Pierre Leroux, “De l’Union européenne” / “Of the European Union” (1827)

“De l’Union européenne” was originally published in Le Globe, 24 novembre 1827. It then appeared as the first essay in the “Appendice aux Trois Discours” in the Œuvres de Pierre Leroux, Vol. I (1850.)

DE L’UNION EUROPÉENNE

(1827.—Apres la bataille de Navarin)

§ 1.

De l’unité qui se révèle en Europe—Cette unité n’est pas le fait du Catholicisme.

La victoire de Navarin a donné occasion à quelques écrivains de rappeler le souvenir de Lépante. Ils ont regardé cette victoire comme un nouveau triomphe de l’Unité Chrétienne, et ils ont eu raison; car le Monde Chrétien, qui comprend l’Europe et l’Amérique, qui déjà s’étend en Asie et entoure le Continent Africain, forme un système dont toutes les parties vivent d’une vie commune et progressive ; et ce système se distingue nettement des deux autres grands systèmes lé Brahmanisme et le Mahométisme, qui avec lui partagent la terre. En ce sens, ce que nous venons de voir n’est qu’une répétition de ce que vit le Seizième Siècle. Mais il y a aussi entre ces deux évènements des différences essentielles. Car alors c’étaient les pontifes qui donnaient le signal; c’étaient eux qui appelaient la Chrétienté aux armes contre les Barbares d’Orient, les destructeurs d’Alexandrie, les spoliateurs de Byzance, les tyrans de la Grèce, les marchands d’esclaves. On voyait leurs galères combattre à Lépante, et toute la flotte était orthodoxe. Aujourd’hui le pape n’a plus qu’un vain titre, et bien des croix différentes auraient pu être arborées sur les vaisseaux de Navarin. Alors, avant le combat, des indulgences étaient prêchées dans toutes les chaires; et nous avons vu toutes les chaires catholiques rester silencieuses. Mais à quoi bon continuer cette comparaison, puisqu’il est trop évident que le Catholicisme est aujourd’hui ruiné? Une union bien supérieure à l’Unité Catholique s’est formée; et celle-ci convient à notre époque, comme l’autre a pu convenir aux premiers développements de la Société Européenne. Cette nouvelle Unité n’a pas d’organisation matérielle, et elle n’en a pas besoin; elle n’a pas de bûchers, pas d’inquisition, mais elle n’en est pas moins puissante : c’est elle qui abolit l’esclavage, qui émancipe l’Amérique, qui sauve la Grèce.

OF THE EUROPEAN UNION

(1827.—After the Battle of Navarino)

In the last centuries, war was the necessary consequence of the internal organization of states. — Doctrine of war professed then generally. — Agreement of Bodin, of Bacon, of Hobbes, etc., with Machiavelli. — Origin and development of the pacific principle. Thomas More, Fenelon, the Abbé de Saint-Pierre.

§ 1.

Of the unity that is revealed in Europe. — This unity is not the work of Catholicism.

The victory of Navarino has given occasion to some writers to recall the memory of Lepanto. They viewed this victory as a new triumph of Christian unity, and they were right; because the Christian World, which includes Europe and America, which already extends into Asia and surrounds the African Continent, forms a system, of which all the parts live a common and progressive life; and this system is clearly distinguished from the two other great systems, Brahmanism and Mohammedanism, which share the earth with it. In this sense, what we have just seen is only a repetition of what the Sixteenth Century experienced. But there are also essential differences between these two events. For then it was the pontiffs who gave the signal; it was they who called Christendom to arms against the barbarians of the East, the destroyers of Alexandria, the despoilers of Byzantium, the tyrants of Greece, the slave traders. Their galleys were seen fighting at Lepanto, and the entire fleet was Orthodox. Today the pope has nothing more than an empty title, and many different crosses could have been displayed on the ships of Navarino. Then, before the combat, indulgences were preached in all the pulpits; and we saw all the Catholic pulpits remain silent. But what is the point of continuing this comparison, since it is too obvious that Catholicism is ruined today? A union far superior to Catholic unity was formed; and this one suits our time, as the other may have suited the first developments of European society. This new unity has no material organization, and it does not need one; it has no stakes, no inquisition, but it is no less powerful: it is it that abolishes slavery, that emancipates America, that saves Greece.

§ 2.

Deux Influences diverses s’y font sentir : les Rois et les Peuples.

Cette unité pourtant n’est pas complète, et il se passera peut-être encore beaucoup de temps avant qu’elle le devienne ; car deux influences diverses s’y font sentir : une lutte s’est engagée entre l’esprit général des cabinets et l’esprit général des sociétés.

C’est l’esprit des sociétés qui a formé l’Union Européenne, dont les cabinets voudraient aujourd’hui s’emparer.

Pour la former, il a eu à combattre la monarchie et la noblesse; car la monarchie absolue et la noblesse étaient deux causes de guerre perpétuelle.

Il les a combattues par le progrès de la raison et par l’influence du commerce et de l’industrie, ennemis des violences et des troubles qui font fuir la richesse ; il les a combattues aussi par des révolutions.

En même temps une doctrine de paix a remplacé une doctrine de guerre.

Pour juger maintenant à qui des peuples ou des gouvernements restera la direction de cette force unitaire, si elle sera employée longtemps encore en guerres d’interventions contraires au perfectionnement des sociétés, ou si de plus en plus elle sera appliquée à ce perfectionnement même, nous n’avons rien de mieux à faire que de considérer attentivement comment l’union s’est formée, et ce qu’elle est aujourd’hui, car le présent est gros de l’avenir.

§2.

Two diverse Influences are felt there: the Kings and the People.

This unity, however, is not complete, and it will perhaps still be a long time before it becomes so; for two diverse influences are felt there: a struggle has begun between the general spirit of the cabinets and the general spirit of the societies.

It was the spirit of the societies that formed the European Union, which the cabinets would now like to take over.

In order to form it, it was necessary to fight the monarchy and the nobility; for absolute monarchy and the nobility were two causes of perpetual war.

This spirit fought them through the progress of reason and through the influence of commerce and industry, enemies of that violence and unrest that drive away wealth; it also fought them with revolutions.

At the same time a doctrine of peace replaced a doctrine of war.

In order to judge now to which of the peoples or governments will remain the direction of this unitary force, whether it will be used for a long time to come in wars of intervention contrary to the perfection of societies, or whether it will be applied more and more to this very perfection, we have nothing better to do than to carefully consider how the union was formed, and what it is today, because the present is pregnant with the future.

§ 3.

Dans les derniers siècles, la Guerre était la conséquence nécessaire de l’organisation des États.

On nous dispensera de prouver que même après l’âge des guerres privées et après ces luttes d’une foule de petits princes dont les états finirent par composer les grandes monarchies, l’Europe continua pendant trois siècles à être agitée de guerres interminables.

Les rois s’étant mis partout à la place des nations, il fallait bien que la politique des nations fût mobile et passionnée comme eux. D’ailleurs la royauté était guerrière de sa nature. La réputation était jugée nécessaire au prince. Un roi, disait Richelieu, doit hasarder tout, sa fortune et sa grandeur, plutôt que de souffrir qu’on fasse brèche à sa réputation. Chaque nouveau règne mettait donc sur le peuple un impôt de gloire au profit du souverain. D’un autre côté, la crainte que le monarque inspirait au dehors était regardée comme un moyen de gouvernement au dedans. En outre, il importait à une autorité souvent mal affermie d’occuper par des guerres étrangères des sujets oisifs, courageux, qui se souvenaient trop de l’indépendance de leurs pères. Les liaisons du sang et les héritages étaient une autre source de débats. Ajoutez enfin les erreurs de jugement et les vices personnels des princes. On en a vu qui tiraient gloire du nombre de leurs perfidies. Pour d’autres, l’art de régner consistait surtout dans l’activité d’un brigand alerte, toujours en entreprise sur ses voisins. « Quelles que soient les conjonctures, disait un Léopold, cherchons à nous étendre, et formons de grands projets » : c’est en suivant cette maxime que la maison d’Autriche épuisa ses forces et fit venir sa décadence. « Seul contre tous » fut la devise de Louis XIV : longtemps il la fit valoir, mais l’Europe eut son tour. Ainsi, selon les rois et les ministres, la politique des nations allait à l’héroïsme, à la folie ou à la scélératesse; il y avait des conduites viles et des conduites nobles : mais toujours la passion menait tout; on adorait la force; à cet égard les rois avaient écrit leur pensée jusque sur leurs canons (1).

Après les rois, ou plutôt avant eux, la grande cause des guerres de l’Europe était la noblesse. La noblesse cherchait la guerre volontairement, tandis qu’il fallait y traîner le peuple de force. La guerre était son élément, sa vie; elle s’y croyait obligée de conscience : ne tenait-elle pas les fiefs à cette condition? La vertu, alors, c’était le courage. Du pôle à la Méditerranée, toute l’Europe avait la même organisation. Partout dominait une caste militaire, et partout cette caste fut le volcan qui agita les empires. Les guerres acharnées du Nord s’expliquent comme celles du Midi. Seulement au Midi les guerres dépendirent plutôt de la monarchie, au Nord de la noblesse (2).


(1) Ultima ratio regum.

(2) Dans les pays d’origine slave, en Pologne, en Russie, la noblesse s’était adjugé le droit exclusif de posséder la terre. La Pologne eut jusqu’à la tin ses diètes et sa pospolite, et jusqu’au milieu du Seizième Siècle tous les Étals du Nord Turent électifs. Il est vrai, quant à la Russie, que sa noblesse nous apparaît aujourd’hui tellement pile devant l’autocratie, qu’il semble qu’elle n’eut jamais d’activité propre, et qu’on ne saurait la considérer comme ayant été autrefois un principe énergique de guerre étrangère et de conquête; mais c’est une illusion qui provient uniquement de ce que nous nous sommes occupés fort tard de cet empire. Il suffit, en effet, de parcourir ses annales, ou seulement do se rappeler les scènes qui préludèrent à l’élévation des Romanoff, pour voir en Russie, avant la reforme de Pierre, une noblesse essentiellement militaire, ayant sa part d’action et de gouvernement, dominant de temps en temps la royauté dans ses diètes orageuses, enfin presque en tout semblable à la noblesse polonaise. Là, comme ailleurs, faire la guerre était lu privilège et le devoir du noble. La loi obligeait même tout gentilhomme russe de se mettre au service et d’y rester tant que ses forces le lui permettaient ; devenu invalide, il se substituait son fils. C’est ainsi que se recrutaient les armées ; c’est ainsi qu’avec un revenu qui n’excéda jamais cinq millions de roubles les czars eurent toujours de nombreux soldats à opposer à leurs nombreux ennemis; et c’est même à la faveur de cette habitude nationale que Pierre put, sans danger, enrôler comme simples dragons et simples matelots tous les gentilshommes au-dessous de trente ans. Or, ces nobles, ces hommes de race conquérante, en sortant du service, avaient droit à des récompenses : aux uns venaient échoir les gouvernements, les vaivodies: aux autres il restait les emplois inférieurs, des districts de terre, des lacs poissonneux et les villages de la couronne. Un strélitz n’avait que quatre roubles de paie par an ; mais des privilèges ou des abus le dédommageaient. Ainsi là encore la noblesse entretenait la guerre, comme à son tour la guerre faisait vivre la noblesse. Au fond, il n’y a point eu en Russie de véritable révolution sociale; le trône seul a grandi, la noblesse n’a perdu que sa dignité politique : que voyons-nous aujourd’hui dans cet empire? Cinq cent mille nobles ou agents de l’empereur et vingt-cinq millions de serfs, la terre et l’autorité dévolues à une classe d’hommes formant la dix-huitième partie de la nation.

§ 3.

In recent centuries, War was the necessary consequence of the organization of States.

We will be excused from proving that even after the age of private wars and after these struggles of a crowd of little princes whose states ended up composing the great monarchies, Europe continued for three centuries to be agitated by endless wars.

The kings having put themselves everywhere in the place of nations, it was necessary that the politics of nations be mobile and passionate like them. Besides, royalty was warlike by nature. Reputation was considered necessary for the prince. A king, said Richelieu, must risk everything, his fortune and his greatness, rather than allow his reputation to be damaged. Each new reign therefore placed on the people a tax of glory for the benefit of the sovereign. On the other hand, the fear that the monarch inspired abroad was regarded as a means of government at home. Furthermore, it was important to an authority that was often poorly established to occupy with foreign wars idle, courageous subjects, who remembered too well the independence of their fathers. Blood relations and inheritances were another source of debate. Finally add the errors of judgment and the personal vices of the princes. We have seen some who took glory from the number of their perfidies. For others, the art of ruling consisted above all in the activity of an alert brigand, always in business with his neighbors. “Whatever the circumstances,” said one Leopold, “let us seek to expand, and form great projects.” It was by following this maxim that the House of Austria exhausted its strength and brought about its decadence. “Alone against all” was the motto of Louis XIV: he asserted it for a long time, but Europe had its turn. Thus, according to kings and ministers, the politics of nations tended towards heroism, madness or villainy; there were vile behaviors and noble behaviors: but always passion led everything; we worshipped strength; in this regard the kings had written their thoughts even on their cannons. [1]

After the kings, or rather before them, the great cause of the wars of Europe was the nobility. The nobility sought war voluntarily, while the people had to be dragged into it by force. War was its element, its life; it believed itself obliged to wage war out of conscience. Did it not hold the fiefs on this condition? Virtue, then, was courage. From the Pole to the Mediterranean, all of Europe had the same organization. Everywhere a military caste dominated, and everywhere this caste was the volcano that agitated the empires. The bitter wars of the North can be explained like those of the South. Only in the South the wars depended more on the monarchy, in the North on the nobility. [2]


1. Ultima ratio regum.

2. In countries of Slavic origin, in Poland, in Russia, the nobility had granted themselves the exclusive right to own land. Poland had its diets and its pospolites until the end, and until the middle of the Sixteenth Century all the Northern States were elective. It is true, as for Russia, that its nobility appears to us today so pale before the autocracy, that it seems that it never had any activity of its own, and that we cannot consider it as having was once a forceful principle of foreign war and conquest; but it is an illusion that comes only from the fact that we took care of this empire very late. It is enough, in fact, to go through its annals, or even just to recall the scenes that preluded the rise of the Romanovs, to see in Russia, before the reform of Peter, an essentially military nobility, having its share of action and of government, dominating from time to time the royalty in its stormy diets, in short almost in every way similar to the Polish nobility. There, as elsewhere, waging war was the privilege and duty of the noble. The law even obliged every Russian gentleman to enter the service and to remain there as long as his strength permitted him; becoming disabled, his son took his place. This is how armies were recruited; this is how, with an income that never exceeded five million rubles, the czars always had numerous soldiers to oppose their numerous enemies; and it is even thanks to this national habit that Peter was able, without danger, to enlist as simple dragoons and simple sailors all the gentlemen under thirty years of age. Now, these nobles, these men of conquering race, upon leaving the service, were entitled to rewards: to some came the governments, the vaivodies; to others there remained the inferior jobs, districts of land, lakes full of fish and the crown villages. A strelitz had only four rubles a year’s pay; but privileges or abuses compensated him. So here again the nobility kept the war going, just as the war in turn kept the nobility alive. Basically, there was no real social revolution in Russia; only the throne has grown, only the nobility has lost its political dignity: what do we see today in this empire? Five hundred thousand nobles or agents of the emperor and twenty-five million serfs, the land and authority vested in a class of men forming the eighteenth part of the nation.

§ 4.

Système de l’équilibre ou balance politique.

De l’impulsion des rois et des nobles sortit donc la politique des derniers siècles. Il ne faut que parcourir quelques-uns des nombreux ouvrages publiés sur l’art des négociations, pour apercevoir qu’ils roulent presque uniquement sur ce problème : « Une nation étant donnée, chercher quels sont ses alliés naturels et ses ennemis naturels. » Or il suffisait souvent que deux puissances eussent une lieue de frontières communes, ou possédassent toutes deux quelques ports et quelques vaisseaux, pour qu’on les déclarât ennemis naturels. Une fois cette recherche faite, tonte la science du politique se réduisait à faire du bien à ses alliés et tout le mal possible à ses ennemis. A cette époque, il y avait toujours en Europe ce qu’on appelait la puissance dominante et la puissance rivale : elles se surveillaient sans cesse, se traversaient dans toutes leurs démarches ; et cette rivalité même était regardée comme la sauvegarde de la liberté des autres États. Jamais la plus forte ne négligeait une occasion d’humilier la plus faible ; et celle-ci, à son tour, entretenait partout une utile jalousie contre la nation prépondérante. Telle fut cette théorie fameuse de l’équilibre, qui, réduisant toute la science politique à ne savoir qu’un mot, flattait également l’ignorance et la paresse des ministres, des ambassadeurs et des commis. Encore avait-il fallu beaucoup de temps pour arriver là ; car depuis les guerres d’Italie sous Charles VIII, époque où les puissances de l’Europe commencèrent à avoir entre elles des relations suivies, jusqu’au moment où Élisabeth et les Hollandais imaginèrent la théorie régulière de contre-poids et de lutte perpétuelle, la politique n’avait guère été qu’un mélange informe de passions et de vues également grossières. Enfin, quand on eut trouvé cet admirable système, l’Europe, pendant deux siècles, retentit des mots d’équilibre, de liberté, de tyrannie; le sang continua de couler pour rétablir la balance qui penchait tantôt d’un côté et tantôt de l’autre; la maison d’Autriche, la France et l’Angleterre, tour à tour puissances dominantes et rivales, combattirent sans relâche, entraînant dans leur sphère et leurs alliés naturels, et ces cours machiavéliques par essence qui n’étaient véritablement les alliées de personne, mais qui se trouvaient toujours, à la fin de la guerre, les alliées de celui qui l’avait faite avec le plus de bonheur. Ainsi on peut dire que dans toute cette longue période la guerre fut l’état naturel des sociétés : elles y étaient poussées invinciblement par la nature même des principes monarchique et nobiliaire qui dominaient dans leur sein.

Aujourd’hui ces principes ont reçu partout un notable affaiblissement, et d’autres, évidemment destinés à vaincre, ont surgi à leur place. Donc un ordre nouveau s’établira tôt ou tard dans les rapports des sociétés entre elles. Que la guerre change alors complètement d’objet, ou même devienne sans objet, cela ne serait pas plus étonnant que ce qui est déjà arrivé en Europe à un autre âge de la société. Les véritables conquêtes, c’est-à-dire la prise de possession réelle d’un pays et la superposition d’un peuple sur un autre, n’ont-elles pas déjà duré plusieurs siècles? Ces conquêtes étaient corrélatives à un état de société où tous les hommes étaient soldats et où les armées étaient des nations; n’ont-elles pas cessé quand la société eut pris une autre face? Depuis ce temps, il y a eu bien des batailles livrées, bien des provinces soumises : a-t-on vu les populations se déplacer, les villes et les campagnes se peupler d’étrangers, les vaincus chassés et dépossédés? Non. Eh bien ! de même qu’au combat des nations a succédé le duel des rois, le temps ne peut-il venir où les conquêtes territoriales disparaîtront à leur tour, quand l’organisation sociale qui les enfanta aura achevé de mourir? Mais rien ne se fait que graduellement et à force de siècles; il faut être sorti de ces âges de transition où la société ressemble à l’insecte qui se métamorphose : il ne rampe déjà plus suc la terre, mais il n’a pas encore d’ailes pour s’élever.

§ 4.

System of equilibrium or political balance.

From the impetus of kings and nobles came the politics of recent centuries. You only have to browse some of the numerous works published on the art of negotiations to see that they focus almost entirely on this problem: “A nation being given, find out which are its natural allies and its natural enemies.” Now it was often enough that two powers had a league of common borders, or both possessed a few ports and a few ships, for them to be declared natural enemies. Once this research was done, all the science of politics was reduced to doing good to its allies and all possible harm to its enemies. At that time, there was always in Europe what we called the dominant power and the rival power: they constantly monitored each other, crossed each other in all their actions; and this very rivalry was considered as the safeguard of the liberty of other States. The strongest never neglected an opportunity to humiliate the weakest; and this, in turn, everywhere maintained a useful jealousy against the predominant nation. Such was this famous theory of equilibrium, which, reducing all political science to knowing only one word, also flattered the ignorance and laziness of ministers, ambassadors and clerks. Still, it had taken a long time to get there; because from the Italian wars under Charles VIII, a time when the powers of Europe began to have ongoing relations with each other, until the moment when Elizabeth and the Dutch imagined the regular theory of counterweight and perpetual struggle, politics had been little more than a shapeless mixture of equally crude passions and views. Finally, when this admirable system had been found, Europe, for two centuries, resounded with words of equilibrium, liberty, tyranny; the blood continued to flow to restore the balance, which leaned sometimes to one side and sometimes to the other; the House of Austria, France and England, in turn dominant and rival powers, fought tirelessly, drawing into their sphere their natural allies and these courts, Machiavellian in essence, which were truly no one’s allies, but always found themselves, at the end of the war, the allies of the one who had fought it most successfully. Thus we can say that throughout this long period war was the natural state of societies: they were inevitably pushed to it by the very nature of the monarchical and nobiliary principles that dominated within them.

Today these principles have received a notable weakening everywhere, and others, obviously destined to win, have arisen in their place. So a new order will be established sooner or later in the relationships between societies. If war then completely changed its object, or even became pointless, this would be no more surprising than what already happened in Europe at another age of society. Hadn’t the real conquests, that is to say the real taking of possession of a country and the superposition of one people on another, already lasted several centuries? These conquests were correlative to a state of society in which all men were soldiers and where armies were nations; Did they not cease when society had taken on another aspect? Since that time, there have been many battles fought, many provinces subjected: have we seen populations move, towns and countryside populated with foreigners, the vanquished driven out and dispossessed? No. Well! Just as the battle of nations was followed by the duel of kings, can the time not come when territorial conquests will disappear in their turn, when the social organization which gave birth to them will have finally died? But nothing is done except gradually and over centuries; we must have emerged from these transitional ages where society resembles the insect that metamorphoses: it no longer crawls on the earth, but it does not yet have wings with which to rise.

§ 5.

Doctrine de la Guerre professée alors généralement.

Du moins sommes-nous plus avancés que nos pères ; car aujourd’hui, quoique dépourvus d’une doctrine positive, et encore flottants au milieu des doutes que nous ont laissés tant d’écoles politiques différentes, personne n’érigerait en principe que la guerre est un exercice salutaire aux États, et qu’il est juste de porter la flamme et le fer chez ses voisins dans la crainte qu’ils ne fassent trop bien leurs affaires. Or ce que personne aujourd’hui ne dirait était, au Seizième Siècle, au Dix-Septième Siècle, et plus tard encore, une vérité incontestable, non pas seulement aux yeux d’un grand nombre d’hommes d’État et de diplomates, mais aux yeux des philosophes même. Les génies les plus éminents admettaient cette nécessité des empires de se nuire mutuellement : c’était un point presque convenu dans la science, une sorte d’axiome politique. Et, en effet, il fallait bien qu’il en fût ainsi; car, encore une fois, l’Europe étant organisée pour la guerre, la guerre devenait pour elle un état naturel et une nécessité.

Cette sorte d’adoption de la guerre par les philosophes, de même que le consentement formel ou tacite qu’ils ont donné si longtemps à l’esclavage, offre assurément un des exemples les plus remarquables de la faiblesse et des variations de l’esprit humain. Le fait est donc curieux à constater. Les autorités ne nous manqueront pas.

§ 5.

Doctrine of War then generally professed.

At least we are more advanced than our fathers; because today, although devoid of a positive doctrine, and still floating amidst the doubts that so many different political schools have left us, no one would establish as a principle that war is a salutary exercise for States, and that it is right to take flame and sword to one’s neighbors for fear that they will do their business too well. But what no one today would say was, in the Sixteenth Century, in the Seventeenth Century and later still, an incontestable truth, not only in the eyes of a large number of statesmen and diplomats, but even in the eyes of philosophers. The most eminent geniuses admitted this necessity of empires to harm each other: it was an almost agreed point in science, a sort of political axiom. And, in fact, it had to be so; because, once again, Europe being organized for war, war became for it a natural state and a necessity.

This sort of adoption of war by philosophers, as well as the formal or tacit consent which they gave for so long to slavery, undoubtedly offers one of the most remarkable examples of the weakness and variations of the mind. human. The fact is therefore curious to note. We will not lack authorities.

§ 6.

Accord de Bodin, de Bacon, de Hobbes, etc., avec Machiavel.

« Il y en a, dit Bodin, qui s’imaginent qu’une paix continuelle est l’état auquel doit aspirer un empire; mais ceci est une erreur; » et il le prouve par une foule de raisons solides tirées de l’organisation des sociétés de son temps. Or, en pareille matière, Bodin est une grave autorité. Il a été pour les modernes le père de la science politique, et longtemps le livre de la République a fait foi en Europe. C’était d’ailleurs un esprit de premier ordre. Sans doute Montesquieu est aussi concis et aussi net que Bodin est diffus et terne; mais, au fond, ils ont plus de rapports qu’on ne le croit communément : non seulement Bodin a fourni à Montesquieu sa division générale des gouvernements et sa fausse mais importante théorie du climat; il lui a inspiré encore un grand nombre d’idées de détail ; il a été son devancier et son maître dans cette méthode de comparer les institutions de tous les pays et de tous les siècles qui forme, pour l’un comme pour l’autre, la base de la science; tout fatigant qu’il est d’érudition de menu détail, il sait, lui aussi, apprécier la valeur des faits et apercevoir les conséquences d’une législation dans leur germe. En un mot, à beaucoup d’égards, Bodin a donne la forme au génie de Montesquieu : c’est comme une matrice, d’une matière assez vile, de sable ou de chaux, mais sur laquelle est gravée profondément une empreinte, et qui la communique brillante et pleine de relief au métal précieux qu’elle reçoit.

Après Bodin, nous citerons Bacon. Arrivé presque à la fin de son grand ouvrage du Perfectionnement des Sciences, Bacon s’étonne d’avoir traversé tout l’océan des connaissances humaines, d’avoir touché tant de découvertes faites ou à faire, et de n’avoir rien dit d’une science qui domine toutes les autres, de la science du gouvernement. Mais le chancelier d’Angleterre craindrait de se compromettre en écrivant sur la politique; ses pensées sur ce sujet délicat ne paraîtront qu’après sa mort. Tout ce qu’il peut faire pour le présent, c’est d’indiquer quelques principes généraux d’une incontestable évidence. Eh bien! le croirait-on? un de ces principes, c’est que l’art de régner ne consiste pas seulement à rendre un État heureux et florissant : il faut l’agrandir, il faut de toute nécessité étendre ses frontières. D’ailleurs, la guerre, en elle-même, est une bonne chose; c’est un exercice salutaire. Dans son amour pour les figures et les allégories, amour qui ne le quitte jamais, Bacon compare le corps politique au corps humain : la guerre civile, c’est la chaleur qui résulte du mouvement, et on sait combien celle-ci est utile à la santé. Bacon fait plus; il enseigne franchement un art de nourrir la guerre, de la rendre presque permanente, tout en ayant toujours de son côté, non pas la justice, mais l’apparence de la justice. « Entretenez, dit-il, avec soin l’esprit militaire de votre noblesse; inspirez au peuple un vif orgueil national, rendez» le chatouilleux sur le point d’honneur, et ensuite ne laissez jamais échapper la moindre occasion de mettre à profit cette ardeur guerrière. Il est impossible qu’il ne s’en présente pas : si quelque dégât a été commis sur la frontière, si vos ambassadeurs ou vos marchands ont été insultés, dites que la nation tout entière l’a été ; n’attendez pas qu’on vous fasse réparation, courez aux armes. De plus, en toute occasion, affectez pour vos alliés une vive tendresse; que leurs injures soient les vôtres, prenez parti dans toutes leurs querelles : ce fut l’art des Romains. » Ces préceptes de Bacon rappellent ceux de Machiavel.

On a commencé au Dix-Huitième Siècle à regarder la doctrine de Machiavel comme un étonnant scandale et lui-même comme une sorte de monstre, une exception unique; jusque-là il n’y avait pas eu contre lui tant de clameurs. Rousseau, frappé du contraste qu’il croyait apercevoir entre le livre de Machiavel et sa vie, eut recours, le premier, à une subtile explication : l’apologie de la ruse et de la violence en aurait été la satire; Machiavel aurait voulu instruire les peuples par la peinture de leurs tyrans. Mais cette supposition était dénuée de vérité. Non seulement ce fut de bonne foi que Machiavel donna ses leçons de fourberie, mais ce mélange de grandeur et de bassesse morale qui nous étonne en lui n’étonnait pas son siècle; le caractère italien en était essentiellement composé; et Machiavel ne fit qu’exposer et enchaîner avec plus de logique et de vigueur que tout autre des principes universellement reçus. Nous renvoyons, pour la preuve, à l’excellente dissertation qu’un jeune et habile critique anglais, M. Macaulay, a insérée tout récemment dans la Revue d’Edimbourg. Mais ce critique s’est trompé, selon nous, en limitant à l’Italie cette politique astucieuse, qu’il oppose à une autre politique des nations moins civilisées, non pas franche et chevaleresque, mais brutale et aveugle, incapable de combinaisons et de système. Si Machiavel ne fut pas un homme à part en Italie, il ne fut pas non plus une anomalie en Europe. Sans doute cette doctrine perverse, mais alors salutaire, devait être mieux comprise par l’Italie, si éclairée et si malheureuse, qui n’avait que l’esprit pour résister à la force, assiégée de tous côtés au dehors, divisée au dedans, livrée enfin à une sorte de guerre de tous contre tous. Mais les mêmes situations enfantent les mêmes opinions : la guerre étrangère était permanente dans toute l’Europe; l’Europe tout entière était organisée militairement; nulle part, il n’y avait rien d’homogène; partout des castes et des corporations, des dissensions religieuses et civiles; quelque ignorantes que fussent les populations, l’esprit et la finesse avaient au moins pénétré dans les cours : est-il étonnant que la même doctrine se soit produite spontanément partout, et que partout aussi elle ait trouvé d’habiles interprètes?

Au reste, Machiavel n’eut pas une doctrine complète; il se tint aux branches et n’alla pas jusqu’à la racine de l’arbre. L’homme qui a donné à cette doctrine un fondement philosophique, c’est Hobbes. Son livre du Citoyen a pu être considéré à quelques égards comme un pamphlet politique au profit des Stuarts et de la Monarchie absolue contre le gouvernement constitutionnel et la division des pouvoirs, qui prenait alors un développement tout nouveau en Angleterre; mais il est rédigé dans une forme générale et basé sur des principes abstraits : c’est le Contrat Social de l’époque.

Hobbes part du principe que l’homme est ennemi de l’homme (homo homini lupus), et que la guerre est l’état naturel de toute société. Il cherche ensuite comment les hommes peuvent passer de l’état de guerre mutuelle à l’état de paix : tout ce qui sera utile pour arriver à ce but sera légitime. Il découvre un certain nombre de règles qu’il démontre nécessaires pour y parvenir, et qu’il appelle lois naturelles. Mais Hobbes est trop bon logicien et trop conséquent avec son principe fondamental, pour vouloir que ces lois soient obligatoires par elles-mêmes : ce ne sont encore que des formules abstraites. Chaque homme n’ayant et ne devant avoir pour mobile que son intérêt, pourquoi sacrifierait-il quelque chose à une paix qui n’est pas garantie? L’état de guerre ne cesse donc que par la création d’un souverain, qui doit être absolu si l’on veut qu’il remplisse le but pour lequel il a été créé. Le souverain devient ainsi la base, je n’ose pas dire de la morale, mais de l’ordre. Voilà comment ce raisonneur fait sortir le juste de l’utile. Cette théorie détestable n’était pas seulement propre à rendre les hommes méchants, et par conséquent à entretenir au sein des États une guerre intestine au lieu de fonder la paix ; elle laissait encore la guerre subsister de plein droit entre les sociétés. En effet, lorsqu’on en vient aux rapports des sociétés entre elles, la pierre angulaire du système manque. Hobbes peut bien dire aux hommes qui composent un État : « Soyez au fond du cœur traîtres, envieux, fripons, tels enfin que la nature vous fit : la loi est là, souveraine et toujours juste. » Mais il ne peut pas dire la même chose aux États; car entre eux il n’y a pas de souverain constitué : la paix n’est donc pas garantie ; les lois naturelles ne sont donc pas obligatoires ; celte notion du Juste que Hobbes fait sortir uniquement de l’intelligence et de la logique n’existe pas, puisqu’il n’y a pas lieu à l’acte d’intelligence qui la crée : l’homme reste donc avec l’intérêt pour loi et pour guide, et la guerre continue.

La guerre! le droit de la guerre! voilà quel était alors le fondement de toute la philosophie politique. Bodin, Machiavel, Hobbes, Grotius, Puffendorf sont à cet égard presque toujours unanimes. C’est de là qu’en général ils faisaient tout sortir, le bien et le mal, l’autorité de la loi et le despotisme, l’esclavage personnel et les droits de la paternité. Vous allez à la guerre, vous faites des prisonniers, vous auriez le droit de les tuer ; vous prenez leur liberté au lieu de prendre leur vie : ils deviennent légitimement vos esclaves. Un enfant naît, c’est dire qu’il tombe au pouvoir de ses parents; ceux-ci pourraient l’abandonner et même le tuer (car l’état naturel est un état de guerre) ; ils le font vivre : il devient leur esclave; leur droit sur lui n’est limité que par la loi civile et l’émancipation. Voilà ce que les philosophes prenaient pour de la science; voilà les sages leçons qu’ils proclamaient pour le plus grand bien de l’Humanité. C’est que les spéculations des philosophes ont toujours leur racine dans leur siècle; ils ont beau s’isoler et s’abstraire, c’est toujours le monde de leur temps qui leur donne l’impulsion.

§ 6.

Agreement of Bodin, Bacon, Hobbes, etc., with Machiavelli.

“There are some,” says Bodin, “who imagine that continual peace is the state to which an empire must aspire; but this is an error;” and he proves it with a host of solid reasons drawn from the organization of the societies of his time. Now, on such a matter, Bodin is a serious authority. He was for moderns the father of political science, and for a long time the book of the Republic was authentic in Europe. He was, moreover, a mind of the first order. Without doubt Montesquieu is as concise and as clear as Bodin is diffuse and dull; but, fundamentally, they have more connections than is commonly believed: not only did Bodin provide Montesquieu with his general division of governments and his false but important theory of the climate; he also inspired a large number of detailed ideas; he was his predecessor and his master in this method of comparing the institutions of all countries and all centuries which forms, for both, the basis of science; however tiring his erudition of minute details is, he also knows how to appreciate the value of facts and see the consequences of legislation in their essence. In a word, in many respects, Bodin gave form to the genius of Montesquieu: it is like a matrix, of a fairly base material, of sand or lime, but on which an imprint is deeply engraved, and which communicates it brilliant and full of relief to the precious metal it receives.

After Bodin, we will cite Bacon. Arriving almost at the end of his great work on the Perfection of the Sciences, Bacon is astonished to have crossed the entire ocean of human knowledge, to have touched on so many discoveries made or to be made, and to have said nothing of a science that dominates all others, the science of government. But the Chancellor of England would fear compromising himself by writing on politics; his thoughts on this delicate subject would only appear after his death. All he could do for the present was to indicate some general principles of incontestable evidence. Well! Would you believe it? One of these principles is that the art of ruling does not consist only of making a State happy and flourishing: it must be enlarged; its borders must of necessity be extended. Besides, war, in itself, is a good thing; it is a beneficial exercise. In his love for figures and allegories, a love that never leaves him, Bacon compares the body politic to the human body: civil war is the heat that results from movement, and we know how useful this is to health. Bacon does more; he frankly teaches an art of fueling war, of making it almost permanent, while always having on his side, not justice, but the appearance of justice. “Take care of the military spirit of your nobility,” he said; inspire in the people a lively national pride, make them ticklish on the point of honor, and then never let slip the slightest opportunity to put this warlike ardor to good use. It is impossible for one not to appear: if any damage has been committed on the frontier, if your ambassadors or your merchants have been insulted, say that the entire nation has been; don’t wait for reparation, but race to arms. Furthermore, on all occasions, show a keen tenderness for your allies; let their insults be yours, take sides in all their quarrels: this was the art of the Romans.” These precepts of Bacon recall those of Machiavelli.

In the Eighteenth Century people began to regard Machiavelli’s doctrine as an astonishing scandal and himself as a sort of monster, a unique exception; until then there had not been so much clamor against him. Rousseau, struck by the contrast he believed he saw between Machiavelli’s book and his life, was the first to resort to a subtle explanation: the apology for ruse and violence would have been satire; Machiavelli would have wanted to educate people by painting their tyrants. But this assumption was devoid of truth. Not only was it in good faith that Machiavelli gave his lessons in deceit, but this mixture of grandeur and moral baseness which astonishes us in him did not astonish his century; the Italian character was essentially composed of it; and Machiavelli only exposed and followed up universally received principles with more logic and vigor than any other. We refer, for proof, to the excellent dissertation which a young and able English critic, Mr. Macaulay, very recently inserted in the Edinburgh Review. But this critic was mistaken, in our opinion, in limiting this clever policy to Italy, which he opposes to another policy of less civilized nations, not frank and chivalrous, but brutal and blind, incapable of combinations and system. If Machiavelli was not a man apart in Italy, he was not an anomaly in Europe either. No doubt this perverse, but then salutary, doctrine should have been better understood by Italy, so enlightened and so unhappy, which had only the spirit to resist the force, besieged on all sides without, divided within, finally delivered to a sort of war of all against all. But the same situations give rise to the same opinions: foreign war was permanent throughout Europe; the whole of Europe was organized militarily; nowhere was there anything homogeneous; everywhere there are castes and corporations, religious and civil dissensions; However ignorant the populations were, spirit and finesse had at least penetrated the courts: is it surprising that the same doctrine was produced spontaneously everywhere, and that everywhere it also found skillful interpreters?

Besides, Machiavelli did not have a complete doctrine; he held on to the branches and did not go to the root of the tree. The man who gave this doctrine a philosophical foundation is Hobbes. His book The Citizen could be considered in some respects as a political pamphlet for the benefit of the Stuarts and the absolute Monarchy against constitutional government and the division of powers, which was then taking on a completely new development in England; but it is written in a general form and based on abstract principles: it is the Social Contract of the time.

Hobbes assumes that man is the enemy of man (homo homini lupus), and that war is the natural state of all society. He then seeks how men can move from the state of mutual war to the state of peace: everything that is useful to achieve this goal will be legitimate. He discovered a certain number of rules which he demonstrated were necessary to achieve this, and which he called natural laws. But Hobbes is too good a logician and too consistent with his fundamental principle to want these laws to be obligatory in themselves: they are still only abstract formulas. Since each man has and should only have his own interest as his motive, why would he sacrifice something for a peace that is not guaranteed? The state of war therefore only ceases by the creation of a sovereign, which must be absolute if it is to fulfill the purpose for which it was created. The sovereign thus becomes the basis, I dare not say of morality, but of order. This is how this reasoner brings the just out of the useful. This detestable theory was not only calculated to make men wicked, and consequently to maintain internal war within States instead of establishing peace; it still allowed war to exist in its own right between societies. Indeed, when we come to the relationships between societies, the cornerstone of the system is missing. Hobbes can well say to the men who make up a State: “Be at the bottom of your heart treacherous, envious, rogues, such as nature made you: the law is there, sovereign and always just.” But he cannot say the same thing to the States; for between them there is no constituted sovereign: peace is therefore not guaranteed; natural laws are therefore not obligatory; this notion of the Just that Hobbes brings out solely from intelligence and logic does not exist, since there is no place for the act of intelligence which creates it: man therefore remains with the interest for law and guide, and the war continues.

War! The right of war! This was then the foundation of all political philosophy. Bodin, Machiavelli, Hobbes, Grotius, Puffendorf are almost always unanimous in this regard. It was from this that in general they brought out everything, good and evil, the authority of the law and despotism, personal slavery and the rights of paternity. You go to war, you take prisoners, you would have the right to kill them; you take their freedom instead of taking their lives: they legitimately become your slaves. A child is born, which means that he falls into the power of his parents; they could abandon it and even kill it (because the natural state is a state of war); they make him live: he becomes their slave; their right to it is limited only by civil law and emancipation. This is what philosophers took for science; these are the wise lessons that they proclaimed for the greater good of Humanity. This is because the speculations of philosophers always have their roots in their century; No matter how much they isolate themselves and abstract themselves, it is always the world of their time that gives them the impetus.

§ 7.

Origine et développement du principe pacifique.

Je me trompe, il y a toujours aussi quelques esprits téméraires qui se détachent tout-à-fait de leur siècle. Grâce à ces hommes du paradoxe, il n’y a peut-être jamais eu, il n’y aura peut-être jamais un principe qui, avant de naître comme fait, ne se soit posé dans l’intelligence humaine. Mais lorsqu’un principe social n’a pas au moins commencé à prendre racine comme fait, lorsque son temps est encore éloigné, lorsqu’il est en contradiction avec le fait régnant, c’est-à-dire avec l’organisation sociale de l’époque, ce ne sont pas d’ordinaire les savants, les observateurs éclairés, les hommes de fait enfin, qui le découvrent et l’adoptent : ceux-là veulent prendre les choses où elles en sont, veulent continuer la chaîne; de sorte que les principes trop avancés tombent dans le domaine des esprits aventureux, romanesques, ou infiniment inventeurs ; et ceux-ci ne réussissent à les faire valoir qu’à la condition d’être artistes. Voilà ce qui explique comment des esprits bien moins vigoureux que Bacon, bien moins savants que Bodin, ont eu, sur la question qui nous occupe, des idées bien plus élevées que les leurs.

§ 7.

Origin and development of the peaceful principle.

I am mistaken. There are always a few daring minds who completely detach themselves from their century. Thanks to these men of paradox, there has perhaps never been, perhaps never will be, a principle which, before being born as a fact, has not arisen in human intelligence. But when a social principle has not at least begun to take root as a fact, when its time is still distant, when it is in contradiction with the reigning fact, that is to say with the social organization of the time, it is not usually the scholars, the enlightened observers, the men of fact, who discover it and adopt it: these want to take things where they are, want to continue the chain; so that principles that are too advanced fall into the domain of adventurous, romantic, or infinitely inventive minds; and they only succeed in asserting them on the condition of being artists. This explains how minds much less vigorous than Bacon, much less learned than Bodin, had, on the question that concerns us, ideas much higher than theirs.

§ 8.

Thomas Morus, Fénelon, l’abbé de Saint-Pierre.

Trois hommes surtout se succédèrent, à un siècle d’intervalle, dont la gloire est d’avoir embrassé avec ardeur et foi le principe de la paix, de l’avoir prêché comme loi des sociétés, ne considérant la guerre que comme une infraction à l’ordre : Thomas Morus, Fénelon, et l’abbé de Saint-Pierre.

Tout différents qu’ils sont par la forme et à l’extérieur, ces trois hommes se ressemblent.: ils sont, pour ainsi dire, de la même famille: esprits qui ne tiennent pas à la terre, qui semblent ne pas connaître le monde de leur temps, quelque rôle qu’ils aient pu y jouer; qui aiment, si on peut le dire, l’Humanité à la folie, et se nourrissent incessamment du rêve de son absolue perfection. Pour la force de la pensée, et vu le temps où il vivait, le premier est peut-être le plus remarquable; mais tandis qu’il échoua dans une fiction froide et ennuyeuse, le second fit un beau poème. Tous deux avaient senti le besoin de se réfugier dans la région de l’art ; mais le dernier, qui avait plus d’audace et de bonhomie que de talent, ne prit pas la même précaution. Comme ils avaient tous les trois un fonds de nature analogue, aussi semble-t-il que la même loi ait présidé à leur destinée. La même originalité de pensée, la même vivacité de cœur qui les firent d’abord réussir dans le monde, les firent ensuite et promptement tomber dans la disgrâce. L’un, devenu chancelier d’Angleterre, mourut martyr, non du Catholicisme, mais de la liberté religieuse, que son siècle ne comprenait pas. Le second, appelé à former un roi, perdit vite son crédit, fut traité par le maître et par les courtisans d’esprit bizarre et dangereux, ne vit point sa gloire, et ne devint populaire à sa mort que grâce à ses formes d’artiste et au voile même dont il avait enveloppé sa pensée. Le troisième ne monta pas si haut ; mais, entré à l’Académie, il en fut exclu, et, chargé des anathèmes du pouvoir, il eut encore le malheur de passer pour un fou aux yeux des sages de son temps. Les rois, s’ils eurent connaissance de son fameux Projet de la paix perpétuelle, ne liront qu’en rire, ce qui, au surplus, fut le plus grand bonheur qui pût arriver aux peuples dont les chaînes eussent été rivées pour longtemps; et lorsque plus tard Jean-Jacques recrépit cette étrange théorie, elle parut, étant devenue plus claire sous sa plume, plus romanesque encore. Qui aurait dit que, moins d’un siècle après, un czar de Russie s’en faisant à son tour l’éditeur, elle serait jurée par tous les rois de l’Europe sous le nom de Sainte-Alliance, mais qu’alors les rois ne seraient pas assez puissants pour la maintenir à leur profit, et les peuples pas tout-à-fait assez forts pour s’en emparer? Tels furent néanmoins les pères de la doctrine qui a triomphé. Par un juste ou plutôt un injuste retour, la postérité, en les adoptant, a d’abord traité plus que sévèrement ceux qui avaient eu une autre doctrine. Aujourd’hui, calmes et mieux instruits, nous ne flétrissons plus Hobbes et Machiavel ; mais notre admiration ne règle pas notre sympathie, et le cœur préférera toujours l’auteur de l’Utopie à l’auteur du Léviathan, Fénelon à Machiavel.

Pourquoi Fénelon nous apparaît-il avec une physionomie à la fois si douce et si frappante au milieu des grands hommes de son époque? C’est qu’en effet il eut une originalité à part ; c’est que sa doctrine politique n’était pas celle de son temps; c’est qu’il contrastait avec tous ces prélats éloquents ou diserts, mais plutôt bibliques qu’évangéliques, qui, dans l’oraison funèbre, se piquaient d’exposer savamment un plan de campagne et se faisaient hardiment peintres de batailles, qui avaient toujours des louanges délicates pour les conquérants, des invocations pour la guerre et des Te Deum pour la victoire. On a remarqué que de tant de milliers de sermons qu’ont produits le Dix-Septième Siècle et le commencement du Dix-Huitième, il y en a à peine deux ou trois où la guerre soit condamnée et flétrie : « O Bourdaloue! s’écrie Voltaire, vous avez fait un bien mauvais se mon sur l’impureté, mais aucun sur ces meurtres variés en tant de façons, sur ces rapines, sur ces brigandages, sur cette rage universelle qui désole le monde. » Au surplus, faut-il en faire un crime aux orateurs chrétiens? Les erreurs sont si longues à mourir! Et la preuve, c’est que cette funeste doctrine de la guerre déposa son venin jusque dans l’Esprit des Lois. Montesquieu, si humain, eut bien la sagesse de substituer au droit d’agression le droit de défense naturelle; mais il eut la faiblesse d’admettre que ce dernier entraînait quelquefois la nécessité d’attaquer sans avoir été provoqué. Il faut dire à l’honneur de la fin du Dix-Huitième Siècle, que de toutes les erreurs de Montesquieu, celle-là fut la plus combattue; elle le fut surtout par Voltaire, qui, à défaut d’autre culte, eut au plus haut degré la religion de l’Humanité et de la tolérance universelle.

§ 8.

Thomas More, Fénelon, the abbot of Saint-Pierre.

Above all, three men succeeded one another, a century apart, whose glory is to have embraced with ardor and faith the principle of peace, to have preached it as the law of societies, considering war only as an infraction of the order: Thomas More, Fénelon and the abbot of Saint-Pierre.

As different as they are in form and exterior, these three men resemble each other: they are, so to speak, of the same family: spirits who do not hold to the earth, who seem not to know the world of their time, whatever role they may have played there; who, so to speak, love Humanity madly, and are constantly nourished by the dream of its absolute perfection. For the force of thought, and considering the time in which he lived, the first is perhaps the most remarkable; but while he failed in cold and boring fiction, the second produced a beautiful poem. Both had felt the need to take refuge in the region of art; but the last, who had more audacity and good nature than talent, did not take the same precaution. As they all three had funds of a similar nature, it seems that the same law governed their destiny. The same originality of thought, the same liveliness of heart which first made them succeed in the world, then and promptly made them fall into disgrace. One, who became Chancellor of England, died a martyr, not of Catholicism, but of religious freedom, which his century did not understand. The second, called to form a king, quickly lost his credit, was treated by the master and by the courtiers as a strange and dangerous mind, did not see his glory, and only became popular at his death thanks to his artistic forms and the very veil with which he had enveloped his thoughts. The third did not climb so high; but, having entered the Academy, he was excluded, and, burdened with the anathemas of power, he still had the misfortune of passing for a madman in the eyes of the wise men of his time. The kings, if they were aware of his famous Project of perpetual peace, would only laugh about it, which, moreover, was the greatest happiness that could happen to people whose chains had been riveted for a long time; and when Jean-Jacques later recreated this strange theory, it appeared, having become clearer under his pen, even more romantic. Who would have said that, less than a century later, a czar of Russia in turn becoming its publisher, it would be sworn by all the kings of Europe under the name of the Holy Alliance, but then would the kings not be powerful enough to maintain it for their benefit, and the people not quite strong enough to seize it? These nevertheless were the fathers of the doctrine that triumphed. By a just or rather an unjust return, posterity, in adopting them, initially treated more than severely those who had had another doctrine. Today, calm and better educated, we no longer denigrate Hobbes and Machiavelli; but our admiration does not regulate our sympathy, and the heart will always prefer the author of Utopia to the author of Leviathan, Fénelon to Machiavelli.

Why does Fénelon appear to us with a physiognomy that is both so gentle and so striking among the great men of his time? It is because in fact he had a unique originality; it is because his political doctrine was not that of his time; it is because he contrasted with all those eloquent or eloquent prelates, but rather biblical than evangelical, who, in the funeral oration, prided themselves on skillfully exposing a plan of campaign and boldly became painters of battles, who had always delicate praises for the conquerors, invocations for war and Te Deums for victory. It has been noted that of so many thousands of sermons that the Seventeenth Century and the beginning of the Eighteenth Century produced, there are barely two or three in which war is condemned and condemned: “O Bourdaloue!” exclaims Voltaire, “you have done a very bad job on impurity, but none on these murders, varied in so many ways, on these plunders, on these brigandages, on this universal rage which desolates the world.” Moreover, should we make it a crime for Christian speakers? Mistakes take so long to die! And the proof is that this disastrous doctrine of war deposited its venom even in the Spirit of the Laws. Montesquieu, so human, had the wisdom to replace the right of aggression with the right of natural defense; but he had the weakness to admit that the latter sometimes led to the necessity of attacking without having been provoked. It must be said to the honor of the end of the Eighteenth Century that of all Montesquieu’s errors, this was the most fought for; it was especially so by Voltaire, who, in the absence of any other cult, had to the highest degree the religion of Humanity and universal tolerance.

§ 9.

Conclusion.

C’en était fait de cette doctrine du Seizième Siècle. Deux grands âges littéraires avaient éclairé les hommes et poli leurs mœurs. L’éloquence et la poésie avaient analysé et mis en saillie tous les sentiments du cœur humain. On ne voyait plus seulement le mauvais côté de notre nature. Le juste, le droit se manifestaient ; et quoique la doctrine de l’utile eût passé de la science politique dans la métaphysique, quoique la psychologie s’obstinât à expliquer l’homme par la sensation et à organiser la société sur l’intérêt bien entendu, ceux mêmes qui continuaient ainsi Hobbes, sans trop s’en apercevoir, échappaient à leur théorie par une heureuse inconséquence; et les autres, c’est-à-dire les génies les plus forts, ne s’emprisonnaient pas dans ce système, et obéissaient à leur siècle. L’économie politique naissait, et annonçait avec audace un ordre nouveau des sociétés; ses travaux rendirent encore plus méprisable cette politique lâche et astucieuse qui plaçait la prospérité d’une nation dans l’appauvrissement de ses voisins. La langue française commençant à être universellement répandue, une véritable union s’était opérée parmi les hommes éclairés de toutes les nations. Alors Turgot s’éleva à la doctrine d’une perfectibilité indéfinie; et Condorcet termina le siècle en déposant cette doctrine dans un livre imparfait mais sublime, où sont répandues à pleines mains les vérités et les erreurs, où l’histoire est à chaque instant méconnue, et qui est cependant la première histoire fidèle de l’Humanité. Les événements qui suivirent parurent donner un douloureux démenti à la science, et pourtant ils la confirmaient. Que prouvèrent-ils en effet, sinon la force des idées? L’Empire lui-même, après tout, ne fut que l’égalité victorieuse de la coalition formée contre elle, et se promenant en triomphe dans l’Europe entière. Mais l’esprit de guerre et de conquête, au Dix-Neuvième Siècle, en opposition avec les mœurs et la distribution de la richesse, au-dessous des lumières, en dehors de toutes les doctrines, ne pouvait être qu’un accident; et quand l’orage eut passé, le principe pacifique reparut avec l’autorité d’un nouvel exemple. Les publicistes s’empressèrent à l’envi de renouer la chaîne rompue; le Dix-Neuvième Siècle s’ouvrit par les écrits de madame de Staël, par le livre de M. Benjamin Constant sur l’esprit de conquête, et par quelques beaux travaux de Saint-Simon sur la philosophie de l’histoire.

Admirons comment se développe cette vie de l’Humanité qui, dans son cours irrésistible, entraîne et modifie les théories de l’intelligence comme les institutions, ouvre de nouveaux points de vue et fait souvent apercevoir de la folie où l’on ne voyait que de la sagesse. Certes, cette noblesse et cette monarchie, dont l’œuvre fut de composer peu à peu les empires, n’avaient pas même le pressentiment de l’ordre social que leurs travaux devaient amener. C’était pour elles-mêmes qu’elles se livraient à tant de fatigues et de périls. Mais, à mesure que leurs conquêtes s’étendaient, leur force s’épuisait; toutes ces peuplades qu’elles avaient réunies violemment devaient finir, sous leur tutelle et sous celle d’un clergé également conquérant, également brutal, par se fondre véritablement en nations ; les mêmes habitudes, la même religion, la même langue régneraient sur de grands territoires : combien alors la civilisation allait devenir rapide ! une vérité découverte le serait à l’instant pour des millions d’hommes; un noble sentiment irait faire battre à la fois des millions de cœurs! L’Égalité devait sortir de là; l’âme des masses populaires devait devenir l’âme des nations. Eh bien! il n’est pas moins certain que les principes nouveaux dont le règne a commencé à l’intérieur sortiront un jour au dehors, et règleront les rapports des sociétés entre elles. Mais, encore une fois, il faut du temps pour que les peuples aperçoivent et adoptent les conséquences de leurs opinions les plus chères. N’avons-nous pas vu notre Révolution, après avoir inscrit sur son premier drapeau l’abolition de la conquête, s’oublier elle-même à la suite d’un conquérant, et, par un étrange contre-sens, la liberté moderne prendre pour enseigne cette Rome entachée d’aristocratie, de patronage et de servitude? La conquête, c’est la centralisation : pourquoi voudrions-nous que la France gouvernât ses voisins, lorsque nous demandons à grands cris que Paris ne gouverne pas nos provinces? Si la liberté du commerce doit s’établir dans toute l’Europe, les grandes nations n’auront, sous le rapport de la richesse, aucun avantage sur les petites. L’économie politique se prépare une monarchie universelle plus durable que celles que Charles-Quint et Napoléon voulurent inutilement fonder sur la violence. Décentraliser les empires, établir dans chaque province, dans chaque ville une activité propre, et en même temps faire tomber les barrières qui séparent les nations, voilà à quoi tendent la liberté, la science et l’industrie: en sorte que, si leur triomphe était complet, on pourrait dire de la grande société des hommes ce que Pascal disait de l’univers : Centre partout, circonférence nulle part.

§ 9.

Conclusion.

That was the end of this Sixteenth Century doctrine. Two great literary ages had enlightened men and polished their morals. Eloquence and poetry had analyzed and brought out all the feelings of the human heart. We no longer saw only the bad side of our nature. The just, the right were manifested; and although the doctrine of the useful had passed from political science into metaphysics, although psychology persisted in explaining man through sensation and in organizing society on the basis of interest, of course, those who continued Hobbes in this way, without really noticing it, escaped their theory by a happy inconsistency; and the others, that is to say the strongest geniuses, were not imprisoned in this system, and obeyed their century. Political economy was born, and audaciously announced a new order of societies; its work made even more contemptible the cowardly and clever policy that placed the prosperity of a nation in the impoverishment of its neighbors. As the French language began to be universally spread, a true union had taken place among enlightened men of all nations. Then Turgot rose to the doctrine of an indefinite perfectibility; and Condorcet ended the century by depositing this doctrine in an imperfect but sublime book, where truths and errors are abundantly spread, where history is at every moment unknown, and which is nevertheless the first faithful history of Humanity. The events that followed seemed to give a painful denial to science, and yet they confirmed it. What did they prove in fact, if not the force of ideas? The Empire itself, after all, was only the victorious equal of the coalition formed against it, and wandering in triumph throughout the whole of Europe. But the spirit of war and conquest, in the Nineteenth Century, in opposition to morals and the distribution of wealth, below the lights, outside all doctrines, could only be an accident; and when the storm had passed, the peaceful principle reappeared with the authority of a new example. Publicists hastened to reconnect the broken chain; The Nineteenth Century opened with the writings of Madame de Staël, with the book by Mr. Benjamin Constant on the spirit of conquest, and with some fine works by Saint-Simon on the philosophy of history.

Let us admire how this life of Humanity develops which, in its irresistible course, leads and modifies theories of intelligence as well as institutions, opens new points of view and often reveals madness where we only saw of wisdom. Certainly, this nobility and this monarchy, whose work was to gradually create empires, did not even have a presentiment of the social order that their work was to bring about. It was for themselves that they underwent so much fatigue and peril. But as their conquests extended, their strength grew exhausted; all these peoples that they had violently united were to end up, under their tutelage and under that of an equally conquering, equally brutal clergy, by truly merging into nations; the same habits, the same religion, the same language would reign over large territories: how rapid civilization would then become! A truth discovered would be instantly discovered for millions of men; a noble sentiment would make millions of hearts beat at once! Equality had to come from this; the soul of the popular masses had to become the soul of the nations. Well! It is no less certain that the new principles whose reign has begun within will one day emerge outside, and will regulate the relationships between societies. But, once again, it takes time for people to see and adopt the consequences of their most cherished opinions. Have we not seen our Revolution, after having inscribed on its first flag the abolition of conquest, forget itself in the wake of a conqueror and, by a strange contradiction, modern freedom take as a sign this Rome tainted by aristocracy, patronage and servitude? Conquest is centralization. Why would we want France to govern its neighbors, when we loudly demand that Paris not govern our provinces? If freedom of commerce is to be established throughout Europe, the large nations will have, in respect of wealth, no advantage over the small ones. Political economy is preparing a universal monarchy more durable than those that Charles V and Napoleon needlessly wanted to found on violence. Decentralizing empires, establishing in each province, in each city its own activity, and at the same time breaking down the barriers that separate nations, this is what liberty, science and industry aim for: so that, if their triumph was complete, we could say of the great society of men what Pascal said of the universe: Center everywhere, circumference nowhere.

Working translation by Shawn P. Wilbur; last revised August 4,2025.

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