E. Armand in “l’en dehors” (1936)

As part of the ongoing project of documenting E. Armand’s work, I’ll be assembling pages for each year that l’en dehors was published, beginning somewhat selectively with texts that particularly caught my eye. Gradually, these will become complete archives with at least some English translations.

  • Armand, “L’âge des machines,” L’en dehors 16 no. 290 (mi-Janvier 1936): 107.
  • Armand, “Le droit à l’amour pour les âgés,” L’en dehors 16 no. 291 (mi-Février 1936): 111.
  • Armand, “Les amis,” L’en dehors 16 no. 291 (mi-Février 1936): 121. [verse]
  • Armand, “Se connaître soi-même,” L’en dehors 16 no. 292 (mi-Mars 1936): 133-134.
  • Armand, “Le disciple,” L’en dehors 16 no. 292 (mi-Mars 1936): 137.
  • Armand, “Pour un conception réaliste de l’histoire,” L’en dehors 16 no. 292 (mi-Mars 1936): 140.
  • Armand, “L’en dehorisme,” L’en dehors 16 no. 294 (mi-Mai 1936): 165.
  • Armand, “Dessin animé,” L’en dehors 16 no. 295 (mi-Juin 1936): 174.
  • Armand, “Le non-moi,” L’en dehors 16 no. 295 (mi-Juin 1936): 180. [verse]
  • Armand, “Le rêve de mon ami Maximos,” L’en dehors 16 no. 296 (fin Juillet 1936): 189-190.
  • Armand, “Rimes d’un immure,” L’en dehors 16 no. 296 (fin Juillet 1936): 203.
  • Armand, “« Notre » société nouvelle,” L’en dehors 16 no. 300 (mi-Novembre 1936): 49.

l’âge des machines

On est un homme ou une femme de l’âge des machines, âge pire, je le crains que l’âge des cavernes. Et la machine est aveugle, sourde, insensible. On ne regarde plus émoi, émotion, tendresse que comme des rouages mécaniques. On se dit amoral, asocial; on commence par rompre avec la tradition de la politesse bourgeoise, avec l’hypocrisie de la courtoisie, avec la civilité affadissante et puérile — on finit par s’insoucier de la délicatesse et du savoir vivre. On se moque, hélas, en véritable machine ! que tel de ses actes, telle de ses attitudes, telle de ses paroles puisse froisser profondément le compagnon, avec lequel on se rencontre momentanément. Ce compagnon d’un instant, d’une heure, d’un jour qu’on ne reverra peut-être plus, dont on a fait connaissance grâce à une communauté plus ou moins certaine d’idées — qui sait si tel geste inconsidéré n’a pas rouvert en son for intime une meurtrissure lente à guérir ? Qui sait si telle manifestation d’indifférence ne déchaînera pas une vague d’amertume qui s’en ira abreuver de fiel une sensibilité tendue à l’extrême ? La profession de syndicalisme, de socialisme, de communisme, d’anarchisme ou de quelque chose d’autre en « isme » n’excuse pas l’insulte à la sentimentalité. Une apparente impassibilité recouvre souvent tout un complexe d’impressionnabilité et de susceptibilité que le plus léger choc suffit à faire vibrer douloureusement et: profondément. Aucune opinion, aucune doctrine n’autorise qui s’en réclame à créer de la souffrance chez qui lui tient compagnie, même passagèrement. On me dira que la souffrance au sens où je l’entends ici est pur produit de l’imagination. Je ne le nie pas. Mais tous les raisonnements du monde ne me feront, quant à moi, jamais considérer comme ma ou mon camarade, de quelque « isme » qu’il se pare — et « le mécanisme » y compris — quiconque éveille ou réveille en moi un sentiment d’insatisfaction, d’infériorisation, de malaise, qu’un effort d’attention de sa part eût suffi à éviter. Ni à me fier complètement à lui. — E. Armand.

the age of machines

We are men or women of the age of machines, a worse age, I feel, than the age of caves. And the machine is blind, deaf and incapable of feeling. We no longer regard excitement, emotion, tenderness as anything but mechanical cogs. We declare ourselves amoral, asocial; we begin by breaking with the tradition of bourgeois politeness, with the hypocrisy of courtesy, with tasteless and puerile civility  — we end up unconcerned with delicacy and good behavior. We don’t care a bit—alas, like a true machine!—that some of our acts, some of our attitudes, some of our words could deeply hurt the compagnon that we encounter at the moment. This compagnon for a moment, for an hour or for a day, whom we may never see again, whom we may have come to know thanks to a community more or less certain of its idea — who knows if some inconsiderate gesture has not reopened deep within them a scar slow to heal? Who knows if some show of indifference has not unleashed a wave of bitterness that will deluge with bile a sensibility stretched to its limits? The profession of syndicalism, socialism, communism, anarchism or some other kind of “ism” does not excuse the insult to sentimentality. An apparent indifference often covers a whole complex of impressionability and susceptibility, which the slightest shock is enough to make resonate sadly and deeply. No opinion, no doctrine authorizes those who adhere to it to create suffering among those with how they keep company, even temporarily. I am told that suffering in the sense that I intend is purely a product of the imagination. I do not deny it. But, as for me, all the reasoning in the world will not make me consider as my camarade, whatever “ism” they dress themselves up in — including “the mechanism” — whoever awakens or reawakens in me a sentiment of dissatisfaction, inferiority or unease, when an attentive effort on their part would be enough to avoid it. Nor will I trust them completely. — E. Armand.

« l’en dehorisme »

Qu’est en résumé, ce qu’on appelle « l’endehorisme » — mot barbare s’il en fut — et que condense la ligne de conduite idéologique qu’on trouve sur la couverture de chacun de nos fascicules ?

Nous partons de ce principe qu’aucun contrat, qu’aucune entente, qu’aucun essai de vie à plusieurs ne peut être tenté si le partenaire auquel on a affaire n’est pas propriétaire de son moi — un « unique ».

Le propriétaire de son moi est celui qui n’est asservi à aucun dogme, à aucune influence extérieure, à aucune pression psychologique du conglomérat sociétaire. Celui qui considère les idées qu’il professe, lès pratiques auxquelles il s’adonne comme un dogme, un article de credo où de codé n’est ni un « unique », ni un « en dehors ».

Le propriétaire de son moi, l’unique, l’en dehors, peut se comporter dans sa vie de telle ou telle façon — être uniciste ou pluraliste en amour ; végétarien, végétalien, frugivore, crudivore ou omnivore en fait d’alimentation ; opiner pour l’isolement ou pour l’association ; être partisan de la propriété et de la libre disposition du produit personnel — ou de la mise en commun de tout ou de partie de la production ou encore de la « mise et de la prise au tas » — du troc, d’une valeur d’échange, etc. etc. Cela importe peu. La seule chose indispensable est que ce ne soit pas un dogme dont il soit l’asservi et dont il veuille rendre les autres esclaves. Ces opinions, ces conceptions ne peuvent être que des prolongements de son individualité, c’est-à-dire des moyens, des intermédiaires par lesquels se manifeste, s’affirme son individualité, sa personnalité. Il n’est pas « lié » à toujours par ses « maximes » ; il en change si elles impliquent pour lui contrainte pour la manifestation de son individualité, diminution de l’affirmation de sa personnalité.

Ici, où l’on tient pour l’Association — où l’on se proclame volontiers « individualiste associationniste » — on ne conçoit cette association qu’entre uniques, « en dehors », propriétaires de leur moi — entre individus que rien ne possède — ni croyances, ni foi, ni morales, ni utopies, ni systèmes, ni a priori, ni philosophies, ni mystiques d’aucun genre.

Ici, on ne conçoit l’association qu’entre individus à l’état de « nudité intégrale » si je puis m’exprimer ainsi, c’est-à-dire en pleine possession de leur être psychologique.

C’est seulement à ceux-là, la violence extérieure étant absente, que les clauses d’un contrat peuvent être présentées en toute assurance. Libérés de toute contrainte ou astreinte dogmatique, ils les refusent ou lès acceptent selon que leur individualité s’y affirme ou non. S’ils les acceptent on peut tenir pour certain qu’ils les accompliront et que si le jour vient où ces clauses ne répondent plus à la manifestation de leur personnalité, ils les dénonceront avec le préavis déterminé à l’avance. Il y a en effet des contrats d’association qu’on ne peut résilier sans préavis, étant donné le tort susceptible d’être causé aux autres associés. Ce tort, à ce moment-là, est synonyme de contrainte. Et peu importe le but, le dessin, l’expérience poursuivie par le contrat d’association : économique, sexuel, éducatif, récréatif, etc.

Il n’est de vraie camaraderie, de camaraderie sur laquelle on puisse compter qu’entre propriétaires de leur moi (uniques, « en dehors »). Comment escompter la camaraderie effective, pratique ou même simplement intellectuelle de quelqu’un possédé par une chose extérieure, à lui : Dieu, famille, éducation, devoirs civiques, affaires, etc. ?

Ceci a été déjà exprimé — et en mieux — mais il n’est pas mauvais, de temps à autre, de revenir à nos bases de départ. — E. Armand.

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dessin animé

Vous étions hérétiques, amoraux, pervers, anormaux, hétérodoxes, mais pourtant ni biasés ; ni corrompus — curieux mais non hypocrites — à l’affût des sensations rares et imprévues, obtenues n’importe comment et à n’importe quel prix, hormis bien entendu la fraude ou la violence — nous aimions ni les sentiers par trop battus ni les habitudes passées à l’état d’acquis — ce qui nous tourmentait el nous tenaillait c’était l’impatience d’expérimenter, expérimenter aujourd’hui, demain, encore, toujours, jusqu’au matin de notre trépas, — accumuler et faire se suivre les expériences nouvelles — nous associer avec d’autres compagnons de route, puis nous lancer à la recherche de l’inédit, dé l’inattendu, de l’ailleurs.

Nous sommes accourus vers vous, les « à part » — nous sommes venus, jeunes ou vieux, la chevelure abondante où lé poil rare — avec une joie inexprimable — nous sommes venus vers vous : les sans préjugés, les risque tout, les hors conventions, vous qui aviez tout « scié » — vous qui aviez, ouvertement où non, rompu avec le monde et ses murs, avec la société et ses coutumes — vous les sans parti, les sans église, les sans religion, lés immoralistes, les chercheurs d’au delà, les briseurs d’images et tout ce que nous vous croyions être.

Et nous vous avons trouvés si peu différents de ceux que vous appeliez avec tant de dédain, « les-en dedans » ! Nos appels n’ont évoqué aucun écho en vos sensibilités. Vous n’avez pas tendu vos mains vers nos offres d’association.

Nous en sommes navrés, navrés au point de nous demander si nous ne sommes pas le jouet d’un cauchemar affreux, d’un guet-apens, d’un traquenard… Mais comme nous nous avez fait mal ! — E. Armand.

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« notre » société nouvelle

Mon dernier article à propos des « deux blocs » m’a valu quelques lettres. Il convient donc d’y ajouter quelques commentaires. Individualistes an-archistes, nous chérissons au fond de notre cœur, une conception, un « idéal » — les mots ne me font pas peur — de société, d’humanité an-archiste, individualiste an-archiste, reposant non sur la violence, la coercition, l’imposition, les institutions étatistes, mais sur la mentalité consciente de ses composants.

Nous sommes les adversaires du fascisme, manifeste ou déguisé, comme nous le sommes de toute conception totalitaire d’une société ou de l’humanité, qu’elle s’intitule démocratique, syndicaliste, communiste, socialiste où anarchiste. Nous affirmons que les deux mots anarchisme et totalitaire jurent d’être accouplés, parce que le totalitaire ne s’instaure pas et ne se comprend pas sans l’autoritaire. An-archisme, pour nous, égale non-empiètement, non-intervention, non-immixtion sur et dans la vie de l’individu ou dans le fonctionnement des associations — que nous ne concevons que facultatives et volontaires — que les unités sociales peuvent être amenées à former.

L’an-archisme, l’individualisme an-archiste ne sont et ne valent que pour ceux à qui elles conviennent et non pour les autres. « L’an-archie pour les an-archistes », simplement et exclusivement ! Nous nous insurgeons contre l’idée que, sous un prétexte quelconque — dans « notre » société nouvelle — pour un motif économique ou idéologique quelconque — on contraigne les non-anarchistes à vivre la conception de vie anarchiste, à en subir les conséquences et les méthodes. Pas plus que nous n’admettons que démocrates, syndicalistes, socialistes, communistes, forcent ceux qui n’épousent pas leurs revendications ou leurs tactiques à s’y assujettir où à s’y plier.

Nous disons qu’il y a assez d’espace sur la planète pour que les différentes conceptions de la vie en société puissent se réaliser, évoluer, se concurrencer — tout cela pacifiquement, sans se gêner, se nuire, se porter tort.

Dans la « société nouvelle » que nous voulons, le non-anarchiste a autant le droit de vivre et de se développer que l’an-archiste. Et c’est précisément en cela qu’elle est an-archiste.

Nous éprouvons le plus profond dégoût, la répugnance la plus vile pour toute idéologie, pour tout système politique, pour tout régime sociétaire — même étiqueté anarchiste — qui abolirait ou restreindrait la liberté d’expression, d’examen ou de critique, la liberté d’association et de circulation des personnes ou des choses, la liberté d’exposition et de réalisation de toutes les thèses imaginables — politiques, économiques, éthiques, esthétiques, sexualistes, récréatives ou autres — pourvu qu’elles ne s’imposent pas et que leur pratique soit confinée à leurs protagonistes, toute facilité étant accordée à leur propagande.

Voilà « notre » société nouvelle à nous : une société d’où le recours à la coercition a disparu.

Nous voulons une société, une humanité fondée sur l’autonomie individuelle, sur le plus profond respect de la vie de l’être humain, sur la reconnaissance de son droit absolu à disposer de son corps comme il l’entend (sous sa pleine et entière responsabilité), à se conduire comme il le croit désirable, — sant qu’y fourre le nez autrui-personne au autrui-milieu — seul ou de concert avec d’autres compagnons de son choix, dès lors que son comportement n’oblige que lui et ses compagnons.

C’est ça, la société an-archiste à laquelle nous aspirons.

Toute autre humanité, toute autre société, tout autre milieu conçu et édifié autrement est à orientation archiste — et se proclameraient-ils anarchistes que cela n’y changerait rien.

Nous sommes pour la réaction et la révolte à l’état permanent — avouées où occultes — contre tout et tous ceux qui souhaitent et veulent l’avènement ou la consolidation :

de tout régime à contrat social imposé; de tout système de vie sociale qui contraint l’unité individuelle à faire, exprimer ou pratiquer ce qu’elle ne ferait, exprimerait ou pratiquerait pas si on ne lui faisait violence — ou à ne pas faire, exprimer ou pratiquer ce qu’elle est poussée à faire, exprimer ou pratiquer si on ne le lui interdisait pas — à charge de réciprocité pour autrui.

Sommes-nous assez clairs et mes correspondants se tiendront-ils pour satisfaits ?

Nous voulons une société, une humanité où chacun ait la faculté de croire à ou en quelque chose ou de n’y pas croire; de pratiquer les mœurs qui lui procurent le plus de joie sans avoir à redouter aucune entrave; d’épouser en science en art, en littérature les opinions qui lui plaisent et de les extérioriser à sa façon — où n’existe aucune monopolisation ou confiscation des moyens d’exposer et de proposer — où le seul crime possible et répressible est de se mêler des affaires d’autrui et de s’immiscer dans le fonctionnement intérieur de n’importe quelle association volontaire et à contrat résiliable.

C’est ça « notre » société nouvelle — la société individualiste-anarchiste. — E. Armand.

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