écoulés depuis lors, je n’ai pu secouer encore la pénible impression qu’il m’a laissée. Disons de suite qu’il est très bien écrit, d’une lecture captivante et qu’à la dernière page l’intérêt n’a pas encore faibli.

Disons cela et reconnaissons aussi qu’étant donné l’état de santé de Lorulot, il accomplit une somme de labeur qui ferait reculer maint bien portant. Donnons-lui encore acte, en ce qui me concerne personnellement, qu’au cours de ma détention je l’ai trouvé d’une scrupuleuse loyauté à mon égard. Proclamons-le, parce que c’est la vérité, mais que cela ne m’empêche pas de crier bien haut, que je ne puis me faire à l’idée que ce livre soit de l’ancien compagnon d’Emilie Lamotte.

On va me traiter encore de sentimental. Tant pis. Est-il possible que Lorulot en soit venu à lancer dans le public un volume qui ressemble trop à ces romans policiers qui ont pour but de chatouiller la curiosité de lecteurs assoiffés de scandale? Qu’ils se soient trompés ou non, les grands premiers rôles de la période des « bandits tragiques » ont payé de leur vie les erreurs qu’ils ont pu commettre. Qu’on les laisse donc dormir en paix. Ou alors, il fallait y aller carrément, attribuer à chacun la responsabilité qui lui revient et non pas réunir sur des héros de roman des faits qui sont imputables à des personnalités bien distinctes. Des années ont passé, c’est vrai, mais ce n’est pas une raison pour laisser égarer des soupçons sur des malheureux qui ne sont plus là pour riposter. Et la préface des « Loups » n’empêchera pas que ces soupçons soient portés.

Je suis au désespoir de ressusciter de vieilles, d’oubliées polémiques. Mais il me semble remonter le cours des temps. Le souvenir me revient de la protestation des vaincus qui allient passer en jugement, qui s’attendaient à une condamnation impitoyable, qui réclamaient qu’on fit le silence autour de leur affaire. Lorulot passa outre. Je ne veux pas insister, mais j’ai sous les yeux un article de lui, intitulé Tous à l’œuvre, de l’anarchie du 3 octobre 1912. J’en extrairai quelques lignes seulement :

« Les hommes qui ont été frappés ou qui vont l’être sont tous, plus ou moins, nos camarades, camarades d’idées ou de faits. Nous les avons connus luttant à nos côtés, appuyant notre propagande, secondant notre effort. Intellectuellement parlant, ne sont-ils pas des nôtres, n’ont ils pas puisé leurs conceptions dans nos milieux, dans nos « Causeries populaires », dans la lecture de notre anarchie? »

Et c’est à ces « camarades », à ceux qu’il affiche « siens », que Lorulot joue le triste tour d’écrire et de publier Chez Les Loups. Les bras m’en tombent.

A ce moment là un mirage tel se dégageait des exploits des « Bandits tragiques » et des débats de leur procès qu’il y avait redouter une catastrophe parmi les nôtres, les jeunes surtout, incapables de se rendre compte des conséquences d’un entrainement qui côtoyait l’hallucination. Je crus bon de réagir et de m’élever contre l’illégalisme considéré comme doctrine, et non, ainsi que je l’avais toujours soutenu, comme conséquence d’un tempérament. Or, ce n’est pas de mon côté que se plaça alors Lorulot.…

C’est de l’histoire ancienne, je le veux bien. Mais on me permettra de me demander en quoi les épisodes des Loups, ces épisodes romantisés avec tant de savoir-faire par Lorulot, s’apparentent de près ou de loin avec les « mœurs anarchistes ». Il y a eu des mouchards parmi les anarchistes, il y en a peut-être encore; il y a eu, il y aura encore de pitoyables êtres qui vendront ceux dont ils ont arraché les secrets pour un sac d’écus, pour cinquante grammes de billets de banque. II y a eu un traitre parmi les douze hommes qui entouraient Jésus; il y en a eu dans tous les partis politiques, dans toutes les sectes religieuses, chez les conjurés de toutes les époques, chez les carbonari, dans la première Internationale. La traitrise n’est vraiment pas une caractéristique spéciale des « mœurs anarchistes ».

La déformation professionnelle ? Mais elle existe partout. Chez le journaliste d’avant-garde qui veut bon gré mal gré faire rentrer les évènements dans le cadre de sa thèse; chez l’anarchiste « qui travaille » et qui regarde du haut de sa fierté d’exploité l’irrégulier qui a recours aux expédients que condamne le Code. La déformation professionnelle n’est pas seulement spéciale aux illégalistes qui qui se réclament de l’anarchisme.

Il y a bien d’autres sujets dans Chez Les Loups qui pourraient servir de matière à polémique. Je ne dispose pas de l’espace suffisant pour le faire. Tout bien considéré, les « crimes » des bandits tragiques nous paraissent bien peu de chose, mis en parallèle avec tous-les assassinats, tous les meurtres, toutes les mises à mort arbitraires dont la grande guerre a été le prétexte. Ce n’est même pas une goutte d’eau dans un océan.

D’ailleurs Chez les Loups ne fournit pas une solution véritable au problème de l’homme qui se rend compte qu’il a été tiré du « sein de la nature quand il n’avait ni la volonté d’y consentir, ni la raison de s’en défendre, ni la puissance de s’opposer » et que son tempérament pousse à ne point s’accommoder d’un contrat social dont il n’a pu ni ne peut discuter, accepter, refuser où modifier les termes. La question reste entière, même après ce volume. Je sais que Lorulot se plaint volontiers d’avoir été en butte aux avanies, à la malignité, à la haine de certains anarchistes. Eh bien ! son livre a trop l’air d’une revanche sur ceux qu’il accuse de lui avoir. voulu du mal. C’est dommage.

E. Armand.

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  • E. Armand, “Parmi ce qui se publie: André Lorulot: Chez Les Loups,” l’en dehors 1 no. 2 (mi-Novembre 1922): 4.

New Adventures by Michael Monahan, New York. George H. Doran Co. (2 dollars, net).

D’origine irlandaise, Michael Monahan est un essayiste original, hardi, qui est loin d’être un inconnu pour ceux de nos abonnés et lecteurs qui ont suivi L’Ere Nouvelle, hors du troupeau, les Réfractaires, par delà la Mélée. Pendant longtemps, il a édité The Papyrus, un « magazine d’Individualité » qui cessa de paraître en 1912, dans sa 9e année d’existence. En 1914 il ressuscita cette œuvre, mais en lui donnant le titre de The Phœnix. Elle ne parait plus, d’ailleurs.

En outre de ces revues, Monahan a publié un certain nombre de volumes : Palms of Papyrus, At the sign of the Van, Nova Hibernia, Adventures in Life and Letters, etc., qui ont toujours été appréciés dans les milieux avancés des Etats-Unis. New adventures est une collection d’essais sur toutes sortes de sujets : la vie mondaine et intellectuelle de New York, certains personnages littéraires, enfin des sujets de « genre », si je puis m’exprimer ainsi. Monahan connaît excellemment la langue et la littérature françaises; deux des essais qui composent New Adventures (Aventures nouvelles) sont intitulés Balzac amant et Balzac l’artiste. De ce dernier, je traduis une ou deux pages au cours desquelles l’auteur tente de mettre en parallèle le puissant romancier français avec les « maîtres » du roman anglais : Walter Scott, Charles Dickens et William Thackeray.

E.A

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  • E. A., “Parmi ce qui se publie : Michael Monahan : New Adventures,” l’en dehors 2 no. 5 (mi-Janvier 1923): 4.

Chez les Loups. — En réponse (?) aux documents que j’avais apportés dans le supplément no. 4 de l’en dehors, Lorulot inonde le Réveil de l’Esclave d’arguments de pipelets, de jugements sur mon caractère (qui m’indiffèrent profondément, on s’en doute bien), qui fourniraient d’excellents éléments au premier réquisitoire qu’un procureur général dressera contre moi. Il s’avilit jusqu’à attribuer d’imaginaires maîtresses, il affirme tout cela sans preuves — que j’ai agi avec instance auprès de M. Gaston Vidal, auquel je n’ai mais écrit et que je n’ai jamais vu, ce qu’aurait cependant justifié la plus élémentaire appréciation de ma part des efforts accomplis en vue de ma libération par les « Amis d’Armand ». Double mensonge.

Un exemple illustrera la manière dé polémiquer de cet assainisseur en toc : il invoque contre moi un feuilleton de l’anarchie, publié sous le titre d’en attendant le verdict, alors que j’avais assumé la rédaction de cet hebdomadaire. Or, ce feuilleton ne traite que des conditions de la vie des détenus à la Santé, il n’y est aucunement question des faits reprochés à ceux qu’on a dénommé les « Bandits tragiques » et son auteur ne parut même pas au procès. Troisième mensonge.

Qu’on se rassure : je ne suivrai pas Lorulot sur le terrain suspect où il est passé maitre. Sa mentalité de primate, ses lares, ses maîtresses ou leurs amants ne m’importent guère ; il n’a jamais figuré sur la liste des collaborateurs de l’en dehors et mes relations avec lui se sont bornées — heureusement pour ma sécurité — à celles qu’on peut entretenir avec un éditeur utile. D’ailleurs, si j’avais proclamé Chez les Loups un chef-d’œuvre, Lorulot un écrivain véridique et le Réveil de l’Esclave le journal individualiste par excellence, il n’y a pas de doute que je sois resté celui « dont la tendance a toujours prédominé de placer au premier plan le facteur moral ou sentimental, de mettre d’accord ses actes avec ses idées (où ses idées avec ses actes, comme on voudra)». [Les Humbles, novembre 1921.]

J’ai déclaré que je ne reviendrais pas sur le sujet; je m’en tiens à ce que j’ai écrit dans le supplément précité: Il n’appartenait en aucun cas à Lorulot de publier un roman diffamatoire tel que celui-là et de l’intituler mœurs anarchistes, je l’ai démontré. Je mets au défi Lorulot de placer un nom de camarade anarchiste, mort ou vivant, sur un seul, sur la moitié d’un personnage de son roman. Je le mets au défi de produire un document écrit confirmant les vilenies qu’il met au compte de ses acteurs. Quand le directeur de la Chronique financière produira un document de ce genre, nous reviendrons sur la question pour examiner si ce n’est point un faux ou un rapport de police. Pas avant.

E. Armand.

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  • E. A., “Parmi ce qui se publie : Chez les Loups,” l’en dehors 2 no. 6 (début Février 1923): 4

L’Imposture religieuse, par Sébastien Faure. — 1 vol: de 400 pages. (Franco et recommandé à nos bureaux : 8 fr, 50).

Tout le monde sait que je ne suis pas plus d’accord avec le Communisme de S. Faure qu’avec aucune autre forme de communisme. Non seulement je ne crois pas qu’il puisse exister de communisme autrement que coercitif, discipliné, gouvernemental, mais le communisme en soi m’apparait de plus en plus comme une conception économique primaire, insuffisante, rétrograde. Sans doute je m’intéresse aux tentatives faites par des camarades communistes ou non, qui s’efforcent de réaliser tout de suite leur « idéal » ou leurs conceptions de vie, mais ce qu’ils font n’est pas du communisme, c’est de l’« associationisme » individualiste. Tout ceci. d’ailleurs ne m’empêche pas plus de m’intéresser autant à l’œuvre anticléricale et antireligieuse de S. Faure que s’y intéressaient les individualistes anarchistes italiens d’avant-guerre, qui annonçaient et traduisaient dans leurs journaux « les douze preuves de l’inexistence de jeu », par exemple.

Des livres comme l’Imposture religieuse sont de toute nécessité, à cette heure où l’emprise cléricale est si grande. Il est entendu que ce n’est pas parce qu’on à ébranlé le préjugé religieux chez un individu qu’on a extirpé les autres préjugés qui l’embrument. Quand même, j’aime mieux avoir à faire à quelqu’un qui ne fréquente ni l’église ni le prêtre qu’à un pilier de sacristie. Je me suis occupé quelque peu ces temps-ci des effets de la vague cléricale qui écume sur nos pays; on n’y fait pas assez attention. Quand on songe qu’il y à vingt ans, dix ou quinze pour cent à peine des pensionnaires des écoles’ normales d’institutrices fréquentaient l’église, et qu’aujourd’hui la proportion est renversée ; quand on voit tant de pères consentir, pour avoir la paix chez soi, à ce que leur progéniture qui n’avait pas été baptisée à leur naissance, le soit alors qu’elle atteint huit, dix, douze ans, cela porte à réfléchir!

Il y a l’Imposture religieuse et il y a Sébastien Faure. Je ne me suis jamais entretenu avec S. Faure jusqu’à présent. J’ai été « antifauriste » en mon temps, je l’avoue. En présence de la perturbation apportée dans l’évolution du mouvement anarchiste par les « réalisateurs » moscovites, je m’en voudrais de persévérer en cette attitude surannée. S. Faure est communiste, genre « Union anarchiste », dont les méthodes et. la tactique m’ont paru souvent des plus discutables. Je l’ai retrouvé, au sortir de ma captivité, combattant l’autoritarisme sous sa forme de dictature du prolétariat. Irai-je faire le jeu de l’ennemi en m’associant dans l’en dehors à des campagnes qui me paraissent merveilleusement servir les desseins de nos pires adversaires? Et puis, tout réfléchi, n’y a-t-il pas de l’impertinence — sinon de la bouffonneris — de la part de très jeunes plumitifs qui n’ont pas encore secoué les poux de leur capote — et auxquels s’imposait une retraite assez longue ayant de se produire en public — à s’acharner après des hommes qui possédaient toutes sortes de dons naturels qui leur auraient permis de faire leur chemin dans les affaires ou la politique, s’ils l’avaient voulu ? Personne ne les forçait de choisir la voie de la propagande anarchiste ; d’autres s’offraient à eux où avec un-peu de peine, ils auraient pu recueillir avantages, situation, confort, etc.

C’est faire montre de peu de flair individualiste que de ne gas tenir compte de ces considérations. Le nombre de nos propagandistes antiautoritaires n’est déjà pas si grand pour qu’on essaie de. leur nuire. Un bon camarade m’écrivait récemment : « Tu ne voudrais pas, quand même, que je risque un effort qui puisse m’attirer d’être enfermé pour me voir ensuite arrangé comme tu l’as été !.. Foin de la souffrance pour la propagande de nos idées qui n’appelle en cas d’accident, ni appréciation, ni réciprocité suivie !.. » Voilà l’œuvre d’une polémique qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez…

E. Armand.

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  • E. Armand, “Parmi ce qui se publie : L’Imposture religieuse, par Sébastien Faure,” l’en dehors 2 no. 14 (fin Juin 1923): 4.

La Maitresse légitime, par Georges-Anquetil. Essai sur le mariage polygamique de demain. — 1 gros vol. (Envoi franco et recommandé contre 10 fr. 75).

J’ai lu avec attention l’essai de Georges-Anquetil, avec d’autant plus d’attention que sa thèse cadre avec celle des solutions que, par tempérament, je préférerais parmi toutes celles qui sont proposées pour débrouiller l’imbroglio sexuel. Mais trop fragile est la base sur laquelle s’appuie la revendication que l’auteur du livre défend avec une chaleur et une érudition indéniables : la surpopulation féminine actuelle n’est qu’un accident consécutif à la guerre de 1944-1918 ; on ne peut raisonnablement fonder tout un système social sur un accident, Les autres raisons invoquées par Georges-Anquetil sont plus solides. Il est exact que la monogamie n’est qu’une façade légale, inobservé dans les mœurs ; il est vrai que l’instinct de variation sexuelle est naturel à l’homme comme à maint vertébré; il est évident que l’habitude et surtout la cohabitation émoussent le désir sexuel. « Les animaux monogames sont en général ceux qui font une fois l’amour dans la vie » — « La jalousie est un héritage des animaux et de la barbarie ». Tout cela est incontestable. Où je ne m’entends plus avec l’écrivain de la Maitresse Légitime — et justement parce que polygame — c’est quand il veut restreindre la pratique de la pluralité, en matière d’union sexuelle, à un seul élément de l’espèce humaine : l’homme. Dans son système, en effet, dès qu’elle est mariée, la femme renonce à toute indépendance sexuelle ; son infidélité ne l’expose rien moins qu’aux travaux forcés à temps!

Or, cette fidélité imposée me parait aussi contre-nature quand on la rend obligatoire pour la femme que lorsqu’on y contraint l’homme Ne lisons-nous pas que « les femelles des mammifères en liberté fuient presque toujours le mâle qui les a servies » et « que la colombe fidèle elle-même prend son vol et va, sous l’impulsion du caprice, vers un autre amant? » Pourquoi l’habitude, la cohabitation n’émousseraient-elles pas autant le désir chez mes campagnes que chez mai Pourquoi, même mariées à la façon polygamique, n’éprouveraient-elles pas de l’appétit pour d’autres que moi ? Et, de mon) côté, pourquoi n’éprouverais-je pas de désirs à l’endroit d’une femme en puissance de mari polygame ? Dans une société constituée. comme l’entend Georges-Anquetil, je pousserais certainement les femmes à se rebeller contre la.tyrannie maritale et la barbarie du Code.

Le mariage polygamie n’est pas la solution du problème sexuel. La solution, c’est la possibilité pour tous, hommes et femmes, de déterminer à leur gré les modalités de leur vie sexuelle, Or, c’est seulement aux femmes non mariées à la mode polygamique que Georges-Anquetil permet d’être indépendantes.. Ses raisons ne me convainquent pas.

L’adultère, même en régime polygamique, n’a pas plus d’importance pour la femme que pour l’homme dès lors qu’on admet l’éducation sexuelle sans restriction aucune. D’ailleurs, considérés à la lumière de la liberté sexuelle, mariage, adultère, fidélité conjugale n’ont plus aucun sens. La pratique de la liberté sexuelle remplace le mariage par toutes sortes d’associations volontaires : couples, passagers où durables: ménages À plusieurs, polygéniques où polyandriques ; unions uniques ou plurales ignorant la cohabitation ; affections centrales basées sur des affinités d’ordre plutôt sentimental ou intellectuel, autour desquelles gravitent des amitiés, des liaisons d’un caractère plus sensuel, plus voluptueux, plus capricieux. Comme le mariage polygamique apparait mesquin et retardataire en face de cette richesse, de cette complexité; de ces possibilités d’expériences !

Je ne pense pas que la monogamie ait été le résultat de l’équilibre qui finit par régner en temps normal, où à peu près, entre le nombre d’hommes et le nombre de femmes dans les sociétés civilisées. Sa domination a des causes plus profondes, d’ordre religieux, par exemple. Au point de vue strictement chrétien, le mariage, l’union sexuelle est une concession faite à la chair.

La polygamie mormonne — j’ai étudié de très près le secte des Mormons — peut difficilement être citée en exemple, vu l’influence de la suggestion religieuse. Le gouvernement de l’Eglise mormonne est foncièrement théocratique, la richesse est dans les mains d’un nombre relativement reteint de membres de l’Eglise des Saints des derniers jours: quand la polygamie florissait ouvertement sur les bords du Lac Salé, elle était le privilège des plus fortunés, comme c’est, je crois, le cas chez les Musulmans. Je pense que le mariage polygamique est toujours en vigueur dans l’Utah, mais les épouses qui viennent après la femme légitime portent le nom de servantes, au sens deutéronomique du terme.

Georgés-Anquetil a-t-il eu connaissance de ce groupe de Mormons qui n’accept pas le manifeste de Woodruff et partit vers le sud, au Mexique où dans l’Amérique centrale, afin de pouvoir pratiquer sans restrictions le mariage polygamique ? Je ne sait ce qu’il et advenu de ces « purs » qui ne voulurent pas composer avec la loi des gentils, la légalité américaine.

La question du syndicat des vendeuses d’amour n’est pas nouvelle. Paul Robin avait déjà lancé cette idée et elle a eu un commencement de réalisations. Je n’ai pas les documents sous la main, mais je crois me rappeler qu’il y eut échec, causé tout autant par l’intervention de la police des mœurs que par le mentalité déplorable de celles auxquelles on s’adressa. Georges-Anquetil devrait se renseigner sur ce qui a été tenté alors.

La Maîtresse Légitime est un livre qui vaut la peine d’être lu. Dans les thèses qu’il expose, dans les citations et les faits dont il fourmille, dans le recueil des opinions exprimées à son sujet par des écrivains appartenant aux quatre coins de l’horizon intellectuel, il y a à glaner, à puiser. Il est indéniable que de tout cela, la monogamie légale, officielle, ressort en piteux état.

E. Armand.

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  • E. Armand, “Parmi ce qui se publie : La Maitresse légitime, par Georges-Anquetil,” l’en dehors 2 no. 15 (mi-Juillet 1923): 4.

En marge de la Bible, par Balkis (Bibliothèque du Hérisson), 8 fr. franco. — Il y a certainement dans ce livre une trame occulte, je veux dire par là que l’auteur obéit à une impulsion secrète, à un dessein caché qui n’est pas uniquement de faire conclure au lecteur que « tout n’est que vanité et tourment d’esprit sous le soleil ». A quoi bon, alors, s’être donné cette peine pour appliquer un sens énigmatique à ce qui pouvait être mystère, en effet, mais qui pouvait n’être tout aussi bien que légendes vulgaires? Ou prolonger le mystère ? Quoiqu’il en soit, que ce volume soit imaginé sous l’invocation du Mal ou proclame la victoire éternelle de l’instinct de Luxure chez l’humain, il m’a fortement impressionné. Celui qui l’a composé connaît bien la Bible et il est tout imprégné de la tournure d’esprit orientale. C’est une pensée sémitique qui se traduit par des mots d’une langue aryenne et qu’influencent la mystique et la curiosité européennes.

E. A.

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  • E. A., “Parmi ce qui se publie : En marge de la Bible, par Balkis,” l’en dehors 2 no. 18 (début Septembre 1923): 4.

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