E. Armand, “Challenge” (1941)

Défi

Je sais que vous tournez en dérision ceux à qui leurs cheveux blancs n’interdisent pas d’aimer, car je vous connais bien, vous qui prétendez que l’amour n’a qu’un temps, et qui, persiflant, accommoderiez ainsi l’alexandrin du fabuliste : « Passe encor de bâtir, mais aimer à cet âge » s’il était toutefois présent à votre mémoire. Je vous connais bien, mais je ne crains pas de relever le défi ; sournois ou exprimés, vos sarcasmes me laissent indifférent et je ne les redoute pas, car je me sens de la race de ceux qui ont chéri la vie jusqu’à leur soupir ultime et, sages parmi les sages, ont compris que si l’amour ne l’ennoblit pas jusqu’à la fin, elle ne vaut pas la peine d’être vécue.

Je me sens de la race de ceux qui, jusqu’au bord du noir abîme dont nul n’est jamais remonté, sont capables de tendresse et d’amour et de fidélité à leur tendresse et à leur amour. Je veux qu’il en soit ainsi, archer qui tend à l’extrême l’arc de sa volonté, je le veux parce que j’obéis ainsi à l’impulsion de mon énergie naturelle, je le veux ainsi, parce qu’en cette obéissance, j’affirme ma personnalité. Sans doute ai-je de l’amour une autre conception que la vôtre, car j’ai surpris plusieurs d’entre vous s’entretenant de ces choses si bassement ,qu’il m’est arrivé d’avoir honte d’appartenir à l’espèce humaine, de me dégoûter d’être un homme !

Ah ! ne me parlez plus de la Grèce et du miracle grec ! Ces sources sacrées et ces collines inspirées et toutes ces forces de la nature que les grecs avaient déifiées, elles existaient depuis que le monde était monde et n’avaient rien perdu de leur fraîcheur. L’émersion de l’Ida, celle de l’Olympe, remontait à quelque lointain plissement géologique, Apollon, Dionysos, Eros, Pan, les nymphes, les satyres, les faunes, les sylvains n’avaient point permis au temps de mordre sur leur éternité, et ce miracle grec qui n’a jamais effleuré votre front de son aile, consista à douer de tant d’immortelle jeunesse les dieux les plus anciens, que lorsqu’ils aimaient ils avaient toujours vingt ans ! !

E. ARMAND.

20 novembre 1941

Challenge

I know that you mock those whose white hair does not forbid [them from] loving, for I know you well, you who maintain that love has only a time, and who, mocking, would thus adapt the alexandrine of the fabulist—“It is one thing to build, but to love at that age!”—if you happened to remember it. I know you well, but I am not afraid to take up the challenge; underhandedly or openly expressed, your sarcasm leaves me indifferent and I do not fear it, for I feel I am part of the race of those who have cherished life to their last breath and, wisest of the wise, have understood that if love has not ennobled life until its end, it has not been worth living.

I count myself among the race of those who, right to the edge of the black abyss from which no one has ever climbed back out, are capable of tenderness and love, and of fidelity to their tenderness and love. An archer who stretches the bow of his will to the utmost, I want it to be this way; I want it because in this way I obey the impulsion of my natural energy; I want it this way because in this obedience I affirm my personality. Doubtless I have a different conception of love than your own, for I have caught several among you talking of these things in such base terms that I have felt ashamed to belong to the human race, disgusted to be a man!

Ah! do not speak to me of Greece and the Greek miracle! These sacred springs and these inspired hills and all these forces of nature that the Greeks had deified, they had existed since the world began and had lost none of their freshness. The emergence of Ida, like that of Olympus, dated back to some far-off geological folding. Apollo, Dionysos, Eros, Pan, the nymphs, satyrs, fauns and sylvans had not allowed time to bite into their eternity, and this Greek miracle, which has never brushed your brow with its wing, consisted in endowing the oldest gods with so much eternal youth that when they loved they were always twenty years old!!

E. ARMAND

November 20, 1941.


L’Unique n°1 (juin 1945)

Working Translation by Shawn P. Wilbur

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