Flowers of Solitude… — Chapter IV — Social and Religious Critique

Flowers of Solitude and Points of Reference project page

CHAPITRE IV

Critique Sociale et Religieuse

CHAPTER IV

Social and Religious Critique

LE PROGRÈS

Nous n’ignorons pas la superficialité du progrès. Nous nous rendons compte qu’il a très peu modifié les tempéraments et presque point transformé les aspirations intimes des individus. Et lorsque j’écris « très peu » et « presque point », c’est déjà lui concéder beaucoup. Nous savons ce qu’est le progrès, le « déplacement » dans le temps des conditions de la civilisation. Les découvertes d’ordre scientifique — spécialement au point de vue mécanique — et leurs applications techniques ont transformé les circonstances de l’évolution des agglomérations sociales ; elles ont fait se substituer le fait purement économique aux faits religieux-moral et politique-idéaliste, dont les rôles sont réduits à celui d’un réservoir de termes dont on se sert pour voiler la crudité des expédients ou des nécessités économiques de l’existence des hommes.

Mais nous savons parfaitement bien que l’Ouvriérisme moderne n’est pas plus apte à faire du travailleur contemporain un Individu —un être original, pensant et vivant pour lui-même — que l’ont été l’esclavage et le servage. Les guerres démontrent combien « l’unité sociale économique » est soumise aux caprices et à la volonté des haut placés parmi les troupeaux humains.

Et pourtant, ceci reconnu, nul de nous ne voudrait demeurer insensible aux applications techniques de l’acquis scientifico-mécanique le plus récent, ne serait-ce que pour ne pas se trouver en état d’infériorité par rapport aux autres composants du milieu social. Cette concession faite, il demeure bien compris que notre acquis scientifique — si on peut le considérer comme un outil « perfectionné », comparé à la massue de l’homme primitif — n’influencera notre état d’être psychologique que dans la mesure où le voudront, le détermineront notre raison et nos réflexions, non point par lui-même.

Progress

We are not unaware of the superficiality of progress. We realize that it has changed the temperaments very little and hardly transformed the intimate aspirations of individuals at all. And when I write “very little” and “hardly at all,” that’s already conceding a great deal. We know what progress is, the “displacement” in time of the conditions of civilization. Scientific discoveries — especially from the mechanical point of view — and their technical applications have transformed the circumstances of the evolution of social agglomerations; they have replaced the purely economic fact with religious-moral and political-idealistic facts, whose roles are reduced to that of a reservoir of terms used to veil the crudeness of the expedients or the economic necessities of human existence.

But we know perfectly well that modern Workerism is no more apt to make the contemporary worker an individual — an original being, thinking and living for itself — than slavery and serfdom were. Wars demonstrate how much “economic social unity” is subject to the whims and wills of those in high places among the human herds.

And yet, having recognized this, none of us would want to remain insensitive to the technical applications of the most recent scientific-mechanical achievements, if only so as not to find ourselves in a state of inferiority in relation to the other components of the social environment. This concession made, it remains well understood that our scientific knowledge — if it can be considered as a “perfected” tool, compared to the club of primitive man — will only influence our psychological state of being only insofar as our reason and our reflections desire and determine it, not by itself.

L’ENNEMI DU PEUPLE

Quel que soit le milieu ou l’agglomération — usine, caserne, prison, chantier, maison d’éducation, association quelconque — la foule ne supporte, n’admet pas l’homme qui se situe à part, en dehors d’elle et surtout quand c’est pour réfléchir, pour méditer, pour se replier sur lui-même. Elle met à l’index l’original qui ne bavarde pas, qui ne se mêle pas, comme les autres, aux mille petites intrigues qui occupent les loisirs des civilisés. Celui qui fuit le bruit et les papotages de son entourage a beau ne pas porter préjudice à autrui ; il est non seulement mal vu, considéré comme faux ou sournois, mais encore il sent se développer autour de lui tout un tissu d’animosités et de gestes hostiles. On lui en veut, on ne lui pardonne point d’être un solitaire, de se « singulariser ». Petit ou grand, le peuple le considère comme son ennemi. Et cette inimitié qu’il suscite est due tout simplement au fait que son environnement sent très bien qu’il lui échappe, qu’il se soustrait à son influence, à son pouvoir. La foule — petite ou grande — sent comme un reproche, comme un blâme dans cette existence qui évolue en toute autonomie, éloignée du brouhaha, des mesquineries qui l’agitent. La foule accueille volontiers un chef, un dompteur, un dictateur-démagogue, homme à poigne, homme de décision. S’il réussit à s’implanter, à se hisser sur le pavois, elle bat des mains ; elle le suit, docile : mais elle ne ressent que haine ou n’entend que raillerie à l’égard de l’individu qui, lui, ne veut cependant exercer aucune sorte de domination sur elle… Le plus curieux est que ce même sentiment sature bon nombre de groupements prétendus avancés ou qui se disent d’avant-garde, et qui font grise mine à quiconque des leurs s’écarte de la mentalité moyenne où courante chez les composants de leur milieu.

The Enemy of the People

Whatever the environment or the conglomeration — factory, barracks, prison, construction site, educational center, any association — the crowd does not tolerate, does not accept the man who stands apart, outside of it, especially when it is to reflect, to meditate, to withdraw into himself. It blacklists the original who does not chatter, who does not involve himself, like the others, in the thousand little intrigues that occupy the leisure of civilized people. The one who flees the noise and the gossip of his relations may well do no harm to others; he is not only frowned upon, considered false or devious, but he also feels a whole web of animosities and hostile gestures developing around him. We are angry with him, we do not forgive him for being a loner, for “singling out.” Big or small, the people regard him as their enemy. And this enmity that he arouses is due quite simply to the fact that those around him feel very clearly that he is escaping them, that he is withdrawing from their influence, from their power. The crowd — big or small — feels something like reproach, like blame in this existence that evolves in complete autonomy, far from the hubbub and the pettiness that agitates it. The crowd gladly welcomes a boss, a tamer, a dictator-demagogue, a strong man, a decisive leader. If he succeeds in establishing himself, in hoisting himself onto a pedestal, it claps its hands. It follows him, docile: but it feels only hatred or hears only mockery when faced with an individual who does not want to exercise any kind of domination over it… The most curious thing is that this same sentiment pervades a good number of supposedly advanced groups, groups that call themselves avant-garde and pull a long face at anyone who deviates from the average mentality common among those who make up their milieu.

LA PEINE DU TALION

La société, par ses dirigeants, a-t-elle assez persécuté et tourmenté ceux qui se sont donnés, dépensés, livrés — pensée, nerfs et muscles — pour essayer de libérer, d’émanciper, d’éclairer quelque peu, au moins, quelques-uns de ses constituants ! Que de larmes elle a fait répandre, que d’existences elle a brisées ! Il arrive qu’elle récolte ce qu’elle a semé et qu’elle baigne à son tour dans le sang et les pleurs. La rétribution est juste.

The Punishment of the Talion

Has society, through its leaders, persecuted and tormented enough those who gave, spent, delivered themselves — thought, nerves and muscles — to try to liberate, emancipate, enlighten somewhat, at least, some of its constituents! How many tears has it caused to be shed, how many lives has it shattered! It happens that it reaps what she it sown and that it in turn bathes in blood and tears. The retribution is fair.

LES ÉTAPES

Au moment où croulait l’ordre de choses païen, usé, ayant probablement donné tout ce qu’il pouvait donner en tant que « conception sociale » le christianisme apparut et les esclaves triomphèrent, De même, en ce moment-ci, alors que l’ordre de choses capitaliste s’effondre sous la poussée d’une guerre qui ne pouvait être autre que ce qu’elle est, de même le socialisme apparait comme le port de refuge suprême. Et les prolétaires triomphent (!?) Mais de même que pour asseoir sa domination, le christianisme dut manduquer et assimiler une grande partie du paganisme — de même, pour s’établir, le socialisme fera sien une grande partie des oripeaux capitalistes (1).

Je viens de dire que le paganisme était usé en tant que « conception sociale » — je n’ai point dit en tant qu’attitude et activité individuelle. Ce fut justement parce que des individualités, ici et là, continuèrent à adopter une attitude païenne à l’égard de la vie que le christianisme ne put se maintenir omnipotent. Adopter une attitude païenne à l’égard de la vie, c’était non point adorer des idoles de marbre ou de bois, mais se pénétrer du sens des symboles qu’elles représentaient. Or, le paganisme c’est l’exaltation, la divinisation de la vie : intellectuelle et passionnée, profonde et superficielle, fond et forme, esprit et chair.

Le christianisme ne magnifiant qu’un des deux aspects de la vie devait forcément se trouver, un jour ou l’autre, en état d’infériorité.

Le socialisme succombera de même parce que n’envisageant de la vie sociale que l’aspect production-consommation. Et cet aspect particulier, encore ne le considère-t-il que sous un angle particulier : le producteur-consommateur, rouage de la machine collective, automate dont tous les mouvements économiques sont réglés par un organisme central. C’est en vain que le socialisme et ses différentes écoles — collectivismes et communismes de toutes nuances — laisseront l’individu libre de se conduire comme il le croira bon intellectuellement et moralement. — Et encore il faudra voir dans quelle mesure ? — Il périra parce qu’il aura étouffé la concurrence économique et que dans le domaine économique comme dans les autres domaines, la concurrence est l’âme de l’activité.

Après la victoire du socialisme — si c’est lui qui sort victorieux de l’immense mêlée actuelle des peuples — il faut s’attendre à un Moyen Age économique pire peut-être que le Moyen âge intellectuel qui s’étendit sur l’Europe, lorsqu’eut triomphé le christianisme. Il n’y aura plus d’artisans. Tout se fabriquera, se confectionnera, se machinera, s’usinera, selon des règles établies et préordonnées. La production sera anonyme. Les producteurs reproduiront à l’infini un même modèle de travailleur. Tous les vêtements auront, j’en ai peur, la mème coupe. Toutes les maisons auront le même type. Et, comme cela a déjà lieu dans les pays de grosse concentration capitaliste, la mentalité générale sera caractérisée par son manque d’originalité individuelle et
l’impossibilité de se passer de réglementation économique collective.

(1) Ecrit quand battait son plein la guerre mondiale de 1914-1918. Dans le vocable socialisme, j’englobe bien entendu le communisme (E. A).

The Stages

At the moment when the pagan, worn-out order of things was collapsing, having probably given all it could give as a “social conception,” Christianity appeared and the slaves triumphed. Likewise, at this moment, while the capitalist order of things collapses under the pressure of a war that could not be other than what it is, just so socialism appears as the supreme port of refuge. And the proletarians triumph (!?) But just as, in order to establish its domination, Christianity had to destroy and assimilate a large part of paganism — in the same way, to establish itself, socialism will make a large part of the capitalist trappings its own. (1)

I have just said that paganism was used up as a “social conception.” — I did not say as an individual attitude and activity. It was precisely because individuals, here and there, continued to adopt a pagan attitude towards life that Christianity could not remain omnipotent. To adopt a pagan attitude towards life was not to worship idols of marble or wood, but to imbue oneself with the meaning of the symbols they represented. Now, paganism is the exaltation, the divinization of life: intellectual and passionate, deep and superficial, substance and form, spirit and flesh.

Christianity, only magnifying one of the two aspects of life, was bound to find itself, one day or another, in a state of inferiority.

Socialism will likewise succumb because it only considers the production-consumption aspect of social life. And it only considers this particular aspect from a particular angle: the producer-consumer, cog in the collective machine, an automaton whose every economic movement is regulated by a central organization. It is in vain that socialism and its different schools — collectivism and communism of all shades — will leave the individual free to behave as he believes to be intellectually and morally good. — And we will still have to see to what extent? — It will perish because it will have stifled economic competition and because in the economic field as in other fields, competition is the soul of activity.

After the victory of socialism — if it is it which emerges victorious from the current immense melee of peoples — we must expect an economic Middle Age worse perhaps than the intellectual Middle Age that spread over Europe when Christianity triumphed. There will be no more craftsmen. Everything will be manufactured, crafted, machined, factory-built, according to established and pre-ordained rules. The production will be anonymous. Producers will endlessly reproduce the same model of worker. All the clothes will, I’m afraid, have the same cut. All houses will have the same type. And, as is already happening in countries with large capitalist concentrations, the general mentality will be characterized by its lack of individual originality and the impossibility of doing without collective economic regulation.

(1) Written when the World War of 1914-1918 was in full swing. In the term socialism, I of course include communism (E. A).

L’HOMME SEUL

Ce n’est pas physiquement, bien entendu, que l’homme seul est le plus fort. L’homme seul est incapable de résister au corps social, on le sait bien. C’est lorsqu’il passe à l’offensive que sa force se révèle. Lorsqu’il a réussi à décocher une flèche qui traverse la peau et pénètre la chair de l’ensemble social, c’est alors qu’éclate son triomphe. Neuf fois sur dix, la plaie est inguérissable et c’est en vain que le blessé essaie d’en arracher le dard — y réussirait-il que ce serait au risque de sa vie. — Vous demandez pourquoi il y a des mœurs plus libres, pourquoi on manifeste des opinions un peu plus subversives que jadis, pourquoi les Gouvernements tolèrent qu’on s’exprime avec une franchise plus ou moins déguisée sur toutes sortes de sujets dont ils n’auraient jadis jamais toléré la discussion — eh bien, c’est parce qu’au cours de ce qu’on dénomme « l’évolution humaine », il ya en des individus dont la critique ou la pratique ont blessé si profondément le corps social qu’il n’a pu guérir qu’en s’adaptant aux conditions nouvelles que la blessure finissait par créer en son organisme.

The Man Alone

It is not physically, of course, that the man alone is the strongest. The man alone is incapable of resisting the social body; we know that well. It is when he goes on the offensive that his strength is revealed. When he succeeds in shooting an arrow that passes through the skin and penetrates the flesh of the social whole, his triumph begins. Nine times out of ten, the wound is incurable and it is in vain that the injured person tries to pull out the stinger. — If he succeeds it would be at the risk of his life. — You ask why there are freer morals, why we express opinions that are a little more subversive than in the past, why governments tolerate people expressing themselves with more or less disguised frankness on all kinds of subjects that about which they would never have tolerated discussion in the past — well, it is because in the course of what we call “human evolution,” there are individuals whose criticism or practice have hurt the social body so deeply that it was only able to heal by adapting to the new conditions that the injury ended up creating in his body.

CRÉATEUR ÉGALE DESTRUCTEUR

A quoi reconnaissez-vous le créateur ? A ce qu’il commence par détruire. Et détruire, c’est tout autre chose que remplacer. Celui qui remplace ne transforme pas, ne renouvelle pas, n’invente pas. En fait, il n’apporte, il ne produit aucune valeur originale. C’est un modificateur de situations personnelles ou collectives, non un créateur. Mettre les savants à la place des ignorants, les littérateurs à la place des guerriers, les prolétaires à la place des capitalistes, ce n’est pas produire une « société nouvelle », c’est continuer, avec une autre enseigne, la même entreprise. C’est faire la même chose que remplacer le respect du prêtre par celui du législateur, le respect de Dieu par celui de la Loi. Le créateur, c’est celui qui détruit ce qui existe, qui l’annihile sans esprit de retour, en produisant un état de choses ou d’être, sans aucune analogie avec ce qui avait lieu autrefois. Ainsi, cette société-ci fonctionne au moyen de divers rouages dénommés Etat, Gouvernement, Justice, Armée, Police, etc. Une société « nouvelle » ne le sera réellement que si ces rouages en ont disparu. Que l’action de gouverner soit exercée par une classe au lieu de l’être par une autre, que les lois soient édictées par telle élite législative au lieu de l’être par un corps élu — rien n’est changé à l’essence du fonctionnement du milieu humain.

Creator Equals Destroyer

How do you recognize the creator? Because he begins by destroying. And destroying is something entirely different from replacing. He who replaces does not transform, does not renew, does not invent. In fact, he does not bring, he does not produce any original value. He is a modifier of personal or collective situations, not a creator. Putting scholars in the place of the ignorant, literati in the place of warriors, proletarians in the place of capitalists, is not producing a “new society;” it is continuing, with another brand, the same enterprise. It is doing the same thing as replacing respect for the priest with that of the legislator, respect for God with respect for the Law. The creator is the one who destroys what exists, who annihilates it without return, by producing a state of things or being, without any analogy to what took place in the past. Thus, this society functions by means of various cogs called State, Government, Justice, Army, Police, etc. A “new” society will only truly be so if these cogs have disappeared. Let the action of governing be exercised by one class instead of being by another, Let the laws be enacted by some legislative elite instead of being enacted by an elected body — nothing is changed in essence in the functioning of the human environment.

LA RELIGION INDIVIDUELLE

Puisque nous ne pensons pas qu’une civilisation soit possible sans une religion — même laïque — politique où économique, faut-il alors jeter le manche après la cognée et reconnaître que, sans religion, toute civilisation est impossible ? Non pas. « Toute civilisation basée sur le social, sur le peuple » faut-il ajouter.

Une civilisation basée sur l’individuel, c’est-à-dire sur l’affirmation constante et persistante de l’unité humaine — créatrice, productrice, consommatrice — et sur la résistance incessante à tous les envahissements, à tous les empiètements du grégaire sur le personnel ; une civilisation conçue sans le peuple, pour ainsi dire, cette civilisation n’a pas besoin de religion. On me dira que lu religion peut être individuelle, mais ces deux mots jurent d’être accouplés. L’étymologie du mot « religion » est « religare »: relier, unir. Religion et individuel, ces deux termes accouplés, sont un paradoxe.

Individual Religion

Since we do not think that a civilization is possible without a religion — even secular — political or economic, must we then throw the handle after the ax and recognize that, without religion, all civilization is impossible? Not at all. “All civilization based on the social, on the people” we must add.

A civilization based on the individual, that is to say on the constant and persistent affirmation of human unity — creative, productive, consuming — and on incessant resistance to all invasions, to all encroachments of the gregarious on persons; a civilization conceived without the people, so to speak, this civilization does not need religion. People will tell me that religion can be individual, but these two words curse at being coupled. The etymology of the word “religion” is “religare:” to connect, to unite. Religion and the individual, these two terms coupled, are a paradox.

AU COMMENCEMENT

Je sais bien qu’on peut opposer à la question : « Qui a créé Dieu ? » cette autre question : « Comment la nature at-elle pris naissance ? » Même créerait-on de la vie dans les laboratoires que le problème serait déplacé, rien de plus ni de moins. Toutes les combinaisons chimiques, concevables, toutes les conceptions spiritualistes imaginables aboutissent à une combinaison première à une conception originelle, postulant un antécédent. Découvrirait-on cet antécédent qu’en même temps que sa découverte Se poserait le problème de l’antécédent qui l’a précédé ! Toute cause postue une cause antérieure. « Au commencement nulle Cause n’existait. Au commencement était Dieu, la Vie, l’Infini, Ce qui est, Ce qui n’a ni commencement ni fin…» définitions aussi vagues, pompeuses, qu’incompréhensibles à mon pauvre esprit fini, hélas ! O laissez-moi me retirer, non plus cette fois dans ma tour d’ivoire, mais dans un agnosticisme prudent, seule attitude compréhensible du Sage devant l’ignoré ou l’inconnaissable.

L’agnosticisme, au moins, a cela de bon qu’il n’a jamais empêché amant de la vie de vivre l’heure présente dans toute son intensité.

At the Beginning

I know well that one can oppose to the question: “Who created God?” this other question: “How did nature come into existence?” Even if we created life in laboratories, the problem would be displaced, nothing more and nothing less. All conceivable chemical combinations, all imaginable spiritualist conceptions result in a primary combination with an original conception, postulating an antecedent. If we discovered this antecedent, at the same time as its discovery, the problem of the antecedent that preceded it would arise! Every cause posits a prior cause. “In the beginning no Cause existed. In the beginning was God, Life, the Infinite, That which is, That which has neither beginning nor end…” definitions as vague, as pompous, as incomprehensible to my poor finite mind, alas! O let me withdraw, no longer this time into my ivory tower, but into a cautious agnosticism, the only understandable attitude of the Sage in the face of the unknown or the unknowable.

Agnosticism, at least, has in its favor that it has never prevented the lover of life from experiencing the present hour in all its intensity.

CHRISTIANISME ET NON-RÉSISTANCE

On prétend que le principe de la non-résistance a triomphé au moment où le christianisme a été reconnu comme religion d’Etat. C’est inexact. Le jour où le christianisme a remplacé le paganisme comme religion officielle, il es devenu un instrument de gouvernement, c’est-à-dire d’oppression, comme les hérétiques n’ont pas tardé à s’en apercevoir. Ce qui s’est produit alors, c’est l’absorption du christianisme par l’Etat, qui avait intérêt manifeste, en présence du succès et de l’extension de la religion nouvelle, à lui enlever tout caractère d’opposition, de péril pour les institutions établies. Mais jamais le triomphe du christianisme, sous Constantin par exemple, n’a impliqué le triomphe du principe de la « non-résistance au mal par la violence ». Tout au contraire.

Christianity and Non-Resistance

It is claimed that the principle of non-resistance triumphed when Christianity was recognized as the state religion. This is incorrect. The day Christianity replaced paganism as the official religion, it became an instrument of government, that is to say, of oppression, as the heretics were quick to realize. What happened then was the absorption of Christianity by the State, which had a clear interest, in the face of the success and the extension of the new religion, in removing from it any character of opposition, of danger to established institutions. But the triumph of Christianity, under Constantine for example, has never implied the triumph of the principle of “non-resistance to evil through violence.” Quite the contrary.

DÉTERMINISME, DIRIGEANTS ET RESPONSABILITÉ

Puisque nous sommes détermines par le milieu, par l’ambiance — physiologique, psychologique, météorologique, sociale ou autres — pourquoi rendre un individu responsable de ses actes ? Pourquoi ne pas rejeter la responsabilité sur l’environnement ? J’avoue que le problème est complexe, d’autant plus qu’il est tous aussi possible pour un individu d’outrer la tendance d’un milieu donné que d’y résister. Mais jamais vous ne parviendrez à rejeter sur un milieu tout entier la responsabilité d’actes commis par des êtres qui interprètent avec une rigueur excessive la volonté, ou préviennent les désirs, des dirigeants dudit milieu. Car vous savez, instinctivement, qu’il est possible aux hommes investis de fonctions d’autorité d’être plus ou moins sévères ou cruels dans l’exécution des mandats qui leur sont confiés, d’orienter les majorités dans une direction plus ou moins oppressive.

Il est impossible, en fait, de ne pas faire retomber la responsabilité sur les conducteurs qui abusent de leur pouvoir pour faire régner l’arbitraire ou la coercition, peu importe qu’ils soient les porte-parole ou les représentants du troupeau social qu’ils mènent ou qui les à choisis. On se sent instinctivement guidé par l’espoir d’un relâchement et on en revient à cette idée très simple : que la disparition du chien enragé qui barrait le chemin rend celui-ci praticable.

Determinism, Directors and Responsibility

Since we are determined by the environment, by the atmosphere — physiological, psychological, meteorological, social or otherwaise — why make an individual responsible for his actions? Why not blame the environment? I admit that the problem is complex, especially since it is just as possible for an individual to go against the tendency of a given environment as it is to resist it. But you will never be able to place on an entire environment the responsibility for acts committed by beings who interpret with excessive rigor the will, or prevent the desires, of the leaders of said environment. Because you know, instinctively, that it is possible for men invested with positions of authority to be more or less severe or cruel in the execution of the mandates entrusted to them, to direct the majorities in a more or less oppressive direction.

It is impossible, in fact, not to place the responsibility on the leaders who abuse their power to impose arbitrariness or coercion, regardless of whether they are the spokespersons or representatives of the social herd that they they lead or who chose them. We feel instinctively guided by the hope of ra elaxation and we come back to this very simple idea: that the disappearance of the rabid dog that blocked the path makes it passable.

IRRÉEL ET RÉEL

Si insensées, si chimériques, si délirantes, si invraisemblables que paraissent les créations de notre imagination, il n’en est pas une qui n’ait à sa source un fait ou un événement réel. L’irréel n’est qu’une déformation du réel.

Unreal and Real

As insane, as chimerical, as delirious, as improbable as the creations of our imagination may appear, there is not one that does not have its source in a real fact or event. The unreal is only a distortion of the real.

ANTI-RÉVOLUTIONNAIRE ?

Hostile à la révolution. Pourquoi donc ? Je suis curieux et je n’ai aucun intérêt, mais aucun, à la persistance du vieux monde. Je ne demande pas mieux que de le voir s’en aller en pièces, crever enfin. Mais je veux une révolution qui soit autre chose qu’une oscillation du pendule humain vers la gauche ou la droite politique ou sociale, une oscillation qui diminuera d’ampleur pour en revenir au point mort. Je m’insoucie d’une révolution faite par les bêtes du troupeau social et qui ne réussira (?) qu’à condition qu’elles soient parquées, marquées, menées, enrégimentées. Le lendemain de la révolution les retrouvera bêtes de troupeau comme la veille. Le beau résultat !

Anti-Revolutionary?

Hostile to the revolution. Why is that? I am curious and have no interest, none at all, in the persistence of the old world. I ask nothing better than to see it go to pieces and finally die. But I want a revolution that is something other than an oscillation of the human pendulum to the the political or social left or right, an oscillation that will diminish in scope and come back to a standstill. I don’t care about a revolution made by the animals of the social herd, which will only succeed (?) if they are penned, branded, guided, regimented. The day after the revolution will find those herds just as they were on the day before. A fine result!

TRAVAIL LIBRE OU TRAVAIL FORCÉ

La civilisation du passé, celle de l’avenir se relativent à la façon dont s’est accompli ou s’accomplira le travail — ou il sera libre ou il sera forcé. A travail libre correspond une mentalité de créateurs, d’artistes, de chercheurs, de novateurs, d’expérimentateurs, de différenciateurs, de non-conformistes, de libre-échangistes. A travail forcé correspond une mentalité de manœnvres, de traditionnalistes, de misonéistes, d’uniformistes ,de conformistes, de protectionnistes. A travail libre : génie, talent et originalité. A travail forcé : savoir-faire, habileté et routine.

Free Labor or Forced Labor

The civilization of the past, that of the future, relates to the way in which labor has been accomplished or will be accomplished — either it will be free or it will be forced. Free labor corresponds to a mentality of creators, artists, researchers, innovators, experimenters, differentiators, non-conformists, free traders. Forced labor corresponds to a mentality of laborers, traditionalists, misoneists, uniformists, conformists, protectionists. Free labor: genius, talent and originality. Forced labor: know-how, skill and routine.

LE TALENT, LE GÉNIE DANS LA SOCIÉTÉ MODERNE

Dans nos piteuses sociétés, on place le génie créateur, le talent original d’un homme bien au-dessous de son conformisme social. Peu importe que vous soyez un poète remarquable, un grand artiste, un littérateur sortant de l’ordinaire, un philosophe aux conceptions hardies et neuves, un critique mordant, érudit et profond, un anticipateur à la vision plus haute et au verbe plus franc que ceux qui l’entourent — peu importent votre valeur et votre effort. Toute la question est de savoir si vous vivez de façon conforme à la moralité édictée ou inspirée par les dirigeants et ceux qui leur emboîtent le pas. Dans l’affirmative, on vous reconnaîtra du génie, du talent, fussiez-vous même un peu charlatan. Dans a négative — c’est-à-dire si vous ne pouvez justifier de moyens d’existence très légaux ou que, pour obtenir votre pain, vous ayez recours à des expédients — dans la négative, on vous refusera un cerveau créateur, on vous niera tout esprit d’originalité. Vous aurez beau avoir une valeur dix fois supérieure aux célébrités estampillées officiellement, vous ne vaudrez rien si votre « moralité » est de mauvais aloi.

Talent, Genius in Modern Society

In our pitiful societies, we place the creative genius, the original talent of a man well below his social conformity. It doesn’t matter whether you are a remarkable poet, a great artist, an unusual writer, a philosopher with bold and new ideas, a biting, erudite and profound critic, an anticipator with a higher vision and more frank words than those around him — your value and your effort matter little. The whole question is whether you live in accordance with the morality decreed or inspired by the leaders and those who follow in their footsteps. If so, you will be recognized as having genius and talent, even if you are a bit of a charlatan. If not — that is to say if you cannot justify very legal means of existence or if, to obtain your bread, you resort to expedients — in that negative case, you will be refused a creative brain, you will be denied any spirit of originality. You may be worth ten times more than the officially recognized celebrities, but you will be worth nothing if your “morality” is of poor quality.

LA CLIENTÈLE

On ne se demande pas si une production trouvera des débouchés ou s’écoulera en raison de son originalité, de son bon conditionnement, de son utilité. On se demande tout simplement si elle « prendra », toute abstraction étant faite de sa valeur intrinsèque ou de la peine qu’elle a coûté. La clientèle, le goût du public.… Voilà ce qu’il s’agit de gagner, de concilier, d’attirer, de s’attirer. Et réussir constitue la science du vendeur : fabricant, commerçant, marchand, éditeur, maître de pension. Aussi, dans tous les domaines, les bourreurs de crânes ont-ils le dessus.

Clientele

We do not wonder whether a production will find outlets or sell because of its originality, its good packaging, its usefulness. We simply wonder if it will “take,” all consideration of its intrinsic value or the trouble it has cost being set aside. The clientele, the taste of the public… This is what it is about: winning, reconciling, attracting, enticing. And succeeding constitutes the science of the seller: manufacturer, trader, merchant, publisher, pension master. Also, in all areas, the brainwashers have the upper hand.

LA DÉCADENCE DES SOCIÉTÉS

J’entends dire que les sociétés antiques sont tombées en décadence parce qu’elles étaient basées sur l’esclavage. C’est une erreur. Ces sociétés ont simplement péri parce qu’elles étaient parvenues au terme de leur existence. Le prolétariat est la forme contemporaine de l’état social appelé « servage » au moyen âge et « esclavage » dans l’antiquité et dépend des conditions économiques du milieu humain actuel. De même que les civilisations féodalo-chrétiennes et hispano-islamiques du moyen âge ont succombé, les civilisations basées sur l’industrialisme, la puissance de l’argent, l’exploitation du travail du producteur au profit du détenteur de capitaux espèces ou outils — ces civilisations s’éteindront dès qu’elles auront épuisé leurs capacités de résistance contre les influences qui les minent, les réactions qui les attaquent, et n’attendent que leur ruine pour donner naissance à de nouvelles formes de civilisation… Les civilisations naissent, croissent, ent, déclinent, périssent selon un rythme dont la mesure dépend de l’amplitude de leur déterminisme social.

LA NOTION INDIVIDUALISTE DE LA CONCURRENCE

Une fois pour toutes, pas de concurrence possible sans équité au point de départ, quelles que soient l’entreprise, la tentative ou l’expérience dont il s’agisse. On ne saurait parler de concurrence possible entre le cultivateur qui possède dé primitifs outils de culture et le fermier propriétaire d’instruments aratoires perfectionnés. Celui-ci est toujours un privilégié par rapport à celui-là. Et il en est de même dans tous les domaines, dans toutes les directions. Telle est la notion individualiste de la concurrence.

The Decadence of Societies

I hear that ancient societies fell into decadence because they were based on slavery. This is an error. These societies simply perished because they had reached the end of their existence. The proletariat is the contemporary form of the social state called “serfdom” in the Middle Ages and “slavery” in antiquity and depends on the economic conditions of the current human environment. Just as the feudal-Christian and Hispano-Islamic civilizations of the Middle Ages succumbed, civilizations based on industrialism, the power of money, the exploitation of the labor of the producer for the benefit of the holder of capital, cash or tools — these civilizations will die out as soon as they have exhausted their capacities of resistance against the influences that undermine them, the reactions that attack them, and they are only waiting for their ruin to give birth to new forms of civilization… Civilizations are born, grow, decline and perish according to a rhythm whose measure depends on the amplitude of their social determinism.

The Individualist Notion of Competition

Once and for all, no competition is possible without fairness at the point of departure, whatever the enterprise, the attempt or the experiment it is a question of pursuing. We cannot speak of possible competition between the farmer who owns primitive cultivation tools and the farmer who owns sophisticated agricultural implements. The latter is always favored over the former. And it is the same in all areas, in all directions. This is the individualist notion of competition.

MISÈRES DE LA LOGIQUE

Je lis que la caractéristique du dégénéré c’est qu’il passe sans transition du désir à l’acte. Adieu, spontanéité charmante et primesauterie alerte : vous êtes l’apanage des dégénérés. Et toi, poète qui saisissais ton stylet et tes tablettes dès que l’impulsion te poussait ; et vous, délicieux amants, à qui une seule rencontre suffisait pour vous jeter franchement dans les bras l’un de l’autre, vous n’êtes que de vils dégénérés. Mais salut à vous, à imaginateurs de mortiers de 420, de projecteurs, de gaz asphyxiants ou de torpilles pour sous-marins ; des années et des années, vous avez pâli sur des formules pour mettre au point vos inventions ; à force de recherches patientes, vous avez réussi ; vous voici dans toute votre gloire, juchés sur un himalaya de cadavres el de mutilés. Vous êtes de ceux qui n’avez pas passé sans transition du désir à l’acte… O misères de la logique !

Miseries of Logic

I read that the characteristic of the degenerate is that he passes without transition from desire to action. Farewell, charming spontaneity and alert presumption: you are the prerogative of degenerates. And you, poet who grabbed your stylus and your tablets as soon as the impulse pushed you; and you, delicious lovers, for whom a single meeting was enough to throw yourselves frankly into each other’s arms, you are only vile degenerates. But hello to you, to those who imagine 420 cm howitzers, searchlights, asphyxiating gases or torpedoes for submarines; for years and years, you have floundered over formulas to develop your inventions; through patient research, you have succeeded; here you are in all your glory, perched on a Himalayas of corpses and mutilated people. You are one of those who have not passed without a transition from desire to action… O miseries of logic!

SUR LES PROJETS DE RÉNOVATION

On reproche aux « doctrines », aux « revendications », aux « aspirations » plus ou moins saturées d’Individualisme ou qui s’en réclament de conserver une apparence vague, floue. Du moment qu’un projet de rénovation ou de transformation humaine renonce, pour s’établir, à l’emploi de la violence, de la coercition, il est nécessairement un peu flottant. En ne comptant pour passer dans la pratique que sur une modification de la mentalité du milieu, il se dépouille de tout caractère de fixité, de rigidité. Qu? peut dire si, au moment où les mentalités seront transformées à un point tel qu’elles permettront à un projet de ce genre de s’appliquer, ce projet lui-même ne péchera pas par son insuffisance et n’apparaîtra pas comme rétrograde aux esprits précurseurs ?

On Projects of Renovation

The “doctrines,” the “claims,” the “aspirations” more or less saturated with Individualism or which claim to maintain a vague, fuzzy appearance are criticized. From the moment that a project of renovation or human transformation renounces, to establish itself, the use of violence and coercion, it is necessarily a bit uncertain. By relying only on a modification of the mentality of the environment to pass into practice, it strips itself of any character of fixity, of rigidity. What? Can we say whether, at the moment when mentalities will be transformed to such an extent that they will allow a project of this kind to be applied, this project itself will not sin by its insufficiency and will not appear retrograde to precursor minds?

L’ÉTAT MODERNE

Depuis que l’Industrie et les Finances jouent le premier rôle dans l’Etat, le but de celui-ci est devenu d’accaparer les matières premières de grande nécessité, telles que le coton, le fer, le pétrole, la houille, etc. La pensée maitresse de tout gouvernement, c’est, dans ce domaine, d’évincer la concurrence et de contraindre les autres agglomérations humaines à être tributaires des fabrications, des manufactures sises sur le territoire dont il oriente les destinées ; quand la possession de ces matières premières lui fait défaut, l’effort gouvernemental vise alors à mettre les concurrents en état d’infériorité en cas de conflit impliquant recours aux armes. De quelque façon qu’on l’envisage, cet effort de chacun des Etats tend à acquérir une situation privilégiée… Supposez un instant que l’effort des dirigeants ait tendu vers la recherche de procédés permettant de remplacer par un équivalent tel tissu, tel métal, tel combustible, rendant par suite possible de se passer du produit que veut jalousement garder pour lui tel territoire qui le possède au dedans de ses limites… le risque de la guerre s’éloigne immédiatement… Mais le risque de la guerre ne rentre-t-il pas dans les moyens de gouvernement des Etats d’aujourd’hui ?

The Modern State

Since Industry and Finance play the leading role in the State, the aim of the latter has become to monopolize the raw materials of great necessity, such as cotton, iron, oil, coal, etc. The master thought of any government is, in this area, to oust competition and force other human agglomerations to be dependent on manufacturing, factories located in the territory whose destiny it directs; when it lacks possession of these raw materials, the government effort then aims to put competitors in a state of inferiority in the event of a conflict involving the use of arms. Whichever way we look at it, this effort of each of the States tends to acquire a privileged situation… Suppose for a moment that the effort of the leaders had tended towards the search for processes making it possible to replace with an equivalent some fabric, some metal, some fuel, thus making it possible to do without the product, which a particular territory that possesses it within its limits jealously wants to keep for itself… the risk of war immediately disappears… But does the risk of war not return in the means of government of today’s States?

DIEU ET LA GUERRE

Comment être intelligent et ne pas comprendre que la guerre — et spécialement la dernière guerre — a proclamé la faillite de la religion, de toutes les religions ? A moins que l’on ne considère comme le châtiment de nos « péchés » les épouvantables hécatombes qui ont marqué la grande mêlée et les raffinements de barbarie scientifique qui la rendront à jamais célèbre — à moins que l’on ne considère la guerre que comme un appel de Dieu, un appel suprême destiné à rappeler à lui créatures désobéissantes ? Je ne conçois pas comment ceux qui pensent ainsi se rendent pas compte du dégoût dont ils nous remplissent pour leur idole.

Sans doute la guerre — il en est de même de tous les fléaux, de toutes les catastrophes — a amené une recrudescence de superstition. Mais s’imaginer qu’elle puisse conduire un être intelligent à acquérir ou à retrouver la foi en Dieu, c’est sottise pure. Ce que je vais dire est peut-être un lieu commun, mais pour croire en ce dieu-là, il faudrait admettre qu’il existe quelque part — comme directeur moral du système solaire — une entité incarnant la méchanceté dans ce qu’elle a de plus ignoble.

Il n’y a pas même à soulever ici des problèmes de théologie transcendentale, à dire par exemple : comment Dieu qui laisse faire le mal et ne l’empêche pas, peut-il être toute bonté et tout amour ? Comment Dieu peut-il être tout puissant, puisque prévoyant la guerre, il n’a su ou pu l’empêcher ? Non, il suffit d’un moment de réflexion pour se rendre compte que si un tel dieu existait ce serait le dernier des misérables ou le premier des criminels, puisqu’il laisserait s’entr’égorger — tout en pouvant intervenir — des milliers d’êtres dans la fleur de leur jeunesse et des milliers d’êtres qui n’avaient jamais demandé à naître sur la terre — sa création.

God and War

How can you be intelligent and not understand that war — and especially the last war — proclaimed the bankruptcy of religion, of all religions? Unless we consider as the punishment for our “sins” the terrible hecatombs that marked the great melee and the refinements of scientific barbarism that will make it forever famous — unless we consider war only as a call from God, a supreme call intended to call disobedient creatures back to him? I cannot understand how those who think like this do not realize the disgust with which they fill us for their idol.

Undoubtedly the war — it is the same with all plagues, with all catastrophes — has brought a resurgence of superstition. But to imagine that it could lead an intelligent being to acquire or rediscover faith in God is pure stupidity. What I am about to say is perhaps a commonplace, but to believe in this god, one would have to admit that there exists somewhere — as the moral director of the solar system — an entity embodying wickedness in its most vile aspects.

There is no need to raise here any problems of transcendental theology, for example: how can God, who allows evil to happen and does not prevent it, be all goodness and all love? How can God be all-powerful, since foreseeing war, he did not know or could not prevent it? No, it only takes a moment of reflection to realize that if such a god existed he would be the last of the wretched or the first of the criminals, since he would allow to be slaughtered — while being able to intervene — thousands of beings in the flower of their youth and thousands of beings who had never asked to be born on earth — its creation.

DU BIEN ET DU MAL

Pour comprendre l’évolution de la morale grégaire ou sociale, il est indispensable de se souvenir que le bien est synonyme de « permis » et le mal de « défendu » Un tel — raconte la Bible — « fit ce qui est mal aux yeux de l’Eternel », et cette phrase se retrouve stéréotypée en de nombreux passages des livres sacrés des Juifs, qui sont aussi ceux des chrétiens ; il faut traduire : Un tel fit ce qui était défendu par la loi religieuse el morale telle qu’elle était établie pour les intérêts de la théocratie israélite… Dans tous les temps et dans tous les grands troupeaux humains on a toujours appelé « mal » l’ensemble des actes interdits par la convention, écrite ou non, convention variant selon les époques ou les latitudes. C’est ainsi qu’il est mal de s’approprier la propriété de celui qui possède plus qu’il n’en a besoin pour subvenir à ses nécessités — qu’il est mal de tourner en dérision l’idée de Dieu ou ses prêtres — qu’il est mal de nier la patrie, d’entretenir des relations sexuelles avec un consanguin très rapproché. Comme la défense toute seule ne suffit pas, la convention non écrite se cristallise en loi dont la fonction est de réprimer.

Of Good and Evil

To understand the evolution of gregarious or social morality, it is essential to remember that good is synonymous with “permitted” and evil with “forbidden.” Some person — the Bible tells us — “did what was evil in the eyes of the Eternal,” and this phrase is found stereotyped in numerous passages in the sacred books of the Jews, which are also those of the Christians; it must be translated: Someone did what was forbidden by the religious and moral law as it was established for the interests of the Israelite theocracy… In all times and in all the great human flocks we have always called “evil” all acts prohibited by convention, written or not, convention varying according to times or latitudes. Thus it is wrong to appropriate the property of one who has more than he needs to provide for his necessities — it is wrong to deride the idea of God or his priests — it it is wrong to deny the homeland, to maintain sexual relations with a very close blood relative. As prohibition alone is not enough, the unwritten convention crystallizes into law whose function is to repress.

UNE CONCLUSION

M. Le Dantec, savant areligieux et officiellement athée a rendu son âme. non au diable, comme on le pourrait croire, mais à Dieu… C’est du moins la conclusion à tirer de son enterrement à l’église de Montrouge… Je vois d’ici la grimace de Saint-Pierre forcé de recevoir au Paradis l’auteur de « l’Athéisme », du « Conflit », de la « Mécanique de la Vie », de tant de livres où il bataillait, parfois avec entêtement, contre le dogme ecclésiastique et l’inconsistance spiritualiste.. Mais trêve de plaisanteries | Ne trouvez-vous pas que ces conversions posthumes — et je songe à Rémy de Gourmont — jettent un jour pitoyable sur la faiblesse de ces hommes qui après avoir ébranlé, sinon détruit la foi en maints de leurs lecteurs, n’ont même pas la force de caractère d’obtenir des leurs de ne point les faire mentir, à l’heure dernière, à une activité de tant de lustres.

One Conclusion

Mr. Le Dantec, religious scholar and officially atheist, has given up his soul. not to the devil, as one might believe, but to God… This is at least the conclusion to be drawn from his burial in the church of Montrouge… I see from here the grimace of Saint-Pierre forced to receive in Paradise the author of “Atheism,” “Conflict,” “Mechanics of Life,” of so many books in which he fought, sometimes stubbornly, against ecclesiastical dogma and spiritualist inconsistency… But enough jokes! Don’t you find that these posthumous conversions — and I am thinking of Rémy de Gourmont — cast a pitiful light on the weakness of these men who, after having shaken, if not destroyed, the faith in many of their readers, do not even have the strength of character to get those close to them not to make them give the lie, at the last hour, to an activity of so many years.

FAUT-IL UNE RELIGION POUR LE PEUPLE ?

Faut-il une religion pour le peuple ? Voici le grand problème que se sont posé, qu’ont dû sans doute se poser un jour ou l’autre tous les réformateurs, tous les novateurs, tous les initiateurs. Et quand j’écris « une religion », je n’entends pas seulement une croyance en un être surnaturel, en un esprit suprême directeur du Cosmos ou surveillant général de la marche de l’évolution, y imposant finalement sa volonté. Je n’entends pas un culte, un ensemble de rites et de cérémonies mettant en relations la créature et le créateur, l’humain et le divin. Je donne au vocable « religion » une signification plus ample, plus vaste, et je pose ainsi la question: « Faut-il aux collectivités humaines une doctrine d’ensemble, universelle, catholique, qui relie entre eux les membres de l’humanité — une doctrine qui se concrétise, qui s’exprime en une collection de commandements, de règlements, acquise, de « vous faire valoir » selon vos aptitudes et vos aspi-de formules purement laïques ; qui possède une morale, un code de règles de conduite accepté d’un bout du monde à l’autre — une doctrine qui présente ou enseigne un idéal à atteindre le plus tôt possible, ou plus tard, par étapes ? Ou encore un idéal invariable ? Faut-il pour le peuple une religion politique ou économique, dont les prêtres portent le nom de délégués, fonctionnaires, administrateurs ?

On sait que les doctrinaires politiques et socialistes de toutes les écoles ont répondu affirmativement. A mon tour, je répondrai : « Si l’on veut que le peuple demeure un troupeau, si l’on veut qu’il reste maniable et réquisitionnable à merci, qu’il ait pour raison d’être ou pour fin d’accomplir les desseins ou de mettre en pratique les conceptions de ses pontifes politiques et économiques : oui, il faut une religion pour le peuple ». En effet, il n’est pas possible de réaliser une conception politique où économique unique, mondiale ou internationale, si le peuple n’est ni docile, ni souple — disons le mot, s’il est ingouvernable.

Is There Need for a Religion for the People?

Is there a need for a religion for the people? This is the great problem that all reformers, all innovators, all initiators have undoubtedly had to ask themselves one day or another. And when I write “a religion,” I do not only mean a belief in a supernatural being, in a supreme spirit director of the Cosmos or general supervisor of the progress of evolution, ultimately imposing his will there. I do not mean a cult, a set of rites and ceremonies connecting the creature and the creator, the human and the divine. I give the term “religion” a broader, vaster meaning, and I thus pose the question: “Do human communities need an overall, universal, catholic doctrine, which binds together the members of humanity — a doctrine that takes concrete form, that is expressed in a collection of commandments, regulations, acquired, to “exert yourself” according to your aptitudes and your aspirations — purely secular formulas; which has a morality, a code of rules of conduct accepted from one end of the world to the other — a doctrine that presents or teaches an ideal to be achieved as soon as possible, or later, by stages? Or even an invariable ideal? Is there a need for a political or economic religion for the people, whose priests bear the name of delegates, civil servants, administrators?

We know that the political and socialist doctrinaires of all schools responded in the affirmative. In my turn, I will answer: “If we want the people to remain a herd, if we want them to remain manageable and requisitionable at will, whether their reason for being or their aim is to accomplish the designs or to put into practice the conceptions of its political and economic pontiffs: yes, we need a religion for the people.” Indeed, it is not possible to achieve a single, global or international political or economic concept if the people are neither docile nor flexible — let us say the word, if they are ungovernable.

ENCORE LA RELIGION POUR LE PEUPLE

L’essence de toute religion est de pouvoir être conçue, comprise, pratiquée socialement, en masse, universellement. C’est seulement quand l’unité humaine se différencie du peuple par sa pensée, par son initiative, par sa façon de se comporter individuellement, qu’on commence à mettre en doute l’utilité de « la religion pour le peuple ».

Again a Religion for the People

The essence of any religion is that it can be conceived, understood, practiced socially, en masse, universally. It is only when the human unity differentiates itself from the people by its thinking, by its initiative, by its way of behaving individually, that we begin to question the usefulness of “religion for the people.”

SE FAIRE VALOIR

« Humiliez-vous. Soyez humbles. Courbez-vous sous la volonté du Maître des cieux et de la terre ». — Voilà tout le christianisme: Je vous propose, non pas d’être des suffisants, des fats où des prétentieux, mais de travailler à acquérir une notion acquise de « vous faire valoir » selon vos aptitudes et vos aspirations. Dressez-vous de toute votre hauteur. Si vous vous courbez parce que la porte n’est pas assez élevée, faites-le en vous révoltant en votre for intime et redressez-vous une fois l’huis franchi — à moins, si les « ondit » vous laissent froids, que vous ne préfériez passer par la croisée.

Assert Yourself

“Humble yourself. Be humble. Bow to the will of the Master of heaven and earth.” — This is the whole of Christianity: I suggest to you, not to be complacent, stupid or pretentious, but to work to acquire an acquired notion of “valuing yourself” according to your aptitudes and your aspirations. Stand up to your full height. If you bend over because the door is not high enough, do so by revolting within yourself and straighten up once you have passed through the door — unless, if the “hearsay” leaves you cold, you prefer to go through the window.

CEUX QUI PAIENT

L’enfant Jésus échappe à Hérode et le tyran, pour se venger, ordonne qu’on tue tous les enfants de moins de deux ans qui se trouvent à Bethléem et sur son territoire. Qu’importe que es innocents paient pour les coupables !

Ainsi ont agi, avant ou depuis Hérode, tous les hommes d’Etat, tous les politiciens. Ils se vengent sur ceux qui n’y sont pour rien de la peur que leur ont causée ceux dont ils redoutent l’influence.

Those Who Pay

The child Jesus escapes from Herod and the tyrant, in revenge, orders the killing of all children under the age of two who are in Bethlehem and its territory. What does it matter if the innocent pay for the guilty!

Thus have acted, before or since Herod, all statesmen, all politicians. They take revenge on those who have nothing to do with the fear caused to them by those whose influence they dread.

DIEU N’EXISTE PAS

Non ! le monde moral, le monde spirituel, Dieu, n’existent point. Ce sont des idées abstraites, un produit, un résultat de l’activité ou de l’effort cérébral. Cela ne veut pas dire, hélas ! que ces abstractions ne vivent pas à l’état de fantômes intellectuels, qui hantent les profondeurs d’une pensée qui ignore où ne sait pas encore créer d’autres images ou imaginer d’autres représentations pour expliquer ou matérialiser quelques-unes de ses aspirations.

God Does Not Exist

No! The moral world, the spiritual world, God, do not exist. They are abstract ideas, a product, a result of cerebral activity or effort. This does not mean, alas! that these abstractions do not live in the state of intellectual ghosts, which haunt the depths of a thought that does not know or does not yet know how to create other images or imagine other representations to explain or materialize some of its aspirations .

JÉSUS DISAIT

Jésus disait : Votre Père qui est dans les cieux fait lever son soleil sur les bons comme sur les méchants,

Je dis : La nature dispense l’utile comme le nuisible, aux bons comme aux méchants. Mais qui est bon, et qui est méchant ? Quelles choses sont véritablement utiles et quelles choses sont véritablement nuisibles ?

Jesus Said

Jesus said: Your Father who is in heaven makes his sun rise on the good as on the wicked.

I say: Nature dispenses the useful as well as the harmful, to the good as to the wicked. But who is good and who is wicked? What things are really useful and what things are really harmful?

DIEU : UNE INVENTION DES PRÊTRES

Ce qui existe est partout et en tout. Et partout et dans tout, on trouve ce qui existe, sous une forme ou sous un aspect quelconque. Dans ce qu’on dénomme « bien » comme dans ce qu’on qualifie « mal ». Ce qui existe est aussi bien à l’œuvre dans l’acte de l’épervier qui se précipite sur un poussin que dans le geste spontané d’un homme se jetant à l’eau pour sauver un enfant qui se noie, dans l’acte d’un impulsif qui violente une fillette que dans la pensée d’un chercheur découvrant un sérum capable de guérir une maladie contagieuse. Il n’y a pas de problème du mal. Dans ce qui existe, le Bien et le Mal sont inclus. Il y a des actes, des pensées, des mouvements, des gestes qui nous sont utiles, qui nous sont nuisibles, qui sont superflus — soit individuellement, soit grégairement, selon le point de vue auquel on se place. Dieu tout amour, toute bonté, toute perfection, est une création, une invention des prêtres et des moralistes, une représentation idéalisée de la Morale religieuse et légale.

God: An Invention of the Priests

What exists is everywhere and in everything. And everywhere and in everything, we find what exists, in some form or aspect. In what we call “good” as in what we call “evil.” What exists is at work as much in the act of the hawk that rushes at a chick as in the spontaneous gesture of a man throwing himself into the water to save a drowning child, in the act of an impulsive person who rapes a little girl as in the thought of a researcher discovering a serum capable of curing a contagious disease. There is no problem of evil. In what exists, Good and Evil are included. There are acts, thoughts, movements, gestures that are useful to us, that are harmful to us, that are superfluous — either individually or gregariously, depending on the point of view we take. God, all love, all goodness, all perfection, is a creation, an invention of priests and moralists, an idealized representation of religious and legal morality.

ILLÉGALISME BIBLIQUE

Afin de contraindre les Égyptiens à laisser sortir les Israélites de leur contrée, Jéhovah fait mourir les premiers-nés de tous les Egyptiens et les premiers-nés de tout leur bétail, comme si tous ces petits de femmes, de vaches, de chèvres et d’Anesses étaient pour quoi que ce soit dans l’oppression dont avaient à se plaindre les Hébreux. On comprend que les oppresseurs aient ensuite consenti à se laisser dépouiller de leurs bijoux, et joyaux d’or et d’argent, car le peuple élu ne quitte pas l’Egypte les mains vides, sur le conseil de l’Éternel, naturellement. Ah ! compagnons, la belle manifestation de reprise collective !

Biblical Illegalism

In order to compel the Egyptians to let the Israelites leave their land, Jehovah killed the firstborn of all the Egyptians and the firstborn of all their cattle, as if all these little ones of women, cows, goats and donkeys had anything to do with the oppression of which the Hebrews had to complain. We understand that the oppressors then consented to allow themselves to be stripped of their jewels, and jewels of gold and silver, because the chosen people should not leave Egypt empty-handed—on the advice of the Eternel, naturally. Ah! comrades, a beautiful manifestation of collective reclamation!

DU LIBRE EXAMEN

On appelle Libre examen une méthode d’investigation applicable à tous les problèmes qui sollicitent l’attention des hommes — et quel que soit le domaine de l’activité humaine où ils se posent — laquelle méthode repose sur un examen rationnel et impartial de toutes les questions qu’elle approfondi, un examen libéré de toute considération aprioristique, c’est-à-dire ne tenant aucun compte des dogmes, préjugés, conventions, institutions ou traditions, de quelque ordre que ce soit.

Il ne s’ensuit pas qu’en ce qui concerne certaines questions controversées, la méthode de libre examen ne puisse aboutir à unie conjecture ou à une hypothèse. Certes, il manque à l’homme force connaissances, non seulement pour se faire une idée exacte des mouvements, des énergies, des forces cosmiques, mais encore — par ignorance de tous les éléments déterminants — pour porter des jugements exempts d’inexactitudes, soit sur des phénomènes d’ordre purement telluriques, soit sur la marche de l’évolution des milieux ou des individus. Or, la caractéristique de la méthode de libre examen, c’est qu’elle conduit, dans ce cas, quiconque s’en sert loyalement, à présenter ses déductions ou ses opinions pour ce qu’elles sont : des hypothèses ou des conjectures que l’avenir confirmera ou infirmera.

Il peut même arriver que la méthode de libre examen n’aboutisse pas, pour une même question posée à plusieurs personnes, à une solution identique. Il y a, en effet, dans la sphère de l’abstrait, de l’intellectuel, des mœurs, voire dans la sphère économique, des problèmes dont la solution dépend du tempérament de l’individu qui s’entreprend à les résoudre. Scrutées à la lumière du libre examen, il est des questions qui comportent plusieurs réponses,

La méthode appliquée ordinairement par les hommes d’Etat ou les hommes d’Eglise à l’examen des questions que pose l’évolution humaine est limitée au contraire par les dogmes, les préjugés, les conventions, les institutions d’ordre religieux ou laïque, moral où légal, intellectuel ou éducationnel, etc. — que leur réponse ne peut jamais transgresser. C’est pourquoi il est faux de parler de libre examen quand il s’agit d’Etat ou d’Eglise.

Of Free Examination

We call Free Examination a method of investigation applicable to all problems that require the attention of men — no matter the field of human activity in which they arise — which method is based on a rational and impartial examination of all the questions that it explores in depth, an examination freed from any aprioristic consideration, that is to say taking no account of dogmas, prejudices, conventions, institutions or traditions, of any order whatsoever.

It does not follow that with regard to certain controversial questions, the method of free examination cannot result in a conjecture or hypothesis. Certainly, man lacks sufficient knowledge, not only to form an exact idea of movements, energies, cosmic forces, but also — through ignorance of all the determining elements — to make judgments free from inaccuracies, either on purely telluric phenomena, or on the progress of the evolution of environments or individuals. Now, the characteristic of the method of free examination is that it leads, in this case, anyone who uses it conscientiously, to present their deductions or opinions for what they are: hypotheses or conjectures that the future will confirm or refute.

It may even happen that the method of free examination does not result in an identical solution for the same question asked of several people. There are, in fact, in the sphere of the abstract, of the intellectual, of morals, even in the economic sphere, problems whose solution depends on the temperament of the individual who undertakes to resolve them. Examined in the light of free examination, there are questions that have several answers.

The method ordinarily applied by statesmen or men of the Church to the examination of the questions posed by human evolution is limited on the contrary by dogmas, prejudices, conventions, religious or secular institutions, moral or legal, intellectual or educational, etc. — that their response can never transgress. This is why it is wrong to speak of free examination when it comes to State or Church.

UNE CONTRADICTION APPARENTE

Il semble curieux, au premier abord, que les bourgeois qui admettent fort bien qu’on réquisitionne toutes les forces vives d’un territoire pour la défense de ce qu’ils dénomment la « patrie », montrent tant d’hostilité lorsqu’il est question d’appliquer le même procédé à l’ordre de choses économique. Ils acceptent fort bien qu’on arrache à ses occupations ordinaires, que dis-je, qu’on fasse fi des opinions d’un être humain, qu’on violente ses convictions, qu’on le force à coopérer à des actions qu’il réprouve en son for intime, qu’on le contraigne à se battre contre des hommes, ses semblables, qui ne lui ont jamais nui personnellement, dont le seul malheur est d’être menés par des privilégiés qui ont des intérêts contraires à ceux des privilégiés qui le mènent, lui. Ils acceptent tout cela, et les sanctions cruelles qui frappent les récalcitrants. Mais que, pour parvenir à ce que chacun consomme ou ait accès à la possibilité de consommer selon son effort ou ses aspirations, il soit question de mobiliser bon gré mal gré, toutes les aptitudes, toutes les capacités — ces mêmes bourgeois crient à la tyrannie. A vrai dire, la contradiction n’est qu’apparente. Lorsque les bourgeois approuvent les réquisitions inférentes à l’état de guerre — même quand c’est au détriment passager de leurs intérêts — c’est parce que la survivance de la convention ou du préjugé « patrie » implique le maintien du régime d’exploitation de l’homme par le Privilège ou le Monopole, Qu’au contraire, sous une forme ou une autre, la possibilité soit offerte à chacun de satisfaire ses besoins, de consommer selon ses appétits, en dehors de tout privilège où de tout monopole, ce sera le glas de leur domination.

An Apparent Contradiction

It seems curious, at first glance, that the bourgeoisie, who fully accept that all the vital forces of a territory are requisitioned for the defense of what they call the “homeland,” show so much hostility when it is question of applying the same process to the economic order of things. They accept very well that one takes away from his ordinary occupations, nay, that one ignores the opinions of a human being, that one violates his convictions, that one forces him to cooperate in actions that deep down he disapproves of, being forced to fight against men, his peers, who have never harmed him personally, whose only misfortune is to be led by privileged people who have interests contrary to those of the privileged people who lead him. They accept all this, and the cruel sanctions that hit the recalcitrant. But if, to achieve that everyone consumes or has access to the possibility of consuming according to their effort or their aspirations, it is a question of mobilizing willy-nilly, all the aptitudes, all the capacities — these same bourgeois cry tyranny. To tell the truth, the contradiction is only apparent. When the bourgeoisie approve the requisitions inherent in the state of war — even when it is to the temporary detriment of their interests — it is because the survival of the convention or prejudice “homeland” implies the maintenance of the regime of exploitation of man through Privilege or Monopoly, Let, on the contrary, in one form or another, the possibility be offered to everyone to satisfy their needs, to consume according to their appetites, outside of any privilege or any monopoly, it will be the death knell of their domination.

L’ŒUVRE INFAME

Les Gouvernements qui connaissent l’horreur des groupements avancés pour les délateurs se sont toujours efforcés de jeter le doute sur certains agitateurs qu’ils considéraient comme dangereux pour le maintien de l’ordre établi. Il en coûte si peu à un ministre ou à un chef de police, non pas de déclarer mais de faire soupçonner, que tel ou tel est un agent à ses gages, d’autant plus que c’est chose pratiquement impossible à vérifier.

The Infamous Work

Governments that know the horror of advanced groups for informers have always endeavored to cast doubt on certain agitators whom they considered dangerous for the maintenance of established order. It costs so little for a minister or a police chief, not to declare, but to make people suspect, that such and such is a hired agent, especially since it is practically impossible to verify.

About Shawn P. Wilbur 2707 Articles
Independent scholar, translator and archivist.