E. Armand, “Plan for an Anarchist Individualist International” (1927)

Projet d’une Internationale
individualiste anarchiste

En premier lieu, l’anarchie pour les anarchistes et non point pour les syndicalistes, les libres penseurs ou les autres, assez grands garçons pour faire leurs affaires eux-mêmes. En second lieu, réalisation concrète, conséquence logique du fait que si nous sommes des asociaux, nous sommes éminemment sociables : Formation d’une Internationale individualiste anarchiste basée pour commencer sur les réalisations suivantes :

A) D’ordre intellectuel : Groupes d’éducation anarchiste basés sur le libre examen et la libre discussion des méthodes, des systèmes s’adressant à l’intellect. Consolidation et sélection de mentalités réfractaires à tout enseignement unilatéral, ou dogmatique ou de classe.

Création d’écoles (écoles du jeudi, écoles de vacances, écoles du soir, si on ne peut pas faire mieux) dont le but est de faire chez l’enfant table rase des notions préconçues, des préjugés héréditaires et de les préparer à acquérir une mentalité capable de résister aux attaques et aux empiétements du spiritualisme, de l’idéologie doctrinale, de la moralité bourgeoise ou de la morale de classe ; aux séductions des prêcheurs de paradis ou de société future — une mentalité de démolisseur-reconstructeur, un tempérament d’irrésigné-expérimentateur.

De même qu’on peut vouloir se consacrer uniquement à la propagande individualiste d’ordre intellectuel ou éducatif — on peut n’être amené à l’individualisme anarchiste que par ses méthodes d’éducation, ses procédés d’enseignement.

B) D’ordre récréatif : Art, littérature, jeux conçus et voulus en dehors des conceptions classiques, du texte reçu — autrement que dans un but social ou dans l’intérêt d’une classe, etc.

De même qu’on peut vouloir se borner uniquement à la propagande individualiste dans le domaine littéraire, artistique, dans la sphère des jeux — on peut être attiré vers l’individualisme anarchiste par sa façon adogmatique, hors-école, indépendante de l’esprit de classe, de concevoir l’art, la littérature, les jeux.

C) D’ordre sexologique : Émancipation sentimentale et sexuelle de l’individu-unité. Thèse de l’abolition de la cohabitation et de la famille, ou thèse de la vie en commun sans tenir compte ou prendre au sérieux famille et cohabitation. Thèse de la maternité fonction purement individuelle et affaire exclusive de la mère. Thèses diverses en réponse aux problèmes que soulève la question sentimentalo-sexuelle : liberté sexuelle, amour libre, associationnisme érotico-sentimental, camara­derie amoureuse, campagne contre la jalousie. Thèse de l’exclusivisme et de l’unicité en amour comme obstacle à la pratique de la camaraderie efficace, d’une plus ample réciprocité, etc. Thèse de l’interchangeabilité des éléments des associations de cohabitation. Thèse de l’enfant s’appartenant à lui-même et mis en situation de choisir aussitôt que possible son milieu familial ou ses éducateurs ou initiateurs, etc.

De même qu’on peut se limiter exclusivement à une propagande visant uniquement la destruction des préjugés sentimentalo-sexuels, la jalousie, l’exclusivisme en amour, la pudeur, la conception archiste de la famille ou de la cohabitation, etc., on peut être amené à l’individualisme anarchiste par la façon dont on y traite librement de ces questions, par les solutions audacieuses qu’on y apporte.

D) D’ordre économique : Toute réalisation visant à ce que, dans ce domaine comme ailleurs, l’unité-individu reçoive, associé ou non, selon son effort et spécialement au point de vue économique — à ce que l’unité-producteur reçoive le produit intégral de son travail. Plus s’amincit la marge qui sépare l’unité-producteur de la conquête du produit intégral de son travail et plus proche est la réalisation de la conception individualiste anarchiste. Une des premières conditions est la suppression des intermédiaires.

D’où création d’associations d’artisans agricoles, industriels ou intellectuels, échangeant entre eux leurs produits. ( Nous défendons ici cette thèse que tout autant la surpopulation, la production « en troupeaux » est contraire à l’esprit individualiste. Le travail en troupeau engendre l’esprit grégaire, uniformiste, conformiste, majoritaire, militariste.)

Caisses ou associations d’assurances contre les aléas de la vie en anarchie, quels qu’ils soient : maladie, chômage, vieillesse, emprisonnements pour un motif quelconque, exil, incapacités temporaires ou définitives.

Caisses ou associations de crédit destinées à faire des avances aux camarades artisans agricoles, industriels, intellectuels, souhaitant s’évader du patronat. Cela sous certaines conditions de garantie et sans prélèvement d’un intérêt autre que celui nécessaire au fonctionnement desdites associations. Émissions de chèques ou bons ( ayant pouvoir circulant international ) d’échange, entre tous les adhérents à cette internationale.

Il reste, bien entendu, à établir les modalités et à rédiger les statuts ou contrats permettant à pareilles associations de fonctionner en régime capitaliste ou étatiste. Le but visé est la création de centres, cellules ou de laboratoires où sans attendre « le grand soir » ou « le lendemain de la révolution » les individualistes anarchistes puissent se rendre compte de la valeur pratique et technique de leurs thèses ou de leurs aspirations.

E) Mais cette Internationale de réalisations est conséquente à une mentalité générale de camaraderie absolument différente de la mentalité petit-bourgeois, petit-rentier, petit-pompier qui caractérise tant d’anarchistes, de révolutionnaires, d’hommes et de femmes qui se proclament d’avant-garde à s’en décrocher la mâchoire. Si la fréquentation des anarchistes nous expose à retrouver chez eux la mentalité du mercanti d’en face, de la croyante d’à côté, de l’électeur du coin, autant rester chez soi. Si c’est pour rencontrer dans les milieux anarchistes l’hypocrisie et le mensonge des milieux petit-bourgeois — autant ne pas les fréquenter. Si c’est pour s’abaisser à toutes les constrictions et restrictions en usage chez les petits-rentiers, peste soit des camarades et de la camaraderie !

La fréquentation des camarades s’explique par la recherche du bonheur individuel, parce qu’on attend à trouver une mentalité et des mœurs autres que chez les petits-pompiers de l’ambiance sociale ; la fréquentation entre camarades sous-entend donc la mise à son profit personnel — à charge de revanche — de cette mentalité et de ces mœurs.

Nous appelons « milieu de camaraderie individualiste anarchiste » un milieu affinitaire où, en dehors de toute immixtion où ingérence extérieure à ses constituants, chacun accomplit un effort soutenu et persévérant pour que ledit milieu prospère et s’accroisse et en retire, par le jeu de la réciprocité, la satisfaction de ses désirs ou de son déterminisme particulier. N’est pas un milieu de camarades celui où l’on peut éprouver le sentiment qu’on a donné davantage qu’on a reçu ou reçu davantage qu’on a donné, qu’on a été “ roulé ”, à un point de vue ou à un autre.

Fréquenter des anarchistes pour s’y trouver aussi malheureux que parmi les archistes, le jeu n’en vaut pas la chandelle…

Fréquenter des anarchistes pour y étouffer dans une atmosphère de mutilation intellectuelle ou d’estropiement de la vie des sens, cela n’en vaut vraiment pas la peine.

Et une Internationale individualiste anarchiste n’est possible que si ceux qui la compose possèdent d’abord une mentalité et des mœurs à eux, bien à eux, dégagées de la crainte d’expérimenter, affranchies de la peur de vivre.

Plan for an Anarchist
Individualist International

In the first place, anarchy for the anarchists and not for the syndicalists, the free thinkers or others, who are big enough boys to manage their own affairs. In the second place, concrete realization, logical consequence of the fact that, if we are asocial, we are eminently sociable: Formation of an Anarchist Individualist International based, to begin with, on the following relations:

A) Of the intellectual order: Groups for anarchist education based on free enquiry and the free discussion of the methods and systems addressed to the intellect. Consolidation and selection of minds resistant to all unilateral, dogmatic or class-based education.

Creation of schools (Thursday schools, vacation schools and night schools, if we cannot do better) whose aim is to make a clean break in the child with preconceived notions and hereditary prejudices, and to prepare them to acquire a mentality capable of resisting the attacks and encroachments of spiritualism, doctrinal ideology, bourgeois morality or class morals, as well as the seductions of those who preach of paradise or the future society — the mentality of a demolisher-reconstructor, the temperament of an unresigned experimenter.

Just as we can wish to dedicate ourselves solely to individualist propaganda of the intellectual or educational order — we can only be led to anarchist individualism through its educational methods, its teaching processes.

B) Of the recreational order: Art, literature and play, conceived and desired apart from classical conceptions and received texts — otherwise than for a social aim or in the interest of one class, etc.

Just as we may wish to confine ourselves solely to individualist propaganda in the literary and artistic domain, in the sphere of play — we can be drawn toward anarchist individualism by its a-dogmatic, non-sectarian manner, independent of the spirit of class, of thinking of art, literature and play.

C) Of the sexological order: Sentimental and sexual emancipation of the individual-unity. Theory of the abolition of cohabitation and the family, or theory of life in common without considering or taking seriously the family and cohabitation. Theory of maternity as a purely individual function, the exclusive business of the mother. Various theories in response to the problems raised by the sentimental-sexual question: sexual liberty, free love, erotico-sentimental associationism, amorous camaraderie, campaign against jealousy. Theory of exclusivity and unicity in love as an obstacle to the practice of effective camaraderie, of a broader reciprocity, etc. theory of the interchangeability of the elements of the associations of cohabitation. Theory of the child belonging to itself and being put in a position, as soon as possible, to choose its familial environment, its educators or instructors, etc.

Just as we can limit ourselves exclusively to a propaganda aiming solely at the destruction sentimental-sexual prejudices,—jealousy, exclusivity in love, prudishness, the archist conception of the family or cohabitation, etc.,—we can be led to anarchist individualism by the manner in which it treats these questions freely, through the audacious solutions that it brings to them.

D) Of the economic order: Every attempt to ensure, in this domain as in others, that the individual-unit receives, whether associated or not, according to their effort and specifically from the economic point of view — that the producer-unit receives the full product of its labor. The slimmer the margin that separates the producer-unit the conquest of the full product of their labor, the closer we come to the realization of the anarchist individualist idea. One of the first conditions is the elimination of intermediaries.

Hence the creation of associations of agricultural, industrial or intellectual artisans, exchanging their products among themselves. (We defend here the theory that, just as much as overpopulation, production “in herds” is contrary to the individualist spirit. Herd labor gives rise to a spirit that is ovine, uniformist, conformist, majoritarian and militarist.)

Funds or associations for insurance against the hazards of life in anarchy, whatever they may be: sickness, unemployment, old age, imprisonment for any reason whatsoever, exile, temporary or permanent disabilities.

Funds or associations of credit, intended to make advances to comrades—artisans, agricultural and industrial workers, or intellectuals—hoping to escape the bosses, under certain conditions of guarantee and without the deduction of any interest other than that necessary to the functioning of those associations. Issues of checks or bills of exchange (having international circulating power), among all the members of this international.

It remains, of course, to establish the ways and means, and to draft the statutes or contracts permitting such associations to function in the capitalist or statist regime. The intended aim is the creation of centers, cells or laboratories where, without awaiting “the great day” or “the morrow of the revolution,” the anarchist individualists could make themselves aware of the practical and technical value of their theories and aspirations.

E) But this International of accomplishments is the consequence of a general mindset of camaraderie absolutely different from the petit-bourgeois, petit-rentier, pompous and small-minded mentality that characterizes so many anarchists and revolutionaries, so many men and women who proclaim themselves avant-garde in order to make jaws drop. If the company of anarchists exposes us to finding among them the mentality of the merchant across the street, of the believer next door, of the voter on the corner, we might as well stay home. If we are to encounter in the anarchist milieus the hypocrisy and lies of petit-bourgeois circles — we might as well not frequent them. If we are to stoop to all the restraints and restrictions in usage among the little rentiers, a plague on camarades and camaraderie!

Time spent in the company of camarades is explained by the search for individual happiness, because we expect to find a mentality and manners other than those of the pompous little men we find in society; so keeping company among camarades presupposes that each draws a personal profit — provided they will return the favor — from that mentality and those manners.

What we call the “milieu of anarchist individualist camaraderie” is a milieu based on affinity where, apart from all interference or intrusion external to its constituents, each accomplishes a sustained and resolute effort so that this milieu prospers and grows and so that they draw from it, through the play of reciprocity, the satisfaction of their desires or of their particular determinism. A milieu of camarades is not one where we can have the feeling that we have given more than we received or received more than we have given, that we have been “conned”, from one point of view or from the other.

To spend time with anarchists, just to find oneself as miserable as among the archists—the game is not worth the candle…

To spend time with anarchists, just to be smothered in an atmosphere of intellectual mutilation or a crippling of the life of the senses—that is truly not worth the trouble.

And an Anarchist Individualist International is only possible if those who form it possess first of all have a mentality and habits of their own, very much of their own, released from concerns about experimentation, freed from the fear of living.

from Les Différents visages de l’anarchisme

Working Translation by Shawn P. Wilbur

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