André Léo, “Woman and Mores” (1869)

LA FEMME 
ET LES MŒURS


LIBERTÉ OU MONARCHIE


PAR

ANDRÉ LÉO

WOMAN AND MORES

LIBERTY OR MONARCHY

BY

ANDRÉ LÉO

LA FEMME ET LES MŒURS

LIBERTÉ OU MONARCHIE

I

Elle est presque d’hier cette question rejetée d’abord comme chimérique, puis combattue par le ridicule, qui cependant, aujourd’hui, malgré tant de préjugés et de sarcasmes, s’agite dans les deux mondes, et chaque jour grandit.

Elle est née de la Révolution française. qui créa ou renouvela toutes les questions par le principe nouveau qu’elle a proclamé et où l’égalité de la femme, comme toutes les autres, est contenue.

Mais l’humanité saisit rarement d’un coup le sens de ses propres découvertes. Dans cet élan passionné qui fit tomber tant de chaînes, qui reconnut l’homme dans l’esclave et fit du serf un citoyen, la femme, qui le partagea, fut oubliée ; on n’y songea pas. Une seule intelligence, aussi haute que pure, supérieure à son époque, et insuffisamment appréciée encore de la nôtre, ne commit point cet oubli, et le signala vainement. Condorcet écrivit :

« L’habitude peut familiariser les hommes avec la violation de leurs droits naturels au point que parmi ceux qui les ont perdus, personne ne songe à les réclamer, ne croie avoir éprouvé une injustice. »

» Il est même quelques-unes de ces violations qui ont échappé aux philosophes et aux législateurs, lorsqu’ils s’occupaient avec le plus de zèle d’établir les droits communs des individus de l’espèce humaine, et d’en faire le fondement unique des institutions politiques.

» Par exemple, tous n’ont-ils pas violé le principe de l’égalité des droits en privant tranquillement la moitié du genre humain de celui de concourir à la formation des lois, en excluant les femmes du droit de cité ? »

… » Pour que cette exclusion te fut pas un acte de tyrannie, il faudrait : ou prouver que les droits naturels des femmes ne sont pas absolument les mêmes que ceux des hommes, ou montrer qu’elles ne sont pas capables de les exercer. »

» Or les droits des hommes résultent uniquement de ce qu’ils sont des êtres sensibles, susceptibles d’acquérir r des idées morales et de raisonner sur ces idées. Ainsi, les femmes ayant les mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu de l’espèce humaine n’a de véritables droits, ou tous ont les mêmes, et celui qui vote contre le droit d’un autre, quels que soient sa religion, sa couleur, ou son sexe, a dès lors abjuré les siens… »

Condorcet n’eut sur ce point ni disciples ni adversaires. Cela parut pure philosophie ; et les révolutionnaires d’alors, s’ils procédaient des philosophes, l’étaient eux-mêmes assez peu. Jamais cependant les femmes ne se mêlèrent plus activement à une révolution. Depuis l’un de ses grands épisodes, le voyage de Versailles, qu’elles firent à elles seules. on les voit dans tous les événements, sur tous les théâtres : fêtes, émeutes, prisons, échafauds. Mais, rejetées par la Révolution, elles en perdirent le sens, comme d’ailleurs, la plupart des révolutionnaires eux-mêmes, et bientôt travaillèrent à l’étouffer. Elles l’avaient faite par haine du despotisme ; elles la défirent par le même motif, à la fin saisies de pitié pour les vaincus et fatiguées de décrets et de proscriptions. On avait, au nom du genre humain, tant violé l’humanité ; au nom de la liberté, on avait poussé si loin la tyrannie, qu’on avait perdu l’élan initial et le sens du but. Les femmes retournèrent au passé par découragement de l’état nouveau. Le catholicisme, qui sait leur puissance, mit tout en œuvre pour les séduire : il renouvela son génie, se fit romantique, s’entoura de poésie et d’encens et ses pénitentes durent abjurer entre ses mains ce libre arbitre qui les avait égarées, et renoncer, non aux pompes de Satan, mais à celles de l’esprit, bien plus dangereuses aux yeux de l’Église.

Malgré tout, l’esprit retrouva sa route. En dépit de l’Église et du préjugé, les femmes revinrent à la littérature et à la philosophie. Tout voyage a ses repos ; mais de halte en halte on avance. Au décret de leur émancipation, que Saint-Simon promulgua, elles tressaillirent, et plusieurs d’entre elles[1], parmi les plus intelligentes et les plus loyales, se firent les disciples du rénovateur.

Quelque distinction qu’on s’efforce de faire, l’histoire des femmes est celle de l’humanité. Quand leurs sentiments éclatent sur la place publique, c’est que leur émotion est immense ; mais leur influence, en temps ordinaire, quoique difficile à saisir, n’existe pas moins. Toute la question est de savoir si cette influence doit être instinctive ou cultivée ; si elle doit s’exercer par des voies droites, ou par des voies tortueuses, en plein soleil, ou dans l’ombre —

1830 fut un réveil. Partout, dans la littérature, dans le socialisme, dans les complots, dans les insurrections même, la femme déborde.

— On combattit cet élan par la raillerie. C’était bien toujours l’éternelle opposition de ce qui est contre ce qui veut être, de ceux qui possèdent contre ceux qui veulent avoir ; l’émancipé d’hier, devenu maitre, défendait leur règne. Mais ici, la guerre civile était impossible de fait ; elle n’en fut que plus âpre dans l’esprit.

Ce fut alors qu’on appela bas-bleus les femmes écrivains, appellation bizarre qui contient pourtant un sens vrai : c’est que la femme s’éloigne d’autant plus de la coquetterie qu’elle cultive davantage son intelligence. Ainsi, la société d’alors, faite de compromis, superficielle et roturièrement aristocratique, raillant tout, parce qu’elle ne croyait à rien, vivant au jour le jour, sans lien avec le passé comme sans souci pour l’avenir, brillante, mais sans profondeur, flètrissait chez la femme les tendances sérieuses et encourageait chez elle la frivolité comme une vertu. Ces railleries eurent une grande influence sur le peu de développement de l’éducation des filles, que la royauté constitutionnelle négligea entièrement. Elles ont fait de beaucoup d’hommes des Chrysale, et ont resserré sur les yeux des femmes le bandeau du catholicisme et du préjugé.

Aujourd’hui plus que jamais, cette profonde et magnifique doctrine que la femme doit être nécessairement ignorante et frivole, s’épanouit en deux grands résultats : par les femmes honnêtes, gardiens convaincus du pot-au-feu, le progrès est enrayé dans le monde, et tout mouvement généreux éteint ; par la femme de luxe et la courtisane, l’honnêteté privée elle-même est entreprise… et vaincue. Il faut de l’or à tout prix. Les scandales qui grossissent et se multiplient, épuisent la source de l’indignation publique. Ce que l’affaissement des mœurs peut produire… on l’a su ; on le sait. Reste à savoir si l’on comprendra ce qui à l’époque où nous sommes peut les relever

En dépit de la Révolution, on avait cru jusqu’en 1830, que la politique était en elle-même une science, à part des sciences morales. Cette question de la femme et de la famille, parce qu’elle est la plus profonde, vient nécessairement en dernier lieu. Cependant, le socialisme, aussi vrai dans son principe de revendication qu’il peut être contestable dans ses diverses théories, s’empara, aux deux extrémités du monde de l’esprit, des penseurs et des misérables ; et tout à coup le roman et l’utopie devinrent l’expression la plus accusée du mouvement intellectuel ; les romanciers furent les historiens de cette société trouble, mal à l’aise dans sa forme ancienne. Ils en exposèrent les plaies, et furent mieux compris que les philosophes ; parce qu’au lieu de spéculations, ils montraient des faits : la femme trompée, l’enfant sacrifié, la misère, en bas, poussant au vol, au meurtre, et à la débauche ; la soif des richesses, en haut, poussant au vol, au meurtre et à la débauche, également. Aux grands cris des conservateurs, on attaqua la famille et la propriété, non pour les détruire, comme ils prétendent, parce que la forme est tout à leurs yeux ; mais comme on avait précédemment attaqué l’État, pour le transformer. Georges Sand, Balzac, Eugène Sue, firent leur œuvre — à côté de Saint-Simon, de Cabet, de Fourier. Partout, les vices du mariage étaient dénoncés en même temps que ceux du prolétariat. On reprenait ainsi l’œuvre de la Révolution où elle s’était arrêtée, où elle avait dû s’arrêter, la politique seule ne pouvant aller plus loin.

Les socialistes seuls avant 48 avaient posé la question du droit de la femme. Il y eut en 48 un mouvement féminin ; mais peu sensible ; un club dont on se moqua, bien qu’il ne fût pas plus ridicule, probablement, que les autres. Les socialistes eux-mêmes étaient si peu préparés à l’invasion de la femme dans le domaine politique, que la candidature de Jeanne Deroin ne trouva dans son propre parti que de rares champions ; que Pierre Leroux, maire de Boussac, accueillit presque aussi peu favorablement que l’eût fait un autre maire, la protestation de Pauline Roland réclamant l’inscription de son nom sur la liste des électeurs.

Puis, le coup d’État fit le silence sur toutes les questions vitales.

En 1853 cependant, parut l’histoire morale des femmes, de Legouvé. C’était un cri généreux d’indignation contre les excès produits par la brutalité des lois et des mœurs. Il en appelait à la pitié bien plus qu’au droit ; mais alors, cette modération dût servir la cause, si peu comprise encore.

En 1858, sur l’initiative d’un ancien Saint-Simonien, M. Arlès Dufour, esprit toujours ouvert aux idées généreuses, l’Académie de Lyon mit à l’étude « les moyens d’élever le salaire des femmes à l’égal de celui des hommes, lorsqu’il y a égalité de salaire ou de travail, et d’ouvrir aux femmes de nouvelles carrières. »

C’était attaquer la question par le côté économique, si important. Car la revendication pour la femme de la liberté et de l’égalité se complique d’une question matérielle immense. Le salaire de la femme suit sa condition ; il est avili comme elle l’est elle-même. Rejetée de la plupart des métiers, écartée de presque toutes les carrières, partout écrasée, obligée pour vivre de recourir à d’autres moyens que le travail, la femme tombe et la société descend avec elle.

Il sortit de ce concours un mémoire remarquable par l’étude des faits et le sentiment du droit, et publié depuis sous ce titre : La Femme pauvre au XIXe siècle.

Il était écrit par une jeune personne pauvre et studieuse : mademoiselle Daubié. Elle ne se contenta pas de réclamer ; elle voulut aussi prouver, et deux ans plus tard, la Faculté des lettres de Lyon lui décernait le diplôme de bachelier ès-lettres.

D’autres suivirent cet exemple : mademoiselle Emma Chenu entr’autres, qui a reçu les grades de bachelier et de licencié ès-sciences. De tels faits, sans être communs, sont maintenant assez fréquents, et deux Françaises, une Russe et une Américaine suivent les cours de l’école de médecine de Paris — non sans avoir vaincu à force de courage bien des obstacles, bien des dégoûts.

La lice s’ouvrit en 1867 par le livre de la Justice dans la Révolution, où Proudhon insultait grossièrement la femme, et par l’Amour et la femme, où Michelet, plus doucereusement, ne l’insultait guère moins.

Ces livres, et d’autres qui les répétèrent, écrits par des publicistes fantasques, ou par des poëtes trop tendres, n’étaient que des pam- phlets brutaux, ou des fantaisies érotiques. Ils confessèrent l’homme bien plus qu’ils ne dévoilèrent la femme. Deux réponses entr’autres, fort énergiques, leur furent adressées, l’une intitulée : Idées anti-proudhonniennes, signée Juliette Lambert ; l’autre : La Femme affranchie, par madame J. d’Héricourt, œuvre de haute polémique, où le bon sens, la logique et la raison s’expriment avec une verve pleine d’ironie. Ces deux ouvrages, qui avaient beau jeu contre les contradictions proudhonniennes, affaiblirent fortement déjà, dans le monde des penseurs, le prestige de l’athlète franc-com- tois ; mais furent peu lus du public vulgaire. Le beau livre de madame d’Héricourt, tout en réfutant principalement Proudhon, frappait aussi d’estoc et de taille sur Michelet, Auguste Comte et autres détracteurs de la femme. Mais trop sérieux et trop élevé pour avoir un succès de curiosité et de scandale, il n’arrêta pas l’effet populaire de ces doctrines signées de noms connus.

En France, où l’on éprouve le besoin de briller dans la conversation sur tous les sujets, et où l’on n’a pas plus de temps qu’ailleurs pour approfondir toutes choses, où l’esprit est prompt comme la parole, l’opinion est d’une impressionnabilité extrême ; elle a, comme l’atmosphère, des courants impétueux et changeants. La femme devint pour beaucoup une malade ; pour tous en général, une inférieure. Il n’y avait d’ailleurs qu’à se laisser aller sur ce point à la tradition.

On a voulu attribuer à l’influence de Michelet un adoucissement marqué des mœurs du mariage. Cela est douteux ; parce qu’on n’a d’égards vrais et constants que vis-à-vis de ceux qu’on respecte, et qu’il n’est d’ailleurs de vraie barrière contre l’égoïsme du pouvoir, que le droit acquis, réalisé, debout dans sa force. De telles influences, arbitraires et superficielles, ne peuvent produire que des effets analogues[2].

En somme, la femme n’a gagné à la Révolution, jusqu’ici, que la loi sur les héritages et une protection insuffisante contre des sévices publics. Est-elle plus respectée qu’auparavant ? Non. Depuis quelques années on sent, de par la force des choses, qu’il faut compter avec elle. Son droit, dont s’irrite le pouvoir de l’homme, est en question ; l’inquiétude et la défiance éveillées mettent de côté l’ancienne courtoisie, et, sans vouloir la traiter en égale, déjà on la traîte en adversaire.

« Le droit des femmes ! s’écrie-t-on. Encore cette ridicule thèse ! Et selon le degré de réflexion de celui qui parle, il s’en tire, soit par un haussement d’épaules, soit par quelques paroles profondes sur la somme exacte de liberté et d’avantages qu’on peut accorder aux femmes, en rapport avec leurs devoirs et les besoins de la société. Quant au droit commun, ceux qui s’y rattachent, on les compte. Pour tout dire, la chose est mal vue, et portée plus mal encore. On n’en saurait parler, même les plus bienveillants, qu’avec une sorte de pudeur, et un demi-sourire.

Peut-être cependant le rire — qui réussit autrefois si bien — n’y fera désormais grand chose. Tout s’use, la raillerie surtout ; mais jusqu’à ce qu’elles soient résolues, les questions restent. Les superficiels ont beau dédaigner, les gens d’esprit ont beau lancer des traits malicieux ou grossiers (la passion quelquefois emporte), le vulgaire a beau suivre ses chefs de file ; la littérature a beau mettre la situation en musique et prouver à force de points d’orgue, de vocalises et de fantaisies que la femme est une houri, une péri, une fée, un ange, auquel tout ce qui est terrestre doit sauf quelques points rester étranger, il y a la force des choses qui, malgré tout, agit, nous oblige en ces temps à de terribles inventaires, et nous révèle une situation qui n’est ni superficielle, ni spirituelle, ni gracieuse, mais, si l’on veut en effet, ridicule… amèrement.

On l’a prouvé depuis longtemps par des chiffres : le salaire de la femme est insuffisant. Pour l’ouvrière des villes, il est en moyenne de 1 franc 20 centimes par jour. Mais les moyennes sont chose abstraite, et, pour compter plus humainement avec la faim, il faudrait retirer de ce chiffre l’influence de quelques gains élevés, tout exceptionnels, et réservés à un très-petit nombre. Si donc la majorité des ouvrières gagne à peu près 1 franc 20 centimes, c’est aux dépens d’une minorité qui gagne encore moins, et dont le salaire s’abaisse parfois jusqu’au chiffre dérisoire de 60 centimes. Il est inutile de démontrer que, soit dans nos villes, soit dans nos campagnes, mais dans les villes surtout, l’existence à ce prix est impossible.

Comment vivent-elles donc ? La réponse, tout le monde la fait ; elle est devenue banale : par l’inconduite, par la prostitution ; quelques- unes s’en tirent par le suicide. Les partisans des bons principes objecteront : et le mariage ?

Il y aurait beaucoup à dire, au point de vue moral, sur le mariage imposé comme expédient économique ; mais, pour ne parler en ce moment que du fait, il est reconnu que de moins en moins, l’homme, l’ouvrier surtout, se marie. La femme et les enfants sont une charge, une obligation, et l’on préfère, sous l’égide d’une loi complaisante, exploiter la femme et perdre l’enfant. On l’a dit, on l’a répété, on le crie : les mœurs sont en décadence. Le concubinage dans les villes est devenu la règle, le mariage l’exception. On en demeurera convaincu si l’on réfléchit que le concubinage se renouvelle un nombre de fois indéterminé, tandis que le mariage ne compte généralement que pour une fois dans la vie.

Il a été question souvent de la lutte entre l’honneur et la faim imposée à l’ouvrière. Cette lutte existe sans doute, hélas ; mais dans la plupart des villes manufacturières, elle est prévenue par l’excès de la corruption.

« Dans nos différentes villes manufacturières, on voit des petites filles de douze ans s’offrir chaque soir dans la rue, et la ville de Reims compte plus de cent enfants de cet âge, qui n’ont pas de moyens de subsistance en dehors de la prostitution. » (Villermé, cité par mademoiselle Daubié).

La dégénérescence physique, naturellement, suit la dégénérescence morale ; (il faut le dire pour ceux qui tiendront compte surtout de celle-là), l’une et l’autre s’engendrent et se perpétuent. La population s’abaisse et s’abâtardit. Nous sommes en route pour Lilliput. Et comment n’en serait-il pas ainsi ? la femme trompée, c’est l’enfant abandonné ; la débauche, c’est la vie gangrenée dans son germe.

Les infanticides comptent pour un chiffre élevé dans la statistique judiciaire des dix dernières années. Mais il n’y a que des maladroites, à leur coup d’essai, qui arrivent à ce sujet sur les bancs des cours d’assises ; une industrie sociale, qui prend un développement de plus en plus considérable, celle des avortements, organise plus décemment les choses car toute situation sérieusement accusée crée des institutions en rapport avec ses besoins.

Malgré tout, la France nourrit annuellement environ 50, 000 enfants-trouvés, dont elle enterre, il est vrai, les trois quarts avant douze ans ; le reste est appelé, comme on sait, à peupler les prisons, les bagnes et à figurer sur l’échafaud.

« Les huit dixièmes des mineurs qui se permettent d’occuper les moments de nos tribunaux, appartiennent à la tribu (des enfants naturels). Elle fournit à la prostitution un bon quart de ses recrues. L’armée des voleurs, escrocs, bandits de toute sorte, qui campe au milieu de nous, lui doit la plupart de ses soldats ; et il faut ajouter ses soldats d’élite. » (Paul Lacombe. Le Mariage libre).

D’où vient cette démoralisation ? On la cherche dans les causes politiques, mais les causes politiques ne sont que des effets. Qui les produit ? qui produit l’abaissement des esprits ? L’indifférence pour le bien, l’insouciance du mal, cette lâche mollesse qui s’endort dans la jouissance, l’énervement où l’âme n’a que des impressions fugitives, des idées, plus de sentiments, partant plus d’action ? Qui donc a éteint l’enthousiasme et substitué dans l’œil de la jeunesse, à la flamme riante des grands espoirs, l’atonie de l’ivresse, ou le visqueux éclat des honteux désirs ?

C’est la débauche. Mais la débauche d’où vient-elle ? en quoi se différencie-t-elle de l’amour ?

En ce qu’elle s’applique uniquement aux sens, tandis que l’amour saisit à la fois, pour les exalter, toutes les facultés de l’être. Dans l’amour, l’être aimé devient l’idéal même ; dans la débauche, l’être n’est qu’un objet.

Cela étant, qu’a-t-on fait de la femme ?

Par la dépendance matérielle où elle est tenue, écartée de presque toutes les fonctions sociales autres que serviles, et réduite à un salaire insuffisant, on la force, ou de se vendre le mariage en échange d’une protection souvent illusoire, ou de se louer dans des unions temporaires : — On en a fait un objet.

Par la servitude morale qu’on lui impose en la déclarant faite pour l’homme, et non pour elle-même, née pour le dévouement, annexe, accessoire, de l’être principal, en lui ordonnant la soumission, en la privant par conséquent d’initiative et de responsabilité, on l’a frappée d’incapacité morale — on en a fait un objet. En abaissant pour elle, systématiquement, le niveau de l’instruction, en lui interdisant, et par l’empire du préjugé, et par le refus des moyens, les hautes études, on l’a contrainte de rester, en général, intellectuellement inférieure — de descendre du rôle de sujet à celui d’objet.

En somme, tandis qu’on a fait à l’homme un étrange point d’honneur de l’exaltation de ses facultés brutales, on a, du côté de la femme, abattu tous les obstacles, énervé toutes les forces qui pouvaient réagir contre cette brutalité.

Celle qui plus particulièrement est gardienne des mœurs, on a voulu qu’elle ne s’appartint pas à elle-même. On lui a donné pour dogme la soumission et l’impersonnalité ; on a sanctionné ce dogme par toutes les lois civiles, politiques, économiques et puis l’on s’étonne de l’abaissement des mœurs !

La soumission ! il y a des applications de mots qui sont des syllogismes inconscients : Fille soumise !… En effet, c’est le dernier mot du système. D’abdications en abdications, de chute en chute, il aboutit là.

Il n’est pas nouveau, ce système. Mais à l’heure où nous sommes, il arrive à produire ses plus violents effets, par suite de l’alliance bâtarde du vieil ordre de choses et du nouveau. La femme se trouve tout à la fois responsable et irresponsable ; en dehors de la loi commune quant au droit, elle y rentre quant au devoir. Déclarée faible et subordonnée, et comme telle exclue de la participation des avantages sociaux, cependant, elle n’en reste pas moins chargée d’elle-même, sans aucune protection réelle. Une nouvelle force sociale, l’industrie, l’accepte, seulement pour la broyer ; les lois civiles et économiques la condamnent à la misère ; et la misère l’oblige à la honte.

« La misère des prostituées est telle que dans un dépouillement de liste des filles inscrites à Paris, parmi plus de 6,000 prostituées, on n’en trouva que deux qui eussent pu vivre de leur travail ou de leurs revenus… l’une d’elles lutta trois jours contre les tortures de la faim avant de se faire inscrire… Des ouvrières, des servantes sans ressources et sans asile sont obligées d’errer dans les rues de nos villes, où la police les ramasse ; cette police est faite par des sergents, anciens soldats pour la plupart, qui ont déjà traîné des filles vierges au Bureau des mœurs sous l’inculpation d’avoir provoqué à la débauche sans autorisation et sans patente… ces erreurs cruelles se renouvellent tous les jours pour la fille du peuple sans que son cri de protestation soit entendu… Sur 4,000 filles inscrites natives de Paris, on en trouvait, il y a quelques années, à peine 100 en état de signer leur nom… les filles naturelles forment le quart de l’effectif des maisons de tolérance, complété en partie par les victimes de la séduction, (Mlle Daubié la Femme pauvre au xixe siècle).

« La prostitution légale ne nous donne donc qu’une faible idée des progrès de la démoralisation dans notre siècle ; car le nombre des jeunes filles vouées à la prostitution clandestine est triple à Paris de celui des filles inscrites ; on y trouve les premières dans une foule de cafés, de théâtres, de guinguettes, de tavernes et de garnis. » (id.)

Si le nombre des prostituées est considérable, le nombre des prostitués l’est bien plus. Ceux-ci, n’étant soumis à aucune règle de voirie, infectent tranquillement nos rues de leur corruption, sont un danger permanent pour la sécurité publique, propagent la débauche, et souillent jusqu’aux imaginations honnêtes, obligées de tenir compte de leur existence, et d’appréhender leur rencontre.

Mais l’homme sur ce point est irresponsable. Par une étrange anomalie, il est irresponsable, lui, déclaré majeur ; elle est responsable, elle, déclarée mineure. Agent d’immoralité, reconnu par l’opinion, il promène impunément ses excitations, affiche ses exemples. Il peut séduire sans crainte des jeunes filles, des enfants de 16 et de 14 ans[3]. Il est entièrement libre de transformer le lien le plus fort et le plus sacré de la nature, en un crime et une abjection. Si la fille qu’il a abandonnée, poussée par la honte, ou par la misère, se défait de l’enfant qu’il a créé, il figurera dans le procès comme témoin à charge, et sortira de là sain et sauf pour aller joindre sa voix, en quelque autre occasion moins scabreuse, au verdict de l’opinion, contre des malheureuses si dignes de mépris. Cependant, on ne manquerait pas d’arguments pour soutenir que la suppression de l’enfant est moins cruelle que son abandon. On sait l’effrayante mortalité qui sévit sur ces malheureuses petites créatures ; quels mépris, quels durs traitements étiolent et dépravent ceux qui résistent à l’effet des mauvais soins dans le premier âge ! Et qu’ils sont destinés d’avance à être les recrues du crime et de la débauche !

Cependant leur nombre augmente chaque jour. Il en naît annuellement à Paris de 16 à 17 milliers.

« L’augmentation presque continue du nombre des enfants naturels est un fait admis par tous les statisticiens.[4] »

Heureusement, nous avons pris l’habitude, noble et désintéressée, de laisser aller à leur gré les choses sociales et de nous mêler surtout de nos affaires personnelles ; ces choses-là ne nous empêchent point de dormir. On est idéaliste, ou on ne l’est pas. Il est beau de vivre les pieds dans la boue, les yeux aux nuages. Parfois, cependant, quand on nous vole, ou quand on nous assassine (la débauche et la cruauté, selon les phrénologistes, sont unies par des liens étroits) ; quand on nous fait banqueroute ; quand notre fille épouse un mauvais sujet ; quand notre fils se perd d’âme, de corps et de biens ; quand l’énervement social se traduit à la face du monde en platitudes incommensurables ; quand l’hypocrisie, arrivée à la limite qui la sépare du cynisme, nous rit au nez ; quand, çà et là sous la main du juge, s’ouvre quelque soupirail, d’où sortent des vapeurs méphitiques et suffocantes ; quand le crime nous côtoie, nous frôle, éclate ici, là, en bas, en haut, de toutes parts ; quand les faits enfin, de plus en plus, deviennent d’une inqualifiable insolence, alors nous trouvons pourtant que cela va mal et l’inquiétude nous saisit.

Autrefois, on forçait les pauvres de se bien conduire ; les fils de famille seuls avaient le privilége de l’orgie. Mais voilà que l’égalité des mauvaises mœurs devient révoltante. L’homme du peuple exploite la femme, comme ont fait les nobles, comme font les bourgeois. Il naît tous les ans 75,000 citoyens sans état civil, et la chose tend à s’accroître. La multitude n’y va pas de main morte : elle débute dans son règne par des mœurs de prince. La famille n’est plus, ou peu s’en faut ; la propriété, légitime ou non, est menacée. Autrefois, on riait de toutes ces choses, et les gens d’esprit en faisaient des plaisanteries pleines de grâce, qui désopilaient notre humanité facile et gaie. Mais du moment où tout le monde s’en mêle, il n’y a vraiment plus moyen.

Il y a aussi la question du luxe. La femme, née pour plaire, a pris cette destinée si fort au sérieux que le budget de la toilette est devenu dans chaque ménage, au point de vue du découvert et de l’emprunt, semblable à celui d’un gouvernement ; et, de même, c’est l’honneur et la conscience qui paient les frais du système, sans préjudice de la ruine finale, Eh mon Dieu, il faut bien vivre ! Seulement, tandis qu’ici, vivre C’est avoir un morceau de pain, là, il s’agit de turbot, de satin, de dentelles. Des deux côtés, on n’en cède pas moins à la dure nécessité. La plupart des femmes comme il faut ne vendent, il est vrai, que leurs ma ris ; mais s’ils s’y refusent sottement, ne méritent-ils pas bien qu’on cesse de les chérir et qu’on soit touchée d’un dévouement plus ardent ? Car enfin, vous êtes étrange : vous dites, vous soutenez que la femme est née pour plaire, vous ne lui laissez à faire que cela ; vous lui défendez les choses sérieuses, vous lui ordonnez d’être frivole — elle l’est ; et maintenant, si ses jolis doigts jouent avec l’honneur, la délicatesse, la foi politique, si de ses petits pieds, chaussés de satin, elle écrase, en dansant, toutes ces choses qu’elle ne comprend pas, de quoi vous plaignez-vous, quand vous n’avez qu’à vous louer de son obéissance ?

Mais, lorsqu’il s’agit de la femme, l’homme ne veut pas être logique et semble ne le pouvoir. De plus en plus, pourtant, les faits le pressent et l’entament. Devenue dans les mœurs un danger social, dans la famille une cause de démoralisation et de ruine, voici l’inexorable question qui se pose encore sur le terrain politique, ou plutôt, qui, posée depuis longtemps, apparaît enfin à tous les yeux.

On vient de s’apercevoir que cela avait quelque importance que les femmes fussent élevées sur les genoux de l’Église, ou dans les données de la foi moderne. On avait d’abord pensé que pour elles, comme pour les enfants et pour le peuple, la religion avait du bon ; mais il se trouve (par un miracle qu’on n’eût jamais soupçonné) que l’esclavage de la femme s’oppose à la liberté de l’homme ; que si le pape règne encore, c’est de par leur grâce, voire même l’empereur, et que ces infimes créatures, qui n’ont pas le droit de vote, influent pourtant sur les élections. — Oui, la chose est devenue claire, au point qu’il n’y a plus moyen d’en douter, si mortifiante et gênante qu’elle soit. Voici le passé qui défie l’avenir en bataille rangée ; pour tout ce qui date des conquêtes révolutionnaires, il s’agit d’être, ou de n’être pas ; et l’on est bien obligé de reconnaître qu’avoir la moitié de l’humanité pour ou contre soi est chose sérieuse. Aussi, nos démocrates, conservateurs quand même de la monarchie au foyer, qui n’ont été jusqu’ici vis-à-vis des femmes ni plus polis que l’Église, ni moins despotiques, font-ils des concessions : il est sérieusement question parmi eux de rendre les femmes capables d’élever de petits démocrates pour le salut de la société.

— Bonnes gens, prenez garde ! la logique est inflexible. Pour faire des démocrates, il faudra qu’elles en soient elles-mêmes. Il n’y a qu’un pas de l’être émancipé à l’être majeur. Remonter aux Pères de l’Église, représentés, en ce temps de décadence, par Mgr Dupanloup, ou rendre à la femme ses droits d’être humain, il n’y a pas de milieu.

— Ses droits d’être humain ! c’est-à-dire l’égalité ? Halte-là ! s’écrie le bataillon des physiologistes et des psychologues, à qui l’on doit, depuis une dizaine d’années, tant d’observations ingénieuses, menues, délicates et fantastiques sur la femme ; et tant de jugements pleins d’une mâle crudité ; avec tant de conclusions scientifiques, et autres. Non ! il s’agit seulement de mieux associer la femme à notre action, d’en faire comme il convient notre aide et coopérateur en ces choses, mais sous notre direction nécessaire, et toujours avec réserve et modération. Car ce n’est pas une question de droit, mais d’utilité. La subordination de la femme est la loi même de nature. La femme n’est pas, ne peut pas être l’égale de l’homme. Elle lui est inférieure physiquement, intellectuellement…

— Et moralement ?

— Ah ! sur ce point, les avis sont divers. Tous les littérateurs sensibles font de la femme le génie du sentiment ; certains logiciens — plus conséquents avec eux-mêmes — la représentent au contraire comme une créature injuste, arbitraire, passionnée, dont le sentiment n’est qu’un instinct, humanisé par l’imagination. Il y a là matière à controverse.

— Controversons.

Mais avant tout, résumons le précédent examen D’où vient la démoralisation sociale ? De la dépendance matérielle de la femme, autrement dit de l’insuffisance de son salaire, de l’impossibilité où elle se trouve de suffire seule à ses besoins.

D’où viennent la corruption dans l’État, l’assouplissement des consciences aux obligations des gros traitements et des petits-le besoin général du luxe et ses excès ? les préoccupations matérielles dominant et remplaçant toutes les autres ? en somme, la liberté et la dignité, perdues quant au présent, menacées dans l’avenir ? D’où vient, moins de cent ans après Voltaire, le règne continué de l’obscurantisme ? Et quatre-vingts ans après la déclaration des droits de l’homme, le despotisme réintronisé ? — De cette dépendance morale et intellectuelle de la femme, qui la rend étrangère à l’idée, au droit, à la justice, à l’honneur, et la livre tout entière, aux occupations serviles, ou aux goûts frivoles, surexcités par la vanité.

Exagération ! dites-vous ; alléguant que c’est attribuer à une seule cause trop d’importance ?

Mais quoi ! sur 40 millions d’âmes, ce serait peu de 20 millions ? Trouve-t-on beaucoup de causes plus générales ? Surtout quand il faut reconnaître que l’autre moitié subit nécessairement le contre-coup du système et prend sa bonne part des vices qu’il produit. Si nos maux sont faits d’ignorance et d’énervement, la moitié de la nation, dressée à l’obéissance et à la superstition, explique suffisamment tous les excès impunis du double servage, politique et religieux, que nous subissons.

WOMEN AND MORES

LIBERTY OR MONARCHY

I

It is almost overnight that this question rejected at first as chimerical, then combated by ridicule, which however, today, in spite of so many prejudices and sarcasms, is agitated in the two worlds, and each day grows.

It was born out of the French Revolution, which created or renewed all questions by the new principle that it proclaimed, in which the equality of woman, like all the others, is contained.

But humanity rarely grasps the meaning of its own discoveries suddenly. In this impassioned impulse that made so many chains fall, that recognized the man in the slave and made of the serf a citizen, the woman, who shared it, was forgotten; we did not think of her. A single intelligence, as lofty as it is pure, superior to its time, and still insufficiently appreciated by ours, did not commit this oversight, and pointed it out in vain. Condorcet wrote:

“Habit can familiarize men with the violation of their natural rights to the point that among those who have lost them, no one thinks of reclaiming them, no one believes that they have experienced an injustice.

“There are even some of these violations that have escaped the philosophers and legislators when they occupied themselves with the greatest zeal in establishing the common rights of individuals of the human species, and in making them the unique foundation of political institutions.

For example, haven’t all of them violated the principle of equal rights by quietly depriving half of the human race of the right to contribute to the formation of laws, by excluding women from citizenship?”

“…For this exclusion to not be an act of tyranny, it would be necessary either to prove that the natural rights of women are not absolutely the same as those of men, or to show that they are not capable of exercising them.”

“Now the rights of men result solely from the fact that they are sentient beings, capable of acquiring moral ideas and of reasoning on these ideas. Thus, women with the same qualities necessarily have equal rights. Either no individual of the human species has real rights, or all have the same, and whoever votes against the rights of another, whatever their religion, color, or sex, has therefore abjured his own… “

Condorcet had on this point neither disciples nor adversaries. It seemed pure philosophy; and the revolutionaries of that time, if they proceeded from philosophers, were themselves not so philosophical. Never, however, were women more actively involved in a revolution. Since one of its great episodes, the trip to Versailles, which they made alone, we see them in all events, on all theatres: parties, riots, prisons, scaffolds. But, rejected by the Revolution, they lost their sense of it, like most of the revolutionaries themselves, and soon worked to stifle it. They had made it out of hatred of despotism; they defeated it for the same reason, at last seized with pity for the vanquished and tired of decrees and proscriptions. Humanity had been so violated in the name of the human race; in the name of liberty, tyranny had been pushed so far that the initial momentum and sense of purpose had been lost. The women returned to the past out of discouragement from the new state. Catholicism, which knows their power, did everything possible to seduce them: it renewed its genius, became romantic, surrounded itself with poetry and incense and its penitents had to abandon into its hands that free will that had led them astray, and to renounce, not the pomps of Satan, but those of the spirit, much more dangerous in the eyes of the Church.

Despite everything, the spirit found its way. Despite the Church and prejudice, women returned to literature and philosophy. Every journey has its rests; but from halt to halt we advance. At the decree of their emancipation, which Saint-Simon promulgated, they trembled, and several of them, among the most intelligent and most loyal, became the disciples of the renovator. [1]

— Whatever distinction one tries to make, the history of women is that of humanity. When their feelings burst out in the public square, it is because their emotion is immense; but their influence, in ordinary times, though difficult to grasp, exists nonetheless. The whole question is whether this influence should be instinctive or cultivated; whether it must be exercised by straight paths, or by tortuous paths, in full sun, or in shade —

1830 was a revival. Everywhere, in literature, in socialism, in conspiracies, even in insurrections, woman overflows.

— We fought this impulse with mockery. It was indeed always the eternal opposition of what is against what wants to be, of those who possess against those who want to have; the freed slave of yesterday, become master, defended their reign. But here the civil war was impossible in fact; it was all the more bitter in spirit.

It was then that women writers were called bluestockings, a bizarre appellation that nevertheless contains a true meaning: it is that the woman moves further away from coquetry the more she cultivates her intelligence. Thus, the society of that time, made up of compromises, superficial and vulgarly aristocratic, mocking everything, because it believed in nothing, living from day to day, without any connection with the past and without concern for the future, brilliant, but without depth, withered serious tendencies in women and encouraged frivolity in her as a virtue. These railleries had a great influence on the little development of the education of girls, which constitutional royalty entirely neglected. They have made Chrysales of many men, and have tightened the blindfold of Catholicism and prejudice over women’s eyes.

Today more than ever, this profound and magnificent doctrine that woman must necessarily be ignorant and frivolous, flourishes in two great results: by honest women, convinced guardians of the pot-au-feu, progress is checked in the world, and all generous movement extinguished; by the woman of luxury and the courtesan, private honesty itself is undertaken… and conquered. Gold is needed at all costs. The growing and multiplying scandals exhaust the source of public indignation. What the collapse of morals can produce… we have known it; we know it. It remains to be seen whether we will understand what, in the present era, can raise them

Despite the Revolution, we believed, until 1830, that politics was in itself a science, apart from the moral sciences. This question of women and the family, because it is the most profound, necessarily comes last. However, socialism, as true in its principle of vindication as it can be questionable in its various theories, seized, at the two extremities of the world of the mind, the thinkers and the wretched; and suddenly the novel and the utopia became the most marked expression of the intellectual movement; the novelists were the historians of this troubled society, uneasy in its old form. They exposed its wounds, and were better understood than the philosophers; because instead of speculations, they showed facts: the deceived woman, the sacrificed child, the misery, below, pushing to theft, to murder and debauchery; the thirst for riches, above, leading to theft, murder and debauchery, too. To the great cries of the conservatives, family and property were attacked, not to destroy them, as they claim, because form is everything in their eyes; but as the State had previously been attacked, in order to transform it. Georges Sand, Balzac, Eugene Sue, did their work—alongside Saint-Simon, Cabet, Fourier. Everywhere, the vices of marriage were denounced at the same time as those of the proletariat. The work of the Revolution was thus resumed where it had stopped, where it should have stopped, politics alone being unable to go further.

The Socialists alone before 48 had raised the question of women’s rights. In 48 there was a women’s movement, but hardly perceptible, a club that was laughed at, though probably no more ridiculous than the others. The socialists themselves were so unprepared for the invasion of women in politics that the candidacy of Jeanne Deroin found only rare champions in her own party; that Pierre Leroux, mayor of Boussac, received almost as unfavorably as another mayor would have done, the protest of Pauline Roland demanding the inscription of her name on the list of electors.

Then the coup silenced all vital questions.

In 1853, however, Legouvé’s Moral History of Women appeared. It was a generous cry of indignation against the excesses produced by the brutality of laws and mores. It appealed to pity much more than to justice; but then, this moderation should have served the cause, still so little understood.

In 1858, on the initiative of a former Saint-Simonian, M. Arlès Dufour, a spirit always open to generous ideas, the Académie de Lyon studied “the means of raising the salary of women to equal that of men, when there is equality of pay or work, and to open up new careers for women.”

It was to attack the question from the economic side, which is so important. For women’s demand for freedom and equality is complicated by an immense material question. A woman’s salary follows her condition; it is debased as she herself is. Rejected from most professions, pushed aside from almost all careers, crushed everywhere, forced, in order to live, to resort to means other than labor, woman falls and society goes down with her.

Out of this competition came a memoir remarkable for the study of facts and the feeling of right, and has since been published under this title: The Poor Woman in the Nineteenth Century.

It was written by a poor and studious young person: Mademoiselle [Julie-Victoire] Daubié. She didn’t just complain; she also wanted to prove, and two years later, the Faculty of Letters of Lyon awarded her the diploma of bachelor of letters.

Others followed this example: Miss Emma Chenu among others, who received the grades of bachelor and licentiate of science. Such occurrences, without being common, are now quite frequent, and two Frenchwomen, a Russian and an American follow the courses of the medical school of Paris – no without having conquered by dint of courage many obstacles, much disdain.

The lists opened in 1858 with the book Justice in the Revolution, where Proudhon grossly insulted women, and with Love and Woman, where Michelet, more mildly, insulted women hardly less.

These books, and others that repeated them, written by fanciful publicists, or by too tender poets, were only brutal pamphlets, or erotic fantasies. They confessed the man much more than they revealed the woman. Two replies, among others, very energetic, were addressed to them, one entitled: Idées anti-proudhonniennes, signed Juliette Lambert; the other: La Femme affranchie, by Madame J. d’Héricourt, a highly controversial work, in which common sense, logic and reason are expressed with a verve full of irony. These two works, which had good play against the Proudhonian contradictions, already greatly weakened, in the world of thinkers, the prestige of the Franche-Comté athlete; but were little read by the vulgar public. Madame d’Héricourt’s beautiful book, while principally refuting Proudhon, also attacked Michelet, Auguste Comte and other detractors of women. But too serious and too lofty to have a success of curiosity and scandal, it did not check the popular effect of these doctrines signed by well-known names.

In France, where one feels the need to shine in conversation on all subjects, and where one has no more time than elsewhere to deepen all things, where the mind is as quick as speech, opinion is extremely impressionable; it has, like the atmosphere, impetuous and changing currents. Woman became for many a sick person; for all in general, an inferior. Besides, one had only to let oneself go on this point toward tradition.

It has been wished to attribute to the influence of Michelet a marked softening of the mores of marriage. This is doubtful; because we only have true and constant regard for those we respect, and moreover, there is no real barrier against the selfishness of power except acquired right, realized, standing in its strength. Such arbitrary and superficial influences can only produce analogous effects. [2]

In short, women have won from the Revolution, so far, only the law on inheritance and insufficient protection against public abuse. Is she more respected than before? No. For several years we have felt, by the force of things, that we have to reckon with it. Her right, which irritates the power of man, is in question; awakened concern and mistrust set aside the old courtesy, and, without wishing to treat her as an equal, she is already treated as an adversary.

“Women’s rights!” they exclaim. This ridiculous thesis again! And depending on how thoughtful the speaker is, he gets away with it, either with a shrug of the shoulders or with a few deep words about exactly how much liberty and benefits women can be given, in relation to with their duties and the needs of society. As for common right, those who are attached to it, we count them. To tell the truth, the thing is frowned upon, and worn even worse. We can only talk about it, even the most benevolent ones, with a kind of modesty, and a half-smile.

Perhaps, however, laughter — which once succeeded so well — will now do little. Everything wears out, especially raillery; but until they are resolved, the questions remain. It is in vain for the superficial to scorn, for people of wit to cast malicious or rude darts (passion sometimes prevails), the vulgar may well follow their leaders; literature can put the situation to music and prove by dint of pauses, vocalizations and fantasies that woman is a houri, a peri, a fairy, an angel, to whom everything earthly must — except a few points — remain a stranger, there is the force of things which, despite everything, acts, forces us in these times to take terrible inventories, and reveals to us a situation that is neither superficial, nor spiritual, nor graceful, but, if we want indeed, ridiculous… bitterly.

It has been proven for a long time by figures: the salary of women is insufficient. For the working woman in the city, it is on average 1 franc 20 centimes per day. But the averages are an abstract thing, and, in order to reckon more humanely with hunger, it would be necessary to remove from this figure the influence of a few high gains, entirely exceptional, and reserved for a very few. If, therefore, the majority of working women earn about 1 franc 20 centimes, it is at the expense of a minority who earn even less, and whose wages sometimes drop to the derisory figure of 60 centimes. It is useless to demonstrate that, either in our cities or in our countryside, but especially in the cities, existence at this price is impossible.

How do they live? The answer, everyone does; it has become commonplace: through misconduct, through prostitution; some get away from it by suicide. Proponents of good principles will object: and marriage?

There would be much to say, from the moral point of view, about marriage imposed as an economic expedient; but, to speak at this moment only of the fact, it is recognized that less and less, the man, the worker especially, marries. The wife and children are a burden, an obligation, and one prefers, under the aegis of a complacent law, to exploit the wife and lose the child. We have said it, we have repeated it, we shout it: morals are in decline. Concubinage in the cities has become the rule, marriage the exception. We will remain convinced of this if we reflect that concubinage is renewed an indeterminate number of times, while marriage generally counts only once in life.

There has often been talk of the struggle between honor and the hunger imposed on the worker. This struggle undoubtedly exists, alas; but in most of the manufacturing towns, it is forestalled by the excess of corruption.

“In our various manufacturing towns, we see little girls of twelve years old offering themselves every evening in the street, and the town of Reims has more than a hundred children of this age, who have no means of subsistence outside of prostitution.” (Villermé, quoted by Mademoiselle Daubié).

Physical degeneration, of course, follows moral degeneration; (it must be said for those who will take the former into account in particular), both are engendered and perpetuated. The population is debased and bastardized. We are on our way to Lilliput. And how could it not be so? the deceived woman is the abandoned child; debauchery is life gangrenous in its germ.

Infanticide counts as one figures raised in the judicial statistics of the last ten years. But there are only clumsy people, at their first attempt, who arrive for this cause on the benches of the assize courts; a social industry, which is developing more and more considerably, that of abortions, organizes things more decently because any seriously accused situation creates institutions in keeping with its needs.

Despite everything, France annually feeds about 50,000 foundlings, of whom she buries, it is true, three quarters before the age of twelve; the rest are called, as we know, to populate the prisons, the galleys and to appear on the scaffold.

“Eight-tenths of the minors who allow themselves to occupy the time of our courts, belong to the tribe (of natural children). It provides prostitution with a good quarter of its recruits. The army of thieves, swindlers, bandits of all kinds, which encamps among us, owes it most of its soldiers; and we must add its elite soldiers.” (Paul Lacombe. Free Marriage).

Where does this demoralization come from? We look for it in political causes, but political causes are only effects. What produces them? What produces the debasement of spirits? Indifference for the good, carelessness toward the bad, this cowardly softness that falls asleep in enjoyment, the nervousness where the soul has only fleeting impressions, ideas, no more feelings, hence no more action? What, then, has extinguished enthusiasm and substituted, in the eyes of youth, for the laughing flame of great hopes, the atony of drunkenness, or the viscous brilliance of shameful desires?

It is debauchery. But where is the debauchery coming from? How is it different from love?

In that it applies only to the senses, while love seizes at the same time, to exalt them, all the faculties of being. In love, the beloved becomes the very ideal; in debauchery, the being is only an object.

That being so, what have we done with the woman?

By the material dependence in which she is kept, excluded from almost all social functions other than the servile, and reduced to an insufficient salary, she is forced either to sell herself in marriage in exchange for an often illusory protection, or to rent herself in temporary unions: — She has been made an object.

By the moral servitude imposed on her by declaring her made for man, and not for herself, born for the devotion, annex, accessory, of the principal being, by ordering her submission, thereby depriving her of initiative and responsibility, she has been struck with moral incapacity — she has been made an object. By systematically lowering the level of education for her, by forbidding her, and by the empire of prejudice, and by the refusal of means, higher studies, we have forced her to remain, in general, intellectually inferior — to descend from the role of subject to that of object.

In short, while a strange point of honor has been made for man by exalting his brutal faculties, we have, on the side of woman, overthrown all obstacles, enervated all forces that could react against this brutality.

The one who more particularly is the guardian of morals, we wanted her not to belong to herself. Submission and impersonality have been given to her as dogma; this dogma has been upheld by all civil, political, and economic laws, and then we are surprised at the lowering of morals!

Submission! There are applications of words that are unconscious syllogisms: Submissive girl!… Indeed, it is the last word of the system. From abdications to abdications, from fall to fall, it ended up there.

This system is not new. But at the present time, it manages to produce its most violent effects, as a result of the bastard alliance of the old order of things and the new. The woman finds herself both responsible and irresponsible; outside the common law as regards right, she returns to it as regards duty. Declared weak and subordinate, and as such excluded from participation in social benefits, however, she remains burdened with herself, without any real protection. A new social force, industry, accepts her, only to crush her; civil and economic laws condemn her to misery; and misery compels her to shame.

“The misery of prostitutes is such that in a list of girls registered in Paris, among more than 6,000 prostitutes, only two were found who could have lived off their work or their income… one of them fought three days against the tortures of hunger before being registered… Workers, servants without resources and without asylum are obliged to wander in the streets of our cities, where the police pick them up; this police is made up of sergeants, former soldiers for the most part, who have already dragged virgin girls to the Office of Morals under the charge of having provoked debauchery without authorization and without license… these cruel errors are renewed every day for the daughter of the people without her cry of protest being heard… Out of 4,000 registered girls native to Paris, there were, a few years ago, barely 100 in a condition to sign their name… natural women make up a quarter of the number of brothels, supplemented in part by victims of seduction (Mlle. Daubié, The Poor Woman in the 19th Century).

“Legal prostitution therefore gives us only a faint idea of the progress of demoralization in our century; for the number of young girls devoted to clandestine prostitution is three times that of registered girls in Paris; the former are to be found there in a multitude of cafes, theatres, taverns, taverns and bedsits. (id.)

If the number of female prostitutes is considerable, the number of male prostitutes is much more. These, not being subject to any rules of the road, quietly infect our streets with their corruption, are a permanent danger to public safety, propagate debauchery, and defile even the honest imaginations, obliged to take account of their existence, and to understand their encounter.

But the man on this point is irresponsible. By a strange anomaly, he is irresponsible, declared an adult; she is responsible, she has been declared a minor. Agent of immorality, recognized by public opinion, he parades his excitements with impunity, displays his examples. He can seduce without fear young girls, children of 16 and 14 years. [3] He is fully free to transform nature’s strongest and most sacred bond into a crime and an abjection. If the girl he abandoned, driven by shame or misery, gets rid of the child he created, he will appear in the trial as a witness for the prosecution, and will come out of there safe and sound to go join his voice, on some other less scabrous occasion, to the verdict of public opinion against unfortunate women so worthy of contempt. However, there would be no lack of arguments to maintain that the suppression of the child is less cruel than its abandonment. We know the frightful mortality that plagues these unfortunate little creatures; what contempt, what harsh treatment wither and deprave those who resist the effect of bad care in the earliest ages! And that they are destined in advance to be the recruits of crime and debauchery!

However, their number is increasing every day. From 16 to 17 thousand are born annually in Paris.

“The almost continuous increase in the number of natural children is a fact admitted by all statisticians.” [4]

Fortunately, we have acquired the habit, noble and disinterested, of letting social things go as they please and of meddling above all in our personal affairs; these things do not prevent us from sleeping. One is idealistic, or one is not. It is beautiful to live with your feet in the mud, your eyes in the clouds. — Sometimes, however, when we are robbed, or when we are murdered (debauchery and cruelty, according to phrenologists, are closely linked); when we are bankrupt; when our daughter marries a bad subject; when our son loses soul, body and property; when social nervousness translates in the face of the world into immeasurable platitudes; when hypocrisy, having reached the limit that separates it from cynicism, laughs in our face; when, here and there under the hand of the judge, some basement window opens, from which issue mephitic and suffocating vapours; when crime rubs shoulders with us, brushes against us, bursts out here, there, below, above, on all sides; when the facts finally, more and more, become unspeakably insolent, then we nevertheless find that things are going badly and anxiety seizes us.

In the past, the poor were forced to conduct themselves well; the sons of families alone had the privilege of the orgy. But now the equality of bad morals becomes revolting. The man of the people exploits the woman, as the nobles did, as the bourgeois do. Every year 75,000 citizens are born without civil status, and the situation tends to increase. The multitude does not pull any punches: it begins in its reign by princely mores. The family is no more, or nearly so; property, legitimate or not, is threatened. Formerly, we laughed at all these things, and clever people made pleasant jokes about them, which hijacked our easy and cheerful humanity. But when everyone gets involved, there’s really no means.

There is also the question of luxury. The woman, born to please, took this destiny so seriously that the budget of the toilet became in each household, from the point of view of overdraft and borrowing, similar to that of a government; and, likewise, it is honor and conscience that pay the costs of the system, without prejudice to the final ruin, Oh my God, one must live well! Only, whereas here, to live is to have a piece of bread, there, it is about turbot, satin, lace. On both sides, we nevertheless give in to dire necessity. Most decent women sell, it is true, only their husbands; but if they foolishly refuse to do so, do they not well deserve that we cease to cherish them and that we are moved by a more ardent devotion? Because after all, you are foreign: you say, you maintain that woman is born to please, you only leave her to do that; you forbid serious things to her, and now, if her pretty fingers play with honor, delicacy, political faith, if with her little feet, shod in satin, she crushes, while dancing, all those things she does not understand, what are you complaining about, when you have only to praise yourselves for her obedience?

But, when it comes to the woman, the man doesn’t want to be logical and doesn’t seem to be able to. More and more, however, the facts urge him and undermine him. Having become a social danger in morals, a cause of demoralization and ruin in the family, here is the inexorable question that still arises on the political ground, or rather, which, posed for a long time, finally appears to all eyes.

We have just noticed that it was of some importance that women were raised on the knees of the Church, or in the data of the modern faith. At first it was thought that for them, as for the children and for the people, religion was good; but it so happens (by a miracle that one would never have suspected) that the slavery of woman is opposed to the freedom of man; that if the pope still reigns, it is by their grace, even the emperor, and that these tiny creatures, who do not have the right to vote, nevertheless influence the elections. — Yes, the thing has become clear, to the point that there is no longer any doubt about it, however mortifying and embarrassing it may be. Here is the past challenging the future in pitched battle; for everything that dates from revolutionary conquests, it is a matter of being, or not being; and one is obliged to recognize that having half of humanity for or against oneself is a serious matter. Also, our Democrats, preservers all the same of the monarchy of the home, who have hitherto been neither more polite to women than the Church, nor less despotic, do they make concessions: there is a serious question among them of making women capable of raising little democrats for the salvation of society.

— Good people, take care! logic is inflexible. To make democrats, they will have to be democrats themselves. There is only one step from being emancipated to being of age. Going back to the Fathers of the Church, represented, in this time of decadence, by Mgr Dupanloup, or restoring to women their rights as human beings, there is no middle ground.

— Her human rights! You mean equality? Stop right there! exclaims the battalion of physiologists and psychologists, to whom we owe, for ten years, so many ingenious, minute, delicate and fanciful observations regarding woman; and so many judgments full of male crudity; with so many scientific findings, and such. No! It is only a question of associating the woman better with our action, of making her our helper and co-operator in these things, but under our necessary direction, and always with reserve and moderation. Because it is not a question of right, but of utility. The subordination of woman is the very law of nature. Woman is not, cannot be equal to man. She is inferior to him physically, intellectually…

— And morally?

— Oh! On this point, opinions vary. All sensitive writers make woman the genius of feeling; some logicians — more consistent with themselves — represent her on the contrary as an unjust creature,arbitrary, passionate, whose feeling is only an instinct, humanized by the imagination. There is a matter of controversy here.

— Let’s have the controversy.

But first of all, let’s summarize the previous review: Where does social demoralization come from? From the material dependence of the woman, in other words of the insufficiency of her salary, from the impossibility in which she finds herself to meet her needs alone.

Where does corruption in the state come from, the softening of consciences to the obligations of large salaries — and small ones — the general need for luxury and its excesses? Material concerns dominating and replacing all others? In short, liberty and dignity, lost in the present, threatened in the future? Whence comes, less than a hundred years after Voltaire, the continued reign of the obscurantism? And eighty years after the declaration of the rights of man, despotism re-enthroned? — From this moral and intellectual dependence of woman, which makes her foreign to the idea, to law, to justice, to honor, and delivers her entirely to servile occupations, or to frivolous tastes, overexcited by vanity.

Exaggeration! you say; alleging that it is attributing too much importance to a single cause?

But what ! out of 40 million souls, would that not be 20 million? Are there many more general causes? Especially when it must be recognized that the other half necessarily suffers the backlash of the system and takes its fair share of the vices it produces. If our evils are made of ignorance and nervousness, half the nation, trained in obedience and superstition, sufficiently explains all the unpunished excesses of the double serfdom, political and religious, that we suffer.

II



INFÉRIORITÉ PHYSIQUE DE LA FEMME

Comment se pourrait-il faire que la femme fût physiquement inférieure à l’homme ?

Comme homme, soit ; au point de vue de la lutte, sa force physique serait inférieure. Mais elle est femme, et comme telle sa force doit être portée vers d’autres objets, et dépensée d’une autre manière.

On ne peut déclarer un être inférieur, par le seul fait qu’il diffère d’un autre ; surtout quand cette différence est précisément la faculté qui le distingue, et qui détermine sa destinée.

Si la femme est inférieure à l’homme en tant que manœuvre, elle est, comme reproducteur principal de l’espèce, le premier ouvrier de l’humanité.

On fait valoir au delà de son importance l’infériorité musculaire de la femme. En fait, historiquement, la femme fut la première bête de somme.

En fait, actuellement, elle partage avec l’homme la plupart des travaux pénibles.

Parce que la force physique de la femme n’est identique à celle de l’homme, il ne s’en suit pas qu’elle ne soit pas égale.

Qu’on ne se récrie pas trop. L’appréciation n’est pas si paradoxale ; elle se base sur des faits.

La gestation, la crise terrible de l’enfantement, la dépense de forces que l’allaitement exige, les soins, les veilles, l’attention, toujours en éveil, que réclame, pendant ses premières années, le doux fardeau si actif, si remuant, si impérieux, qui plie le corps à tant d’attitudes pénibles, tout cela compose un ensemble de fatigues, qui dépassent de beaucoup celles du travail le plus dur ; c’est un effort suprême, en vue duquel s’accomplit secrètement une réserve de forces extérieures. Parmi les maris, très-rares, qui interviennent dans les soins de jour ou de nuit donnés à l’enfant, il en est peu, ce fait est bien connu, qui les puissent partager longtemps. Ceux qui accomplissent journellement un travail musculaire, en sont tout à fait incapables, et tous à cet égard se déclarent vaincus par l’énergie persistante de la mère.

La plupart des médecins, émerveillés de la constance de la femme, au milieu des souffrances les plus vives, mettent son courage fort au-dessus de celui de l’homme.

Or, si l’on supprimait tous les petits cris, toutes les pâmoisons, qu’inspire à une femme bien élevée le sentiment légal et littéraire de sa faiblesse et de sa sensitivité,

Si l’éducation, au lieu de l’étioler par une oisiveté systématique, et de l’alourdir par une gaucherie voulue, s’attachait à développer en elle les grâces et les énergies de la force et de la santé,

On s’apercevrait mieux que la femme possède contre la douleur, contre la fatigue, pour les travaux et les luttes de la vie — dont, quoi qu’on en dise, les plus rudes épreuves ont été réservées à cette prétendue faiblesse — une force, particulière sans doute, contenue, latente, en rapport avec les aptitudes de l’être auquel elle appartient ; mais qui peut en somme, comme valeur absolue, soutenir la comparaison avec la force plus extérieure de l’homme.

Voyez, à l’abri des saules de la fontaine, penchée sur le lavoir, cette femme aux manches retroussées, qui tord son linge, d’une paire de bras rouges et vigoureux, tandis que près de là jouent, ou braillent, plusieurs marmots ? Elle va tout à l’heure prendre sur un bras son paquet de linge ruisselant et lourd, et de l’autre son nourrisson, qui ne marche pas encore, pour s’en aller à la maison préparer le repas du soir.

De tout le jour, elle ne s’est pas reposée ; car sur elle pèse le soin de tout. À peine si l’enfant qu’elle nourrit l’a laissée jouir pendant la nuit de quelques heures de sommeil ; et cependant, levée dès l’aube, elle va, d’un ouvrage à l’autre, haletante, courbée, soignant presque toujours deux ou trois choses à la fois ; et le soir, quand l’homme, revenu du travail du jour, s’assied vis-à-vis du souper fumant, elle, debout, le sert, se couche la dernière, et ne recueille pour récompense, de cet incessant labeur (plus fatigant pour le corps et pour l’esprit, qu’un travail plus dur, mais régulier), que des grossièretés souvent, quelquefois des coups.

Celle-ci, à coup sûr, n’est point un lierre gracieux et flexible ; mais un arbre robuste, aux rejetons vigoureux. Souvent, après la mort du mari, ou par son insuffisance, car la vie et l’activité de cette faible femme survivent généralement à celles de son compagnon, vous la verrez prendre en main la direction du petit ménage, ou de la ferme, et c’est alors, je vous jure, que tout marchera droit et bien.

— Ce n’est point une femme que cette virago, me répondrez-vous…

Si ce n’est point la femme, telle que vous l’imaginez, c’est la femme de la nature. La villageoise compte pour les trois quarts environ de la population féminine, et l’argument a quelque valeur. Car enfin, en dépit des jolies choses qu’on se plaît à publier sur la femme, ce n’est pas de fantaisie, mais de réalité qu’il s’agit.

Ce n’est pas la femme complète ? — Non sans doute. Mais le paysan vous semble-t-il homme complet ? Pas davantage. Ici, comme partout, les mêmes conditions subies produisent sur l’homme et la femme les mêmes effets.

Dans le parti où l’on s’est jeté de différencier l’homme et la femme, jusqu’à en faire deux contraires, on s’est plu à exagérer la faiblesse féminine, oubliant qu’il faut bien que cette prétendue faiblesse recèle la force, puisqu’elle la donne. La force résistante et reproductive de la femme dans l’ordre physique, est l’équivalent de la force masculine, plus extérieure. En faire l’équivalent d’une force intellectuelle créatrice, réservée à l’homme seul, c’est confondre arbitrairement des ordres de choses distincts ; c’est bâtir en l’air sa théorie, sorte de construction familière aux entrepreneurs de ces thèses.

Et maintenant, au point de vue du droit, qu’importe ? Admettons cette absurdité que la femme soit jugée sur le plan de l’homme et non sur le sien à elle ; oublions son rôle spécial, et la nécessité qui s’en suit de forces spéciales et autrement réparties ; supposons qu’elle soit réellement l’être faible et chétif, pâle et vaporeux, qu’un faux idéal lui donne pour modèle, en résultera-t-il qu’elle doive être déclarée inférieure et surbordonnée, au point de vue moral et intellectuel ?

Depuis quand est-il établi que la force physique et l’intelligence soient en raison directe l’une de l’autre ?

Il faudrait à ce compte recruter nos hommes d’État parmi les clowns ; or, sans méconnaître les rapports qui existent entre ces deux classes d’équilibristes, il serait difficile de soutenir qu’on ne peut trouver mieux ailleurs.

Hercule avait de grandes qualités ; mais il n’a point inventé la poudre, qui lui eût beaucoup servi. Le grand Goliath fut abattu par le petit David, et dans ces légendes, où l’humanité met, en même temps que ses rêves, ses conceptions, toujours la force brute du géant ou de l’ogre, est narguée et vaincue par la malice des nains, ou l’esprit de quelque bonne petite fée.

On aurait donc plutôt le préjugé contraire, si préjugé il y a, celui qu’un grand développement matériel s’unit rarement à une grande puissance d’esprit.

Objectera-t-on les nerfs des femmes ? — Nous mettrions bien volontiers les petites maîtresses hors de concours, avec la conviction profonde que dès que les nerfs ne seront plus en faveur, ils séviront beaucoup moins. Ce qu’on peut affirmer, c’est que la santé, l’équilibre des forces, paraît nécessaire au plein exercice de la raison, et que sous ce rapport, l’éducation des femmes, dites bien élevées, a besoin de réformes. En attendant, il ne manque pas d’illustres exemples qui infirmeraient cette règle, pourtant si juste. Les nerfs de Voltaire et son état souffreteux, ne nuisirent point à son immense bon sens.

C’est grâce à Voltaire, et à d’autres, qu’on cherche maintenant dans la nature la légitimation des faits sociaux, ou la justification des théories. Il ne faut pas oublier cependant que l’homme sorti parfait des mains de l’auteur de la nature, n’est qu’une fantaisie de rhéteur, et que la civilisation, ou, pour employer un terme moins contestable, la raison humaine, a pour tâche de réformer et de perfectionner l’être primitif par un travail incessant création légitime, puisqu’elle tend à réaliser de plus en plus un but conforme à la fois à la nature et à l’esprit, la justice.

Aussi, quand certains partisans de la subordination de la femme, vont chercher dans la force physique de l’homme, au point de vue de l’union des sexes, une indication naturelle de suprématie, émettent-ils une brutalité sans portée. Qu’on nous ramène alors à la forêt primitive, au droit du plus fort et à toutes les violences de l’état sauvage ; qu’on cesse de définir l’amour échange et consentement. Ou bien, si tous les efforts de l’intelligence et de la conscience tendent à substituer le droit à la barbarie, qu’on laisse pour ce qu’ils valent de tels arguments.

Au point de vue de la société, le droit du plus fort n’existe pas. C’est la première abdication que le contrat social exige, et il faut qu’elle soit complète. Il n’y a point entre deux situations, entre deux principes, d’opposition plus marquée. Le principe d’association, qui est au fond celui d’équité (réalisé suivant la conception de chaque époque), a précisément pour but de combattre l’abus de la force ; et plus le système de l’association s’étend et se perfectionne, plus le principe adverse recule et s’anéantit. La science, l’adresse le remplacent ; tout progrès nouveau concourt à l’annihiler ; il agonise ; qu’on n’en parle plus.

II

PHYSICAL INFERIORITY OF WOMEN

How could it be that woman was physically inferior to man?

As a man, so be it; from the point of view of the struggle, her physical strength would be inferior. But she is a woman, and as such her strength must be directed to other objects, and expended in another way.

One cannot declare a being inferior, by the mere fact that it differs from another; especially when this difference is precisely the faculty that distinguishes her, and which determines her destiny.

If woman is inferior to man as a laborer, she is, as the main reproducer of the species, the first worker of humanity.

The muscular inferiority of woman is emphasized beyond its importance. In fact, historically, the woman was the first beast of burden.

In fact, she now shares most of the heavy work with the man.

Because the physical strength of woman is not identical to that of man, it does not follow that it is not equal.

Let’s not protest too much. Evaluation is not so paradoxical; it is based on facts.

Gestation, the terrible crisis of childbirth, the expenditure of strength that breast-feeding requires, the care, the vigils, the attention, always on the alert, which the gentle burden, so active, so restless, so imperious, which bends the body to so many painful attitudes, all this composes a set of fatigues, which go far beyond those of the hardest labor; it is a supreme effort, in view of which a reserve of external forces secretly comes to be. Among the husbands, who are very rare, who intervene in the day or night care given to the child, there are few, this fact is well known, who can share them for a long time. Those who perform daily muscular work are quite incapable of it, and all in this respect declare themselves overcome by the persistent energy of the mother.

Most doctors, marveling at the constancy of the woman, in the midst of the keenest sufferings, place her strong courage above that of the man.

Now, if we suppressed all the little cries, all the swoons, which the legal and literary feeling of her weakness and her sensitiveness inspires in a well-bred woman;

If education, instead of withering her with systematic idleness and weighing her down with deliberate awkwardness, strove to develop in her the graces and energies of strength and health;

It would be easier to see that woman possesses against pain, against fatigue, for the labors and struggles of life — of which, whatever one may say, the harshest trials have been reserved for this so-called weakness — a strength, particular no doubt, contained, latent, related to the aptitudes of the being to which it belongs; but which can on the whole, as an absolute value, bear comparison with the more external strength of man.

See, in the shelter of the willows of the fountain, leaning over the washhouse, this woman with her sleeves rolled up, who twists her linen with a pair of red and vigorous arms, while near there are playing, or bawling, several brats? She’s going to take her bundle of dripping, heavy linen on one arm, and on the other her infant, who isn’t walking yet, to go home to prepare the evening meal.

All day she did not rest; for on her weighs the care of everything. The child she is nursing has barely allowed her to enjoy a few hours of sleep during the night. And yet, rising up at dawn, she goes from one work to another, panting, bent over, almost always taking care of two or three things at the same time; and in the evening, when the man, having returned from the day’s work, sits down opposite the steaming supper, she, standing up, serves him, goes to bed last, and collects as a reward for this incessant labor (more tiring for the body and for the mind than harder but regular work), often only coarseness, and sometimes blows.

This one, certainly, is not a graceful and flexible ivy; but a robust tree, with vigorous shoots. Often, after the death of the husband, or through his inadequacy, for the life and activity of this weak wife generally outlives those of her companion, you will see her take over the management of the small household, or of the farm, and it is then, I swear to you, that everything will go right and well.

— This virago is not a woman, you will answer me.

If she is not the woman, such as you imagine her, she is the woman of nature. The village woman accounts for about three quarters of the female population, and the argument has some merit. For after all, despite the pretty things that people like to publish about women, it is not fantasy, but reality that is at stake.

She is not the complete woman? — Doubtless she is not. But does the peasant seem to you a complete man? No more. Here, as everywhere, the same conditions undergone produce the same effects on men and women.

Among those quick to differentiate the man and the woman, until making two opposites, some have taken pleasure in exaggerating feminine weakness, forgetting that this so-called weakness must conceal strength, since it gives it. The resistant and reproductive force of the woman in the physical order, is the equivalent of the male force, which is more external. To make it the equivalent of a creative intellectual force, reserved for man alone, is to arbitrarily confuse distinct orders of things; it is to construct a theory in the air, a sort of construction familiar to the entrepreneurs of these theses.

And now, from the legal point of view, what does it matter? Let us admit this absurdity that the woman is judged on the plane of the man and not on her own; forget her special role, and the consequent need for special and otherwise distributed forces; suppose she really is the weak and puny being, pale and vaporous, which a false ideal gives her as a model, will it result from this that she must be declared inferior and subordinate, from the moral and intellectual point of view?

Since when has it been established that physical strength and intelligence are directly related to each other?

On this account, it would be necessary to recruit our statesmen among the acrobats; now, without misunderstanding the relations that exist between these two classes of tightrope walkers, it would be difficult to maintain that one cannot find better elsewhere.

Hercules had great qualities; but he did not invent gunpowder, which would have served him well. The great Goliath was felled by the little David, and in these legends, where humanity places, alongside its dreams, its conceptions, the brute force of the giant ogre is always taunted and defeated by the malice of the dwarves, or the spirit of some good little fairy.

We would therefore rather have the contrary prejudice, if prejudice there is, that great material development is rarely united with great power of mind.

Will one object to women’s nerves? — We would gladly put the little mistresses aside for the moment, with the deep conviction that as soon as nerves are no longer in fashion, they will be much less severe. What we can affirm is that health, the balance of forces, seems necessary to the full exercise of reason, and that in this respect, the education of women said to be well brought up needs reform. In the meantime, there is no shortage of illustrious examples that would invalidate this rule, which is nevertheless so just. Voltaire’s nerves and his sickly state did not harm his immense common sense.

It is thanks to Voltaire and others that we now seek in nature the legitimization of social facts, or the justification of theories. It must not be forgotten, however, that man, born perfect from the hands of the author of nature, is only a rhetorician’s fancy, and that civilization, or, to use a less debatable term, human reason, has the task of reforming and perfecting the primitive being by an incessant work of legitimate creation, since it tends to realize more and more a goal conformable at the same time to nature and to the spirit, justice.

Also, when certain partisans of the subordination of women seek in the physical strength of man, from the point of view of the union of the sexes, a natural indication of supremacy, they express a brutality without significance. Let us then be brought back to the primitive forest, to the right of the strongest and to all the violence of the savage state; let us stop defining love as exchange and consent. Or else, if all the efforts of intelligence and conscience tend to substitute right for barbarism, let such arguments be left for what they are worth.

From the point of view of society, the right of the strongest does not exist. This is the first abdication that the social contract requires, and it must be complete. There is no more marked opposition between two situations, between two principles. The principle of association, which is basically that of equity (implemented according to the conception of each era), has precisely the aim of combating the abuse of force; and the more the system of association extends and perfects itself, the more the opposing principle recedes and is annihilated. Science and skill replace it; any new progress contributes to annihilate it; it is dying; let’s not talk about it anymore.

III



INFÉRIORITÉ INTELLECTUELLE

Depuis qu’un poëte, au sortir d’un amphithéâtre, s’avisa de bâtir une théorie sur ses impressions, la physiologie sert de base à tout système un peu convenable au sujet des femmes. Pour cela, il n’est pas nécessaire de la savoir, au contraire. La moindre variation sur le thème connu suffit, et l’orateur, ou l’écrivain, s’y livre généralement avec d’autant plus de faconde qu’il est plus éloigné de mériter un diplôme de la Faculté.

— Quoi ! vous imposeriez d’abstraits calculs à ce frêle cerveau ? Sans pitié, vous soumettriez aux luttes de la vie un système nerveux d’une telle sensitivité que tout y vibre au moindre contact et que bientôt d’affreux désordres…

Suit la peinture obligée de l’hystérie. L’hystérie a fait depuis quelques années dans les livres, dans les journaux, dans les discours, des ravages affreux. On a prouvé de même que la femme, différente de l’homme en toutes choses, par le sentiment, par le cerveau, ne demandait qu’à être guidée, soutenue, maîtrisée, rudoyée même ; que son bonheur, son orgueil à elle, était de se suspendre au bras de l’homme comme un lierre à son appui. Tout le monde connaît à présent cette créature, je veux dire cette création, mobile, capricieuse, tour à tour sublime et fantasque, éthérée et rampante, douce et horrible, animalement tendre, digne de tous les adjectifs, et qu’aucun substantif ne réalise, pétrie de toutes les quintessences et de toutes les abjections, fille de l’antithèse, et sœur de la périphrase. Toute la rhétorique dont se compose la philosophie actuelle s’est épuisée là-dessus ; toutes les serinettes ont vulgarisé ces airs ; on sait tout cela par cœur.

De ces profondes études, il résulte que la femme est incapable des hautes conceptions et même d’un travail suivi ; que l’étude lui est contraire ; qu’elle n’est faite que pour adorer l’homme et lui obéir. Et comme preuve de ces assertions, le cerveau féminin serait plus petit que le cerveau mâle.

Si ce n’était pas trop indiscret, — je demanderais à ces amateurs de physiologie, qui affirment si carrément la différence du cerveau masculin et du cerveau féminin, s’ils en ont beaucoup disséqué des deux sortes ?

Et ce point éclairé, en supposant qu’il soit résolu par l’affirmative, je demanderais de nouveau s’ils ont trouvé dans le cerveau quel- que organe particulier au sexe, ou des différences organiques ?

Sur ce point, la réponse est connue d’avance. Non, rien de tel n’existe.

La seule différence qu’on allègue est celle du poids de la matière cérébrale, plus lourde généralement, assure-t-on, du côté masculin.

Lourde est malsonnant en pareille affaire ; mais passons. — Dans ces pesages comparés, a-t-on tenu compte des conditions particulières à chaque individu ? de l’âge, des proportions de taille, de structure, enfin, et surtout, de l’éducation ?

Et puis, est-il bien certain qu’ici la quantité et la qualité soient, au contraire du dicton, en raison directe ?

Est-ce d’étendue et de volume qu’il s’agit ? Qualités acquises — pour une part au moins — par la nature et la diversité des occupations du cerveau ? Ou bien de pénétration ? qualité propre et première.

Avez-vous, en ces expériences délicates, saisi et pesé, dans sa valeur intrinsèque, le germe — souvent endormi — de la puissance ? ou seulement ses effets ?

Enfin — j’y reviens — n’a-t-on comparé que des êtres nés et développés dans des conditions identiques ? les a-t-on comparés en nombre suffisant pour que l’action du hasard fût conjurée ?

Non pas ; on a fouillé des cimetières ; on a disséqué des inconnus.

Parmi les malheureux que la misère jette à ce triste et dernier écueil, l’amphithéâtre, il se trouve souvent des hommes qui avaient reçu de l’instruction, quelquefois très-étendue. Soit par fausse vocation, ou manque d’énergie ; soit débauche ; souvent par l’encombrement des fonctions, les carrières libérales et littéraires fournissent à l’hôpital nombre de victimes.

Chez les femmes, au contraire, celles qui sont nées dans des conditions heureuses, ou moyennes, d’éducation, généralement y restent, soit pour y vivre, soit pour y languir ; mais elles ne tentent point la fortune, et par conséquent n’en sont point trahies. Les malheureuses qui meurent à l’hôpital, appartiennent donc presque toutes à cette condition misérable, qui laisse à l’esprit encore moins de chances de développement que n’en a le corps.

Et c’est sur de telles données qu’on prononce !

Tandis que les maîtres poursuivent lentement, silencieusement, leur œuvre patiente, et jugent que ce n’est pas trop de toute une vie pour arriver à un peut-être, des amateurs de passage, vulgarisateurs improvisés, qui n’ont fait que poser l’oreille à la porte du sanctuaire, s’en vont crier, sur le résultat du jour ou de l’heure, une conclusion scientifique de plus.

À cette époque où la science à peine sort de son berceau, chaque jour la vérité définitive nous est révélée. Depuis qu’il est admis que tout système doit s’appuyer sur les faits, chaque fait isolé fait éclore un système. Jamais on ne vit tant de conclusions aussi prestement tirées ; jamais on n’entendit sur tant de carrefours, tant de gens crier à tant d’échos : Voilà ! j’ai trouvé ! je tiens la vérité même. Bonnes gens, approchez !

Nous visitions dernièrement les catacombes. Près de nous, deux hommes posés et diserts, qui semblaient jouir (soit du gré des autres et du leur, soit du leur seulement, je l’ignore) d’une confortable importance — ces deux hommes s’arrêtant devant une des rangées de crânes qui festonnent les monotones murailles d’ossements, dirent, en désignant tels et tels du bout de leurs cannes : Voici un crâne de femme ! en voici un autre ! un autre !…

C’étaient les plus déprimés et les plus petits.

— Vraiment ? dis-je.

— Assurément ! répondirent-ils. Cela ne fait pas le moindre doute. Et ils continuèrent leur étude, ou plutôt leur inspection, n’hésitant pas une seconde, tant leur conviction était complète et leur coup d’œil sûr ! On ne pouvait que rester confondu par tant de preuves.

Au reste, s’il est des physiologistes qui affirment la différence des cerveaux, il est des physiologistes qui la nient.

Et pour citer un exemple qui ne manque de valeur, voici ce que dit à ce sujet Von Scherzer dans son grand ouvrage sur le Voyage de la Novara. Dans ce voyage autour du monde, à travers tant de races diverses, Von Scherzer lui aussi, à tort ou à raison, a mesuré des crânes. Il en a mesuré incontestablement davantage, et en des conditions tout autrement variées, que nos physiologistes d’occasion ne l’ont pu faire dans un coin de Paris, sur cet écueil de l’amphithéâtre, que les mêmes flots à peu près viennent toujours battre. Voici cet qu’il dit :

« Chez les femmes, la largeur de la tête est en général analogue à la largeur de la tête chez les hommes ; mais chez toutes elle est relativement plus grande… En tenant compte de la différence des tailles, le crâne de la femme est chez tous les peuples plus haut, plus long et en même temps plus large que le crâne masculin. »

Espérons qu’ils sont généralement égaux, cela vaut mieux. L’assertion de Scherzer à cet égard n’est pas, en l’absence d’un principe certain de recherches, plus concluante que les autres. J’ai voulu seulement rétablir l’égalité des affirmations.

Ce que l’on peut affirmer sûrement, c’est que si la raison humaine a besoin du contrôle des faits, et doit en beaucoup de cas s’y soumettre, c’est elle aussi qui, pour une grande part, les crée :

La différence qu’on veut établir serait prouvée par de laborieuses comparaisons, faites dans les conditions d’équité les plus sérieuses, que cela servirait uniquement à constater l’état des choses présentes et n’impliquerait point l’avenir.

Lorsque l’intelligence de la femme aura cessé d’être systématiquement enfermée dans les premiers moules de la conception humaine ; quand on lui aura rendu l’air et la liberté ; quand elle recevra une instruction semblable à celle de l’homme, — ce qui ne veut pas dire semblable à celle d’à présent, — alors nos physiologistes pourront reprendre leurs balances et recommencer leurs calculs. Jusque-là, le bon sens et l’équité leur commandent de ne pas se montrer si pressés.

Mais qu’ai-je dit ? une instruction semblable à celle de l’homme ! Hérésie ! Eh quoi ! n’est-il pas établi qu’instruire une femme c’est nuire à son cœur ? Pour nos philosophes modernes, comme pour l’Église, la science conduit à l’enfer.

— Non pas, allèguent-ils, nous disons seulement que la science ne peut-être dispensée de la même manière à cet être délicat et fragile ; qu’il faut sur toutes choses ne point masculiniser la femme, trier soigneusement ce qui lui convient, et, de même que les oiseaux ne servent à leurs petits qu’une nourriture déjà digérée, ne donner à ce tendre esprit que des choses préparées pour lui, saines à garder, faciles à comprendre. Car l’homme et la femme ne pensent point de même et ne s’approprient rien de la même façon. Comme l’abeille de cent fleurs extrait son miel, de même il faut extraire de toutes choses pour la jeune fille le suc féminin, etc…

Il y a longtemps qu’on parle du masculin et du féminin des choses : je ne m’oppose pas à leur existence ; mais il serait temps de procéder à une classification certaine. Car enfin, selon la méthode adoptée de ne rien affirmer a priori, c’est par l’analyse qu’on doit s’être élevé à cette synthèse. Je demande donc une bonne fois le partage net, précis. Cela est plein d’importance ; il faut bien vérifier, et puis il s’agit d’éducation. Qu’on mette donc de côté, d’une part, les vérités d’ordre masculin ; de l’autre, celles d’ordre féminin ; qu’on sépare les sciences qui concernent uniquement l’homme de celles qui s’adressent à la femme uniquement ; ou bien, si le partage doit être fait au sein de chaque ordre de connaissances, qu’on démêle en syntaxe, en mathématiques, en logique, ce qui appartient à l’un ou à l’autre esprit.

En astronomie, par exemple, mettrons-nous le soleil d’un côté, de l’autre la lune ? L’histoire naturelle est mâle et femelle, très-bien — mais les rapports sont nécessaires. Et la géométrie, comment la diviser ? s’arrêter au pont aux ânes ? soit ; mais si la petite veut aller plus loin ? Et l’histoire ? fera-t-on le triage des siècles ou celui des faits, laissant les causes et leurs enchaînements s’arranger comme bon leur semble ? Tout cela paraît difficile ; on n’imagine guère comment il y aurait deux manières d’enseigner et de concevoir les propriétés du rayon solaire, ou l’assassinat d’Henri IV.

— Peut-être est-ce de mesure surtout qu’il s’agit et ne devrait-on enseigner aux femmes que les éléments de toute chose ? — Mais c’est le plus grand, le plus profond, le plus vaste ! le détail n’en est plus que la démonstration, nécessaire d’ailleurs.

— Ou bien, c’est entre les diverses branches de la connaissance humaine qu’il faut opérer le triage, donner à l’homme par exemple les sciences exactes et… Mais la femme vit de la nature aussi bien que lui et fait, bon gré, mal gré, tous les jours, de la géométrie, de la physique et de la chimie, à la manière de M. Jourdain. Et l’hygiène, si nécessaire à la mère de famille, et qui touche à toutes les sciences ?… Garderez-vous plutôt les sciences humaines ? — Mais il n’y a pas plus d’histoire, de langue et de littérature sans la femme qu’il n’y a d’humanité.

Cependant, puisqu’on affirme si bien ces limites, sans aucun doute, on les voit ; il serait donc utile de les exposer nettement. Qu’on montre enfin les deux faces de la justice, les deux sexes de la pensée ! Tous les esprits ingénieux qui se sont exercés déjà sur les deux morales, doivent entreprendre cette tâche ; elle est digne de leur valeur.

De deux choses l’une : ou les lignes qui séparent les deux ordres de conception sont visibles, nettes, et vous pouvez nous les retracer fidèlement ; ou bien, ce ne sont que linéaments si subtils, qu’ils se perdent pour la vue et la description dans un vague pareil à la ténuité des fantômes. En ce dernier cas, peut-être le plus probable, que faire ? quel parti prendre ? — Je n’en vois qu’un : enseigner bravement aux filles et aux garçons, indistinctement, telles qu’elles sont, la science et la vérité, Dieu reconnaîtra les siens.

Car, si l’esprit de la femme est naturellement différent de celui de l’homme, elle saura d’elle-même distinguer ce qui lui convient et rejeter le reste. — Vous criez au meurtre ; vous affirmez que ce serait lui gâter le cœur et l’esprit ! Il est une chose que je ne puis m’expliquer : c’est, d’un côté, la ferme confiance que vous avez en la femme de votre idéal, en cette créature sensitive, pétrie de charmes et de faiblesses, dont la nature, d’après vous, a si bien marqué le caractère et les bornes, — et la crainte folle que vous éprouvez de vous la voir changer en nourrice par une autre éducation.

Je le répète : si la femme est réellement ce que vous la dites ; elle restera elle-même, soyez-en-sûrs. Ou les caractères sont spécialement différents, et la nature gardera son plan et son œuvre ; ou ils sont propres à se confondre, au gré des aptitudes individuelles, et alors quel motif avez-vous d’en empêcher ? Le motif… Ah !… Tenez, soyons francs :

Vous en êtes encore à la Bible et à l’interdiction des fruits de la science, interdiction à l’envie rééditée par tous les représentants en ce monde du Père éternel. Mais, alors, soyez conséquents : baisez la mule du pape et soumettez-vous de bonne grâce à la monarchie de droit divin. La science est un danger pour la femme comme elle l’était pour le peuple. Vous croyez être de votre temps ; vous vous trompez : dans cette aube confuse où luttent la lumière et l’ombre, au milieu de ces ruines, entre lesquelles percent et croissent malaisément les germes nouveaux, vous êtes du parti de la nuit ; vous êtes les disciples du passé.

D’où venez-vous, cependant ? Et où allez- vous ? le savez-vous bien ?

Quoi ! la science serait pernicieuse ! Quoi ! vous, esclaves qu’elle a délivrés, vous la reniez déjà ! Elle serait mauvaise pour la femme, étant bonne pour vous ? Elle aurait cet étrange effet que, précieuse à la raison, elle serait funeste pour le cœur ! Et que deviendrait en ce cas la moralité de l’homme ? Que conclure d’un tel aveu ?

Cette question de la femme a cela de particulier qu’elle agit comme dissolvant immédiat sur l’intelligence, et brouille et confond toute notion précise. Ainsi, l’opinion générale qui admet l’infériorité intellectuelle chez la femme, par contre, se plaît à lui attribuer la supériorité en fait de sentiment. En sorte que de ces deux termes faiblesse de corps et incapacité d’esprit, résulterait l’inspiration sublime, chantée sur les lyres de tous les poëtes, ce cœur de la femme, inépuisable trésor ! merveille ! abîme ! fleuve ! océan ! révélation divine ! etc, etc.

Il faudrait pourtant raisonner un peu :

De bonne foi, croyez-vous que l’être humain soit un composé de pièces rapportées, sans lien entre elles, ou d’antithèses, comme votre prose ? Pensez-vous qu’un être sans raison, ou de raison faible, puisse en un cas donné discerner le mieux et le bien comme vos Seigneuries ? Non évidemment, cela ne se peut. Ou bien vous supposeriez que le cœur serait à sa manière un organe pensant ? Mais à quoi bon ce double organisme ? Et puis, c’est par trop d’abus de littérature. Le cœur, tout le monde le sait, n’est qu’un muscle creux… définition épouvantable ! — mais la science ne respecte rien.

Donc, ce muscle tant célébré — (tout-à-fait en dehors de ses mérites) — organe précieux et indispensable de la circulation du sang, n’est que nominalement coupable de tant d’élégies et de dithyrambes. Le siége du sentiment est le cerveau, le même que celui de la pensée.

Et vous venez assurer que le cerveau de la femme est plus petit que celui de l’homme ! Où logez-vous donc cette « mer de lait » d’amour, dans laquelle se noie votre lecteur attendri ? Cette immensité de sentiment qui à vos yeux constitue la femme ? — Car les femmes, c’est bien entendu, sont toutes organiquement bonnes, dévouées, aimantes… ou ce sont des monstres. — Donc, cette petitesse de cerveau m’inquiète, et j’ai peur que sur ce point les besoins de la cause n’aient été mal compris.

Avant tout, il faudrait encore donner la définition respective, exacte, de l’intelligence et du sentiment, et la limite précise qui les sépare. S’ils sont deux choses opposées, comme on le prétend, rien n’est plus facile.

Il est seulement gênant de les voir ainsi réunis dans le même lieu ; car enfin ils pourraient se toucher et s’enchevêtrer en quelque point, et le scalpel n’a pas encore aussi bien délimité leur domaine que l’a fait la plume des écrivains amateurs de physiologie, pathologie, psychologie, phrénologie, etc., etc.

Essayons toutefois d’apporter une pierre à l’édifice : n’a-t-on pas remarqué, à mesure que nos idées changent et que notre esprit s’étend, que nos sentiments se modifient ? Qui n’a entendu parler des effets surprenants de l’imagination sur les sens, quand elle arrive, en supposant la réalité, à la créer pour ainsi dire et à produire des impressions ? L’imagination est une faculté de la pensée ; ou plutôt, n’est-ce pas la pensée elle-même à l’état inculte, privée de règle et de mesure, ou brisant à plaisir ces liens, effleurant l’objet, sans étude, au gré de sa fantaisie ? C’est pour cette raison qu’on attribue aux femmes plus d’imagination, parce que leur pensée a moins de culture.

Telle personne par exemple et ceci n’est pas une supposition, mais de l’histoire — qui dans son enfance et sa jeunesse, fut, en raison de son éducation et de son milieu, fort aristocrate, reconnaissant plus tard l’égalité, la servira de toute son âme, parce que, suivant ses croyances, ses sentiments auront changé.

Comment les choses en seraient-elles autrement ? Imaginons un peu un être chez qui le sentiment irait d’un côté, la pensée de l’autre.

Il ne s’agit pas d’indécision, c’est-à-dire d’aperceptions multiples et diverses ; non, mais d’inspirations différentes : le sentiment juste, la pensée fausse ; là, dans le même être, indélicatesse du cerveau, et probité du cœur. Cela ne se conçoit guère. Prenons, pour mieux approfondir, un exemple : l’ambitieux, César ou Napoléon. Conservons à ces deux hommes leur sentiment effréné pour la fausse gloire et pour la puissance ; mais, au second, donnons l’intelligence de Condordet, à l’autre, la pensée de Caton… Ne sent-on pas que c’est absurde ? que pareil désaccord constitue une individualité impossible ? en dehors de l’unité nécessaire à l’existence ; en dehors de toute action imaginable… de toute loi connue ?

C’est que l’accord est la loi de l’ordre moral aussi bien que de l’organisme. Quand l’hésitation se produit en nous, quand nous sommes à la fois poussés par quelque désir et retenus par quelque crainte, c’est tout simplement que nous voyons tour à tour l’avantage et l’inconvénient.

Ce n’est pas nous qui sommes doubles, mais les probabilités ; notre esprit hésite seulement sur les conséquences. Le désir, cependant, va-t-il jusqu’à la passion ? alors, notre raison est de la partie. « La passion aveugle. » Ce dicton, incontestable, suffit à prouver que le sentiment et la raison subissent les mêmes influences, et qu’un lien profond les unit. Tout sentiment qui hésite est un esprit qui doute. L’amour est une foi.

Aussi, le sentiment n’est-il — à mon avis, — que l’ensemble des conceptions incarnées dans l’être : antérieurement, soit par l’hérédité, soit par une vie précédente ; — en cette vie, soit par l’éducation, soit par des réflexions devenues croyances. L’intelligence et le sentiment, c’est l’action et le souvenir ; c’est le mouvement et la durée ; le présent et le passé ; la charrue et le sillon. Ils diffèrent de date, non pas de nature, et les séparer est si malaisé que dans ce chapitre où je n’en voulais traiter qu’un seul, je n’ai pu m’empêcher de les confondre.

Dès que le sentiment cesse de s’appuyer sur un motif — c’est-à-dire sur une pensée — il n’est plus qu’un instinct. Respecter le sentiment chez la femme et le conserver par l’ignorance, en bon français donc, cela ne veut dire qu’une chose abandonner la femme à ses instincts. C’est à cette conclusion anti-progressive, anti-civilisatrice, qu’aboutit ce beau système, qui fait de l’homme et de la femme deux êtres différents, nés pour représenter chacun une part de l’être, sur la foi d’une antinomie qui n’existe, ni dans la nature des choses, ni d’après les lois du sens commun.

Reste de l’esprit de caste et de privilége, que cette manie de tout séparer, parquer, étiqueter, les facultés comme les êtres ! La vérité en toutes choses, dans la nature comme dans l’esprit, c’est la liberté, c’est l’espace. La vie est pénétration incessante, échange, consentement, unité.

On allègue, pour prouver l’infériorité intellectuelle de la femme, l’infériorité de sa production scientifique, littéraire et artistique dans l’humanité.

Cette infériorité est évidente. Mais depuis quand les effets comptent-ils à part des causes ?

On ne fait point difficulté de reconnaître que par l’atrophie des facultés intellectuelles dans le peuple, l’humanité n’ait perdu, ne perde encore des trésors incalculables. Reproche-t-on au peuple ce malheur ?

Cependant, lorsque chez un enfant pauvre des facultés exceptionnelles venaient, par hasard, à s’affirmer aux yeux de quelque privilégié, respectueux des choses de l’esprit, on se chargeait de l’éducation du petit prodige ; on secondait sa vocation. En était-il ainsi pour les petites filles ? — Non pas. On aurait dit à quoi bon ? On le dit encore. Le préjugé s’ajoute à la pauvreté pour les refouler dans une ignorance systématique.

En toutes conditions, d’ailleurs, même arrêt. La sagesse des pères de famille bourgeois comprime avec soin chez leurs filles les germes inquiétants d’une intelligence hors ligne, et s’empresse d’arrêter l’instruction aux limites fixées par l’usage. Encourager chez une fille le savoir ! Qu’en ferait-elle ? Et à quoi cela lui servirait-il, sinon à ne pas trouver de mari ? Ce garçon peut donner à la société un mathématicien, un penseur, un général. Elle doit-être une mère de famille, et rien de plus.

Alors, sur cette enfant, arrachée à l’étude, agissent les sollicitations de la vanité, celles de l’exemple, les ordres de sa mère et les influences de l’opinion, l’énervement des soins frivoles, enfin l’intérêt personnel immédiat, le seul que voient les enfants, et qui présente à celle-là, comme seul avenir à saisir, ou à poursuivre, le mariage. Tout cela, au moment précis où la vocation se décide, où l’étude la développe et l’assure, de dix-sept à vingt ans, avant l’âge où le caractère existe. Une fois mariées, l’amour, la maternité, la tyrannie des soins domestiques et celle de l’usage, l’occasion perdue, les moyens refusés, la crainte de la raillerie, l’absence de liberté, le préjugé toujours ennemi… N’en est-ce point assez pour cette explication qu’on demande, et qui est si facile à saisir, du petit nombre des femmes, parmi les élus de la science, de l’art et de la pensée ? On consacre à l’amour la femme encore enfant ; on écarte d’elle tout autre but ; on arrête le développement de ses facultés à l’âge où elles prennent l’essor et on lui demande compte, ironiquement sans doute, non-seulement de ce qu’elle n’a point reçu, mais de ce qu’on s’est appliqué à lui ravir. Ce développement que tout excite chez l’homme, chez la femme, tout le combat. Pour l’étouffer en elle, la société arme toutes ses forces, toutes ses influences et de plus le propre cœur de la femme et ses trop précoces devoirs.

— Soit, dira-t-on. Mais ces obstacles ne sont-ils pas le fait même de la nature et de la destinée féminines ?

— Non, il ne résulte pas de la nature et de la destinée féminines qu’une femme doive être mère avant d’être formée d’esprit et de corps. Il est de sa destinée, comme de celle de tout être humain, de savoir ce qu’elle fait, à quoi elle s’engage, de stipuler pour elle-même en toute connaissance, en toute liberté, d’être capable enfin des devoirs qu’elle embrasse. Ah ! ce n’est pas le moindre désordre causé par la conception ignoble et stupide, qui voit dans la femme avant tout un agent de reproduction, ou de plaisir, que l’inconsistance voulue, décrétée, de celle qui plus particulièrement renouvelle la race, donne à l’être individuel sa première impulsion, et à l’être social la famille, sa première forme.

Que l’éducation de l’intelligence soit aussi large, aussi complète pour la femme que pour l’homme, et l’on verra ce que devient ce prétexte d’infériorité. Mais on rougit presque de combattre des affirmations aussi spécieuses, aussi évidemment nées des besoins d’une cause perdue. L’esprit de la femme inférieur à celui de l’homme ! Et comment cela ? En vertu de quelle loi ? Sur quelles preuves ? Où sont les raisons de ce phénomène, sans exemple dans le reste de l’univers, et qui se produirait précisément au sein de l’espèce la plus intelligente ? Où tracer la démarcation entre ces deux êtres, que tout réunit, mêle et confond, entre lesquels la seule différence incontestable qui existe n’est qu’un motif d’attraction plus particulière et de plus profonde union ? Tout ce qui diffère d’essence, diffère aussi de semence et d’origine. Eux, les mêmes causes les créent et le même sein les nourrit. Au moins, pour appuyer de tels dires, faudrait-il constater différents éléments de formation, et démontrer avec quel soin mystérieux la bonne nature ferait, au sein de conditions identiques, le triage de cet élément viril — qui s’épanouit en si merveilleux effets de moralité sociale et de dignité civique et de cet autre, uniquement composé, comme on sait, de tendresse et de faiblesse, qui serait créé pour adorer l’autre et le reproduire — sans mélange aucun.

III



INTELLECTUAL INFERIORITY

Ever since a poet, coming out of an amphitheater, took it into his head to build a theory on his impressions, physiology has served as the basis of every vaguely acceptable system on the subject of women. For that, it is not necessary to know her. On the contrary, the slightest variation on the known theme suffices, and the speaker, or the writer, generally indulges in it with all the more loquacity the further he is from deserving a diploma from the Faculty.

— What! Eould you impose abstract calculations on this frail brain? Without pity, you would submit to the struggles of life a nervous system of such sensitivity that everything vibrates there at the slightest touch and that soon with frightful disorders…

There follows the obligatory painting of hysteria. Hysteria has for some years made terrible ravages in books, in newspapers, in speeches. It has also been proven that woman, different from man in all things, in her feelings, in her brain, only asks to be guided, supported, mastered, even mistreated; that her happiness, her own pride, was to hang on the arm of a man like an ivy on its support. Everyone now knows this creature, I mean this creation, mobile, capricious, by turns sublime and whimsical, ethereal and creeping, sweet and horrible, animally tender, worthy of all the adjectives, which no noun realizes, steeped in all the quintessences and all the abjections, daughter of the antithesis, and sister of the periphrasis. All the rhetoric of which current philosophy is composed has exhausted itself on this; all the serinettes have popularized these airs; we know them all by heart.

From these deep studies, it results that the woman is incapable of high conceptions and even of continued work; that study is contrary to her; that she is made only to adore man and obey him. And as proof of these assertions, the female brain would be smaller than the male brain.

If it weren’t too indiscreet — I would ask those amateurs of physiology, who so bluntly affirm the difference of the male and female brain, if they’ve dissected many of both kinds?

And this point clarified, supposing it to be resolved in the affirmative, I would again ask if they found in the brain any organ particular to sex or any organic differences?

On this point, the answer is known in advance. No, nothing like that exists.

The only alleged difference is that of the weight of the cerebral matter, which is generally heavier, it is said, on the male side.

Heavy sounds rather bad in such a case; but let’s move on. — In these comparative weighings, have we taken into account the particular conditions of each individual? Conditions of age, proportions of size, structure, finally, and above all, of education?

And then, is it quite certain that here quantity and quality are, contrary to the saying, in direct proportion?

Is it a question of extent and volume? Qualities acquired — in part at least — by the nature and diversity of occupations of the brain? Or of penetration? Proper and first quality.

Have we, in these delicate experiments, grasped and weighed, in its intrinsic value, the seed — often dormant — of the power? Or only its effects?

Finally — and I will come back to this — have we only compared beings born and developed under identical conditions? Have they been compared in sufficient number to avoid the action of chance?

No; the cemeteries have been searched; we have dissected unknowns.

Among the wretched people whom misery casts up on this sad and final reef, the amphitheater, there are often men who have received instruction, sometimes very extensive. Either by false vocation, or lack of energy; or by debauchery; often by overloading the functions, the liberal and literary careers provide the hospital with a number of victims.

Among women, on the contrary, those who were born in happy or average conditions of education generally remain there, either to live there or to languish there; but they do not tempt fortune, and consequently are not betrayed by it. The unfortunate women who die in hospital therefore almost all belong to that miserable condition, which leaves the mind even less chance of development than the body.

And it is on such data that we pronounce!

While the masters pursue slowly, silently, their patient work, and judge that it is not too much of a whole life to arrive at a maybe, passing amateurs, improvised popularizers, who have only placed their ear against the door of the sanctuary, go off to shout, regarding the result of the day or the hour, one more scientific conclusion.

At this time when science is barely emerging from its cradle, every day the definitive truth is revealed to us. Since it is admitted that any system must be based on facts, each isolated fact gives rise to a system. Never have so many conclusions been so quickly drawn; never have we heard at so many crossroads, so many people cry out to so many echoes: There you are! I have found it! I hold the truth itself. Good people, come closer!

We recently visited the catacombs. Near us, two quiet, talkative men, who seemed to enjoy (either at the will of the others, or of their own will alone, I don’t know) a comfortable importance — these two men stopping in front of one of the rows of skulls that festoon the monotonous walls of bones, said, pointing to such and such with the end of their sticks: Here is a woman’s skull! Here’s another one! Another !…

They were the most depressed and the smallest.

— Really? I said.

— Certainly! they answered. There is no doubt so sure their glance! One could only remain confused by so much evidence.

Moreover, if there are physiologists who affirm the difference of brains, there are physiologists who deny it.

And to cite an example that does not lack value, here is what Von Scherzer says on the subject in his great work on the Voyage de la Novara. In this trip around the world, through so many different races, Von Scherzer too, rightly or wrongly, measured skulls. He unquestionably measured more, and in quite different conditions, than our second-hand physiologists were able to do in a corner of Paris, on this reef of the amphitheater, where the same waves almost always come to beat. Here is what he says:

“In women, the width of the head is generally analogous to the width of the head in males; but in all it is relatively larger… Taking into account the difference in size, the skull of the woman is in all peoples higher, longer and at the same time wider than the male skull.”

Let us hope that they are generally equal; that is better. Scherzer’s assertion in this respect is, in the absence of a certain research principle, no more conclusive than the others. I only wanted to restore the equality of the affirmations.

What can be said with certainty is that if human reason needs the control of facts, and must in many cases submit to them, it is also reason that, to a large extent, creates them.

The difference that we wish to establish would be proven by laborious comparisons, made under the most serious conditions of equity, but this would serve only to note the present state of things and would not imply the future.

When the intelligence of the woman will have ceased to be systematically enclosed in the first molds of human conception; when she has been given back air and freedom; when she receives an instruction similar to that of man — which does not mean similar to that of the present — then our physiologists will be able to resume their balances and recommence their calculations. Until then, common sense and fairness command them not to be in such a hurry.

But what did I say? An instruction like that of man! Heresy! Oh what! Is it not established that to instruct a woman is to harm her heart? For our modern philosophers, as for the Church, science leads to hell.

— No, they allege, we are only saying that science cannot be dispensed in the same way to this delicate and fragile being; that in all things woman must not be masculinized. We must carefully select what suits her, and, just as birds serve their young only food that has already been digested, give this tender spirit only things prepared for her, healthy to keep and easy to understand. For men and women do not think alike and do not appropriate anything in the same way. As the bee of a hundred flowers extracts her honey, so it is necessary to extract from all things for the young girl the feminine juice, etc.

We’ve been talking about the masculine and the feminine of things for a long time: I don’t object to their existence; but it is time to proceed to a definite classification. For in the end, according to the method adopted of not affirming anything a priori, it is through analysis that one must have risen to this synthesis. I therefore ask once and for all for a clear, precise division. This is full of importance; you must verify it and then it is a question of education. Let us therefore set aside, on the one hand, the truths of a masculine order; on the other, those of a feminine order; let one separate the sciences that concern only the man from those that are addressed to the woman only; or else, if the division must be made within each order of knowledge, let one disentangle in syntax, in mathematics, in logic, what belongs to one or the other spirit.

In astronomy, for example, do we put the sun on one side and the moon on the other? Natural history is male and female, very well — but the relations are necessary. And geometry, how are we to divide it? Do we stop at the Pons asinorum? So be it; but if the little one wants to go further? And history? Will we sort out the centuries or the facts, leaving the causes and their sequences to work out as they see fit? All this seems difficult; one hardly imagines how there would be two ways of teaching and of conceiving the properties of the solar ray, or the assassination of Henri IV.

— Perhaps it’s all about measurement and should women be taught only the elements of everything? — But this is the biggest, the deepest, the widest! The detail is no more than the demonstration of it, and a necessary demonstration.

— Or else, it is that we must accomplish a sorting among the various branches of human knowledge, giving the man, for example, the exact sciences and… But the woman lives off nature as well as he does and, whether we like it or not, every day does geometry, physics and chemistry, in the manner of M. Jourdain. And hygiene, so necessary to the mother of a family, and which touches on all the sciences?… Would you rather keep the human sciences? — But there is no more history, language and literature without women than there is humanity.

However, since these limits are so well affirmed, without a doubt, they are seen; it would therefore be useful to set them out clearly. Let us finally show the two faces of justice, the two sexes of thought! All ingenious minds who have already exercised themselves on the two morals must undertake this task; it is worthy of their value.

One of two things must be true: either the lines that separate the two orders of conception are visible, clear, and you can retrace them for us faithfully; or else they are only lineaments so subtle that they are lost to sight and description in a vagueness similar to the tenuousness of phantoms. In the latter case, perhaps the most probable, what should be done? What side are we to take? — I see only one: to teach girls and boys bravely, indistinctly, such as they are, science and truth, God will recognize his own.

Because, if the mind of the woman is naturally different from that of the man, she will know how to distinguish herself what suits her and reject the rest. — You are crying murder; you affirm what would spoil her heart and her mind! There is one thing that I cannot explain to myself: it is, on the one hand, the firm confidence that you have in the woman of your ideal, in this sensitive creature, steeped in charms and weaknesses, of whom nature, according to you, has marked the character and the limits so well — and the mad fear that you feel to see you change her into a nurse by another education.

I repeat: if the woman is really what you say she is, then she will remain herself, be sure of that. Either the characters are specially different, and nature will keep her plan and her work; or they are apt to merge, according to individual aptitudes, and then what reason do you have for preventing them? The motive… Ah!… Here, let’s be frank:

You are stuck at the Bible and the prohibition of the fruits of science, a prohibition to envy reissued by all the representatives in this world of the Eternal Father. But then be consistent: kiss the mule of the pope and submit yourselves with good grace to the monarchy of divine right. Science is a danger for women as it was for the people. You think you are of your time; you are mistaken: in this confused dawn where light and shadow struggle, in the midst of these ruins, between which new seeds pierce and grow uncomfortably, you are on the side of the night; you are the disciples of the past.

Where are you from, though? And where are you going? Do you know that clearly?

What! Science would be pernicious! What! You, slaves whom she has delivered, you already deny her! Would it be bad for the woman, being good for you? It would have this strange effect that, precious to reason, it would be fatal to the heart! And what would become in this case of the morality of man? What are we to conclude from such a confession?

This question of women has this peculiarity that it acts as an immediate solvent on the intelligence, and blurs and confuses any precise notion. Thus, the general opinion that admits intellectual inferiority in women, on the other hand, likes to attribute to them superiority in matters of feeling. So that from these two terms weakness of body and incapacity of mind would result the sublime inspiration, sung on the lyres of all the poets, this heart of woman, inexhaustible treasure! wonder! abyss! river! ocean! divine revelation! etc., etc.

However, we should reason a little:

In good faith, do you believe that the human being is made up of separate pieces, without any link between them, or of antitheses, like your prose? Do you think a being without reason, or of feeble reason, can in a given case discern the best and the good as your Lordships? No, of course, that cannot be. Or would you suppose that the heart would be in its way a thinking organ? But what good is this double organism? And then, there is too much abuse of literature. The heart, everyone knows, is only a hollow muscle… a terrible definition! — but science respects nothing.

Therefore, this much celebrated muscle — (celebrated completely beyond its merits) — precious and indispensable organ of the circulation of the blood, is only nominally guilty of so many elegies and dithyrambs. The seat of feeling is the brain, the same as that of thought.

And you come to assure that the brain of the woman is smaller than that of the man! Where do you lodge this “sea of milk” of love, in which your tender reader is drowning? This immensity of feeling which in your eyes constitutes the woman? — Because women, of course, are all organically good, devoted, loving… or they’re monsters. — So this smallness of the brain worries me, and I’m afraid that on this point the needs of the cause have been misunderstood.

Above all, it would still be necessary to give the respective, exact definition of intelligence and feeling, and the precise limit that separates them. If they are two opposite things, as is claimed, nothing is easier.

It is only embarrassing to see them thus united in the same place; for after all they could touch and entangle each other at some point, and the scalpel has not yet so well delimited their domain as has been done by the pens of amateur writers on physiology, pathology, psychology, phrenology, etc., etc.

However, let’s try to bring a stone to the building: have we not noticed, as our ideas change and our mind expands, that our feelings change? Who has not heard of the surprising effects of the imagination on the senses, when it manages, assuming reality, to create it, so to speak, and to produce impressions? Imagination is a faculty of thought. Or is it not instead thought itself in an uncultivated state, deprived of rules and measure, or breaking these bonds at will, touching the object, without study, according to its fancy? It is for this reason that women are attributed more imagination, because their thought has less culture.

Such a person, for example, and this is not a supposition, but history — who in his childhood and youth was, because of his education and his environment, very aristocratic, later recognizing equality, will serve with all his soul, because, according to his beliefs, his feelings will have changed.

How would things be otherwise? Let us imagine a being in whom feeling would go on one side, thought on the other.

It is not a question of indecision, that is to say of multiple and diverse perceptions; no, but from different inspirations: the right feeling, the wrong thought; there, in the same being, indelicacy of the brain, and probity of the heart. This is hardly conceivable. Let’s take an example, for better elaboration: the ambitious, Caesar or Napoleon. Let us preserve for these two men their unbridled feeling for false glory and for power; but, to the second, let us give the intelligence of Condordet, to the other, the thought of Cato… Don’t we feel that this is absurd, that such disagreement constitutes an impossible individuality, outside the unity necessary for existence; outside of every conceivable action… outside of every known law?

This is because agreement is the law of the moral order as well as that of the organism. When hesitation occurs in us, when we are at the same time impelled by some desire and held back by some fear, it is quite simply that we see alternately the advantage and the disadvantage.

It is not we who are double, but the probabilities; our mind only hesitates regarding the consequences. However, does desire go as far as passion? Then our reason is in the game. “Blind passion.” This indisputable choice of words suffices to prove that feeling and reason are subject to the same influences, and that a deep bond unites them. Any feeling that hesitates is a mind that doubts. Love is faith.

So, feeling is — in my opinion — only the set of conceptions embodied in being: previously, either by heredity or by a previous life; — in this life, either by education or by reflections that have become beliefs. Intelligence and feeling are action and memory; they are movement and duration, the present and the past, the plow and the furrow. They differ in date, not in nature, and separating them is so difficult that in this chapter where I did not want to discuss only one, I couldn’t help confusing them.

As soon as feeling ceases to be based on a motive — that is, on a thought — it is nothing more than an instinct. To respect the feeling in the woman and to preserve it by ignorance, in good French then that means only one thing: to abandon the woman to her instincts. It is to this anti-progressive, anti-civilizing conclusion to which this beautiful system leads, which makes men and women two different beings, born to each represent a part of being, on the faith of an antinomy that does not exist, either in the nature of things or according to the laws of common sense.

What remains of the spirit of caste and privilege is this mania for separating, penning in, labeling everything, faculties as well as beings! The truth in all things, in nature as in the mind is liberty, it is space. Life is incessant penetration, exchange, consent, unity.

One alleges, to prove the intellectual inferiority of the woman, the inferiority of her scientific, literary and artistic production in humanity.

This inferiority is obvious. But since when do effects count separately from causes?

There is no difficulty in recognizing that through the atrophy of the intellectual faculties in the people, humanity has lost, and still loses, incalculable treasures. Do we blame the people for this misfortune?

However, when in a poor child exceptional faculties came, by chance, to assert themselves in the eyes of some privileged person, respectful of things of the mind, we took charge of the education of the little prodigy; they seconded his vocation. Was it so for little girls? — No. We would have asked what good it was? We say it again. Prejudice adds to poverty to push them back into systematic ignorance.

In all conditions, moreover, the same arrest. The wisdom of the fathers of bourgeois families carefully compresses in their daughters the disturbing germs of an exceptional intelligence, and hastens to stop instruction at the limits fixed by custom. Encourage a girl to knowledge! What would she do with it? And what use would that be to her, if not to not find a husband? This boy can give society a mathematician, a thinker, a general. She must be a mother, and nothing more.

Then, on this child, torn from study, act the solicitations of vanity, the example, the orders of her mother and the influence of public opinion, the nervousness of frivolous cares, finally the immediate personal interest, the only one that children see, which presents marriage as the only future to seize or continue. All this, at the precise moment when the vocation is decided, when study develops and assures it, from seventeen to twenty years, before the age when the character exists. Once married, love, motherhood, the tyranny of domestic care and that of usage, the lost opportunity, the means refused, the fear of mockery, the absence of liberty, the prejudice that is always the enemy… Is this not enough for the explanation that is demanded, and which is so easy to grasp, for the small number of women among the chosen ones of science, art and thought? The woman while still a child is consecrated to love; any other goal is ruled out; we stop the development of her faculties at the age when they take flight and we ask her to account, ironically no doubt, not only for what she has not received, but for what we have done to rob her. Everything combats in women this development that everything excites in men. To stifle it within her, society arms all its forces, all its influences, and moreover woman’s own heart and her too precocious duties.

— So be it, they say. But aren’t these obstacles the very fact of feminine nature and destiny?

— No, it does not follow from feminine nature and destiny that a woman must be a mother before being formed in mind and body. It is her destiny, like that of every human being, to know what she is doing, what she is committing to, to stipulate for herself in all knowledge, in all liberty, to finally be capable of the duties she embraces. Ah! This is not the least of the disorders caused by the ignoble and stupid conception, which sees in woman above all an agent of reproduction or of pleasure, that the desired, decreed inconsistency of she who more particularly renews the race, gives to the individual being its first impulse, and to the social being, the family, its first form.

Let the education of the intelligence be as broad, as complete for woman as for man, and we will see what becomes of this pretext for inferiority. But one almost blushes to fight such specious assertions, so evidently born of the needs of a lost cause. The mind of woman inferior to that of man! But how? By virtue of what law? On what evidence? Where are the reasons for this phenomenon, without example in the rest of the universe, which would occur precisely within the most intelligent species? Where are we to trace the demarcation between these two beings, whom everything unites, mixes and confuses, between whom the only incontestable difference that exists is only a reason for a more particular attraction and a deeper union? Everything that differs in essence also differs in seed and origin. The same causes create them and the same breast nourishes them. At least, to support such statements, it would be necessary to note different elements of formation and to demonstrate with what mysterious care good nature would make, within identical conditions, the sorting of this virile element — which flourishes in such marvelous effects of social morality and civic dignity — and of this other, composed uniquely, as we know, of weakness, which would be created to adore the other and to reproduce him — without any mixture.

IV



LA MATERNITÉ

Voici le grand argument, le sceau de la chaîne, par laquelle on attacha de tout temps la femme à la case, au gynécée, et maintenant au foyer. On n’en saurait méconnaître l’importance. Il faut voir seulement si on ne l’a point exagérée, si même, d’un point de départ vrai, on n’est pas arrivé à de très-fausses conséquences.

Qu’est-ce que la maternité ?

Le chœur des littérateurs et des poëtes répond par des acclamations enthousiastes ; et même ailleurs, point de tête qui ne s’incline. La maternité, c’est le triomphe de la femme, sa grande et suprême fonction ! sa morale ! son génie ! la source inépuisable et sacrée des inspirations sublimes et fécondes ! l’océan d’amour ! etc…

Bon ! Mais en quoi consiste-t-elle ? Non pas seulement sans doute à concevoir l’enfant, le mettre au monde, l’allaiter ; c’est le fait de toutes les femelles, qui toutes soignent leur fruit avec amour. La mère humaine seule est ainsi divinisée. Pourquoi ? Parcequ’elle y met son âme, parcequ’elle s’élève de l’instinct à l’amour conscient, et que l’amour, en dépit des doutes, des blasphèmes, des sacriléges, et surtout cet amour-là, si fidèle, si grand et si pur, est bien réellement ce qu’il y a de plus doux et de plus haut dans la vie.

La maternité est sublime, parce que sublime est son œuvre : le renouvellement de l’humanité par l’être neuf et naïf, pur de la fange des chemins déjà parcourus, libre de toute haine, de tout souvenir, de toute souillure, et que l’on peut, ainsi qu’une fleur dans un bon terrain, au soleil, soigneusement arrosée, pétrir de lumière, d’amour et de justice. La maternité, c’est la préparation de nos destinées ; c’est la réforme incessante de la création, ou plutôt la création même continuée, et perpétuellement agrandie ; œuvre suprême, où la connaissance et l’enthousiasme du beau dans tous les ordres est nécessaire ; où le génie des grands sculpteurs appelle à son aide celui des grands philosophes, et la foi de ces moralistes, qui parmi les rires et les doutes de l’humanité, à travers les glaives monarchiques et les huées populaires, tracent nos chemins dans l’idéal.

Que doit être donc l’ouvrière de cette grande œuvre, celle qui, plus particulièrement du moins, la fonde et la détermine ?

Le même chœur de littérateurs et de poëtes, et la foule qui les suit, répondent : Une ignorante !

C’est le fond de la doctrine, avec des variantes, du plus au moins. Mais enfin le système, non seulement décrété, mais pratiqué, depuis le commencement du monde, est bien celui-là — parce que la femme est mère, elle doit rester à part de la science et à part de la liberté ; la connaissance et la responsabilité lui sont inutiles, et bien plus, funestes ! — N’est-ce pas, dites, quelque peu bizarre ?

Pensons-y bien ce serait à cause de l’importance de la sainteté, de la fonction maternelle que la femme devrait être privée d’une large culture intellectuelle ? — de cette dignité qui résulte de la possession de soi ? de la responsabilité de ses actes, qui seule constitue la moralité ?

C’est à cause de la maternité que lui seraient interdites les fortes études ? ainsi que les grands bénéfices du travail sérieux ?

La femme serait d’autant plus mère, c’est-à-dire d’autant plus propre à élever ses enfants, à développer leur âme, à préserver leur santé, qu’elle prendrait moins de part et d’intérêt à la vie sociale ! qu’elle serait plus ignorante, plus atténuée comme personne morale et intellectuelle !

La grande fonction du renouvellement de l’humanité, serait le mieux remplie par un être privé de son développement normal, et atrophié dans une part de sa vie, la plus importante ?

Ces choses-là se discutent-elles ? — Non ; il suffit de répéter le mot célèbre : qui trompe-t-on ici ?

— Et pourtant il y a vraiment des naïfs qui sérieusement s’écrient : Que deviendront les enfants, si la femme abandonne le foyer pour les préoccupations de la vie publique ?

Voyons un peu — Mais d’abord constatons une chose dont on aurait pu s’apercevoir : c’est que la femme n’est pas toujours et perpétuellement occupée par la maternité.

D’abord, depuis sa naissance, jusqu’à son mariage, 18 à 20 ans (ce ne serait pas trop de 25) s’écoulent.

Pendant ce temps, dira-t-on, elle doit se préparer à son rôle de mère.

Mais n’est-il pas par trop sans façon de prétendre que la femme naisse uniquement pour la fonction maternelle, tandis que l’homme naîtrait, lui, tout bonnement pour la vie humaine, c’est-à-dire pour lui-même ?

La femme naît, aussi bien que l’homme, pour la vie, ainsi que ses diverses aptitudes le démontrent ; et, de même que pour tout être conscient, son devoir ne relève que de sa conscience, à elle ; il ne peut être antérieur à sa liberté.

C’est donc pour la vie qu’elle se prépare, et, comme toutes les justices se rencontrent, c’est en se préparant pour la vie qu’elle se prépare pour la maternité. L’a t-elle acceptée, oui, sans doute, elle s’y doit absorber, et rien, ni l’art, ni la science, ni la recherche, ni aucune autre réalisation, n’est plus absorbant, parce que la maternité est la somme et le summum de toutes choses humaines. Là il ne faut semer, sous forme d’impressions, que des idées justes ; reconnaître en germe les déviations probables et tout diriger en haut vers la lumière ; il y faut en un mot la science suprême, celle de l’être, pour laquelle, si intelligente et si préparée qu’elle soit, la femme ne le sera jamais assez, et devra s’aider, avec intelligence et sincérité, des forces du père, de la famille, de la société.

Mais enfin, si grande et si noble que soit cette tâche, elle devient peu à peu moins absorbante, et quelque jour cesse, dans la liberté complète et l’amitié de l’enfant, devenu l’égal. Les soins maternels, dans leur période spéciale, ne demandent guère à chaque femme, en moyenne, qu’une dizaine d’années[5], disons : quinze ans, si l’on veut. La vie normale de chaque être est de soixante à soixante-dix ans. Doit-elle être sacrifiée toute entière à cet espace de dix ou de quinze années ?

C’est dans ce point unique cependant qu’on veut absorber et fondre toute la destinée de la femme. C’est pour cela que dans les récentes discussions populaires à ce sujet, on faisait abstraction de la nécessité même pour soutenir que la femme doit être affranchie de tout travail.

Comprend-on des travailleurs, dont la fonction ne pourrait s’exercer que pendant dix ou quinze années, et qui demanderaient pour ce fait à rester oisifs, et nourris du travail commun, tout le reste de leur vie ?

Mais ce n’est pas la femme qui réclame cette immunité. Et ce n’est pas non plus dans son intérêt qu’on la réclame.

Il faut ajouter que pour un nombre de femmes assez considérable : celles qui ne se marient pas, et celles qui, mariées, n’ont pas d’enfants, ce dévouement forcé aux inconvénients d’un système, dont elles ne récoltent pas les avantages, est par trop injuste. Celles-là, quelles raisons, quels prétextes alléguer pour leur interdire, aussi bien qu’à la mère devenue libre, l’accès de n’importe quelle carrière ou fonction choisie par elles ? Que ce soit la règle, l’exception, qu’importe ? Que ce soit la liberté !

Il n’est que trop accepté, aux deux extrémités des fortunes humaines, que la femme abandonne ses enfants, ici, pour le travail là, pour le plaisir. Pourquoi donc ceux qui s’écrient le plus haut que la maternité est la seule vocation de la femme, combattent-ils ces deux grands fléaux de la famille : la misère et la coquetterie, avec bien moins d’ardeur qu’ils ne combattent l’éducation scientifique pour la femme ? Pourquoi ? si ce n’est qu’au fond ce respect affecté de la maternité n’est que le profond émoi d’une domination ébranlée ?

Pourquoi cette exagération d’égards, de tendresse, qui va jusqu’à refuser à la femme le travail, cette noble et nécessaire gymnastique ?

Parce que travail signifie indépendance.

Pourquoi cette peur insensée, illogique, de la connaissance, de la réflexion, du libre développement de l’être ?

Parceque de la connaissance dérive la volonté, comme de l’ignorance l’incertitude. Qui pense et qui sait veut ; tous les despotes sentent cela.

Et l’analogie est si compléte, qu’il n’est pas un argument fourni par les adversaires de la femme, qui ne soit tiré de l’arsenal des pouvoirs divin et temporel.

— Si la femme, trop adonnée aux choses de l’esprit, néglige ses devoirs maternels ? si la liberté chez elle devient licence ?…

Mais la liberté c’est la force ! et la force est la santé ! C’est la faiblesse qui se livre et qui s’abat. Tristes incroyants, qui estiment que l’intelligence et la liberté conduisent au mal ! Et puis, quoi ? de ce que l’excès est possible, s’en suit-il que l’usage de tout bien doive être interdit ?

Jamais encore affamé n’a réclamé sa place au banquet social, qu’on ne l’ait écarté sous accusation d’insobriété probable. C’est trop de sollicitude. La vie a ses risques et périls, et la liberté les siens. Mais les prévenir par la mort ou par l’esclavage, dépasse les bornes de la prudence.

Tout ce creux système, si favorable à la tirade et à l’amplification, s’écroule dès qu’on y touche, et ne se compose que de phrases. On exalte à l’envi le rôle de la mère et le génie maternel : la littérature a exploité cette veine avec enthousiasme ; le théâtre possède sur ce sujet les clichés les mieux sentis, que répétent volontiers dans les conversations, ou même en certaines occasions de la vie privée, les gens impressionnables. Mais, en réalité, dans la vie intime et de tous les jours, la mère n’en est pas plus respectée. Elle ne l’est pas, parce quelle ne saurait l’être ; parce qu’en dépit de la rhétorique la logique a ses droits, et que lorsque les faits contredisent les mots, les mots ont tort.

On ne respecte que ce qu’on estime. Et selon nos mœurs actuelles, qu’il faut voir telles qu’elles sont, ce qu’on estime le moins ce sont les vertus simples et passives, le désintéressement, la bonté, le devoir rempli, surtout lorsque les soins qu’entraîne ce devoir ont un caractère servile et en apparence futile, et quand à ces vertus s’allient beaucoup d’ignorance et de nombreuses incapacités. Ce qui commande l’estime, c’est la force intellectuelle ; ce qui commande l’estime, plus encore, hélas ! — la déférence du moins — aux temps où nous sommes, c’est le pouvoir.

Or, la mère est dépourvue, de par nos usages et de par la loi, de tout élément d’influence et d’autorité. Elle ne dispose librement de quoi que ce soit ; ni la satisfaction des besoins, ni celle des plaisirs ne dépendent d’elle. Qu’il s’agisse de l’éducation des enfants, de leur carrière, d’incidents graves de leur vie, de leur mariage, la mère ne tient au conseil que l’humble place d’un préopinant sans droits, dont l’avis peut être écarté sans cérémonie. En toute décision importante, la volonté du père importe seule, et les enfants le savent bien. Peut-être l’excès d’une telle injustice exciterait-il leur indignation ? mais quoi ? ne voient-ils pas la profonde incompétence de leur mère à l’égard de tous les sujets sérieux, et cette harmonie entre l’éducation et la loi ne doit-elle pas suffire à convaincre des esprits peu réfléchis que les choses sont comme elles doivent être ? On accorde donc à sa mère l’affection un peu dédaigneuse, dont le père lui-même donne l’exemple ; on accepte ses soins et ses gâteries comme chose due, par bonté pure, car la femme a des besoins de tendresse à satisfaire ; on méprise ses avis ; on raille ses inquiétudes ; la mère entend le nom de femme tomber avec dédain de la bouche de son fils. Qu’à tout cela se joignent des déférences extérieures, ou même des adorations poétiques, cela n’y fait guère. Toujours illogique à l’égard de la femme, l’homme se plaît à se poser en ce qui la touche, des problèmes d’inconséquence, qu’il parvient à résoudre à sa propre satisfaction. On ne se réserve pas impunément la science à soi seul.

Quoi qu’on dise d’ailleurs, le fait est là, dans son écrasante réalité : la femme est subordonnée ; donc, inférieure pour tous ceux qui ne séparent pas le fait du droit, c’est-à-dire pour l’immense majorité des hommes, pour les fils aussi bien que pour les maris. Et puis, nous parlons toujours des classes élevées, c’est-à-dire du petit nombre. Mais qu’on aille visiter les intérieurs populaires. Aux yeux de l’homme du peuple, qui, lui, ne se pique pas de quintessence, le respect d’un être auquel on n’accorde pas le sens commun nécessaire pour se conduire lui-même, et faire ses propres affaires, ce respect là n’est qu’une simagrée des gens comme il faut ; et il ne se mettent nullement en peine de les imiter sur ce point, n’en croyant pas plus mal faire. Au village, le fils devenu chef de famille, c’est le maître ; sa vieille mère, aussi bien que sa femme, le nomment ainsi, et ce n’est pas la vieille mère qui sera le moins durement commandée, le moins grossièrement remontrée. Là, c’est-à-dire chez l’immense majorité se réalise encore dans toute sa splendeur, la maxime hindoue : la femme doit obéir, fille à son père, femme à son mari, mère à son fils.

Au fond, ce sentiment est partout le même, À part certaines familles, très-exceptionnelles, où le sentiment élevé de ce qui doit être impose aux enfants la sainte ignorance de la loi, il n’est pas un fils qui, dès l’âge où il peut comprendre l’état de choses régnant — dans la plupart des ménages il ne faut, pour cela qu’écouter et voir — ne respecte moins sa mère que son père. Il n’en saurait être autrement ; et tous les cris d’horreur et toutes les périodes de toute une légion de Prudhommes n’y changeront rien. L’influence du fait, bien plus forte que celle du droit, impose ce sentiment au cœur des hommes — disons, si l’on veut, des hommes vulgaires ; mais je prie les autres de se bien sonder.

On peut donc éditer, et rééditer, les plus jolies phrases sur le divin rôle de la mère, de la femme, dans l’humanité. Aussi long-temps que la femme restera intellectuellement et légalement inférieure, elle restera méprisée, Le christianisme aussi a dit de fort belles choses sur l’égalité du pauvre et du riche, de l’esclave et du maître (non de la femme et de l’homme ; il faut lui rendre justice à cet égard). Comme il s’est contenté de les dire, et a renvoyé toute liquidation après cette vie, ses maximes sont restées lettres mortes, et l’on sait de quel air un dévot de haut parage fait l’aumône à son frère en Jésus-Christ, couvert de haillons.

Le premier sentiment de dédain à l’égard de la femme, qui nait du spectacle des choses, se complique admirablement, à l’âge des passions, de la différence des deux morales. Habitué déjà à se considérer comme suzerain, sûr de l’impunité matérielle et morale, comment l’homme n’abuserait-il pas d’un être que lui abandonnent les lois et l’opinion ; que lui livrent une insuffisance d’esprit soigneusement préparée, la coquetterie, l’ignorance et, tantôt l’oisiveté, tantôt la misère ? On invoquera la pitié, la justice… enfantillage ! l’homme encore une fois ne respectera la femme que lorsqu’elle sera son égale en droit et en fait, armée des mêmes droits et des mêmes puissances.

C’est, j’en conviens, une vérité dure, qui prête peu aux beaux sentiments et aux phrases sonores ; mais c’est une vérité humaine, que prouvent à l’envi, et le spectacle du monde actuel et tous les enseignements de l’histoire. Non pas encore du moins — un ordre de choses ne se change par de simples exhortations. Non, pas encore, dans le monde, la générosité n’est de taille à remplacer la justice. — Que penseraient les propriétaires d’un législateur qui abolirait le code pénal, en se bornant à faire appel à la probité des citoyens ?

Enfin, s’il est reconnu en démocratie que droit et devoir s’impliquent et sont les deux faces du même fait moral, qu’on cesse de faire du devoir le plus étendu et le plus sacré, un titre d’esclavage. Qu’on cesse d’élever les devoirs de la femme contre ses droits.

IV

MATERNITY

Here is the great argument, the seal of the chain by which women have always been attached to the hut, to the gynaeceum, and now to the hearth. Its importance cannot be overlooked. We must only see if we have not exaggerated it, if even, from a true point of departure, we have not arrived at very false consequences.

What is maternity?

The chorus of writers and poets responds with enthusiastic acclamations; and even elsewhere, there is no head that does not bow. Maternity is the triumph of woman, her great and supreme function! Her morality! Her genius! The inexhaustible and sacred source of sublime and fruitful inspirations! The ocean of love! etc…

Fine! But what does it consist of? Not only doubtless of conceiving the child, of bringing it into the world, of nursing it; this is the act of all the females, who all take care of their fruit with love. The human mother alone is thus deified. For what? Because she puts her soul into it, because she rises from instinct to conscious love, and because love, despite doubts, blasphemies, sacrileges, and above all that love, so faithful, so great and so pure, is truly what is sweetest and highest in life.

Maternity is sublime, because its work is sublime: the renewal of humanity by the new and naive being, pure of the filth of paths already travelled, free from all hatred, from all memory, from all defilement, that one can, like a flower in good soil, in the sun, carefully watered, shape with light, love and justice. Maternity is the preparation of our destinies; it is the incessant reformation of creation, or rather creation itself continued and perpetually enlarged; the supreme work, where knowledge and enthusiasm for beauty in all orders is necessary; where the genius of the great sculptors calls to its aid that of the great philosophers, and the faith of those moralists, who among the laughter and the doubts of humanity, through the monarchical swords and the popular jeers, trace our paths in the ideal.

What, then, should be the worker of this great work, the one who, more particularly at least, founds and determines it?

The same chorus of writers and poets, and the crowd that follows them, reply: She should be ignorant!

This is the substance of the doctrine, with more or less variation. But in the end the system, not only decreed, but practiced, since the beginning of the world, is indeed that — because woman is a mother, she must remain apart from science and apart from liberty; knowledge and responsibility are useless to her, and even more, fatal! — Wouldn’t you say that is a bit bizarre?

Think about it well. Would it be because of the importance of the sanctity of the maternal function that women should be deprived of a broad intellectual culture? — Of that dignity that results from the possession of oneself? Of responsibility for one’s acts, which alone constitutes morality?

Is it because of maternity that she would be prohibited from serious studies, as well as from the great benefits of serious labor?

The woman would be all the more a mother, that is to say, all the more fit to raise her children, to develop their souls, to preserve their health, the less she would take part and interest in social life! The more ignorant, the more attenuated she would be as a moral and intellectual person!

The great function of the renewal of humanity would best be fulfilled by a being deprived of her normal development, and atrophied in the most important part of her life?

Are these things discussed? — No; it suffices to repeat the famous saying: who are we deceiving here?

— And yet there really are naive people who seriously cry out: What will become of the children if the wife abandons the home for the preoccupations of public life?

Let’s have a look. — But first let’s note something that we could have noticed: it is that the woman is not always and perpetually occupied with motherhood.

First, from her birth until her marriage, 18 to 20 years (25 wouldn’t be too many) pass.

During this time, it will be said, she must prepare for her role as mother.

But isn’t it too cavalier to claim that woman is born solely for the maternal function, while man is born quite simply for human life, that is to say for himself?

Woman is born, as much as man, for life, as her various aptitudes show; and, just as for any conscious being, her duty rests only with her conscience, with herself; it cannot be prior to her liberty.

It is therefore for life that she prepares herself, and, as all justices meet, it is by preparing for life that she prepares herself for motherhood. Has she accepted it, yes, no doubt, she must absorb herself into it, and nothing, neither art, nor science, nor research, nor any other achievement, is more absorbing, because motherhood is the sum and pinnacle of all things human. There it is necessary to sow, in the form of impressions, only correct ideas; to recognize in germ the probable deviations and to direct everything upwards towards the light; in short, it requires the supreme science, that of being, for which, however intelligent and prepared she may be, the woman will never be enough, and should be aided, with intelligence and sincerity, by the forces of the father, the family and society.

But in the end, however great and noble this task may be, it becomes little by little less absorbing, and some day ceases, in the complete liberty and friendship of the child, who has become the equal. Maternal care, in its special period, does not require of each woman, on average, more than about ten years [5], let us say fifteen years, if you will. The normal life of every being is sixty to seventy years. Should it be entirely sacrificed to this space of ten or fifteen years?

It is in this unique point, however, that we want to absorb and fuse all the destiny of woman. This is why in recent popular discussions on this subject, necessity itself was ignored in order to maintain that women should be freed from all labor.

Could we understand workers, whose function could only be exercised for ten or fifteen years, and who would ask for this reason to remain idle, and nourished by common labor, all the rest of their lives?

But it is not the woman who claims this immunity. And it is not in her interest either.

It should be added that for a considerable number of women — those who do not marry, and those who, married, have no children — this forced devotion to the disadvantages of a system, from which they do not reap the advantages, is too unfair. For those, what reasons, what pretexts can you put forward to deny them, as well as the mother who has become free, access to any career or function chosen by them? Whether this is the rule or the exception, what does it matter? Let it be liberty!

It is only too accepted, at the two extremities of human fortunes, that the woman abandons her children, here for work or there for pleasure. Why then do those who cry out loudest that motherhood is the sole vocation of womenfight these two great scourges of the family, misery and coquetry, with much less ardor than they fight scientific education for women? For what reason, if it is not that at bottom this affected respect for motherhood is only the deep emotion of a shaken domination?

Why this exaggeration of consideration, of tenderness, which goes so far as to refuse work to women, this noble and necessary gymnastics?

Because work means independence.

Why this senseless, illogical fear of knowledge, of reflection, of the free development of being?

Because from knowledge derives the will, as from ignorance uncertainty. Whoever thinks and whoever knows wants; all despots feel this.

And the analogy is so complete, that there is no tan argument furnished by the adversaries of woman that is not drawn from the arsenal of divine and temporal powers.

— If the woman, too given up to things of the mind, neglects her maternal duties? If liberty at home becomes license?…

But liberty is strength! And strength is health! It is weakness that surrenders and breaks down. Sad unbelievers, who believe that intelligence and liberty lead to evil! And then what? From the fact that excess is possible, does it follow that the use of any good should be prohibited?

Never before has a starving man claimed his place at the social banquet, but he has not been dismissed on the accusation of probable insobriety. It is too much concern. Life has its risks and perils, and liberty its own. But preventing them by death or by slavery goes beyond the limits of prudence.

This whole hollow system, so favorable to tirade and amplification, crumbles as soon as you touch it, and is composed only of phrases. The role of the mother and the maternal genius are endlessly exalted: literature has exploited this vein with enthusiasm; the theater possesses the choicest clichés on this subject, which are readily repeated in conversations, or even on certain occasions of private life, by impressionable people. But, in reality, in intimate and everyday life, the mother is no more respected. She is not, because she cannot be; because in spite of rhetoric logic has its rights, and when the facts contradict the words, the words are wrong.

We only respect what we value. And according to our present mores, which must be seen as they are, what we value the least are the simple and passive virtues, disinterestedness, kindness, duty fulfilled, especially when the care that this duty entails has a servile and apparently futile character, and when these virtues are combined with much ignorance and many incapacities. What commands esteem is intellectual strength; which commands esteem, still more, alas! — deference at least — in our times, is power.

Now, the mother is devoid, by our customs and by law, of any element of influence and authority. She does not freely dispose of anything; neither the satisfaction of needs nor that of pleasures depends on her. Whether it is a question of the education of the children, their career, serious incidents in their life, their marriage, the mother holds in the council only the humble place of a preponderant without rights, the notice of which may be unceremoniously dismissed. In any important decision, the will of the father alone matters, and the children know it well. Perhaps the excess of such injustice would arouse their indignation? But what? Do they not see the profound incompetence of their mother with regard to all serious matters, and must not this harmony between education and law not be enough to convince unreflecting minds that things are as they should be? One therefore grants one’s mother a somewhat disdainful affection, of which the father himself sets the example; we accept her care and treats as something due, out of pure goodness, because the woman has needs of tenderness to satisfy; we despise her advice; we laugh at her anxieties; the mother hears the name of woman fall disdainfully from her son’s mouth. Let all this be joined by exterior deferences, or even poetic adorations; that hardly matters. Always illogical with regard to the woman, the man likes to ask himself, in what concerns her, problems of inconsistency, which he manages to solve to his own satisfaction. One does not reserve science for oneself alone with impunity.

Whatever else is said, the fact is there, in its crushing reality: woman is subordinate; therefore, inferior for all those who do not separate the fact from the right, that is to say for the immense majority of men, for sons as well as for husbands. And then, we always speak of the upper classes, that is to say of the small number. But let’s go and visit the popular hearths. In the eyes of the man of the people, who himself does not pride himself on quintessence, the respect of a being to whom one does not grant the common sense necessary to conduct herself, and to do her own business, that respect is but a mockery of proper people; and they take no pains to imitate them on this point, not believing they are doing the worst. In the village, the son who has become the head of the family is the master ; his old mother, as well as his wife, call him so, and it is not the old mother who will be the least harshly commanded, the least rudely remonstrated. There, that is to say among the immense majority, the Hindu maxim is still realized in all its splendor: the woman must obey, daughter to her father, wife to her husband, mother to her son.

Basically, this feeling is everywhere the same. Apart from certain very exceptional families, where the lofty feeling of what ought to be imposes on children a holy ignorance of the law, there is not a son who, from the age when he can understand the state of things prevailing — in most households, all that is needed is to listen and see — respects his mother less than his father. It could not be otherwise; and all the cries of horror and all the phrases of a whole legion of Prudhommes will not change anything. The influence of fact, much stronger than that of right, imposes this sentiment on the hearts of men — let us say, if you will, vulgar men; but I beg the others to sound their own depths.

We can therefore produce, and reproduce, the prettiest sentences on the divine role of the mother, of the woman, in humanity. As long as woman remains intellectually and legally inferior, she will remain despised. Christianity has also said very fine things about the equality of poor and rich, slave and master (not of woman and of man; we must do it justice in this regard). As it contented himself with saying them, and postponed any liquidation until after this life, its maxims remained dead letters, and we know with what airs a devotee of high parity gives alms to his brother in Jesus Christ, covered in rags.

The first feeling of disdain with regard to woman, which arises from the spectacle of things, is admirably complicated, at the age of the passions, by the difference between the two moralities. Already accustomed to considering himself a suzerain, sure of material and moral impunity, how could man not abuse a being abandoned to him by laws and public opinion; what does a carefully prepared insufficiency of mind, coquetry, ignorance and, sometimes idleness, sometimes misery, deliver to him? We will invoke pity, justice… childishness! Once again man will only respect woman when she is his equal in right and in fact, armed with the same rights and the same powers.

It is, I agree, a hard truth, which lends itself little to fine sentiments and sonorous phrases; but it is a human truth, which proves over and over again, both the spectacle of the present world and all the teachings of history. Not yet at least — an order of things cannot be changed by mere exhortations. No, not yet, in the world, is generosity any match for justice. What would owners think of a legislator who abolished the penal code, limiting himself to appealing to the probity of citizens?

Finally, if it is recognized in democracy that right and duty are involved and are the two sides of the same moral fact, that we cease to make of the most extensive and most sacred duty, a title of slavery. Let us stop elevating the duties of women against their rights.

V



LE DROIT

À part quelques esprits sérieux, notre époque vit au jour le jour de faits plus que d’idées, et de faits sans grandeur. Les commérages auxquels est réduite la politique actuelle, les nouvelles du monde artistique et des salons, et ce triste bilan qui sous le titre de faits-divers, expose les misères, les crimes et les aberrations de chaque jour, là se borne a nourriture intellectuelle et morale du plus grand nombre. Ce n’est pas qu’elle soit vide d’enseignements ; mais la moëlle n’en est pas. extraite et ces faits n’offrent à ceux qui en vivent qu’un intérêt passager, pris à part de leurs conséquences et de leurs causes : le simple appétit de l’incident, l’amour de l’enfant pour le conte ; dans l’esprit comme dans le journal, ils restent sans lien, sans ordre, séparés par des tirés. On réfléchit peu ; le temps manque ; le goût surtout. La vie, consacrée toute entière à la poursuite du but personnel, immédiat, harcelée par la concurrence sociale, est si haletante ! Tout s’y produit en hâte et sous forme de compétition : l’action, la pensée. Remonter aux sources est trop long.

Aussi, chez l’individu comme dans les masses, y a-t-il manque de lien et de tradition. Parmi beaucoup de haines, d’inquiétudes, d’élans, de frayeurs, peu d’idées certaines. Ici des ambitions agressives ; là, le désir de conserver porté jusqu’à la fureur. Au sein même des partis, les esprits flottent entre des idées et des faits de provenance opposée ; les autoritaires encombrent le camp de la liberté ; nombre de bonnes volontés sommeillent dans celui du privilége ; la vie individuelle est faite de compromis ; la vie sociale est encombrée d’édifices croulants, qu’on étaie bien moins par amour du passé que par crainte de l’avenir ; pour tout dogme, l’usage ; l’intérêt proclamé seul guide profitable par l’honnêteté elle-même, découragée ; en face du meurtre et du mensonge triomphans, la conscience forcée à des résignations fatales ; dans le monde de l’esprit, un chaos d’assertions tranchantes, de preuves contestables, de paradoxes éblouissants, de réputations défaites, de personnalités surfaites, de vérités en lambeaux ; point d’orientation précise ; les dates d’hier oubliées ou grattées ; les vieux instincts, sang de nos ancêtres, luttant en nous contre les aperceptions nouvelles ; toutes choses remises en question ; plus rien debout que des habitudes.

Nous avons une foi cependant, une foi nouvelle ; mais si peu connue, que beaucoup s’inquiètent de son absence, et, la heurtant à chaque pas, ne la voient point. On agit surtout par instinct, par opinions fragmentées, sous l’empire des idées flottantes dans l’atmosphère du dix-neuvième siècle. On réclame justice en la déniant à autrui ; chacun fait son effort en vue de soi seul. La plupart des démocrates sont les derniers à comprendre que tous les droits sont solidaires et ont un berceau, un principe commun.

Aussi, n’est-ce pas parmi eux que la femme trouve ses adversaires les moins âpres. Sur cette question, les révolutionnaires deviennent conservateurs, et en même temps que le dogme et les préjugés, l’illogisme donne. Ceux qu’on appelle plus particulièrement les républicains sont à ce sujet les plus farouches, et cela se comprend : les esprits attachés surtout à la forme sont nécessairement superficiels. Comme ils ne vont que tout près, et n’ont que peu d’horizon, ils ne savent guère non plus d’où ils viennent, quel principe les a créés. Ce sont des révoltés, non des rénovateurs. Le pouvoir les gêne, ils le combattent, voilà tout. Mais, bien plus compétiteurs qu’ennemis, s’ils l’assiègent, c’est pour s’en emparer, non pour le détruire. Le républicain proprement dit n’est point encore sorti du monde monarchique. Il a foi en la force, aux coups de main, en la dictature. Il s’indigne d’obéir, non de commander. Il ne sait pas étendre aux autres son propre orgueil. L’amour et la justice manquent à sa foi.

Ces prétendus amants de la liberté, s’ils ne peuvent tous avoir part à la direction de l’État, au moins leur faut-il un petit royaume à leur usage personnel, chacun chez soi. Quand on a mis en poudre le droit divin, c’était pour que chaque mâle (style proudhonien) en pût avoir une parcelle. L’ordre dans la famille leur paraît impossible sans hiérarchie. — Eh bien, donc, et dans l’État ?

Les socialistes eux-mêmes, quoique plus profonds, et plus conséquents avec les principes révolutionnaires, se divisent sur la question de la femme.

Elle est si instante cette question, si arrivée à son heure, qu’elle s’imposa la première aux débats des réunions publiques et fût discutée avec acharnement pendant plus de trois mois dans ses considérations générales, en dépit du programme qui la limitait au travail.

C’est là que se produisit une étrange théorie, en opposition du droit individuel, invoqué par les partisans du droit complet de la femme — comme de tout être humain — à la liberté, à l’égalité.

On dit — Non, l’unité sociale, ce n’est pas l’individu, c’est la famille, ainsi hiérarchisée : père, mère, enfant. — Et les raisons de cet étrange dogme d’une trinité nouvelle, non moins dogmatique et mystique que l’ancienne, on les trouva, comme toujours, dans la nature particulière de la femme, et dans la nécessité de l’ordre au sein de la famille.

Et comme toujours, chaque orateur présenta son Eve, pétrie de sa propre main, mais toujours tirée de la côte d’Adam, tendre et faible, chef-d’œuvre de grâce et d’inconsistance, sublime, et pourtant dépourvue de sens moral et de sens commun ! Et couverte de fleurs, on la jeta, non-seulement hors de la République, mais hors du travail ; car la femme, cet être délicat et charmant, née pour le plaisir de l’homme, ne doit ni s’endurcir, ni s’émanciper par le labeur. On oublia de prouver qu’elle pouvait se nourrir d’amour et de rosée. Il est vrai que l’homme fut chargé de sa subsistance. Mais quoi, s’il ne s’en charge pas ? Ce point ne fut pas touché. Trop noble était cette rhétorique pour parler du nombre effrayant et toujours croissant des enfants abandonnés, des filles délaissées, des prostituées et des courtisanes, des ouvrières exténuées par l’excès du travail et de la misère ; non plus que des mères de famille, battues, exploitées et volées par leurs maris, non plus que de ce trafic des dots, dans le mariage, qui fait pendant à l’exploitation des filles pauvres dans l’union libre. La littérature a ses exigences : En face de la tendre et faible créature que vous savez, devait nécessairement apparaître l’homme fort et chevaleresque. Il faut de l’antithèse à tout prix.

Redisons-le bien haut : le désir de maintenir la suprématie de l’homme sur la femme a pu, tout dernièrement, en notre siècle, pousser des démocrates à ces conclusions : que le travail industriel devait être interdit aux femmes ; qu’elles devaient être nourries par l’homme. Étrange système social, avouons-le, qui ferait de l’existence de la femme le devoir de l’homme, et donnerait la vie de celle-là pour enjeu de l’oubli du devoir chez celui-ci ! Ne serait-ce pas constituer, au profit de chaque être masculin, une petite monarchie absolue qui dépasserait le beau droit de vie et de mort du chef de famille romain ? Car ici la sentence n’exige pas même le moindre délit, ni l’embarras d’un mouvement de colère ; il suffit de ne pas vouloir ; il suffit de l’égoïsme — à ce qu’il semble, peu pressé de disparaître.

On n’y a pas songé ; mais un tel système, exige une sanction. Il faut de toute nécessité pour le compléter une loi qui décrète pour tout homme, à tel âge, le mariage ou la mort. Car enfin, puisque mort doit s’en suivre, n’est-il pas plus juste que ce soit celle du célibataire coupable ? Seulement, qui nourrira la délaissée ? On verrait forcément s’allumer en France les bûchers du Malabar. Les filles bossues ou épileptiques seraient nourries par l’État ?

En comparaison de ces théories, le code devient presque un monument de liberté et d’égalité.

Qui jugera dans cent ans l’époque actuelle par ses allégations sur, contre, et même pour la femme, émettra un jugement sévère. Sur aucune question, en effet, les livres, les systèmes, les discours, les mots, ne portent aussi bien l’empreinte de ce dévergondage des idées, qui répond au désordre des mœurs. Là, sans foi, sans étude, en dehors même de toute école et de tout parti, comme de toute logique, chacun exprime ses intérêts ou ses préjugés. Là, plus qu’ailleurs, les esprits flottent au hasard, et cherchent à tout bâcler par des compromis. Il n’y a plus à cet égard ni démocrates, ni conservateurs ; il n’y a que des vanités, à côté de quelques consciences.

D’ailleurs, ces appétits et ces vanités, également exaltés par la passion, ne se trompent pas. C’est bien de la plus grande et de la plus radicale des réformes qu’il s’agit : lois, mœurs, caractères. La femme, égale de l’homme dans la société, c’est la prostitution à jamais détruite. C’est l’amour purifié par la liberté, par la force même des choses. C’est la morale passant du droit dans le fait ; en même temps que la dernière et la plus forte racine monarchique arrachée, et la démocratie à jamais fondée sur la seule assise solide qu’elle puisse occuper : les mœurs.

En effet, comment la liberté pourrait-elle régner dans l’État, tant que le despotisme régnera dans la famille ? Pense-t-on pouvoir commander à l’âme humaine des volte-face de sentiments, comme on commande la charge en douze temps à un voltigeur ? Croit-on que le sein maternel ne soit pour l’enfant qu’une hôtellerie ? Qu’une nourriture purement matérielle ? Admettons-nous encore la séparation radicale, et fantastique, du corps et de l’âme ? Ou, avec le code hindou, que la femme ne soit que le champ où le grain germe ? On parle sans cesse de la nature, et l’on semble ne pas voir que tout se pénètre, que rien ne s’isole, que ces divisions arbitraires, ces violents contrastes, ces inconséquences absurdes n’existent que dans notre esprit.

Non, la femme n’est pas une chose, un pur réceptacle. Elle pétrit son enfant de ses sentiments et de ses idées comme de sa chair ; esclave, elle ne peut créer que des esclaves, et, suivant ce qu’elle est l’éducation qu’elle a reçue, son lait recèle des germes morbides, ou d’héroïques ferments.

D’autre part, qu’est-ce qu’un despote, sinon une autre forme de l’esclave ? Fera-t-on de la liberté avec des maîtres mieux qu’avec des sujets ? Mettez cela ensemble ou séparément sous un pilon, vous n’en retirerez jamais, en proportions à peu près égales, que brutalité, platitude, violence, injustice, lâcheté. La démocratie croit exister ; elle n’est qu’à l’état de rêve dans le vieux corps monarchique où elle gît encore, et par le cerveau duquel elle pense. Elle n’a point d’organisme qui lui soit propre, ni même de langage. Elle attend la matrice qui doit la former, la mère libre qui l’enfantera.

Plus tard, on les contemplera comme des monuments d’illogisme, ces démocrates qui, au lendemain de la déclaration fameuse, Credo, explicitement incomplet sans doute, mais complet en puissance, de l’ordre nouveau :

« Les hommes naissent libres et égaux en droits. »

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. »

Prétendent sacrifier à une conception dogmatique la moitié de l’humanité, absorber la femme dans la famille, et bâtir une fiction de plus sur ce prétexte usé de tous les despotismes : l’ordre.

Quatre-vingts ans se sont écoulés depuis l’inauguration du droit humain — et c’est encore une nouveauté presque bizarre que de revendiquer la justice pour la femme, courbée depuis le commencement du monde sous un double joug, dans l’esclavage doublement esclave, esclave toujours au sein de la famille libre, et maintenant encore, dans nos civilisations, privée de toute initiative, de tout essor, livrée, soit aux dépravations de l’oisiveté, soit à celles de la misère, et partout et toujours soumise aux effets démoralisants du honteux mélange de la dépendance et de l’amour.

Et voici le spectacle que donne la démocratie :

Elle proclame la liberté nécessaire à la dignité et à la moralité de l’être humain ; elle en attend le développement de tous les sentiments généreux, la prospérité, le bonheur du monde, et sa grandeur des floraisons sublimes.

— Mais, s’agit-il de la femme, la liberté devient aussitôt un objet de soupçon et de terreur. Elle serait incompatible avec l’exercice du devoir.

La démocratie voit dans la science la rédemption de l’humanité, la lumière qui assainit et féconde les bas-fonds de la superstition et de l’ignorance, le champ sans limites, où toutes les intelligences doivent se rencontrer et s’unir.

— Mais elle juge prudent de n’instruire la femme qu’avec réserve. La science pour la femme serait un poison.

La démocratie croit à l’association comme à l’antidote naturel de la concurrence et de la hiérarchie. Elle croit par conséquent à l’accord des intérêts, à l’unité de vues, au libre groupement par l’affinité, par l’amour. Sans la possibilité de l’association, en effet, c’est-à-dire de l’entente et de la paix entre égaux, la démocratie est une folle prétention, un rêve, et le monde n’a plus qu’à se réfugier dans la monarchie, sous l’égide des sauveurs de la société.

— Cependant, les démocrates ne voient dans le mariage d’autre garantie d’ordre et de paix que l’obéissance. Ils s’écrient : il faut bien un chef, une direction ; qui décidera ?

Ils admettent l’association entre coffre-forts ; c’est une habitude sociale ; mais au foyer, où les plus puissants intérêts moraux et matériels la commandent, où l’amour la fonde, c’est une chimère.

C’est leur conviction que la liberté donnée à la femme, en ferait infailliblement un monstre d’égoïsme et d’’impudeur.

Que sans le code, la famille n’existerait plus ; que l’amour, la confiance, la dignité, n’ont rien de pratique.

Mais quelle est donc la foi qui les distingue, ces démocrates prétendus, de ceux qui nient les grandeurs de la liberté, et calomnient la nature humaine ?

Ne pourraient-ils laisser à leurs adversaires le soin de prétendre que les grandes vérités sur lesquelles notre présent et notre avenir se fondent sont de vains mots, bons seulement pour la harangue et pour la bataille ? Mais qu’en fait de réalités, il en faut revenir toujours au vieux système de l’ordre par la compression et par la hiérarchie.

L’ordre, ce prétexte éternel, qu’est-ce donc enfin ?

— La paix ?…

— Mais jusqu’ici toute l’histoire de l’humanité : luttes, révoltes, guerres, massacres, exactions, viols, misères, semble celle d’un malade en proie au délire et aux convulsions de la fièvre chaude. C’est en même temps l’histoire du système de l’ordre par la compression.

Et c’est après des milliers de siècles d’une telle expérience qu’on vient encore alléguer l’ordre pour justifier la compression ! Et dans le parti démocratique même, on n’a pas compris suffisamment que ces deux mots : ordre et compression sont deux idées qui s’excluent, deux ennemis nés, qui hurlent de l’étrange association qu’on leur impose !

L’ordre, que l’esprit du près élevait à l’importance d’une cause, ou d’une loi divine, au point de vue démocratique, n’est qu’un effet. Dans la conception du passé, l’ordre c’est l’immobilité. En démocratie, il résulte, au contraire du mouvement, et du libre jeu des forces. Il est l’harmonie du droit et du devoir.

Invoquer l’ordre comme argument pour légitimer la compression, la violation d’un droit, l’étouffement d’une volonté, c’est parler le langage de tous les révélateurs, de Manou à Jœ Smith. C’est légitimer le pouvoir de César-Auguste, la sainte Église, la sainte Inquisition, et la saint Barthélemy, avec les massacres de l’Abbaye. C’est embaumer ce cadavre du vieux monde qui pèse si cruellement sur le nouveau ; puisque c’est au nom de l’ordre que s’impose encore la tyrannie. Ce fut au nom de l’ordre aussi qu’un législateur éperonné discuta en France, au xixe siècle, l’utilité de la polygamie, ravit à la femme toute dignité, à la mère tout droit, et punit l’enfant illégitime de la faute du père. L’ordre dans sa vieille signification, n’a jamais été que le silence des opprimés, c’est à dire l’hypocrisie du désordre. L’ordre véritable, c’est le monde que nous cherchons. Il est dans la réalisation complète des trois grands termes : liberté, égalité, fraternité, et non dans les voies du despotisme.

» Tous les hommes naissent libres et égaux en droits. »

Chaque époque a ses clartés et ses ténèbres. Celle-ci fut un orage, et l’éclair incomplet n’embrassa pas tout le ciel.

Qui pourrait nier cependant que de cette époque le droit n’ait une base nouvelle et que tout l’ordre social ne soit en principe renouvelé ? Remplacez le mot : hommes par : êtres humains ; l’esprit est le même et l’équivoque cesse. Qui chercherait d’ailleurs une exclusion dans cette pensée, large comme l’humanité même, ne comprendrait rien à l’élan qui la formula.

Puis enfin, qu’importe cette lacune, ou plutôt ce voile, qui laissa obscure une partie de la vérité ? Le droit, qui est éternel, ne dépend pas du plus ou moins de clairvoyance d’une époque, si grande qu’elle soit.

Ce qui importe, c’est que le fait incontestable dont nous vivons à cette heure ; le principe d’où tout découle désormais, autour duquel tout ce qui doit vivre s’enlace et dont s’éloigne tout ce qui meurt, c’est le droit individuel. Incarné désormais dans l’esprit humain, ce principe est devenu comme une loi naturelle sociale qui forcément, soit par les semblables, soit par les contraires, mystérieusement, ou au grand jour, accomplit son évolution, et la poursuivra jusqu’à sa complète réalisation dans l’égalité. Sa marche, à la fois audacieuse et sourde, est irrégulière : il va de l’idée entière au fait incomplet, frayant son chemin à travers d’interminables décombres ; il s’élance d’un bond jusqu’au suffrage universel et retombe ; mais il tient l’ignorance à la gorge et ne la lâchera pas. En quoi consiste-t-il ? Dans la conquête ? ou dans la naissance, comme autrefois ? Dans les immunités achetées, ou rachetées, par deniers comptant ? Dans le génie ? Dans l’éducation ? Dans une capacité quelconque ? Non, rien de cela : dans l’être lui-même ; dans la force irréductible d’une volonté consciente, qui ne reconnaît, dans son domaine, aucun suzerain ; qui, dans l’ordre moral, hors ce qui touche au droit d’autrui, n’a de compte à rendre qu’à elle-même ; qui dans l’ordre intellectuel n’a pas de juge, car elle en peut appeler toujours ; car une opinion en face d’une opinion sont entr’elles comme deux unités de même ordre, comme un est à un.

Ainsi le droit ne résulte plus que de l’existence. L’être humain, l’individu, est devenu l’unité de mesure d’une mathématique nouvelle, d’un ordre nouveau. Par là, tout est retourné subitement, de la base au faite, et la Révolution partage l’histoire en deux ères, dont la seconde est d’hier. Il ne s’agit plus de chartes octroyées d’en haut, soit par la divinité elle-même, soit par ses oints. La réalité vivante et palpable, sous forme humaine, remplace les conceptions arbitraires ; l’étude remplace la révélation ; l’ordre social n’est plus que l’harmonie des droits individuels ; tous les rapports changent.

— La société d’autrefois était faite sur le modèle — il en fallut toujours — d’un organisme vivant : une tête, un corps, des bras et des pieds[6].

Le Brahmanisme fut l’expression la plus accusée de cette conception, qui se retrouve plus ou moins dans tous les autres systèmes. Le fameux apologué de Menénius Agrippa (qu’on enseigne encore dans nos écoles) montré que cet idéal était celui de la République romaine. Il n’y en avait pas d’autre alors. Les instincts naturels du peuple, alors comme aujourd’hui, posaient la question sociale ; mais l’ignorance du vrai droit ne trouva rien à répondre à Menenitus, et mal convaincu, mais réduit au silence, le peuple descendit de l’Aventin. Il ne sut pas alléguer que chaque être humain, étant un organisme complet, qui se suffit à lui-même, ne peut consentir à jouer le rôle de simple rouage dans un organisme monstrueux ; que la société n’est pas un édifice à bâtir, suivant telles ou telles lois d’équilibre, mais un ensemble de forces associées.

Dans tout le passé jusqu’en 89, on chercherait vainement la révélation du droit humain. On y trouve l’inspiration de la liberté, nulle part sa formule dans l’égalité du droit. Toujours l’impulsion est donnée de haut en bas. Partout des temples, d’où la révélation descend, des trônes pour le commandement immédiat, ou, à défaut du trône, l’aristocratie ; à défaut de l’aristocratie, l’oligarchie ; partout enfin, comme nécessité sociale, plus ou moins étendue, l’esclavage, l’esclavage qu’au xviiie siècle, Rousseau présente encore, naïvement, comme la condition peut-être nécessaire de la liberté du citoyen.

Dans cette construction, toute hiérarchique — en dépit des formes et des noms — l’inégalité des conditions étant regardée comme nécessaire à l’ordre, l’homme n’était qu’un rouage plus ou moins important de la machine, l’être était inférieur à la société, comme la partie au tout. Cela semblait mathématique ; seulement, cette mathématique oubliait la vie. La vie ne réside pas dans la société, mais dans l’être seul, dans l’individu qui sent, pense et veut, dont les impressions s’exaltent, ou se corrigent, au contact de celles des autres ; mais n’ont lieu qu’en lui-même, et ne peuvent exister ailleurs.

On n’a pas encore suffisamment compris la folie de ces conceptions formées en dehors du moi, lieu unique de la vie humaine, et l’inanité d’un idéal qui s’accomplit ailleurs que dans l’être. Les avantages d’un plan qui lèse l’individu ne pouvant être savourés par ce plan lui-même, sont évidemment faux de toute vanité.

Pourtant, depuis que le monde se connaît, on a toujours sacrifié des êtres humains à l’idée de l’ordre. Et non pas quelques-uns au plus grand nombre (ce qui serait toujours faux et injuste, mais plus spécieux) mais le très-grand nombre à quelques-uns. On explique généralement ce fait en histoire par le machiavélisme des privilégiés ; mais c’est un ressort trop mesquin pour un effet universel et si durable. Sans une conception générale commune, ce petit calcul eût été renversé trop facilement, par une simple addition qu’eût faite la multitude. Cette conception, commune aux privilégiés et aux exploités, était l’apologue des membres et de l’estomac, la persuasion que pour diriger le grand corps social, il fallait une tête.

Comment en douter, quand cette conception règne encore généralement parmi nous ?

Oui, heureusement, il y a beaucoup moins de lâcheté que d’erreur dans les abdications humaines. Dans tous les temps, l’humanité s’est immolée à son idéal, si vain qu’il fût ; elle a mis de l’héroïsme dans sa duperie.

Mais, à présent que le droit humain a été compris, que les deux systèmes, l’un naissant, l’autre expirant, se rencontrent dans une lutte suprême, il faut bien s’entendre sur ce qui appartient à l’un ou à l’autre, et séparer les deux camps.

Lorsqu’on s’oppose à la revendication pour la femme, la liberté et de l’égalité, lorsqu’on veut formuler une constitution de la famille, dont le premier article est l’assujettissement de la femme, et sa dépendance matérielle, il faut s’avouer du moins que l’on vit encore de l’esprit du passé, qu’on se fait le champion de l’ordre ancien, contre les principes de l’ordre nouveau.

Si l’être humain est libre par le seul fait de son existence ; si la conscience est inviolable ; s’il n’existe point de juridiction pour la pensée ; et si la justice enfin ne se réalise que dans l’être vivant et conscient, quelle raison alléguer pour exclure la femme du droit inhérent à tout individu de l’espèce humaine ? L’utilité ? — Elle n’a point de droit contre le droit. Contre le droit, elle n’a pas même d’existence. L’utilité, dans l’ordre ancien, fut une mystification énorme ; ce n’est autre chose que l’arbitraire, et nous retombons dans ce non sens qui sacrifie l’individu à la société, l’être à l’abstraction. L’utilité, dans l’ordre véritable, se confond avec la justice, qui a pour mesure l’être individuel.

Une infériorité physique ? — Mais le contrat social a pour but de remplacer le droit du plus fort par le droit commun.

Une infériorité morale ? — Mais il n’y a pas de moralité sans liberté, sans responsabilité.

Une infériorité intellectuelle ? — Sans répéter tout ce qui a déjà été dit sur ce point même — de ce que la femme serait moins intelligente, s’ensuivrait-il qu’elle dût-être privée de son droit ? En a-t-elle moins — au degré qu’il vous plaira — pensée, conscience, volonté, en un mot ce qui constitue l’égalité de nature, partant l’égalité de droit. Est-ce un diplôme de capacité doctorale qu’on délivre à chaque électeur ? Non, une simple carte portant le nom d’une personne humaine. Et cela est ainsi parce qu il est impossible de faire au trement. A-t-on jamais dans aucun temps essayé d’attacher le droit de vote à un brevet de capacité intellectuelle ? Qui donc l’oserait signer ? On obtient des certificats d’étude sur des faits spéciaux, sur des connaissances précises ; mais où est l’être humain qui peut dire à son semblable : je connais tes limites ; je te contiens, je te dépasse et je te juge je suis ton Dieu — Et quand sa présomption l’oserait dire, la simple récusation du jugé ne suffit-elle pas pour rétablir entre eux l’égalité ? Négation contre affirmation, la balance est faite.

Pour fonder le droit sur la capacité, il faudrait faire simplement ceci : déterminer le degré exact d’intensité de chaque intelligence, féminine ou autre, et la limite précise où chacune s’arrête.

Supposons même ce travail fait, — l’intelligence humaine étant progressive et modifiant ses données au contact des événements, il faudrait refaire ce travail chaque jour, à chaque heure… — Tout cela est impossible n’est-ce pas ? Oui ; et c’est dommage ; car, en vertu de ce principe que plus de capacité confère plus de droit, nos démocrates conséquents, dont le principal argument contre la liberté de la femme, est tiré de l’hypothèse de son infériorité intellectuelle, se verraient forcés de rebrousser jus- qu’à la plus pure aristocratie, puis, jusqu’à la monarchie, enfin, jusqu’à la papauté du plus fort cerveau — jusqu’à ce passé en un mot, dont l’esprit les anime encore et leur souffle ces incohérences.

En somme, ou le principe sur lequel se fonde — bien lentement — la société moderne, est faux, ou la femme aussi bien que l’homme, possède le droit naturel et imprescriptible restitué par la Révolution à l’humanité. En elle, comme en lui, l’unité de nature et la diversité de manifestation réclament leur double droit d’égalité et de liberté. Il faut revenir au vieil idéal d’une société construite sur un plan arbitraire, déclaré divin par ses auteurs, plan qui sacrifie l’être à une idée préconçue[7], ou bien il faut prendre pour base du droit, et de toute combinaison sociale, l’unité humaine, mesure irréductible, formule vivante, à la fois précise et progressive, du vrai et de la justice.

V

RIGHT

Apart from a few serious minds, our epoch lives from day to day on facts more than ideas, and facts without greatness. The gossip to which current politics is reduced, the news of the artistic world and the salons, and this sad balance sheet which under the title of miscellaneous, exposes the miseries, the crimes and the aberrations of each day, there is limited intellectual and moral food for the greatest number. It is not that it is empty of lessons; but the marrow is not extracted and these facts offer only a passing interest to those who live by them, taken apart from their consequences and their causes: the simple appetite for the incident, the child’s love for the tale; in the mind as in the papers, they remain unrelated, without order, separated by dashes. We think little; time is running out; taste especially. Life, devoted entirely to the pursuit of the personal, immediate goal, harassed by social competition, is so breathless! Everything happens in haste and in the form of competition: action, thought. Going back to basics is too long.

Also, in the individual as in the masses, there is a lack of bond and tradition. Among many hatreds, worries, impulses, fears, few certain ideas. Here aggressive ambitions; there, the desire to preserve carried to fury. Within the parties themselves, minds fluctuate between ideas and facts from opposite sources; the authoritarians clutter the camp of liberty; a number of good intentions slumber in that of privilege; individual life is made up of compromises; social life is encumbered with crumbling edifices, which are supported much less by love of the past than by fear of the future; for any dogma, usage; self-interest proclaimed as the only profitable guide by honesty itself, discouraged; in the face of triumphant murder and lies, conscience forced into fatal resignations; in the world of the spirit, a chaos of sharp assertions, questionable proofs, dazzling paradoxes, undone reputations, overrated, tattered truths; no precise orientation; yesterday’s forgotten or scratched dates; the old instincts, the blood of our ancestors, struggling within us against new perceptions; all things questioned; nothing left standing but habits.

We have a faith however, a new faith; but so little known that many worry about its absence, and, bumping into it at every step, do not see it. We act above all by instinct, by fragmented opinions, under the sway of ideas floating in the atmosphere of the nineteenth century. We demand justice by denying it to others; each makes his effort in view of himself alone. Most democrats are the last to understand that all rights are interdependent and have a cradle, a common principle.

Also, woman does not find her opponents less bitter among them. On this question, the revolutionaries become conservatives, and alongside dogma and prejudices, illogic does its work. Those who are more particularly called republicans are the fiercest on this subject, and this is understandable: minds attached above all to form are necessarily superficial. Since they only go very close, and have only a short horizon, they hardly know either where they come from or what principle created them. They are rebels, not renovators. Power bothers them and they fight it, that’s all. But, much more competitors than enemies, if they besiege it, it is to seize it, not to destroy it. The republican, properly so called, has not yet left the monarchical world. He has faith in force, in blows, in dictatorship. He is outraged to obey, not to command. He does not know how to extend his own pride to others. Love and justice are lacking in his faith.

These so-called lovers of liberty, if they cannot all take part in the direction of the State, at least they need a little kingdom for their personal use, each at home. When divine right was powdered, it was so that each male (Proudhonian style) could have a piece of it. Order in the family seems impossible to them without hierarchy. — Well, then, and in the state?

The socialists themselves, although deeper and more consistent with revolutionary principles, are divided on the question of women.

This question is so urgent, so timely, that it was the first to impose itself on the debates of public meetings and was debated fiercely for more than three months, in its general considerations, in spite of the program which limited it to labor.

It was there that a strange theory arose, in opposition to the individual right, invoked by the partisans of the complete right of women — as of all human beings — to lliberty, to equality.

Some said — No, the social unit is not the individual, it is the family, thus hierarchized: father, mother, child. — And the reasons for this strange dogma of a new trinity, no less dogmatic and mystical than the old, were found, as always, in the particular nature of woman, and in the necessity of order within family.

And as always, each speaker presented his Eve, kneaded with his own hand, but always drawn from Adam’s rib, tender and weak, a masterpiece of grace and inconsistency, sublime, and yet devoid of moral and common sense! And covered with flowers, they threw her, not only out of the Republic, but out of work; for woman, that delicate and charming being, born for the pleasure of man, should neither harden herself nor emancipate herself through toil. They forgot to prove that she could feed on love and dew. It is true that the man was responsible for her subsistence. But what if he doesn’t take care of her? This point was not touched. Too noble was this rhetoric to speak of the appalling and ever-increasing number of abandoned children, neglected girls, prostitutes and courtesans, working women exhausted by excessive labor and misery; any more than the mothers, beaten, exploited and robbed by their husbands, any more than this traffic in dowries, in marriage,spitting image of the exploitation of poor girls in free unions. Literature has its requirements: Opposite the tender and weak creature that you know, the strong and chivalrous man had to appear. Antithesis is needed at all costs.

Let us repeat it out loud. The desire to maintain the supremacy of men over women has been able, very recently, in our century, to push democrats to these conclusions: that industrial labor should be forbidden to women; that they had to be fed by man. It is a strange social system, let’s face it, that would make the existence of woman the duty of man, and would give her life as the stake for his forgetfulness of duty! Wouldn’t that be constituting, for the benefit of each male being, a small absolute monarchy which would go beyond the beautiful right of life and death of the Roman head of household? For here the sentence does not require even the slightest offence, nor the embarrassment of a fit of anger; it is enough not to want; all that is needed is selfishness — which is, it seems, in no hurry to disappear.

We didn’t think of it; but such a system requires a sanction. To complete it, a law is absolutely necessary that decrees for every man, at a certain age, marriage or death. For after all, since death must follow, isn’t it more just that it be that of the guilty bachelor? Only, who will feed the abandoned one? We would inevitably see the pyres of Malabar lit in France. Would hunchbacked or epileptic girls be fed by the state?

In comparison to these theories, the code becomes almost a monument of liberty and equality.

Whoever will judge the present era in a hundred years by its allegations on, against, and even for women, will pass a severe judgement. On no question, in fact, do the books, the systems, the speeches, the words, bear so well the imprint of this wantonness of ideas, which responds to the disorder of mores. There, without faith, without study, outside even of any school and any party, as of any logic, each one expresses his interests or his prejudices. There, more than elsewhere, minds fluctuate haphazardly, and seek to rush everything through compromises. In this respect there are no longer either democrats or conservatives; there are only vanities, alongside a few consciences.

Besides, these appetites and these vanities, equally exalted by passion, are not mistaken. It is indeed of the largest and most radical of the reforms involved: laws, mores, characters. Woman, equal to man in society, is prostitution forever destroyed. It is love purified by liberty, by the very force of things. It is morality passing from right into fact; at the same time the last and strongest monarchical root torn out, and democracy forever founded on the only solid foundation it can occupy: mores.

Indeed, how could liberty reign in the state, as long as despotism reigns in the family? Do you think you can command the human soul to turn its feelings about, as you command the charge in twelve beats to an acrobat? Do we believe that the mother’s breast is only a hotel for the child? Only a purely material food? Do we still admit the radical and fantastic separation of body and soul? Or, with the Hindu code, do we say that woman is only the field where the grain germinates? We talk constantly about nature, and we seem not to see that everything is penetrated, that nothing is isolated, that these arbitrary divisions, these violent contrasts, these absurd inconsistencies only exist in our minds.

No, the woman is not a thing, a pure receptacle. She molds her child from her feelings and her ideas as from her flesh; slave, she can only create slaves, and, according to what she is, the education she has received, her milk conceals morbid germs, or heroic ferments.

On the other hand, what is a despot if not another form of the slave? Will liberty be achieved with masters better than with subjects? Put this together or separately under a pestle, you will never get out of it, in roughly equal proportions, anything but brutality, platitude, violence, injustice, cowardice. Democracy believes it exists; it is only in a dream state in the old monarchical body where it still lies, and with whose brain it thinks. It has no organism of its own, nor even a language. It awaits the matrix that must form it, the free mother who will give birth to it.

Later, we will contemplate them as monuments of illogicality, these democrats who, the day after the famous declaration, Credo, explicitly incomplete no doubt, but potentially complete, of the new order:

“Men are born free and equal in rights.”

“The aim of all political association is the preservation of the natural and imprescriptible rights of man.”

claim to sacrifice half of humanity to a dogmatic conception, to absorb woman into the family, and to build one more fiction on this worn-out pretext of all despotisms: order.

Eighty years have passed since the inauguration of human rights — and it is still an almost bizarre novelty to claim justice for women, bent since the beginning of the world under a double yoke, in slavery doubly enslaved, a slave always within the bosom of the free family, and even now, in our civilizations, deprived of all initiative, of all growth, delivered either to the depravities of idleness or to those of misery, and everywhere and always subject to the demoralizing effects of the shameful mixture of dependence and love.

And here is the spectacle that democracy gives:

It proclaims the liberty necessary for the dignity and morality of the human being; it expects from it the development of all generous sentiments, prosperity, the happiness of the world, and its grandeur of sublime flowerings.

But when it comes to women, liberty immediately becomes an object of suspicion and terror. It would be incompatible with the exercise of duty.

Democracy sees in science the redemption of humanity, the light that purifies and fertilizes the depths of superstition and ignorance, the limitless field where all intelligences must meet and unite.

— But it thinks it prudent to instruct woman only with reserve. Science for women would be poison.

Democracy believes in association as the natural antidote to competition and hierarchy. It therefore believes in the agreement of interests, in the unity of views, in the free grouping by affinity, by love. Without the possibility of association, that is to say of understanding and peace between equals, democracy is a mad pretension, a dream, and the world has only to take refuge in the monarchy, under the aegis of the saviors of society.

— However, the democrats see in marriage no other guarantee of order and peace than obedience. They exclaim: There must be a leader, a direction! Who will decide?

They admit the association between strongboxes. It is a social habit, but at home, where the most powerful moral and material interests command it, where love founds it, it is a chimera.

It is their conviction that the liberty given to women would infallibly turn them into monsters of selfishness and shamelessness.

That without the code, the family would no longer exist; that love, confidence, dignity, have nothing practical about them.

But what is the faith that distinguishes them, these so-called democrats, from those who deny the greatness of liberty, and slander human nature?

Could they not leave it to their adversaries to claim that the great truths on which our present and our future are founded are empty words, good only for harangue and for battle? But that in fact, in reality, it is always necessary to come back to the old system of order by compression and hierarchy?

Order, this eternal pretext, what is it after all?

— Peace?…

— But so far the whole history of humanity: struggles, revolts, wars, massacres, exactions, rapes, miseries, seems to be that of a sick man, prey to delirium and convulsions of hot fever. It is at the same time the history of the system of order by compression.

And it is after thousands of centuries of such an experience that we still come to allege order to justify compression! And even in the democratic party, we have not sufficiently understood that these two words, order and compression, are two ideas that exclude each other, two born enemies, who howl at the strange association imposed on them!

Order, which the spirit of closeness raised to the importance of a cause, or of a divine law, from the democratic point of view, is only an effect. In the conception of the past, order is immobility. In democracy, it results, on the contrary from movement, and from the free play of forces. It is the harmony of right and duty.

To invoke order as an argument to legitimize compression, the violation of a right, the stifling of a will, is to speak the language of all the revelators, from Manu to Joe Smith. It is to legitimize the power of Caesar-Augustus, the Holy Church, the Holy Inquisition, and Saint Bartholomew, with the massacres of the Abbey. It is to embalm this corpse of the old world, which weighs so cruelly on the new, since it is in the name of order that tyranny still imposes itself. It was also in the name of order that a spurred legislator discussed in France, in the 19th century, the usefulness of polygamy, robbed the woman of all dignity, the mother of all rights, and punished the illegitimate child for the fault of the father. Order in its old meaning has never been anything but the silence of the oppressed, that is to say the hypocrisy of disorder. The true order is the world we seek. It is in the complete realization of the three great terms: liberty, equality, fraternity, and not in the paths of despotism.

“All men are born free and equal in rights.”

Each era has its light and its darkness. This was a storm, and the incomplete flash of lightning did not embrace the whole sky.

Who could deny, however, that in this period right had a new basis and that the whole social order was in principle renewed? Replace the word men by human beings; the spirit is the same and the equivocation ceases. Whoever would seek an exclusion in this thought, broad as humanity itself, would understand nothing of the impetus that formulated it.

Then, finally, what does it matter, this lacuna, or rather this veil, which left part of the truth obscure? Right, which is eternal, does not depend on the greater or lesser clairvoyance of an era, however great it may be.

What matters is that the incontestable fact by which we live at this hour; the principle from which everything henceforth flows, around which everything that must live is entwined and from which everything that dies departs, is individual right. Now embodied in the human mind, this principle has become like a natural social law that necessarily, either by similars or by opposites, mysteriously or in the full light of day, accomplishes its evolution and will pursue it until its complete realization in equality. Its march, at once audacious and muted, is irregular: it goes from the whole idea to the incomplete fact, clearing its way through endless rubble; it leaps with one leap to universal suffrage and falls again; but it holds ignorance by the throat and will not let it go. In what does it consist? In conquest? Or in birth, as before? In immunities purchased, or redeemed, by cash money? In engineering? In education? In any capacity? No, none of that: in being itself; in the irreducible force of a conscious will, which recognizes no suzerain in its domain; which, in the moral order, apart from what affects the rights of others, is accountable only to itself; which in the intellectual order has no judge, for it can always appeal, for an opinion opposite an opinion are to each other like two units of the same order, as one is to one.

Thus right only results from existence. The human being, the individual, has become the unit of measurement of a new mathematics, of a new order. In this way, everything suddenly turned around, from the base to the summit, and the Revolution divided history into two eras, the second of which was yesterday. It is no longer about charters bestowed from above, either by the deity itself or by its anointed ones. Living and palpable reality, in human form, replaces arbitrary conceptions; study replaces revelation; the social order is no more than the harmony of individual rights; all relations change.

— The society of yesteryear was made on the model — it was always necessary — of a living organism: a head, a body, arms and feet. [6]

Brahmanism was the strongest expression of this conception, which is found more or less in all the other systems. The famous apologetic of Menenius Agrippa (which is still taught in our schools) showed that this ideal was that of the Roman Republic. There was no other then. The natural instincts of the people, then as now, posed the social question; but ignorance of true right found no answer to Menenius, and unconvinced, but reduced to silence, the people descended from the Aventine. They did not know how to allege that each human being, being a complete, self-sufficient organism, cannot consent to play the part of a mere cog in a monstrous organism, that society is not an edifice to be built, following such and such laws of balance, but a set of associated forces.

Throughout the past, until 89, we would seek in vain for the revelation of human rights. We find there the inspiration for liberty, but nowhere its formula in the equality of rights. Always the impulse is given from top to bottom. Everywhere temples, from which revelation descends, thrones for immediate command or, failing the throne, the aristocracy; in default of the aristocracy, the oligarchy; finally everywhere, as a social necessity, more or less extensive, slavery, the slavery that in the eighteenth century Rousseau still presents, naively, as the perhaps necessary condition of the liberty of the citizen.

In this entirely hierarchical construction — despite the forms and the names — the inequality of conditions being regarded as necessary to order, man was only a more or less important cog in the machine, the being was inferior to society, as the part to the whole. It seemed mathematical; only, this mathematics forgot life. Life does not reside in society, but in being alone, in the individual who feels, thinks and wills, whose impressions are exalted or corrected by contact with those of others; but take place only in itself, and cannot exist elsewhere.

We have not yet sufficiently understood the madness of these conceptions formed outside of the self, the unique place of human life, and the inanity of an ideal that is fulfilled elsewhere than in being. The advantages of a plan that injures the individual, not being able to be enjoyed by that plan itself, are obviously false of all vanity.

However, since the world has known itself, we have always sacrificed human beings to the idea of order. And not a few to the greatest number (which would always be false and unjust, but more specious) but the very large number to a few. This fact is generally explained in history by the Machiavellianism of the privileged; but that is too mean a spring for such a universal and lasting effect. Without a common general conception, this little calculation would have been overturned too easily, by a simple addition made by the multitude. This conception, common to the privileged and to the exploited, was the apologue of the limbs and the stomach, the persuasion that to direct the great social body, one needed a head.

How can we doubt it, when this conception still generally reigns among us?

Yes, fortunately there is much less cowardice than error in human abdications. In all times, humanity has sacrificed itself to its ideal, however vain it may be; it put heroism into its deceit.

But, now that human rights have been understood, now that the two systems, one nascent, the other expiring, meet in a supreme struggle, it is necessary to agree on what belongs to one or to the other, and separate the two camps.

When we oppose the demand for women, liberty and equality, when we want to formulate a constitution of the family, the first article of which is the subjugation of the woman and her material dependence, we must at least admit that we still live by the spirit of the past, that we make ourselves the champions of the old order, against the principles of the new order.

If the human being is free by the mere fact of their existence; if conscience is inviolable; if there is no jurisdiction for thought; and if justice finally is realized only in the living and conscious being, what reason can be given for excluding the woman from the right inherent in every individual of the human species? Utility? — It has no right against right. Against right, it does not even exist. Utility, in the old order, was an enormous mystification; it is nothing but arbitrariness, and we fall back into this nonsense that sacrifices the individual to society, the being to abstraction. Utility, in the true order, merges with justice, which has individual being as its measure.

Physical inferiority? — But the purpose of the social contract is to replace the right of the strongest by the common right.

Moral inferiority? — But there is no morality without liberty, without responsibility.

Intellectual inferiority? — Without repeating all that has already been said on this very point — that woman would be less intelligent, would it follow that she should be deprived of her rights? Does she have less — to the degree you like — thought, conscience, will, in a word what constitutes equality of nature, hence equality of right? Is it a diploma of doctoral capacity that is issued to each voter? No, a simple card bearing the name of a human person. And this is so because it is impossible to do otherwise. Has anyone ever tried to attach the right to vote to a certificate of intellectual capacity? Who would dare to sign it? One obtains certificates of study on special facts, on precise knowledge; but where is the human being who can say to his fellow man: I know your limits; I contain you, I surpass you and I judge you, I am your God. — And if his presumption would dare to say so, isn’t the simple challenge of the judge enough to restore equality between them? Negation against affirmation, the balance is made.

To base right on capacity, it would be necessary to do simply this: to determine the exact degree of intensity of each intelligence, feminine or otherwise, and the precise limit where each stops.

Let’s even suppose this work done, — human intelligence being progressive and modifying its data in contact with events, it would be necessary to redo this work every day, every hour… — All that is impossible, isn’t it? Yes; and that’s a shame; for, by virtue of this principle that more capacity confers more right, our consistent democrats, whose main argument against the liberty of woman is drawn from the hypothesis of her intellectual inferiority, would see themselves forced to turn back as far as possible, to the purest aristocracy, then, to monarchy, finally, to the papacy of the strongest brain — all the way, in short, to that past, whose spirit still animates them and breathes into them these incoherences.

In short, either the principle on which modern society is being founded — very slowly — is false, or woman, as much as man, possesses the natural and imprescriptible right restored by the Revolution to humanity. In her, as in him, the unity of nature and the diversity of manifestations claim their double right of equality and liberty. We must return to the old ideal of a society built on an arbitrary plan, declared divine by its authors, a plan which sacrifices being to a preconceived idea [7], or we must take right as a basis, and any combination social, human unity, as irreducible measure, living formula, both precise and progressive, of truth and justice.

VI



ÉTAT ACTUEL DE LA QUESTION


Il y a des époques d’éclosion pour l’humanité comme pour la terre. Voici, partout à la fois, la question du droit de la femme posée au premier rang des questions sociales. Aux État-Unis plus qu’ailleurs, les femmes ont avancé leur conquête. Elles réclament avec une vigueur et une résolution rares. The Revolution, leur organe, qui se distingue entre tous les journaux américains par le mérite de sa rédaction, arbore comme devise ces fières paroles :

« Pas de politique, les principes ; pas de faveur, la justice ; aux hommes leurs droits, et rien de plus ; aux femmes leurs droits, et rien de moins. »

Aux États-Unis, quoiqu’en disent leurs panégyristes, la question est la même qu’en France. Là, comme ailleurs, la femme est subordonnée ; là, comme ailleurs, sa position sociale dépend du mariage, ce qui rend le mariage immoral ; là, comme ailleurs, l’insuffisance du salaire la livre forcément à la débauche. Là, comme ailleurs, comme par toute l’humanité à cette heure, la femme, objet et non sujet, serve par les lois et les mœurs, est l’occasion et la victime — dans ces temps de transition entre la foi morte et la foi nouvelle — d’une recrudescence d’immoralité.

Tout ceci résulte des affirmations des Américains eux-mêmes dans leurs journaux. Sur tous les points du littoral, ou du centre, où régne ce que nous appelons la civilisation, les mêmes principes moraux et économiques produisent les mêmes effets ; New-York même à cet égard dépasse Paris.

Cependant, toute la part de liberté qui peut exister en dehors de l’égalité, les États-Unis la possèdent, et les femmes Américaines en profitent. Joignant à l’influence de la presse l’influence de la parole, elles vont dans tous les États et dans toutes les villes de l’Union, répandre les principes de l’Association des droits égaux « equal right’s association » et faire appel à l’opinion publique, souveraine maîtresse de tous les progrès.

Le succès appartient à l’énergie. Les femmes des États-Unis ont puissamment avancé leur œuvre. Deux législatures, celle du Kansas et du Wisconsin ont voté le suffrage des femmes ; mais comme tout changement à la constitution doit être ratifié par le peuple, le nombre des votes populaires, quoique considérable, ne s’est pas trouvé suffisant. À Washington, la part la plus notable de la législature fédérale est favorable à l’extension du suffrage aux personnes des deux sexes, et dans tous les États de l’Union la cause des femmes est soutenue par une imposante minorité.

En Angleterre, on sait que soixante-treize membres du Parlement ont voté la proposition de Stuart Mill tendant à reconnaitre aux femmes le droit de suffrage ; on sait que cinq mille femmes ont répondu à la généreuse initiative du philosophe en réclamant leur inscription sur les listes électorales ; que celle cause a pour champion éloquent, entre plusieurs autres, miss Lydia Becker, et que des sociétés se sont formées et des journaux fondés pour soutenir un droit, qui chaque jour gagne du terrain dans l’opinion.

L’Allemagne est en marche par une autre voie, vers le même but. L’éducation morale, intellectuelle et professionnelle des femmes y est l’objet d’un mouvement général, qu’attestent des institutions nombreuses, qu’encouragent deux feuilles spéciales, et des congrès, où se rencontrent les femmes et les hommes les plus distingués de la patrie germanique.

L’Italie, elle aussi, a porté devant son parlement la question des droits méconnus d’une moitié de son peuple ; et possède aussi un journal des femmes, la Donna, rédigé par mesdemoiselles Beccari, Mozzoni et plusieurs autres rédactrices.

En Portugal, une femme distinguée, Fernanda d’Assis, mariée à un Anglais, M. Wood, a fondé : La Voix féminine « Voz féminina »

La Suisse, asile international du congrès de la Paix et de la liberté, a vu dans la session de l’année dernière, à Berne, le droit égal de la femme affirmé par l’élite de la démocratie européenne, unie sur ce point, en dépit des dissentiments qui sur d’autres l’ont divisée. En conséquence de cette décision, une place a été faite dans le comité central à madame Marie Goegg — qui venait de soutenir la cause au congrès dans un discours fort applaudi.

En Russie, sur le sol mouvant de l’arbitraire le plus complet, il est difficile de fonder. Toutefois, un groupe nombreux de dames de Saint-Pétersbourg vient d’établir une université, où les femmes pourront s’adonner aux hautes études. Dans ce pays, du moins, l’énergie des caractères et des convictions correspond à l’excès du despotisme et répond de l’avenir. Le démocrate russe est conséquent ; l’égalité de la femme se confond à ses yeux avec celle de l’homme.

La Suède enfin s’agite aussi pour la même cause, et les Suédoises, dit-on, réclament le droit de vote.

La France — il faut bien l’avouer — sur cette-question comme sur d’autres, la France qui donna l’élan, sommeille. Tandis que partout ailleurs (sauf en Allemagne) les femmes qui sentent le besoin de se relever elles-mêmes d’un trop long abaissement, réclament le droit de vote, comme l’instrument d’action le plus naturel et le plus simple, et qui, du premier coup, remet leur cause en leurs propres mains, la France conserve sur ce point un préjugé d’autant plus obstiné qu’il est moins justifiable. Dans tous les rangs, parmi toutes les classes, l’idée du droit politique reconnu à la femme, choque presque unanimement tous les esprits. Pourquoi ? — On vous répondra que ce serait une inconvenance et certes il n’y a rien de plus fort. Un argument serait moins concluant, étant discutable ; mais une convenance ! Cela reste cantonné au fond de l’appréciation intime, dans une tranquille et irresponsable majesté. On peut insinuer à son adversaire qu’il n’a pas le sens commun. Lui déclarer qu’il n’a pas le sentiment des convenances, qui l’oserait ?

Il est certain qu’entre tous les arguments émis contre le droit des femmes, aucun n’a jamais eu si triomphant effet que celui qui les représente en robe d’avocat ou de juge. Devant ce polichinelle, j’ai vu les plus braves défenses s’évanouir. Aucun véritable ridicule pourtant ne peut s’attacher pour la femme plus que pour l’homme à l’exercice d’une profession utile, et ce ne sera sans doute pas le moindre bienfait de la participation des femmes à la vie sociale que d’aider à distinguer les professions parasites, ou immorales, que la société doit élaguer.

À des préjugés de ce genre, qui sont l’habitude des esprits irréfléchis, il n’y a d’autre remède que la production d’actes contraires. Le fait seul, aux yeux du vulgaire, corrige le fait. C’est une homéopathie. En effet, contre l’habitude qui n’admet pas le raisonnement, que faire ? Attaquer cette habitude, l’émousser, l’ébranler, la rompre, et finalement la remplacer par une autre. Mais pour l’attaque, deux choses sont nécessaires : être en nombre, et vouloir.

Il existe actuellement, hommes ou femmes, beaucoup de personnes d’esprit réfléchi, ou de sens droit, qui reconnaissent l’égalité des sexes et croient fermement à sa réalisation dans un avenir plus ou moins proche ; mais qui n’en continuent pas moins à se conformer à l’ordre de choses, bâclé sur les ruines de la Révolution par le soldat qui restaura l’ordre ancien. Ainsi, non-seulement, ils se marient sous la loi de protection et d’obéissance ; mais ils observent soigneusement les usages qui limitent de toutes parts les pas et l’action de la femme ; toutes leurs réserves ne sont que mentales. Ils suivent avec intérêt les progrès de l’émancipation féminine dans les pays étrangers ; ils en épanchent hautement à huis-clos leur contentement et leur enthousiasme. Mais si mouvement se rapproche, si, près d’eux, des amis de la même cause essaient de lui faire franchir le pas immense, nécessaire, de la pensée à l’action, alors, de virtuoses, voilà nos gens devenus simples amateurs où critiques : le moment n’est pas venu ; une autre marche serait préférable, etc… Ce sont bien pourtant leurs convictions qui s’affirment ; ils n’ont sur le fond des choses rien à objecter ; ils vous encouragent même… de leurs vœux. Et voilà tout. Car ils sont enlacés de ces liens lilliputiens qui anéantissent tant de forces et que seul brise, sans les sentir même, un sentiment élevé du devoir.

Parmi les femmes surtout — c’est une loi inévitable que l’esclave n’ait pas les forces de la liberté. Lorsqu’il ne va pas jusqu’à défendre sa chaîne, du moins garde-t-il longtemps pour elle un respect superstitieux. — Parmi les femmes surtout si fortement imprégnées par l’éducation de la crainte du ridicule et du respect des fausses convenances, pendant longtemps le nombre e sera grand de celles qui désirant parler se tairont, dont le premier élan réprimé s’exhalera dans un soupir de regret et d’impuissance, qui appuieront de vœux stériles et de sympathies honteuses d’elles-mêmes, une cause si morale, si grande, si urgente, si peu effectivement soutenue, et qui plus que toute autre sera écartée, jusqu’à ce qu’elle s’impose à la fois par le nombre et par l’énergie de ses partisans.

Mais comment n’en serait-il pas ainsi de la multitude, sous la double pression du pouvoir de l’usage, et du pouvoir domestique, lorsque parmi celles mêmes qui font profession de penser librement, qui ont rompu avec les vieux dogmes et se vantent d’aimer tout progrès, la plupart restent froides, ou du moins silencieuses, à l’appel d’une cause qui est la leur, et qui les oblige d’autant plus que, plus heureuses, elles sont affranchies du joug d’ignorance, dé misère et de honte, sous lequel gémissent et rampent leurs malheureuses sœurs ; quand celles-là aussi s’arrêtent au pas décisif qui sépare la pensée de l’acte, s’estiment trop bien nées pour se compromettre publiquement avec l’idée, et se croient obligées encore à respecter des usages qui, tandis qu’ils imposent aux femmes de se montrer demi-nues dans un salon, leur interdisent d’aventurer leur nom sur le terrain de l’honneur, du droit et de la justice.

— Les Anglaises elles-mêmes, cependant, viennent d’abdiquer au sujet de leur droit, toute pruderie. Sera-ce en faveur des Françaises ?

Le droit est bien bas, le zèle bien abattu, la foi bien confuse ; mais un réveil pourtant se produit, et la lutte enfin recommence entre le fait et le droit, entre les formules de l’ordre ancien et l’esprit de l’ère nouvelle. Il faudrait savoir d’où l’on vient et où l’on va ; car toute confusion est fatale dans la bataille. L’indépendance religieuse, morale et économique de la femme est, qu’on le voie ou non, le nœud d’une situation, dont le mot actuel est liberté. Par cette profonde question des mœurs, le sort de la femme contient la naissance, la vie — souvent la mort — de l’être humain. Jamais la semence donna-t-elle un fruit différent de sa propre espèce ? Jamais non plus le despotisme demeuré dans la famille ne permettra la liberté dans l’État. Jamais, au sein d’une société à base hiérarchique, l’égalité, c’est-à-dire la justice, ne cessera d’être immolée. Quand on a sucé dès sa naissance, le lait appauvri d’un être courbé sous un joug, et dégradé par l’abdication de ses facultés les plus nobles, on peut facilement devenir impatient de toute règle, qu’elle s’appelle devoir ou tyrannie ; on peut être ambitieux, révolté, chef de parti, chef de bande, ou chef d’État ; on arrive difficilement au simple orgueil de l’homme libre, qui sent dans tout commandement une dégradation pour les autres et pour lui-même. On possède malaisément le sens de la justice, et l’on continuera plutôt pour sa part, capitaine ou soldat, la sanglante bataille des compétitions sans frein et sans mesure, qui font de l’histoire de l’ère précédente une histoire de guerres. — La Révolution française est la déclaration du droit humain. C’est donc renier la Révolution et remonter le courant qui nous guide à de nouvelles destinées que de disputer à la femme son indépendance, quand il est reconnu qu’en la liberté seule résident toute force, toute moralité ; quand l’homme lui-même poursuit avec ardeur les droits qui lui sont ravis et qu’il ne doit qu’à l’esclavage de sa compagne de ne point posséder encore.

FIN

VI

CURRENT STATE OF THE QUESTION


There are times of blossoming for humanity as well as for the earth. Here, everywhere at once, is the question of women’s rights placed at the forefront of social questions. In the United States more than elsewhere, women have advanced their conquest. They state their claims with rare vigor and resolution. The Revolution, their organ, which stands out among all the American newspapers by the merit of its writing, wears as motto these proud words:

“Not politics, but principles; not favor, but justice; to men their rights, and nothing more; to women their rights, and nothing less.”

In the United States, whatever their panegyrists say, the question is the same as in France. There, as elsewhere, woman is subordinate; there, as elsewhere, her social position depends on marriage, which makes marriage immoral; there, as elsewhere, the insufficiency of wages inevitably delivers her to debauchery. There, as elsewhere, as by all humanity at this time, woman, object and not subject, serf by laws and mores, is the occasion and the victim — in these times of transition between the dead faith and the new faith — of a recrudescence of immorality.

All this results from the assertions of the Americans themselves in their newspapers. On all the points of the coastline, or of the center, where reigns what we call civilization, the same moral and economic principles produce the same effects; New York in this respect even exceeds Paris.

However, whatever liberty there is outside of equality, the United States has it, and American women enjoy it. Joining the influence of the press to the influence of the spoken word, they went to all the states and all the towns of the Union, spreading the principles of the Equal  Rights Association and appealing  to public opinion, sovereign mistress of all progress.

Success belongs to energy. The women of the United States have powerfully advanced their work. Two legislatures, that of Kansas and Wisconsin, voted for women’s suffrage; but as any change in the constitution must be ratified by the people, the number of popular votes, although considerable, was not found sufficient. In Washington, the most notable part of the federal legislature favors the extension of suffrage to persons of both sexes, and in all the states of the Union the cause of women is supported by an imposing minority.

In England, we know that seventy-three members of Parliament voted for Stuart Mill’s proposal tending to recognize women’s right to vote; we know that five thousand women responded to the generous initiative of the philosopher by claiming theirregistration on the electoral lists; that this cause has as its eloquent champion, among several others, Miss Lydia Becker, and that societies have been formed and newspapers founded to support a right that is daily gaining ground in public opinion.

Germany is moving along another path, towards the same goal. The moral, intellectual and professional education of women is the object of a general movement there, as evidenced by numerous institutions, encouraged by two special sheets, and congresses where the most distinguished women and men of the Germanic fatherland meet.

Italy, too, has brought before her parliament the question of the disregarded rights of half of her people; and also owns a women’s newspaper, La Donna, edited by Mesdemoiselles Beccari, Mozzoni and several others.

In Portugal, a distinguished woman, Fernanda d’Assis, married to an Englishman, Mr. Wood, founded: The Female Voice “Voz feminina.”

Switzerland, the international asylum of the Congress of Peace and Freedom, saw in last year’s session in Bern the equal rights of women affirmed by the elite of European democracy, united on this point, in spite of the disagreements that have divided it on others. As a result of this decision, a place was made on the central committee for Madame Marie Goegg — who had just supported the cause at the congress in a highly applauded speech.

In Russia, on the shifting ground of the most complete arbitrariness, it is difficult to found. However, a large group of ladies from St. Petersburg has just established a university, where women can devote themselves to higher studies. In this country, at least, the energy of characters and convictions corresponds to the excess of despotism and answers for the future. The Russian democrat is consistent; the equality of women merges in his eyes with that of men.

Finally, Sweden is also agitated for the same cause, and the Swedes, it is said, are demanding the right to vote.

France — it must be admitted — on this question as on others, the France that gave the impetus, is sleeping. While everywhere else (except in Germany) the women who feel the need to raise themselves up from too long abasement, demand the right to vote, as the most natural and simple instrument of action, and who, from the first suddenly put their cause in their own hands, France retains on this point a prejudice all the more obstinate as it is less justifiable. In all ranks, among all classes, the idea of the political right granted to women almost unanimously shocks all minds. Why? — You will be told that it would be an impropriety and certainly there is nothing stronger. An argument would be less conclusive, being debatable; but an impropriety! It remains confined to the depths of intimate appreciation, in a quiet and irresponsible majesty. One can insinuate to his adversary that she does not have common sense. Who would dare to declare to him that he has no sense of propriety?

It is certain that among all the arguments uttered against the rights of women, none has ever had so triumphant an effect as that which represents them in the robe of a lawyer or a judge. Before this Pulcinella, I saw the bravest defenses vanish. No real ridicule, however, can be attached for women more than for men to the exercise of a useful profession, and it will undoubtedly not be the least benefit of the participation of women in social life to help distinguish the parasitic, or immoral, professions that society must prune.

For prejudices of this kind, which are the habit of thoughtless minds, there is no other remedy than the production of contrary acts. Facts alone, in the eyes of the vulgar, corrects the facts. It is homeopathy. Indeed, against the habit that does not accept reasoning, what can be done? Attack that habit, blunt it, shake it, break it, and finally replace it with another. But for the attack, two things are necessary: to be in number, and to desire.

There are at present many people, men and women of thoughtful mind or right senses, who recognize the equality of the sexes and firmly believe in its realization in the more or less near future; but who nevertheless continue to conform to the order of things, botched on the ruins of the Revolution by the soldier who restored the old order. Thus, not only do they marry under the law of protection and obedience, but they carefully observe the usages that limit on all sides the steps and the action of the woman; all their reservations are only mental. They follow with interest the progress of female emancipation in foreign countries; behind closed doors they openly pour out their satisfaction and their enthusiasm. But if movement approaches, if, close to them, friends of the same cause try to take the immense, necessary step from thought to action, then, from virtuosos, all at once our people become simple amateurs or critics: the moment has not come; another course would be preferable, etc… It is however their convictions that are affirmed; they have nothing to object to on the basis of things; they even encourage you… with their wishes. And that is all. For they are entwined with those Lilliputian bonds that annihilate so much strength and that alone break, without even feeling them, a lofty sense of duty.

Among women especially — it is an inevitable law that the slave does not have the strengths of liberty. When she does not go so far as to defend her chains, at least she retains a superstitious respect for them for a long time. — Among women especially so strongly impregnated by education with the fear of ridicule and respect for false propriety, for a long time there will be a large number of those who, wishing to speak, will be silent, whose first suppressed impulse will be exhaled in a sigh of regret and impotence, who will support with sterile wishes and sympathies shameful in themselves, a cause so moral, so great, so urgent, so little effectively supported, and which more than any other will be discarded, until it imposes itself both by the number and by the energy of its supporters.

But how could it not be so with the multitude, under the double pressure of the power of usage and the domestic power, when among those who profess to think freely, who have broken with the old dogmas and boast of liking all progress, most remain cold, or at least silent, when called upon by a cause that is their own, and which obliges them all the more because, happier, they are freed from the yoke of ignorance, misery and shame, under which their unhappy sisters groan and crawl; when those too stop at the decisive step that separates thought from action, consider themselves too well born to compromise themselves publicly with the idea, and believe themselves still obliged to respect customs that, while they decreee that women show themselves half-naked in a salon, forbid them to venture their name on the terrain of honor, right and justice.

— The English women themselves, however, have just abdicated all prudishness on the subject of their rights. Will it be in favor of the French?

Right is very low, zeal very downcast, faith very confused; but nevertheless an awakening occurs, and the struggle finally begins again between fact and right, between the formulas of the old order and the spirit of the new era. We should know where we come from and where we are going, for all confusion is fatal in battle. The religious, moral and economic independence of women is, whether one sees it or not, the crux of a situation, the present word for which is liberty. Through this profound question of mores, the fate of woman contains the birth, the life — often the death — of the human being. Did the seed ever bear fruit different from its own kind? Nor will the despotism remaining in the family ever permit liberty in the state. Never, within a society with a hierarchical basis, will equality, that is to say justice, ever cease to be immolated. When one has suckled from birth the impoverished milk of a being bent under a yoke, becoming impatient with all rule, whether called duty or tyranny, one can be ambitious, rebellious, a party leader, gang leader or head of state; it is difficult to arrive at the simple pride of the free man, who feels in every command a degradation for others and for himself. It is difficult for us to have a sense of justice, and we will rather continue for our part, captain or soldier, the bloody battle of competitions without brake and without measure, which made the history of the preceding era a history of wars. — The French Revolution is the declaration of human rights. It is therefore to deny the Revolution and go against the current that guides us to new destinies to dispute with woman her independence, when it is recognized that in liberty alone resides all strength, all morality; when man himself pursues with ardor the rights that are taken away from him and which he owes only to the slavery of his companion not yet possessing.

END.

1. Il faut distinguer entre les deux époques du Saint-Simonisme. Je parle ici de la première.

2. Il y en eut de plaisants : Une jeune femme riche épouse un homme sensible aux idées modernes et courantes. Il congédia la femme de chambre immédiatement. Ne fallait-il pas, suivant les leçons du maître, écarter tout profane et posséder à soi seul la chère sensitive ? La jeune femme obligée de faire son appartement, se plaignait toutefois que ces suprêmes délicatesses lui imposâssent des fatigues, dont elle n’avait pas l’habitude. Au moins votre mari vous aide ? lui dit-on. Pas du tout. Elle avait même de plus le soin des habits de ce mari, qui trouvait assurément, pour imposer ce surcroît de besogne, des motifs empreints du sentiment le plus exquis. Le faux ne peut produire que l’injuste.

3. L’année dernière, ce procès a été jugé à Paris : Une mère accusait le séducteur de sa fille âgée de 14 ans, de l’avoir entraînée dans un hôtel meublé, où ils avaient passé la nuit. L’homme fut acquitté, parce que la jeune fille l’avait suivi de bonne volonté.

4. Émile Acollas. L’enfant né hors mariage.

5. Sans doute, la surveillance maternelle aussi, bien que paternelle, doit s’exercer beaucoup plus longtemps ; mais dans les données ordinaires, dès que l’enfant reçoit l’instruction des écoles, cette surveillance est restreinte à un petit nombre d’heures par jour.

6. L’homme a toujours fait toutes choses à son image, la société comme Dieu. Seulement, ici, une erreur dé plan gâte tout ; comme il cherchait l’unité en dehors de l’être, le grand en dehors du simple, il aboutit au monstrueux et à la chimère.

7. C’est-à-dire refaire une société religieuse ou aristocratique ; mais avec quoi ? Pour fonder quelque chose dans l’humanité, il faut une croyance ou un principe.

1. A distinction must be made between the two eras of Saint-Simonism. I am talking about the first one here.

2. There were pleasant ones: A rich young woman marries a man sensitive to modern and current ideas. He dismissed the maid immediately. Was it not necessary, following the lessons of the master, to discard everything profane and to possess the dear sensitive alone? The young woman, who was obliged to clean her apartment, complained, however, that these supreme delicacies caused her fatigue, which she was not used to. At least your husband helps you? they ask her. Not at all. She even took care of the clothes of this husband, who certainly found, to impose this additional work, reasons imprinted with the most exquisite feeling. The false can only produce the unjust.

3. Last year, this trial was judged in Paris: A mother accused the seducer of her 14-year-old daughter of having dragged her into a furnished hotel, where they had spent the night. The man was acquitted, because the young girl had followed him willingly.

4. Emile Acollas. The child born out of wedlock.

5. Without doubt, maternal supervision too, despite being paternal, must be exercised much longer; but in the ordinary data, as soon as the child receives instruction from the schools, this supervision is restricted to a small number of hours a day.

6. Man has always made all things in his image, society as God. Only, here, an error in the plan spoils everything; as he sought unity outside of being, the great outside of the simple, he ended up in the monstrous and the chimerical.

7. That is to remake a religious or aristocratic society; but with what? To found something in humanity, there must be a belief or a principle.

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