E. Armand, “Le transgresseur, est-il un facteur d’évolution?” (1926)

Le transgresseur, est-il un facteur d’évolution ?

A plusieurs reprises, j’ai posé cette question qui m’a troublé au début, je l’avoue, lorsque j’ai compris de quels développements elle était susceptible, quelle conséquences elle entrainait à sa suit.

« Sans le transgresseur, sans le réfractaire intellectuel, économique, religieux, y aurait-il eu développement, déplacement ou transformation des pensées, des acquis ou de leurs applications, des états d’existence des individus, des sociétés ? »

Somme toute, cela revient à se demander si le transgresseur ou le criminel est un facteur d’évolution.

Is the Transgressor a Factor of Evolution?

On several occasions, I asked this question which disturbed me at the beginning, I admit, when I understood what developments it was susceptible to, what consequences it brought in its wake.

“Without the transgressor, without the intellectual, economic, religious refractory, would there have been development, displacement or transformation of thoughts, knowledge or their applications, of the states of existence of individuals, of societies?”

All in all, this comes down to asking whether the transgressor or the criminal is a factor of evolution.

VARIATIONS SUR LE PROGRES

Je ne suis pas du tout un fanatique du progrès. J’ignore, comme Whitman, si le sauvage n’est pas supérieur à l’homme civilisé. En me plaçant dans la période historique, je ne puis trouver, moralement parlant, rien que établisse une différence en faveur de l’homme civilisé, sous le rapport, par exemple, de l’hypocrisie, du mensonge, de la cruauté intérieurs.

Un résultat m’apparait hors de doute : augmentation des connaissances scientifiques, d’où enrichissement intellectuel ; abandon de préjugés d’ordre mystique et moral, ce qui revient qu même, cet enrichissement et cette perte se contrebalance.

Et encore il faudrait prouver par des constations sérieuses, vérifiables, faites par des enregistreurs sans parti pris, qu’il y a eu abandon réel de certains préjugés, qu’il n’y a pas eu tout simplement modification du point de vue de ;’opinion générale sous l’influence de la classe des profiteurs et de dirigeants.

Il ne resterait donc à l’actif l’évolution que l’enrichissement pratique de l’humanité par l’acquis de nouvelles connaissances se traduisent par la mis en oeuvre d’engins mécaniques ou de Moyes de production ou de conservation répondant davantage au but proposé. Il est évident alors que, depuis trois cents ans, l’évolution mécanique s’est précipitée sous l’influence des nouveaux moteurs actionnés par des forces qu’on n’avait pas songé jusque-là à discipliner ou qu’on ignorer. Les hommes de l’antiquité historique ou de moyen âge ne connaissaient pas la machine à vapeur, la dynamo, le moteur à explosion ; leurs moyens de transport, leurs engins de traction ne peuvent se compare aux nôtres ; nous utilisons des engrais chimiques dont ils n’avaient pas la moindre idée. Les méthodes thérapeutiques que nous employons aujourd’hui leur étaient inaccessibles. Des sciences entières leur étaient fermées, la géologie par exemple.

Il y a donc eu évolution, enrichissement par rapport à ces acquis intellectuels et aux applications mécaniques pratiques auxquelles ce acquis ont conduit.

Mais si ces application constituent un enrichissement de la collectivité humaine, cet enrichissement était compense par leur mise en service aux intérêts et profits de la class dominante politiquement ou économiquement, classe que ne faisait reculer aucune scrupule ni aucune considération, fût-ce de se servir de telle ou telle application pratique des acquis scientifiques pour produire des engins de mort sans parallèle dans l’histoire antérieure.

Donc, je fais toutes mes réserves sur le terme évolution qui ne peut dans ma pensée être synonyme que de mouvement, déplacement, sans y englober une idée quelconque de modification morale ou de transformation éthique des mobiles humains.

VARIATIONS ON PROGRESS

I am not at all a fanatic of progress. I don’t know, like Whitman, if the savage is not superior to the civilized man. Placing myself in the historical period, I cannot find, morally speaking, anything that establishes a difference in favor of civilized man, in relation, for example, to internal hypocrisy, lies, cruelty.

One result appears beyond doubt to me: the increase in scientific knowledge, hence intellectual enrichment; the abandonment of prejudices of a mystical and moral order, which means that this enrichment and this loss counterbalance each other.

And again it would be necessary to prove by serious, verifiable findings, made by recorders without bias, that there was a real abandonment of certain prejudices, that there was not simply a modification of the point of view of general opinion under the influence of the class of profiteers and leaders.

It would therefore only remain as an asset of evolution that the practical enrichment of humanity through the acquisition of new knowledge results in the implementation of mechanical devices or means of production or conservation responding more to the goal proposed. It is obvious then that, for three hundred years, mechanical evolution has accelerated under the influence of new engines driven by forces that until then we had not thought of disciplining or of which we were unaware. Men of historical antiquity or the Middle Ages did not know the steam engine, the dynamo, the internal combustion engine; their means of transport, their traction engines cannot be compared to ours; we use chemical fertilizers, which they had no idea about. The therapeutic methods we use today were inaccessible to them. Entire sciences were closed to them, geology for example.

There has therefore been evolution, enrichment in relation to these intellectual achievements and the practical mechanical applications to which this acquisition has led.

But if these applications constitute an enrichment of the human community, this enrichment was compensated by their putting into service for the interests and profits of the politically or economically dominant class, a class that did not shy away from any scruples or consideration, even if it was to use this or that practical application of scientific knowledge to produce death machines without parallel in previous history.

Therefore, I have all my reservations about the term evolution which in my mind can only be synonymous with movement, displacement, without including any idea of moral modification or ethical transformation of human motives.

QU’EST-CE QUE LE TRANSGRESSEUR ?

La question posée mardi soir revient donc à demander si le transgresseur, le criminel est un facteur d’évolution, exerce une fonction dynamique dans le milieu social.

Qu’est-ce que le criminel, le transgresseur ?

C’est un être humain qui commet une action ou des actions en désaccord avec la coutume ou la loi.

Ce disaccord peut être plus ou moins accentué ou profond. Ce peut n’être qu’un délit, la violation d’un règlement de police d’importance minime, et ce peut être un crime, c’est-à-dire un attentat contre la personne d’autrui, dans certaines circonstances, ou même contre la sécurité de l’organisation sociale.

WHAT IS THE TRANSGRESSOR?

The question asked Tuesday evening therefore amounts to asking whether the transgressor, the criminal, is a factor of evolution, exercises a dynamic function in the social environment.

What is the criminal, the transgressor?

It is a human being who commits an action or actions in disagreement with custom or law.

This disagreement can be more or less accentuated or deep. It can only be an offense, the violation of a police regulation of minimal importance, and it can be a crime, that is to say an attack against the person of another, in certain circumstances, or even against the security of social organization.

QU’EST-CE QUE LA COUTUME OU LA LOI ?

C’est une cristallisation, à un moment donné, de la façon de se comporter, de la règle de conduite d’une collectivité humaine. La coutume ou la loi peut être d’origine ou d’essence religieuse ou laïque, provenir même de ces deux sources. Elle peut régler les rapports de humains à l’égard d’une entité prétendue extérieure à lui, à l’égard de l’Etat, à l’égard des une et des autres, dans leurs différentes situations sociales. Mais qu’on l’envisage au point de vue qu’on voudra, la coutume ou la loi est un instrument, un outil de conservation sociale.

La coutume ou la loi constitue une phénomène statique.

Toutes les sanctions disciplinaires ou pénales que comporte la violation de la coutume ou de la loi, visent à lui conserver ce caractère statique, à ne pas permettre qu’on en ébranlé ou en effrite le bloc. Celui assez hardi pour tenter de porter la main sur cette masse cristallisée, on le menace de châtiments tels qu’on présume lui enlever l’idée de recommencer.

Examinons de près ce bloc de conservation sociale, ce phénomène statique.

Représente-t-il, cristallise-t-il l’opinion moyenne, à un moment donné, de la collectivité humaine sur la façon dont ses membres doivent se comporter les uns à l’égard des autres pour jouir de la plus grande somme de bonheur possible, ce qui apparait la raison d’être de la vie humaine pour tout observateur sans parti pris ?

Un examen sérieux de la question nous montre que la coutume ou la loi cristallise certaines conceptions, certaines pratiques morales ou économiques ou politiques dont l’observation est indispensable pour maintenir les maitres ou le dirigeants de l’heure en possession de leurs privilèges, de leurs monopoles, de leurs profits.

La coutume ou la loi se résume en un contrat unilatéral imposé au reste des humains par ceux qui les gouvernent et en profitent, que ce soit la classe des guerriers, celle des prêtres, celle des bourgeois, celle des ouvriers. Classe qui s’efforce par tous les moyens dont elle dispose, et en supprimant l’opposition quand c’est nécessaire, — ce qui est d’ailleurs sa principale ressources, — de ne pas permettre que la mentalité générale moyenne se transforme de telle façon que la position de la classe dirigeante ou possédante du moment soit menacée.

Quand on examine consciencieusement la question, qu’on fait du « droit comparé » , on s’apercoit bientôt que c’est dans des limites restreintes qu’évoluent les termes du contrat imposé aux dominés par la classe au pouvoir. A peu de chose près, les conceptions du bien et du mail, du vice et de la vertu, du moral et de l’immoral sont les mêmes, dans toutes les sociétés organisées sur la base d’une domination de classe.

Le bien, la vertu, le moral en fin du compte, c’est ce qui ne jette pas de doute ou de discrédit sur le programme appliquée par la class dominante pour faire croire que sa gestion de la chose publique est la solution la meilleure qui pouvait être imaginée pour la conservation de la société.

Mise en présence de la vulgarisation et de l’expansion intellectualiste, la classe dominante a su neutraliser leur hostilité possible en s’emparant de l’éducation et de la presse. Comme la classe qui aspire au pouvoir pour demain, s’y maintiendra par les mêmes procédés que telle qui le détient aujourd’hui, il n’y à au fond que peu de différence entre les deux morales, celle des dominants d’aujourd’hui ou celle des dominants de demain.

Les différences qui se peuvent signaler entre les morales des collectivités humaines proviennent uniquement de l’intérêt de la classe qui dicte le contrat unilatéral.

Chez les Spartiates, où la classe dirigeante était représentée pur des guerriers, où la valeur d’échange jouait un rôle infime, on récompensait le voleur qui ne se faisait pas prendre. Comme dans les sociétés modernes, où tout est arrangé de façon que l’accumulateur de valeurs d’échange soit garanti contre les assauts son privilège, va fait des lois pour favoriser l’épargnant. Comme en Russie, où il est nécessaire de maintenir l’idéologie à une haute pression, on punit les attaques contre les institutions, les monuments, même le drapeau soviétique.

On a bien fait boire la ciguë à Socrate, brûlé Jean Huss, Michel Servet, Giordano, Bruno, le Chevalier de la Barre; roué et écartelé Jean de Leude, et tout le monde sait que je pourrais allonger indéfiniment cette liste. On ne le ferait pas aujourd’hui, sans doute. Mais on emprisonne en temps de paix, et on fusille en temps de guerre, l’homme qui ne veut pas risquer su peau pour une cause qui n’est pas la sienne, pour l’impérialisme latin, où anglo-saxon, ou germanique, ou slave. C’est dans l’intérêt de la classe dirigeante, qui ne se soucie plus de la religion, mais qui voit dans la non du patriotisme une sauve-garde plus forte.

D’ailleurs ceci n’est que très relatif. Le prophète des Mormons Joseph Smith à Etats-Unis dans la premiere moitié du 19e siècle — Francisco Ferrer à été fusillé à l’aurore du 20e siècle. On est poursuivi aux Etats-Unis parce qu’on combat la religion révélée, — on prépare en Italie une loi contre le blaspheme. Les dirigeants et exploitants de nombre de pays pensent que la sauvegarde religieuse peut encore être de grande utilité pour les maintenir leurs privilèges. En Russie, au contraire, les dirigeants sont d’avis que la religion est une menace pour leur autorité, ils contrecarrent donc en favorisant le plus possible la propagande antireligieuse.

La coutume ou là loi, telle que nous la connaissons, est un fait d’ordre statique. Elle a pour but de maintenir dans les limites des termes d’un contrat social unilatéral, imposé, courbant toute les unités humaines sous un mème joug, les collectivités règles par le système de la domination de l’homme par l’homme et de l’exploitation de l’homme par l’homme.

WHAT IS CUSTOM OR LAW?

It is a crystallization, at a given moment, of the way of behaving, of the rule of conduct of a human community. Custom or law can be of religious or secular origin or essence, even coming from these two sources. It can regulate the relationships of humans with regard to an entity supposedly external to them, with regard to the State, with regard to each other, in their different social situations. But whatever point of view we wish consider it from, custom or law is an instrument, a tool of social conservation.

Custom or law constitutes a static phenomenon.

All the disciplinary or penal sanctions that the violation of custom or the law entails aim to preserve this static character, to not allow the bloc to be shaken or crumbled. Anyone bold enough to try to lay their hands on this crystallized mass is threatened with punishments such as are presumed to take away the idea of starting again.

Let’s take a close look at this bloc of social conservation, this static phenomenon.

Does it represent, does it crystallize the average opinion, at a given moment, of the human community, regarding the way in which its members must behave towards each other in order to enjoy the greatest amount of possible happiness? Does it represent what appears to be the reason for human life for any unbiased observer?

A serious examination of the question shows us that custom or law crystallizes certain conceptions, certain moral or economic or political practices whose observation is essential to maintain the masters or leaders of the day in possession of their privileges, their monopolies, their profits.

Custom or law is summed up in a unilateral contract imposed on the rest of humans by those who govern them and benefit from them, whether it is the class of warriors, that of priests, that of the bourgeoisie, that of the workers. A class that strives by all the means at its disposal, and by suppressing opposition when necessary — which is, moreover, its main resource — not to allow the average general mentality to transform in such a way that the position of the ruling or possessing class of the moment is threatened.

When we conscientiously examine the question of “comparative law,” we soon realize that it is within restricted limits that the terms of the contract imposed on those dominated by the class in power evolve. More or less, the conceptions of good and evil, of vice and virtue, of morality and immorality are the same, in all societies organized on the basis of class domination.

Good, virtue, morality in the end, is what does not cast doubt or discredit on the program applied by the dominant class to make people believe that its management of public affairs is the best solution that could be imagined for the preservation of society.

Faced with popularization and intellectualist expansion, the ruling class was able to neutralize their possible hostility by seizing education and the press. As the class that aspires to power for tomorrow will maintain itself there by the same processes as the class that holds it today, there is ultimately little difference between the two moralities, that of the dominants of today or that of the dominants of tomorrow.

The differences that can be noted between the morals of human communities come solely from the interest of the class that dictates the unilateral contract.

Among the Spartans, where the ruling class was represented as warriors, where exchange value played a tiny role, the thief was rewarded for not being caught. As in modern societies, where everything is arranged in such a way that the accumulator of exchange values is guaranteed against attacks on his privilege, laws are made to favor the saver. As in Russia, where it is necessary to maintain high pressure on ideology, attacks on institutions, monuments, even the Soviet flag are punished.

Socrates was made to drink hemlock, Jean Huss, Michel Servet, Giordano Bruno, the Chevalier de la Barre were burned; Jean de Leude drawn and quartered, and everyone knows that I could extend this list indefinitely. We wouldn’t do it today, probably. But we imprison in times of peace, and we shoot in times of war, the man who does not want to risk his skin for a cause which is not his, for Latin, or Anglo-Saxon, or Germanic, or Slavic imperialism. It is in the interest of the ruling class, which no longer cares about religion, but which sees in the absence of patriotism a stronger safeguard.

Besides, this is only very relative. The Mormon prophet Joseph Smith in the United States in the first half of the 19th century — Francisco Ferrer was shot at the dawn of the 20th century. They are being prosecuted in the United States because they are fighting revealed religion, — in Italy they are preparing a law against blasphemy. The leaders and operators of many countries believe that religious safeguarding can still be of great use in maintaining their privileges. In Russia, on the contrary, the leaders believe that religion is a threat to their authority, so they counter by promoting anti-religious propaganda as much as possible.

Custom or law, as we know it, is a static fact. Its aim is to maintain within the limits of the terms of a unilateral, imposed social contract, bending all human units under the same yoke, communities ruled by the system of domination of man by man and of exploitation of man by man.

LE TRANSGRESSEUR COMME ELEMENT DYNAMIQUE

Que l’évolution sait un progrès, comme le croient beaucoup, ou un simple déplacement dans le temps et dans l’espace, comme je le pensé, elle est un phénomène dynamique.

Toute société cristallisée par la coutume ou Ia loi est un phénomène statique.

Parce qu’elle évolue, se déplace, se modifie, se transforme, une influence dynamique est nécessaire, indispensable.

Les sociétés n’ont évolué que parce qu’elles ont été troublées pur des influences dynamiques, même quand ce trouble n’était que circonstanciel.

L’athéisme, la libre pensée, le divorce, n’ont pas porte atteinte aux privilégiés de la classe prédominante, qui s’est aperçue par la suite que la-libre pratique de ces conceptions ne les empêchait pas d’exploiter ses semblables déshérités ni de les enseigner comme jadis. Mais par rapport aux conceptions intellectuelles et morales des milieux humains, la propagation de ces conceptions a eu une influence dynamique. Ji y a eu déplacement dans la mentalité humaine qui an toléré qu’on nie Dieu, l’enseignement religieux, l’indissolubilité du lien matrimonial, etc.

La société est parvenue à cet état de fait qu’elle a élevé l’homme d’argent, le brasseur d’affaires au pinacle. Il a le droit, pour sa consommation, à tout ce que le milieu humain peut produire de meilleur et de plus raffiné. La coutume et la loi l’autorisent à commettre toutes les fraudes et les ruses possibles pour obtenir cette situation (à la façon du guerrier ou du soldat dont on tolère, mais en guerre seulement, — guerre civile ou guerre contre l’étranger, -— qu’il égorge ou massacre de toutes les manières imaginables), pourvu qu’il demeure au-dedans de certaines limites, qu’il n’use pas de procédés défavorables aux dirigeants.

Contre ce statisme, réagit le voleur — qui peut être un déshérité, un malchanceux où un révolté — et qui n’accepte pas le contrat social unilatéral. Le voleur qui ne se différencie pas tellement du commun des mortels, qui peut être aussi capable de générosité et de dévouement que l’honnête homme — c’est-à-dire le mouton de Panurge, celui qui est toujours de l’avis du maitre de l’heure. — Mais qui reste comme un aiguillon planté dans le flanc du milieu social, qui lui rappelle qu’il y a des unités humaines dont la condition sociale soi-disant inférieure n’empêche qu’ils aient ls mêmes aspirations, les mêmes désirs, les mêmes appétits que ses capitaines d’exploitation !

Pourquoi, n’ayant pu avoir accès aux mêmes possibilités de se débrouiller que les privilégiés, faut-il que le reste des hommes se courbent devant l’exploiteur ? Voilà le message du voleur humain, qui ne veut pas se résigner, bien qu’il ne le comprenne pas toujours, aux conditions de vie économique du milieu ?

Le message impliqué par le geste du valeur est done d’ordre dynamique puisqu’il trouble le statu quo économique.

On me dire que la coutume ou la loi protège le petit épargnant ou le petit possédant contre le voleur. Bien sûr. Si elle ne le faisait pas, les petits possédants ou épargnants se joindraient rapidement aux voleurs pour assaillir l’accapareur d’espèces ou signes de production. La protection coutumière déloyale est l’os que les gros possédants donnent à ronger à leurs meilleurs chiens de garde : petits propriétaires fonciers, rentiers ou commerçants, ou fonctionnaires.

Le maraudeur, le vagabond, le braconnier jouent la même rôle vis-à-vis du gros propriétaire foncier ou du loueur de chasse. Il rappelle que tandis que plusieurs ont, dix, cent, mille fois plus de sol qu’il leur est possible de faire valoir par eux-mêmes, il en est qui ne possèdent même pas un lieu où reposer leur tête, un champs dont il puissent tirer leur subsistance, une terre giboyeuse où se procurer un plaisir qu’ils aiment autant que les privilégiés du sort,

La prostituée rappelle que tout est objet de vente et d’achat, dans un milieu où c’est l’argent qui prime et confère la puissance. Elle rappelle également que la chasteté des honnêtes demoiselles et la répugnance des honnêtes épouses à certains raffinements sexuels, exige qu’une classe de femmes se sacrifie et se vende, pour maintenir filles et femmes en l’état de respectabilité voulu par le milieu pour leur accorder une valeur sociale.

Le pornographe rappelle au milieu social son hypocrisie en matière sexuelle. C’est parce qu’il ne veut pas dispenser à ses constituants une éducation sexuelle complète qu’on suscite et qu’on satisfait ou ne satisfait pas la curiosité des ignorants en leur offrant de l’assouvir à beaux deniers comptant.

Même le chemineau qui viole une bergère rappelle au milieu social qu’il y à des déshérités de l’apparence, qui ont besoin de caresses et d’amour et que ce n’est pas en disant « tant pis pour toi » qu’on solutionne tel où tel problème douloureux.

D’ailleurs, j’admets que le milieu social n’est pas resté absolument sourd à appels, On peut dire que dans là mesure où les dirigeants et les possédants n’ont pas été menacés dans leurs privilèges, il y a eu adoucissement dans la mentalité repressive. On ne pend plus pour braconnage. On ne fait plus bouillir pour faux-monnayage, On ne lapide plus pour adultère, le meurtre même est susceptible de circonstances très atténuantes. Si la législation est si sévère vis-à-vis de certains crimes où délits, C’est parce qu’il faut frapper d’épouvante ceux qui seraient tentés d’imiter les transgresseurs ou parce que leur libre pratique mettrait en péril les institutions étatistes, gouvernementales, administratives.

Si des statistiques existaient, elles montreraient que le nombre des victimes des criminels et des transgresseurs est infime par rapport à celles des guerres civiles et politiques. Il n’y a pas de comparaison même entre le chiffre des malheureux tombés sous les coups d’agresseurs nocturnes où diurnes, et ceux des accidents de travail.

Aucune bande de voleurs locaux où internationaux n’arrive, conne accumulation de profits, au montant des ruines dont sont cause les organisations bancaires, par exemple. Par rapport aux crimes, aux déprédations et aux rapines légalisées, celles « illégalisées » sont comme une goutte d’eau dans un océan.

THE TRANSGRESSOR AS A DYNAMIC ELEMENT

Whether evolution is progress, as many believe, or a simple movement in time and space, as I thought, it is a dynamic phenomenon.

Any society crystallized by custom or law is a static phenomenon.

Because it evolves, moves, modifies, transforms, a dynamic influence is necessary, essential.

Societies have only evolved because they have been disturbed by dynamic influences, even when this disturbance was only circumstantial.

Atheism, free thought, divorce, did not harm the privileged people of the predominant class, who subsequently realized that the free practice of these conceptions did not prevent them from exploiting their disinherited peers, nor from teaching them as before. But in relation to the intellectual and moral conceptions of human environments, the propagation of these conceptions has had a dynamic influence. There has been a shift in the human mentality that has tolerated the denial of God, religious teaching, the indissolubility of the matrimonial bond, etc.

Society has reached this state of affairs that it has elevated the money man, the businessman to the pinnacle. He has the right, for his consumption, to all that the human environment can produce that is best and most refined. Custom and law authorize him to commit all possible frauds and tricks to obtain this situation (like the warrior or soldier who is tolerated, but only in war, — civil war or war against foreigners, — that he slaughters or massacres in every way imaginable), provided that he remains within certain limits, that he does not use methods unfavorable to the leaders.

Against this stasis, reacts the thief — who can be a disinherited person, an unlucky person or a rebel — who does not accept the unilateral social contract. The thief who does not differ so much from ordinary mortals, who can be as capable of generosity and devotion as the honest man — that is to say the sheep of Panurge, the one who is always of the opinion of the master of the hour — but who remains like a goad stuck in the side of the social environment, which reminds it that there are human unities whose supposedly inferior social condition does not prevent them from having the same aspirations, the same desires, the same same appetites as its operating captains!

Why, having not been able to have access to the same possibilities of getting by as the privileged, must the rest of men bow to the exploiter? This is the message of the human thief, who does not want to resign himself, although he does not always understand it, to the economic conditions of life in his environment.

The message implied by the gesture of value is therefore dynamic since it disrupts the economic status quo.

I am told that custom or the law protects the small saver or the small owner against the thief. Of course. If it did not do so, small owners or savers would quickly join the thieves to attack the hoarder of cash or signs of production. Unfair customary protection is the bone that big owners give their best watchdogs to gnaw on: small landowners, rentiers or traders, or civil servants.

The marauder, the vagabond, the poacher play the same role with regard to the large landowner or the gamekeeper. He reminds us that while many have ten, a hundred, a thousand times more land than they can make use of on their own, there are some who do not even have a place to rest their heads, a field from which to can earn their livelihood, a land full of game where they can obtain a pleasure that they love as much as those privileged by fate,

The prostitute reminds us that everything is an object of sale and purchase, in an environment where it is money that takes precedence and confers power. She also recalls that the chastity of honest young ladies and the repugnance of honest wives to certain sexual refinements, requires that a class of women sacrifice and sell themselves, to maintain girls and women in the state of respectability desired by the environment in order to accord them social value.

The pornographer reminds the social community of its hypocrisy in sexual matters. It is because it does not want to provide its constituents with complete sexual education that he arouses and satisfies or does not satisfy the curiosity of the ignorant by offering them to satisfy it for good money.

Even the tramp who rapes a shepherdess reminds the social community that there are those who are apparently deprived, who need caresses and love, and that it is not by saying “so much the worse for you” that we solve this or that painful problem.

Moreover, I admit that the social environment has not remained absolutely deaf to appeals. We can say that to the extent that the leaders and the owners have not been threatened in their privileges, there has been a softening in the repressive mentality. We no longer hang for poaching. We no longer boil for counterfeiting. We no longer stone for adultery, and even murder is susceptible to very attenuating circumstances. If the legislation is so severe with regard to certain crimes or offenses, it is because we must strike terror into those who would be tempted to imitate the transgressors or because their free practice would endanger statist, governmental, administrative institutions.

If statistics existed, they would show that the number of victims of criminals and transgressors is tiny compared to those of civil and political wars. There is no comparison even between the number of unfortunate people who fell victim to the blows of nocturnal or daytime attackers, and those of work accidents.

No gang of local or international thieves reaches, as the accumulation of profits, the amount of ruins caused by banking organizations, for example. Compared to legalized crimes, depredations and plunders, those “illegalized” are like a drop of water in an ocean.

LES ANARCHISTES ET LES TRANSGRESSEURS

On me demandera pourquoi nombre d’anarchistes témoignent aux hors-la-loi pareille sympathie où tout au moins indulgence. Je répondrai d’abord que dans une société où le système de répression revêt le caractère d’une vindicte, d’une vengeance qu’exercent les souteneurs de l’ordre social sur et contre ceux qui menacent la situation de ceux qui des salarient — ou poursuit l’abaissement systématique de lu dignité humaine : il est clair que l’enfermé nous inspire plus de sympathie que celui qui le prive de sa liberté ou le maintient en prison.

Je répondrai encore que c’est souvent parmi ces « irréguliers », ces mis au ban des milieux régis par les dominateurs et exploiteurs, qu’on trouve un courage, mépris de l’autorité brutale et de ses représentants d’un système intensif de compression et d’abrutissement, individuel qu’on chercherait en vain parmi les réguliers our ceux qui s’en tiennent aux métiers tolérés par la police.

Je répondrai encore que nous avons la conviction profonde que dans un milieu humain où les occasions d’utiliser les energies individuelles se présenteraient au point de départ de toute évolution personnelle, où elles abonderaient le long de la route de la vie, où les plus irréguliers trouveraient facilité d’expériences multiples et aisance de mouvements. Les caractères et les mentalités dynamiques parviendraient à se développer pleinement, joyeusement, sans que ce soit au détriment de n’importe quel autre être humain.

Comment, en fin de compte, voudrait-on que, placés dans une société où les conditions économiques sont , établies et imposées de telle sorte qu’il est impossible pour l’un quelconque des sociétaires de les discuter ou de s’y soustraire — nous puissions un moment éprouver les sentiments de haine ou d’antipathie qui animent les privilégiés et les profiteurs de ces circonstances vis-à-vis de ceux qui s’insurgent contre elles sans y mettre de formes.

Il est naturel, qu’anarchistes, antiautoritaires, en état de révolution permanente à l’égard de l’imposé et de l’obligé, les transgresseurs nous soient sympathiques.

E. ARMAND.

  • E. Armand, “Le transgresseur est-il un facteur d’évolution?,” L’Insurgé 2 no. 61 (July 10, 1926): 2.
ANARCHISTS AND TRANSGRESSORS

People will ask me why many anarchists show such sympathy or at least indulgence for outlaws. I will first respond that in a society where the system of repression takes on the character of vindictiveness, of vengeance exercised by the supporters of the social order on and against those who threaten the situation of those who work for them — or continues the systematic lowering of human dignity: it is clear that the imprisoned inspires in us more sympathy than the one who deprives him of his liberty or keeps him in prison.

I would also respond that it is often among these “irregulars”, those ostracized from environments governed by dominators and exploiters, that we find courage, contempt for brutal authority and its representatives of an intensive system of compression and brutalization, individuals that one would look for in vain among the regulars or those who stick to professions tolerated by the police.

I will further answer that we have the deep conviction that in a human environment where opportunities to use individual energies would present themselves at the starting point of all personal evolution, where they would abound along the road of life, where the most irregular would find ease of multiple experiences and ease of movement, characters and dynamic mentalities would manage to develop fully, joyfully, without it being to the detriment of any other human being.

How, ultimately, would we expect that, placed in a society where economic conditions are established and imposed in such a way that it is impossible for any of the members to discuss them or escape from them — we can for a moment experience the feelings of hatred or antipathy that animate the privileged and the profiteers of these circumstances towards those who rebel against them without putting any form into it.

It is natural that for anarchists, anti-authoritarians, in a state of permanent revolution with regard to the imposed and the obligated, the transgressors are sympathetic to us.

E. ARMAND.

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Independent scholar, translator and archivist.