E. Armand, The Anarchist Individualist Initiation — VI

The Anarchist Individualist Initiation

E. ARMAND

[ENGLISH TEXT ONLY]


☜ 5. Christianity and the Individualistes. The pagan turn of mind.

6. Anarchist individualism and Communism. The idea of value. Individualist demands in the economic domain. ☞


6. L’Autorité, la Domination, l’Exploitation : Origine, Evolution, Aspects et Définitions

53) Les individualistes anarchistes et l’autorité.

Il est incontestable que l’activité, la propagande, les aspirations des individualistes antiautoritaires ou anarchistes reposent sur une base connue : la négation, le rejet de l’autorité, la lutte contre l’exercice de l’autorité, la résistance à toute espèce d’autorité. On trouvera dans le cours de cet ouvrage les raisons d’ordre sentimental, rationnel, éthique ou autre qui amènent les individualistes à considérer l’exercice ou la pratique de la domination comme éminemment préjudiciable et néfaste au développement, à l’évolution, à l’épanouissement de la personne humaine. D’ailleurs, les individualistes vont jusqu’à admettre qu’ils pourraient se tromper s’ils prétendaient que les hommes, pour se conduire dans la vie, pour régler leurs rapports mutuels – quels que soient ces rapports – n’ont, actuellement, absolument que faire de l’autorité, des institutions autoritaires, des méthodes d’autorité. Ils n’ont jamais émis pareille prétention. Ils ont simplement revendiqué pour eux – soit que leur tempérament, leurs réflexions ou leurs aspirations les aient amenés à cette conception – ils ont revendiqué, ils revendiquent pour eux la faculté de vivre et d’évoluer sans faire intervenir, dans leur façon d’être personnelle et à l’égard d’autrui le facteur autorité. Ils n’ont jamais eu la pensée ni l’arrière-pensée d’imposer leur point de vue à ceux qui déclarent ne pouvoir se dispenser des œillères de l’autorité.

Le fait que dans certains détails de leur manière de se comporter, ils ne seraient pas débarrassés de certaines réminiscences autoritaires, du jeu d’une influence atavique ou d’un travers de leur caractère – ce fait même ne prouverait rien contre leurs revendications. Ils évoluent dans un milieu saturé, pourri d’autoritarisme, ils sont issus d’êtres qui ont subi ou exercé l’autorité, qui se sont tout au moins courbés sous le préjugé autoritaire – il n’est pas surprenant que l’emprise de l’ambiance ne se soit pas entièrement desserrée. L’important est de savoir dans quel sens s’exerce constamment leur influence et se consacrent leurs efforts – si c’est en faveur ou au détriment de l’autorité, s’ils sont pour ou contre l’autorité sous tous ses aspects.

Dès lors que leur activité, leurs efforts sont dirigés contre l’autorité, ce qui leur importe, c’est d’avoir raison, quant à eux. L’avis des autres est plus que secondaire. On pourrait ergoter et démontrer que, après tout, la grande majorité des hommes est présentement hors d’état de se passer de l’autorité — personnellement et pluralement. Pour les individualistes doués d’un tempérament propagandiste, la constatation d’une semblable mentalité les incitera tout simplement à intensifier leur propagande, à se demander à quels moyens nouveaux il leur faudra recourir pour faire se révéler à eux-mêmes les antiautoritaires qui hésitent ou qui s’ignorent.

Les individualistes n’ont, en aucun cas, à se demander si l’autorité exercée par tel ou tel au profit de telle personnalité ou de tel parti vaut mieux que lorsque c’est tel autre qui l’exerce ou qui en bénéficie. Leur siège est fait. Ils sont, quant à eux, parvenus à cette conclusion que l’autorité, la domination, les institutions, les méthodes qui la prennent pour base ou pour étai sont nuisibles à la vie et au développement de l’être individuel, des milieux humains. Fractionnée ou non, l’autorité n’a point leur approbation, ne peut concilier leur sympathie, désarmer leur répugnance ou leur inimitié. Pour eux, il n’y a pas d’autorité pire ou meilleure qu’une autre, il n’y a pas pour eux d’autorité bonne, acceptable, passable.

Certains qui comptèrent parmi les leurs peuvent découvrir qu’ils se sont leurrés, reconnaître au facteur autorité une valeur qu’ils lui avaient niée auparavant. C’est affaire à eux. Pour les individualistes, la situation reste nette. Tant qu’ils se déclarent antiautoritaires, anarchistes – tant que dans leurs revendications, leur propagande : par le geste, le verbe ou la plume, ils font profession d’anti-autoritarisme – qu’ils nient, dénoncent, critiquent, incriminent l’autorité, les méthodes ou les systèmes d’autorité – qu’ils combattent la domination, la maîtrise et ceux qui les utilisent ou l’exercent – leur position ne saurait varier. Non seulement ils bataillent en toutes circonstances, contre toutes les manifestations de l’autorité – mais encore ils se méfient de ses promesses, ils tiennent en suspicion ses réalisations, ils se situent en état de légitime défense contre ses décrets, ses oukases et ses empiètements. C’est la logique même.

La question n’est donc pas de se demander s’ils sont « rêveurs » ou « idéalistes », si « provisoire » l’autorité vaut mieux que « définitive ». Ou s’il y a des parlementarismes, des cléricalismes, des dictatures moins détestables ou meilleurs les uns que les autres.

Non, pour eux, il s’agit de reconnaître, chacun pour soi-même, quelles sont les conditions qui enlèvent à une action son caractère antiautoritaire, anarchiste.

La réponse n’est pas, ne peut pas être douteuse.

Toute action, toute série d’actions, basée sur l’exercice de la domination, sur le recours à l’autorité, n’est pas anarchiste, est incapable de contribuer en rien à l’avènement d’une mentalité ou d’un état de choses antiautoritaire, anarchiste.

6. Authority, Domination, Exploitation: Origin, Evolution, Aspects and Definitions

53) The anarchist individualists and authority.

It is indisputable that the activity, propaganda and aspirations of anti-authoritarian or anarchist individualists rest on a known basis: the negation and rejection of authority, the struggle against the exercise of authority and resistance to all kinds of authority. In the course of this work we will find the sentimental, rational, ethical or other reasons that the lead individualists to consider the exercise or practice of domination eminently prejudicial and harmful to the development, evolution, change and fulfillment of the human person. Moreover, the individualists go so far as to admit that they could be mistaken if they claimed that men, in order to behave in life, to regulate their mutual relations—whatever those relations may be—must have, at present, absolutely nothing whatsover to do with authority, authoritarian institutions and methods of authority. They have never made such a claim. They have simply demanded for themselves—whether their temperament, their reflections or their aspirations have led them to this conception—they have demanded and they demand for themselves the ability to live and evolve without the intervention of the factor of authority in their individual way of being and in their relations with others. They have never had the thought or the ulterior motive of imposing their point of view on those who declare that they cannot dispense with the blinkers of authority.

The fact that, in certain details of their manner of conducting themselves, they would not be rid of certain authoritarian recollections, through the action of an atavistic influence or of a fault in their character—this fact alone would prove nothing against their demands. They evolve in a milieu saturated, rotten with authoritarianism. They are the issue of beings who have been subject to or exercised authority, who are at the very least bent beneath the weight of authoritarian prejudice— and it is not surprising that the influence of the environment has not entirely loosened its grip. What is important is to know in what direction they constantly exert their influence and dedicate their efforts—if it is in favor or to the detriment of authority, if they are for or against authority in all its aspects.

As soon as their activity, their efforts are directed against authority, what matters to them is to be right, for themselves. The opinion of others is more than secondary. One could quibble and demonstrate that, after all, the great majority of men are presently not in a position to dispense with authority—individually or collectively. For the individualists endowed with a propagandistic temperament, the observations of such a mentality will simply incite them to intensify their propaganda, to ask themselves to what new means they must have recourse in order to reveal to themselves the anti-authoritarians who hesitate or who are not self-conscious.

Individualists do not, under any circumstances, ask themselves whether the authority exercised by one or the other for the benefit of this personality or that party is better than when it is another person who exercises it or who benefits from it. Their minds are made up. As for them, they have come to the conclusion that authority, domination, and the institutions and methods that take it as a basis or prop are harmful to the life and development of the individual being, and of the human milieus. Divided or not, authority lacks their approval. It cannot win their sympathy or disarm their repugnance and enmity. For them, there is no authority worse or better than another. There is no authority, for them, that is good, acceptable or tolerable.

Some who would be counted among them may discover that they have deceived themselves and recognize in the factor of authority a value they had previously denied. That is their business. For individualists, the situation remains clear. As long as they claim to be anti-authoritarian, anarchistic—as long as in their demands and their propaganda, whether by action, the spoken word or the pen, they profess anti-authoritarianism—let them deny, denounce, criticize and incriminate authority, and the methods or systems of authority—let them fight domination, control and those who use or exercise them—their position can not vary. Not only do they fight, in all circumstances, against all manifestations of authority—but they are suspicious of its promises, hold its achievements in suspicion, and stand in self-defense against its decrees, its edicts and its encroachments. This is logic itself.

So the question is not to ask if they are “dreamers” or “idéalists,” if authority is better when “provisional”  than when “definitive.” Or if there are parliamentarianisms, clericalisms or dictatorships less detestable or better than the others.

No. For them, it is a question of recognizing, each for themselves, what the conditions are that strip an action of its anti-authoritarian, anarchist character.

The response is not, cannot be doubtful.

Every action, every series of actions, based on the exercise of domination, on the recourse to authority, is not anarchist, is incapable of contributing in any way to the advent of an anti-authoritarian, anarchist mentality or state of things.

54) Que faut-il entendre par domination ? Qu’est-ce que l’autorité ?

Dominer, c’est faire peser sur autrui un pouvoir, une contrainte qui l’oblige ou l’amène, sans discussion ni opposition possible à accomplir des actes, des gestes que de son plein gré, ou laissé à lui-même, il n’accomplirait pas.

La domination est le fait de détenir et d’exercer ce pouvoir d’obligation, cette puissance de contrainte – plus ou moins arbitrairement, plus ou moins brutalement – que ce soit à son propre profit ou à celui d’une individualité ou d’une collectivité quelconque. Dans cet ouvrage nous faisons « domination » synonyme d’autorité. Selon son degré de brutalité ou ses bénéficiaires, on l’appelle aussi oppression, tyrannie, maîtrise, dictature, loi.

L’autorité consiste, conséquemment, en l’oppression qui pèse sur un individu ou une collectivité pour les forcer ou les amener à acquérir des habitudes de penser, à accomplir des gestes, à se conformer aux termes de contrats qui n’ont jamais été véritablement soumis à leur examen.

54) What is meant by domination? What is authority?

To dominate is to make a power or constraint weigh upon another, which obliges or leads them, without discussion or opposition being possible, to carry out acts and gestures that they would not carry out of their own free will or when left to themselves.

Domination is the act of holding and exercising this power of obligation, this power of constraint—more or less arbitrarily, more or less brutally—whether for one’s own benefit or that of any individuality or community. In this work we make “domination” a synonym of authority. According to its degree of brutality or its beneficiaries, we also call it oppression, tyranny, command, dictatorship or law.

Authority consists, consequently, of the oppression that weighs on an individual or collectivity in order to force or lead them to acquire habits of thought, to carry out actions or to conform to the terms of contracts that have never truly been subject to their examination.

55) L’exercice de l’autorité.

Des confusionnistes objecteront qu’il s’agit de définir clairement ce qu’il faut entendre par « l’exercice de l’autorité. »

Pour les individualistes il y a exercice, emploi de l’autorité, lorsqu’un homme, un groupe d’hommes, un État, un gouvernement, une administration quelconque, se sert de la puissance qu’il détient pour contraindre une unité ou une collectivité humaine à accomplir certains actes ou gestes qui lui déplaisent ou sont contraires à ses opinions, ou encore qu’elle accomplirait autrement si on lui laissait la faculté de se comporter à sa guise ; ou enfin à remplir les clauses d’un « contrat » qu’elle n’a pu discuter, accepter ou rejeter.

Il y a exercice ou emploi de l’autorité lorsqu’un homme, un groupe d’hommes, un État, un gouvernement, une administration quelconque, utilise la puissance qu’il détient pour interdire à une unité humaine ou à une association d’unités humaines de se comporter à sa guise, lui inflige certaines restrictions, lui oppose certaines entraves, lors même que cette unité ou collectivité humaine agit à ses risques et périls, sans imposer ses vues à qui que ce soit évoluant en dehors d’elle.

Quiconque se réclame du qualificatif anarchiste (qu’il soit communiste ou individualiste d’ailleurs) ne peut comprendre autrement l’exercice de l’autorité, quelle que soit la sphère de l’activité humaine envisagée : intellectuelle, économique, politique, éthique, récréative ou autre.

55) The exercise of authority.

Confusionists will argue that it is a question of clearly defining what is meant by “the exercise of authority.”

For the individualists there is exercise or use of authority when a man, a group of men, a State, a government or an administration of any kind uses the power it possesses to constrain a human unity or collectivity to perform certain acts or gestures that displease it or which are contrary to its opinions, or else that it would accomplish in other ways if it were allowed to behave as it pleases; or, finally, to force it to fulfill the clauses of a “contract” that it could not discuss, accept or reject.

For the individualists there is exercise or use of authority when a man, a group of men, a State, a government or an administration of any kind uses the power it possesses to forbid a human unity or an association of human unities from behaving as it wishes, inflicting on it certain restrictions, placing certain obstacles before it, even when that human unity or association acts at its own risk and peril, without imposing its views on anyone developing outside of it.

Anyone who claims the name of anarchist (whether communist or individualist, by the way) cannot understand the exercise of authority in any other way, whatever the sphere of human activity envisaged: intellectual, economic, political, ethical, recreational or any other.

56) Origine et évolution de la domination.

La domination s’est exercée primitivement d’homme à homme. Le plus fort physiquement, le mieux armé dominait le plus faible, le moins défendu – le forçait à accomplir sa volonté. L’homme qui n’avait pour toute défense qu’une massue de bois durci dut, de toute évidence, céder devant celui qui le poursuivait armé d’une lance pointée de silex, d’un arc et de flèches. Plus tard – parallèlement peut-être – un autre facteur détermina l’exercice de la domination de l’homme sur l’homme : la ruse. Des êtres humains surgirent qui parvinrent à persuader leurs semblables qu’ils étaient en possession de certains secrets magiques capables de faire beaucoup de mal, de causer un grand tort à la personne et aux biens de ceux qui regimberaient contre leur autorité. Il se peut, d’ailleurs, que ces sorciers fussent eux-mêmes convaincus à l’origine de la réalité de leur pouvoir. Quoi qu’il en soit, c’est à ces deux sources : la violence et la ruse que se peuvent ramener, à toutes les époques et dans tous les lieux, les aspects divers de la Domination.

Dans nos sociétés humaines actuelles, la domination s’exerce rarement – en temps normal – avec autant de brutalité, d’être humain à être humain. Lorsqu’elle se pratique ainsi, c’est grâce à l’usage, à la sanction morale ou légale, à un état de choses anormal. On rencontre bien des mères qui frappent leurs enfants parce qu’ils leur désobéissent, des maris qui battent leurs conjointes parce qu’elles refusent l’obéissance légalement due, des policiers qui tirent sur des prisonniers en fuite ou vice versa. Mais ou cela est toléré par les mœurs ou exceptionnel. Quand la domination est exercée sur une collectivité humaine au profit d’un chef ou autocrate, c’est parce que celui-ci est appuyé par un nombre assez grand de complices ou de satellites ayant intérêt à ce que subsiste son autorité, lesquels complices opèrent eux-mêmes ou se font assister d’une troupe armée, soudoyée, assez forte pour rendre toute résistance inutile.

La domination ne s’exerce plus très souvent au profit d’un autocrate. Tout au moins directement. Elle s’exerce plus généralement au bénéfice d’une caste, d’une classe, d’une coterie politique, d’un groupe financier, d’une élite sociale, – de la majorité d’une collectivité humaine. Elle se fonde sur des réglementations d’ordre politique ou économique ; civil, militaire ou religieux ; légal ou moral. Elle est consacrée par des institutions régies par les mandataires des bénéficiaires de l’autorité, mandataires ayant à leur disposition et sous leur dépendance une force armée, exécutive – force de police et de justice – organisée pour réduire à l’impuissance, priver de leur liberté et même de leur vie ceux qui, non seulement transgressent effectivement, mais, dans des cas extrêmes, émettent ou favorisent l’intention de transgresser la puissance dominatrice.

Il est évident que les forces de justice et de police dont dispose l’Autorité, pour nombreuses et bien armées qu’elles soient, seraient incapables de réduire à l’impuissance et au silence les transgresseurs de la loi et des règlements, si elles n’étaient aidées puissamment par d’autres forces, des « impondérables » d’ordre intellectuel et « moral ». C’est ainsi que les éducateurs religieux et laïques, bourgeois et socialistes, la presse, les hommes influents au point de vue de la situation politique, de la fortune ou les hauts fonctionnaires des Administrations de l’État, parviennent à implanter dans les intelligences, à inculquer à la mentalité générale une conception arbitraire et toute conventionnelle du « bien » et du « mal » qui se trouve absolument conforme aux vues et aux desseins des gouvernants et des maîtres. Nous voici ramenés aux deux points de départ de la Domination : Violence et Ruse, Force et Suggestion.

56) Origin and evolution of domination.

Domination was originally exercised from man to man. The physically stronger, better armed dominated the weaker, less defended—forced them to do their will. The man who had a hardened wooden club as his only defense obviously had to give in to the one who was pursuing him armed with a spear tipped with flint, a bow and arrows. Later—perhaps simultaneously—another factor determined the exercise of man’s domination over man: cunning. Human beings arose who managed to persuade their fellows that they were in possession of certain magical secrets capable of doing a great deal of evil, of causing great harm to the person and property of those who would rebel against their authority. It is possible, moreover, that these sorcerers were themselves convinced, in the beginning, of the reality of their power. Be that as it may, it is to these two sources, violence and cunning, that the various aspects of Domination can be traced, at all times and in all places.

In our current human societies, domination is rarely exercised–in normal times–with such brutality, from human being to human being. When it is practiced in this way, it is thanks to custom, to moral or legal sanction, to an abnormal state of affairs. We meet many mothers who beat their children because they disobey them, husbands who beat their wives because they refuse the obedience legally due, policemen who shoot fleeing prisoners or vice versa. But either this is tolerated by custom or it is exceptional. When domination is exercised over a human community for the benefit of a chief or autocrat, it is because the latter is supported by a fairly large number of accomplices or satellites who have an interest in the persistence of his authority, who are, by themselves or are assisted by an armed, bribed troop, strong enough to make any resistance useless.

Domination is no longer very often exercised for the benefit of an autocrat—at least directly. It is exercised more generally for the benefit of a caste, a class, a political coterie, a financial group, a social elite–or for the majority of a human community. It is based on regulations, whether political or economic, civil, military or religious, legal or moral. It is consecrated by institutions governed by the agents of the beneficiaries of the authority, agents having at their disposal and under their dependence an armed, executive force—police force and judicial apparatus—organized to reduce to impotence, deprive of their freedom and even of their life those who not only actually transgress, but, in extreme cases, express or promote the intention of transgressing against the dominating power.

It is obvious that the forces of justice and police available to the Authority, however numerous and well armed they may be, would be incapable of reducing to impotence and silence the transgressors of the law and the regulations, if they were not powerfully aided by other forces, “imponderables” of an intellectual and “moral” order. It is in this way that religious and secular, bourgeois and socialist educators, the press, influential men from the point of view of the political situation, men of fortune or the high officials of the State Administrations, manage to implant in the intelligences, to inculcate in the general mentality an arbitrary and completely conventional conception of “good” and “evil,” which is absolutely in conformity with the views and designs of the rulers and masters. Here we are brought back to the two starting points of Domination: Violence and Cunning, Force and Suggestion.

57) Insuffisance de l’expression « domination de l’homme sur l’homme. »

Déclarer qu’on nie, qu’on rejette, qu’on combat « la domination de l’homme sur l’homme » est une expression prêtant à confusion et qui a besoin d’être complétée. Nous avons vu qu’en réalité, l’homme qui use « légalement » de la violence ne le qu’à titre de fondé de pouvoir de l’autorité ; aussi les individualistes déclarent-ils que, non seulement ils se dressent contre la domination de l’homme sur son semblable, mais encore qu’ils se situent en état de légitime défense et de lutte à l’égard de la domination de l’État, d’un gouvernement, d’une administration, d’une institution ou d’une organisation sociale quelconque sur l’unité humaine. Toute autre attitude est ambiguë. Cette attitude ne varie pas s’il s’agit de la domination de l’homme sur le milieu ou le groupe social. Puisque les individualistes considèrent la domination comme éminemment hostile et nuisible à l’accomplissement du déterminisme personnel, il est clair que cette domination est aussi dangereuse et redoutable quand elle s’exerce au bénéfice d’un seul qu’au profit d’une collectivité ou d’une majorité d’êtres humains.

Revenons maintenant à la définition de la Domination exposée au commencement de ce chapitre : Exercice sur l’unité humaine – isolée ou associée – d’un pouvoir l’obligeant, la contraignant, sans discussion ou opposition valable – à des actions ou à des gestes que, de son plein gré, elle n’accomplirait pas.

Pour légèrement modifiée qu’elle soit cette définition a encore elle-même besoin d’être supplémentée. Nous avons vu que la Domination ne s’exerce pas seulement de façon brutale, violente ; elle s’exerce aussi par la ruse et par la suggestion.

Ainsi il n’existe pas que la domination politique ou économique, civile ou militaire, avec les sanctions qu’elle comporte. Il est aussi une domination religieuse, morale, intellectuelle. Il y a l’autorité des préjugés, des coutumes, des habitudes et des conventions, des mœurs, des traditions de la famille ; l’autorité des formules, des dogmes, des professions de foi, des programmes. Il y a la domination des écoles, des églises, des partis, des sectes, des chapelles, des groupes, que sais-je encore ? Et il est indéniable, malgré l’absence de sanctions légales, que ces modalités de l’Autorité exercent une influence funeste sur la formation de la mentalité individuelle, sur la croissance et la sculpture de la personnalité humaine. Aussi les individualistes les combattent-ils avec autant d’énergie et d’acharnement que les autres manifestations, plus grossières, de la Domination. Toute autre attitude de leur part serait contraire à la plus élémentaire logique.

57) Insufficiency of the expression “dominion of man over man.”

Declaring that one denies, rejects, opposes “the domination of man over man” is a confusing phrase that needs to be supplemented. We have seen that in reality, the man who “legally” uses violence does so only as a proxy for authority; also the individualists declare that, not only do they rise up against the domination of man over his fellow man, but also that they are in a state of self-defense and of struggle with regard to the domination of the State, government, administration, institution or social organization over the human unity. Any other attitude is ambiguous. This attitude does not vary if it is a question of the domination of man over the milieu or the social group. Since individualists consider domination as eminently hostile and harmful to the achievement of personal determinism, it is clear that this domination is as dangerous and formidable when it is exercised for the benefit of a single individual as when it is exercised for the benefit of a community or of a majority of human beings.

Let us now return to the definition of Domination presented at the beginning of this chapter: Exercise over the human unity—isolated or associated—of a power obliging it, constraining it, without discussion or valid opposition—to actions or gestures that, of its own free will, it would not accomplish.

However slightly modified it may be, this definition itself still needs to be supplemented. We have seen that Domination is not exercised only in a brutal, violent way; it is also exercised by trickery and by suggestion.

Thus there is not only political or economic, civil or military domination, with the sanctions that it entails. It is also a religious, moral, intellectual domination. There is the authority of prejudices, customs, habits and conventions, mores, family traditions; the authority of formulas, dogmas, professions of faith, programs. There is the domination of schools, churches, parties, sects, chapels, groups—and who knows what else? And it is undeniable, despite the absence of legal sanctions, that these modalities of Authority exercise a disastrous influence on the formation of the individual mentality, on the growth and shaping of the human personality. So the individualists fight them with as much energy and determination as the other, cruder manifestations of Domination. Any other attitude on their part would be contrary to the most elementary logic.

58) Que faut-il entendre par exploitation ?

Les individualistes anarchistes sont les adversaires de l’exploitation au même titre qu’ils sont les ennemis de la domination. L’exploitation leur répugne autant que l’autorité. Ils nient qu’elle joue un rôle utile dans la formation et l’accomplissement de l’être individuel ; ils se refusent absolument à la considérer comme un facteur d’affranchissement et d’émancipation de la personne humaine ; ils la tiennent, tout au contraire, comme éminemment malfaisante et nuisible au développement normal, à la croissance de l’unité humaine. Ils la regardent comme le succédané, comme un autre aspect de l’esclavage et du servage, comme un système d’oppression destiné à consolider, à maintenir la servitude et la dépendance économique de l’homme.

Mais il ne suffit pas de nier et combattre l’exploitation, il est nécessaire de se rendre un compte exact de ce que signifient exactement les termes « exploiteur » et « exploité », si ressassés dans les journaux « populaires », les réunions publiques et qui sont prétextes à tant de déclamations.

En fait que faut-il entendre par exploitation ?

Dans le sens que lui donnent les individualistes, l’exploitation est un « système grâce auquel un homme, un milieu, une institution sociale peut – et cela en toute sécurité – capter, accaparer, réquisitionner, détourner, prélever à son profit tout ou partie de la production individuelle d’un être humain, malgré sa résistance, son opposition ou ses protestations, alors que laissé indépendant, il disposerait à son gré ou à son avantage tout autrement qu’il y est contraint – de ladite production. »

Il est juste de faire remarquer qu’il n’y a jamais eu captation ou accaparement total par un homme, un milieu, l’État, du résultat du travail ou de la production d’un être individuel. Même aux plus sombres époques de l’esclavage, le propriétaire d’esclaves nourrissait, vêtait, logeait ses esclaves – d’une façon parfois trop insuffisante ou trop sommaire, c’est entendu – mais les frais entraînés par cet entretien constituaient bien une partie du prix de revient de la production de ces temps-là et la partie principale dans bien des cas, le coût de la matière première d’alors étant souvent peu élevé.

En se plaçant au point de vue spécial des conditions économiques actuelles, on peut définir également l’exploitation – et c’est une conséquence de l’explication ci-dessus – comme « un système grâce auquel le possesseur ou détenteur de capitaux espèces, engins ou moyens de production – le patron, l’employeur, le salarieur – particulier, milieu, institution sociale – peut, en toute sécurité, prélever un bénéfice net sur la production du salarié dont il afferme ou loue le travail, lequel bénéfice est constitué par la plus-value que laisse la vente ou l’utilisation de ladite production, une fois déduits la rétribution du salarié, les frais généraux, l’intérêt, l’amortissement, la réserve, le coût de la matière première et tous autres aléas dont l’ensemble constitue le prix de revient. »

58) What is meant by exploitation?

Anarchist individualists are the adversaries of exploitation just as they are the enemies of domination. Exploitation is as repugnant to them as authority. They deny that it plays a useful role in the formation and fulfillment of the individual being; they absolutely refuse to consider it as a factor of liberation and emancipation of the human person; they hold it, on the contrary, to be eminently destructive and harmful to the normal development, to the growth of human unity. They regard it as the substitute, as another aspect of slavery and serfdom, as a system of oppression intended to consolidate, to maintain the servitude and the economic dependence of man.

But it is not enough to deny and fight exploitation; it is necessary to realize exactly what is meant by the terms “exploiter” and “exploited,” which are rehashed so often in the “popular” newspapers and public meetings, and which are the pretexts for so many declamations.

In fact, what is meant by exploitation?

In the sense given to it by individualists, exploitation is a “system thanks to which a man, a milieu, a social institution can—and this in complete safety—capture, monopolize, requisition or divert the individual production of a human being, take all or part of it for his own profit, in spite of their resistance, their opposition or their protestations—a production which, if left independent, they would dispose of as they or for their own advantage quite differently than they are forced to.”

It is fair to point out that there has never been a total capture or monopolization, by a man, a milieu or the State, of the result of the work or the production of an individual being. Even in the darkest times of slavery, the slave owner fed, clothed, lodged his slaves—in a way sometimes too insufficient or too basic, it is understood—but the expenses entailed by this maintenance constituted a part of the cost-price of the production of those times and the main part in many cases, the cost of the raw material then being often low.

From the special point of view of current economic conditions, exploitation can also be defined—and this is a consequence of the above explanation—as “a system by which the possessor or holder of cash capital, machinery or means of production—the boss, the employer, the wage-payer—individual, milieu, social institution—can, in complete safety, take a net profit from the production of the employee whose work they lease or hire, which profit is made up of the added value left by the sale or use of that production, once they have deducted the remuneration of the employee, the general expenses, the interest, the depreciation, the stock, the cost of the raw materials and all the other contingencies of which the whole constitutes the cost-price.”

59) Esclavage et salariat.

Pour en revenir à la forme d’exploitation qui prédominait dans l’antiquité, il faut se rendre compte que la différence entre ce système et le salariat (nom de la dépendance économique contemporain.) ne consiste pas seulement en ce que l’exploité antique, l’esclave, était considéré comme un objet mobilier cessible et transmissible ainsi qu’une propriété mobilière, comme une pièce de bétail ; alors qu’il est regardé actuellement comme une personne s’appartenant politiquement et juridiquement – mais surtout, parlant d’une manière générale, en ce que le maître, le patron actuel n’intervient pas dans la vie privée de son ouvrier ou employé et ne se préoccupe pas de son entretien.

Le salaire ou la rétribution que le loueur de services paie à l’homme dont il utilise le travail, les contributions, qu’il verse dans certains cas déterminés pour se conformer aux lois sociales, le déchargent de toute responsabilité ultérieure.

Enfin – ce qui n’avait pas lieu dans l’antiquité, ou ce qui ne se produisait que très exceptionnellement – il y a lutte constante entre le salarieur et le salarié : le premier visant généralement et sans cesse à ce que la rétribution qu’il consent à celui dont il loue le travail ne dépasse pas ce dont ce dernier a strictement besoin pour son entretien ; le salarié résistant de toutes ses forces. La concurrence entre salarieurs force ceux-ci, pour ainsi dire automatiquement, à réduire autant que faire se peut les prix de vente de leurs marchandises, et par suite leur prix de revient, afin d’en écouler la plus grande quantité possible et de retirer l’intérêt ou le bénéfice le plus élevé qui soit du capital argent ou outils qu’ils ont consacré à leur entreprise ou qu’ils y ont placé.

Dans les meilleures périodes de l’antiquité, le propriétaire d’esclaves avait un intérêt évident à ce que ses esclaves fussent bien nourris et même bien traités, surtout là où la main-d’œuvre n’abondait pas. Il agissait à l’égard de son bétail humain comme à l’égard de son bétail animal. Du traitement de l’esclave dépendait la qualité de la production.

C’est pourquoi l’esclavage comprend toute une gradation : de l’esclave bâtonné, mené à coups de fouet, constamment sous la menace de la mort à l’esclave jouissant d’un bien-être comparable à celui d’un domestique de bonne maison bourgeoise ou encore escomptant, attendant l’affranchissement : récompense de ses services ou prime à ses facultés intellectuelles.

Le salarieur contemporain n’agit d’ailleurs pas autrement que le propriétaire d’esclaves. L’employeur s’insoucie de l’entretien de qui il emploie, de la valeur nutritive des aliments que celui-ci consomme, mais il augmente la rétribution de ceux de ses salariés dont il escompte ou désire une production de qualité supérieure, ou dont les connaissances ou les aptitudes techniques sont plus sûres ou plus vastes que celles de la moyenne des travailleurs dont il exploite les capacités. L’employeur n’ignore pas qu’il obtiendra un rendement meilleur, supérieur, du salarié un peu moins misérable, un peu mieux favorisé que ses compagnons d’exploitation.

De même, un patron n’hésitera pas à augmenter les salaires de ceux dont-il loue les services lorsque, par suite d’une circonstance nouvelle – consommation considérable, débouchés nouveaux, émigration d’ouvriers – la main-d’œuvre se raréfie.

59) Slavery and wage labor.

To return to the form of exploitation that predominated in antiquity, it is necessary to realize that the difference between this system and wage labor (the name of our contemporary economic dependence) does not only consist in the fact that the exploited ancient, the slave, was considered as a transferable and transmissible movable object, as well as a movable property, like a piece of cattle; whereas they are currently regarded as a person who belongs to themselves politically and legally—but, above all, speaking in a general way, in that the master, the current boss does not intervene in the private life of his worker or employee and doesn’t worry about their maintenance.

The salary or remuneration that the hirer of services pays to the individual whose work he uses, the contributions that he pays in certain specific cases to comply with social laws, relieve him of any further responsibility.

Finally—which did not take place in antiquity, or which only happened very exceptionally—there is a constant struggle between the wage payer and the wage earner: the former generally and constantly aims to ensure that the remuneration that he consents to the one whose labor he hires does not exceed what the latter strictly needs for their upkeep; the employee resists with all their might. Competition between wage-earners forces them, so to speak automatically, to reduce as far as possible the selling prices of their goods, and consequently their cost price, in order to sell the greatest possible quantity and to obtain the highest interest or profit on the capital money or tools they have devoted to or invested in their business.

In the best times of antiquity, the slave owner had an obvious interest in his slaves being well fed and even well treated, especially where labor was not plentiful. He dealt with his human cattle as with his animal cattle. The quality of the production depended on the treatment of the slave.

This is why slavery includes a whole range of conditions: from the slave beaten, led with whips, constantly under the threat of death, to the slave enjoying a well-being comparable to that of a servant of good bourgeois house or even saving, awaiting emancipation: reward for their services or premium for their intellectual faculties.

Moreover, the contemporary wage payer acts no differently than the slave owner. The employer does not care about the maintenance of those he employs, the nutritional value of the food they consume, but he increases the remuneration of those of his employees from whom he expects or desires a production of superior quality, or whose technical knowledge or skills are more secure or broader than those of the average worker whose abilities he exploits. The employer is aware that he will obtain a better, superior output from the employee who is a little less miserable, a little better off than their fellow workers.

Similarly, a boss will not hesitate to increase the wages of those whose services he hires when, as a result of a new circumstance—considerable consumption, new outlets, emigration of workers—labor becomes scarce.

60) L’exploiteur et l’exploité.

Revenons à nos définitions, ce qui est d’autant plus utile que maints de ceux qui tonnent contre l’exploitation ne savent pas toujours définir avec clarté les termes « exploiteur » et « exploité ».

Nous avons expliqué l’exploitation comme une captation, un accaparement, une réquisition, un détournement ou un prélèvement de partie ou totalité du travail ou de la production strictement individuelle au profit d’un homme, d’un milieu humain, d’une institution sociale.

L’exploiteur est donc celui au bénéfice de qui se pratique le système de l’exploitation.

L’exploiteur est aussi celui qui possède ou détient davantage de moyens de production – outils, engins, sol, etc. – qu’il n’est apte à actionner ou faire valoir par lui-même. Ou qui possède plus de capital-espèces qu’il ne lui aurait été possible d’en accumuler s’il ne s’était trouvé dans cette situation favorisée. C’est le Privilégié, le Monopoleur, auquel la surabondance, l’accaparement de capitaux-espèces ou engins de production permet de louer, affermer, rétribuer – aux fins d’en tirer bénéfice – le labeur, les aptitudes d’autrui.

Est un exploité quiconque, se trouvant dénué ou privé du moyen de production, est contraint ou obligé de louer ou affermer à un Privilégié quelconque ses aptitudes cérébrales ou musculaires ; situation inférieure qui le fruste de la jouissance ou de la disposition de l’intégralité de son effort.

Est également un exploité quiconque est empêché – quelle que soit la forme ou la source de l’entrave, de l’empêchement, de la restriction – de jouir ou de disposer comme il l’entend de son produit personnel, alors même qu’il détiendrait le moyen de production.

60) The exploiter and the exploited.

Let us return to our definitions, a return that is all the more useful since many of those who rail against exploitation do not always know how to clearly define the terms “exploiter” and “exploited.”

We have explained exploitation as a capture, monopolization, requisition, diversion or removal of part or all of work or strictly individual production for the benefit of a human being, a human milieu, or a social institution.

The exploiter is therefore the one for the benefit of whom the system of exploitation is practiced.

The exploiter is also the one who owns or owns more means of production—tools, machinery, soil, etc—than he is able to work or put to use on his own. Or who has more cash capital than it would have been possible for him to accumulate if he had not found himself in this favored situation. He is the Privileged, the Monopolist, for whom the overabundance, the monopolization of cash capital or machinery of production makes it possible to rent, lease, remunerate—in order to benefit from it—the labor, the aptitudes of others.

It is some one of the exploited who, finding themselves stripped or deprived of the means of production, is constrained or obliged to rent or lease to some Privileged person their cerebral or muscular aptitudes; an inferior situation that deprives them of the enjoyment or disposal of their full effort.

Its also one of the exploited whoever is prevented—whatever the form or the source of the hindrance, impediment, restriction—from enjoying or disposing of their personal product as they sees fit, even though they own the means of production.

61) L’abolition de l’exploitation. L’exploitation corollaire de la domination.

Il est évident, en s’en rapportant à ces différentes définitions, que la disparition du système de l’exploitation est consécutif à la possession, à titre définitif et inaliénable par le producteur – isolé ou associé – des moyens de production – outils, engins, sol – qu’il est capable d’actionner ou de faire valoir par lui-même.

Le jour où la mentalité générale serait telle que nul ne pourrait détenir davantage de moyens de production que ce qu’il est apte à actionner ou mettre en valeur par lui-même, il n’y aurait plus ni privilège ni monopole.

L’abolition de l’exploitation est également liée à l’abolition de la domination.

L’exploitation n’est autre chose, en effet, que la domination transplantée en terrain économique : le jour où la mentalité générale – s’il s’agit de l’humanité – particulière, s’il s’agit d’un milieu sélectionné – serait telle qu’elle ne pourrait pas tolérer la domination, elle n’admettrait pas non plus l’exploitation.

Sans doute, l’employeur n’a plus droit de vie ou de mort sur celui qu’il emploie ; mais sous obligation de mourir de faim ou d’attenter violemment à l’ordre économique, celui qui ne possède ni argent ni moyens de production doit finalement se louer, et se louer au prix que voudra bien lui offrir le salarieur.

Sans doute, le salarieur n’a pas le droit de contraindre le déshérité ou prolétaire individuel à travailler pour lui : il ne possède pas la puissance de réquisition, monopole réservé à l’administration étatiste ou gouvernementale.

Mais cette objection est purement théorique ; en pratique, le pouvoir que confère à l’employeur, au patron, la possession du capital-espèces et des moyens de production en abondance est tel qu’à un moment donné le salarié, une fois ses faibles ressources épuisées, est obligé de se soumettre aux conditions imposées par l’exploiteur.

Il est vrai que les exploiteurs ont la faculté de se coaliser contre leurs salarieurs, qu’ils ont usé de cette faculté avec des résultats divers, qu’ils ont lutté pour arracher aux exploiteurs des concessions d’un genre ou d’un autre : augmentations de salaires, diminution des heures de travail, part dans la gestion des entreprises qui les emploient ou dans les bénéfices réalisés par celles-ci.

Mais les salarieurs se sont coalisés également, ayant comme alliés ou comme complices les gouvernements qui n’ont jamais hésité à jeter dans la balance le poids de leur influence, influence s’exerçant, bien entendu, au bénéfice des employeurs, quels qu’ils fussent – de l’intervention de la force armée à l’arbitrage imposé et obligatoire.

L’exploitation est si bien le corollaire de la domination sur le terrain économique que ceux qui se regimbent ou murmurent contre elle se trouvent exactement dans la même situation que ceux que la domination gène ou mécontente.

Les exploités, dans l’ordre économique, se trouvent sur le même plan que les dominés dans l’ordre politique ou social : force leur est d’accepter un contrat économique dont ils n’ont pu discuter ou arrêter les termes, et dont ils ne peuvent s’évader qu’illégalement, alors même qu’ils se rendent compte que ce contrat économique est établi au profit exclusif des Privilégiés et des Monopoleurs. Force leur est d’abandonner à qui les salarie le surplus dont il a été question ci-dessus, surplus qu’ils entendraient faire servir à leur bien-être, de la façon qui leur agréerait, si on ne les contraignait pas à y renoncer.

61) The abolition of exploitation. Exploitation the corollary of domination.

It is obvious, by referring to these different definitions, that the disappearance of the system of exploitation results from the possession, by definitive and inalienable title by the producer—isolated or associated—of the means of production—tools, machines, soil—that he is able to actuate or assert on his own.

The day when the general mentality will be such that no one could hold more means of production than they are able to operate or develop by themselves, there will be neither privilege nor monopoly.

The abolition of exploitation is also linked to the abolition of domination.

Exploitation is nothing else, in fact, than domination transplanted onto economic terrain: the day when the general mentality—if it is a question of humanity—or individual mentality, if it is a question of a selected milieu—would be such that it could not tolerate domination, it would no longer condone exploitation.

Undoubtedly, the employer no longer has the right of life or death over the person they employ; but under obligation to die of hunger or to violently attack the economic order, those who have neither money nor means of production must finally rent themselves, and rent themselves at the price that the employer will want to offer them.

Undoubtedly, the employer does not have the right to force the disinherited or the individual proletarian to work for them. They do not possess the power of requisition, a monopoly reserved for the state or governmental administration.

But this objection is purely theoretical; in practice, the power conferred on the employer, on the boss, by the possession of cash capital and the means of production in abundance is such that at a given moment the employee, once his meager resources have been exhausted, is obliged to subject themselves to the conditions imposed by the operator.

It is true that the exploiters have the ability to unite against their wage-earners, that they have used this ability with varying results, that they have struggled to wrest concessions of one kind or another from the exploiters: wage increases, reduction in working hours, share in the management of the companies that employ them or in the profits made by them.

But the wage-earners also came together, having as allies or accomplices the governments, which have never hesitated to throw in the balance the weight of their influence, an influence exerted, of course, to the benefit of the employers, whoever they were, from the intervention of armed force to imposed and compulsory arbitration.

Exploitation is so much the corollary of domination on the economic terrain that those who resent or murmur against it find themselves in exactly the same situation as those who are bothered or dissatisfied by domination.

The exploited, in the economic order, find themselves on the same level as the dominated in the political or social order: they are forced to accept an economic contract whose terms they have not been able to discuss or decide on, and whose terms they can only escape illegally, even though they realize that this economic contract is established for the exclusive benefit of the Privileged and the Monopolists. They are forced to give up to whoever will pay them the surplus mentioned above, a surplus that they would intend to use for their well-being, in the way that would suit them, if they were not forced to give it up.

62) Insuffisance de l’expression « exploitation de l’homme par l’homme. » Nouvelles définitions de l’exploitation.

Se déclarer contre « l’exploitation de l’homme par l’homme » ou « par son semblable » est une expression insuffisante.

Ce n’est pas seulement par son semblable – particulier – que l’être humain est ou peut être exploité.

Il peut l’être tout autant par un milieu social dont il est obligé de faire partie. Il peut aussi bien l’être par une institution sociale quelconque – État, gouvernement, administration, organisation d’un genre ou d’un autre.

L’expression se déclarer, se situer, se dresser « contre l’exploitation de l’unité humaine par son semblable, le milieu ou une institution sociale » expose bien plus clairement le point de vue des individualistes.

Ainsi, selon eux, il y a exploitation de l’être individuel, lorsqu’une unité humaine, isolée ou associée – est forcée de contribuer ou participer à des taxes, à des impôts, des contributions – contrainte de subir des réquisitions de quelque espèce que ce soit, destinées au fonctionnement d’institutions ou de services, à la rétribution ou à la solde d’agents ou de fonctionnaires dont il ne fait aucun usage, dont il nie, conteste ou réprouve l’utilité.

Il y a également exploitation lorsqu’un être individuel – un producteur, un travailleur quelconque est obligé de parfaire, supplémenter ou compléter, par suite d’une mainmise légale ou administrative sur tout ou partie du résultat de son effort personnel – la part de production ou d’entretien d’un de ses semblables, quel qu’il soit, dont le rendement est inférieur ou inégal au sien.

Il y a aussi exploitation lorsqu’un producteur – quel qu’il soit – isolé ou associé, ne peut disposer de sa production, du produit de son effort personnel comme il l’entend ou comme il l’agrée, c’est-à-dire sans subir une intervention ou une taxation quelconque, gouvernementale ou administrative.

Il y a enfin exploitation lorsqu’il ne peut l’aliéner à titre gratuit ou onéreux, le transmettre ou le léguer, traiter de gré à gré pour sa cession avec qui lui plaît, sans être forcé de rendre des comptes à un homme, au milieu ou à une institution.

62) Insufficiency of the expression “exploitation of man by man.” New definitions of exploitation.

Declaring oneself against “the exploitation of man by man” or “by his fellow man” is an insufficient expression.

It is not only by their individual fellows that the human being is or can be exploited.

They can be affected just as much by a social milieu to which they are obliged to belong. It may also be by any social institution—any state, government, administration or organization of one kind or another.

The expression to declare oneself, to situate oneself, to stand up “against the exploitation of the human unity by its fellow humans, the milieu or a social institution” expresses the point of view of the individualists much more clearly.

Thus, according to them, there is exploitation of the individual being, when a human unit, isolated or associated—is forced to contribute or participate in taxes, duties, contributions—forced to undergo requisitions of any kind whatsoever, intended for the operation of institutions or services, for the remuneration or pay of agents or civil servants of which they make no use, of which they deny, dispute or condemns the usefulness.

There is also exploitation when an individual being—a producer, any worker whatsoever—is obliged to perfect, supplement or complete, as a result of a legal or administrative seizure of all or part of the result of their personal effort, the share of production or maintenance of one of their fellows, whoever they are, whose performance is inferior or unequal to their own.

There is also exploitation when a producer—whoever they may be, whether isolated or associated—cannot dispose of their production, the product of their personal effort as they wish or as they have agreed, without undergoing any intervention or taxation whatsoever, governmental or administrative.

Finally, there is exploitation when they cannot alienate their product, by gratuitous or onerous, transmit it or bequeath it, deal by mutual agreement for its transfer with whomever they please, without being forced to render an account to any individual, to the milieu or to an institution.

63) Le cas de contribution ou rétribution volontaire. La caractéristique de l’exploitation.

Au point de vue où se placent les individualistes, l’exploitation se manifeste toujours accompagnée de coercition, de contrainte, d’obligation, de violence d’une sorte ou d’une autre. C’est ainsi qu’il n’y a pas d’exploitation dans le fait de rétribuer volontairement les efforts ou les services d’un ou plusieurs de ses semblables dont l’activité ou la profession sont utiles ou agréables à celui ou à ceux qui y ont recours. Il n’y a pas exploitation lorsqu’un isolé ou des associés rétribuent volontairement le travail d’un transporteur, d’un colporteur, d’un mandataire, d’un instituteur, d’un médecin, d’un artiste, d’une association se chargeant d’un service public ou privé quelconque. Il n’y a pas d’exploitation dans le cas d’une subvention ou contribution volontaire destinée par exemple à permettre à un savant d’accomplir certaines recherches scientifiques, à un peintre ou à un musicien d’étudier ou de voyager pour se perfectionner dans son art, à un journal de se fonder ou d’étendre son rayon d’influence, à un sanatorium de s’édifier ou de s’agrandir, à une association quelconque de poursuivre ou réaliser le but pour lequel elle s’est créée, etc., etc.

Ces exemples sont assez clairs pour bien faire comprendre le caractère obligatoire et spoliateur qui, pour les individualistes, doit inéluctablement qualifier l’exploitation de l’homme par son semblable, le milieu ou une institution sociale.

63) The case of voluntary contribution or remuneration. The distinguishing quality of exploitation.

From the point of view taken by individualists, exploitation always manifests itself accompanied by coercion, constraint, obligation and violence of one sort or another. Thus there is no exploitation in the fact of voluntarily remunerating the efforts or services of one or more of one’s fellows whose activity or profession is useful or pleasant to the person or persons who use it. There is no exploitation when a single person or group of associates voluntarily remunerates the work of a carrier, a peddler, an agent, a teacher, a doctor, an artist, an association undertaking any public or private service. There is no exploitation in the case of a subsidy or voluntary contribution intended, for example, to enable a scientist to carry out certain scientific research, a painter or a musician to study or travel to improve their skills in their art, to a newspaper to be founded or to extend its radius of influence, to a sanatorium to be built or to grow, to any association whatsoever to pursue or achieve the goal for which it was created, etc., etc.

These examples are clear enough to make well understood the obligatory and plundering character which, for individualists, must inevitably qualify the exploitation of man by his fellow man, the milieu or a social institution.

64) Les exploités « volontaires. »

Ceci bien entendu, on peut se demander s’il n’existe pas des hommes, en bien plus grande quantité qu’on ne l’imagine, lesquels laissés entièrement à eux-mêmes, seraient disposés à louer leurs services à un salarieur ; c’est-à-dire préfèrent le système du salariat avec tous les inconvénients et les imperfections qu’il comporte, à la méthode individualiste de la mise en valeur du moyen de production et de la libre disposition du produit, soit isolément, soit en association. On peut se demander également si le nombre n’est pas aussi grand de ceux qui, à la méthode individualiste, préfèrent encore être exploités par une organisation ou une administration sociale, par crainte de l’effort et de l’initiative que réclament la libre production, le jeu de la concurrence-émulation, les tractations de gré en gré qu’elle nécessite entre producteurs et consommateurs, isolés ou groupés en associations.

Les individualistes n’éludent pas la question. Ils n’ont jamais contesté que le nombre est considérable, très considérable de ceux qui s’imaginent ne pouvoir subsister, agir ou se comporter sans être dominés ou exploités, sans qu’interviennent en leurs affaires le Gouvernement, le Milieu humain, une Institution sociale d’un genre ou d’un autre. Que ceux qui ne peuvent ou ne veulent se passer d’un système d’exploitation quelconque se fassent exploiter comme bon leur semble. Les individualistes anarchistes s’abstiendront de s’immiscer dans leurs combinaisons économiques, ils peuvent en être certains ; n’entendant, ne voulant s’imposer à autrui d’aucune façon, ils ne réclament d’autrui que la réciproque, c’est-à-dire de pouvoir évoluer à l’écart de toute contrainte, à l’abri de toute confiscation ou diminution de leur autonomie, « autrui » signifiât-il la majorité des terriens, l’organisation ou l’administration sociale la plus colossale qui ait jamais existé. Les individualistes anarchistes ne réclament de ceux qui ne peuvent subsister sans exploitation que de les laisser exister, se façonner, agir, besogner, se conduire selon leur conception particulière de la vie économique. Ils ne demandent de ceux auxquels la dépendance, en cette matière, est indispensable pour croître et se développer que de ne point les forcer, sous une forme ou sous une autre, à se conformer, participer ou coopérer aux obligations ou charges qu’impliquent les différents aspects de l’exploitation, tels qu’ils ont été présentés ci-dessus.

64) The “voluntary” exploited.

This being well understood, one can wonder if there are not men, in much greater quantity than one imagines, who, left entirely to themselves, would be disposed to hire their services to a wage-payer; that is to say, they prefer the wage-earning system, with all the drawbacks and imperfections it entails, to the individualistic method of exploiting the means of production and the free disposal of the product, either in isolation or in association. One can also wonder if the number is not as large of those who, to the individualistic method, still prefer to be exploited by an organization or a social administration, for fear of the effort and the initiative demanded by free production, the play of competition-emulation, the mutual negotiations that it necessitates between producers and consumers, isolated or grouped in associations.

The individualists do not evade the question. They have never disputed that the number is considerable, very considerable, of those who imagine that they not survive, act or behave without being dominated or exploited, without the intervention in their affairs of the Government, the human milieu, a social Institution of one kind or another. Let those who cannot or do not want to do without any system of exploitation let themselves be exploited as they see fit. Anarchist individualists will refrain from interfering with their economic combinations, they may be certain; not understanding, not wanting to impose themselves on others in any way, they only demand from others the reciprocation, that is to say to be able to evolve, free from all constraint, safe from any confiscation or reduction of their autonomy, even if “others” meant the majority of earthlings, the most colossal social organization or administration that has ever existed. Anarchist individualists only ask of those who cannot subsist without exploitation to let them exist, shape themselves, act, work, conduct themselves according to their own particular conception of economic life. They only ask of those to whom dependence, in this matter, is indispensable in order to grow and develop that they not force them, in one form or another, to conform to, participate in or cooperate with the obligations or charges implied by the different aspects of exploitation, as presented above.

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