Anarchist Encyclopedia: INDIVIDUALISM (or Communism?)

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INDIVIDUALISME (ou Communisme ?)

Depuis longtemps j’ai été frappé par le contraste existant entre la largeur des buts de l’anarchisme et de bien-être pour tous — et l’étroitesse du programme économique de l’anarchisme individualiste et communiste.

Je suis très porté à croire que la faiblesse de base économique — exclusivement communiste ou individualiste (les termes communisme ou individualisme s’appliquent, tout le long de cet article, aux anarchistes partisans de l’un ou de l’autre. Il n’est nullement question du communisme, IIIe Internationale), selon l’école – faiblesse dont ils ont conscience — empêche les hommes d’avoir pratiquement confiance en l’anarchisme, dont les aspirations générales apparaissent à un si grand nombre comme un idéal magnifique. Pour ce qui me concerne, je sens bien que si l’un ou l’autre devenait l’unique forme économique d’une société, ni le communisme, ni l’individualisme ne réaliseraient la liberté, car, pour se manifester, celle-ci exige un choix de moyens, une pluralité de possibilités.

Je n’ignore pas que les communistes, quand on insiste, affirment qu’ils ne poseront jamais d’obstacles aux individualistes désirant vivre à leur manière sans créer de nouvelles autorités ou de monopoles nouveaux. Et vice versa. Mais cette affirmation ne se fait jamais franchement, amicalement – les deux écoles étant trop bien persuadées que la liberté n’est possible qu’à la condition que se réalise leur plan.

J’admets volontiers qu’il y a des communistes et des individualistes auxquels leurs doctrines respectives, et celles-là seulement, procurent une satisfaction absolue et une solution à tous les problèmes (à ce qu’ils disent) ; ceux-là, bien entendu, ne laisseront pas ébranler leur fidélité à un idéal économique unique. Qu’ils ne considèrent pas les autres ou comme calqués sur leur patron et, prêts à se rallier à leurs vues, ou comme d’irréconciliables adversaires, indignes d’aucune sympathie ! Qu’ils jettent donc un coup d’œil sur la vie réelle, supportable uniquement parce qu’elle est variée et différenciée, en dépit de toute uniformité officielle.

Tous, nous apercevons les survivances du communisme primitif dans les aspects multiples de la solidarité actuelle, solidarité dont il est possible que surgissent, évoluent les formes nouvelles d’un communisme futur et cela, sous les griffes de l’individualisme capitaliste dominant. Mais ce misérable individualisme bourgeois crée aussi l’aspiration à un individualisme vrai, désintéressé, où la liberté d’action ne servira plus à l’écrasement des faibles ou à la création des monopoles.

Le communisme ne disparaîtra pas plus que l’individualisme. Si, par quelque action de masse, les fondations d’un communisme grossier s’établissaient, l’individualisme s’affirmerait toujours plus pour s’y opposer. Chaque fois que prévaudra un système uniforme, les anarchistes, s’ils ont leurs idées à cœur, se situeront en marge. Ils ne se résigneront jamais au rôle de partisans fossiles d’un régime, fût-ce celui du communisme le plus pur. Mais les anarchistes seront-ils toujours mécontents, toujours en état de lutte, jamais tranquilles ? Ils pourront se mouvoir à l’aise dans un milieu où toutes les possibilités économiques trouveraient pleine occasion de se développer. Leur énergie pourrait alors se consacrer à une émulation paisible et non plus à une bataille et à une démolition continuelles. Ce désirable état de choses pourrait se préparer maintenant s’il était loyalement admis entre anarchistes qu’individualisme et communisme sont également importants et permanents, et que l’exclusive prédominante de l’un d’entre eux serait le plus grand malheur qui puisse échoir à l’humanité.

De l’isolement, nous cherchons un refuge dans la solidarité. D’une société trop nombreuse nous cherchons un refuge dans l’isolement : la solidarité et l’isolement nous sont, au moment convenable, délivrance et réconfortant. Toute vie humaine vibre entre ces deux pôles dans une variété infinie d’oscillations.

Permettez-moi de me supposer dans une société libre. J’aurai certainement des occupations diverses, manuelles ou intellectuelles, exigeant de la force ou de l’habileté. Ce serait fort monotone si les trois ou quatre groupes auxquels je m’associerai librement étaient organisés de la même façon. Je pense que c’est sous des aspects différents que le communisme s’y manifestera. Ne peut-il arriver que je m’en fatigue et que j’éprouve le désir d’isolement relatif — d’individualisme ? Je me tournerai alors vers l’une des nombreuses formes d’individualisme à « échange égal ». Peut-être se rattachera-t-on à telle forme dans sa jeunesse et à telle autre dans son âge mur. Les producteurs moyens pourront continuer à travailler dans leurs groupes ; les producteurs plus habiles pourront perdre patience et vouloir ne plus travailler en compagnie de commençants – a moins qu’un tempérament très altruiste leur fasse trouver du plaisir à œuvrer comme instituteurs ou conseillers des plus jeunes. Pour ma part, je présume que, pour commencer, je ferai du communisme avec mes amis et de l’individualisme avec les autres et c’est d’après mes expériences que je réglerai ma vie ultérieure.

Faculté de passer facilement et librement d’une variété de communisme a une autre, puis à n’importe quelle variété de l’individualisme – tels seraient le trait essentiel, la caractéristique d’une société réellement libre. Et si un groupe d’hommes tentaient de s’y opposer, essayaient de faire prédominer un système particulier, ils seraient aussi âprement combattus que le régime actuel l’est par les révolutionnaires.

Pourquoi dans ce cas, partager l’anarchisme en deux camps hostiles : communistes et individualistes ? J’en rends responsable l’élément d’imperfection, inhérent à la nature humaine. Il est absolument naturel que le communisme plaise davantage à ceux-ci et que l’individualisme plaise davantage à ceux-là. Partant de là, chaque camp a développé ses hypothèses économiques avec beaucoup d’ardeur et une conviction acharnée ; puis, stimulé par l’opposition du camp d’en face, en est venu à considérer son hypothèse comme la solution unique et à y demeurer fermement attaché en face de toutes les objections. De là vient que les théories individualistes après un siècle, les théories communistes ou collectivistes après un demi-siècle environ, ont assumé une fixité, une certitude, une permanence apparentes qu’ils n’auraient jamais dû atteindre, car la stagnation – voilà le mot – est le tombeau du progrès. C’est à peine si un effort a été tenté pour concilier les différences d’école. Les deux tendances ont donc eu toute latitude pour croître et s’embellir, pour se généraliser !

Et tout cela avec quel résultat ? Aucune des deux tendances n’a pu vaincre l’autre. Partout ou se rencontrent des communistes, de leur milieu surgissent des individualistes ; et, jusqu’ici nulle vague individualiste n’a réussi à submerger la forteresse communiste. Tandis que l’aversion ou l’inimitié règnent entre des êtres tellement rapprochés les uns des autres intellectuellement, nous voyons le communisme anarchiste s’effacer devant le syndicalisme, ne redoutant plus de se compromettre en plus ou moins, acceptant la solution syndicaliste comme un stade intermédiaire presque inévitable. D’autre part, nous voyons les individualistes retomber dans les errements bourgeois ou presque.

Et cela alors que les méfaits de l’autorité et l’accroissement des empiètements de l’État n’ont jamais fourni occasion plus propice et sphère d’action plus vaste à une propagande foncièrement anarchiste et pure de tout alliage.

Je ne prétends pas combattre — que ceci soit bien entendu — ni le communisme ni l’individualisme. Pour ma part, je vois beaucoup de bien dans le communisme, mais c’est l’idée de le voir généraliser qui me fait protester. Il ne me sied pas de lier d’avance mon avenir, à plus forte raison l’avenir d’un autre. La question, pour ce qui me concerne, personnellement, reste à résoudre ; l’expérience montrera celles des résolutions extrêmes et celles des résolutions intermédiaires, si nombreuses, qui s’adapteront le mieux à chaque circonstance et à chaque moment. L’anarchisme m’est trop cher pour que je veuille le voir dépendre d’une hypothèse économique, si plausible soit-elle actuellement. Jamais les formules uniques ne nous satisferont, et si chacun est libre de les posséder et de propager de prédilection, c’est à condition qu’il comprenne qu’il ne peut les répandre qu’à titre de simple hypothèse. Or, chacun sait que les littératures anarchiste-communiste et anarchiste-individualiste sont loin de se tenir dans ces limites. Tous, nous avons faute sous ce rapport. Mon désir est de voir ceux qui se révoltent contre les agissements de l’autorité œuvrer sur un plan d’entente générale au lieu de se fractionner en petites chapelles, par suite des prétentions de chacune à être sûre de posséder une solution économique exacte du problème social.

Pour combattre l’autorité qui domine dans le système capitaliste actuel ou qui dominera demain en régime socialiste – quelle qu’en soit la tendance – ou syndicaliste, un immense mouvement, vraiment anarchiste de sentiment, est absolument indispensable et cela bien avant que se pose la question des remèdes économiques. Qu’on le reconnaisse donc et il s’ensuivra la création d’une vaste sphère de solidarité. Le communisme en bénéficiera et son éclat sera tout autre que celui dont il brille actuellement devant le monde, empruntant sa clarté aux rayons de l’activité de la masse syndicaliste, alors que sa propre lumière, comme celle d’une étoile qui s’éteint, vacille et pâlit graduellement.

Max Nettlau

INDIVIDUALISM (or Communism?)

I have been struck for a long time by the contrast existing between the of the aims of anarchism and well-being for all — and the narrowness of the economic programs of individualist and communist anarchism.

I am strongly inclined to believe that the weakness of the economic basis — exclusively communist or individualist (the terms communism or individualism applying, throughout this article, to the anarchist partisans of one or the other; it is in not a question of the communism of the 3rd Internationale), according to the school — a weakness of which they are conscious — prevents men from having practical confidence in anarchism, the general aspirations of which appear to such a great number as a magnificant ideal. As far as I am concerned, I am certain that if one of the other became the sole economic form of a society, neither communism nor individualism would achieve liberty, for, in order to manifest itself, liberty demands a choice of means, a plurality of possibilities.

I am not unaware that the communists, when one insists, affirm that they will present no obstacles to those individualists desiring to live in their own way, without creating new authority or new monopolies. And vice versa. But that affirmation is never made without hesitation and in a friendly manner — the two schools being too well persuaded that liberty is only possible on the condition that their own plan is realized.

I admit willingly that there are communists and individualists for whom their respective doctrines, and those doctrines alone, provide an absolute satisfaction and a solution to all the problems (or so they say); those individuals will not, naturally, allow their fidelity to a single economic ideal be shaken. They only consider others produced on their own pattern, and ready to rally to their views, or as irreconcilable adversaries, unworthy of any sympathy! So let them cast a glance at real life, which is bearable only because it is varied and differentiated, despite all official uniformity.

We all recognize the survivals of primitive communism in the various aspects of present-day solidarity, a solidarity from which it is possible that new forms of future Communism may emerge and evolve, even under the claws of the dominant capitalist Individualism. But this miserable bourgeois Individualism also creates the desire for a true, disinterested individualism, where the liberty of action serve to crush the weak or favor the creation of monopolies.

Neither communism nor individualism will disappear. If, through some action of the masses, the foundations of some rough communism were established, individualism would assert itself even more in order to oppose it. Each time that a uniform system prevailed, the anarchists, if they took their ideas to heart, would take their place at its margins. They will never resign themselves to to the role of fossilized partisans of any regime, be it that of the purest communism. But will the anarchists be always dissatisfied, always in a state of struggle, never at peace? They might move comfortably through a milieu in which all the economic possibilities found full opportunities to develop. Their energy could be applied to a peaceful emulation and no longer to continuous combat and demolition. This desirable state of things could be prepared for now, if it were honestly admitted among anarchists that both communism and Individualism are equally important and permanent, and that the exclusive predominance of either of them would be the greatest misfortune that could befall humanity.

We seek a refuge from isolation in solidarity. We seek relief from too much society in isolation: both solidarity and isolation are for us, at the appropriate moments, liberating and invigorating. All human life vibrates between these two poles in an endless variety of oscillations.

Permit me to imagine myself living in a free society. I would certainly have diverse occupations, manual or intellectual, demanding strength or skill. It would be very monotonous if the three or four group with which I freely associated were organized in the same manner. I think that that communism would manifest itself there in various forms. Could it not happen that I would grow tired of them and that I would feel the desire for relative isolation — for individualism? I would turn then to one of the numerous forms of individualism by “equal exchange.” Perhaps we would be associated with one form in youth and some other in middle age. The average producers could continue to work in their groups; the more skillful producers could lose patience and no longer wish to work in the company of the beginners — unless a very altruistic temperament made them find pleasure in working as teachers or advisors of the younger workers. For my part, I assume that, to begin, I would practice communism with my friends and individualism with the others, and that I would adjust my later life according to my experiences.

The ability to pass easily and freely from one variety of communism to another, then to whatever variety of individualism — this would be the essential trait, the characteristic of a really free society. And if a group of men attempted to oppose it, tried to make a particular system prevail, they would be fought as bitterly as the present regime is by the revolutionaries.

Why, in this case, should we divide anarchisme into two hostile camps: communists and individualists? I blame the element of human imperfection, inherent in human nature. It is absolutely natural that communism is more pleasing to some and that individualism is more pleasing to others. Starting from this point, each camp has developed its economic hypothesis with great enthusiasm and a dogged conviction; then, stimulated by the opposition of the other camp, it comes to consider its hypothesis as the only solution unique and remains firmly attached to it in the face of all objections. So it happens that the individualist theories, after a century, and the communist or collectivist theories, after roughly half a century, have assumed a fixity, a certainty, an apparent permanence that they should never have attained, for stagnation — and that is the word — is the tomb of progress. There has hardly been any effort to reconcile the differences between the schools. So the two tendencies have had complete latitude to grow and embellish themselves, to become widespread!

And what has been the result of all that? Neither of the two tendencies has been able to defeat the other. Wherever communists meet, individualists emerge from their milieu; and, so far, no individualist wave has succeeded in submerging the communist fortress. While the aversion or hostility reigns between beings so close to one another intellectually, we see anarchist communism step aside for syndicalism, no longer fearing to compromise itself emore or less, accepting the syndicalist solution as an almost inevitable intermediary stage. On the other hand, we see the individualists fall back, or nearly so, into the misguided ways of the bourgeoisie.

And this as the misdeeds of authority and the increasing encroachments of the state have never provided a more propitious opportunity and wider sphere of action for a propaganda that is thoroughly anarchist and free of any alloy.

I do not claim to combat — and let this be clearly understood — either communism or individualism. For my part, I see much good in communism, but it is the idea of seeing it generalized that makes me protest. It does not make sense for me to bind my future in advance, let alone the future of another. The question, as it concerns me, personally, remains to be resolved; experience will show which of the extreme resolutions and which of the intermediary resolutions, which are so numerous, will be best adapted to each circumstance and each moment. Anarchism is too dear to me to wish to see it depend on one economic hypothesis, however plausible it may be presently. Single formulas will never satisfy us, and if everyone is free to possess and propagate those to which they are partial, it is on the condition that he understands that he can spread them only as a simple hypothesis. Now, everyone knows that the anarchist-communist and anarchist-individualist literatures are far from keeping within these limits. We are all at fault in this respect. My desire is to see those who revolt against the actions of authority work on a general plan of entente instead of splitting up into little schools of thought, as a result of the pretensions of each school to possess an sure, exact economic solution to the social problem.

In order to combat the authority that dominates in the present capitallist systems or that will dominate tomorrow in a socialist regime — whatever its tendency — or syndicalist regime, an immense movement, truly anarchist in sentiments, is absolutely indispensable, and that well before the question of economic remedies arises. So let us recognize it and the creation of a vast sphere of solidarity will ensure. Communism will benefit from it and its brilliance will be entirely different from that with which it shines present before the world, lending its brightness to the rays of activity of the syndicalist masses, while its own lights, like that of a star that goes out, flickers and gradually fades.

Max Nettlau


Working Translation by Shawn P. Wilbur.

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