Eugène de Mirecourt, “Proudhon” (1855)

[These draft translations are part of on ongoing effort to translate both editions of Proudhon’s Justice in the Revolution and in the Church into English, together with some related works, as the first step toward establishing an edition of Proudhon’s works in English. They are very much a first step, as there are lots of decisions about how best to render the texts which can only be answered in the course of the translation process. It seems important to share the work as it is completed, even in rough form, but the drafts are not suitable for scholarly work or publication elsewhere in their present state. — Shawn P. Wilbur, translator]


LES CONTEMPORAINS

PROUDHON

PAR

EUGÈNE DE MIRECOURT

PARIS

GUSTAVE HAVARD, ÉDITEUR
15, RUE GUÉNÉGAUD, 15

1855

THE CONTEMPORARIES

PROUDHON

BY

EUGÈNE DE MIRECOURT

PARIS

GUSTAVE HAVARD, ÉDITEUR
15, RUE GUÉNÉGAUD, 15

1855

AVANT-PROPOS.

Vingt fois déjà nous l’avons dit, et nous le répétons encore : l’histoire contemporaine rencontre sur sa route une infinité d’écueils.

Mille passions haineuses s’agitent autour de nous.

En vain l’impartialité nous sert de guide, en vain le sentiment de justice le plus loyal dicte nos paroles, on va jusqu’à nous faire un crime de protester de notre bonne foi.

Nous sommes accusé de mensonge sur toute la ligne.

D’obscurs libellistes, enfants trouvés du style, trempent leurs mains en pleine boue, et nous provoquent à ces batailles ignobles d’où le vainqueur lui-même ne s’échappe qu’avec des souillures.

Grand merci, messieurs, restez dans votre fange!

Tout notre temps appartient à l’étude, au travail, aux recherches. Peu nous importent vos criailleries impuissantes, vos injures, vos phrases calomniatrices, votre rage et votre haine.

Qui êtes-vous? d’où sortez-vous?

Avocats d’une cause indigne, plaidez à votre aise, et n’espérez point de réplique.

Vous pouvez tant qu’il vous plaira défendre et M. de Lamennais et tous ceux qui ont mérité notre blâme. Le bout de l’oreille démocratique et la rancune de parti percent beaucoup trop sous votre colère, pour qu’on soit dupe de vos insinuations perfides et de vos démentis sans preuves.

On sait avec quel soin nous allons aux renseignements, avec quel scrupule chaque nuance historique, chaque particularité de la vie de nos personnages, chaque face de leur caractère sont étudiées par nous et soumises au contrôle.

Certes, nous n’avons pas la prétention d’être infaillible.

Mais nous avons celle d’être consciencieux, et nous défions la calomnie la plus impudente de nous trouver en dédéfaut là-dessus.

Ainsi donc nous poursuivrons tranquillement notre œuvre.

Imprimez contre nous articles sur articles, brochures sur brochures, biographies sur biographies, vous n’aurez pas même la satisfaction de nous émouvoir, et vous n’obtiendrez ni l’honneur d’une réponse ni le retentissement d’un démenti.

Eugène de Mirecourt.

FOREWORD.

We have said it twenty times already, and we repeat it again: contemporary history encounters an infinity of pitfalls on its way.

A thousand hateful passions stir around us.

In vain impartiality serves as our guide, in vain the most honorable sense of justice dictates our words — they go so far as to make it a crime for us to protest our good faith.

We are accused of lying about everything.

Obscure libelists, foundlings of style, dip their hands in the mud, and challenge us to those ignoble battles from which the victor himself escapes only with stains.

Many thanks, gentlemen, remain in your mire!

All our time belongs to study, to work, to research. We don’t care about your helpless shouting, your insults, your slanderous phrases, your rage and your hatred.

Who are you? Where have you come from?

Advocates of an unworthy cause, plead it at your ease, and expect no reply.

You can defend M. de Lamennais and all those who have earned our condemnation as much as you like. Your true democratic colors and the rancor of the party show far too clearly under your anger for anyone to be taken in by your perfidious insinuations and your denials without proof.

We know with what care we seek the facts, with what scruple every historical nuance, every particularity of the life of our characters, every facet of their character is studied by us and subjected to inspection.

Certainly, we do not claim to be infallible.

But we can claim to be conscientious, and we defy the most impudent calumny that claims otherwise.

So we will quietly continue our work.

Print article upon article, pamphlet upon pamphlet, biography upon biography against us; you will not even have the satisfaction of upsetting us and you will obtain neither the honor of an answer nor the impact of a denial.

Eugene de Mirecourt.

PROUDHON

A Besançon, patrie du général Moncey, du jésuite Nonotte, de l’académicien Suard, de Charles Nodier et de Victor Hugo, naquit, le 15 janvier 1809, un enfant du sexe masculin.

La terre trembla, le ciel cacha son azur. Un frisson de terreur agita les hommes.

De noirs et lugubres fantômes parcoururent le vieux monde. On entendit gronder dans la nue des prédictions sinistres. Le coffre du financier s’ouvrit de luimême, éparpillant l’or; la gerbe mûre disparut du sillon; le père inquiet chercha ses fils, absents du foyer; l’époux trouva déserte la couche nuptiale, et le prêtre, agenouillé devant l’autel, vit une main sacrilège briser le tabernacle.

Le grand démolisseur de la propriété, de la famille et de la religion, venait de naître…

Ouf!

Et dire que nous eussions commencé par ces lignes terribles la biographie de Pierre-Joseph Proudhon, si 1852, l’année fatale, n’était là derrière nous, tranquille et souriante, après avoir arraché le masque de Croquemitaine, qui nous regarde, à l’heure qu’il est, penaud et déconfit.

Sa griffe et ses dents sont beaucoup moins longues, en vérité, que chacun ne paraissait le croire; et nous pouvons sans gêne éclater de rire, au début de ce petit volume.

Ah! la bonne comédie!

Voyez-vous l’ogre Proudhon, drapé dans son manteau rouge, agitant de la main droite un coutelas gigantesque, tenant de la gauche une torche incendiaire, faisant la grosse voix, et se plaçant, du premier bond, sur le piédestal où doit trôner l’Antechrist?

Tudieu, c’était grave!

Le gaillard sommait tout simplement la société de se mettre en liquidation et lui annonçait son dernier jour.

Aussitôt les bourgeois s’unissent contre l’ennemi commun. La presse entière sonne l’alarme.

De Paris, la panique saute en province.

On tressaille, on gémit, on pleure; on croit voir poindre là-bas sur le grand chemin la phalange déguenillée des partageux ; on demande pour la combattre fusils et cartouches.

Et pendant tout ce désordre, au milieu de cette épouvante, sans prendre garde au feu qu’il allume, sans s’inquiéter de la catastrophe à venir, Proudhon continue de lancer aux masses indignées ses phrases de révolte et ses paradoxes haineux.

Qu’est-ce donc, s’il vous plaît, que cet homme ?

Nous allons vous répondre par son histoire.

Pierre-Joseph est fils d’un pauvre tonnelier brasseur, qui l’envoya très-jeune sur les bancs de l’école primaire, comptant lui apprendre son état, lorsqu’il saurait lire et écrire.

« Les Proudhon, dit M. Hippolyte Castille, dans les Hommes et les Mœurs, sont des paysans paperassiers et liseurs de codes. »

PROUDHON

In Besançon, homeland of General Moncey, the Jesuit Nonotte, the academician Suard, Charles Nodier and Victor Hugo, a male child was born on January 15, 1809.

The earth trembled, the sky hid its azure. A shiver of terror shook the men.

Dark and gloomy phantoms roamed the old world. Sinister predictions were heard in the rumbling of the clouds. The financier’s chest opened by itself, scattering its gold; the ripe sheaf disappeared from the furrow; the worried father looked for his sons, absent from the hearth; the bridegroom found the nuptial bed deserted, and the priest, kneeling before the altar, saw a sacrilegious hand break the tabernacle.

The great demolisher of property, family and religion had just been born…

Phew!

And to think that we would have begun with these terrible lines the biography of Pierre-Joseph Proudhon, if 1852, the fatal year, had not been there behind us, calm and smiling, after having torn off the mask of the Bogeyman, who watches us, at the present hour, sheepish and crestfallen.

His claws and his teeth are much shorter, in truth, than everyone seemed to believe; and we can laugh out loud without embarrassment at the beginning of this little volume.

Ah! Good comedy!

Do you see the ogre Proudhon, draped in his red cloak, waving a gigantic cutlass in his right hand, holding an incendiary torch in his left, with his booming voice, placing himself, at the first leap, on the pedestal where the Antichrist should preside?

Oh my, it was serious!

The fellow insisted quite simply that society place itself in liquidation and announced its last day.

The bourgeois immediately unite against the common enemy. The entire press sounds the alarm.

From Paris, panic spreads to the provinces.

We tremble, we groan, we cry; we think we see the ragged phalanx of the partageux appearing over there on the high road; guns and cartridges are demanded to combat them.

And through all this disorder, in the midst of this terror, without taking heed of the fire he kindles, without worrying about the catastrophe to come, Proudhon continues to hurl at the indignant masses his phrases of revolt and his hateful paradoxes.

Who then, if you please, is this man?

We will answer you with his history.

Pierre-Joseph is the son of a poor cooper brewer, who sent him at a very young age to the benches of the primary school, counting on teaching him his trade when he could read and write.

“The Proudhons,” says M. Hippolyte Castille, in Les Hommes et les Mœurs, “are bureaucratic peasants and readers of codes.”

De cette famille est issu un jurisconsulte célèbre.

Toute la race est foncièrement révolutionnaire, querelleuse et grande amie des procès.

Chez ces villageois mutins (1), le papier timbré ne cause aucune alarme. Ils forment au sein de la Franche-Comté une véritable colonie normande, plaident pour un oui, plaident pour un non, et se précipitent, tête baissée, dans la première lutte qui se présente.

Pourvus, outre cela, d’une activité folle et d’un amour-propre extravagant, ils entreprennent tout et ne réussissent à rien.

On les appelle dans le pays des cudots, mot patois qui renferme la double qualification de spéculateurs et de visionnaires.

Un des oncles de Pierre-Joseph est un original sans copie.

Vous l’entendez affirmer le plus sérieusement du monde qu’un pape a jeté sur la souche proudhonienne une malédiction, qui se perpétue de siècle en siècle, et empêche toute la descendance de réussir dans ses entreprises.

Quand il vient à Besançon, les jours de marché, son premier soin est de courir à la bibliothèque, où, depuis quarante ans, il compulse l’Histoire des Papes, afin d’y découvrir quel a pu être le pontife assez malveillant pour jouer ce vilain tour à ses aïeux.

— Une fois que j’aurai son nom, dit-il, le malheur des Proudhon cessera. Je suis certain de rompre le charme.

Il professe les croyances les plus singulières, et soutient que beaucoup d’individus peuvent, à cent lieues de distance, lire au fond de sa pensée. Quand il s’est mis en tête une belle et bonne erreur, il n’est pas d’argument qui puisse le convaincre qu’il a tort.

Aussi Proudhon, traçant dans un de ses livres (2) le portrait de ce fantasque personnage, se garde bien d’avouer qu’il est son oncle, afin d’esquiver le parallèle.

Il ne faut pas croire cependant qu’il rougisse de sa famille.

On connaît la fameuse boutade, lancée à la tête d’un légitimiste :

«— J’ai quatorze quartiers de paysannerie, monsieur ! Comptez-vous le même nombre de quartiers de noblesse ? »

Pierre-Joseph était sans contredit le premier élève de l’école primaire; mais on l’en retira de bonne heure, pour lui mettre en main le maillet du tonnelier.

L’enſant le reçut d’assez mauvaise grâce.

Agé de dix ans à peine, il avait déjà la conscience de sa force intellectuelle et répugnait à devenir un simple manœuvrier.

Quelques personnes influentes de Besançon lui obtinrent la faveur de suivre gratuitement les classes du collège royal.

Or, son père était si pauvre, qu’il ne put lui acheter qu’une très-faible partie des livres indispensables à ses études.

Notre jeune élève manquait surtout de dictionnaires.

Il faisait ses devoirs tant bien que mal, en soignant sa mère malade, el chaque matin il devançait l’heure de la classe pour aller se mettre en embuscade aux environs du collège. Là, guettant un camarade, il lui empruntait les livres qu’il n’avait pas et complétait sur la première borne venue ses versions ou ses thèmes.

Les compatriotes du notre héros tiennent ce fait de la bouche de M. Ordinaire, ancien recteur de l’Académie de Besançon, qui se plaisait à le raconter.

From this family came a famous legal scholar.

The whole race is fundamentally revolutionary, quarrelsome and very fond of trials.

Among these mutinous villagers (1), the stamped paper causes no alarm. They form within Franche-Comté a true Norman colony, plead for a yes, plead for a no, and rush, headlong, into the first fight that presents itself.

Provided, besides that, with mad activity and an extravagant self-esteem, they undertake everything and succeed in nothing.

In the country, they are called cudots, a patois word which contains the double qualification of speculators and visionaries.

One of Pierre-Joseph’s uncles is an original without a copy.

You hear him affirm in all seriousness that a pope has cast a curse on the Proudhonian stock, which is perpetuated from century to century, and prevents all the descendants from succeeding in their enterprises.

When he comes to Besançon, on market days, his first concern is to run to the library, where, for forty years, he has been consulting the History of the Popes, in order to discover there which pontiff could have been malevolent enough to play this ugly trick on his ancestors.

“Once I have his name,” he said, “the Proudhons’ misfortune will cease. I’m sure I’ll break the spell.”

He professes the most singular beliefs, and maintains that many individuals can, from a hundred leagues away, read the bottom of his mind. When he has made up his mind to make a fine and good mistake, there is no argument that can convince him that he is wrong.

So Proudhon, sketching the portrait of this whimsical character in one of his books (2), is careful not to admit that he is his uncle, in order to avoid the parallel.

It should not be believed, however, that he blushes for his family.

We know the famous joke, launched at the head of a legitimist:

“I have fourteen peasant districts, sir! Do you count the same number of quarters of nobility?”

Pierre-Joseph was unquestionably the first pupil of the elementary school; but they took him out early, to put the cooper’s mallet in his hand.

The child received it with rather bad grace.

Barely ten years old, he was already aware of his intellectual strength and was reluctant to become a simple labourer.

Some influential people from Besançon obtained for him the favor of following classes at the collège royal free of charge.

Now, his father was so poor that he could only buy him a very small portion of the books indispensable to his studies.

Our young pupil especially lacked dictionaries.

He was doing his homework as well as he could, caring for his sick mother, and every morning he went before class time to go and lay in ambush near the school. There, watching for a comrade, he borrowed the books he didn’t have and completed his translations or themes at the first milestone.

The compatriots of our hero take this fact from the mouth of Mr. Ordinaire, former rector of the Academy of Besançon, who liked to tell it.

Ces débuts annonçaient une nature studieuse, une volonté ferme dans le travail.

Malheureusement la détresse de la famille augmentait chaque jour, et Pierre-Joseph, au lieu de puiser au logis paternel des principes de résignation et de patience, n’y trouvait que l’amertume de la plainte, le blasphème et le désespoir sombre.

La parole du Christ n’avait point d’écho dans cette maison désolée.

Au lieu de regarder le ciel, on regardait la terre; on y voyait des riches, des heureux, et les vieilles doctrines de la race aidant, c’était là chaque jour un concert d’imprécations contre la Providence, contre la société, contre les hommes.

Proudhon mangea le pain de l’envie et but à la coupe de l’aigreur.

Tout ce qu’il y avait de nobles instincts dans cette jeune et féconde nature se racornit et s’atrophia au souffle de la haine. Convaincu de son mérite par les succès obtenus dans ses classes, et cherchant ailleurs une supériorité que ne lui donnaient ni la fortune ni la naissance, il se réfugia dans l’orgueil comme dans un sanctuaire.

On remarque chez Proudhon, dès sa première jeunesse, une tendance implacable au despotisme de l’idée.

Trouvant ses camarades rebelles à ses prétentions et à ses discours, il refuse de partager leurs jeux, fait bande à part et ne leur adresse plus une parole.

Nous le verrons, par la suite, rester constamment fidèle à ce caractère impérieux, bourru, dominateur.

A l’époque de sa première communion, les maximes chrétiennes elles-mêmes ne peuvent terrasser son orgueil.

Il lutte intérieurement contre les croyances qu’on lui prêche, et l’humilité, l’esprit de soumission, l’espoir en Dieu, lui semblent autant de chimères créées à l’usage des sots.

Forcé de laisser là ses études et de travailler pour vivre, il entre dans un vaste établissement typographique, où son intelligence est appréciée sur-le-champ par les patrons.

De simple imprimeur, il devint successivement correcteur, compositeur et prote.

Entre tous ses confrères d’atelier, Pierre-Joseph ne daigne pas choisir un ami.

Les passions, si nous pouvons nous exprimer de la sorte, désertent le cœur chez ce jeune homme bizarre, pour monter tumultueusement au cerveau. Jamais il ne hante les cafés ou les bals; il ne se permet aucun plaisir, ne se donne aucune distraction.

Chaque soir, après sa besogne terminée, pluie ou vent, neige ou tempête, il sort de la ville, se promène une heure à travers champs, et rentre au galetas qu’il habite, afin d’y chercher, dans sa veille fiévreuse, la solution des problèmes que voici:

« Pourquoi les uns naissent-ils dans l’opulence et les autres dans la misère ? »

« D’où vient qu’en ce monde il y ait des hommes heureux et des hommes qui souffrent? »

L’Évangile est là, sous ses regards, l’Évangile dont on lui a commenté les divins préceptes, l’Évangile qui, depuis six mille ans de tourmentes philosophiques et sociales, a pu seul résoudre la question.

Mais l’orgueilleux repousse le saint livre. Humilier son jugement, le courber sous le joug chrétien, non pas ! Ceci est bon pour les imbéciles qui l’entourent.

Quant à lui, Pierre-Joseph, il refuse d’accepter la doctrine de Jésus.

These beginnings announced a studious nature, a firm will in work.

Unfortunately the distress of the family increased every day, and Pierre-Joseph, instead of drawing from the paternal home principles of resignation and patience, found there only the bitterness of complaint, blasphemy and gloomy despair.

The word of Christ had no echo in that desolate house.

Instead of looking to heaven, they looked at the earth; they saw there the rich and the happy, and, the old doctrines of the race helping them along, there was every day a concert of imprecations against Providence, against society, against men.

Proudhon ate the bread of envy and drank from the cup of bitterness.

All the noble instincts in this young and fertile nature withered and atrophied under the breath of hatred. Convinced of his merit by the successes obtained in his classes, and seeking elsewhere a superiority that neither fortune nor birth gave him, he took refuge in pride as in a sanctuary.

We notice in Proudhon, from his early youth, an implacable tendency to the despotism of the idea.

Finding his comrades rebelling against his pretensions and his speeches, he refuses to share their games, stands apart and no longer speaks a word to them.

We will see him, thereafter, constantly remaining faithful to this imperious, surly, dominating character.

At the time of his first communion, Christian maxims themselves could not crush his pride.

He struggles inwardly against the beliefs that are preached to him, and humility, the spirit of submission, hope in God, seem to him so many chimeras created for the use of fools.

Forced to leave his studies at this point and work for a living, he enters a vast typographical establishment, where his intelligence is immediately appreciated by the bosses.

From a simple printer, he successively became proofreader, composer and foreman.

Among all his workshop colleagues, Pierre-Joseph does not deign to choose a friend.

The passions, if we can express ourselves in this way, desert the heart in this bizarre young man to rise tumultuously to the brain. He never haunts cafes or dances; he allows himself no pleasure, gives himself no distraction.

Every evening, after his work is done, rain or wind, snow or storm, he leaves the city, walks for an hour across the fields, and returns to the attic where he lives, in order to seek there, in his feverish vigil, the solution to the following problems:

“Why are some born into opulence and others into poverty?”

“How does it come about that in this world there are happy men and men who suffer?”

The Gospel is there, under his gaze, the Gospel whose divine precepts have been commented on to him, the Gospel that, through six thousand years of philosophical and social torments, has alone been able to resolve the question.

But the proud one rejects the holy book. To humiliate his judgment, to bend him under the Christian yoke… No! This is fine for the fools around him.

As for him, Pierre-Joseph, he refuses to accept the doctrine of Jesus.

Il entend qu’il n’y ait plus ici-bas ni riches ni pauvres, et que le bifteck se partage d’une manière égale entre tous.

Oui, le bifteck, le ventre, la gourmandise, l’amour de tout ce qui est matière, de tout ce qui se mange, de tout ce qui se palpe, de tout ce qui donne les joies sensuelles, la table du prochain, son champ, sa vigne, son lit, sa maison, son or, voilà, quoi qu’on dise, le premier, l’unique mobile de ces grands réformateurs.

Les espérances de l’autre monde, allons donc! Celui-ci d’abord, nous verrons ensuite.

Et voilà notre ouvrier typographe plongé dans les recherches, compulsant les livres, frappant à la porte de toutes les philosophies pour leur demander le mot de l’énigme. N’obtenant aucune réponse satisfaisante, il devient de jour en jour plus irritable et plus sombre.

« Tout ce que je sais, a-t-il dit plus tard dans son livre de la Création de l’ordre, je le dois au désespoir! »

Aveu terrible qui le condamne sans retour.

Fils d’un artisan malheureux, ayant reçu malgré sa pauvre origine les bienfaits de l’éducation, trouvant dans un travail honorable des moyens d’existence, M. Proudhon n’avait aucun motif de se livrer au désespoir.

Envers lui la société ne s’était point conduite en marâtre.

Il se fâcha parce qu’elle ne lui donnait pas assez tout d’abord, semblable à un enfant mutin, qui, voyant ouvrir une boîte de pralines, et obtenant la permission d’en croquer quelques-unes, trépigne et s’emporte pour avoir la boîte entière.

Véritablement ce genre de désespoir ne touchera personne.

Un saint archevêque juge ainsi notre héros :

« Le fond de son caractère est l’irritation et l’aigreur contre la société, de laquelle il s’est cru banni par la détresse de sa famille. Ayant pu, par la force de son esprit, faire des études tronquées d’un côté, profondes de l’autre, il s’est dressé à lui-même un piédestal, sur lequel il voudrait recevoir les hommages de l’univers, au préjudice de Dieu, qui est pour lui un rival. Proudhon n’est pas un athée, c’est un ennemi de Dieu.»

Revenons aux détails biographiques.

Avec sa nature brusque et mécontente, on comprend que Pierre-Joseph n’était aimé ni de ses compagnons ni de ses maîtres. Les uns comme les autres appréciaient son mérite, ses habitudes laborieuses; mais ils n’abordaient qu’avec crainte ce hérisson couvert d’épines, ce cheval sauvage qui, pour nous servir de l’expression pittoresque de l’un d’eux, ruait à tout le monde.

Se posant en redresseur de torts, il tranchait toutes les discussions sans appel et rendait la justice à coups de poing.

Vis-à-vis de la société, plus tard, il devait employer une méthode analogue et retrousser les manches de sa logique pour mieux assommer l’adversaire.

Un débat s’élevait-il entre le patron et les ouvriers, notre héros, déjà connu pour un démocrate farouche, donnait sans examen droit au faible, condamnait le fort, et prenait parti quand même pour la révolte. La querelle s’envenimait au lieu de s’éteindre, à moins (ceci arriva plus d’une fois) que l’ouvrier même, dont Proudhon se déclarait le défenseur, ne vînt à lui clore la bouche, en s’écriant:

He wants there to be neither rich nor poor here on earth, and for the steak to be shared equally among all.

Yes, the steak, the belly, gluttony, the love of all that is material, of all that is eaten, of all that can be felt, of all that gives sensual joys, the table of the neighbor, his field, his vineyard, his bed, his house, his gold, that, whatever people say, is the first, the only motive of these great reformers.

Hopes for the other world, go on! This one first, then we’ll see about the next.

And here is our typographer immersed in research, perusing the books, knocking on the door of all the philosophies to ask them the key to the enigma. Obtaining no satisfactory answer, he becomes day by day more irritable and gloomy.

“All that I know,” he said later in his book The Creation of Order, “I owe to despair!”

A terrible confession that condemns him irrevocably.

The son of an unfortunate craftsman, having received the benefits of education despite his poor origins, finding the means of existence in honorable work, M. Proudhon had no reason to indulge in despair.

Society had not behaved toward him like a stepmother.

He got angry because she didn’t give him enough at first, like a mischievous child who, seeing a box of pralines open, and obtaining permission to bite into a few, stamps his feet and loses his temper if he can’t have the whole box.

Truly this kind of desperation will touch no one.

A holy archbishop judges our hero thus:

“The basis of his character is irritation and bitterness against society, from which he believed himself banished by the distress of his family. Having been able, by the strength of his mind, to make studies truncated on one side, though deep on the other, he has erected a pedestal for himself, on which he would like to receive the homage of the universe, at the cost of God, who is for him a rival. Proudhon is not an atheist, he is an enemy of God.”

Let us return to the biographical details.

With his brusque and discontented nature, we understand that Pierre-Joseph was not loved by either his companions or his masters. Both appreciated his merit, his industrious habits; but they only approached with fear this hedgehog covered with thorns, this wild horse who, to use the picturesque expression of one of them, kicked at everyone.

Posing as a vindicator, he settled all disputes without appeal and meted out justice with his fists.

With regard to society, later, he was to employ a similar method and roll up the sleeves of his logic to better stun the adversary.

Should a debate arise between the boss and the workers, our hero, already known as a fierce democrat, gave right to the weak without examination, condemned the strong, and took the part all the same of the revolt. The quarrel escalated instead of dying out, unless (as happened more than once) the very workman, of whom Proudhon declared himself the defender, came to shut his mouth, crying:

«— De quoi vous mêlez-vous ? »

Sans aucun doute, il y avait dans cette âme brutale des instincts honnêtes, mais surexcités à un si haut point par l’orgueil et si ennemis de la contradiction, qu’ils se dénaturèrent et atteignirent, par la loi qui régit les extrêmes, aux dernières limites de la perversité en matière de doctrine.

A la révolution de 1830, Proudhon est âgé de vingt et un ans.

Quelques hommes sages de Besançon cherchent à rendre un peu de calme à cette nature mécontente et à dompter ce caractère irascible.

On offre au jeune homme la rédaction on chef du journal de la préfecture; mais il prétend qu’on veut acheter sa conscience politique, et refuse net.

Un des prêtres qui lui ont enseigné le catéchisme dans son enfance croit un instant pouvoir le conquérir aux idées religieuses. Pendant huit mois, cet ecclésiastique a des conférences quotidiennes avec Pierre-Joseph.

Il lui prête les Pères de l’Église et tous les ouvrages théologiques capables d’éclairer les points qu’ils ont à débattre; mais il s’aperçoit bientôt que cet esprit sceptique et tracassier ne cherche dans ses lectures que de nouvelles armes pour combattre la foi, s’obstinant à ne pas regarder la lumière, épiloguant sur le texte, trouvant que l’évêque d’Hippone abuse de l’antithèse, que saint Bernard fait des calembours, et que somme toute, la théologie est la science de l’infiniment absurde.

Ces admirables découvertes furent signalées, depuis, dans les œuvres de notre héros. (3)

— Mon fils, dit le prêtre, perdant courage, vous marchez à grands pas sur le chemin de la malédiction. Prenez garde! Ennemi du Christ, ennemi de la société, vous avez tout à perdre, et chacun sera contre vous.

Ces paroles donnent à réfléchir à Pierre-Joseph.

Il dissimule, et paraît, sinon converti, du moins extrêmement réservé dans ses agressions contre la foi chrétienne et contre les abus sociaux; il semble même faire des efforts pour adoucir la rudesse de ses mœurs.

Aussitôt les sympathies effarouchées lui reviennent; il trouve des amis et des protecteurs.

Un trait fort honorable et complètement digne d’éloge se rencontre ici sous notre plume.

Nous sommes heureux de pouvoir le citer dans la vie de Proudhon.

Vers cette époque, c’est-à-dire en 1832, un jeune ouvrier compositeur arrive dans la ville, dépourvu de ressources et comptant sur un travail immédiat. Mais les imprimeries n’ont point de casse disponible; aucun atelier ne s’ouvre pour le malheureux jeune homme, qui, sans gîte et sans pain depuis quarante-huit heures, va recourir au suicide.

Proudhon le rencontre, l’emmène dans sa chambre, le nourrit, lui donne et des vêtements, le loge pendant deux mois et finit par lui procurer du travail. Nous avons sous les yeux une lettre de ce jeune homme, dans laquelle se trouve la phrase suivante :

« Vous me demandez si je connais Proudhon? mais je lui dois la vie. C’est moi qu’il a préservé du grand saut dans la rivière. »

En 1837, Pierre-Joseph était encore simple ouvrier.

Deux de ses compatriotes, MM. Lambert et Maurice, ayant acheté un brevet d’imprimeur et ne possédant qu’une science restreinte en typographie. voulurent prendre avec eux un individu capable.

“What are you doing getting mixed up in this?”

Undoubtedly, there were in this brutal soul honest instincts, but overexcited to such a high point by pride and so hostile to contradiction, that they were denatured and reached, by the law that governs the extremes, the last limits of evil in matters of doctrine.

At the revolution of 1830, Proudhon was twenty-one years old.

A few wise men from Besançon seek to restore a little calm to this discontented nature and to tame this irascible character.

The young man was offered the editorship of the prefectural newspaper; but he pretends that they want to buy his political conscience, and flatly refuses.

One of the priests who taught him the catechism in his childhood believed for a moment that he could win him over to religious ideas. For eight months, this ecclesiastic has daily conferences with Pierre-Joseph.

He lends him the Fathers of the Church and all the theological works capable of throwing light on the points they have to debate; but he soon realizes that this skeptical and worrying spirit seeks in his readings only new weapons to fight the faith, obstinately not looking at the light, elaborating on the text, finding that the bishop of Hippo abuses the antithesis, that Saint Bernard makes puns and that, all in all, theology is the science of the infinitely absurd.

These admirable discoveries have since been noted in the works of our hero. (3)

“My son,” said the priest, losing courage, “you are walking with great strides on the cursed path. Take care! Enemy of Christ, enemy of society, you have everything to lose, and everyone will be against you.”

These words give Pierre-Joseph food for thought.

He dissembles, and appears, if not converted, at least extremely reserved in his aggressions against the Christian faith and against social abuses; he even seems to make an effort to soften the harshness of his manners.

No sooner do the frightened sympathies return to him than he finds friends and protectors.

A very honorable and completely praiseworthy feature is found here under our pen.

We are happy to be able to cite it in the life of Proudhon.

Around this time, that is to say in 1832, a young typesetter arrived in the city, destitute of resources and counting on an immediate job. But the printers have no case available; no workshop opens for the unfortunate young man, who, without lodging and without bread for forty-eight hours, will resort to suicide.

Proudhon meets him, takes him to his room, feeds him, gives him clothes, lodges him for two months and ends up getting him work. We have before us a letter from this young man, in which we find the following sentence:

“Are you asking me if I know Proudhon? Why, I owe him my life. It was me he saved from the big leap into the river.”

In 1837, Pierre-Joseph was still a simple worker.

Two of his compatriots, MM. Lambert and Maurice, having bought a printer’s patent and possessing only a limited knowledge of typography, wanted to take with them a capable individual.

Ils choisirent Proudhon.

Voilà donc notre prote en tiers dans l’exploitation d’un établissement.

MM. Lambert et Maurice versent les fonds, on ne demande à Pierre-Joseph que son travail et son expérience.

Le fils du tonnelier, convenez-en, ne rencontre déjà pas des obstacles si terribles sur sa route. Il nous semble même que la société, dont il est devenu le plus cruel ennemi, que cette société vicieuse, égoïste, ne se comporte pas très-mal à son égard et lui ouvre d’assez beaux horizons.

Seulement, comme il est ambitieux, chose permise en ce bas monde, et qu’une imprimerie de province ne rend que de médiocres bénéfices, il cherche le moyen d’aller à Paris pour y compléter ses études.

Or, tout aussitôt, le croirez-vous? cette abominable société lui vient en aide. L’académie des belles-lettres de Besançon, chargée de donner au concours une pension fondée par M. Suard, accueille avec faveur un Essai de grammaire générale (4), que lui présente notre typographe, et le dote du premier coup de la pension triennale de quinze cents francs, servie par madame veuve Suard.

Au comble de ses vœux, le provincial arrive à Paris et se met à l’étude avec ardeur.

Entouré d’une folle jeunesse qui se livre à la dissipation et au plaisir, il ne perd aucun de ses goûts de retraite, aucune de ses habitudes modestes.

Sobre comme un chartreux, il dépense à peine la moitié de sa pension, et consacre l’autre moitié à soutenir ses vieux parents restés à Besançon dans l’indigence.

Notre impartialité nous fait un devoir de dire le bien comme nous disons le mal. Autrefois Proudhon s’est constamment montré bon fils, comme il se montre aujourd’hui bon époux (5). Expliquez chez le même homme ce mélange de qualités et de défauts; cherchez pourquoi ses actes et ses doctrines sont presque toujours en désaccord; tâchez de comprendre comment le socialiste féroce, l’ogre de la famille et l’insulteur du Christ donne l’exemple des vertus privées, se marie à l’église et porte ses enfants au baptême, vous réussirez difficilement à trouver le mot de l’énigme.

Pierre-Joseph est le génie incarné de la contradiction.

Voulant aider sa famille d’une manière encore plus efficace, il consacrait à des travaux de rédaction pour autrui (6) les heures qui lui restaient après l’étude, et tous les soirs il se rendait à l’imprimerie d’Everat, rue du Cadran, où il exerçait l’emploi de correcteur.

Une partie de l’argent gagné par ces divers travaux servait à éteindre les dettes de l’imprimerie de Besançon, devenue sa propriété exclusive par la mort de M. Maurice et par la retraite du deuxième associé.

Proudhon habitait alors, rue de l’École-de-Médecine, une étroite mansarde, où l’on voyait pour unique ameublement un lit de sangle, une malle, deux chaises et une table de sapin.

Quelquefois un de ses compatriotes venait le prendre et l’invitait à dîner.

Le lendemain, payant cette politesse de retour, Proudhon emmenait son ami dans son restaurant habituel, c’est-à-dire dans une simple gargote de la rue des Saints-Pères, qui avait la renommée de la soupe aux choux.

They chose Proudhon.

So there is our foreman as the third party in the operation of an establishment.

MM. Lambert and Maurice pay the funds. Pierre-Joseph is asked for his labor and his experience.

The cooper’s son, you must admit, has not so far encountered such terrible obstacles on his way. It even seems to us that the society of which he has become the cruellest enemy, that this vicious, selfish society, does not behave very badly towards him and opens up rather fine horizons.

Only, as he was ambitious, a thing permitted in this lowly world, and as a provincial printing press made only mediocre profits, he sought a means of going to Paris to complete his studies there.

Now, right away,—will you believe it?—this abominable society comes to his aid. The Academy of Belles-Lettres of Besançon, responsible for holding the competition for a pension founded by Mr. Suard, welcomes an Essay on General Grammar (4), which our typographer presents to it, and endows him, at the first attempt, with the three-year payment of fifteen hundred francs, provided by the widow Madame Suard.

With all his wishes coming true, the provincial arrives in Paris and begins to study with ardor.

Surrounded by a mad youth who devote themselves to dissipation and pleasure, he loses none of his tastes for retirement, none of his modest habits.

Sober as a Carthusian monk, he spends barely half of his pension, and devotes the other half to supporting his elderly parents, who have remained destitute in Besançon.

Our impartiality makes it our duty to say the good, just as we say the bad. Formerly Proudhon constantly showed himself to be a good son, as he shows himself to be a good husband today (5). Explain this mixture of qualities and faults in the same man; inquire why his acts and doctrines are nearly always at odds; try to understand how the fierce socialist, the ogre of the family and the insulter of Christ sets an example of private virtues, marries in church and bears his children to baptism, but you will hardly succeed in explaining the enigma.

Pierre-Joseph is the incarnate spirit of contradiction.

Wanting to help his family in an even more effective way, he devoted the hours that remained to him after study to writing work for others (6), and every evening he went to the printing office of Everat, rue du Cadran, where he worked as a proofreader.

Part of the money earned by these various works was used to extinguish the debts of the Besançon printing works, which had become his exclusive property through the death of Mr. Maurice and the retirement of the second partner.

Proudhon was then living in the rue de l’Ecole-de-Medecine, in a narrow attic, where the only furnishings were a sling bed, a trunk, two chairs and a fir table.

Sometimes one of his compatriots came to take him and invite him to dinner.

The next day, paying this courtesy in return, Proudhon took his friend to his usual restaurant, that is to say to a simple tavern in the rue des Saints-Peres, which was famous for cabbage soup.

Doué d’un appétit remarquable, PierreJoseph mangeait cette soupe avec plaisir ; mais son ami, plus délicat, finit par souhaiter un potage moins indigeste, et, comme la gargote s’obstinait dans la spécialité qu’elle avait conquise, il fut convenu que Proudhon rendrait dorénavant ses dîners à John-Bull, place de Rivoli.

Chez le traiteur anglais, notre héros trouva dans un énorme plat de pommes de terre l’équivalent de ses choux.

Le dîner coûtait un franc quarante centimes par convive.

A cette sobriété remarquable Proudhon joignait ou semblait joindre une continence cénobitique. Ni sollicitations, ni moqueries ne le décidaient à faire un pas avec les railleurs du côté de la débauche. Cet homme étrange écrivait sur la chasteté des lignes qu’on pourrait croire tombées de la plume d’un Père de l’Église.

« Le mariage est exclusif et saint: toute fornication est un délit contre la nature, contre les personnes et contre la société; la raison surveille les sens, la conscience impose un frein. Jouir n’est pas la fin de l’homme. (7) »

En voyant Pierre-Joseph professer une doctrine aussi pure, on se demande si la vertu seule était sa conseillère.

Les chefs de secte, les orgueilleux, les génies brouillons, qui, de siècle en siècle, s’attribuent le titre de réformateurs, cherchent toujours à passer pour chastes. Ils savent combien on admire ceux qui paraissent au-dessus des passions et des faiblesses de notre pauvre humanité.

Nous voyons là système et calcul, mais de vertu, pas l’ombre.

Qu’il suffise de rappeler à M. Proudhon dans quelles circonstances a eu lieu certain mariage à Sainte-Pélagie, pour le convaincre que l’ange des légitimes amours n’a pas toujours veillé au chevet des plus chaleureux apôtres de la continence.

Croyez-vous, sectaires menteurs, que nous allons vous laisser intacte autour du front cette auréole usurpée?

Le livre de la Célébration du dimanche, envoyé par Pierre-Joseph aux académiciens franc-comtois, fut accueilli par eux assez froidement.

Sous la toison de l’agneau perçait déjà l’oreille du loup.

Proudhon, tout en concluant au repos du septième jour, comme hygiène et comme devoir, déclarait que l’égalité des conditions seule pouvait décider les peuples à l’exacte observance de la loi divine. Sans prêcher l’émeute, il invoquait la république, et ce livre était tout simplement la préface du fameux mémoire Qu’est-ce que la propriété? mis en vente par son auteur, juste au moment où allait s’éteindre la rente triennale servie par madame veuve Suard.

Le pensionnaire de l’académie de Besançon tenait à remercier dignement ses bienfaiteurs, et à leur montrer le profit qu’il avait su tirer de l’étude.

Il leur dédia son œuvre.

« C’était pousser un peu loin l’amour de l’antinomie, dit M. Hippolyte Castille, que d’adresser à d’honnêtes bourgeois de province un ouvrage aussi profondément révolutionnaire. Il n’est pas admissible que M. Proudhon soit pur de toute malice dans cette circonstance. Nous ne saurions y voir qu’une saillie méphistophélique des plus réjouissantes. Ce qui complète le comique de l’histoire, c’est que la bonne académie se fâcha. (8) »

M. Castille a tort de plaisanter sur une chose aussi grave.

Certes, nous ne prétendons pas dire que la pension triennale engageait chez l’écrivain la liberté d’opinion.

Endowed with a remarkable appetite, Pierre-Joseph ate this soup with pleasure; but his friend, who was more delicate, ended up wanting a less indigestible soup, and, as the eatery persisted in the specialty it had won, it was agreed that Proudhon would henceforth return his dinners to John-Bull, place de Rivoli.

At the English caterer, our hero found in a huge dish of potatoes the equivalent of his cabbages.

Dinner cost one franc forty centimes per guest.

To this remarkable sobriety Proudhon joined, or seemed to join, a cenobitic continence. Neither solicitations nor teasing persuaded him to take a step with the scoffers on the side of debauchery. This strange man wrote lines on chastity that one might think had fallen from the pen of a Father of the Church.

“Marriage is exclusive and holy: all fornication is an offense against nature, against persons and against society; reason watches over the senses, conscience imposes a brake. To enjoy is not the end of man.” (7)

Seeing Pierre-Joseph professing such a pure doctrine, one wonders if virtue alone was his adviser.

The leaders of sects, the proud, the vague geniuses, who, from century to century, claim the title of reformers, always seek to pass for chaste. They know how much we admire those who seem above the passions and weaknesses of our poor humanity.

We see there system and calculation, but note even the shadow of virtue.

It suffices to remind M. Proudhon in what circumstances a certain marriage took place at Sainte-Pélagie, to convince him that the angel of legitimate love has not always watched over the bedside of the warmest apostles of continence.

Do you believe, lying sectarians, that we are going to leave this usurped halo intact around your forehead?

The book The Celebration of Sunday, sent by Pierre-Joseph to the Franche-Comté academicians, was received by them rather coldly.

From under the lamb’s fleece already peeked the wolf’s ear.

Proudhon, while concluding on the rest of the seventh day, as hygiene and as duty, declared that equality of conditions alone could decide peoples in the exact observance of the divine law. Without preaching riot, he invoked the republic, and this book was quite simply the preface to the famous memoir What is Property? put up for sale by its author, just when the three-year pension paid by Madame Suard was about to expire.

The resident of the academy of Besançon made a point of thanking his benefactors with dignity, and showing them the profit he had been able to derive from his study.

He dedicated his work to them.

“It was pushing the love of antinomy a little too far,” says M. Hippolyte Castille, “to address to honest provincial bourgeois such a profoundly revolutionary work. It is not admissible that M. Proudhon should be pure of all malice in this circumstance. We can only see in it a most delightful Mephistophelian projection. What completes the comedy of the story is that the good academy got irate.” (8)

Mr. Castille is wrong to joke about such a serious thing.

Certainly, we do not claim to say that the three-year pension curtailed the writer’s freedom of opinion.

Pierre-Joseph, on vous l’accorde, avait le droit de rédiger son œuvre dans le sens le plus révolutionnaire possible et le plus antisocial; mais envoyer à de tranquilles académiciens, à des hommes d’ordre, à ceux qui lui avaient aplani les routes de l’étude ce mémoire incendiaire; mais leur jeter à la face des pages railleuses, insensées, contraires à leurs sentiments connus et à leurs doctrines; mais prendre son livre à deux mains tout exprès pour en souffleter la reconnaissance, voilà ce qu’on lui reprochera sans cesse et toujours comme une action mauvaise.

L’académie, à la suite de longs et solennels considérants, somma son pensionnaire d’effacer du livre la dédicace.

Mais Pierre-Joseph, dont l’orgueil a toujours le dernier mot, même quand pour y parvenir il doit friser l’odieux, remplaça sur la seconde édition les pages absentes par ces lignes aimables :

« Après un arrêt si burlesque, je n’ai plus qu’à prier le lecteur de ne pas mesurer l’intelligence de mes compatriotes à celle de notre académie. »

Proudhon se peint tout entier dans cet épisode de son histoire.

Séparez l’homme de l’écrivain, vous avez une honnête et franche nature, incapable d’excès, modeste, simple, et, disons-le, presque candide.

Chez lui le cœur est excellent; tous les mauvais instincts se sont logés dans la tête.

Penseur précoce, il a cherché de bonne heure la clé des mystères de la vie. Ses premières luttes, ses premières souffrances lui ont donné des convictions tenaces, rivées par l’orgueil à son crâne de fer.

A cheval sur un sophisme et la plume à la main, Pierre-Joseph devient terrible.

L’honnêteté ne le regarde plus; tout lui est bon pour faire triompher ses principes.

Le voilà parti, gare!

Vous ne l’arrêterez ni par le raisonnement, ni par la foi, ni par la conscience. Il se jette en aveugle au travers des institutions les plus saintes, foule aux pieds les lois, les mœurs, les religions, distribue des coups de cravache à la sagesse des siècles, écrase tout sur la route et court droit devant lui, dût-il galoper jusqu’à l’enfer.

L’homme ne vous donnera pas une chiquenaude; mais l’écrivain, si vous avez l’audace de lui résister, vous mangera jusqu’au cœur.

Il se grise avec ses phrases, il s’enivre avec ses paradoxes. Un démenti le fait rugir, une contradiction le rend hydrophobe.

Otez-lui la plume, et vous aurez un gros franc-comtois rubicond, tranquille ment assis au foyer domestique, acceptant le monde, la société, la famille, dormant à ses heures, caressant sa femme et souriant au berceau de ses enfants. (9)

Le socialiste féroce devient un bourgeois paisible, l’ogre boit du lait, le tigre se change en mouton.

C’est fort curieux sans doute; mais ce n’est pas un motif pour accepter ses livres.

A la publication du mémoire sur la propriété, peu s’en fallut que le gouvernement ne se fâchât comme l’Académie. M. Blanqui aîné, professeur d’économie politique au Conservatoire des arts et métiers, intervint fort à propos, et sauva Proudhon de la cour d’assises.

Chargé par le ministre Vivien d’examiner l’ouvrage, il déclara qu’il n’y avait pas lieu d’intenter à l’auteur une action criminelle.

Pierre-Joseph, we grant you, had the right to write his work in the most revolutionary and anti-social sense possible; but to send to tranquil academicians, to men of order, to those who had smoothed the paths of study for him, this incendiary memoir; to throw in their faces mocking, senseless pages, contrary to their known sentiments and to their doctrines; taking his book in both hands expressly to slap them across the face with it, that is what he will be constantly and always reproached for as a bad action.

The academy, following long and solemn recitals, summoned its resident to wipe the dedication from the book.

But Pierre-Joseph, whose pride always has the last word, even when to achieve it it must border on the odious, replaced the missing pages in the second edition with these friendly lines:

“After such a burlesque judgment, I have only to ask the reader not to measure the intelligence of my compatriots against that of our academy.”

Proudhon paints a clear picture of himself in this episode of his history.

Separate the man from the writer, you have an honest and frank nature, incapable of excess, modest, simple, and, let’s face it, almost innocent.

With him the heart is excellent; all the bad instincts have lodged in the head.

A precocious thinker, he early sought the key to the mysteries of life. His first struggles, his first sufferings gave him tenacious convictions, riveted by pride to his iron skull.

Astride a sophism and pen in hand, Pierre-Joseph becomes terrible.

Honesty no longer concerns him; everything is good for him to make his principles triumph.

There he goes, beware!

You will not stop him by reasoning, or by faith, or by conscience. He throws himself blindly through the holiest institutions, tramples on laws, mores, religions, distributes blows of the whip to the wisdom of the centuries, crushes everything on the road and runs straight ahead, even if he gallops to hell.

The man won’t give you a flick of the fingers, but the writer, if you have the audacity to resist him, will eat you to the heart.

He gets drunk with his sentences, gets drunk with his paradoxes. A denial makes him roar, a contradiction renders him rabid.

Take away his pen, and you will have a fat, ruddy Franche-Comtois, quietly seated at the domestic hearth, accepting the world, society, the family, sleeping at his hours, caressing his wife and smiling at the cradle of his children. (9)

The fierce socialist becomes a peaceful bourgeois, the ogre drinks milk, the tiger changes into a sheep.

It is very curious no doubt; but that is no reason for accepting his books.

When the memoir on property was published, the government was nearly as angry as the Academy. M. Blanqui the elder, professor of political economy at the Conservatory of Arts and Crafts, intervened very appropriately, and saved Proudhon from the court of assizes.

Charged by Minister Vivien to examine the work, he declared that there was no reason to institute criminal proceedings against the author.

Voici un passage de la lettre que l’illustre professeur écrivit alors à PierreJoseph :

« Je suis parvenu à retenir le bras séculier en faisant sentir que votre livre était une éloquente dissertation d’académie, et non point un manifeste d’incendiaire. Votre style est trop haut pour jamais servir aux insensés qui discutent dans la rue, à coups de pierres, les plus grandes questions de notre ordre social. »

Il est vrai qu’on les discuta plus tard à coups de fusil.

Nous croyons que l’examinateur du ministre, beaucoup trop occupé de ses cours pour étudier sérieusement l’ouvrage, aura chargé de la besogne monsieur son frère.

Blanqui jeune a plus d’une fois déteint sur Blanqui aîné.

Renonçant à poursuivre Proudhon (10), les ministres de Louis-Philippe cherchèrent à le séduire. C’était dans les mœurs gouvernementales du jour. On lui offrit une chaire à son choix, chaire d’histoire ou d’économie politique.

Pierre-Joseph, comme on le devine fort bien, se donna la gloire de trancher de l’incorruptible.

Mais si le gouvernement s’est montré faible et ne l’a point puni, la société le juge et refuse de l’absoudre.

Écrire sur la première page d’un livre ces mots pleins d’alarmes et de tempêtes: La propriété c’est le vol ! quand on doit finir par ceux-ci: La possession individuelle est la condition de la vie sociale ; cinq mille ans de propriété le démontrent ! Voilà, convenez-en, la distinction la plus tardive et la plus perfide qui ait jamais été griffonnée par un sophiste sous l’œil de l’homme.

Ah! que tu prévoyais bien, rhéteur, l’effet de ces paroles posées par toi tout d’abord en axiome!

Ah! que tu faisais sciemment appel à la menace, à la colère, aux passions de l’envie!

Point d’excuse! ton crime social est aussi visible que les rayons du jour.

Tu savais que le plus grand nombre des lecteurs n’iraient pas jusqu’au bout de ton œuvre; tu savais que l’ignorant, le pauvre, celui qui souffre ici-bas, celui qui n’a rien sous le soleil retiendrait ta première phrase, en ferait son évangile, et l’écrirait comme devise sur le noir drapeau du pillage.

Tu as évoqué pour ta satisfaction personnelle les hideuses furies de la destruction et de la ruine.

Tu as voulu venger ton enfance humiliée, ta jeunesse méconnue. Le fiel débordait de ton âme comme d’une coupe trop pleine, et tu as écrit ce livre en haine des hommes, comme tu devais plus tard en écrire un autre en haine de Dieu.

Pierre-Joseph ne se contenta pas de jeter aux masses inintelligentes ce cri farouche La propriété c’est le vol. Afin de leur ôter jusqu’au germe de l’espérance et de ne plus leur laisser que la rage au cœur, il inventa cet autre axiome : Dieu, c’est le mal.

Ici, nous nous bornons à citer, sans réflexions, sans commentaires.

« Le premier devoir de l’homme intelligent et libre est de chasser incessamment l’idée de Dieu de son esprit et de sa conscience. Car Dieu, s’il existe, est essentiellement hostile à notre nature. Qu’on ne dise plus: Les voies de Dieu sont impénétrables! Nous les avons pénétrées, ces voies, et nous y avons lu en caractères de sang les preuves de l’im puissance, si ce n’est du mauvais vouloir de Dieu.

Here is a passage from the letter that the illustrious professor then wrote to Pierre-Joseph: “I managed to restrain the secular arm by making your book feel like an eloquent academic dissertation, not an incendiary manifesto. Your style is too lofty to ever serve the madmen who discuss in the street, with stones, the greatest questions of our social order.”

It is true that they were discussed later with gunshots.

We believe that the minister’s examiner, much too busy with his courses to seriously study the work, will have entrusted the work to his brother.

The younger Blanqui has rubbed off on the older Blanqui more than once.

Declining to prosecute Proudhon (10), the ministers of Louis-Philippe sought to seduce him. It was in keeping with the governmental customs of the day. He was offered a chair of his choice, chair of history or political economy.

Pierre-Joseph, as you can well guess, welcomed the glory of showing himself incorruptible.

But if the government has shown itself weak and has not punished him, society judges and refuses to absolve him.

To write on the first page of a book these words full of alarms and storms—Property is theft!—when one must end with these: Individual possession is the condition of social life; five thousand years of ownership prove it! This, you must admit, is the latest and most perfidious distinction that has ever been scribbled by a sophist under the eye of man.

Ah! how well you foresaw, rhetorician, the effect of these words first posed by you as an axiom!

Ah! How knowingly you appealed to the threat, to anger, to the passions of envy!

No excuses! Your social crime is as visible as the rays of the sun.

You knew that the greatest number of readers would not follow your work to the end; you knew that the ignorant, the poor, the ones who suffer here below, the ones who have nothing under the sun would remember your first sentence, make it their gospel and write it as a motto on the black flag of pillage.

You have evoked, for your personal satisfaction, the hideous furies of destruction and ruin.

You wanted to avenge your humiliated childhood, your misunderstood youth. The gall overflowed from your soul as from an overfull cup, and you wrote this book in hatred of men, as you were later to write another in hatred of God.

Pierre-Joseph was not satisfied with hurling at the unintelligent masses that fierce cry: Property is theft. In order to deprive them of the very germ of hope and to leave them nothing but rage in their hearts, he invented this other axiom: God is evil.

Here, we limit ourselves to quoting, without reflections, without comments.

“The first duty of the intelligent and free man is to drive the idea of God incessantly from his mind and his conscience. For God, if he exists, is essentially hostile to our nature. Let it be said no more: The ways of God are impenetrable! We have penetrated them, these ways, and we have read there in characters of blood the proofs of the impotence, if not of the ill will of God.

« Un seul instant de désordre, que le Tout-Puissant aurait pu empêcher et qu’il n’a pas empêché, accuse sa providence et met en défaut sa sagesse.

« De quel droit Dieu me dirait-il encore: Sois saint, parce que je suis saint ? Esprit menteur, lui répondrai-je, Dieu imbécile, ton règne est fini; cherche parmi les bêtes d’autres victimes. Pourquoi me trompes-tu ? pourquoi par ton silence as-tu déchaîné en moi l’égoïsme ? pourquoi m’as-tu soumis à la torture du doute universel? doute de la vérité, doute de la justice, doute de la conscience, doute de toi-même, ô Dieu! Les fautes dont nous te demandons la remise, c’est toi qui nous les fais commettre; les pièges dont nous te conjurons de nous délivrer, c’est toi qui les as tendus; et le satan qui nous assiège, ce satan c’est toi !

« Nous étions comme des néants devant ta majesté invisible, à qui nous donnions le ciel pour dais et la terre pour escabeau.

« Et maintenant te voilà détrôné et brisé. Ton nom si longtemps le dernier mot du savant, la sanction du juge, la force du prince, l’espoir du pauvre, le refuge du coupable, eh bien! ce nom, désormais voué au mépris et à l’anathème, sera sifflé parmi les hommes. Car Dieu, c’est sottise et lâcheté ; Dieu, c’est hypocrisie et mensonge; Dieu, c’est tyrannie et misère; Dieu, c’est le mal. »

Depuis le jour où, du fond de l’abîme, les rugissements de l’ange vaincu montèrent au ciel, comme un sombre nuage de malédiction et de blasphème, on n’entendit rien de plus monstrueux et de plus horrible.

Ici, le moraliste épouvanté courbe la tête.

Que répliquer à un écrivain assez perdu d’orgueil ou de folie pour oser imprimer de pareilles lignes? Dieu seul peut lui répondre avec sa foudre, à moins qu’il ne laisse aux hommes le soin de l’envoyer à Bicêtre.

De 1841 à 1846, Proudhon publia ses principaux ouvrages. (11)

Il y révèle une grande force de dialectique, y donne des preuves de talent incontestables et montre une habileté merveilleuse de style, triple danger pour ceux qui seraient tentés de le lire sans avoir l’âme chevillée aux saines croyances et la dose de jugement nécessaire pour triompher du paradoxe.

En temps de révolution, il y a deux is hommes qu’un dictateur doit faire taire, n’importe à quel prix.

C’est Pierre-Joseph et Girardin.

Le premier, parce qu’il a trop de conscience dans le mensonge; le second, parce qu’il n’en a point du tout, même dans la vérité.

Nous savons que notre siècle aime les excentriques. On trouve des excuses à leurs plus folles et à leurs plus coupables manœuvres.

— Bah! disent les uns, Proudhon ne pense pas un mot de ce qu’il écrit.

— Que voulez-vous? reprennent les autres: il faut bien être connu de la foule. C’est l’histoire de l’individu qui décharge un pistolet à sa fenêtre pour mieux fixer ur doit faire les regards des passants. Proudhon, au lieu d’un coup de pistolet, a tiré un coup de canon, rien de plus simple.

Là-dessus on allume un cigare et l’on se promène le nez au vent.

“A single instant of disorder, which the Almighty could have prevented and which he did not prevent, accuses his providence and puts his wisdom at fault.

“By what right would God still say to me: Be holy, because I am holy? Lying spirit, I will answer him, foolish God, your reign is over; seek other victims among the beasts. Why do you mislead me? Why by your silence did you unleash selfishness in me? Why have you subjected me to the torture of universal doubt? Doubt of truth, doubt of justice, doubt of conscience, doubt of yourself, O God! The faults we ask you to forgive, it is you who make us commit them; the snares from which we conjure you to deliver us, it is you who have set them; and the satan who besieges us, that satan is you!

“We were like nothing before your invisible majesty, to which we gave the sky for a canopy and the earth for a stool.

“And now you are dethroned and broken. Your name for so long the last word of the scholar, the sanction of the judge, the strength of the prince, the hope of the poor, the refuge of the guilty, well! this name, henceforth doomed to contempt and anathema, will be hissed among men. For God is foolishness and cowardice; God is hypocrisy and lies; God is tyranny and misery; God is evil.” [The System of Economic Contraditions]

Since the day when, from the depths of the abyss, the roars of the vanquished angel rose to heaven, like a dark cloud of curse and blasphemy, nothing more monstrous and more horrible has been heard.

Here the terrified moralist bows his head.

What can you say to a writer so lost in pride or madness as to dare to print such lines? God alone can answer him with his thunderbolt, unless he leaves it up to men to send him to Bicêtre.

From 1841 to 1846, Proudhon published his principal works. (11)

He reveals a great force of dialectic, gives indisputable proofs of talent and shows a marvelous deftness of style, a triple danger for those who would be tempted to read him without having their soul anchored to sound beliefs and possessing the dose of judgment necessary to overcome the paradox.

In times of revolution, there are two men that a dictator must silence, no matter what the cost.

Those men are Pierre-Joseph and Girardin.

The first, because he has too much conscience in lying; the second, because he has none at all, even in truth.

We know that our century loves eccentrics. Excuses are found for their craziest and most culpable maneuvers.

— Bah! say some, Proudhon does not mean a word of what he writes.

— What do you want? say the others: you have to be well known to the crowd. It is the story of the individual who unloads a pistol at his window to better fix the gaze of passers-by. Proudhon, instead of a pistol shot, fired a cannon shot; nothing could be simpler.

Thereupon they light a cigar and walk around with your nose in the air.

Puis, un beau matin, la société se réveille au bord d’un gouffre. On est frappé d’épouvante, on court aux armes. Pour effacer l’encre des sophistes, on verse des flots de sang.

Mieux valait renverser leur écritoire tout d’abord et briser la plume entre leurs doigts.

Si Proudhon n’a eu d’autre but que de se rendre illustre, en prêchant ses infernales doctrines, il a parfaitement réussi à conquérir la célébrité d’Érostrate.

En 1842, le fils du tonnelier, traduit 1 devant la cour d’assises de Besançon (12), défend lui-même sa cause, émerveille par son éloquence les braves jurés franc-comtois et leur fait voir des étoiles en plein midi.

Le verdict d’acquittement est prononcé.

Pierre-Joseph vend son fonds typographique et cherche un emploi.

Recommandé par un membre influent de la chambre de commerce bisontine, il est appelé à Lyon pour y diriger la grande entreprise des transports par eau sur la Saône et sur le Rhône, fondée par MM. Gauthier frères.

Il déploie dans ces fonctions nouvelles une intelligence rare, une intégrité parfaite, et reçoit de fort beaux honoraires, dont il expédie, comme toujours, la plus forte part à sa famille nécessiteuse.

Dans l’intervalle, il écrit sa brochure économique, intitulée: De la Concurrence entre les chemins de fer et les voies navigables.

Après quatre années de séjour à Lyon, voyant sa bourse assez ronde, PierreJoseph revint à Paris, où les libraires vendaient fort peu de ses ouvrages.

La presse était restée muette pour lui.

Tous les journaux bien pensants organisaient contre le terrible publiciste la conspiration du silence, et les feuilles radicales ne se décidaient pas à caresser le dos rugueux du sanglier de la dialectique, dont elles avaient plus d’une fois déjà reçu les coups de boutoir.

Ainsi les œuvres de Pierre-Joseph n’étaient point descendues des hautes régions de la littérature et de la science, et le public ne se doutait pas qu’elles fussent imprimées, lorsque la révolution de 1848 éclata.

Proudhon, très-éloigné de s’attendre à l’avénement de la république, resta saisi de stupeur, quand elle se montra comme une comète à l’horizon révolutionnaire.

Il fut tenté de lui dire :

— Va-t’en! qui t’appelle? L’heure de ta seconde naissance n’est pas sonnée. Tu ne devais avoir que moi pour parrain !

Toutes réflexions faites néanmoins, il accepta l’accouchement politique et se résigna, sans trop de grimaces, à croquer les dragées du baptême.

«— Ils sont incapables d’organiser la révolution, s’écria-t-il : moi, je m’en charge! »

Aussitôt le Représentant du peuple, feuille très-estimée du carrefour, dresse un piédestal à Pierre-Joseph. On présente ses livres à l’admiration des masses; on les prône, on les commente; ses doctrines obtiennent un succès monstre; la Propriété c’est le vol fait merveille, et voilà Proudhon porté à l’Assemblée nationale sur les épaules populaires.

C’était quelques jours avant l’insurrection de juin.

Jusqu’alors, sous le publiciste, on n’a pas vu percer l’ambitieux. Mais le masque tombe. Pierre-Joseph se pose carrément en chef de parti.

Sa mère vient à mourir, et lui-même avoue (rien ne l’obligeait à une aussi triste confession) que cette mort, au milieu des agitations politiques, n’eut qu’un faible retentissement dans son âme.

Then, one fine morning, society wakes up on the edge of an abyss. We are terrified, we race to arm ourselves. To erase the ink of the sophists, streams of blood are shed.

Better to overturn their writing desk first and break the pen between their fingers.

If Proudhon had no other goal than to make himself famous by preaching his infernal doctrines, he perfectly succeeded in achieving the celebrity of Erostratus.

In 1842, the son of the cooper, brought before the Assize Court of Besançon (12), defended his case himself, amazed the brave Franche-Comté jurors with his eloquence and made them see stars at noon.

The verdict of acquittal is pronounced.

Pierre-Joseph sells his typographic equipment and looks for a job.

Recommended by an influential member of the Bisontine Chamber of Commerce, he was called to Lyon to direct the large water transport company on the Saône and the Rhône, founded by MM. Gauthier brothers.

He displays in these new functions a rare intelligence, a perfect integrity, and receives very handsome fees, of which he sends, as always, the largest part to his needy family.

In the meantime, he wrote his economic pamphlet, entitled: On the Competition Between Railways and Waterways.

After four years of residence in Lyons, seeing his purse quite generous, Pierre-Joseph returned to Paris, where booksellers sold very few of his works.

The press had remained mute regarding him.

All the well-meaning newspapers organized a conspiracy of silence against the terrible publicist, and the radical papers could not make up their minds to caress the rough back of this boar of dialectics, from which they had already received a battering.

So the works of Pierre-Joseph had not descended from the high regions of literature and science, and the public had no idea that they were printed when the revolution of 1848 broke out.

Proudhon, very far from expecting the advent of the republic, was stupefied when it appeared like a comet on the revolutionary horizon.

He was tempted to say to it: 

“Go away! who is calling you? The hour of your second birth has not sounded. You should only have me as your godfather!”

All things considered, however, he accepted the political birth and resigned himself, without too many grimaces, to munching on the baptismal dragees.

“They are incapable of organizing the revolution,” he exclaimed.

Immediately the Représentant du peuple, a highly esteemed sheet of the crossroads, erects a pedestal for Pierre-Joseph. His books are presented to the admiration of the masses; they are extolled, commented on; his doctrines obtain a monster success; Property is theft works wonders, and here is Proudhon carried to the National Assembly on the shoulders of the people.

It was a few days before the June uprising.

Until then, behind the publicist, we have not seen the ambitious man break through. But the mask falls. Pierre-Joseph poses squarely as a party leader.

His mother died, and he himself admits (nothing forced him to make such a sad confession) that this death, in the midst of political agitations, had only a weak repercussion in his soul.

Oh! monsieur! vous que nous citions tout à l’heure comme un modèle de piété filiale !

Chaque matin, à cette époque, les habitants de la rue Mazarine, logés en face du n° 70, voyaient au dernier étage de l’hôtel de la Côte-d’Or (13), et dans la plus modeste de ses mansardes, un homme d’une quarantaine d’années, à la face pleine et fraîche, aux cheveux rares, au front large et découvert, écarter les rideaux de sa petite fenêtre, y accrocher un miroir, se barbouiller le menton d’une mousse savonneuse et se raser tranquillement sous l’oeil des voisins.

Habillé d’une veste grise qui lui tenait lieu de robe de chambre (14), cet homme, que chacun prenait pour un marchand de vins retiré, n’était rien autre que l’illustre citoyen Proudhon.

L’Hôtel de la Côte-d’Or fut témoin d’une scène assez curieuse, le jour où les élus du peuple furent proclamés.

Par les ordres de la maîtresse du garni, on enleva de la mansarde du nouveau représentant tous les effets à son usage, et on les descendit au premier dans la plus belle chambre de la maison.

Quand Pierre-Joseph rentra, ce déménagement le mit en colère.

Il tenait à sa mansarde, moins par économie que par force d’habitude. (15)

— Eh! monsieur Proudhon, dit l’hôtesse matoise, je veux tâter un peu de vos vingt-cinq francs! Faites aller le commerce, croyez-moi; c’est le salut de la république.

La raison était péremptoire.

Pierre-Joseph prit en grognant la clé de sa nouvelle chambre et s’y installa.

Nous tenons de source certaine qu’il distribuait alors en secours plus de la moitié de ses honoraires. Il n’oubliait ni sa première condition ni ses premiers travaux, et venait surtout en aide aux ouvriers compositeurs dans la détresse.

Sur les bancs de l’Assemblée nationale, avec ses doctrines, son humeur querelleuse et son orgueil, Proudhon ne tarda pas à s’attirer de méchantes affaires.

Chacun se rappelle encore ce joli projet d’impôt sur le revenu, dont la chambre fit justice.

On put voir aux prises, ce jour-là, MM. Thiers et Proudhon.

La taquinerie lutta contre la rudesse, l’esprit contre l’audace, la mouche contre le taureau.

Harcelé par les piqûres du microscopique orateur, furieux, essoufflé, mugissant, Proudhon s’élance à la tribune, lâche tous les tonnerres de sa voix, attaque l’ordre social avec délire, en fait un amas de décombres, y traîne par les cheveux la propriété pantelante, et la soufflette sur les deux joues aux cris de scandale de ses collègues.

Jamais tumulte plus inexprimable n’eut lieu dans une assemblée d’hommes.

Thiers déclare qu’il n’est pas de sa dignité ni de celle de la représentation nationale de répondre à une semblable diatribe.

On l’applaudit énergiquement et l’on se hâte d’enterrer le projet dans les catacombes de l’ordre du jour.

Un homme, un seul, eut le courage d’appuyer Pierre-Joseph de son vote. Ce fut Greppo, noble citoyen, dont le nom, pour ce fait inouï, passera dans l’histoire.

Proudhon reconnaissant emmena diner, au Palais-Royal, son héroïque minorité.

La chambre, à partir de ce jour, frappa le violent orateur d’une espèce d’ostracisme. On l’isolait avec Greppo sur un banc de la gauche, et les montagnards eux-mêmes l’avaient en abomination profonde.

Oh, sir! You whom we cited earlier as a model of filial piety!

Every morning, at that time, the inhabitants of rue Mazarine, housed opposite no. 70, saw on the top floor of the Hôtel de la Côte-d’Or (13), and in the most modest of its attics, a man of about forty, with a full, fresh face, scanty hair, a broad, uncovered forehead, draw back the curtains of his little window, hang a mirror there, slather his chin with a soapy lather and shave quietly under the eyes of the neighbors.

Dressed in a gray jacket that served as his dressing gown (14), this man, whom everyone took for a retired wine merchant, was none other than the illustrious Citizen Proudhon.

The Hôtel de la Côte-d’Or witnessed a rather curious scene on the day when the elected representatives of the people were proclaimed.

By the orders of the mistress of the bedsit, they removed from the attic of the new representative all the effects for his use, and they lowered them to the first floor in the finest room of the house.

When Pierre-Joseph returned, this move made him angry. He clung to his attic, less from economy than from force of habit. (15) 

“Well! Monsieur Proudhon,” said the cunning hostess, “I want to try a little of your twenty-five francs! Get the trade going, believe me; it is the salvation of the republic.”

The reason was compelling.

Pierre-Joseph grumbling took the key to his new room and settled in.

We have heard from certain sources that he then distributed more than half of his fees in relief. He forgot neither his first condition nor his first works, and above all came to the aid of working typesetters in distress.

On the benches of the National Assembly, with his doctrines, his quarrelsome temper and his pride, Proudhon was not long in attracting bad business.

Everyone still remembers that pretty plan for a tax on income, to which the chamber did justice.

On that day, you could see Thiers and Proudhon grapple.

Malice fought against roughness, wit against audacity, the fly against the bull.

Harassed by the stings of the microscopic orator, furious, out of breath, roaring, Proudhon rushes to the rostrum, unleashes all the thunders of his voice, attacks the social order with delirium, turns it into a heap of rubble, drags by the hair the panting property, and strikes it on both cheeks to the cries of scandal from his colleagues.

Never was there a more inexpressible tumult in an assembly of men.

Thiers declares that it is not in his dignity nor that of the national representation to respond to such a diatribe.

They applaud it energetically and hasten to bury the project in the catacombs of the order of the day.

One man, only one, had the courage to support Pierre-Joseph with his vote. It was Greppo, a noble citizen, whose name, for this unheard of fact, will go down in history.

Grateful Proudhon took his heroic minority to dinner at the Palais-Royal.

The chamber, from that day on, struck the violent orator with a kind of ostracism. They isolated him with Greppo on a bench on the left, and the montagnards themselves held him in deep abomination.

Un banquet de frères et amis s’organise quelques semaines plus tard. On veut bien y souscrire, mais à l’expresse condition que Pierre-Joseph ne sera point invité.

Se voyant en butte aux colères du parti républicain, notre héros, comme toutes les natures opiniâtres et brutales, s’enfonce plus résolument encore dans sa doctrine répulsive.

Le soir où ses collègues, pâles d’épouvante, écoutent le bruit sinistre du canon de juin, Proudhon quitte l’assemblée d’un air joyeux, rentre chez lui, s’habille comme pour une fête et se dirige du côté de la Bastille, afin d’admirer de plus près la sublime horreur de la canonnade.

Ce sont là ses propres expressions, nous n’y changeons rien.

Si la capitale du monde civilisé n’est pas aujourd’hui un monceau de ruines, si la France existe encore et n’est pas devenue la proie d’une autre invasion de barbares, ce n’est point, certes, au système politique et social de Pierre-Joseph que nous devons le salut.

Supprimé pour les articles qu’il emprunte à la plume du grand prêtre socialiste, le Représentant du peuple renaît presque aussitôt de ses cendres.

Il s’intitule Le Peuple, et nomme Proudhon son rédacteur en chef. (16)

Ayant entre les mains une plume quotidienne, le premier soin de notre héros est d’attaquer ces maroufles de montagnards qui l’ont méconnu.

Félix Pyat trouvant, un jour, que Pierre-Joseph, en relatant les épisodes d’un banquet rouge, lui a prêté un rôle ridicule, va droit à lui dans les couloirs de la chambre, l’apostrophe énergiquement et le somme d’insérer une rectification.

Proudhon se retourne, et, pour toute réponse, lui administre un énorme coup de poing sur la tête.

Moins rustique ou plus parlementaire, Pyat riposte par un soufflet.

Une véritable partie de boxe s’engage. Les amis s’interposent. On retire le jeune montagnard, à demi étranglé, des mains du robuste socialiste.

Il est convenu que l’affaire doit suivre la voie des armes; rendez-vous est pris pour le lendemain, au bois de Boulogne.

Mais le Peuple tremble pour son rédacteur en chef. On ne laisse pas au roi du socialisme la libre disposition de sa vie, et la police, prévenue, s’oppose au duel. Chaque fois que les adversaires arrivent sur le terrain, des agents débusquent autour d’eux et les empêchent de se battre.

Enfin, le 1er décembre, on parvient à déjouer toute surveillance, et quatre coups de pistolet s’échangent sans qu’il y ait mort d’homme.

Les témoins, par un sentiment de prudence fort louable, avaient sans doute glissé dans les canons des balles de liége.

Ce système de cartouches est assez généralement adopté dans les duels politiques.

Une caricature représenta, le jour même, Pyat et Proudhon se battant, nor pas au pistolet, mais à coups de poing Leur explication semblait fort vive, e l’on pouvait lire, au bas du dessin, cette réjouissante et spirituelle légende :

« Le Socialisme et la Montagne se donnant la main….. sur la figure. »

On commençait à comprendre quel fouet du ridicule seul pouvait châtier cer tains apôtres, et Pierre-Joseph recevrai de la province des manifestations écrites du genre de celle-ci :

A banquet of brothers and friends is organized a few weeks later. They agree to subscribe to it, but on the express condition that Pierre-Joseph will not be invited.

Seeing himself the target of the anger of the republican party, our hero, like all obstinate and brutal natures, sinks even more resolutely into his repulsive doctrine.

The evening when his colleagues, pale with terror, listen to the sinister noise of the cannon of June, Proudhon leaves the assembly with a joyful air, returns home, dresses as for a party and heads towards the Bastille, in order to admire more closely the sublime horror of the cannonade.

These are his own expressions; we haven’t changed a thing.

If the capital of the civilized world is not today a heap of ruins, if France still exists and has not become the prey of another invasion of barbarians, it is certainly not to the political and social system of Pierre-Joseph that we owe salvation.

Suppressed for the articles it borrows from the pen of the socialist high priest, Le Représentant du peuple is reborn almost immediately from its ashes.

It is called Le Peuple, and names Proudhon its editor-in-chief. (16)

Having in his hands a daily pen, the first care of our hero is to attack these rogues of the Mountain who misunderstood him.

Félix Pyat finding, one day, that Pierre-Joseph, while recounting the episodes of a red banquet, had lent him a ridiculous role, goes straight to him in the corridors of the chamber, apostrophizes him energetically and orders him to insert a correction.

Proudhon turns around and, in response, gives him a huge blow of his fist to the head.

Less rustic or more parliamentary, Pyat responds with a slap.

A real boxing match begins. Friends intervene. The young montagnard, half strangled, was taken out of the hands of the robust socialist.

It is agreed that the matter should go the way of arms; an appointment is made for the next day, in the Bois de Boulogne.

But Le Peuple trembles for its editor-in-chief. The king of socialism is not left free to dispose of his life, and the police, informed, oppose the duel. Each time the opponents arrive on the field, agents flush out around them and prevent them from fighting.

Finally, on December 1, they manage to thwart all surveillance, and four pistol shots are exchanged without any death.

The witnesses, out of a praiseworthy feeling of prudence, had no doubt slipped cork balls into the barrels.

This cartridge system is fairly generally adopted in political duels.

A caricature represented, the same day, Pyat and Proudhon fighting, not with a pistol, but with their fists. Their explanation seemed very lively, and one could read, at the bottom of the drawing, this joyful and witty caption:

“Socialism and the Mountain giving one another their hands… to the face.”

We were beginning to understand what whip of ridicule alone could chastise certain apostles, and Pierre-Joseph would receive from the provinces written manifestations such as this:

APOLOGUE.

« Quelle est donc l’excuse de M. Proudhon, devant son pays déchiré et devant l’histoire qui le jugera ? »

Jules Breynat.

Dans un des faubourgs de Paris
Proudhon passait, un jour de fête.
Il avait, le matin, comme un bourgeois honnête,
De l’elbeuf qu’il portait fort bien réglé le prix.
Un mendiant, couvert de crotte,
Va droit à lui, disant : De votre redingote
La couleur, citoyen, me plaît… donnez-la-moi;
Elle semble faite à ma taille.
Proudhon repart :Comment, canaille!
Ce vêtement n’est pas à toi;
Je l’ai payé, j’en suis le maître.
— Oh! j’ai l’honneur de vous connaître!
Dit à Proudhon notre homme, et j’observe vos lois.
N’avez-vous pas au moins répété deux cents fois
Que le peuple, dans sa misère,
Devait tomber sur le propriétaire?
Il vous en cuira, maître fol.
Je suis pauvre, avec vous je troque;
Donnez-moi donc votre défroque :
« La propriété c’est le vol! »
GUYOT, 
Capitaine d’artilleric.
Grenoble, 2 septembre.

APOLOGUE.

“What then is M. Proudhon’s excuse, before his torn country and before the history that will judge him?”

Jules Breynat.

In one of the suburbs of Paris Proudhon was passing on a day of celebration.  He had, in the morning, like an honest bourgeois, The beef he wore settled the price very well. A beggar, covered in dung,  went straight up to him, saying: Your frock coat, its color, citizen, pleases me… give it to me; It seems made to my size. Proudhon leaves: What, scoundrel! This garment is not yours; I paid for it, I am the master of it. — Oh! I am honored to know you! Said our man to Proudhon, and I observe your laws. Haven’t you repeated at least two hundred times that the people, in their misery, had to fall on the owner? He’ll give you a damn, mad master. I am poor, with you I barter; So give me your cast-off: “Property is theft!”

GUYOT, artillery captain.
Grenoble, September 2.

A Paris, c’était autre chose.

La fameuse brochure du Droit au travail et du Droit à la propriété stimula deux auteurs dramatiques, et le Français né malin courut applaudir au Vaudeville une bouffonnerie désopilante, où Pierre-Joseph, sous la forme de l’antique serpent, commençait à poursuivre les propriétaires dans l’Éden, s’acharnait ensuite après eux de siècle en siècle, et tuait le dernier de tous sur les ruines du monde.

Proudhon ne dut pas être excessivement flatté de cette pièce; néanmoins il ne voulut pas que le ministre de l’intérieur en suspendit les représentations.

S’attribuant le droit de tout dire et ne le déniant à personne, pas même à Clairville-Aristophane, il donna cette leçon de logique à tous les Girardin passés, présents et futurs.

On ne s’attend pas à nous voir analyser ici les statuts de la banque d’échange et ceux de la banque du peuple, double chaos financier sur lequel Proudhon ne prononça jamais le Fiat lux.

Un antagoniste redoutable, M. Frédéric Bastiat, rompit une lance, au sujet du crédit gratuit, avec le fougueux dialecticien et lui fit perdre les arçons.

Vaincu sur toute la ligne, enseveli sous les décombres de ses systèmes, désespéré, plein de rancune et de fiel, Pierre-Joseph, ne sachant plus à qui s’en prendre, attaqua le président de la république avec une violence injurieuse, et se fit condamner par la cour d’assises à trois ans de prison.

Il fut arrêté le 5 juin 1849, au moment où il allait se réfugier en Suisse.

A Sainte-Pélagie, le premier soin de Proudhon fut de s’isoler de ses co-détenus, qu’il regardait pour la plupart comme des êtres sans principes et dénués de sens moral.

Ceux-ci se vengèrent de ses dédains en le calomniant. Ils ont prétendu que l’auteur de la Création de l’ordre acceptait le rôle d’espion de M. Carlier.

La vérité, — c’est à nous de la dire, — est que ces hommes ont impudemment menti.

Proudhon donnait au préfet de police des conseils très-sages sur certaines réformes économiques, telles que la liberté de la boucherie, la vente à la criée, etc. Il répondait à ceux que cette conduite paraissait surprendre :

—« Que m’importe que le bien arrive par mes ennemis, pourvu que le bien se fasse? »

Carlier, reconnaissant et plein de confiance en cette nature honnête, laissait Pierre-Joseph sortir à sa guise et sans suite. Fidèle à sa parole comme un ancien chevalier, notre héros, après ses courses en ville, revenait se mettre sous les verrous.

Son mariage eut lieu dans la chapelle même de la prison, et l’aumônier de Sainte-Pélagie baptisa ses deux enfants, au grand scandale des républicains, qui le surnommèrent dès lors le socialiste bigot.

La femme de Pierre-Joseph demeurait rue de la Fontaine, tout en face de la prison. Très-souvent le captif allait passer la nuit chez elle et ne rentrait que le lendemain dans sa cellule.

Voilà ce qui mettait nos démocrates en rage.

Ajoutez à cela que Proudhon refusait de leur ouvrir sa bourse, et vous aurez l’explication de leur haine et de leurs calomnies.

In Paris, it was otherwise.

The famous brochure on The Right to Work and the Right to Property stimulated two playwrights, and the clever-born Frenchman ran to applaud at the Vaudeville a hilarious farce, in which Pierre-Joseph, in the form of the ancient serpent, began to pursue the proprietors in Eden, then pursued them from century to century, and killed the last of all on the ruins of the world.

Proudhon could not have been excessively flattered by this play; nevertheless he did not want the Minister of the Interior to suspend  the performances.

Claiming the right to say everything and denying it to no one, not even Clairville-Aristophanes, he gave this lesson in logic to all the Girardins past, present and future.

You should not expect to see us analyzing here the statutes of the exchange bank and those of the people’s bank, a double financial chaos on which Proudhon never pronounced Fiat lux.

A formidable antagonist, M. Frédéric Bastiat, broke a lance, on the subject of free credit, with the fiery dialectician and caused him to lose his saddle.

Defeated down the line, buried under the rubble of his systems, desperate, full of resentment and gall, Pierre-Joseph, no longer knowing who to blame, attacked the President of the Republic with insulting violence, and was sentenced by the Assize Court to three years in prison.

He was arrested on June 5, 1849, when he was going to take refuge in Switzerland.

At Sainte-Pélagie, Proudhon’s first care was to isolate himself from his fellow prisoners, whom he regarded for the most part as beings without principles and devoid of moral sense.

They avenged themselves for his disdain by slandering him. They claimed that the author of The Creation of Order accepted the role of spy from Mr. Carlier.

The truth—it is for us to tell—is that these men shamelessly lied.

Proudhon gave the prefect of police very wise advice on certain economic reforms, such as the freedom of butchery, sale by auction, &c. He replied to those who seemed surprised by this conduct:

“What does it matter to me that good comes through my enemies, provided good is done?”

Carlier, grateful and full of confidence in this honest nature, let Pierre-Joseph go out as he pleased and without further guards. True to his word, like an ancient knight, our hero, after his shopping in town, returned to lock-up.

His marriage took place in the very chapel of the prison, and the chaplain of Sainte-Pélagie baptized his two children, to the great scandal of the Republicans, who henceforth nicknamed him the sanctimonious socialist.

Pierre-Joseph’s wife lived in the rue de la Fontaine, directly opposite the prison. Very often the captive went to spend the night at her house and did not return to his cell until the next day.

This is what infuriated our democrats.

Add to this that Proudhon refused to open his purse to them, and you will have the explanation of their hatred and their calumnies.

Notre héros écrivit à Sainte-Pélagie ses Confessions d’un révolutionnaire et son livre qui a pour titre : Idée générale de la révolution au XIXe siècle. Un troisième ouvrage, les Idées révolutionnaires, est tout simplement le recueil de ses articles de journaux.

Il sortit de prison le 4 juin 1852.

Depuis cette époque il a publié la Révolution sociale démontrée par le coup d’État du 2 décembre, et un remarquable Manuel des opérations de Bourse, où il flétrit énergiquement l’agiotage. Il vit aujourd’hui dans la retraite, sans autres ressources que celles que lui donne sa plume. (17)

Tel fut le dénouement de la lutte insensée entreprise par cet homme, à qui, certes, on ne refusera ni le talent ni le génie.

Nous avons eu la curiosité de voir de près l’ogre socialiste, avant de terminer son histoire, en le prévenant toutefois que nous restions intrépidement son adversaire, et que notre démarche n’engageait pas une seule de nos phrases.

Il ne s’attendait assurément point à cette visite, il ne pouvait être sur ses gardes.

Eh bien, nous n’avons pas à effacer une ligne de ce qui précède.

L’honorabilité du personnage est incontestable. Dans tout son extérieur, si nous pouvons nous exprimer de la sorte, il y a comme un reflet de loyauté visible à l’œil nu.

Mais le penseur vous épouvante et vous écrase.

On reste confondu de la bonne foi terrible avec laquelle il vous explique ses plans de renovation sociale; on se heurte à son orgueil comme à un bloc d’airain.

Proudhon croit à l’infaillibilité suprême de la raison de l’homme.

Ce vers de terre, cel atome daigne admettre Dieu comme hypothèse, en attendant qu’il le démolisse et s’installe à sa place sur le trône de l’immensité. (18)

Pour argumenter avec le Jéhovah franc-comtois, il faut d’abord se convaincre que « la pitié, le bonheur et la vertu, de même que la patrie, la religion et l’amour, sont des masques. (19) »

Il prétend que le christianisme est une vieillerie, quelque chose qui se disloque et tombe en poudre.

Jusqu’ici M. Proudhon n’a fait que des ruines; mais soyez sans crainte, il promet de vous rendre quelque chose de bien supérieur à l’Évangile.

Quoi donc ? allez-vous demander.

Vous êtes trop curieux. M. Proudhon ne le sait pas lui-même : il cherche !

Et tu crois, chirurgien audacieux, que la société se laissera de nouveau fouiller les flancs avec ton scalpel?

Un scalpel, non ; c’est un couteau de boucher que tu as entre les mains. Tu égorges d’abord, et tu cherches ensuite le moyen de ressusciter le cadavre.

Grand merci, puissant philosophe!

Justice est faite de tes doctrines. Plus le pays te reconnaît de talent, plus il te juge coupable.

En évoquant le matérialisme, en préconisant les instincts du ventre, en nous disant de ne rien espérer au delà de ce monde, en excitant le pauvre contre le riche, tu avais des chances de réussir et de bouleverser tout.

Mais Dieu a permis que tu fusses aveuglé par l’orgueil et par la colère, deux passions incapables de rien fonder chez les hommes et qui n’ouvrent que des abîmes.

FIN.

Our hero wrote at Sainte-Pélagie his Confessions of a Revolutionary and his book entitled: General Idea of the Revolution in the 19th Century. A third work, the Revolutionary Ideas, is quite simply the collection of his newspaper articles.

He was released from prison on June 4, 1852.

Since that time he has published The Social Revolution Demonstrated by the Coup d’Etat of December 2, and a remarkable Manual of Stock Exchange Operations, in which he vigorously condemns speculation. He now lives in retirement, with no resources other than those provided by his pen. (17)

Such was the outcome of the senseless struggle undertaken by this man, to whom, certainly, neither talent nor genius will be denied.

We had the curiosity to see the socialist ogre up close, before finishing his story, warning him however that we remained intrepidly his adversary, and that our approach did not involve a single one of our sentences.

He was certainly not expecting this visit; he could not be on his guard.

Well, we don’t have to delete a line from the above.

The reputation of the character is indisputable. In all his exterior, if we can express ourselves in this way, there is a reflection of faithfulness visible to the naked eye.

But the thinker terrifies you and crushes you.

One remains confounded by the terrible good faith with which he explains to you his plans for social renewal; you come up against his pride like a block of bronze.

Proudhon believes in the supreme infallibility of human reason.

This earthworm, this atom deigns to admit God as a hypothesis, while waiting to demolish it and settle in its place on the throne of immensity. (18)

To argue with the Franc-Comtois Jehovah, one must first be convinced that “pity, happiness and virtue, as well as country, religion and love, are masks.” (19)

He claims that Christianity is an old thing, something that is falling apart and crumbling.

So far M. Proudhon has only made ruins; but have no fear, he promises to return to you something far superior to the gospel.

“What?” will you ask.

You are too curious. M. Proudhon does not know it himself: he is looking!

And do you think, audacious surgeon, that society will let itself be probed again with your scalpel?

A scalpel, no; it’s a butcher’s knife you have in your hands. You cut the throat first, and then you look for a way to resuscitate the corpse.

Many thanks, mighty philosopher!

Justice has been done to your doctrines. The more the country recognizes your talent, the more it judges you guilty.

By evoking materialism, by advocating the instincts of the belly, by telling us not to hope for anything beyond this world, by exciting the poor against the rich, you had a chance of succeeding and upsetting everything.

But God has allowed you to be blinded by pride and anger, two passions incapable of founding anything in men, which only open up abysses.

END.

(1) Ils sont presque tous originaires de Chanans, paroisse de Nods (Doubs).

(2) De la Création de l’ordre.

(3) Maintenant encore, il saisit avec empressement toutes les occasions de parler théologie, afin de vous expliquer comme quoi il est parvenu à réformer cette science et à la rendre intelligible. Le catholicisme lui en sait un gré infini.

(4) Cette œuvre faisait suite à celle de l’abbé Bergier, qui a pour titre Éléments primitifs des langues, et contenait, chose bizarre! d’éloquentes manifestations religieuses, destinées sans doute à rendre l’académie favorable à l’auteur. Ce qui arriva par la suite est assez curieux. Proudhon, continuant à Paris ses études de linguistique, remania son premier travail et le présenta à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, en l’intitulant Essai sur les catégories grammaticales. L’Académie mentionna très-honorablement l’ouvrage; mais, sous prétexte qu’il n’en était pas assez satisfait lui-même, Proudhon refusa de le livrer au public, et fit vendre chez un épicier toute l’édition imprimée à Besançon. C’était fort bien. Par malheur, en 1848, à l’époque du plus grand retentissement des doctrines antichrétiennes de Pierre-Joseph, un libraire de sa ville natale retrouve les feuilles dans l’arrière-boutique de l’épicier, les rachète, en fait des volumes et les vend avec le nom de Proudhon, qui avait cru convenable de garder l’anonyme. Jugez de l’effet de cette publication inattendue! L’auteur du livre se fâche, et le tribunal de commerce condamne l’éditeur à la destruction des exemplaires. Mais celui-ci s’adresse à la cour d’appel. Tout le clergé de Besançon prend fait et cause pour lui. On explique les motifs de la con duite de l’écrivain; ses pages en faveur de la religion sont lues en plein tribunal, et les juges, écartant le point de droit pour statuer sur le fait, donnent gain de cause au libraire. M. Proudhon resta chrétien par arrêt de la cour, et vraiment la justice franc-comtoise ne manque pas d’esprit.

(5) Il s’est marié, en 1849, avec mademoiselle Piedgard, fille du légitimiste de la rue des Prouvaires.

(6) Il est l’auteur d’un livre de jurisprudence qu’un homme très-connu signa.

(7) Au moment de ses plus grandes violences socialistes, Proudhon combattit le burlesque système d’émancipation féminine, prêché par Pierre Leroux. Il l’envoyait à Charenton avec ses commères (sic), et répétait chaque jour ce sage aphorisme : Ménagère ou courtisane, il n’y a point pour la femme de milieu. Nous demandons qu’on resserre autour d’elle les liens de la famille, seule sauvegarde de la pudeur et de la chasteté. » Un jour, une de ces femmes avides d’émancipation s’avise de lui écrire une longue lettre au sujet des droits dont on déshérite son sexe. Proudhon lui répond:

« Mademoiselle,

« Vous me ferez plaisir de ne pas m’entretenir de vos opinions politiques et religieuses. Outre que je n’admets pas qu’une femme entende rien à ces sortes de choses, j’ai assez de mes conférences avec le public, sans infester ma vie privée de toutes ces épines.

« Je vous salue sincèrement.

« P.-J. PROUDHON. »

(8) Les Hommes et les Mœurs, page 253.

(9) La vie privée de Proudhon est inattaquable. Son intérieur est patriarcal. Il habite, rue d’Enfer, un modeste appartement au rez-de-chaussée, où tout respire la paix et l’ordre. Rentré chez lui, Pierre-Joseph semble secouer sur le seuil de la porte tout ce qu’il y a de despotisme et de violence dans son caractère public. Lorsqu’il loua ce logement près du Luxembourg, le propriétaire de l’immeuble, terrifié d’apprendre qu’il allait abriter Proudhon, voulut chasser son concierge, et s’opposa de la façon la plus énergique à l’emménagement du chef socialiste. — Allons, allons, dit celui-ci, je m’engage à vous payer toujours six mois d’avance; entendons-nous! Et ils s’entendirent.

(10) L’auteur du livre sur la Propriété fit alors une espèce d’amende honorable, qui avait pour unique but de sauver son livre de la saisie. Peu lui importait une contradiction, pourvu que le Mémoire subsistât. L’écrivain, au besoin, devient hypocrite et recourt à la ruse pour sauver le principe. « Ma dialectique ab irato, disait-il, aura manqué son effet sur quelques intelligences paisibles : quelque pauvre ouvrier, plus ému de mes sarcasmes que de la solidité de mes raisons, aura conclu peut-être que la propriété est le fait d’un machiavélisme des gouvernants contre les gouvernés, déplorable erreur dont mon livre lui-même est la meilleure réfutation. » Rien n’est moins sincère que cette phrase. Proudhon ne se gênait pas alors pour dire très-haut ce qu’il n’osait plus écrire. Ainsi le communiste Charles Teste lui-même croyait entendre la trompette du jugement dernier et frissonnait de terreur quand Pierre-Joseph lui expliquait ses plans de réforme. Il le quittait en disant : Quelle audace! quel orgueil !… C’est le diable!

(11) En voici les titres : Avertissement aux propriétaires, Organisation du crédit, — De la Création de l’ordre dans l’humanité, Système des contradictions économiques, Solution du problème social, etc. Après 1848, il imprima la brochure du Droit au travail et le Résumé de la question sociale (Banque d’échange), le tout édité par Garnier frères, Palais-Royal. –

(12) Il avait à répondre de celle de ses brochures qui a pour titre Avertissement aux propriétaires.

(13) Cet hôtel n’existe plus.

(14) Proudhon a toujours affecté dans son costume une grande négligence. Un chapeau très-bas et à larges bords, un paletot digne de la coupe inexpérimentée d’un tailleur de village, un pantalon qui n’atteint jamais la cheville, une cravate en corde et des souliers empruntés à M. Dupin forment sa plus élégante toilette. A Sainte-Pélagie, il se donna la jouissance d’une rusticité absolue, porta la blouse et se chaussa d’énormes sabots bourrés de paille.

(15) Il s’attache aux personnes et aux lieux avec une grande constance. Vous ne soutiendrez pas impunément devant lui qu’il y a un pays plus beau que le sien, une population plus intelligente que celle de la Franche-Comté. Quelqu’un lui vantait un jour la culture facile de la Beauce. Il s’écria dans son langage de Titan « Chez nous on attelle vingt boeufs à une charrue et on laboure du granit! » C’est lui qui a dit encore: « Dans mon pays, quand un homme a une idée, il meurt avec ! »

(16) Le Peuple s’est vendu quotidiennement jusqu’à soixante et soixante-dix mille exemplaires. A l’époque où ce journal réalisait les bénéfices les plus considérables, Proudhon ne prit jamais la caisse plus de cinq francs par jour pour ses besoins personnels, et, le cautionnement de la feuille ayant été saisi à la suite d’une condamnation judiciaire, il rapporta, le soir même, ce cautionnement (24,000 fr.) à l’imprimeur qui l’avait fourni.

(17) L’année dernière, il a failli mourir du choléra; le docteur Crétin l’a sauvé par l’homœopathie.

(18) Voir le Système des contradictions économiques, Ier volume, pages 26 et 382.

(19) Ibid., page 38.

1) They are almost all from Chanans, parish of Nods (Doubs).

(2) Of the Creation of Order.

(3) Even now, he eagerly seizes every opportunity to speak of theology, in order to explain to you how he has succeeded in reforming this science and making it intelligible. Catholicism is infinitely grateful to him for it.

(4) This work was a follow-up to that of Abbé Bergier, which is entitled Elements primitifs des langues, and contained, oddly enough! eloquent religious manifestations, no doubt intended to make the academy favorable to the author. What happened next is quite curious. Proudhon, continuing his studies in linguistics in Paris, reworked his first work and presented it to the Academy of Inscriptions and Belles-Lettres, entitling it Essai sur les catégories grammaticales. The Academy mentioned the work very honorably; but, on the pretext that he was not sufficiently satisfied with it himself, Proudhon refused to deliver it to the public, and had the entire printed edition sold at a grocer’s in Besançon. It was very good. Unfortunately, in 1848, at the time when the anti-Christian doctrines of Pierre-Joseph were making the greatest noise, a bookseller in his native town found the sheets in the back of the grocer’s shop, bought them, made volumes and sells them with the name of Proudhon, who had thought it appropriate to remain anonymous. Judge the effect of this unexpected publication! The author of the book gets angry, and the commercial court orders the publisher to destroy the copies. But this one is for the Court of Appeal. All the clergy of Besançon take up the cause for him. The reasons for the conduct of the writer are explained; his pages in favor of religion are read in full court, and the judges, setting aside the point of law to rule on the fact, give the bookseller his case. Proudhon remained a Christian by judgment of the court, and Franche-Comté justice really does not lack spirit.

(5) He married, in 1849, Mademoiselle Piedgard, daughter of a legitimist of the rue des Prouvaires.

(6) He is the author of a book of jurisprudence signed by a well-known man.

(7) At the time of his greatest socialist violence, Proudhon fought the burlesque system of female emancipation, preached by Pierre Leroux. He sent her to Charenton with his gossips (sic), and repeated this wise aphorism every day: Housewife or courtesan, there is no middle ground for the woman. We ask that the ties of the family be tightened around her, the only safeguard of modesty and chastity. One day, one of these women eager for emancipation takes it into their heads to write him a long letter about the rights of which their sex is disinherited. Proudhon replies:

“Miss,

“You will please me not to talk to me about your political and religious opinions. Besides the fact that I don’t allow a woman to know anything about these sorts of things, I have had enough of my lectures with the public, without infesting my private life with all these thorns.

“I sincerely greet you.

“PJ PROUDHON. »

(8) Les Hommes et les Mœurs, page 253.

(9) Proudhon’s private life is unassailable. Its interior is patriarchal. He lives, rue d’Enfer, in a modest apartment on the ground floor, where everything breathes peace and order. Back home, Pierre-Joseph seems to shake off all the despotism and violence in his public character on the threshold. When he rented this accommodation near the Luxembourg, the owner of the building, terrified to learn that he was going to shelter Proudhon, wanted to drive out his caretaker, and opposed in the most energetic way to the moving in of the socialist leader. — “Come, come,” said the latter, “I promise to pay you always six months in advance; do we understand each other!” And they got along.

(10) The author of the book on Property then made a kind of honorable amends, which had the sole purpose of saving his book from seizure. A contradiction mattered little to him, provided the Memoir survived. The writer, if necessary, becomes hypocritical and resorts to trickery to save the principle. “My ab irato dialectic,” he said, “will have failed in its effect on some peaceful minds: some poor workman, more moved by my sarcasm than by the solidity of my reasons, will perhaps have concluded that property is the work of a Machiavellianism of the rulers against the ruled, a deplorable error of which my book itself is the best refutation. Nothing is less sincere than this sentence. Proudhon did not hesitate then to say very loudly what he no longer dared to write. Thus the communist Charles Teste himself thought he heard the trumpet of the last judgment and shuddered with terror when Pierre-Joseph explained to him his plans for reform. He left him saying: What audacity! what pride!… HE is the devil!

(11) Here are the titles: Warning to the Proprietors, Organization of Credit, — On the Creation of Order in Humanity, System of Economic Contradictions, Solution of the Social Problem, etc. After 1848, he printed the Right to Work brochure and the Summary of the Social Question (Exchange Bank), all published by Garnier frères, Palais-Royal.

(12) He had to answer for the one of his brochures which has the title Warning to the Proprietors.

(13) This hotel no longer exists.

(14) Proudhon always displayed great negligence in his costume. A very low and wide-brimmed hat, an overcoat worthy of the inexperienced cut of a village tailor, trousers which never reach the ankle, a rope tie, and shoes borrowed from M. Dupin form his most elegant toilet. At Sainte-Pélagie, he gave himself the pleasure of absolute rusticity, wore a blouse and put on enormous clogs stuffed with straw.

(15) He attaches himself to people and places with great constancy. You will not maintain with impunity before him that there is a more beautiful country than his, a more intelligent population than that of Franche-Comté. Someone was boasting to him one day of the easy culture of the Beauce. He exclaimed in his Titanic language, “At home we hitch twenty oxen to a plow and we plow granite!” It was he who said again: “In my country, when a man has an idea, he dies with it!” 

(16) Le Peuple sold up to sixty or seventy thousand copies daily. At the time when this newspaper was making the most considerable profits, Proudhon never took more than five francs a day from the box for his personal needs, and, the guarantee for the paper having been seized following a judicial condemnation, the same evening he brought back this deposit (24,000 fr.) to the printer who had furnished it.

(17) Last year he nearly died of cholera; Dr Cretin saved him with homeopathy.

(18) See the System of Economic Contradictions, Volume I, pages 26 and 382.

(19) Ibid., page 38.

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