E. Armand, “Estompe / Fading” (1924)

Estompe

Je soulevai légèrement et délicatement le rideau de l’unique fenêtre de cette chambre où nous nous étions rencontrés, où nous nous étions aimés une heure, peut-être un peu plus, peut-être un peu moins — les minutes avaient coulé si vite! Je soulevai donc ce rideau et je l’aperçus qui s’éloignait dans la rue sans rien qui la différenciat des autres femmes. Le jour agonisait dans cette pièce, mais elle était pleine de clartés, de sons et de gestes, lesquels, pour être perçus, demandent probablement une vision et une ouïe autres que celles que peuvent, à l’état ordinaire, procurer les sens. La nuit prenait lentement possession de ces quelques mètres carrés d’espace, mais je voyais, oui, je voyais distinctement son corps lumineux sur la chaise où elle s’était d’abord assise, sur le lit où elle avait ensuite pris place. Je percevais nettement ses membres d’amoureuse à la fois subtile, raffinée et passionnée ; je les voyais se contracter, s’abandonner à l’étreinte, étreindre à leur tour, se détendre et retomber languissamment, comme un coureur à bout de souffle. Ses lèvres, acceptant brièvement les baisers, puis s’attardant à les rendre, puis en réclamant, en exigeant de nouveaux, et cela impérieusement ; ses mains timides, puis hardies, accomplissant d’audacieuses, de somptueuses, d’irrésistibles caresses, comme nulle autre sur la terre ne sait sans doute en imaginer ; et sa chair secouée par un émoi voluptueux et ses lèvres entr’ouvertes ; et ses yeux luisants dans l’attente du plaisir, et ses paupières alourdies sous le fardeau du ravissement ; et ses mains tout fièvre — je les voyais ensemble et séparément se découper sur l’ombre comme des clairières au cœur d’une forêt touffue. Et de cette artiste, de cette créatrice d’extases et de délires, il ne restait plus, dans la rue passante déjà éclairée de mille feux, qu’une silhouette se perdant dans la foule, qu’une jeune femme hâtant sa marche, qu’une femme en tous points semblable aux autres par l’allure et par le vêtement.

Janvier 1924.

Fading

I gently and delicately raised the blinds on the single window in that room where we had met, where we had loved for an hour, perhaps a bit more, perhaps a bit less — the minutes had passed so quickly! I raised the blinds to glimpse one who walked off down them street, without anything to differentiate her from other women. In this room, the day was dying, but it was filled with brightness, with sounds and movements, which, in order to be perceived, probably demand a vision and hearing other than those the senses can, in the ordinary state, provide. The night slowly took possession of these few square meters of space, but I saw, yes, I saw distinctly her luminous body in the chair where she had first sat, on the bed where she had later taken her place. I clearly perceived her amorous limbs, at once gentle, refined and passionate; I saw them tense, abandon themselves to an embrace, embrace in their turn, relax and fall back languidly, like a like a runner out of breath. Her lips, briefly accepting kisses, then lingering to give them, then requiring, demanding them anew, and that imperatively; her hands timid, then bold, through audacious, sumptuous, irresistible caresses, like no other on earth can probably imagine; and her flesh shaken by a voluptuous excitement and her lips just parted; and her eyes shining in anticipation of pleasure, and her eyelids heavy with the weight of rapture; and her hands all feverish — I see them together and separately standing out among the shadows like clearings in the heart of a dense forest. And of that artist, of that creatrix of ecstacies and frenzies, there remains nothing more, in the busy street already lit by a thousand lights, than a silhouette gradually lost in the crowd, than a young woman rushing on, than a woman in all points like the others in look and in dress.

Janvier 1924.

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