Le Radical, February 13, 1887, 1-2.
La question sociale s’impose de plus en plus à l’attention publique.
Nous avons toujours regardé l’étude des problèmes qu’elle comporte comme intéressant bien autrement la nation que le récit des intrigues parlementaires. Aussi avons-nous décidé de lui donner une place plus importante dans les colonnes du Radical.
Nous commençons aujourd’hui la publication d’une série de Lettres socialistes, de M. Ernest Lesigne. Nous laisserons, bien entendu, la responsabilité de ses opinions à notre nouveau collaborateur, comme nous lui laissons toute liberté. Nous savons d’ailleurs, par tous ses travaux passés, qu’il est de ceux qui cherchent une solution, non dans l’accroissement de là tyrannie de l’Etat, mais dans l’extension de l’initiative individuelle, et dans le développement de l’indépendance humaine.
HENRY MARET.
The social question imposes itself more and more on the attention of the public.
We have always regarded the study of the problems that it entails as much more interesting to the nation than the recital of parliamentary intrigues. So we have decided to give it a more important place in the columns of the Radical.
We begin today the publication of a series of Socialist Letters, by Mr. Ernest Lesigne. We will, of course, leave the responsibility for his opinions to our new collaborator, as we leave him completely free. We know, moreover, from all his past works, that he is one of those who seek a solution, not in the growth of the tyranny of the State, but in the extension of individual initiative, and in the development of human independence.
HENRY MARET.
LETTRES SOCIALISTES
I
Je vous ai déjà dit, mon cher ami, que la socialisation des moyens de production est un dogme ; qu’un dogme se proclame, s’enseigna, s’impose ; qu’il a ses fidèles, ses apôtres, ses sectaires, ses gogos, ses prêtres, ses martyrs et ses illuminés ; mais qu’il ne s’ouvre pas, ne se justifie pas, ne se démontre pas.
Le dogme, c’est le mystérieux, c’est l’obscur, et vous me demandez d’y projeter de la lumière, sous prétexte que j’ai pris pour devise : « Ce qui n’est pas clair n’est pas vrai. » : Quelqu’un a-t-il jamais éclairé les dogmes de la transsubstantiation, de l’incarnation et de la trinité ! Et pourtant des millions et des millions d’hommes y ont cru. Pour eux on s’est disputé, battu, torturé ; pour eux des générations, des nations entières ont été anéanties ; et ils ont coûté les guerres des Albigeois, les massacres du seizième siècle, la Saint-Barthélemy, la révocation de l’édit de Nantes et l’Inquisition.
La socialisation des moyens de production est la religion du jour; elle a ses adeptes du Nord au Sud, et de l’Orient à l’Occident ; elle se confesse, dans des journaux, des revues, des meetings, des congrès ; elle commande à des armées, et vous lui demandez, profane, de vous apporter des preuves!
Est-ce que ses adhérents ont réclamé des preuves? et ils sont presque aussi nombreux que les étoiles du ciel — visibles à l’œil nu. Est-ce que ses apôtres, ses chefs eux-mêmes ont réclamé des preuves ?
Ils ont cru, croyez. Ils ont suivi, suivez. Ils ont lancé le mot d’ordre, obéissez.
Vous m’objectez que, libertaire, vous n’êtes pas obéissant; que suivre dans ces conditions c’est prendre rang parmi les moutons de Panurge, et vous m’envoyez cet argument triomphal que vous ne pouvez croire sans savoir.
Hélas ! moi non plus.
Apprenons donc, et puisqu’on n’est jamais si bien renseigné que par soi-même, renseignons-nous, et courons quelque peu, par monts et par vaux, prendre ledit dogme sur le fait, et nous rendre compte s’il est vraiment si réfractaire à l’analyse.
Il fait partie du bagage chrétien. Le christianisme est une revendication des exploités, des souffreteux, des pauvres, contre les exploiteurs, les puissants, les riches.
Contre l’iniquité de la répartition, il a protesté par ce cri instinctif, autant qu’inconscient, de toute révolution sociale en enfance : Communisme.
Ecoutez les pères de l’Eglise.
Saint Bazile dit : « Le riche est un larron. »
Saint Jean-Chrysostome : « Le riche est un brigand. »
Saint-Jérôme : « L’opulence est toujours le produit d’un vol. »
Saint-Clément : « C’est l’iniquité qui a fait la propriété privée. »
Conclusion :
Plus de propriétés privées, tout en Commun, et alors, plus de larrons, plus de brigands, plus d’opulence et plus d’iniquité.
Vous voyez, la solution est simple, immédiate, commode, et se passe facilement de science et même de réflexion.
Peut-être est-elle soumise à quelques illusions et désenchantements.
Application : (Actes des Apôtres IV, 34, et suiv.)
« Personne n’était pauvre parmi eux ; parce que tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient, et en apportaient le prix ; » — aujourd’hui on ajouterait les outils, et la distribution, visée au prochain paragraphe, se ferait en nature.
« Qu’ils déposaient aux pieds des apôtres ; ensuite on le distribuait à chacun selon qu’il en avait besoin. »
C’est la pure doctrine communiste, simple comme l’enfant qui vient de naître, et non encore adultérée, en vue des résistances de ces gens, qui, sous prétexte de liberté, répugnent à aller déposer n’importe quoi aux pieds de n’importe qui, et à aller quémander, des mains de n’importe qui, n’importe quoi.
Sanction :
« Alors un nommé Ananie, avec Saphyre, sa femme, vendit un champ.
« Et de concert avec sa femme, ayant retenu une partie du prix, il apporta le reste et le mit aux pieds des apôtres.
« Mais Pierre lui dit : « Comment Satan a-t-il tenté votre cœur jusqu’à vous faire mentir au Saint-Esprit? — le contrôleur du temps — et tromper sur le prix du champ?
« A ces paroles, Ananie tomba et expira, et une grande crainte se répandit sur tous ceux qui apprirent cette mort »
Le communisme chrétien inaugurait la tradition de tous les communismes venus et à venir, qui ont toujours compris, dans leurs moyens d’action, une salutaire terreur.
« Aussitôt, quelques jeunes gens emportèrent le corps et l’ensevelirent. »
Pour corser la terreur :
« Environ trois heures après, sa femme entra, ne sachant rien de ce qui était arrivé.
« Et Pierre lui dit :— « Femme, dites-moi, n’avez-vous vendu votre champ que ce prix-là ? »
— « Oui, répondit-elle. »
« Alors Pierre lui dit : — « Comment vous êtes-vous entendus ensemble pour tenter le comité de contrôle? Voilà à la porte les pieds de ceux qui ont enseveli votre mari, et ils vous porteront aussi en terre. »
« Aussitôt elle tomba à ses pieds et elle expira. Et quand les jeunes gens furent entrés, ils la trouvèrent morte ; ils l’emportèrent et l’ensevelirent auprès de son mari ».
« Et une grande frayeur se répandit dans toute l’Eglise ».
Et c’est ainsi qu’on fonde de bonnes communautés.
Cette frayeur aidant, on continua, dans la suite des siècles, à apporter le prix des choses, puis les choses elles-mêmes, bien meubles et immeubles, aux mains de la collectivité chrétienne, comme on disait aujourd’hui.
Vous entendez bien que les « mains de la collectivité » constituent une expression métaphorique, et que ces mains se résolvent, dans la pratique, en un certain nombre d’individus préposés à la réception des propriétés privées, et à leur distribution ultérieure, « selon les besoins ».
Or, des mains, si c’est fait pour recevoir, même pour distribuer, c’est aussi excellent pour retenir. Vous connaissez le proverbe : « Ce qui est bon à prendre est bon à garder. »
Et puis des mains, c’est attaché à des bras, les bras à des corps doués de grands appétits, passions et autres qualités qui n’abandonnent pas les individus, même en collectivité.
Les administrateurs délégués, les comités exécutifs de la collectivité chrétienne, — vicaires, prêtres, évêques, papes, comprirent rapidement que le meilleur communisme est celui qui commence par soi-même.
A chacun selon ses besoins, disait la constitution.
Ces chefs de la communauté chrétienne, des délégués même élus le plus démocratiquement du monde, deviennent toujours des chefs dans les communautés, – les papes, évêques, prêtres et vicaires eurent besoin de bons aliments, de beaux vêtements, de splendides demeures, et ils se les distribuèrent ; l’appétit venant en mangeant, ils eurent aussi besoin de vastes domaines, de nombreux serviteurs, voire d’immenses collections de serfs et ils y satisfirent, selon la formule.
Les besoins des pasteurs ainsi apaisés, il ne resta sans doute pas grand chose pour le troupeau ; cependant quand il fut trop nu, ayant été trop tondu, quand il eut trop faim, et qu’il s’inclina bien bas, bien bas, jusqu’à implorer à genoux, on lui jeta quelques épaves du magasin social par charité.
Le peuple, qui s’était levé contre l’exploitation, retombait sous l’exploitation.
Sa haine du riche avait créé des riches; son cri d’affranchissement s’éteignait dans une prière d’esclave, et le plus horrible, le plus abrutissant, le plus exténuant, le plus dégradant, le plus humiliant des régimes, marquait le développement logique et la fin d’un essai de communisme, entrepris par des réformateurs convaincus, courageux, énergiques, sincères, probes, dévoués jusqu’au sacrifice, jusqu’à la persécution, jusqu’au martyre, jusqu’à la mort.
Pour avoir abandonné leurs biens, les hommes avaient perdu la liberté, la dignité, la sécurité.
SOCIALIST LETTERS
I
I have already told you, my dear friend, that the socialization of the means of production is a dogma; that a dogma is proclaimed, taught, imposed; that it has its faithful, its apostles, its dupes, its priests, its martyrs, and its visionaries; but that it is not opened, justified, demonstrated.
The dogma is by nature mysterious and obscure, and you ask me to throw some light upon it, on the ground that I have taken as my motto, “Whatsoever is not clear is not true.” Has any one ever thrown light on the dogmas of transubstantiation, incarnation and the trinity? And yet millions and millions of men have believed in them. For them we have fought, beaten and tortured one other; for them generations, entire nations have been annihilated; and they have cost us the wars of the Albigenses, the massacres of the sixteenth century, the massacre of St. Bartholomew’s Day, the revocation of the Edict of Nantes and the Inquisition.
The socialization of the means of production is the religion of the day; it has its adepts from the North to the South, from the Orient to the Occident; it is confessed in newpapers, magazines, meetings, congresses; it commands armies; and you, profane man, ask it to bring you proofs!
Have its adherents asked for proofs? And they are almost as numerous as the stars of heaven—visible to the naked eye. Have its apostles, its leaders themselves demanded proofs?
They have believed, so believe! They have followed, so follow! They have given the word of commend, so obey!
You make objection that you, being a libertarian, are not obedient; that to follow under such conditions is to take one’s place among Panurge’s sheep; and you send me the triumphant argument that you cannot believe without knowing.
Alas! no more can I.
Let us learn, then; and since we is never so well informed as by ourselves, let us inform ourselves and run for a little while, over mountains and through valleys, to lay hold of that dogma and find out for ourselves whether it is so resistant to analysis.
It forms a part of the Christian baggage. Christianity is a demand of the exploited, the wretched and the poor, against the exploiters, the powerful and the rich.
Against the iniquity of distribution it has protested with the instinctive and unconscious cry of every social revolution in its infancy: Communism.
Listen to the fathers of the Church
Saint Basil says: “The rich man is a thief.”
Saint John Chrysostom: “The rich man is a brigand.”
Saint Jerome: “Opulence is always the result of robbery.”
Saint Clement: “It was iniquity that gave rise to private property.”
Conclusion:
No more private property, everything in common, and then no more thieves, no more brigands, no more opulence, and no more iniquity.
You see, the solution is simple, direct convenient, and easily dispenses with knowledge and even with thought. It may be subject to some illusions and disenchantments.
Application (Acts, 4. 34 and following):
“No one among them was poor, for all those who possesed lands or houses sold them, and brought the prices of the things that were sold,”—today they would add tools, and the distribution indicated in the next verse would be made in kind,—”Which they laid at the apostles’ feet, and distributed it to each according to their need.”
That is the pure Communistic doctrine, as simple as the newborn child, and not yet adulterated in view of the resistance of those people who, under the pretext of liberty, are disinclined to go to lay no matter what at the feet of no matter whom, and to go to beg, from the hands of no matter whom, no matter what.
Penalty:
“But a certain man named Ananias, with Sapphira his wife, sold a field. [x]
“And kept back part of the price, his wife also being privy to it, and brought a certain part, and laid it at the apostles’ feet.
“But Peter said: Ananias, why hath Satan filled thine heart to lie to the Holy Ghost?” the auditor of the time, “and to keep back part of the price of the land?”
“And Ananias hearing these words fell down, and gave up the ghost: and great fear came on all them that heard these things”
Christian Communism inaugurated the tradition of all Communisms, past and future, which have always included in their methods of action a salutary terrorism.
“And the young men arose, wound him up, and carried him out, and buried him,”
To add to the terror:
“And it was about the space of three hours after, when his wife, not knowing what was done, came in.
“And Peter answered unto her: ‘Tell me whether ye sold the land for so much?’ And she said: ‘Yea, for so much.’
“Then Peter said unto her, ‘How is it that ye have agreed together to tempt the auditing committee? behold, the feet of them which have buried thy husband are at the door, and shall carry thee out,’
“Then fell she down straightway at his feet, and yielded up the ghost: and the young men came in, and found her dead, and, carrying her forth, buried her by her husband.
“And great fear came upon all the church.”
And this is the way they establish good communities.
This fear aiding, they continued, in the course of the centuries, to bring the prices of things, then the things themselves, actual property real and personal, and place them in the hands of the Christian collectivity, as it is called today.
You understand, of course, that the “hands of the collectivity” is a metaphorical expression, and that these hands practically resolve themselves into a certain number of individuals appointed to receive private property and to distribute it afterwards, “according to needs.”
Now, hands, though made to receive and even to distribute, are also excellently fitted to retain. You know the proverb: “What is good to take is good to keep.”
And besides, hands are attached to arms, and, arms to bodies endowed with strong appetites, passions, and other qualities, which do not abandon individuals, even in collectivity.
The delegated administrators, the executive committees of the Christian collectivity,—vicars, priests, bishops, popes,—quickly discovered that the best Communism is that which begins at home.
To each according to his needs, said the constitution.
These chiefs of the Christian community, for delegates, even though elected in the most democratic fashion in the World, always become chiefs in communities,—popes, bishops, priests, and vicars had need of good food, fine clothes, splendid residences, and they distributed them to themselves, their appetites coming as they ate, they also had need of vast domains, numerous servants, and even immense collections of serfs, and they satisfied these needs according to the formula.
The needs of the shepherds being thus appeased, there doubtless was not much left for the sheep, nevertheless, when they were too bare, having been too closely shorn, and when they were too hungry, and if they bowed very, very low and even begged upon their knees, a few bits were thrown them from the social warehouse. . . . by way of charity.
The people, who had risen against exploitation, again became subject to exploitation. Their hatred of the rich had created rich, their cry for freedom died out in a slave’s prayer, and the most horrible, the most stupefying, the most debilitating, the most degrading, the most humiliating of systems marked the logical development and end of an attempt at Communism undertaken by reformers of conviction, who were courageous, energetic, sincere, honest, devoted to the point of sacrifice, to the point of persecution, to the point of martyrdom, to the point of death.
Through having abandoned their goods, men had lost their liberty, their dignity, their security.
[Tucker / Wilbur]
Le Radical, March 5, 1887, 1-2.
II
Ou bien il faut qu’elle possède un de ces immenses toupets qui se perdent dans les nuages de l’inconscience, ou bien il faut qu’elle nous regarde comme de fameux imbéciles, cette aristocratie de gros et moyens propriétaires fonciers, pour, à tout bout de champ, après chaque récolte nouvelle, à chaque session législative, après ses loyers encaissés et serrés dans les spacieux coffres-forts, s’en venir ainsi clamer sa prétendue misère à la face d’un peuple de travailleurs harassés, aux poches vides, au ventre creux, au salaire déprécié par-le long chômage, d’un peuple qui manque souvent même du pain du jour et dont toute la vie s’écoule dans l’insécurité du lendemain.
Ce sont ces somptueux qui osent tendre la main aux loqueteux, ces luxueux qui sortent de leurs palais pour demander l’aumône à ceux dépourvus même de chaumière, ce sont ceux qui possèdent la terre qui prétendent exiger de ceux qui la grattent, un supplément de fortune, de jouissance, un supplément de loyer !
Que nous demandent-ils ? Presque rien. Que nous nous serrions le ventre d’un quart, que nous leurs versions vingt-cinq francs pour un blé qui en vaut vingt et devrait en valoir quinze au plus ; sans quoi, faute de dot suffisante, leur fille manquera un beau mariage, leur fils ne pourra phis subvenir aux menus besoins de la danseuse en vogue, et il faudra ajourner l’édification de l’aile projetée pour le château, laquelle ferait pourtant si bien !
Tant d’infortunes me fendent le cœur en un nombre considérable de morceaux ; malgré quoi il ne serait peut-être pas mauvais de mettre fin à la fumisterie du protectionnisme agricole, lucrative sans doute, mais qui n’a que trop duré.
— Ah ! vous ne craignez pas de provoquer le débat ! On l’accepte. Vous osez réclamer de plus gros subsides ; si l’on vous demandait des comptes ?
Assez longtemps vous avez berné le public. Un demi siècle et plus, vous avez rabâché sur tous les tons et par toutes les plumes à vos gages que le nouveau régime foncier avait effacé les iniquités de l’ancien, et mis aux mains du paysan la terre, que sur ce point, la réforme était faite et parfaite, et qu’il n’y avait plus qu’à chanter hosannah !
Il est temps de changer d’antiennes. La vérité, c’est que, sur 49 millions d’hectares de terres cultivables qui sont en France, 4 millions seulement, 4 millions d’hectares, pas davantage, appartiennent seuls à ceux qui cultivent la terre. Les 45 millions restant, c’est-à-dire les neuf dixièmes, sont aux mains de gens étrangers à l’agriculture.
On cite l’Angleterre comme étant la proie de quelques milliers de propriétaires terriens. Pourquoi ne cite-t-on pas la France ?
Il y a en France 65,000 individus qui, à eux 65,000, possèdent la moitié du sol français !
Eh bien, messieurs les 65,000, c’est vous qui êtes les protectionnistes, qui exhalez vos plaintes, qui manœuvrez pour que nous mangions moins ou que nous payions plus, qui pour élever le taux de nos fermages, songez à rétrécir nos estomacs et les à condamner à se contenter de ce que vous jugez bon de faire produire à cette terre que vous avez accaparée.
Qu’avez-vous fait de la terre de France? Qu’avez-vous fait de ce sol du plus fertile pays du monde, du jardin de l’Europe, de cet outil fécond qui récompenserait le moindre travail par les produits les plus précieux, depuis les succulents fruits du Midi jusqu’aux vins les plus généreux et les excellentes Viandes des régions du Nord.
Cette terre, vous vous en êtes emparés et vous avez dit : « On ne la cultivera pas. » De l’oasis vous avez fait un désert; où devrait régner l’abondance, le large bien être pour tous, vous avez créé la misère.
La voici, la question sociale : faire produire la terre; le voici, le crime social : condamner tout un peuple à souffrir la faim sur un trésor qui ne demande qu’à s’ouvrir et qu’à nourrir.
La moitié de la France est inculte.
Sur 49 millions d’hectares de ce merveilleux sol, 5 millions sont en jachère, 3 millions réduits à la condition de pacage, 4 millions 1|2 ne sont que landes, bruyères désolées, et 6 millions restent, sous prétexte de forêts, à l’état de taillis dévastés, de broussailles, de mauvaises herbes, de buissons, d’épines et de ronces.
Total, 18 millions d’hectares totalement incultes; et, comme 18 autres millions sont si mal cultivés qu’ils ne donnent que des demi-récoltes, il en résulte que la France, possédant 49 millions d’hectares de terres fertiles, compte sur cet ensemble 27 millions d’hectares tout a fait improductifs.
Et c’est pour ce beau résultat, messieurs les 65,000, qu’il vous faut des droits protecteurs à titre de récompense nationale !
Vous trouvez que vous n’avez pas encore suffisamment ruiné notre pauvre beau pays, et vous attendez de nouvel argent des contribuables comme aide et encouragement pour continuer votre œuvre de destruction.
Trop d’impudence est parfois imprudence. Vous avez tant rebattu, ces années-ci, les oreilles populaires de la question agricole, de la pénurie agricole, de la crise agricole, que les estomacs, également populaires, ont fini par faire cette navrante remarque, qu’eu effet, ils consommaient très peu, et que c’était chose bien étonnante, car enfin la France était grande et fertile, et rien ne serait plus facile que d’y faire pousser du beau blé et de la bonne viande ; que certainement il y avait un problème à poser et à résoudre, et qu’il fallait s’en occuper sérieusement.
Alors il a été fait les calculs ci-dessus et d’autres encore, desquels il est résulté que les détenteurs du sol en étaient aussi les dilapidateurs.
A force d’entendre crier : « La terre manque de bras », on s’est aperçu que c’étaient simplement les bras qui manquaient de terres, et que, si le travailleur était forcé de venir s’empiler dans les villes, à la poursuite d’un travail aléatoire et souvent absent, c’était parce qu’il était chassé des campagnes par l’infime minorité qui, non seulement avait accaparé la terre, mais ne voulait pas qu’on la fît produire, qu’on la travaillât.
A quoi les 65,000 gros propriétaires et même les moyens répondront que leur conscience est bien tranquille, que leur terre est à eux, que nous ne sommes pas des communistes, que par conséquent nous ne pouvons demander qu’on les exproprie pour cause d’utilité collective, et que pour conclusion nous leur donnions la paix, attendu que leurs terres ne doivent rien à personne, et qu’encore une fois ils sont bien libres d’en faire ce qui leur plaît.
Que chacun soit libre est en effet notre idéal, et même d’user à son gré de l’outil qui est sien, cet outil fût-il terre. Mais que les soixante-cinq mille possesseurs de la moitié de la France ne doivent rien à personne, c’est un tout autre point ; et il est avis à plusieurs que ces propriétaires doivent au contraire beaucoup, et que s’ils peuvent ainsi laisser incultes de si grands espaces, c’est uniquement en vertu d’un privilège monstrueux, qu’ils se sont octroyé en d’autres temps, et que le nôtre ne saurait tolérer davantage sans traîtrise envers le présent et envers l’avenir.
Ce privilège est l’exemption d’impôt accordée aux domaines non cultivés. Or, il en coûte autant au budget pour sauvegarder la propriété d’un hectare dont le détenteur est un fainéant, que pour sauvegarder l’hectare mis en valeur. Il y a là une petite comptabilité très intéressante à établir, et il ne serait pas impossible qu’il en sortît une solution très simple de la question foncière, si passionnante et si généralement embrouillée par les faiseurs de systèmes et les entrepreneurs de chambardements.
A bientôt ce petit calcul.
TRANSLATION
Le Radical, March 18, 1887, 1-2.
III.
[…]
III.
In his journal, “La Peuple,” Proudhon summed up as follows that which was the ideal of the pure Communists of his time, and that which is the ideal of the pure Communists of ours:
- Organization of labor by the State;
- Organization of banks by the State;
- Administration of railways by the State;
- Administration of canals by the State;
- Administration of mines by the State;
- Administration of insurance by the State;
- Colonization by the State;
- Apprenticeship by the State
- Etc., etc., etc. by the State
- Nothing by the citizen, everything by the State.
A summary which might itself be summarized in a line: Despotism of the State, slavery of the citizen.
“In vain,” continues Proudhon, “does Socialism [for even then there were Socialists who were not Communists] cry out to them that what they want is pure monarchy; they do not hear. The State, by itself, is unproductive; it does not labor. No matter; it shall be made organizer. The State is involved in debt; it shall give credit, Labors entrusted to the State cost fifty per cent. more than they are worth; the State shall be charged with the most difficult tasks.”
This life-like and sagacious portraiture of the incapacities of the State, thus contrasted with the inconceivable confidence placed in the State by the Communists, was brought to my mind the other day during the unveiling of a statue to Louis Blanc
And I remembered that that honest man, that gentle dreamer, that harmonious artist who, having suffered a thousand privations, had uttered the most eloquent cries of anguish in the name of all the suffering,—I remembered that Louis Blanc had believed more than all others in the providence of the State, perhaps because he believed in the other Providence, I remembered that, of all the Communistic chiefs, he had been the most popular, the most cheered, the most powerful; that at certain times he had had the support of a whole people, and that he had held in his hand the helm of the State; that be had been able to command a government, he who professed that government can make a people’s happiness and accomplish the social revolution and that he had failed; that, having reformed nothing, transformed nothing, improved nothing, there was nothing left for him but to go sadly into exile to reflect upon the powerlessness of statesmen who experiment upon millions of individuals with the most seductive systems constructed by the most generous imaginations.
And—a thing to be noted, though not at all strange—it was not the Socialistic people who had given him such loud acclaim who reared a statue to him. The Communists, on the contrary, hissed, not at bottom because of his hours of weakness in the days of June and the Week of May, but because those who still believe in the governmental panacea could not forgive the failure of the Communist who had been the government.
Thus the ancient believers broke their idol when it had not given them victory; thus certain populations of the South throw their saint into the river when they are weary of parading it through the fields to get rain, and it has not succeeded in making it rain.
What is left of the system of Louis Blanc, who nevertheless filled a whole generation with enthusiasm by the words Organization of Labor?
Not oven an illusion to lose, not even the possibility of preserving the hopes which men like Benoît Malon have not quite abandoned.
For, if the system of Louis Blanc has not been tried by its author and the secular State, it has been by that competitor of the State, that model, that mould of the State, that other State, the Church.
Louis Blanc asked the State to make itself a manufacturer,—to establish in the principal branches of industry a certain number of workshops which it should control and in which it should employ workmen “offering guarantees of morality.”
The State should draw up regulations having the force of laws, and should fix the hierarchy in the workshop. By reason of the life which was to end in Communism, products would be created more cheaply, private industry would thus be led very gently to surrender, and the State would gradually become master of industry, or at least it would oblige other manufacturers and laborers to Imitate its regulations, its hierarchy, its Communism in short, which would be, in its view, great good fortune for the laborers in the State workshops and the laborers in the other workshops thus “led to surrender.”
Now, the ecclesiastical State has established shops, — work rooms, monasteries.
The Church has drawn up regulations for these shops, and selected from the laboring people those which suited it best.
The Church, by reason of the life which it has regulated in common, has found a way of producing at prices before unheard-of, and, if things continued long in this way it would gradually make itself mistress of every industry.
But the Church has by no means led the other workshops to surrender, nor has it caused them to taste the advantages of labor in common and of life in common
It has simply ruined some of the less shrewd manufacturers.
The others have reasoned as follows:
The Church produces more cheaply than we do; this is because it gets its labor more cheaply. By this competition it leaves us no alternative but to diminish our profits, which is out of the question, or to reduce the wages of our workmen, which we will proceed to do at once.
Consequence: The unfortunates who work for the Church are, perforce of regulations, statutes, and the hierarchy, in the position of weary and ill-fed slaves, and, through the fact of this competition on the part of the ecclesiastical State, the poor workers in private industries see their meagre pittance and that of their children curtailed every day.
Was this what Louis Blanc wanted?
No, for he was good, kind, and really desirous of more comfort for all.
He was deceived, as all the Stateists are deceived and mistaken. The best thing that the State can do is to do no harm, and I have not yet noted that it has ever succeeded in this, so harmful and oppressive is it in its essence.
To ask it to operate the social transformation, or even to coöperate in it, is to ask a régime of honesty of a Louis Philippe, clear sign of the Provisional Government of ’48, honor of Napoléon, fairness of the Government of National Defence, humanity of Thiers, intelligence of Mac-Mahon, sincerity of Jules Ferry, liberty of Bismarck.
And in the lifetime of Louis Blanc the State was all these by turns, and Louis Blanc saw them at their sickening work as statesmen.
That is why we must conclude with Proudhon:
Let one young recruits fix it in their minds that Socialism is the opposite of governmentalism.
[Tucker]
Le Radical, April 13, 1887, 2.
ORIGINAL
IV.
There are two Socialisms.
One is communistic, the other solidaritarian.
One is dictatorial, the other libertarian.
One is metaphysical, the other positive.
One is dogmatic, the other scientific.
One is emotional, the other reflective.
One is destructive, the other constructive.
Both are in pursuit of the greatest possible welfare for all.
One aims to establish happiness for all, the other to enable each to be happy in his own way.
The first regards the State as a society sui generis, of an especial essence, the product of a sort of divine right outside of and above all society, with special rights and able to exact special obediences; the second considers the State as an association like any other, generally managed worse than others.
The first proclaims the sovereignty of the State, the second recognizes no sort of sovereign.
One wishes all monopolies to be held by the State; the other wishes the abolition of all monopolies.
One wishes the governed class to become the governing class; the other wishes the disappearance of classes.
Both declare that the existing state of things cannot last.
The first considers revolutions as the indispensable agent of evolutions; the second teaches that repression alone turns evolutions into revolution.
The first has faith in a cataclysm.
The second knows that social progress will result from the free play of individual efforts.
Both understand that we are entering upon a new historic phase.
One wishes that there should be none but proletaires.
The other wishes that there should be no more proletaires.
The first wishes to take everything away from everybody.
The second wishes to leave each in possession of its own.
The one wishes to expropriate everybody.
The other wishes everybody to be a proprietor.
The first says: ‘Do as the government wishes.’
The second says: ‘Do as you wish yourself.’
The former threatens with despotism.
The latter promises liberty.
The former makes the citizen the subject of the State.
The latter makes the State the employee of the citizen.
One proclaims that labor pains will be necessary to the birth of a new world.
The other declares that real progress will not cause suffering to any one.
The first has confidence in social war.
The other believes only in the works of peace.
One aspires to command, to regulate, to legislate.
The other wishes to attain the minimum of command, of regulation, of legislation.
One would be followed by the most atrocious of reactions.
The other opens unlimited horizons to progress.
The first will fail; the other will succeed.
Both desire equality.
One by lowering heads that are too high.
The other by raising heads that are too low.
One sees equality under a common yoke.
The other will secure equality in complete liberty.
One is intolerant, the other tolerant.
One frightens, the other reassures.
The first wishes to instruct everybody.
The second wishes to enable everybody to instruct himself.
The first wishes to support everybody.
The second wishes to enable everybody to support himself.
One says:
The land to the State.
The mine to the State.
The tool to the State.
The product to the State.
The other says:
The land to the cultivator.
The mine to the miner.
The tool to the laborer.
The product to the producer.
There are only these two Socialisms.
One is the infancy of Socialism; the other is its manhood.
One is already the past; the other is the future.
One will give place to the other.
Today each of us must choose for the one or the other of these two Socialisms, or else confess that he is not a Socialist.”
[Tucker] Liberty V, 10 (December 17, 1887), No. 114, p. 5.
Le Radical, May 12, 1887, 2.
V.
Ceci est le compte rendu à peu près sténographique d’une conversation recueillie dans un coin de salon à peu près aristocratique.
Les présentations avaient été faites.
« M. le comte de la Basse-Souche, M. le baron de l’Agio, grands propriétaires terriens. »
« M…, cultivateur chinois». — Ces Chinois ont des noms si chinois qu’on les égare.
— Enchanté de la rencontre, avait fait le Chinois avec un salut d’une politesse peu inclinée. Ce Chinois ne paraissait pas avoir l’habitude de courber beaucoup l’échine.
Les deux grands propriétaires terriens avaient même paru un brin vexés de ne pas faire un effet plus abasourdissant sur l’étranger, mais ils se déridèrent bien vite quand celui-ci ajouta : « J’aime beaucoup à m’entretenir d’agriculture, et je suis heureux de pouvoir le faire avec deux hommes comme vous, dont la compétence doit être si grande, puisque vous êtes deux grands cultivateurs de ce beau pays de France.
Le comte de la Basse-Souche (à part, au baron de l’Agio). — Est-il bête, ce Chinois, il nous prend pour des laboureurs, (Haut.) Noble étranger, vous faites erreur, M. le baron et moi, nous sommes propriétaires, en effet, de vastes espaces de terres, près de quatre mille hectares à nous deux; mais nous avouons ne rien connaître du tout a la culture de la terre, et nous vous dirons même que nous nous faisons honneur de n’y rien connaître. — N’est-ce point, baron? — Dans notre pays, la terre est un objet de luxe, que les personnes riches, comme M. de l’Agio et moi, s’offrent pour leurs chasses ou simplement pour leur satisfaction, leur amour-propre, pourvoir le château bien loin entouré de propriétés à soi, pour n’avoir pas de voisins trop rapprochés, pour être salués profondément, ou, parce que c’est la mode, et que c’est bien porté sur le boulevard parisien d’avoir beaucoup d’hectares de foncier à la campagne. Et puis on en laisse un peu qui rapporte peu, peu; mais enfin ça rapporte; et pour ce que ça nous a coûté I Ainsi, moi, je tiens le tout de mon grand-père, qui a profité de la liquidation des biens nationaux. Ayant vendu quelques bœufs pour de l’or, il en fit des assignats, avec quoi il s’offrit d’immenses espaces, je les ai un peu écornés ; mais il en reste, et quoique la plus grande partie soit réservée pour mes chasses et mes parcs, j’ai cependant plusieurs fermiers qui m’envoient, bon an mal an, quelques petites rentes. Quant à M. le baron de l’Agio, de noblesse plus récente, il fit l’acquisition, après un heureux coup de bourse, exécuté au moment de la chute d’un ministre qui était de l’affaire et qui lâchait le portefeuille pour mettre beaucoup d’argent, en poche. M. le baron, pour parfaire son bonheur, se dit que de la terre ça pose, c’est une base solide, une seigneurie comme aux temps antiques, ça pose, c’est une base solide, une seigneurie comme aux temps antiques, ça inspire confiance ; on peut y mener chasser d’aimables amazones, et y engluer d’innombrables actionnaires. Le baron a même fait grandement les choses.
Il y avait, au milieu des domaines dont il venait de se rendre maître, une espèce de hameau avec des maisons, ce qui gâtait absolument la perspective et détruisait le pittoresque de la propriété.
Ces maisons étaient habitées par un tas d’ouvriers, employés dans un grande diablesse d’usine, qui brassait je ne sais plus quoi, avec un bruit d’enfer.
Le baron trouva cela shocking, manœuvra de façon à devenir actionnaire de l’usine, à ruiner les actionnaires ses collègues, à éteindre les feux, à envoyer se faire suer ailleurs les’ ouvriers, et quand il n’y eut plus nul bruit et nul habitant dans le hameau, il acheta le tout au prix des matériaux de démolition, rasa ces murs absurdes et installa à leur place un des plus charmants rendez-vous de chasse où il m’ait été donné de sabler de pétillant Champagne. N’est-ce point, baron?
Le baron. — Parfaitement (prenant un air pincé). Seulement, je ne comprends pas, Môssieur le comte, que vous preniez ainsi plaisir à dauber sur l’âge de mon titre. Pour ne pas remonter comme la vôtre jusqu’au premier empire, ma noblesse n’en est pas moins bien établie (à part lui : je l’ai payée assez cher). Si vous n’étiez mon ami, comte, je vous soupçonnerais d’envie parce que mes terres sont de cent hectares plus étendues que les vôtres.
Et si cela me plaît à moi d’avoir beaucoup de terres, avec beaucoup de futaies, de landes, de bruyères, de lapins et même de chevreuils, qui ose y trouver à dire? J’en achèterai, si je veux, un département, deux départements, nous vous mettrons, si nous voulons, tous les barons de la finance, que vous pensez dénigrer, et nous achèterons, si nous voulons, la moitié de la France, et davantage encore, si la chose nous plaît ; et nous laisserons crouler les hameaux, les villages : les rustres qui grouillent dans ces cambuses ne me disent rien.
Je préfère un beau dix-cors sur mes champs que mille paysans.
Le Chinois.— Mais c’est odieux, monsieur, ce que vous dites là.
Le baron. — Monsieur le Chinois, ce qui serait odieux, ce serait qu’on m’empêchât de faire de ma terre ce que bon me semble ; je l’ai payée ; si j’aime les steppes, je la mets en steppes. N’en suis-je pas maître, n’est-ce point mon bien? Tous mes confrères ont comme moi des terres, simplement pour le plaisir d’en avoir; à quelques-uns que nous sommes, nous possédons plus de la moitié du sol de la France, dont nous avons fait des terrains d’agrément. Les seigneurs du vieux temps, nos prédécesseurs, y toléraient des serfs, vilaine engeance ; nous autres, nous n’y tolérons que des cerfs. Ce sont toujours des bêtes, mais au moins on peut se distraire sans faire crier la populace.
Le Chinois. — J’ai eu tort de dire que semblable conduite était odieuse. (Prenant son air le plus aimable.) J’aurais dû dire que c’était de la pure folie.
Le comte (dignement). — Noble étranger, nous prenons en considération les usages de votre pays, et nous vous pardonnons votre manière fruste de vous exprimer. Mais veuillez nous expliquer en quoi consiste notre folie.
Le Chinois. — Je ne suis pas noble du tout, je cultive ma terre, et je préfère cela à votre noblesse ; mais je dis que, si vous étiez dans mon pays, on vous mettrait sans retard avec les aliénas, vous et vos pareils. Peut-on comprendre que des gens courent ainsi à la ruine! Mais, malheureux que vous êtes tous, comment espérez-vous, même étant riches, pouvoir longtemps acquitter la somme énorme d’impôt que vous avez, pour toute cette terre, à payer chaque année?
Le comte et le baron (ensemble). Mais, bon Chinois que vous êtes, nous n’aurons aucune peine à nous acquitter”, attendu que nos terres étant une fantaisie, un. luxe, un amusement, ne paient pas d’impôt
Le Chinois leva les bras dans l’attitude d’un étonnement si voisin de la suffocation qu’il mit quelque temps avant de recouvrer la parole.
J’en profite pour interrompre ma sténographie.
TRANSLATION
Le Radical, June 9, 1887, 2.
VI.
— Ainsi, dit l’agriculteur chinois au comte de la Basse-Souche et au baron de l’Agio, grands propriétaires terriens; ainsi vous possédez quatre mille hectares de terres et, pour la garde de ces quatre mille hectares, vous ne payez rien, par cette raison que vous les laissez improductifs. On vous récompense par l’exemption d’impôt du crime que vous commettez en condamnant votre terre à l’infécondité.
Ainsi vos pareils possèdent des millions et des millions d’hectares et, sur cette immense étendue par eux accaparée, ils en laissent vingt-huit millions à l’état d’absolue stérilité. Ils disent à cette terre : « On ne te labourera pas, tu ne produiras pas, tu ne nourriras, pas. » A côté de toute cette terre qui pourrait donner à tout un peuple le bien-être, ce peuple souffrira de la faim. Car tel est leur bon plaisir.
Et parce que c’est leur bon plaisir, à ces gens, que le peuple souffre et que la terre ne lui donne pas à manger, voici que ceux qui gouvernent et font rentrer l’impôt viennent leur dire: « Vous ne devez rien à l’impôt. »
Ces vingt-huit millions d’hectares de terre ne doivent rien à l’impôt! Mais qu’est-ce donc que l’impôt?
L’impôt est le prix des routes, des canaux, des chemins de fer qui mettent les domaines des particuliers en communication les uns avec les autres. Toute la terre de France étant sillonnée de; routes, des canaux, des chemins de fer, toute la terre de France doit l’impôt.
L’impôt, c’est le prix des gendarmes, des gardes-champêtres, de toute réorganisation intérieure, dont le but est de sauvegarder la propriété des terres à leurs propriétaires. Que vous cultiviez ou non ces terres, il en coûte même chose pour vous en conserver le fonds. Toute terre appropriée doit donc l’impôt.
L’impôt, c’est le prix des guerres passées qu’il a fallu livrer afin de pourvoir conserver aux propriétaires de France la propriété de leurs terres, menacée pas les nations étrangères ; c’est le prix de l’écrasante organisation armée que ; la France doit entretenir annuellement pour sauvegarder sans cesse la propriété du sol contre les menaces d’un ennemi possible. Que la terre soit cultivée ou non, elle a coûté même sang, elle coûte même or pour être conservée à son propriétaire. Toute terre doit donc l’impôt.
Et à cette dépense, dépense énorme dont vous profitez pour plus de moitié, messieurs les propriétaires des vingt-huit millions d’hectares de terres en question, vous ne participez pas. Sous forma de voies de communication, ‘d’administration intérieure, de garde aux frontières, vous coûtez tous les ans des nullards à la France, et vous ne lui versez pas un sou.
La France vous rend d’immenses services, travaille pour vous, vous consacre ses ouvriers, ses ingénieurs, sa police, son armée et, quand il s’agit de la note à payer, ce n’est pas à vous qu’on la présente. Est-ce parce que vous êtes les riches? C’est au pauvre. Parce que vous devez, on ne vous demande rien. On passe devant vos immenses domaines et l’on va frapper à la porte de celui qui ne doit pas, qui n’a pas de terres, et on le fait payer pour la garde de vos terres et, s’il ne s’exécutait pas, on lui vendrait, par autorité de justice, sa bicoque et son petit jardinet, que vous rachèteriez à bas prix pour vous agrandir un peu.
Le comte de la Basse-Souche. — Et ce serait bien fait. Tant pis pour les imbéciles qui ne savent pas se faire exempter de l’impôt.
Le Chinois. — Prenez garde, messieurs. N’avez-vous pas entendu dire que la Révolution avait eu pour cause de semblables privilèges d’impôt?
Le baron de l’Agio. — Etranger, vous n’êtes pas sage, et vous, comte, vous parlez comme un de l’ancien régime.
Nous connaissions bien notre révolution, c’est nous qui l’avons faite, et nous nous serions bien gardés de laisser subsister nul privilège en ce qui concerne l’impôt.
La Révolution a établi l’égalité devant la loi. Nous nous conformons à l’égalité devant la loi; donc plus de privilège. C’est clair.
Le tout était de savoir faire cette loi.
Si, comme vous. étranger naïf, nous avions dit: L’impôt, c’est le prix du service rendu par la société; c’eût été vrai comme principe, mais désastreux pour nos intérêts. Puisque nous recevons, en effet, beaucoup de services de la société, il nous eût fallu payer beaucoup d’impôts. Cette définition n’était donc point la bonne.
Nous avons dit, et les contribuables de Panurge ont répété avec nous : l’impôt est un prélèvement fait par la société sur les produits annuels, pour assurer les services sociaux. Vous voyez la conséquence.
Je ne produis rien, je ne dois rien ; mon château ne produit, il ne doit rien ; ma femme a un million de bijoux qui nu produisent rien ; j’ai deux mille hectares de terre qui ne produisent rien ; les propriétaires fonciers, mes confrères, en ont vingt-huit millions d’hectares qui ne produisent rien. Ces terres improductives ne doivent rien. Telle est la loi.
Le Chinois. — Vous voulez dire: « Telle est l’iniquité, tel est le dol, le vol. »
Comment nommez-vous, en français, prendre l’argent d’autrui pour payer ses propres dettes ? Une escroquerie.
Comment nommez-vous les manœuvres employées pour n’avoir pas à faire face à ces engagements ? C’est la banqueroute.
Votre loi est J’escroquerie ; votre loi est la banqueroute légale.
Or, le mal engendre, le mal, et l’iniquité de la loi a pour conséquence la ruine des peuples. Si vous aviez à verser votre quote-part d’impôt, vous ne pourriez plus commettre le crime de laisser inculte plus de la moitié de la France. Il faudrait bien que vous fissiez produire votre terre, puisqu’elle vous, coûterait, et l’on verrait croître partout le blé, la vigne, la viande, l’abondance.
Mais parce que la loi, votre complice, vous a gratifiés d’un monstrueux privilège, vous laissez pourrir, mourir la terre; vous faîtes le désert en plein pays de civilisation; la campagne se dépeuple et ses habitants, à qui vous refuses te travail et les moyens de vivre, coûtant se réfugier, s’empiles dans les villes, faire la baisse: des salaires et, comme on importe le mal contagieux, importent la misère à laquelle vous les avez condamnés.
Des villes populeuses sans campagnes riches et fécondes, des tètes sans corps, c’est la monstruosité, c’est la décadence, c’est le fin des nations.
Le monde romain en est mort, le monde tyrien en est mort, le monde assyrien en est mort. Que l’Angleterre prenne garde, le mal la ronge. A ce mal la France semblait devoir échapper. Et voici que la plaie se montre, qu’elle s’étend, qu’elle menace, qu’elle est immense déjà, douloureuse et dangereuse, parce qu’il a plu à un tas de hobereaux de confectionner à leur usage personnel une loi établissant en leur faveur le plus odieux de tous les privilèges, le privilège devant l’impôt,
Est-ce que vous croyez, messieurs, que la France, pays égalitaire, sera toujours d’humeur à supporter ce, privilège; que la France, pays de labeur se laissera mener par vous jusqu’au bout de la ruine, et ne vous criera pas un jour : « Je veux que mon sol soit travaillé et qu’il produise » ?
Le comte. — Bah ! ça durera bien autant que nous.
Le baron et le comte (ensemble.) — Et après nous le déluge.
TRANSLATION
Le Radical, July 12, 1887, 2.
VII.
VII.
Property is liberty.
To have provisions, garments, and a house of one’s own is to have the liberty, power, and certainty of eating, dressing, and lodging.
To have raw material of one’s own, a tool of one’s own to transform the raw material into consumable product, and, if the raw material be stock and the tool a machine, workshop, or factory, to hold as property one’s share of this stock, of these implements, of this factory, workshop, or machine, is to have the liberty, power, and certainty of laboring, of disposing of the fruit of one’s labor, of consuming or buying one’s product.
Property,—that is a firm, solid, palpable, concrete basis for abstract rights.
Do you possess the workable material and the tool? You are in complete possession of the right to labor, and, what is more, of the right of labor,—of the right to produce and the right to enjoy your product in its entirety.
Do you possess only your arms, your knowledge, your intelligence? You have but one right, that of choosing between dying of hunger and taking a master; between utter want and sacrificing your dignity, extending your hand for a little bread after having done a great deal of work, between not being clothed and wearing the livery of another.
Not to have a share in property, that has been slavery, that has been servitude, that is the proletariat.
For, if property for all means comfort for all, on the other band monopoly of all available property by a certain number, even majority, means misery and oppression for the excluded; if the accession of each to property means liberty of labor and security of product, on the other hand proprietary monopoly means the power of the monopolist to be the master of another, to make another labor, and to dispose of the fruit of another’s labor.
The historic evolution is as follows:
Humanity, on becoming conscious, saw that the means of existence is property, and the struggle for existence then became blended with the struggle for property.
Appropriation, which in the future will have no other source than the effort of the industrial laborer, was originally an act of conquest, the monopoly realized by that savage labor, war. A race of prey founded itself upon another race, a barbarous people upon an industrious people. Hurrah! the German warriors cut up the Roman Empire into lots and shared it between them, the French of the North became lords over all the lands and fruits of the South, the Norman pillagers distributed England among themselves, and the English allotted themselves each a bit of Ireland.
There began the modern history of property, Violence, robbery by open force, massacre, having presided over this original distribution, oppression followed for the conquered, the pillaged, the sons of the massacred.
What is worth taking is worth keeping. The highway robbers having become landlords—and after them their descendants—conceived the idea of fortifying themselves in their conquered positions, of surrounding their estates with barriers, ditches, walls, and, what is better, laws.
The peoples of our day still suffer from the yoke imposed by the conquerors of those days. Lords have succeeded each other, aristocrats have replaced each other, jostling each other, taking by strategy what had been acquired by violence, robbing the old robbers by usury, speculation, and corruption, but always protected by the bulwark of laws erected to deny labor access to property.
The entire Code is the book of guarantees imposed to prevent property, the means of production, the instrument of liberty, dignity, equality, from passing out of the hands of the primitive monopolist into those of the contemporary producer; the Code is the isolation of servants confronted with the coalition of masters; it is the prohibition of real contract between employer and employee; it is the constraint of the latter to accept from the former exactly the minimum of wages indispensable to subsistence; and in any case where all these guarantees may have been vain, where a few laborers, by a fortunate stroke, may have succeeded in accumulating little capital, the Code is a trap set to catch these little savings, the canalization ingeniously organized so that all that has temporarily left the bands of the monopolist may return to them by an adroit system of drainage, so that the water, as the saying is in the villages, may always go to the river.
Nevertheless violence, which is trouble in historic evolution, can institute no lasting work. In vain does the cyclone raise prodigiously the sea, lilt all the water high and leave nothing below, the tempest passes,—for every tempest is ephemeral,—and, after a series of eddies, the movement of the waves ends, as every movement in a mass ends, in stable equilibrium, a level.
After wars, after violences, alter conquests of centuries of tempests, in spite of barriers and fortresses, in spite of laws, every continuous movement in the social mass tends toward stable equilibrium.
All the means of production on one side; no property, no means of production, on the other, that is the opposite of equilibrium: but every mass tends to separate; monopolies are condemned to dissemination, every mountain will fill a valley, and the mountains of wealth accumulated under one and the same domination will fill the empty pockets of the people, powerless as they will be to resist the toil of these termites of millions and millions of laborers arrived at a consciousness of their own value and their own strength, and who will bend themselves untiringly to the conquest in their turn of their place in the sunshine, of their corner of their own, of their tools, of their means of labor, of their property, of their liberty.
And when this effort shall be accomplished, social equilibrium will be established, and with it that universal comfort which seems, even in our day, to be but a generous dream.
[Tucker]
Le Radical, July 19, 1887, 2.
VIII.
Ces lettres socialistes m’ont valu, comme il devait être, de peu aimables observations, à quoi je n’ai trouvé aucun mal, fort partisan que je suis de la liberté de la presse.
Devant un si touchant accord pour blâmer et la forme et le fond, pour déclarer qu’écrivant en français, je ne dois rien entendre à ce je dis, et que c’est à moi bien hardi d’oser traiter de questions sociales sans m’être fait décerner par les docteurs ordinaires un préalable brevet, il n’y a qu’ à faire un solide mea culpa de la liberté grande et reconnaître qu’il est de bien étonnants génies dans le monde, en ce temps-ci.
Mais où j’ai failli être ému, c’est quand j’ai vu que l’accord continuait pour me refuser carrément la qualité de socialiste.
O, illustres confrères, vous êtes bien difficiles !
Point communiste, certes ; mais point socialiste, allons donc !
Est-il socialiste, celui qui exhorte à tous le groupements, associations, syndicats, à tous les libres faisceaux de forces individuelles, comme seuls moyens d’apporter prévention et remède aux risques de la vie, aux accidents, sinistres, misères, maladies, chômages, incapacités qui peuvent atteindre l’un aujourd’hui, et demain frapper l’autre.
Est-il socialiste, celui qui voudrait voie suppléer le mauvais caissier donné à l’enfant par la nature par une caisse largement garnie et largement ouverte, laquelle se ferait créancière de tout individu naissant, à simple charge pour lui de rembourser dans ses années adultes et, lui laissant toute liberté, toute initiative, tout choix d’éducateurs et de profession, lui fournirait tous moyens pécuniaires propres à assurer son intégral développement ?
Est-il socialiste, celui qui veut pour tous la totale expansion et le libre fonctionnement de toutes leurs facultés de production et de consommation, la maximum de liberté et le maximum de bien-être, la satisfaction complète des activités et des besoins, le droit au travail et les droits du travail ; la récolte après la semaille, la jouissance après le labeur ?
Est-il socialiste, celui qui produit l’élimination de tous les parasitismes, la fin de tous les monopoles ?
Est-il socialiste, celui qui proclame égaux en droits l’enfant, la femme et l’homme, qui demande au pouvoir communal de sauvegarder les droits de l’enfant contre la femme et contre l’homme ; de sauvegarder contre celui-ci, les droits de la femme, qui demande au pouvoir national de sauvegarder contre la commune oppressive, les droits de l’individu, qui demande au suffrage populaire de protéger l’individu et toute association, communale ou autre, contre l’oppression de l’Etat ?
Est-il socialiste, celui qui pousse aux moyens de transformer la France stérile en véritable jardin d’abondance, capable de subvenir aux besoins non pas de trente-huit, mais de cent millions d’habitants ?
Est-il socialiste, celui qui conseille de se servir de l’outillage politique actuel, si détestable soit-il, pour détruire tout l’odieux arsenal de lois, décrets, arrêtés, ordonnances, véritables mesures de guerre dictées par les accapareurs de biens contre l’accession des travailleurs à la propriété, c’est-à-dire à la possibilité de vivre en liberté ?
Est-il socialiste, celui qui désire voir entreprendre à notre génération et mener à bien cet immense travail, source de merveilleuse prospérité, qui doit distribuer l’eau fécondante sur les cinquante millions d’hectares de terres cultivable, faire qu’aucune goutte descendant des collines et des montagnes ne puisse aller se perdre dans la mer ; celui qui déclare possible de se rendre, par voie rapide, d’un bout de la France à l’autre pour dix sous, de converser d’un bout de la France à l’autre pour quelques centimes, de sillonner de voies ferrées tous les recoins du pays, jusqu’aux villages aujourd’hui les plus déshérités, et qui demain deviendraient prospères si l’on voulait appliquer le socialisme de ces Lettres socialistes ?
Est-il socialiste, celui qui dit : « Il faut qu’il n’y ait plus de serviteurs parmi nous ; il faut qu’il n’y ait plus de pauvres parmi nous ; et, pour ce faire, il faut que tous les travailleurs soient possesseurs et détenteurs de leurs instruments de travail ; que les cultivateurs aient leur terres, les travailleurs industriels leur outils, leurs ateliers, leurs usines, leurs mines ; que les facteurs aient leurs bureaux de poste, les professeurs leurs collèges, leurs écoles, les téléphonistes, es télégraphistes, leurs téléphones et leurs télégraphes, tous étant aptes à recevoir commandes, crédits, commandites ou participations des particuliers, des communes ou de l’Etat intéressés ?
Est-il socialiste, celui qui signale, avec profonde joie, la venue d’une prochaine révolution économique, aussi bienfaisante que décisive, l’avènement du petit machinisme, qui fera la liberté où la grande machine avait fait l’esclavage ; la réapparition de l’art, de l’habileté individuelle dans le travail, le disparition du prolétariat, et par conséquent la conquête, par le travailleur, de la dignité, de la liberté, de la sécurité ?
Vous voyez bien qu’on est socialiste.
VIII.
These socialistic letters have earned me, as it should be, some unfriendly observations, with which I find nothing wrong, strong partisan that I am of the freedom of the press.
Before such a touching agreement to criticize both content and form, to declare that writing in French, I must know nothing of what I say, and that it is very bold of me to dare address social questions without first being awarded a diploma by the regular doctors, there is nothing to do but make a strong mea culpa for the great liberty and recognize that there are some very astounding geniuses in the world, these days.
But where I have failed to be moved, is when I have seen that the accord extended to completely refusing me the title of socialist.
Oh, illustrious colleague, you are very difficult!
Not communist, certainly; but not socialist, come on then!
Is he a socialist, who urges all the groups, associations, and syndicates, all the free assemblies of individual forces, as the sole means of providing prevention and remedy against the hazards of life, accidents, disasters, miseries, maladies, lay-offs, and disabilities that can affect one today, and strike another tomorrow?
Is he a socialist, who would like to see the poor portion given to the child by nature supplemented by a well-stuffed and wide-open fund, which would make itself creditor of every individual born, with the simple responsibility of reimbursing it in their adult years and, giving them full liberty, free initiative, complete choice of teachers and of profession, would furnish them all the pecuniary means proper to insuring their complete development?
Is he a socialist, who wants for all the complete expansion and free functioning of all their faculties of production and consumption, the maximum of liberty and the maximum of well-being, the complete satisfaction of activities and needs, the right to labor and the rights of labor; the harvest after the sowing, enjoyment after labor?
Is he a socialist, who produces the elimination of all the parasitism, the end of all monopolies?
Is he a socialist, who proclaims men, women and children equal in rights, who asks the communal power to safeguard the rights of children against men and women; to safeguard against men, the rights of women, who asks the national power to safeguard the right of the individual against the oppressive commune, and who asks popular suffrage to protect the individual and every association, communal or otherwise, against the oppression of the state?
Is he a socialist, who encourages the means of transforming sterile France into a true garden of abundance, capable of meeting the needs not of thirty-eight, but of a hundred millions inhabitants?
Is he a socialist, who advises the use of the current political tools, as detestable as it is, to destroy the whole odious arsenal of laws, decrees, orders, ordinances, veritable war measures dictated by the monopolists of goods against the accession of the workers to property, to the possibility of living in liberty?
Is he a socialist, who wants to see undertaken seen through in our generation that immense labor, wonderful source of prosperity, which shall distribute the fertilizing waters over fifty million hectares of cultivable land, to make sure that no drop descending from the hills and mountains could be lost in the sea; who declares it possible to go, by fast roads, from one end of France to the other for ten sous, to talk from one end of France to the other for a few centimes, to traverse by railroads all the corners of the country, even to the villages most deprived today, which tomorrow would become prosperous if we would apply the socialism of these Socialistic Letters?
Is he a socialist, who says: “The must no longer be servants among us; there must be no more poor among us; and, to accomplish that, all the workers must be possessors and sharers of their instruments of labor; that the cultivators have their lands, the industrial workers their tools, their workshops, their factories, their mines; that the postal workers have their offices, the professors their colleges, their schools, the telephone operators, the telegraphers, their telephones and telegraphs, all being able to receive orders, credits, commissions or profit sharing from individuals, communes or the state concerned?
Is he a socialist, who report, with profound joy, the coming of a next economic revolution, as beneficial as decisive, the advent of the little mechanization, which will make liberty where the large machine had made slavery; the reappearance of art, of individual skills in labor, the disappearance of the proletariat, and consequently the conquest, by the laborer, of dignity, liberty, and security?
You see very well that he is a socialist.
[Wilbur]
Le Radical, August 9, 1887, 2.
IX.
IX.
Some ten years ago I wrote an essay which led to the somewhat unexpected conclusion that every error, as well as every truth, is the product of experience.
In the case of error the experience is incomplete, that is all, but as those who are mistaken have seen, or have done what passes for seeing, there is no occasion for astonishment at finding that so many of them get angry when told that they are mistaken.
To the collectivists I say simply this:
You have drawn conclusions before having seen enough.
It is a repetition of the story of the Englishman who, landing on one of our shores, met a woman; the woman was red-haired; the Englishman again boarded his vessel, having written in his diary: “In France the women are all red-haired.”
The intellectual fathers of so-called scientific collectivism—Karl Marx, for instance, to cite only one name—belonged to that generation which was adult in 1830, and their conclusions date from an earlier period than 1848.
The revival of the memories of the Revolution was just at its height; historians were singing the praises of the great epoch, the suppression of servitude and privilege, the proclamation of liberty for all, of equal rights for all, the disappearance of aristocracy.
To be sure, they had just seen the nobility of the past aped by an aristocracy of military braggarts; to be sure they had seen it coming back, short-winded in the enemy’s vans; but that was only a nightmare and thanks to the glorious three, though there were still a king, at least there were no more lords.
They were marching at a rapid pace towards complete equality.
Suddenly there arose an unknown thing, a sort of elevated Tower, such as the old manors had, with a high panache. And walls rose all around it, bare, cold as those of a fortress. The walls opened and closed at fixed hours, and under the arches passed multitudes emaciated, debilitated, bent, and one could not tell whether it was fear or fatigue that prevented them from straightening up their bodies. In these modern castles the lord. A new servitude was born.
The high chimneys multiplied, and also the number of Masters. A new aristocracy had arisen, brutal, monopolizing, coarse, plundering, arrogant, without bowels, inhuman, devoted to figures, devoted to gain, a predatory race, which thought less of man than of a beast of burden, for beasts had to be bought while man could be had for nothing; irresponsible, for, shrewder than its predecessors who had to feed the slave and protect the serf, it had found a way of avoiding every kind of obligation towards the proletaire.
And yet the proletaires disputed with each other for the favor of peopling the modern dungeon, of rowing in these galleys; they rushed, jostled one another, and fought at the doors to get in.
This was because the growth of all these high chimneys had carried hunger into many laborer’s homes the; connecting rod of the great engine had replaced human arms. There remained but one resource,—to make themselves wheels in the factory instrument, valets of the monster machine, servants of the master of this monster.
Those eager for equality, the sons of the revolutionists, reflected and those who were to become communists and then collectivists were made dizzy by the noise which issued from the modern dungeons that rose in black spots, like prisons on a soil green only the day before. They had no care, no anxiety save on account of this plague of an aristocracy which every day accumulated more, and this other plague of a enslaved proletariat.
That was the fact of the time; what would the future be, if the matter should not be ordered in some way?
And straightway they concluded:
“Since the aristocracy amasses more and more capital, means of production and wealth, the time will soon come When it will have taken everything and when the nation will form two nations,—one a mistress minority possessing everything, the other a servant having nothing and living at the mercy of the first. This matter will have to be arranged, then, and since machinery is the cause of this cursed aristocracy, its strength, it creator, its sustainer, and since machines nevertheless are indispensable, we will keep the machines but we will abolish the aristocracy How? By handing over to the State, to the government, all the means of production.”
Whence a multitude of systems, solidly built, very fine on paper but which would be also very dangerous in practice, since for the tyranny of the aristocracy, so much to be dreaded, they substitute the tyranny of political power, no less dreadful, no less iniquitous, odious, degrading, no less Detestable.
Ah! let us beware of deductions!
Now, while the bloated aristocracy took from the belly after the fashion of the Esquimaux and the system-makers systematized, a multitude of good people of a practical turn, handlers of tools, men of education, small mechanics, engineers, who had not the remotest intention of allowing themselves to be devoured by the capitalistic ogre or enslaved by the communistic despot, set to work as soon as the first moment of stupor was over,
At all times there have been these temperaments of free men wishing to remain free; they conquered the aristocracy of the Middle Ages and the despotism of the monarchical State; they will conquer the aristocracy of the nineteenth century, and will keep the dreams of communist despotism in the cloudy realm of the imagination.
Big machines are menacing, embarrassing, and monopolizing, say to themselves these free and intelligent beings. Modern lords, you have in them a very fine armament. They are to you what high walls, breast-plates and shields were to your predecessors. The villein could make no impression on them.
Precisely, but gunpowder was invented, and the castles were deserted by the serfs, abandoned by the masters themselves, who could longer live in them. There remained but a few miserable ruins, to serve as examples to lords to come.
During the last thirty years or more, but since Karl Marx constructed his conclusions, they have been inventing little motors, little tools which will deliver the victims of the mechanical monster; the little industry of the artisan, for a moment thrown into confusion is being reorganized; the machine is becoming democratic, portable, convenient, cheap, accessible, and shows its superiority over the monsters of the great factory in that it can wait without suffering at times when there is no work; it no longer holds the laborer at its disposition, it is becoming at the disposition of man.
In a near future all laborers, even the proletaires of today, each one by himself or in small groups of associates, will have their own machines, their own tools and the desert will be in the industrial fortresses of today, around the high chimneys extinct, between the walls become lamentable. The sons of the aristocracy of iron and silver will work for a living,—which will not be a great calamity,—and historians will relate how the industrious people recovered their liberty, compromised for an instant by the infancy of machinery and the first spread of industrialism.
Such are the facts of science which the communists of the time of Louis Philippe should have been able to foresee and which the so-called scientific collectivism of today has forgotten to see.
[Wilbur]
Le Radical, September 22, 1887, 1-2.
X.
X.
Coöperation a panacea?
Sharpers have said so, greenhorns have believed them. In reality, coöperation might be, and if it is desired, will be, a potent peaceful agent of social transformation.
But on this condition,—that the greenhorn shall not let the sharpers put the tool in their pocket.
Juggling is so quickly done. A turn of the hand; presto! and there you are!
Friends of the Coöperative Congress at Tours, this letter is addressed to you. Beware of jugglery!
Ten years ago the wind blew the direction of coöperation, and it was a good wind. But under the influence of metaphysical clouds from over the Rhine, part of the French Socialists have suddenly lost their footing, put on the air of a cyclone, and have begun to blow collectivism.
That the faithful friends of cooperation should have been thrown into a little confusion thereby was not astonishing; but that, the battalion once rallied, they should have so lost their way that now they seem no longer to know why they started, whence they came, or whither they would go, is a matter that requires a word of explanation. To fall into the beaten path of political economy would be the height of confusion for coöperation. Never again would they get out of that rut. Danger! coöperating friends.
Do you remember the early days when the roll-call of coöperation was beaten and you grouped yourselves in enthusiastic choruses, ringing the captivating hymn of solidarity?
You were to replace from top to bottom the old, heavy, burdensome commercial edifice, to renew the worn-out, rusty, dirty tool of exchange which returned scarcely twenty-five per cent of the force expended and rendered useless millions of intelligent heads, excellent hearts, and skilful hands, occupied in the parasitic labor of a decrepit commerce.
The industry of transportation, which is all of commerce, was so badly organized that the product delivered to it for twenty five-francs was sold for a hundred, though nothing had been added to it save a little dust from the warehouse.
This could not last, and the following reform was proposed.
The consumers should form groups. They know almost surely that they will want boots and shoes, overcoats, food. They should combine to the number of one hundred, two hundred, five hundred, and assure houses established for the purpose that they will regularly buy food, shoes, and coats of them.
On the other hand, these houses should turn to the laboring people in the different productive regions and say to them:
What need is there of a mass of middlemen, monopolists, devourers, adulterators, who thrust themselves between you, creators of products, and us, final distributors of products? Group yourselves, then, for coöperative production as those who need to consume group themselves to coöperate in consumption and we, the houses of distribution, will guarantee to purchase of you as we are guaranteed a sale by our consumer-customers. You, producers, will receive the value of your product, of your effort, without having to deal with a mass of hucksters and exploiters, who profit by your crises, by your accidents, and who hold the knife at your throats in order to pay no more for your sweat than they would for clear water. You, consumers, will find on our shelves every thing that you need, at cost, cost of sale included, without having to pour your hard-earned money into the hands of the multitude of middlemen allowed by the present system of exchanging products.
And again, all the activities uselessly devoted to operating the disastrous machinery of exchange would be restored to useful labor, and such labor would never be lacking.
Thus understood, coöperation is a solution of the great problem of social economy,—the delivery of products to the consumer at cost.
Now, this hope from coöperation would be destroyed and coöperation would be compromised, if the vote passed by the Lyons Congress in 1886 should be persisted in. That Congress, in fact, adopted the following principle as one of its formal objects.:
To sell at retail prices and capitalize the profits.
The ambush was prepared. The economistic serpent, to tempt the coöperators and make them abandon their promised land, has said to them, not “Ye shall be as gods,” which is stale, but “Ye shall be capitalists!”
“What! buy at cost! A vulgar instinct, showing lack of foresight. And then, would you not grievously annoy the parasite next you who, added to the parasites who supply him with merchandise, succeeds in extracting from your pocket a fourth or a third of its content? Leave this commonplace of gross immediate gain; do not annoy parasitism; do not restore to useful labor those who are wearing themselves out in the absurd gearing of the commercial machine; renounce all ideas of emancipation; and follow simply the movement of the day, make profits.”
? ? ?
“Yes, make profits. You shall establish a coöperative store. When you need a pound of candles, you will go to your store, which will have received this pound of candles with all charges paid and all risks covered, and you will lay down fifteen sous. If you profess Socialistic doctrines you will give your store the fifteen sous and take away your candles. But that is an inferior way of doing things, and if you are imbued with the healthy doctrines of political economy, you will hasten to pay the price fixed by the old-time parasitism; you will give twenty-five sous. Then you can say that you have made a profit,—that you have gained the ten sous paid by you in excess.”
! ! !
“Why, yes! since at the parasite’s you never would have seen them again, while by coöperation thus practised you have chances of getting them once more.”
“But would it not be better to keep my ten sous paid in excess and use them in buying shoes for my baby, who just now needs a pair?”
“What low instincts you have! Is it not a virtue to become a capitalist? When you have pinched the bellies of your entire family for a whole year by paying too high price for everything, for a virtuous object and not to annoy those who sell everything for twice as much as it is worth, you will be in control of a small capital”
“And this capital?”
“Ah! be careful not to touch it; leave it religiously in the treasury. It will be invested in bonds paying a handsome income, which you will receive later if you are not dead, or else in real estate the rents from which you will likewise receive in the future provided you are alive.”
This is how the coöperative idea can be turned from its path. If the famous pioneers of Rochdale had understood coöperation in consumption to mean the supply of product at actual cost, perhaps English commerce would have been revolutionized They applied on the contrary this principle: Sale of goods at city retail prices and accumulation of the profits as savings, and thus they have simply ended by having a large sum of money in the society’s coffer, by means of which they have increased by several thousands the number of individuals who, by lending money at the highest possible interest, withdraw from other laborers a part of the product of their labor without any effort of their own.
One who had not lost his bearings, however, might say to the tempter at the outset:
“Villainous serpent, wicked serpent, lying serpent, why do you advise me thus? I have seen scandalous profits realized, and I have undertaken the task of putting an end to this scandal; have blushed to think that I live in a time when a gentleman, because he has possessed a hundred francs once, can receive, without ever doing anything more, a hundred sous a year and that indefinitely, continually, for himself or his heirs forever; and I have become a coöperator, because that seemed to m the first remedy for such a state of things. And, serpent, you come to induce me, by insinuation, not to enter into competition with the old machinery of exchange; and worse yet, to me who feel the rebellious blood boiling in my veins against all the Vantours and all the Gobsecks, you come to tempt me with the promise that—what?—that I shall be M. Vantour, that I shall be Father Gobseck!”
The economist would shrug his shoulders, as much as to say:
“You understand nothing of political economy.”
[Tucker]