Entente Libertaire — Notes and texts

Related links:

Bibiography:

  • E. Armand, “La réalisation de l’idéal libertaire,” L’Ère nouvelle 3 no. 25 (27 Septembre 1903): 77-78.
  • [front cover copy], L’Ère nouvelle 3 no. 26 (25 Novembre-1er Décembre 1903): 88.
  • La Rédaction, “A nos camarades. A tous ceux qui s’intéressent à notre mouvement,” L’Ère nouvelle 3 no. 26 (25 Novembre-1er Décembre 1903): 89.
  • “L’entente libertaire,” L’Ère nouvelle 3 no. 26 (25 Novembre-1er Décembre 1903): 90-91.
  • [back cover copy], L’Ère nouvelle 3 no. 26 (25 Novembre-1er Décembre 1903): 125.
  • [various authors], “À propos de l’entente libertaire,” L’Ère nouvelle 3 no. 28 (Mars-Avril 1904): 184-188.
  • E. Armand, “Ce que nous sommes, ce que nous voulons,” L’Ère nouvelle 3 no. 28 (Mars-Avril 1904): 189-192.
  • [various authors], “À propos de l’entente libertaire,” L’Ère nouvelle 3 no. 30 (Juillet-Août 1904): 306-309.
  • Pierre Kropotkine, “Vers le bonheur” L’Ère nouvelle 3 no. 31 (Septembre-Octobre 1904): 325-326.
  • Maurice Marcel, “Sur l’entente libertaire,” L’Ère nouvelle 3 no. 32 (Novembre-Décembre 1904): 407-408.

La réalisation et l’Idéal libertaire

L’autorité a fait son temps; sous quelle forme qu’elle se présente : dogmes, lois, conventions, morales, — que ce soit au point de vue éducatif, économique, intellectuel. le système autoritaire perd de plus en plus du terrain. Représentant du passé, son éclat se ternit graduellement à mesure que se lève la brillante aurore de l’avenir ; et même considéré à la lueur des idées courantes, l’idéal autoritaire apparaît décidément comme une conception digne des temps barbares, ou comme le symbole par excellence de l’oppression. Qui va lui succéder ? Sera-ce l’idéal libertaire ?

Qu’est-ce que l’idéal libertaire ? — Tel que je le conçois, rien de plus ni de moins qu’une société dont tous les membres se développeraient intégralement selon les tendances de leur nature, sans qu’aucune imposât à autrui ses propres conceptions économiques, intellectuelles ou morales — un milieu où le dogme et le préjugé seraient inconnus — un monde où l’expérience individuelle et l’observation collective serviraient de seul procédé éducatif el de base unique à la libre entente entre les hommes.

En deux mots, toujours selon moi, l’idéal libertaire ou anarchique — les deux termes sont équivalente — est celui d’un groupement d’où serait bannie l’autorité sous tous ses aspects,

C’est le sens primitif, original du substantif « anarchie » ou du qualificatif « libertaire ».

La réalisation de l’idéal libertaire n’implique donc pas l’adoption générale d’une théorie métaphysique ou philosophique quelconque. Il sous-entend, bien au contraire, que chaque membre du milieu futur sera à même de choisir soi-même la conception philosophique qui s’accorde le mieux avec sa constitution cérébrale ou sen tempérament. L’« anarchiste » ou le « libertaire » n’est donc pas plus anti-idéaliste ou anti-spiritualiste ou anti-scientifique qu’il n’est anti-matérialiste ou anti-sentimental, par exemple. Il n’est que l’adversaire conscient de toute conception qui ne repose pas sur le libre choix individuel et dont l’origine est un enseignement impose pal’ l’Etat ou l’Eglise, ou une autorité quelconque. Il est, en un mot, anti-clérical et libre-penseur par excellence.

La réalisation de l’idéal libertaire n’implique pas non plus la soumission de tous les membres des sociétés a venir à un régime économique déterminé, Là encore intervient la question des caractères, des tempéraments. Si on peut souhaiter que tout le monde soit appelé un jour à vivre pratiquement l’idéal communiste-libertaire, qui est le mien, il no s’ensuit pas que tous les hommes soient actuellement ou prochainement préparés à y trouver leur félicité ou l’accomplissement de leurs désirs. Rien ne prouve qu’en l’état actuel des mentalités, tel ou tel régime comme le coopératisme, le collectivisme, ou le communisme autoritaire, par exemple, ne réponde pas davantage au stade d’évolution de la plupart des êtres humains. Tout ce que le libertaire peut demander ou exiger des sociétés actuelles ou de celles il venir, c’est qu’elles lui laissent la possibilité de faire l’essai loyal de ses conceptions économiques ou morales à son heure et avec les camarades de son choix, — qu’elles lui permettent, en un mot, de vivre librement son idéal. Aux autres de déterminer leur voie d’après les résultats de leur propre expérience.

La réalisation de l’idéal libertaire ne saurait exiger non plus une conception morale collective. La société qu’Il prévoit ne connaitra pas, socialement, d’autre immoralité que la violence et, individuellement, que le déséquilibrement, en ce sens que tout penchant deviendra nuisible dès qu’il empêchera l’homme de se développer normalement, — intellectuellement et physiquement, — et qu’il le conduira il faire tort à sa propre liberté en t’amenant à attenter à celle d’autrui, conséquence inévitable. Aussi, déjà dans la vie actuelle, le « libertaire » vivra-t-il le plus possible en dehors des conventions morales établies, démontrant que le mépris qu’il ressent à leur égard ne saurait, dans la pratique, amoindrir son activité, son utilité, son amour pour autrui.

La réalisation de l’idéal libertaire n’implique pas non plus la contrainte ou la violence sous aucune forme.

N’est pas libertaire quiconque essaye d’imposer sa façon de voir à autrui, — que ce soit de la voix, de la plume ou du geste. La contrainte ou la violence ne sont que l’affirmation tangible de I’ autorité, et qui s’eu sert est tout simplement un autoritaire .

Sans rechercher les applaudissements — sans appeler non plus les persécutions inutiles — le libertaire expose, propose, discute son idéal avec d’autant plus de chaleur qu’il le vit intérieurement. Il se fait tuer pour le vivre, il ne l’impose jamais.

La réalisation de l’idéal libertaire n’est donc pas inévitablement liée au succès d’une l’évolution sanglante accomplie par des bandes enrégimentées, conduites par des chefs avoués ou non, — séduites par l’appât grossier d’améliorations purement matérielles, — fanatisées par j’annonce do la bonne nouvelle du Milieu-Providence, où par suite de la seule transformation des conditions économiques toute l’humanité serait heureuse. Il dépend exclusivement de la formation d’individualités conscientes, réellement décidées à vivre librement sans autres limites que la liberté de vivre d’autrui, aimant leur prochain comme elles-mêmes, — substituant au déterminisme aveugle des majorités, l’exemple expérimental de l’effort Individuel, à l’association forcée, le groupement par affinités, par sympathie, — car l’homme ne vit pas de pain seulement.

Individualités montrant déjà dans la société actuelle ce que peuvent accomplie le travail libre et l’entente en commun, par la formation de groupes d’éducation et de solidarité fraternels, de coopératives, de production et de consomption de tous genres, de Milieux Libres de toutes sortes, do sociétés ignorant le « tien » et le « mine » d’autant plus assurés de la réussite qu’ils se composeront d’éléments décidés et préparés (1).

L’idéal libertaire, encore suivant moi, ne saurait donc être celui d’une Société uniformément réglée sur un modèle préconçu de régime moral, économique, ou intellectuel. Il ignore au fond, les bases économiques de la vie des groupements de l’avenir. Aussi, nous qui désirons voir s’établit le plus rapidement possible et de tous côtés des milieux communistes, puisque l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme nous parait être le corollaire logique de la cessation de la domination de l’homme sur l’homme, — aussi, dis-je, ne songeons-nous pas à formuler une doctrine libertaire ou anarchiste; à établir un dogme, à proclamer une vérité; nous nous préoccupons beaucoup plus de susciter des êtres conscients, respectueux de la liberté de penser et d’agir d’autrui ; tolérants enfin parce qu’indomptablement résolus à ne point céder un pouce de leur liberté et du résultat de leurs efforts.

Il était peut-être temps de le l’appeler et de le déclarer.

E. Armand.

(1) Il ya bien d’autres formes d’activité, d’ailleurs, variant selon les personnes. On pourrait classer parmi les plus révolutionnairement et les plus profondément éducatives, celles que consistent à refuser le service militaire, le paiement de l’impôt, du loyer, la culture du sol ou le travail salarié pour autrui, etc. Mais tous ces mouvements de grève collective ou générale exigeraient pour réussir des actions individuelles fortement conscientes et se produisant simultanément ; ceux qui les osent isolement en sont d’autant plus héroïques.

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A nos camarades.

A tous ceux qui s’intéressent à notre mouvement.

A la suite de la publication, dans notre dernier numéro, de l’Idéal libertaire et sa réalisation, en présence de l’orientation actuelle de l’Ère nouvelle, dans nos efforts en vue d’établir de façon puissante l’entente libertaire de la place que nous nous proposons de prendre comme organe d’entente libertaire pratique, nous éprouvons le besoin de nous renseigner auprès de ceux qui nous lisent sur les impressions que leur laisse notre tentative. Nous demandons quelques lignes écrites librement, sans recherche. Nous ferons paraître tout ce que nous permettra la place dont nous disposons. En ce moment de crise, nous pensons utile cette sorte de consultation entre camarades et amis, d’enquête intime, Qui sait si l’insertion de ces impressions ne contribuera pas à taire se lever l’aube de cette ère nouvelle d’harmonie et de bon accord dont nos groupes el nos milieux ont tant besoin, si lamentablement déchirés qu’ils sont par les discussions intestines.

La Rédaction.

To Our Comrades.

To all those who are interested in our movement.

Following the publication, in our last issue, of The Libertarian Ideal and its Realization, en présence of the present orientation actuelle of the Ère nouvelle, in our efforts to establish in a powerful manner the entente libertaire de la place que nous nous proposons de prendre comme organe d’entente libertaire pratique, nous éprouvons le besoin de nous renseigner auprès de ceux qui nous lisent sur les impressions que leur laisse notre tentative. Nous demandons quelques lignes écrites librement, sans recherche. Nous ferons paraître tout ce que nous permettra la place dont nous disposons. En ce moment de crise, nous pensons utile cette sorte de consultation entre camarades et amis, d’enquête intime, Qui sait si l’insertion de ces impressions ne contribuera pas à taire se lever l’aube de cette ère nouvelle d’harmonie et de bon accord dont nos groupes el nos milieux ont tant besoin, si lamentablement déchirés qu’ils sont par les discussions intestines.

The Editors.

L’ENTENTE LIBERTAIRE

Au milieu du spectacle navrant que, depuis de trop longues semaines déjà, offrent les porte paroles intronisés de la pensée anarchiste ces mots « entente libertaire » ressemblent à la brise rafraîchissante des soirs brûlants d’été. Tout ce beau et grand mouvement menace de s’enliser dans les marécages boueux des querelles de personnes, des chicanes de groupe, des excommunications puériles…… C’est hier qu’il a paru l’hebdomadaire qui se charge de dresser ne varietur la liste des groupements libertaires bien pensants, la seule officielle et complète. D’autres s’étaient déjà déclarés « sectaires ». Sectaire et anarchiste, ô étymologie, n’en frémis-tu pas ? Et ces polémiques de personnes ! Basses insinuations que Basile signerait des deux mains, calomnies, mensonges. C’est la monnaie courante de nos discussions d’idées. S’agit-il d’« exécuter » le camarade X….., on trouvera bien dans sa vie, ou dans les détails de son évolution, en cherchant avec un peu de soin, quelque fait à dénaturer pour le jeter en pâture aux amateurs d’ignominies. N’importe si c’est une tragédie intime, douloureuse, incompréhensible, sinon de ceux dont elle a brisé en partie l’existence, tout est bon pour nos anarchistes dernier bateau….. Polémiques, dites-vous s Allons donc ! guêpiers ou guet-apens, ni plus ni moins, Journaux d’idées? Feuilles à scandales qui n’ont rien à envier à la grande presse à chantage. Hommes de principe ? Mais non ! Puffistes à l’affût des acclamations ou d’une sinécure de popularité, dilettantes névrosés en mal de « splendide isolement »… Quelle chute! Ah ! certes celui-ci a mis le doigt sur la plaie qui dénonça la décadence anarchiste ; Mais il n’est pire sourd que celui qui se bouche, les oreilles.

L’ouragan ne nous a pas épargnés. On connaît nos vues : Sans plus nous préoccuper si celui-ci est agnostique, matérialiste ou spiritualiste, celui-là, rationaliste, anarchiste-chrétien ou théosophe, cet autre naturien, végétarien ou partisan du machinisme à outrance — nous proclamons que l’essentiel est de les réunir en bons camarades, sur le terrain pratique du concept libertaire : ni autorité de l’homme sur l’homme, ni exploitation de l’homme par l’homme et de l’effort expérimental en vue d’en amener la réalisation.

Il n’en a pas fallu davantage pour déchaîner les colères. Menacés de « lutte à mort », accusés d’ « accaparer le mouvement anarchiste », — les lettres sont là, — nous en sommes venus à nous demander si notre activité avait eu cet effet de troubler certaines digestions béates ou de mettre en danger certaines positions acquises? Nous l’ignorons, mais une chose que nous concevons fort bleu, c’est que notre propagande de bon sens gêne fort ceux dont la réputation repose tout entière sur la mésentente libertaire. Ce n’est qu’un encouragement de plus li. clamer plus haut et plus ferme : « Dans la cité libertaire, le soleil luit pour tout le monde ». Commençons donc à la bâtir dès maintenant — cette cité toute de rêve encore — dans nos relations de camarade li camarade, si nous voulons qu’elle s’édifie quelque jour, quand tous seront camarades !

Qu’on ne s’y méprenne pas ! Ce ne sont ni les orgueilleux, ni les méchants, ni les vendeurs du Temple, qui bâtiront la maison de Justice, — la maison d’anarchie. Ils s’entre-dévoreraient au lendemain de la révolution, et le monde épouvanté les vomirait. Cette demeure-là, spacieuse et grandiose, la demeure où les fils des hommes iront reposer enfin leur tête — combien fatiguée ! — cette demeure-là, dis-je, c’est tout autre chose que la satisfaction d’une simple convoitise individuelle ou le triomphe d’une coterie. Nous ne-la construirons qu’en unissant toutes les initiatives émancipées. C’est une besogne ingrate, obscure, lente peut-être, mais elle est décisive et bien qu’elle se poursuive en dehors de l’éclat des discussions byzantines et à l’abri, des rivalités de chapelle, elle n’en mène pas moins droit au but. Camarades, nous vous convions à vous y employer!

L’Ère Nouvelle.

TRANSLATION

A Individus moralement transformés,
Sociétés économiquement renouvelées

Ce qu’est réellement l’ « Ère Nouvelle » et le mouvement qu’elle représente:

ORGANE D’ENTENTE LIBERTAIRE, l’Ère Nouvelle effectue la fusion entre libres conscients, — sans distinction de philosophie, — sur le terrain pratique de l’exemple ou de l’initiative, individuel ou social. Son idéal d’une Société renouvelée est celui d’un monde dont toua les habitants se développeraient intégralement selon les aspirations de leur être, sans que nul imposât à autrui ses propres conceptions économiques, morales, intellectuelles, — un milieu où. l’expérience personnelle et l’observation collective serviraient de seul procédé éducatif et de base unique à la libre entente mutuelle, — une humanité ou les nommes s’aimeraient les uns les autres.

REVUE D’ÉMANCIPATION INTÉGRALE, l’Ère Nouvelle combat l’autorité, la violence et te mensonge sous tons leurs aspects. Elle s’élève contre les dogmes, les préjugés, les superstitions, les oppressions, les règlementations de toute nature, — les cléricalismes, qu’ils soient d’ordre moral, politique ou religieux, — le régime capitaliste et ses conséquences. Elle dénonce également tout ce qui entrave le plein développement physique de l’individu (alcoolisme, jeux d’argent et barbares, penchants nuisibles, etc.]

REVUE D’IDÉALISME PRATIQUE ET DE COMMUNISME APPLIQUÉ, l’Ère Nouvelle s’intéresse à toutes les tentatives de travail en commun — où qu’elles se poursuivent, de qui elles émanent ou sous quelle forme elles se présentent. Elle les étudie en toute indépendance, les appuie à titre expérimental et reçoit toutes les communications les concernant.

ORGANE ESSENTIELLEMENT ANTI-SECTAIRE, l’Ère Nouvelle s’intéresse à tous les mouvements libertaires, même poursuivis en dehors des coteries, des clans et des « textes reçus ». C’est ainsi qu’anarchistes-chrétiens, tolstoïsants, théosophes et spiritualistes libertaires, — anarchistes naturiens ct végétariens y collaborent ou y rendent compte de leurs activités diverses.

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A propos de l’entente libertaire

Résultats d’une consultation entre camarades

Nos lecteurs n’ont pas oublié notre consultation du n° 26. Nous avons reçu un assez grand nombre de, réponses parmi lesquelles nous avons choisi les suivantes qui résument toutes les autres. A chacun de conclure.

— Devrait-il être nécessaire de préconiser l’entente libertaire ? Et chaque fois qu’une œuvre réellement libertaire est entreprise, tous ceux qui aspirent à l’idéal de liberté que cette œuvre a pour but ne devraient-ils pas la soutenir de toutes leurs forces et par tous les moyens en leur pouvoir ?

L’idéal libertaire ne peut être que celui d’une société où, comme l’a dit Armand, chacun de nous pourra vivre librement son idéal’ sans autres limites que la liberté de vivre d’autrui. Il ne s’agit pas, pour’ atteindre cet idéal, que chacun de nous fasse abandon, de quelle façon que ce soit, de ses droits d’individu ni de ses conceptions particulières, conceptions qui, pour être vraiment libertaires, doivent être toutes personnelles et bien conformes au tempérament et au caractère de celui qui les partage.

La raison de la mésentente entre tous ceux qui voudraient la réalisation de l’idéal libertaire est surtout dans la confusion faite trop aisément entre les idées et les faits. L’entente à établir pour cette réalisation ne consiste pas faire partager à tous les individus les mêmes conceptions ni à leur donner-la même mentalité. Une entente de ce genre est impossible et, se produirait-elle, elle serait plus désastreuse que les différends actuels car elle ne tarderait pas à conduire l’humanité au gâtisme le plus complet et la mort suivrait bien vite cette déchéance.

Mais il s’agit d’établir cette entente dans le domaine de l’action, et autant il est indispensable que dans la spéculation chaque individualité se développe et agisse en dehors de toutes les autres, autant il est nécessaire que pour l’action elles se réunissent toutes, et partant, qu’une entente pratique s’établisse entre elles.

Ce n’est que par cette entente que l’idéal libertaire pourra se réaliser un jour et ne sera plus une utopie. Si toua-les exploités savaient s’entendre seulement pendant vingt-quatre heures, ils changeraient la face du monde. Mais l’entente se fera-t-elle? JI faudrait chez les individus plus de bonne volonté, moins de cette férocité qui fait qu’ils ne sont heureux le plus souvent que du malheur des autres. Avant de leur demander de « faire aux autres ce qu’ils voudraient qu’on fit pour eux », obtenons d’eux, simplement, qu’ils « ne fassent pas aux autres ce qu’ils ne voudraient pus qu’on leur fît. » Ce ne serait pas encore de l’Amour, ce serait seulement de la Justice: mais Ct! serait déjà bien beau !

Ch. Hotz.

— Vous me demandez de vous dire les impressions que me laisse votre tentative d’entente libertaire.

Vous savez que venant de moi elles ne peuvent être celles d’un militant affilié â un groupe, mais celles d’un ami, à l’indépendance d’esprit trop farouche pour appartenir à aucune chapelle. Etranger aux querelles intestines dont vous parlez si fréquemment, ct n’ayant nul désir de les connaître, je suis sans doute mal qualifié pour apprécier, en toute justice, le sens de l’œuvre de concorde que vous entreprenez.

Je ne peux que vous souhaiter de réussir, dès l’instant que vous voulez mettre la paix là où il y a la guerre. Je voudrais, sincèrement, que votre œuvre ne fût pas chimérique: mais je Ile suis pas sûr qu’elle ne l’est pas. Vous voulez unir des; volontés délibérément discordantes, des pensées volontairement divergentes, des hommes qui souvent ne sont libertaires ou anarchistes que parce qu’ils n’ont pas voulu ou n’ont pas pu accepter d’être d’aucune organisation. J’ai peur que ces deux mots, entente libertaire, ne soient, à l’heure présente, contradictoires.

Que ceci ne vous soit pas une parole amère, où vous trouviez motif à ne plus espérer! Croyez toujours à la paix.

A. R.

— Il est une chose que j’abhorre par dessus tout, c’est l’intolérance systématique ou instinctive contre tout ce qui ne pense pas ou n’agit pas comme soi.

Une idée fausse venant de la part d’un homme sincère, prêt à s’incliner devant la vérité quand elle se présentera, me paraît moins néfaste qu’une idée vraie qui tourne au dogmatisme et exige la persécution d’autrui pour se maintenir. Les vérités les plus scientifiques sont toujours temporaires ; lorsqu’elles sont imposées comme dogmes, elles sont appelées à devenir des erreurs dont le règne empêche l’avènement de tout nouveau progrès.

J. Marestan.

— Vous dites: « tous camarades », je préfère dire tous frères, il n’y a pas demi-chemin, Le jour où tous auront quitté l’obscurité pour marcher vers la lumière, où tous auront trouvé la route du véritable bonheur, où tous vivront dans l’amour, ce jour-là vous aurez la. paix universelle ; pas avant. C’est là, le seul enseignement qui, donne la liberté, comme a dit Je Christ. Il n’y aura plus alors de théosophes, de spiritualistes ou de matérialistes, il n’y aura que des hommes d’esprit sain. Quant à notre conduite vis-à-vis des, adversaires des anarchistes-chrétiens nous n’avons qu’à les considérer comme des aveugles, qui tâtonnent dans l’obscurité. S’ils nous, disent des injures pensons : « ils ne savent pas ce qu’ils font » et ne nous y arrêtons pas. Répandons notre lumière qui réchauffe et qui rend heureux ceux qui nous entourent. Ne nous occupons pas des querelles personnelles. Je ne vois pas pourquoi notre mouvement devrait s’enliser dans les marécages boueux. N’oublions pas que la qualité a plus de valeur que la quantité.

Elisabeth Hamburger-Cordès.

Je crois réalisable l’entente libertaire, telle que vous la concevez, Cependant je crois indispensable que chaque individu évolue en ce sens avant toute entente, car le développement intellectuel de chaque élément, s’il n’est dirigé vers ce but, peut produire antagonisme, autrement dit je ne conçois votre idéal libertaire qu’avec l’abandon d’une partie de notre individualité.

R. Darde.

— L’entente ne peut exister qu’entre individus laissant leur personnalité écrasante de côté afin de pouvoir s’orienter vers un but commun.

Je crois que des individus de conceptions philosophiques différentes, résultat de la nature, de l’atavisme, du milieu dans lequel on s’est développé, ou, des choses que l’on a observées peuvent, tout en gardant leur individualité forte, chercher dans le libre jeu de la discussion la vérité plurale, puisque, en se plaçant à son point de vue particulier, chacun de nous a raison. C’est une des choses que je souhaite ardemment ne pas voir changer ; je ne comprends pas la vie sans les contradictions, les heurts qui font voir que l’on existe.

Quand le voyageur a devant lui une plaine de grande étendue, ses yeux ne sont pas longs à fatiguer le reste du corps; mais par contre quand il est dans un pays accidenté où, à chaque instant, le décor change, son imagination ayant libre cours, il trouve sa route courte.

L’homme a besoin de ses contradictions pour donner libre carrière à sa combativité. Une réunion d’individus pensant la même chose me ferait l’effet d’une veillée de corps où l’on attend le dernier moment afin de porter le mort en terre. Donc pour toutes ces raisons je suis partisan de m’entendre avec des gens qui ne pensent pas comme moi.

G. Poignant.

— Il n’y a pas trente-six façons d’être libertaire, il n’y en a qu’une et du moment que l’on est libertaire, on répudie inévitablement toute autorité ; et être libertaire signifie évidemment anti-sectaire, anti-dogmatique, anti-idolâtre.

Donc, toutes les fractions libertaires autres que les syndicalistes, communistes-anarchistes ou social-libertaires sont également an-archistes au point de vue politique.

Le journal L’Homme Libre, 2e série (?) prétend que les « déviés maladifs de d’anarchie » doivent être rejetés hors du mouvement social.

Un monopole, alors, le mouvement social, pour les social-libertaires ? Si les libertaires autres que des S.-L., ne sont pas considérés par ceux-ci comme de réels an-archistes (peu importe les étiquettes, les idées et les faits, c’est mieux) qu’on excommunie catégoriquement, qu’en le sache partout, afin qu’il n’y ait plus d’équivoque possible. Cependant, des partisans de l’Entente Libertaire clament :

« Compagnons, le vieux monde bougé,
« Marchons tous la main dans la main,
« Le grand soleil rouge,
« Brillera, brillera demain ! »

Cette entente serait-elle impossible ? Peut-être !

Henry Zisly.

— Une entente entre les diverses sectes anarchistes pourrait se faire ; mais pour cela il faudrait que ces sectes consentent à ne faire que de la propagande anarchiste, proprement, dite, et à délaisser leur spécialité.

Comment voulez-vous par exemple qu’un scientifique fasse de la propagande en compagnie d’un naturien, un syndicaliste avec un antisyndicaliste, un matérialiste avec un théosophe ou un chrétien.

Ce serait, je crois, bien difficile. Chacun propageant des idées contraires aux autres. Le peuple croirait bien vite qu’on se moque de lui.

Je crois qu’il vaudrait mieux que chacun marchât de son côté en employant les moyens qui nous paraissent les meilleurs et en laissant le voisin tranquille sur deux qu’il est décidé à employer.

Ou si on ‘est décidé à réunir les diverses fractions du parti anarchiste, je ne vois que ce que je préconisais, au premier alinéa, d’efficace et de sérieux mais cela me semble plutôt impossible.

D.

(Au prochain numéro les réponses de W. Hamburger, M. Bisson, Sartoris. R. Blanchet, V. Almeyras. G. Pollet, etc.)

TRANSLATION

Çe que nous sommes. Ce que nous voulons

Lettres familières à un ami.

Mon cher ami,

Si d’un côté vous avez eu raison de m’écrire en signalant le doute qui s’était emparé de votre esprit à la lecture de l’entrefilet publié dans l’hebdomadaire dont s’agit et qui, en effet, visait notre revue, d’un autre côté, mon cher ami, vous avez eu tort de vous inquiéter car l’auteur de ces lignes n’exprime qu’une idée personnelle, son idée, qui n’entraine pas nécessairement l’adhésion de tous les libertaires, comme vous vous l’imagineriez peut-être.

Pour en revenir au point particulier qui nous occupe, si j’admettais un moment la nécessité d’une généralisation de la pensée humaine sur un point donné : philosophie, morale, sociologie, je renierai immédiatement ce que j’estime être la base même du principe libertaire et, inévitablement, — concluant du particulier au général, — je m’efforcerai d’amener le plus de monde possible à penser comme moi, de sorte que cette soi-disant généralisation de la pensée humaine aboutirait, au bout du compte, à l’érection, en dogme, de ma propre pensée. De là, si nous étions les plus forts, moi et ceux qui pensent comme moi, à établir des codes et des magistrats pour réprimer les infractions à ce mode imposé de pensée, il n y aurait qu’un pas.

Or, la véritable éducation libertaire consiste non, pas à amener autrui à penser comme moi, mais à rendre autrui capable de penser et d’agir pour soi en respectant ma façon de penser et d’acter. Voici pourquoi je fais de la besogne anti-sectaire, ce que me reproche l’entrefilet en question.

Qui dit sectaire dit fanatique, dans la plus mauvaise acception du mot. Qui dit sectaire sous-entend par là même poser un obstacle à la libre recherche personnelle et supprimer le libre choix individuel. Une éducation sectaire — économique où intellectuelle — comprime, étouffe le développement de la pensée ; elle fait des cerveaux moulés sur le même modèle, elle est incapable de faire des hommes libres.

Point sectaire, et je m’y tiens vaillamment, je me contente de chercher la solution du problème humain, qui ne se résout pas comme une équation: il y a d’ailleurs des équations irrésolubles comme il y a des êtres qui échappent à toute compréhension. J’expose honnêtement les résultats auxquels je suis parvenu, les réflexions que l’histoire passée set l’expérience présente m’ont suggérées, je les compare impartialement avec les conclusions formulées par d’autres, ceux qui me précédèrent comme mes contemporains (1). Je communique mes réflexions à ceux qu’elles intéressent non pas dans le but de les amener à partager les fruits de mes comparaisons, mais pour les pousser à réfléchir eux-mêmes.

Parce que je ne suis pas sectaire, je ne saurais considérer comme fatalement inévitables les déductions de d’Anthropologie, de la Biologie ou de ce qu’on s’appelle la Science Sociologique par exemples. Ce sont d’excellents outils, mais tout comme la pioche ou la pelle, elles n’ont d’autre valeur que celle de conceptions humaines, — donc valeur relative. Je m’en sers comme d’outils utiles pour un temps donné auxquels succèderont un jour des instruments plus perfectionnés.

« L’Evolution doit inévitablement aboutir ici ou là », clament les faux prophètes dont cette affirmation facilite singulièrement la tâche de séduire la foule. Qu’en savent-ils? Cette façon sommaire d’envisager les, choses mène tout nettement au fatalisme ; la pire des résignations, doctrine anti-libertaire, anti-révolutionnaire par excellence. Or, jeune suis pas fataliste. (2)

Communiste intégral au point de vue économique et social, — individualiste au point de vue moral et intellectuel, — philosophique, spirituel, — si vous voulez, qui me prouve que cette solution-là convienne ou puisse convenir à tous ? (3) Ce que j’ai sous les yeux ne me le prouve pas pour commencer. Comment, en toute conscience, irai-je orienter une foule vers une solution unique, excluant la possibilité de choisir entre toutes les solutions du passé et de l’heure actuelle (4) ?

Des continents se sont effondrés sous les mers, des civilisations ont disparu, supérieures peut-être à tout ce que nous concevons par l’histoire des civilisations ultérieures, des mondes parcourent silencieusement l’Indéfini dont les habitants peuvent se rire de notre cléricalisme d’êtres inférieurs, malheureux, parasites que nous sommes du globe terraqué, tremblants devant les accidents météorologiques. Les forces de l’univers se jouent dé l’ignorance où nous nous trouvons de notre raison d’être, l’A B C pourtant du problème humain. Et, alors que nous bégayons à peine, on nous assure le bonheur a tous, vous entendez bien, moyennant une formule donnée (4). C’est trop bon marché pour que ça vaille grand chose et ça se ressent trop des tréteaux de la foire.

La victoire d’un parti de sectaires impliquerait le triomphe d’une tyrannie qui ne le céderait en rien à celle des autoritaires de tous les temps : à quelques-uns nous nous dressons, cherchant à nous émanciper d’abord nous-mêmes, pour en émanciper d’autres ensuite et, selon nos affinités, nous grouper avec eux, puis, ainsi faisant, en émanciper Un toujours plus grand nombre, tels des cercles concentriques. Mais, émancipés, intellectuellement tout au moins, de l’autorité de l’Eglise ou de celle de l’Etat, qu’on ne s’attende pas à ce que nous nous placions sous le joug de l’inévitable évolution. Etres doués de sentiment et de raison, nous entendons réagir au contraire contre toutes les déductions rigoureuses et fatales. C’est en réagissant ainsi que nous affirmerons notre individualité, que nous comprendrons notre raison d’être, que nous aiderons les autres à se créer un destinée,, sans accepter autrement que pour eux-mêmes une solution plutôt qu’une autre, sans en rejeter aucune sauf celles dont l’application entraverait la libre entente entre les hommes.

Je sais que cette façon d’envisager l’émancipation n’est pas celle qu’on a coutume d’applaudir dans les réunions publiques. Les conducteurs de peuple ont si bien pétri la masse qu’elle éprouve une sorte de terreur à se passer de solutions toutes tracées d’avance. Les guides n’ont jamais enlevé le bandeau qui couvrait les yeux des guidés, Voilà l’œuvre à faire. Ayez l’idéal que vous voudrez pourvu qu’il n’entrave ni votre développement ni celui d’autrui. On trompe, on abuse la foule depuis trop longtemps ; c’est l’heure de parler franchement et de crier aux individus : « Le salut n’est pas dans une conception économique ou intellectuelle déterminée très souvent par quelqu’un dont les besoins et les aspirations sont ou furent autres que les vôtres, le salut est en vous ». Où sont les pionniers — le levain qui fera lever Ioule la pâte ?

E. Armand.

1. Il se peut que la solution proposée par un, de nos ancêtres intellectuels nous satisfasse, à plusieurs camarades, plus que toute autre du présent. Au nom de l’inévitable évolution, renoncerons-nous à la mettre en pratique ? Quelle valeur effective ont d’ailleurs ces termes : présent, passé, avenir?

2. Toute révolution dont le but est de changer les conditions actuelles d’un milieu donné pour les remplacer par d’autres, déterminées d’avance ou pour obéir à je ne sais quelles lois fatales n’est pas une révolution. La véritable révolution c’est celle qui faisant table rase du préconçu et du préjugé, mettra à même les hommes de se grouper et de choisir le mode de vivre et de penser qui leur convient, mode de voir et de penser toujours modifiable, sans cesse révisable, jamais définitif. C’est pour cela que la révolution doit commencer par l’individu. C’est dans les têtes et dans les cœurs que les transformations ont à s’accomplir avant de tendre les muscles et de se changer en phénomènes historiques (Elisée Reclus).

3. Cette solution ne m’a pas été imposée, je m’y suis rallié librement. Je ne saurais l’expérimenter qu’avec des êtres convaincus comme moi qu’elle assurera notre développement mutuel. Il ne me viendrait pas à l’idée de l’expérimenter avec des personnes y converties à la suite d’une réunion publique ou d’une simple lecture, c’est-à-dire suggestionnées.

4. On me reprochera de dépeindre très souvent la Société Idéale comme une association d’êtres ne connaissant d’immoralité autre que la violence et le mensonge. C’est une formule cela. C’est vrai, mais c’est une formule transitoire compréhensible actuellement dans un monde où l’on use encore de violence et où on pratique encore le mensonge, usage et pratique essentiellement négatrices de toute société libertaire. Là où violence et mensonge seront inconnus, la formule n’aura point de raison d’être puisqu’elle né sera plus comprise.

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A propos de l’entente libertaire

Résultats d’une consultation entre camarades

— Vous demandez à vos camarades ct amis, une sorte de consultation sur vos efforts en vue d’établir l’entente entre Libertaires dont l’Ere Nouvelle serait l’organe pour arriver à l’harmonie au bon accord, dont vos groupes et vos milieux ont tant besoin.

Ce n’est pas, croyez-le bien, sans réglementation aucune alors que tout, absolument tout, dans la Nature est réglé, formé el transformé, que le même germe produit la même plante, l’arbre ou l’animal quelconque, que vous arriverez à l’édification de la cité future, d’où seront bannies l’exploitation et l’oppression des individus entre eux, la tromperie, la tuerie humaine et les dévastations abominables qui ont pour conséquence de produire la disette au sein même de l’abondance, la famine et la peste, au lieu et place du contraire dans toutes les nations du monde qui se disent erre chrétiennes et civilisées !!!

Si les uns et les autres nous voulons être conscients et conséquents pour édifier la Société de justice dont vous parlez, ceci est déjà une règle qu’il faut être conscient pour coopérer librement à l’éducation de la cité de Justice, qui n’admet rien de ce qui lui est contraire, ce qui est encore une autre règle, un dogme ou une vérité, que vous ne songez pas à établir, à formuler encore moins à proclamer et vous avez tort, selon moi.

Sur les principes que vous avancez « libre accord, harmonie, développement intégral de l’Individualité humaine, affranchie de toute influence oppressive extérieure, autre que celle de la Nature et du Milieu social librement et constamment accepté par chaque Individualité, » je suis absolument d’accord avec vous, nous différons seulement quant aux moyens pour y parvenir. Mais comme il y a place pour tous dans le vaste univers, à chacun d’occuper la place qui lui est assignée.

V. Almeyras.

— Quel est le point de départ des philosophies libertaires (combien complexes). « Nous ne voulons plus d’autorité ». L’alpha et l’oméga anarchiste, dit quelque part Emile Gautier, pourrait consister en ceci « Je ne veux… embêter personne, je ne veux pas qu’on m’embête ». Dès lors, qu’importent les développements apportés pat· chacun à celle idée première. Le principal, est de s’entendre sur ce point.

Dans ln société que nous rêvons, serons-nous tous taillés sur le même patron? Nous nous grouperons par affinités, par tendances. Pourquoi nous chicaner dans le présent à propos d’étiquettes. Que chacun fasse sa propagande suivant son tempérament, son caractère.

Je connais des camarades qui potassent la métaphysique et vont puiser jusque dans les Védas pour aboutir au communisme libertaire et d’autres qui partent de leur « moi » pour parvenir au même but. Qu’importe, au fond !

Quant à nous, partisans des Milieux Libres, ce qui fait notre simplicité et notre force, c’est que nous ne demandons pas au camarade de nous exhiber une orthodoxie libertaire : « Tu hais l’autorité, bien, travaillons ensemble ! cherchons sans trop couper de cheveux en quatre à atteindre un but positif. S’il y a des empêcheurs de tourner en rond, ne nous occupons pas d’eux ».

G. Pollet.

— Pius j’étudie la société actuelle dans son organisation générale, plus je suis convaincu de la nécessité d’une grève générale capable de déterminer la révolution sociale, laquelle mettrait le prolétariat à même de prendre possession de la terre, des instruments de production, etc., et de s’organiser harmonieusement sans maitres, sans lois, sans armée et sans religion.

Mais dois-je pour cela mépriser et combattre quiconque ne pense pas absolument comme moi ? Point ! Respectueux avant tout et par dessus tout, de la liberté individuelle, je reconnais a chacun le droit et la liberté de penser selon sa conscience, son tempérament, son caractère et le degré de son éducation.

Quiconque tolère que j’exprime librement ce que je pesse et ne se proposé pas de m’opprimer est mon ami.

H. Sartoris

— Voici ma réponse à votre) consultation en toute franchise, dussé-je être traité de calotin, comme je l’ai été traité dernièrement à Tours, alors que j’émettais les mêmes idées, qui me sont chères, et que je crois justes. Soyons, nous libertaires, les vrais chrétiens, — là, voilà le grand mot lâché —, c’est-à-dire, rapprochons-nous du Chris! non pas du Christ ridiculisé, déifié par le catholicisme, mais du Christ Révolutionnaire, qui mourut pour ses idées, il y a 19 siècles environ. Inspirons-nous de lui, ne craignons pas de le prendre pour drapeau, arrachons-le à l’église, c’est un des nôtres, et non des moindres, combattons-en son nom, et finalement la victoire nous restera. Dépouillons-le de sa fausse divinité, inventée par les hommes. Ce qu’il perdra comme Dieu, il le gagnera comme homme. Alors, maïs alors seulement, quand il sera sorti des sanctuaires noirs, il rentrera dans le cœur du peuple qui le vénèrera à l’égal des grands martyrs de sa cause, et s’inspirera de son véritable Evangile, dépouillé de tous les sophismes qu’on y a ajoutés. Et ce jour-là, sera notre triomphe !

R. Blanchet.

Je sens profondément la beauté de l’œuvre de paix et d’amour qui vous séduit.

Si elle est une erreur, elle est de celles qui reculent les limites de l’héroïsme el je l’aime par la force qu’elle exige.

Je la confesse comme anarchiste quand, elle s’unit au respect de ceux qui ayant pratiqué la bonté, la justice, la patience jusqu’à l’extrême limite de leur force, vainqueur de la mort en eux, plutôt que de s’affaisser choisissent de tomber dans un geste d’effroi pour ceux qui ne vivent que dans, cour et par leur carcasse, pour laquelle ils accaparent tout, même la force.

Dans le partage des vieilles étiquettes il vous est échu celle le spiritualistes et si j’y eusse été, tel que je suis devenu, l’aurais emporté celle de matérialiste qui très probablement autant que l’autre ne couvre que notre ignorance.

La chute des étiquettes ct le discrédit des clichés marquera le jour de l’entente libertaire. Vous faites très bien de rechercher ceux qui le pensent comme vous.

Je souhaite profondément que votre Ere Nouvelle garde sa personnalité propre, nécessaire aux libres recherches de la pensée moderne.

Vous m’êtes cher parles difficultés de vos luttes et par votre endurance à les soutenir. Je crois que vous êtes destiné à être reconnu quelque jour à côté des Temps Nouveaux pour notre deuxième périodique anarchiste.

Sur le terrain des réalisations pratiques où vous êtes engagé je vous accompagne de tous mes vœux, de toute ma foi, de tous mes plus chers espoirs.

L. C. Voconce.

— Le camarade Tchandala termine une appréciation très aimable pour notre revue, agrémentée de quelques critiques auxquelles nous répondrons quelque jour par cette analyse logique expliquant pourquoi il est naturien.

« La liberté la plus absolue et la facilite la plus parfaite sont nécessaire à la vie véritable.

« Or, à l’état de nature ‘cette liberté et cette félicité existent, parce que cet état échappe à la force autoritaire des gouvernements, la vie naturelle ou simple excluant toute autorité!

« Donc l’état de nature est le seul qui’ convienne aux formes organiques.

Tchandala.

(Nous ne croyons pas mieux faire pour terminer celte consultation que de résumer une lettre adressée par P. Kropotkine à notre ami Trégouboff Kropotkine tient pour considérable l’influence des pacifiques et des intellectuels et cite comme preuve la Révolution française préparée par les encyclopédistes, les Rousseau, les Voltaire, les Diderot. Selon lui pacifiques et révolutionnaires font une œuvre égale pour l’avènement de la révolution que ne pourraient accomplir seuls les révolutionnaires. D’ailleurs, il y a plus de pacifiques que de révolutionnaires, de sorte qu’on ne peut raisonnablement négliger leur influence. Cette lettre paraîtra plus tard, en partie tout au moins, dans l’Ere Nouvelle).

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[Kropotkin excerpt]

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Correspondance

Sur l’entente

Depuis déjà quelque temps j’avais l’intention de répondre à votre consultation à propos de l’entente libertaire, un travail excessif et la maladie n’en ont empêché jusqu’à présent. Je ne sais si mes réflexions seront de votre goût ; en tous cas, les voici en toute franchise :

Cette entente est-elle possible ?

Un penseur aussi impartial qu’un homme peut l’être, qui examinerait froidement la mentalité actuelle des libertaires répondrait hardiment : non:

Non pour le moment, parce que, entre libertaires d’aujourd’hui, les divergences sociales, basées sur dés divergences philosophiques et politiques, sont trop sensibles, La société est en train d’évoluer rapidement, personne n’ose le nier, toutes les écoles sociales sentent le moment assez proche d’une crise, et c’est pour cela que socialistes et anarchistes de toutes catégories font des efforts considérables pour faire triompher leurs principes et par suite pour faire échouer ceux de leurs contradicteurs qui, dans la lutte sociale, sont leurs ennemis. Ainsi un « anarchiste communiste matérialiste révolutionnaire violent » ne parviendra pas s’entendre avec un « anarchiste individualiste spiritualiste pacifique non violent ». Lequel des deux consentir à faire des concessions à l’autre puisqu’ils sont d’opinions opposées et que chacun d’eux prime sa théorie? Le conflit s’est nettement déroulé dernièrement, lors du congrès antimilitariste d’Amsterdam, et pourtant tous les libertaires y étaient réunis à propos d’une question sur laquelle ils étaient tous d’accord en principe : la lutte contre le militarisme. Que serait-ce pour des questions où les principes mêmes sont différents, telles que nombres de questions philosophiques, politiques et sociales ? — questions aussi passionnantes les unes que les autres ; or, où il y a passion il ya entêtement, car dans ces cas sociaux, la passion — désir puissant de faire triompher ses idées — se double d’une foi inébranlable.

Non pour demain, répondrait encore notre philosophe à la question précitée, parce que tous les anarchistes conscients et sincères, à quelque branche qu’ils se rattachent, veulent passionnément, par des moyens différents, le bonheur aussi large que possible de l’humanité. Mais la passion, auxiliaire puissante du propagandiste est en outre une source intarissable de discordes : Un propagandiste non animé par une passion ardente « enlèvera » peu son auditoire ; deux propagandistes également passionnés, mais d’opinions capitales contraires, malgré une discussion courtoise, n’arriveront pas à s’entendre. La passion n’accorde pas de concessions capitales, l’histoire le prouve.

Or je constate avec regret que la plupart des « anarchistes » ne font rien pour l’éducation saine de la volonté chez l’individu ces pourtant la volonté forte, énergique qui, seule, peut diriger la passion, maitriser ses emportements désordonnés et la transformer en une auxiliaire utile, capable de faire bon ménage avec la tolérance. Ils continuent donc à se laisser emporter par une passion déréglée — comme la feuille sèche par la tourmente — par une passion qui les maintient dans l’esprit étroit de parti, dans la religion de l’étiquette, dans l’odieux sectarisme qui s’opposera toujours à l’entente. Demain cette passion déréglée sera par conséquent aussi ardente, la foi qui la double Sera aussi inébranlable, ‘et l’entêtement qui nait de ces deux émotions sera aussi opiniâtre qu’aujourd’hui. Les anarchistes seront obligatoirement aussi divisés qu’ils le Sont maintenant, avec cette différente que les partis devenant plus nombreux, les principes plus la lutte sera plus chaude, et si dans la société de demain la lutte de classes disparaîtra, la latte de partis subsistera. L’irritation avec laquelle dernièrement les « délégués français » du Congrès antimilitariste d’Amsterdam ont accueilli le manifeste basé sur la résistance sans violence des anarchistes-chrétiens, semble appuyer mes prévisions.

Toutefois, ce pronostic pessimiste ne doit point paraitre décourageant. Au contraire, redoublons de courage, efforçons-nous de lutter plus intelligemment pour l’édification de la Cité que nous rêvons. Soyons fidèles à l’idéal de bonté et dé justice que nous avons reconnu le meilleur. N’anathématisons pas dé parti pris les philanthropes qui veulent ardemment le bien de l’humanité mais qui prétendent y arriver par des moyens nous paraissant par trop pacifiques. Je suis complètement de l’avis de Kropotkine qui tient pour considérable l’influence des intellectuels eu des pacifistes. Les deux preuves! qu’il cite : 1° Révolution française préparée par les encyclopédistes, les Rousseau, les Voltaire, les Diderot ; — 2° effort de pacifistes plus nombreux que les révolutionnaires pour l’avènement de la révolution, — démontrent suffisamment sa proposition.

Continuons, à faire des prosélytes, mais, à mon avis, ne montrons pas de violence, n’essayons pas de violenter les esprits, nous les effaroucherions et ils nous échapperaient ; nous arriverons à les capter plutôt par la persuasion, par la discussion courtoise, par la propagande pacifique qui s’adresse à la raison. Ne soyons pas haineux, que personne ne puisse voir en nous des mécontents de la société n’ayant au cœur que le désir âpre, égoïste de nous venger par tous les moyens, alors que notre mécontentement se prolonge par le désir aussi noble que vif d’élever l’humanité à un niveau. de bonheur qu’elle peut atteindre. Que nul ne puisse nous prendre pour des agents de destruction et de mort quand nous sommes véridiquement des agents d’édification et de vie.

Tels sont les principes de propagande que je me suis proposes, je les suis et je m’en trouve bien. Ils cadrent, je crois, avec les vôtres et c’est pourquoi je m’intéresse fort à notre Revue anti-sectaire bien que n’étant pas de votre avis Sur quelques questions ; notamment au point de vue philosophique je suis matérialiste convaincu et je combats autant que je peux l’idée théosophique sous toutes ses formes. Cela ne m’empêche pas de faire envoyer on d’envoyer moi-même quelques numéros de l’Ere Nouvelle à mes ami

Maurice Marcel.

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