Charles Fourier in the “Phalange” (2nd series, 1836–1837)

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SCIENCE SOCIALE.

Remède de divers Esclavages.

(Article de M. Fourier.)

Au moment où l’Angleterre fait un folle dépense de cinq cents millions pour affranchir ses esclaves coloniaux, qu’elle pourrait libérer sans aucun frais et sans risque de déclin de l’industrie aux Antilles ;

Au moment où le France, dans un accès d’Anglomania, veut faire chorus de duperie et projette un nouvel impôt ou emprunt de trois cents millions pour affranchir ses nègres coloniaux, qu’elle peut libérer sans qu’il en coûte rien ;

N’est-ce pas le cas d’examiner la méthode qui affranchirait GRATIS tous les esclaves du globe, qui les émanciperait par la volonté et l’offre des maîtres, avec garantie de persistance au travail, et progrès d’émulation ?

Les nègres coloniaux des Anglais forment environ un trois centième des esclaves et serfs du globe. Les nègres des Français environ un millième. Total, quatre millièmes à peu près.

Selon le tarif anglais, à 500 fr., il en coûterait 150 milliards pour émanciper tous les esclaves du globe, et selon le tarif français, à 1,000 fr. par tête, ce serait 300 milliards; où les prendre ? et pourquoi recourir à ce moyen ruineux quand on en possède un qui ne coûterait rien ?

Déjà dans Roule, au temps des Empereurs, on avait su affranchir les esclaves sans imposer aucune charge au trésor public ; ne peut-on pas retrouver un mode de libération gratuite et plus expéditive encore ? Ne devait-on pas en Angleterre mettre an concours cette recherche, avant de voter une dépense de 500 millions?

Mais il existe une classe de philanthropes et gens du progrès, qui, aux bords de la Tamise comme aux bords de la Seine, veulent palper des centaines de millions. Déjà en Angleterre ils ont fait établir une taxe des pauvres qui coûte, en aumônes imposées, 200 millions par an prelevés sur 14 millions d’habitants. La France, pour imiter cette bévue philanthropique, devrait donc ajouter à son budget 430 millions, selon le rapport de population, 14 à 32.

Eh quel serait le fruit de cette gigantesque aumône ? rien autre qu’un cercle vicieux, comme on le voit en Angleterre, où elle est si insuffisante qu’on y trouve, comme auparavant, des légions de pauvres spéculatifs ou réels. La seule ville de Londres contient 230,000 Indigents, mendiants, vagabonds, prostituées, gens suspects, etc., brillant résultat d’une aumône qui, depuis dix ans, a déjà absorbé deux milliards !

Méfions-nous de la philanthropie dispendieuse comme celle de Wilberforce; les procédés de la nature ne sont pas ruineux, et si le Roi des Français, pour donner aux voisins d’outre-mer une leçon d’économie et de génie, voulait abolir d’un seul coup l’esclavage et l’indigence, non pas seulement en pays français, mais par toute la terre, il n’en coûterait, par le procédé naturel, ni 2 milliards, ni 200 millions, ni 20 millions, pas même deux : combien donc? pas une obole, rien autre que de VOULOIR.

L’affaire est d’autant plus digne d’attention, qu’en ce moment on projette une saignée de 300 millions sur la pauvre France ; elle doit être proposée à la prochaine session. Le piège est bien fardé, le danger est imminent; opposons-y la méthode naturelle, dont je vais donner un léger aperçu.

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Feu Ampère a dit: — Lorsqu’une question est bien posée, on peut la considérer d’avance comme résolue.

Mais jusqu’ici rien n’a été si mal posé que les questions relatives à l’abolition de l’esclavage et de l’indigence; d’une part on met en problème si l’esclavage est un mal, d’autre part on semble douter si l’indigence existe, on demande, en programme académique, à quels signes elle se manifeste !!! (Sujet du prix Beaujour.)

Si les signes en sont si inconnus, si invisibles qu’on offre 5,000 francs de récompense à qui déterminera ces signes au 31 décembre 1837, nous pouvons jusque-là douter que l’indigence existe; et pourtant les douze comités de bienfaisance, dans leurs épîtres en appel de secours, s’offrent à donner des preuves bien palpables sur cette existence de familles dénuées de tout Pourquoi donc offrir 5,000 fr. pour la recherche de ce qui est trouvé? portez seulement une aumône de 50 fr. au comité du quartier Saint-Marceau, et il vous fera conduire dans cinquante greniers où vous verrez à quels signes se manifeste l’indigence. Dès que vous aurez parcouru une demi-douzaine de ces taudis, vous pourrez indiquer les signes certains de la pauvreté, et gagner le prix de 5,000 fr.

Venons à la position de la question.

Ceux qui ont disserté sur l’esclavage et l’indigence et sur les moyens de remède, n’ont pas considéré que ces deux fléaux sont liés, proviennent d’une même cause, et que la cure de tous deux doit être opérée par un seul antidote, qui est l’industrie combinée et attrayante, donnant quadruple produit.

L’académie des sciences parait avoir pressenti cette innovation, car en séance de juillet 1829 elle accueillit et fit imprimer un rapport de M. Moreau de Jonnès, démontrant que le produit agricole pourrait être quadruplé.

M. François de Neuchateau est venu à l’appui, par un livre où il prouve qu’en Champagne, le morcellement et cisaillement des petites propriétés en réduit le revenu au tiers de ce qu’il pourrait être par la seule unité de culture, la réunion en une seule ferme qui ferait les travaux impossibles à de petits cultivateurs, l’arrosage, l’élève bovine, chevaline et autres améliorations impossibles à de pauvres paysans.

Mais MM. de Jonnès et de Neuchateau en sont restés à de belles perspectives, ils n’ont pas donné le moyen d’exécution qui ne peut être que l’art d’associer des masses de familles inégales en fortune; art qu’invoquait la Décade philosophique en 1804; elle s’extasiait sur l’énormité d’économies et de richesses qu’obtiendrait une bourgade agricole, si elle pouvait réunir en exploitation unitaire et en ménage à divers degrés les trois à quatre cents familles dont elle se compose.

Pour opérer cette réunion, il est trois problèmes à résoudre :

1° Distribution des travaux en mode attrayant ;

2° Emploi utile des discords et inégalités ;

3° Répartition satisfaisante pour chacun.

1° Tant que les travaux sont répugnants, il est imprudent d’affranchir les esclaves; tout acte philanthropique est hors des voies de la nature s’il conduit au déclin de l’industrie; c’est ce qui arrive de la méthode Wilberforce, que nos anglomanes veulent imiter. Il faut donc découvrir une méthode attrayante, garantissant la persistance de l’esclave libéré, et de même celle du salarié qui, obtenant par le quadruple produit un train de vie quadruple en bien-être, pourrait en divers pays s’adonner à la fainéantise comme en Espagne.

2° Si pour associer il faut, selon le dire des moralistes, changer les hommes et les passions, établir la modération, la fraternité, l’égalité, on échouera en tout essai; car il est constaté par trois mille ans d’expérience que les hommes ne veulent pas changer leurs caractères, passions et goûts; ils veulent rester tels que la nature les a faits. Or, ils sont variés et variables en goûts; ils ne veulent point d’égalité ni de modération; il faut donc trouver un procédé qui utilise les qualités et ressorts que la morale déclare vicieux et qu’elle veut comprimer : les discords, les inégalités, les ambitions immodérées, etc.

3° Si sur le quadruple produit les uns voulaient tout prendre, s’adjuger la part du lion, la réunion sociétaire tomberait en dissolution au bout de la première campagne. La multitude lésée en répartition se mutinerait; il faut donc un mode qui satisfasse chacun selon ses trois facultés industrielles, qui sont : 1 capital actionnaire, 2° travail, 3° talent, et qui distribue le quadruple produit aux diverses classes dans la proportion suivante :

Riches, Aisés, Moyens, Génés, Pauvres.

Double, Triple, Quadruple, Quintuple, Sextuple.

Alors les 22 millions de Français qui gagnent en salaire 6, 1/2 sous par jour auront environ 40 sous. Ceux qui ont cent mille francs de rente en auront deux cent mille. La classe moyenne rentée à 2 ou 3,000 fr. en aura 8 à 12,000. Chacun sera content. Voilà trois conditions dont ne se doutaient guère nos gâcheurs en association, Rob. Owen, Saint-Simon, Van-den-Bosch; ils voulaient prendre aux riches pour donner aux pauvres; ils ne rêvaient que communauté, modération, pénitencerie, frugalité, patience et autres dispositions contre nature, qui obtiennent des prix de 6,000 fr. à l’Institut.

Aucun d’eux n’osait se poser à lui-même les trois problèmes ; chacun éludait la question en feignant de la traiter.

La solution que j’en donne perdrait son mérite si elle ne résolvait un quatrième problème, celui de l’équilibre de population. Quand l’humanité sera heureuse et riche, la population croîtra avec rapidité, parce que le régime d’industrie combinée opérant en séances courtes et variées, donne une grande vigueur et épargne les 2/3 sur la mortalité des enfants.

La population s’élèverait donc en moins de cent ans au quadruple, malgré les versements d’essaims coloniaux. La France (limite actuelle qui sera changée) aurait bientôt 130 millions au lieu de 32,1/2; ils retomberaient en régime de morcellement, parce que l’ordre sociétaire, n’en déplaise aux moralistes, ne peut pas se maintenir sans le grand luxe échelonné en degrés, et répandu dans toutes les classes du corps social.

Quant à la population, son progrès qui sera très rapide pendant la première et la deuxième génération, s’arrêtera à la troisième. Les naissances seront réduites au tiers du nombre actuel, et ce tiers sera suffisant pour maintenir le globe au grand complet, parce que la longévité, l’absence de guerres, d’épidémies et d’excès, réduiront au tiers le chiffre des décès.

L’exubérance de population est un des désordres qui dénoncent l’impéritie et la couardise des sciences philosophiques. Loin de s’appliquer, selon l’avis d’Ampère, à bien poser les questions pour en faciliter la solution, l’on ne s’occupe qu’à les fausser, les travestir. Par exemple, Malthus a dit en substance aux civilisés : « Vos progrès industriels et sociaux sont illusoires, la population outrée neutralise tous vos efforts, elle vous déborde; et la fausse concurrence, en réduisant les salaires, conduit toujours au dénûment vos fourmilières de populace; il faut, ou peupler moins, ou produire davantage et mieux répartir. Le progrès actuel n’est qu’un cercle vicieux. »

Dans cette apostrophe à l’économie ANTI-POLITIQUE (nom que lui donne avec raison le baron Dupin), Malthus posait bien la question, il mettait le doigt sur la plaie; qu’a-t-on répondu ? Le monde savant a crié haro sur le sacrilége écrivain qui avait l’audace de dire la vérité et de poser une question en droit sens. On l’a forcé à se rétracter; il a eu la faiblesse, disons la lâcheté, d’y consentir.

S’il eût maintenu sévèrement son opinion, tout l’échafaudage des sciences philosophiques était renversé; on en serait venu à suspecter l’état actuel des sociétés, concevoir qu’il est probablement un mécanisme subversif de la destinée sociale, un état de CHUTE, comme le dit fort bien l’Ecriture; chute dont l’humanité ne peut se relever que par une réforme complète du système industriel, étendue à toutes les branches, culture, fabrique, ménage, commerce, etc. On aurait reconnu que les réformes tentées en politique, en religion, n’ayant engendré que des fléaux, il faut entrer dans une autre carrière, essayer la méthode opposée au système d’incohérence, morcellement et fourberie qui règne dans l’industrie actuelle; essayer le mode combiné et véridique, puisqu’il paraît enfin une théorie qui résout tous les problèmes à poser sur ce sujet; problèmes que n’avait abordés aucun des sophistes qui ont divagué sur l’association, n’osant traiter aucune des trois questions posées plus haut, et sans la solution desquelles on ne peut pas organiser le mécanisme sociétaire sur des masses de trois à quatre cents familles inégales en fortune.

Dans toute science le faux précède le vrai. L’astrologie judiciaire a régné avant l’astronomie géométrique, la magie avant la médecine, l’alchimie avant la chimie expérimentale. S’étonnera-t-on qu’il en soit de même en association? ce n’est que depuis le nouveau siècle qu’on s’en occupe ; les charlatans, comme d’usage, ont ouvert la marche ; ils se sont emparés de l’idée, l’ont travestie en théorie et en pratique; c’est à présent le tour de la vraie science.

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A ces aperçus, ajoutons quelques détails de direction méthodique; voyons comment l’esprit humain aurait dû s’orienter dans des recherches sur la destinée, sur les moyens de se relever de la CHUTE ; il devait raisonner ainsi :

La science, dite philosophie, qui depuis trois mille ans nous sert de guide, n’a su que nous égarer, nous engouffrer dans toutes les misères sociales; indigence, fourberie, oppression, carnages, etc. ; ces résultats honteux condamnent la philosophie, cherchons un autre guide.

A qui recourir? Il est un être qui sait faire des lois d’harmonie géométrique pour les plus grandes et les plus petites créatures, pour les astres comme pour les abeilles; n’en aurait-il pas fait pour les hommes, pour régler l’ordre de leurs relations industrielles et sociales? il a dû le faire si sa providence est complète, étendue à toutes les créatures.

Comment leur révèle-t-il leur destinée, le genre de vie qu’il leur assigne ? c est par les attractions et répugnances ; pour connaître si Dieu emploie la même voie avec nous, il faut faire un calcul d’analyse et de synthèse sur les attractions et répugnances qui ont régné et qui persistent chez toutes les nations.

Ne se pourrait-il pas que l’humanité eût deux destinées, deux mécanismes sociaux, comme les mondes où nous voyons l’incohérence parmi les comètes, et la combinaison parmi les planètes? Notre industrie ne serait-elle pas sujette de même à la dualité de mécanisme?

Nous donnons à Dieu le nom d’éternel géomètre, avait-il donc cessé d’être géomètre le jour où il créa nos passions; ne se pourrait-il pas qu’elles fussent les ressorts, les éléments d’un mécanisme de justesse géométrique, dont nos sciences morales ont fait manquer la découverte par leurs diatribes contre les passions ?

En se fondant sur ces conjectures, on aurait procédé au calcul de l’attraction passionnée, et l’on aurait reconnu qu’elle tend à introduire dans l’industrie le même ordre que Dieu a établi dans toutes ses créations, les échelles d’inégalités ou séries de groupes; on les aurait essayées sur une masse de trois à quatre cents familles, et l’on aurait facilement réussi à obtenir quadruple produit, industrie attrayante, mécanique des passions; de là l’imitation générale.

Le succès de Newton, en calcul d’attraction matérielle, invitait à exploiter les autres filons de la mine, les attractions passionnelle, instinctive, organique , aromale, etc.

Napoléon voulait étudier les deux branches instinctive et aromale. La veille du départ d’Égypte, il réfuta avec vivacité Monge, qui prétendait que tout était fait en calcul d’attraction ; il regrettait que ses fonctions l’eussent empêché de continuer le travail commencé par Newton.

La tâche étant remplie, il reste à savoir quel parti doit prendre à cet égard un siècle qui se dit rationnel, positif et désireux de progrès.

Il doit faire un essai en dépit du parti obscurant qui a fait rétracter Malthus , parti qui a de tous temps étouffé les inventions; à ne parler que du bateau à vapeur, on en a vu les quatre inventeurs éliminés successivement :

Blanco de Garay, par les Zoïles, sous Charles-Quint.

Salomon de Cos, par le cardinal de Richelieu.

Papin, par l’Académie de Paris.

Fulton, par Napoléon, cédant aux marins jaloux.

La France veut-elle renouveler pareille faute ? Sommes-nous, sons un masque de rationalisme, aussi Vandales qu’on le fut à l’égard de Colomb et Galilée? Qu’v a-t-il d’effrayant dans la tentative d’une ferme-modèle d’industrie attrayante et combinée ? Les Hollandais viennent de fonder quatorze grandes colonies internes, en mode pénitenciaire et incohérent, la France n’osera t-elle pas en fonder le quart d’une en mode attrayant ?

Je dis le quart, puisqu’on peut réduire l’essai du mécanisme à 450 enfans de 3,1f2 à 13 ans les garçons, de 3 à 12 les filles, et 150 hectares de terre à jardin ;un capital d’un million en 1,000 actions de 1,000 fr., et six semaines d’exercice pour la démonstration.

Si le Roi prend la première action, les 999 autres seront placées le lendemain. Il peut distraire 1,000 fr. des 500.000 fr. qu’il affecte en secours aux ouvriers de Lyon, par un achat de soieries sur lequel il perdra au moins 20 pour cent. Voyons ce qu’il gagnera sur son action de 1,000 francs :

La conquête de tous les souverains : tous, plus ou moins obérés et courant aux emprunts, seront dans l’ivresse de la joie en apprenant qu’ils peuvent, grâce au quadruple produit doubler leurs impôts en dégrévant de moitié les contribuables, selon cette proportion pour la France :

1 milliard étant aujourd’hui prélevé sur 7, on pourrait prélever 4 milliards sur 28, montant du quadruple produit; mais le fisc aura bien assez de 2 milliards. Les contribuables ne paieront donc que 2/28 au lieu de 4/28 qu’ils paient aujourd’hui. L’avantage sera le même pour tous les souverains; ils porteront aux nues Louis-Philippe, fondateur de la nouvelle industrie, tous brigueront l’alliance conjugale avec ses enfants; sa dynastie deviendra la plus stable du globe.

Un charme non moins flatteur pour eux sera la garantie d’une fin des révolutions et conspirations : elles ont pour cause principale l’indigence, malesuada fames. Si Fieschi et Alibaud avaient été rentés à mille écus, ils n’auraient pas commis leur attentat; or, je puis prouver arithmétiquement et en détails minutieux, que dans le régime sociétaire, le plus pauvre des hommes vit comme celui qui, aujourd’hui, a mille écus de rente en pays hors d’octroi Pourra-t-on trouver dans un tel ordre, des assassins, des émeutiers poussés par la faim ?

Le roi aura donc fait d’un seul coup la conquête des monarques et des peuples; ses ennemis personnels deviendront ses plus zélés partisans. Les partis tomberont dans l’oubli; il sera évident qu’aucun d’eux ne pouvait rien pour le bonheur du peuple, parce qu’aucun ne peut l’enrichir; sous les républicains ou les légitimistes il serait toujours réduit à la famine et au travail répugnant; double malheur auquel succèdera tout à coup un double bonheur ? surtout dans les genres de jouissance auquel le peuple tient le plus, la bonne chère et l’insouciance du lendemain.

Il n’aura nul souci de femme ni d’enfants; car, en régime combiné la femme gagne beaucoup, l’enfant est entretenu jusqu’à trois ans par la phalange, à quatre ans il gagne déjà sa subsistance, à six ans bien davantage. L’éducation est gratuite en tous degrés et genres.

Alors il ne pourra plus exister d’esclaves, parce que la domesticité combinée est un service infiniment meilleur et moins coûteux que celui des esclaves. D’ailleurs tout propriétaire voudra profiter du quadruple produit, il offrira à ses esclaves la liberté, sauf rançon solidaire payable en dix ou douze années. Ainsi finiront à la fois l’esclavage et l’indigence.

Disons les esclavages, car il en est de bien des genres ; le salarié n’est-il pas un esclave indirect? Et parmi la classe qui possède, que de servitudes pour l’homme, la femme et l’enfant ! Glissons sur ce sujet beaucoup trop étendu.

Mais il est un esclavage inconnu et qu’il faut signaler, c’est le joug de l’obscurantisme et des superstitions philosophiques, de l’athéisme et du matérialisme, des dogmes qui ont avili Dieu, nié sa providence en mécanisme industriel, nié l’existence de son code et empêché qu’on en fît la recherche.

S’ils étaient rationnels et positifs comme ils s’en vantent, ils comprendraient qu’en direction de mouvement social ou autre, la raison divine doit être au premier rang, et la raison humaine au deuxième ; c’est donc de Dieu que doivent émaner les lois organiques et générales du système social, l’homme doit être borné aux lois secondaires ou de circonstance.

Si leur raison est positive et négative à la fois, qu’ils reconnaissent la preuve positive de subversion dans la pauvreté des nations les plus industrieuses, Anglais, Français, Chinois, Hindous; et la preuve négative dans l’obstination des sauvages à refuser l’agriculture. Ils sont libres et organes de la nature ; elle nous dit par leur refus que notre méthode industrielle est une subversion du mode naturel.

Si nos philosophes cherchent la vérité, pourquoi n’ont-ils jamais fait l’étude des résultats que produirait l’emploi universel de la vérité en relations industrielles ? Cette étude leur eût dévoilé le ressort du mécanisme sociétaire, les échelles de discords et d’inégalités, les séries de groupes rivalisés.

Depuis quatorze ans, ils empêchent cette épreuve : voici une belle occasion de les suspecter et les confondre. Ils veulent faire une saignée de trois cents millions à la France, pour affranchir un millième des esclaves du globe; qu’on affranchisse le tout sans frais : c’est une belle palme pour le Roi, il y va de la sûreté de sa personne et de sa dynastie. La France au lieu de perdre 300 millions, en gagnera au moins 500 qui seront donnés au Roi libérateur, à qui chaque souverain, chaque nation, voudra témoigner sa vive reconnaissance par des offrandes en domaines, en or et en pierreries.

Et qu’aura coûté cette métamorphose des sociétés humaines ? pas une obole, car prendre action sur une ferme-modèle qui rendra bien plus que les nôtres, c’est faire un bon placement et non pas une dépense folle comme celle des centaines de millions dont les philanthropes méditent la profusion inutile.

Quelle chance pour le roi ! fin des conspirations ; dynastie consolidée par vote du monde entier; enthousiasme de la France qui rétablira la liste civile au chiffre d’usage, 25 millions au roi, 8 aux princes; honneur d’avoir aboli l’indigence et l’esclavage, d’avoir élevé le genre humain à la destinée heureuse, d’avoir pulvérisé l’athéisme et le matérialisme par introduction du code divin ou mécanique des âmes et passions, d’avoir établi par toute la terre la libre circulation, remplacé tout impôt odieux et nuisible, substitué au chaos industriel le commerce véridique , et les unités de langage, signes alphabétiques, monnaies, poids et mesures , etc.

Mais c’est trop beau, c’est un rêve ! Eh! l’Amérique aussi était un rêve , avant qu’on eût consenti à vérifier : je ne demande pas ici de crédulité, rien autre que le ton dubitatif, comme celui du prélat, confesseur d’Isabelle : il dit fort sensément aux esprits forts du XVe siècle : « Je ne vois pas que cette théorie de Colomb soit aussi stupide que vous la faites : Je ne suis pas plus crédule que vous, mais je pense qu’on ne risque rien à vérifier, par un voyage d’exploration dont on tirera toujours quelque fruit. »

Ici le cas est le même et il y a bien plus de certitude de tirer quelque fruit d’une épreuve sur la seule théorie qui ait chance de succès, en ce qu’elle en ploie les hommes, les passions, caractères et instincts, tels qu’ils sont. Un tel procédé est plus spécieux que les méthodes qui depuis 300 ans s’escriment vainement à changer les passions.

Si le Roi ou quelque personnage influent émettait cette opinion dubitative, bien circonspecte, bien éloignée de la crédulité, l’essai sur 400 enfans serait aussitôt résolu, exécuté: 2 mois après le genre humain entrerait en mécanisme d’harmonie; il passerait de l’esprit fort à l’esprit judicieux, qui accorde à la raison divine le premier rang en législation, et assigne le deuxième à la raison humaine.

Ch. FOURIER.


SCIENCE SOCIALE.

LA CHUTE DE L’HOMME

OU

LE DOUBLE MECANISME DES PASSIONS.

(Article communiqué par M. Fourier.)

Quelle superstition nouvelle s’établit chez les Parisiens? Ils se croyaient ESPRITS FORTS en dédaignant les reliques du mysticisme chrétien; ensuite ils ont donné dans les reliques philosophiques, achetant à grand prix les culottes de J.-J. Rousseau et les savates des encyclopédistes.

Maintenant les voilà affriandés de reliques archéologiques; ils n’épargnent ni les cent mille francs, ni les millions pour accaparer de pauvres antiquailles, depuis la relique de Denderah, qui, pour 150,000 fr., nous a appris ce que chacun savait; jusqu’à la relique de Louqsor, qui ne nous apprend rien du tout, en dédommagement de deux ou trois, ou quatre millions de dépenses; car on varie sur l’estimation des frais, mais on s’accorde à penser qu’une imitation en maçonnerie, coûtant 50,000 fr., aurait bien mieux satisfait le public économe des deniers qu’il paie.

Ne doit-on pas craindre que les archéologues amorcés par ce crescendo de succès commerciaux, ne mettent en scène quelque nouveau reliquaire du prix de 10 et 12 millions, quelque rocher du poids de 500 milliers, rocher aussi vénérable que celui sur lequel s‘arrêta l’arche de Noé? Ils l’amèneront & Paris à force d’allèges, et ils le céderont à prix d’ami, pour une douzaine de millions. La France l’achètera coûte que cotte, et on le placera au rond-point des Champs-Élysées, pour doublure de masque devant Arc de l’Etoile.

Mais, où tendent ces critiques, va-t-on me dire? Elles tendent à s’enquérir si nous n’avons pas de recherche plus importante à faire sur l’antiquité, que celle de ces inutiles et ruineux blocs de pierre.

Quel était, parmi les monuments et traditions antiques, le point qui devait fixer notre attention? c’était la société primitive, le mécanisme qui régna aux premiers âges de l’humanité; on en a conservé dans tout l’Orient des souvenirs enveloppés de fables mystérieuses dont il reste à discerner le vrai sens; les traditions du monde primitif sont comparables aux hiéroglyphes dont il faut avoir la clef.

Des preuves matérielles et irrécusables attestent qu’il a existé sur ce globe un ordre différent du nôtre, en système matériel et social. Quant au matériel, nous avons pour documents les débris et fossiles des éléphants; plus on approche du pôle Nord, plus on trouve l’ivoire en abondance. Les bords de la mer glaciale ont donc été chauds et habités comme ceux de la Méditerranée; et certes ce n’était pas l’effet d’un renversement de l’axe, comme l’ont avancé quelques sophistes inhabiles à expliquer la température primitive du globe; l’événement qui la changea tout-à-coup, et qui frappa de deuil et de mort les régions polaires et leurs habitants, hommes et animaux.

La CHUTE du matériel ou température amena la chute du spirituel ou social : diverses causes y contribuèrent; la mémoire s’en est transmise quoique altérée par des fictions grossières.

Au sujet de cette déchéance, Bernardin de Saint-Pierre dit avec raison : « Quelques-uns, fondés sur des traditions sacrées, pensent que ce monde a existé avec d’autres harmonies. » Elles peuvent donc renaître, et c’est à en retrouver le système qu’auraient dû s’exercer l’histoire et l’archéologie, si elles eussent été sagement dirigées.

Mais quel fruit tirons-nous de la marche suivie par nos archéologues ? ils ne s’attachent qu’aux frivolités colossales. Quels documents peut-on recueillir pour le bonheur des peuples, d’un ramas d’inscriptions, de monolythes et de fadaises très dispendieuses? Ne conviendrait-il pas d’affecter enfin à la recherche de l’utile, à la détermination du mécanisme social antérieur à la CHUTE, un millième, oui, seulement un millième des sommes qu’on prodigue aux gimblettes archéologiques ?

C’est la conclusion qui terminera cet article; je dois y préluder par quelques notions sur les âges primitifs et leur bonheur, sur les causes de la CHUTE qui suivit, sur les moyens de prompt retour à la voie de salut, voie de renaissance à une félicité bien supérieure aux germes d’harmonie qui purent éclore dans les premiers siècles de l’humanité. Précisons bien le sujet à traiter; il s’agit :

1° De déterminer le mécanisme primitif des sociétés ;

2° D’analyser la contrariété de l’état civilisé, barbare et sauvage avec le procédé naturel en industrie ;

3° D’indiquer la méthode de ralliement à l’ordre primitif, combiné avec les perfectionnements de l’industrie moderne.

La solution de ces trois problèmes tient à une science neuve, une science autre que les quatre philosophies nommées Métaphysique, Politique, Moralisme et Économisme, qui n’ont jamais su nous donner la moindre notion sur cette société primitive dont l’humanité doit retrouver et perfectionner le mécanisme, pour s’élever aux destinées heureuses, s’affranchir de l’esclavage, de l’indigence, du travail répugnant, des relations mensongères, de l’intempérie, des contagions anciennes et nouvelles, et autres fléaux dont l’ensemble est nommé civilisation.

CARRIERE SOCIALE EN MALHEUR ET EN BONHEUR.

Retard de 2,500 ans.

Comment des hommes très ignorants, tels que ceux des races de création primitive, purent-ils découvrir et organiser en industrie un mécanisme naturel et fortuné, que n’ont pas su retrouver nos philosophes avec leurs torrents de fausses lumières ? C’est que les premiers hommes n’étaient pas asservis aux fantaisies d’un législateur; ils n’avaient ni divin Platon, ni divin Diogène pour leur apprendre à réprimer les passions et instincts, étouffer la nature, et suivre les conseils de dix mille morales contradictoires; ils se livraient franchement aux impulsions naturelles, aux attractions et répugnances qui dominent chez la masse.

Elles tendent à abréger le travail, à ne pas employer cinq bergers pour quatre vaches (c’est chose que j’ai vue) ; ni 400 femmes pour 400 enfants ; ni 400 feux, 400 femmes et 400 vases pour faire 400 soupes, dont 350 seront manquées, mauvaises ; tandis qu’avec quatre femmes expertes, quatre jarres de terre et un seul feu, on pourrait faire quatre soupes excellentes, graduées en prix, et variées en assortiment pour satisfaire 400 familles de fortune inégale.

Bref, les hordes primitives qui avaient été créées entre les 30° et 40° degrés (je ne parle pas de celles des pôles), étaient économes sans économistes; l’instinct leur apprenait qu’il faut travailler combinément pour épargner le temps et les bras, et pour satisfaire les divers goûts; car l’action unitaire ou travail combiné donne les moyens de classer et varier les fonctions et les produits, laisser à chacun l’option sur les branches de travail et les sortes de comestibles, satisfaire ainsi les différents goûts qu’on est obligé de réduire à un seul et subordonner aux volontés du plus fort, quand les travaux sont morcelés, exercés par familles non sociétaires.

Les premiers hommes, favorisés par des circonstances que j’ai expliquées aux traités, connaissaient donc le procédé sociétaire que n’ont su trouver ni nos économistes morceleurs, ni nos praticiens niveleurs, comme R. Owen et autres champions de la communauté et de l’égalité, qui sont l’antipode du mécanisme sociétaire.

J’examinerai au deuxième article comment et en quels détails l’inégalité dut s’établir dans leurs fonctions et distributions; tenons-nous aux documents primaires.

Les 32 races et 2 pivotales qui furent créées étaient placées à distance suffisante pour pouvoir multiplier paisiblement pendant quelques générations, s’étendre sans se rencontrer ni se disputer le terrain. Le nombre primitif de chacune était de 28 couples au moins: Pourquoi pas 30? vont dire les plaisants.

Je ne demande pas créance pour cette indication numérique de races et de couples; augmentez le nombre si vous voulez, mais ne le diminuez pas sous peine de tomber dans l’absurde. Préférez-vous croire que Dieu créa un seul homme et une seule femme? En ce cas, d’où proviennent les races noires, les cuivrées d’Amérique, les olivâtres de l’Inde et tant de variétés primitives, comme les nègres gris du Fezzan, les visages écrasés de la Guinée, si différents des visages convexes du Sénégal; et les Eskimaux barbus en continent imberbe; et les Lapons et Patagons; et tant d’autres qui évidemment ne sortent pas de même souche, même en couleurs homogènes?

Si Dieu eût créé un seul couple, l’un des deux êtres, Adam ou Ève, aurait pu tomber dans l’eau et s’y noyer; tomber dans un abîme et s’y rompre les os. Il en serait mort, car on n’aurait pas eu de chirurgien pour le panser; ainsi le genre humain aurait pu finir dès son début. Mais en supposant le couple conservé sain et sauf, il n’aurait pu se reproduire en 2° degré que par des incestes, mariages de frères et sœurs; condition opposée aux vues de Dieu, qui veut le croisement des races, en hommes et animaux, car il frappe de dégénération les races non croisées.

Répétons à ce sujet que les traditions sur le monde primitif sont des hiéroglyphes, des allégories dont il restait à trouver la clef ; il faut en consulter le sens, et non la lettre.

Pourquoi la véritable tradition a-t-elle été perdue, dénaturée à dessein ? C’est parce que le bonheur primitif ayant duré à peine 2 à 3 siècles, selon les régions et leur fertilité, le mécanisme sociétaire s’étant désorganisé par exubérance de population, rencontre et contact des hordes croissantes, pénurie de subsistances, défaut de grande industrie (car on ne connaissait ni charrue, ni moulin, ni forge), on en vint à se disputer les subsistances; de là naquit la division par familles, où le travail devient répugnant et forcé, et ne produit que le quart de ce que donne l’action unitaire. Celle-ci crée plusieurs sources de richesse inconnues en civilisation, telles que le bénéfice négatif, obtenu par inertie spéculative, abstension combinée, exercice limité. Ces 3 précautions aidées de quelques dispositions faciles élèveront en régime sociétaire le produit de la pêche au décuple du nôtre. Continuons l’exposé de la CHUTE.

Beaucoup de hordes abandonnèrent le travail pour la vie sauvage et nomade ; quelques-unes, en Chine, Bengale, Egypte, Chaldée et Grèce, conservèrent l’industrie, mais avec dégoût et lamentations sur le bonheur passé et perdu. Pour amortir les regrets, faire cesser les doléances, rendre de l’activité aux travaux, les chefs et prêtres des nations jugèrent à propos de falsifier la tradition ; faire oublier les dispositions de l’état primitif, supposer un forfait de l’homme, un courroux de Dieu, un bannissement du séjour fortuné, une obligation de travail sous peine de supplices dans l’autre vie, etc.

C’est ainsi que la politique des chefs et des prêtres fit perdre la tradition du bel ordre sociétaire qui ne pouvait pas se rétablir, vu l’affluence de population et la pauvreté des masses très faibles en industrie ; il ne peut se fonder que sur une abondance telle que les classes inférieures puissent encore vivre dans l’honnête aisance, quelle que soit la profusion des chefs. Or cette aisance du peuple ne peut renaître que de la grande industrie, alliée au régime de travail attrayant ou mécanisme primitif que les Égyptiens et les Grecs ne surent pas retrouver, ne songèrent même pas à chercher.

Sans ce retour au mode primitif et naturel, qui n’admet ni égalité ni communauté, le progrès en industrie n’est qu’un cercle vicieux ; il n’ajoute rien au bonheur du riche, et n’apporte aucun remède aux souffrances du pauvre. Qu’on en juge par l’Angleterre qui, sur une population de 14 millions, paie 200 millions de taxe annuelle pour les pauvres, indépendamment des aumônes particulières! Malgré ce secours gigantesque, l’Angleterre est le pays le plus jonché d’indigents ; la seule ville de Londres en a 200,000, et plus.

Notre système industriel est donc un labyrinthe, un cercle vicieux, un mode réprouvé par la nature. Elle témoigne assez clairement son improbation par le refus d’adhésion des nombreuses hordes sauvages : ne sont-elles pas fort sages de préférer leur liberté à un régime anti-social nommé civilisation, qui réduit la majorité de ses citoyens à l’indigence, à la mendicité, à l’esclavage indirect par refus de travail, ou par salaire insuffisant, abus de concurrence ?

Sur 33 millions de Français, 22 millions sont limités à 6 sous, et 6 1/2 par jour : le sauvage n’est-il pas plus heureux dans sa liberté? Il a souvent (de bonnes lipées quand la chasse ou la pêche ont été heureuses. Si parfois il souffre de la faim, c’est que la horde en souffre tout entière à la suite de quelque désastre : Il ne voit pas à côté de lui des Sardanapales nager dans l’abondance quand il est affamé.

La nature a donc raison de lui souffler à l’oreille que le travail civilisé n’est pas sa destinée. Quand vous lui aurez montré l’industrie combinée et attrayante, il sera plus ardent que vous ne voudrez à s’y rallier, à épouser cette charrue qui est à ses yeux un symbole d’esclavage : aussi dit-il à son ennemi, par malédiction : « Puisses-tu être réduit à labourer un champ ! »

Cependant Dieu, en nous soumettant les 3 règnes, nous a évidemment destinés à l’industrie agricole; comment se fait-il qu’elle soit répugnée, exécrée par l’homme de la nature qui est le sauvage ? C’est qu’elle lui est présentée en mode contraire au mécanisme naturel et primitif qui, opérant par combinaison , économie, gaieté des groupes, liberté, vérité, attraction, donnait, à chances égales, un produit quadruple du nôtre où l’on opère par exploitations incohérentes, profusion de forces, tristesse des familles, esclavage indirect ou direct, injustice, fausseté, inquiétude, répugnance, etc. Ce mode subversif ne donne que le quart du produit possible, et manque des trois méthodes de répartition équilibrée, par lesquelles on augmente la fortune et le revenu du riche en augmentant le bien-être du pauvre.

Loin de ce résultat, vos sciences ne savent en définitive qu’écraser le pauvre, et entourer le riche de pièges et d’inquiétudes : elles flottent entre deux principes erronés : l’un est celui des grands, qu’il faut beaucoup de pauvres pour qu’il y ait quelques riches ; l’autre, celui des démocrates, est qu’il faut prendre sur la fortune des riches pour assurer un bien-être aux pauvres. Ces deux principes aussi faux l’un que l’autre sont l’antipode du procédé naturel qui, moyennant l’emploi de quatre ressorts, quadruple produit, population limitée, répartition équilibrée, industrie attrayante, présente les moyens de contenter toutes les classes.

« Mais quel est donc ce mécanisme d’industrie primitive et naturelle qu’il fallait retrouver ? Donnez en au moins un aperçu tant succinct que possible. »

Je satisferai sur ce point au N suivant; il faut préalablement amener le lecteur à reconnaitre qu’il serait urgent d’affecter à des recherches utiles sur l’antiquité primitive un millième des sommes follement prostituées aux inutilités archéologiques. Le Louqsor coûtera, dit-on, 3 millions (moyen terme entre les estimations de 2 à 4) ; avec 3 mille francs avancés sur hypothèque, le roi fonderait l’échantillon du procédé d’industrie naturelle et primitive, ou mécanisme direct des passions et instincts appliqués à l’industrie utile.

Ce régime, opposé au 4 mécanismes subversifs (sauvage, patriarcal, barbare, civilisé) qui règnent depuis la CHUTE, s’élèverait parmi nous au vingtuple de sa force primitive, par suite des développements que lui assurerait le progrès colossal de l’industrie moderne.

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Reprenons donc courage lorsque le vaisseau touche au port, où il eût pu arriver 2500 ans plus tôt; car Athènes, au temps de sa splendeur, et antérieurement les prêtres d’Egypte pouvaient déjà relever l’humanité de la CHUTE, si les études eussent été bien dirigées; si l’on eût reconnu que la suprématie en législation doit appartenir à Dieu seul, et que la raison humaine doit se tenir au second rang; s’occuper à chercher les lois que Dieu a dû faire pour nos relations sociales, industrielles et domestiques. Ces lois nous sont interprétées constamment par l’attraction ou impulsion divine, dont il fallait faire le calcul analytique et synthétique.

La raison humaine, dite philosophie, a refusé orgueilleusement cette tâche; elle a voulu, chez les modernes comme chez les anciens, usurper le premier rang, reléguer Dieu au deuxième, et faire par elle-même des codes ou lois générales de socialité, au lieu de se borner aux règlements de police locale qui sont son attribution, le rôle secondaire.

Plus coupable chez les modernes que chez les anciens, elle a persisté dans ses travers malgré l’éveil que lui donnait un premier succès obtenu par Newton, en étude de l’attraction matérielle : c’était un stimulant à poursuivre cette nouvelle carrière, passer | de l’attraction matérielle à la passionnelle, dont la synthèse eût enlevé le voile d’airain, relevé l’humanité de la CHUTE, et ouvert l’accès aux destinées heureuses.

Voltaire était l’homme le plus apte à cette étude qui eût convenu également à Kœpler et Leibnitz.

Voltaire, admirateur passionné de Newton, aurait dû s’enflammer d’une noble émulation, continuer, achever les études dont le géomètre anglais ouvrait la route. Voltaire disait à Dieu :

« Si je me suis trompé, c’est en cherchant ta loi. »

Il n’en a rien fait; il a soutenu les folles prétentions de la raison humaine à faire des codes sociaux, lui, qui aidé de sa brillante imagination et de la boussole fournie par Newton, pouvait si aisément arriver au but, et proclamer à la face du 18° siècle le code immuable de toutes les nations, le code de l’unité universelle, fondée sur l’industrie combinée-attrayante.

Il eût été accueilli avec transport; on en aurait voté par acclamation le facile essai, qui peut se borner à quatre ou cinq cents enfants de trois à treize ans, cultivant 159 hectares de terre à jardin, et exerçant la petite culture. (Six semaines d’un tel essai ! donneront la démonstration du mécanisme convergent des passions, et du quadruple produit; l’imitation en grande échelle sera prompte et universelle).

Malheureusement, un des préjugés dominants au 19° siècle est que les découvertes précieuses ne peuvent provenir que des savants en crédit : l’invention la plus utile et la mieux démontrée n’est rien sans l’appui d’un grand nom. Notre siècle, qui se dit rationnel, juge une invention sur la fortune et le relief de l’inventeur. Est-il un homme obscur, sa découverte est traitée de charlatanisme, l’examen en est refusé; elle est travestie par les zoïles qui l’affublent de contes ridicules, en attendant que le décès de l’auteur permette de le spolier en dénaturant sa théorie.

Cependant les peuples souffrent de ces délais, et les rois en souffrent comme les peuples, depuis 48 ans de lutte avec l’esprit révolutionnaire. Il disparaîtrait à l’instant où l’on aurait la conviction de prochain avènement à l’unité sociale et à l’opulence graduée. Le véritable remède aux agitations est le bien-être du peuple par l’industrie attrayante, qui doublera le revenu et décuplera les jouissances des grands.(Voir les preuves aux traités).

Tel est le but de Dieu : satisfaire toutes les classes proportionnément, et non pas telle classe aux dépens de telle autre. Le quadruple produit suffira à toutes, selon la progression :

Riches, aisés, moyens, gênés, pauvres.
Double, triple, quadruple, quintuple, sextuple.

Mais nos théories politiques et superstitieuses ne nous donnent sur les vues de Dieu que des idées absurdes. Elles le peignent plus imprévoyant que ne serait chacun de nous. Lorsqu’un architecte rassemble des matériaux de construction, pierres, bois, fers, plâtres, etc., n’a-t-il pas auparavant fait le plan de l’édifice qu’il veut construire? Et de même, lorsque Dieu plaça dans nos âmes des ressorts et leviers nommés passions, caractères, instincts, goûts; lorsqu’il nous donna la gestion des choses créées, l’initiation aux sciences et aux arts, put-il manquer de statuer sur l’emploi de ces éléments sociaux, de leur assigner un mécanisme unitaire, digne de sa sagesse et de sa providence ?

Eh ! peut-on voir l’œuvre et l’intention de Dieu dans ces odieuses sociétés civilisée et barbare, où l’homme, ravalé au dessous des animaux et des sauvages, privé de tous les droits naturels, chasse, pêche, cueillette, pâture, etc., est encore privé souvent du travail répugnant d’où dépend sa chétive subsistance? Était ce donc pour créer des légions d’indigents et de mendiants que Dieu nous initia aux sciences et aux arts, et nous confia le sceptre des trois règnes?

Rougissez de ce honteux résultat, faux savants qui vous érigez en législateurs, comme si Dieu qui fait des codes sociaux pour toutes les créatures, depuis les astres jusqu’aux insectes, avait pu négliger d’en faire un pour les hommes.

Vous aussi, amendez-vous, prêtres égoïstes, qui n’avez fait de l’esprit religieux qu’un marchepied de votre ambition. Vous avez habitué les peuples à manquer de foi et d’espérance en Dieu; à n’attendre de Dieu aucune lumière sur la destinée sociale, sur les voies d’avènement à la richesse, à l’unité, aux bonnes mœurs par l’industrie attrayante, et au bonheur réel. Vous avez manqué de charité pour le genre humain, en lui donnant le change sur les torts de la philosophie, en ne dénonçant que sa controverse hostile à vos doctrines; au lieu de dénoncer sa défection en recherche du codeindustriel divin : c’était à vous de la suppléer; rÉglise n’avait-elle pas des Bossuet, des Fénélon, pour réparer la fainéantise des sophistes ? Elle ne s’est occupée que de ses intérêts personnels.

Vous avez frayé les chemins à l’athéisme et au matérialisme, en sanctionnant comme but de Dieu la permanence de l’ordre civilisé et barbare, qui ne favorise que l’astuce, l’injustice, la spoliation et la violence. Vous restez spectateurs insouciants sur la découverte du code divin, sans en provoquer l’essai. Si vous négligez d’y coopérer, vous serez bientôt confondus par les acclamations des peuples heureux sous le code industriel divin, et par lesathéesmêmes qui courront dans les templesy rendrehommage an Créateur.-Nous ne pouvions pas, diront-ils, voir l’intervention de Dieu dans eette fange sociale, ce cloaque de vices nommé civilisation; ce n’était à nos yeux qu’une œuvre démoniaque ; nous avons préféré méconnaître Dieu que de le déshonorer en supposant son adhésion à cet infâme cahos social. Aujourd’hui nous voyons l’œuvre d’une sublime providence, le régime de justice, de vérité, d’opulence graduée et d’unité universelle : nous devenons les plus fervents adorateurs de la Divinité, etnous vouons à l’opprobre les siècles et les sectes quiontaccepté les conceptions sociales de l’inepte philosophie.

FOURIER.

P. S. Au prochain n°, les preuves détaillées sur la société primitive, son développement, sa durée et sa chute.


SCIENCE SOCIALE.

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SOCIETE PRIMITIVE, dite Eden.

Ses phases d’enfance, ses progrès, son déclin, sa caducité et sa CHUTE.

C’est un pays bien inconnu que celui où nous allons entrer : pour s’y guider et le parcourir aisément, il faut une boussole, un anal de direction. Nous agirons comme en Algèbre, où l’on part de quelques données certaines pour déterminer les quantités inconnues.

Parmi les données certaines, plaçons en première ligne la sagesse et la bonté du Créateur, l’universalité de sa providence. Les documents sacrés et profanes s’accordent sur ce point ; l’Évangile nous dit que « Dieu entre dans l’examen de nos besoins jusqu’au point de compter les cheveux de notre tête » , et la philosophie confirme cet oracle dans cent passages, tels que celui-ci : « Tout est bien sortant des mains de l’auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme. » J. J. Rousseau.

Tout était donc bien dans la société primitive, où l’homme sortait des mains de ce Créateur, dont la prévoyance minutieuse va jusqu’à compter les cheveux de notre tête : allégorie très exacte et nullement exagérée.

Il avait donc pourvu aux besoins journaliers, comme celui de subsistance ; puis aux besoins sociaux, tels que celui du mode le plus économique et le plus productif en exercice des travaux, et du mode le plus équitable en répartition du produit. Nous perdîmes par la CHUTE ces deux méthodes qu’on n’a pas su rétablir depuis. Elles naissaient d’une disposition inconnue, que je nommerai série ou échelle des discords et inégalités, affectant un groupe libre, à chaque variété de fonctions.

Les hommes primitifs n’étaient donc pas tous frères, tous égaux, tous unis d’opinions, tels que les veut la philosophie ; ils étaient très différents en instincts et goûts, et en fonctions adoptives.

Nous acquerrons des notions bien précises sur la société primitive, pourvu que nous marchions la sonde à la main, en essayant toujours lequel des deux mécanismes a pu coïncider dans le principe avec les vues de Dieu ; ou du régime nommé série, échelle de groupes discordants en goûts, mais unitaires en travaux, ou du régime de familles incohérentes en travaux, qui succéda à l’ordre primitif après sa chute.

Pour dissiper les nombreux préjugés qui règnent sur la société primitive, et la chute de l’homme, il est nécessaire de s’aider d’un tableau de carrière sociale, et parler d’abord aux yeux avant de parler aux intelligences : Horace le conseille :

« Segnius irritant animos, demissa per aures,
« Quam quoe sunt oculis subjecta fidelibus…. »

Recourons donc à la double échelle du mal et du bien placés en regard ; la carrière du bien interrompue par la chute.

1re PHASE D’ECHELLE SOCIALE : 8 PERIODES.

DUPLICITE D’ACTION UNITE D’ACTION

Ordre faux et pauvre Ordre juste et riche,

Ménage familial. Ménage sociétaire.

1re. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Edénisme ou Primitive.

2e, Sauvagerie.

3e, Patriarchat.

4e, Barbarie.

5e, Civilisation.

Subversion, Lymbes sociales. CHUTE

en chaos antérieur ou Lymbes ascendantes.

6e. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Garantisme.

7e. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Sociantisme.

8e. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Harmonisme.

Voilà l’échelle de carrière sociale bien classée, les deux destinées heureuse et malheureuse, distinctes, séparées, tout en conservant l’ordre consécutif des échelons. Les périodes fausses et pauvres exploitent l’industrie par subdivision en familles; les périodes justes et riches exercent et distribuent les travailleurs en séries ou échelles de groupes libres, optant par instinct, par goût sur chaque fonction, et opérant autant que possible en , séances courtes, variées, intriguées; tandis que les périodes anti| sociétaires 2, 3, 4, 5, exercent en séances longues, uniformes, sans intrigue, sans attrait, mues par l’impulsion de besoin ou contrainte, et non de plaisir.

De la 8e on passera aux 9e, 10e etc., qui tiennent à la deuxième phase de carrière humanitaire; mais il est inutile de nous en occuper, car nous ne pouvons pas, avec les moyens actuels, nous élever plus haut que la huitième période qui sera déjà pour nous le bonheur des dieux, en parallèle des misères de civilisation.

Peu nous importerait d’apprendre quel était l’état fortuné de la période primitive, pourquoi et comment eut lieu la CHUTE, si cette connaissance ne nous donnait en même temps le moyen de nous relever, et de réorganiser sans délai l’ordre juste et riche, dans un degré immensément supérieur à la faible ébauche qui en pût éclore aux premiers âges de l’espèce humaine, pendant la courte période sociale nommée Éden ou Edénisme : elle ne fut pas de longue durée, 300 ans au plus, et 200 sur divers points : car Dieu avait créé 32 races et 2 pivotales, toutes séparées par des espaces d’une cinquantaine de lieues au moins, mais qui se rapprochèrent et se heurtèrent par exubérance de nombre, au bout de quelques générations. De ce contact naquit la chute de l’ordre primitif.

La tradition allégorique nous dit que Dieu créa un seul couple, Adam et Eve, qui vivaient dans un beau jardin, sans rien faire, heureux par la fainéantise, selon les Italiens : bella cosa far niente.

Dieu placerait donc le bonheur dans la paresse !!! une telle opinion n’est pas plus digne de réfutation que les autres intentions que nous attribuons à Dieu : nos opinions sur lui sont autant d’injures que nous lui adressons; et dont Voltaire a eu raison de dire : « Si Dieu a fait les hommes à son image, les hommes le lui ont bien rendu ; car ils l’ont fait à leur image, en lui attribuant tous leurs travers et leur méchanceté. » Voltaire lui-même tombait dans ce vice.

Interprétons mieux l’allégorie; et sous les noms d’Adam et d’Eve, envisageons les races primitives, dont j’ai estimé les cadres originaires à une trentaine de couples en chaque race, parce que ce nombre est le minimum d’une série industrielle régulière, formée de 3 groupes et 9 sous-groupes; ils peuvent se répartir 9 branches d’une fonction, plus ou moins, dans chaque travail qu’ils exercent : voyons-en la subdivision.

2, 4, 2. — 2, 4, 3.— 2, 3, 2. = 24.

A ces 3 groupes ajouter 3 chefs, plus 1 chef de série. = 4. } 28

Total, 28 hommes; et autant dans la série des femmes qui se charge des ouvrages minutieux, exigeant dextérité et patience : elle fait concurrence aux hommes qui vaquent aux travaux de force.

Et comme le nombre 28 est le minimum du complet de série, Dieu dut créer au moins 30 à 32 couples, car l’un est malade, l’autre est éloigné; il faut 32 pour compter sur 28 actifs. Dieu créa plus de races à 36 et 40 couples, qu’à 32; car à 36 la série est mieux fournie; on peut doubler les 4 chefs, et placer entre les trois groupes, deux sous-groupes de lien, d’ambigu.

J’ai donc été fondé à dire qu’au-dessous de 28 couples la création eût été numériquement absurde, incapable de former le mécanisme naturel ou unité d’action, industrie attrayante et émulative, par la division et variété des fonctions.

Portée au double, à 56 ou 60 couples, la création serait de même tombée dans l’absurde : car la population se serait accrue beaucoup trop vite, ce qui aurait accéléré d’un siècle l’époque de la CHUTE (Voir plus loin).

Concluons de ces premiers aperçus que Dieu ayant eu, dès le début de l’humanité, l’intention d’organiser l’industrie combinée, il dut créer non pas un couple, mais des masses de 32, 36, 40 couples, qu’il plaça en divers lieux du globe, ainsi que l’attestent les diversités de couleurs, les contrastes de figures, et autres disparates originelles, langages, etc.

Dieu dut prendre des mesures telles que la culture par familles incohérentes, l’industrie morcelée, répugnante, inféconde et complicative (celle des civilisés), ne s’établit pas chez les races primitives; elle s’y serait introduite, si Dieu n’eût créé, pour chacune des 32 races, qu’un couple et même deux.

Un seul couple comme Adam et Eve aurait, en deuxième génération, établi 3 familles en ménages séparés; leurs enfants auraient produit, en troisième génération, 9 ou 10 ménages qui se seraient brouillés, égorgés comme Caïn et Abel, comme les fils de Jacob ; la famille ayant la propriété d’aigrir les discords naturels, et les pousser à la discorde, aux violences; tandis que la série développe les discords en rivalités émulatives, d’où naît une harmonie collective.

En quatrième génération le couple primitif, déjà fort de 30 à 40 familles, aurait pu former des séries, qui se répartissent économiquement les fonctions et savent les rendre attrayantes, sauf huitième d’exception. Mais l’exploitation par séries aurait été empêchée par les haines héréditaires déjà contractées lors des partages de terres et troupeaux : on n’aurait pas songé à un autre mécanisme que le morcellement.

Ce fut pour prévenir cet avortement social que Dieu dut mettre les races primitives en état d’arriver d’emblée au travail combiné et attrayant, qui exigeait au moins une trentaine de couples à cette époque; non qu’alors tous les services dussent occuper 30 personnes; quelques-uns pouvaient se borner à 3, 6, 9 ; mais tel travail qui n’exige que 2 ou 3 personnes trouvera – dans chaque famille ces 2 ou 3 agents passionnés, s’y livrant par instinct et option ? Loin de là, on ne trouvera souvent pas sur 3 familles, père, mère et enfants, un seul individu adoptant par passion tel travail utile à la masse; encore moins trois, nombre nécessaire dans un sous-groupe isolé de série ; mais on les trouvera sur un nombre de 30 familles.

De là vient que le travail attrayant, combiné, économique, n’est pas applicable à des familles incohérentes, dont chacune présente des caractères disparates en instincts et goûts : et Dieu qui voulait que l’humanité, au sortir de ses mains, passât par une période de bonheur, ne put pas spéculer sur l’industrie de famille, qui est répugnante parce qu’elle ne peut pas appliquer chacun aux fonctions où l’instinct l’appelle.

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On peut déjà reconnaître, par ces aperçus de la double destinée industrielle , pourquoi les sauvages ne veulent pas adopter la grande industrie : c’est qu’elle leur est présentée en mécanisme familial, qui est l’opposé du mode naturel ou échelle de discords et inégalités développées en groupes libres. Ce qui peut répandre un vif intérêt sur cette discussion, c’est la perspective, la garantie de convertir subitement tous ces sauvages, si rétifs ainsi que les Barbares à notre fausse industrie, d’où l’on ne voit naître qu’un raffinement de misères.

Quel trophée pour un homme désireux d’illustration, de pouvoir opérer cette conversion universelle en réorganisant un petit tableau du mécanisme attrayant, qui, très faible aux premiers du mon le par absence de la grande industrie, jouira aujourd’hui d’une force d’attraction décuple au moins, par suite du progrès colossal de nos sciences physiques et de nos travaux.

Il est en Europe cent mille individus assez puissants par leur rang, leur fortune, leur influence quelconque, pour effectuer cette conquête de nouvelle espèce, véritable conquête du monde, car elle s’étendra subitement à toutes les nations, par la double amorce du quadruple produit et de l’industrie attrayant.

Elle opérera comme la boussole nautique ou aiguille aimantée, dont la seule apparition fit la conquête de tous les marins; le premier essai leur prouva qu’elle était pour eux un gage de sûreté, une planche de salut : on n’eut pas besoin de décrets pour : la leur faire adopter à l’unanimité.

Il en sera de même du premier échantillon de la méthode naturelle en industrie : il fera l’effet de l’étincelle dans un magasin à poudre, Son adoption subite et universelle prouvera que ceux · qui ont rêvé le mécanisme sociétaire, les Owen, les Saint-Simon, les Van den Bosch, étaient à l’antipode des vues de la nature. FRANCIA, qui en a plus approché qu’eux, dans ses nouvelles colonies du Paraguay, est encore infiniment loin du procédé naturel; aussi n’est-il imité ni par les sauvages, ni par les nations voisines : cependant il a eu dans quelques détails de bonnes inspirations : nais il ne sait pas construire le ressort pivotal, l’échelle de groupes libres affectés à des séries de discords et inégalités; c’est la condition sine quâ non, dont l’absence fait avorter, en Angleterre , plus de 500 petits essais de mécanisme sociétaire aussi faux que ceux d’Owen et Van den Bosch.

Lorsqu’on voit cette Angleterre dépenser 500 millions pour affranchir un million de nègres (la 300° partie des esclaves du globe), et contribuer annuellement de 200 millions pour une subvention dite taxe des pauvres, qui n’aboutit qu’à entretenir la plus effrayante indigence, on peut juger quelle attention mérite une découverte qui va abolir par toute la terre l’esclavage et l’indigence, sans qu’il en coûte une obole de frais spéciaux en rachats ni secours.

En effet, si le procédé d’industrie attrayante est RETROUVÉ, s’il est si facile a établir qu’on puisse en donner la démonstration sur 400 enfants agricoles, âgés de 3 à 13 ans et cultivant 150 hectares de terre à jardin, cette preuve une fois fournie, tous les possesseurs d’esclaves leur proposeront l’émancipation, sauf rachat solidaire payable par annuités ; ils feront cette offre, parce qu’ils y verront le double avantage :

De participer au quadruple produit qu’on ne peut pas obtenir d’ouvriers esclaves, mais du procédé naturel et libre;

D’échapper au risque d’assassinat de plus en plus imminent, d’après l’irritation des deux castes en Amérique.

Ét quant à l’indigence, elle ne pourra plus exister, elle sera revenue lorsque le quadruple produit et sa répartition équilibrée du gré de toutes les classes (voir les traités) assurera à tout être valide un ample revenu sur son industrie transformée en plaisir, et fournira de quoi ménager, dans chaque phalange, un lot de minimum affecté aux infirmes, à leur entretien décent.

On n’aura donc fait aucuns frais pour abolir par toute la terre l’esclavage et l’indigence, opprobre de nos sciences politiques et morales, et de nos jactances de progrès.

L’affaire est d’autant plus digne d’examen qu’en ce moment un · comité projette de faire à la France une saignée de 300 millions pour libérer ses nègres des Antilles, dont le nombre ne forme qu’un millième des esclaves du globe : 300 millions de dépense 2 pour ne faire qu’un millième de la besogne, et la mal faire! car cette méthode ne garantira pas la persistance des esclaves à l’industrie. On sait, par les renseignements de John Innes et les registres de Douanes, qu’elle décline beaucoup dans les Antilles anglaises, depuis le rachat d’émancipation provoqué par l’ignorante coterie Wilberforce, qui a deux motifs secrets dans cette cacophonie philanthropique.

Ne soyons pas dupes de ces libéraux dispendieux, qui veulent soutirer aux nations des centaines de millions. Les procédés de la nature ne sont pas si ruineux ; un million bien hypothéqué, dans une entreprise très productive, anéantira ces deux fléaux au traitement desquels la crédule Angleterre prodigue en vain ses trésors. Quel motif pressant d’examiner si le procédé d’industrie attrayante ou mécanisme de la société primitive est enfin retrouvé, quelle palme pour le fondateur qui, par ce facile essai, abolira sans retour l’esclavage et l’indigence, et s’élèvera au plus haut degré de fortune et de gloire !

Trois mois suffiront à qui voudra faire cette conquête industrielle et sociale du monde entier !

En effet, il ne faut que six semaines pour les préparatifs d’édifices et plantations, puis six semaines d’exercice par les 400 enfants. Au bout de ces trois mois, le mécanisme d’industrie attrayante sera en pleine activité; l’expérience aura prononcé, et donné congé aux impossibilistes et aux détracteurs. La conviction de travail attrayant et quadruple produit étant pleinement acquise (quadruple sauf exercice en pleine échelle à 1800 personnes), on se préparera de toute part à l’imitation en pleine échelle.

L’essai employât-il six mois, dans le cas de lenteurs en exécution, ce ne serait encore qu’un instant, eu égard à l’importance du résultat, l’avènement du genre humain à la destinée heureuse, dont il désespérait.

J’entends les sceptiques répéter leur refrain : « Mais vous changerez donc les passions ! Comment pourrez vous faire que des enfants qui n’ont de penchant qu’à briser et ravager dès qu’on les laisse en liberté, deviennent tout à coup laborieux du matin au soir, négligent leurs amusements pour le travail? Vous changerez donc la nature humaine ! Comment pourrez vous empêcher que les hommes aient des passions ? C’est impossible. »

Voilà exactement le thème des ergoteurs : je réponds : ce sont eux qui veulent changer les passions, moyennant dix mille systèmes de morale qu’ils opposent à la nature. Eh! quelles passions ont-ils changées depuis 3000 ans? Si le bonheur des humains tenait à un changement des passions, Dieu serait mécanicien inepte d’avoir placé dans nos âmes des ressorts nuisibles, qu’il faudrait réprimer, comprimer, supprimer selon les moralistes, eux qui pourtant n’inclinent guère à réprimer leur cupidité.

Ce ne sont pas les passions qu’il faut changer, c’est leur marche; elles produisent le bien ou le mal, selon qu’elles sont développées en ordre combiné ou en ordre incohérent : mon procédé, loin de tendre à les changer, consiste (voir les traités) à utiliser trois d’entre elles qui, n’ayant aucun emploi en civilisation, y existent pourtant et y causent tous les désordres.

Quant à la marche et à la distribution que je leur assigne en industrie, la disposition en séries de groupes à courtes séances, elle n’est pas de mon invention, car c’est l’ordre que Dieu établit dans tous les produits créés : nos naturalistes ne peuvent classer les règnes que par séries de groupes. Si Dieu applique à toute la nature cette distribution, nous devons le prendre pour guide, nous rallier à sa méthode, et appliquer des séries de groupes industriels à chaque genre de produits soumis à notre exploitation. Adopter un autre système, c’est se mettre en scission avec le procédé divin, qui nous garantit de précieux avantages refusés au travail morcelé des familles, entre autres :

L’économie bannie de nos ruineux ménages, où l’on voit, en été, dans une bourgade, 400 feux, 400 marmites, 400 femmes; là où quatre suffiraient en exploitation combinée.

L’exercice parcellaire, qui permet à chacun de prendre par à une trentaine de travaux, en y adoptant seulement une ou deux subdivisions de l’ouvrage, et s’enrôlant aux sous-groupes qui en sont chargés.

3° Les séances courtes, variées, intriguées : elles transforment en plaisirs les travaux accablants de l’ordre familial, qui tombe dans les deux extrêmes, d’où naît la répugnance. Il surcharge une femme de 30 détails d’un travail de ménage, dont à peine 3 ou 4 lui plairaient, dans le cas d’intrigue émulative et compagnie joyeuse; et il astreint l’ouvrier à une séance de 16 heures par jour sur le travail le plus hébétant, comme de passer la navette, broyer la moutarde.

Nous ne pouvons pas soutenir plus de six heures une séance de plaisir, spectacle, table, etc. : un superbe mélodrame en quarante actes, enrichis d’une quarantaine de meurtres, dont la représentation durerait seize heures, nous ennuierait; personne ne pourrait tenir au-delà du vingtième acte; et cependant la philosophie civilisée condamne le peuple à un ennui de seize heures tous les jours de sa vie !

Philanthropes qui assignez au peuple ce rude esclavage, quelle serait son opinion sur votre science vexatoire, s’il voyait en activité l’ordre naturel, où chaque journée est une variété de nombreux plaisirs industriels, soutenus d’une excellente chère aux trois repas. Tel fut le sort des races primitives, tant qu’elles purent maintenir l’emploi de la boussole sociétaire, la série de groupes libres optant sur les parcelles de travaux.

C’était leur palladium ; car l’état sociétaire primitif devait tomber à l’époque où l’exubérance de population, raréfiant les subsistances, amènerait les répartitions injustes, les querelles, et par suite le partage des terres et troupeaux, le morcellement des cultures par famille, les relations mensongères, le travail répugnant, et la pauvreté du grand nombre, par réduction du produit au quart de la quantité possible.

Les philosophes ont voulu remédier à ces fléaux : trois mille ans d’épreuve ont été accordés à leur procédé de morcellement reconnu péjoratif Donnons trois mois d’essai (sur un coin de terre et non sur un empire ) au procédé sociétaire, dont l’académie des sciences (juillet 1829, Rapport de Moreau de Jonnès) augure déjà quadruple produit , quoiqu’elle ne connaisse que le huitième des leviers à employer.

Divers sophistes, les Owen, les Saint-Simon, les Van-den-Bosch, nous ont leurré de découvertes en art d’associer, art dont ils ne savent résoudre aucun problème; ni sur les dispositions attrayantes, ni sur l’éclosion (1) et l’emploi PRÉCOCE des instincts, ni sur l’équilibre de population, ni sur l’art d’utiliser les discords et inégalités, ni sur les répartitions satisfaisantes, ni sur les contrepoids agréés en passions (Fausse Ind., 82, 104), ni sur la participation convergente qui, à somme égale, quintuple et décuple les moyens de jouissance. (Voir les Doubles Prodiges, Nouv. Monde ind., 331.)

Ignorant tous ces ressorts, la commission de quinze membres, nommée en 1832 pour colonisations sociétaires, fit sagement de déclarer qu’elle n’avait pas les lumières nécessaires; mais elle aurait dû provoquer un concours sur la recherche de ces lumières, et faire assurer protection et épreuve à qui les apporterait.

Nous faisons des frais, des efforts pour la découverte des mines. Eh ! quelle mine donnera jamais le centième des richesses que nous vaudrait l’industrie combinée attrayante ?Je démontre en II° tome de mosaïque sur la fausse industrie, tome qui paraîtra fin novembre, que le plus pauvre des hommes pourra, dans l’ordre sociétaire, mener le train de vie qui lui coûterait 4000 francs dans Paris en civilisation ; que l’homme riche qui a 100.000 francs de rente, en aura au moins 200.000, valeur réelle (car on ne pourra pas augmenter la masse du signe représentatif), et que, grâces au mécanisme de participation convergente, il pourra, avec 200,000 francs, se procurer bien plus de jouissances qu’il n’en obtiendrait aujourd’hui avec un million de rente.

Voilà une nouvelle science préférable, je pense, à celle des philosophes qui n’ont d’autre plan que de prendre aux riches pour donner aux pauvres. Ici l’on contente, l’on enrichit proportionnément les cinq classes de fortune (Voir     )

A l’œuvre donc, à l’essai! Pourquoi hésiter sur une épreuve dont le pis aller est de donner un grand bénéfice. par emploi de méthodes fort neuves et d’une efficacité incontestable; méthodes dont l’académie, ne connaissant qu’un huitième, en augure déjà le quadruple produit, en cas de réforme des procédés agricoles, et unité d’action ?

Concluons que la question dont on devrait s’occuper, toute affaire cessante, est de vérifier, constater si le procédé d’industrie primitive, sociétaire et attrayante, est retrouvé : si le progrès colossal des sciences physiques nous garantit les moyens de rétablir et élever subitement cet état sociétaire à une splendeur incalculable.

Pour juger à fond la question, il faut exposer avec quelques détails les causes de la CHUTE, et la marche du progrès social antérieurement à la chute : ce sera le sujet du prochain article, qui traitera des quatre phases du péché originel.

———-

(1) Au sujet de l’éclosion précoce, j’ai cité souvent le charretier (Nouv. M. Ind. 48) qui, a 23 ans, devint en 6 mois très habile fondeur, gagnant 22 francs par jour; auparavant il ne valait peut-être pas 22 sous, parce que le hasard ne l’avait pas mis au poste où son instinct l’appelait.

Ce qui étonnera dans un essai, même sur enfans, sera de voir que ceux qu’on appelle pauvres sujets, gens de rien, petits garnements indécrottables, ont tous quelqu’un de ces instincts précieux et étouffés par le mécanisme civilisé, qui veut faire de Métastase, un portier; et de Newton, un vendeur de grains à la halle !

La France ne peut pas remplacer Talma, et je démontre par le calcul des caractères, qu’il existe en France au moins cinquante mille individus doués du germe d’un talent égal à celui de Talma, le Kain, Baron. Mais ils sont enfouis, la civilisation perfectible les occupe comme le charretier fondeur, a mener un tombereau, ou à broyer de la moutarde.


SCIENCE SOCIALE.

ANALYSE DE LA CHUTE DE L’HOMME.

carrière et phases du péché originel.

(Suite de l’article du 10 nov. 1836)

Expliquons d’abord le sens du mot péché originel, si mal compris par les commentateurs des saintes Ecritures qu’ils n’ont su nous donner aucune notion exacte sur les causes de la chute, ni sur les moyens de retour à la destinée heureuse d’où l’humanité est déchue.

J’appelle péchés originels, actes d’initiative en mal, les dispositions qui ont entravé et renversé le bel ordre sociétaire que le Créateur avait établi aux premiers âges du monde; ordre qui reposait sur la distribution des travaux en échelles de discords et d’inégalités, en séries de groupes libres qui exerçaient par courtes séances, et qui assuraient à chacun l’option sur les travaux et sur les parcelles de travaux. (Voir l’article du 1o novembre.)

Cette méthode, qu’adoptèrent les peuplades primitives, était certainement volonté et impulsion de Dieu, puisqu’elle était suggérée par l’instinct collectif d’économie et de charme, sans aucune injonction des philosophes ni des prêtres qui n’existaient pas à cette époque.

Cette unité d’action industrielle, cet ordre fortuné où régnaient l’abondance, la liberté, la vérité, dura peu.

Les traditions allégoriques des Orientaux nous disent que la CHUTE, la déchéance du bonheur primitif, provient de la désobéissance d’un homme et d’une femme qui mangèrent d’un fruit défendu, pomme ou poire, peu importe. C’est une tradition faussée qui tendait à déguiser la vraie cause de la chute du régime sociétaire.

Elle eut pour cause l’exubérance de population qui raréfia les subsistances, et qui, à force de multiplier les essaims coloniaux, amena le contact des peuplades primitives, la dispute des pâturages, des chasses et pêches; puis les guerres, le partage des terres aux familles, l’asservissement des femmes, enfin le travail incohérent et répugnant, qui est le fruit défendu par Dieu ; car ce genre de travail engendre l’ennui, l’injustice, l’oppression, l’indigence, la fourberie et tous les désordres qui constituèrent la CHUTE.

Elle s’aggrava par degrés ; les peuplades commirent faute sur faute, selon l’axiome : abyssus abyssum invocat; elles s’engouffrèrent de plus en plus dans la fausse route ; et on leur fit perdre par tradition faussée l’espoir, l’idée même de retour à l’ordre primitif.

Il convenait aux chefs d’étouffer cette idée qui eût répandu le découragement parmi les prolétaires; il fallait leur cacher le bonheur primitif et les causes de la déchéance, afin de les façonner au servage féodal.

Tous les actes et les fables qui ont concouru à ce but, sont des rameaux du péché originel; il comprend les préjugés, les procédés oppressifs et les dogmes hypocrites qui ont détruit l’espoir de retour au bonheur, à l’abondance graduée; dogmes dont l’influence a gangrené les générations suivantes, car elles ont adopté ces erreurs comme voies de sagesse, ressorts et fins du mouvement social.

Après ce préambule, nous pouvons établir la distinction entre le péché originel, cause de la CHUTE, et le péché accidentel effet de la chute. Deux exemples nous suffiront à caractériser les deux sortes de péché. Cette distinction est de la plus haute importance pour confondre les sophistes.

Péché accidentel, le meurtre. Si Caïn fut le premier en date parmi les fratricides, son crime ne fut pas de catégorie originelle, car ce n’était pas un acte qui pût dégénérer en vice endémique, en coutume transmissible aux générations suivantes; au contraire, les pères s’accordèrent à inspirer à leurs enfants l’horreur du fratricide. Ce n’était donc pas un vice persistant, formant tige, et étendant ses rameaux sur les générations suivantes.

Péché originel, l’esclavage. Le premier conquérant qui imagina de réduire les vaincus au rôle d’esclaves et de marchandise, comme les bestiaux, créa une gangrène sociale qui se perpétua, car les enfants des esclaves primitifs restèrent esclaves comme leurs pères. Il introduisit donc un vice permanent et non pas accidentel, un vice qui, envahissant les générations suivantes, les engouffra dans les voies de CHUTE et de lymbe sociale. Bref, les péchés originels sont CAUSES de chute, les occasionnels sont EFFETS de chute.

Plus ces innovations oppressives se multipliaient, plus l’espèce humaine s’enfonçait dans l’abîme de la fausse destinée où elle croupit encore, et d’où elle serait sortie depuis 2500 ans si elle eût procédé méthodiquement dans ses études.

Un préliminaire utile est d’analyser et classer par échelle d’époques, tous ces échelons de péché originel, qui ont accru l’égarement, aggravé la chute, et qui sont éclos en grand nombre chez les modernes. Je vais opposer à leurs jactances de progrès seize échelons de péché originel, dont moitié au moins ont été l’ouvrage de l’inepte philosophie moderne, qui nous les a inoculés comme voies de progrès. C’est un progrès comparable à celui du choléra et de la fièvre jaune, que nous ne connaissions pas il y a un demi-siècle, et dont nous nous passerions fort bien, n’en déplaise aux hommes du progrès.

échelons du péché originel.

depuis la CHUTE jusqu’a l’impénitence finale.

Germe. L’exubérance de population, et par suite la pénurie de subsistances, les guerres de contact.

Tr. asc. Despotisme masculin, morcellement familial et CHUTE. Fin de la concurrence émulative, de la richesse et de la vérité.

1re phase, brutalité.

  1. Industrie dégradée, mal rétribuée, disputée,
  2. Tradition faussée par les grands et les prêtres.
  3. Esclavage direct et indirect, santé sacrifié,

2e phase, orgueil.

  1. Principe d’orgueil reléguant Dieu au deuxième rang.
  2. Monopole du génie refusant l’exploration intégrale.
  3. Faux droits de l’homme, devoirs sans réciprocité.

3e phase, engouffrement.

  1. Abandon de la voie naturelle en études.
  2. Loi du sacrifice en mode passif.
  3. Timidité des rois n’osant pas créer l’opposition

4e phase, empirisme.

  1. Boussole d’attraction dédaignée après Newton.
  2. Dégénération en esprit mercantile.
  3. Fausse direction sociétaire sans conditions.

Tr. Desc. Impénitence finale des modernes repoussant et diffamant le code sociétaire divin à son apparition. Cercle vicieux érigé en progrès.

Souche. Athéisme et matérialisme déguisés sous un masque de rationalisme, positivisme.

Ces échelons de péché originel diffèrent beaucoup en culpabilité. Les uns, et d’abord le germe, ont été effets d’ignorance; d’autres ont été résultats d’orgueil excusable chez les anciens, tel est le 4°. D’autres ont été effets de violence, comme les 1″ et 3′; ou de perversité, d’hypocrisie spéculative, comme les 5° et 6°. Quelques-uns, comme le 9″, l’asservissement des monarques à la philosophie, sont dus à des préjugés assez excusables, quoique le simple bon sens eût dû suffire à convaincre les rois que la philosophie est une boîte de Pandore, un cercle vicieux qui ne conduit que d’un abîme dans un autre.

Nous allons examiner cette honteuse litanie de bévues et perfidies qui ont amené la CHUTE et l’ont consolidée dans l’âge moderne, fier de ses progrès industriels, qui ne sont pour lui qu’un affront, qu’un brevet d’ineptie, tant qu’il ne sait faire aucun pas vers le retour au bonheur, au mécanisme sociétaire qu’il invoque sans cesse.

Il est entendu que nous ne traitons ici que des péchés originels ou transmis et persistants, devenus endémiques ; ils en ont enfanté des milliers d’autres, mais je n’aborde pas cet immense détail, je me borne à l’analyse des origines de chute et d’engouffrement en limbes sociales.

Passant à l’éxamen des 16 péchés, je commence par le 9° qui est le plus surprenant. Comment les monarques se sont-ils laissé fasciner au point de ne pas oser créer une opposition à la philosophie, qui est si ardente à leur en créer une par le système représentatif?

Napoléon, coutumier des demi-mesures, n’y manqua pas sur ce point ; il n’osa tenter contre les philosophes qu’une opposition passive, en supprimant leurs 3o fauteuils académiques; ce n’était pas combattre leur doctrine, lui opposer un adversaire assez éclairé pour la confondre ; c’était une attaque purement négative; il fallait une agression positive, une arme nouvelle et forte, la culture des sciences intactes et vierges, que la philosophie frappe d’interdit. Voir Y3, 6-6, 2e tome de la Fausse Industrie (1).

Comment les rois et les ministres en sont-ils venus à redouter la philosophie au point de ne pas oser la suspecter, ni ordonner l’exploration des sciences dont elle étouffe l’étude ?

Le vice date de loin. Dans les premiers âges de limbe sociale qui succédèrent à la chute, les dieux n’étaient qu’un objet d’effroi pour les hommes ; l’esprit religieux n’était exploité par le sacerdoce que pour terrifier les peuples, et les façonner au travail répugnant, à l’obéissance aveugle, comme Isaac se laissant traîner à la mort par son père.

Vint ensuite la Mythologie qui , avec sa cohue de 35000 dieux entremis à tous les débats de ménage, affaiblit beaucoup le respect dû à la divinité et donna une fausse direction à l’esprit religieux. On négligea toute étude sur les attributions et vues de Dieu, sur le code sociétaire qu’il a dû composer pour les humains, puisqu’il a donné des lois industrielles aux insectes mêmes, bien moins dignes que nous des secours de sa Providence.

Un grand obstacle paralysait sur ce sujet les recherches de l’antiquité : c’était la coutume de l’esclavage ; on ne peut pas établir le mécanisme sociétaire avec des esclaves ; ils étaient donc une barrière opposée aux recherches sur l’industrie combinée et attrayante.

De là vint que les philosophes anciens durent adopter facilement le principe d’orgueil, 4 péché originel, qui exclut Dieu de la législation et confère cette faculté à l’homme seul, en plaçant la raison divine au deuxième rang, en dessous de la raison humaine.

Un indice d’égarement qui fut repoussé ou inaperçu par les philosophes et leurs rivaux, c’est que Dieu étant investi du pouvoir de distribuer l’attraction, le plus mauvais code composé par lui pour notre industrie en rendrait l’exercice agréable et ferait notre bonheur; tandis que la philosophie, privée du pouvoir de distribuer l’attraction, ne peut pas nous inspirer du penchant pour les ressorts sociaux qu’elle emploie, pour les sbires, les percepteurs, les garnisaires, l’imminence de famine, la morale, les ateliers disciplinaires, les prisons, les bagnes, les gibets, les bourreaux, seules colonnes de la civilisation. Si vous essayez de supprimer les garnisaires, les sbires, les bagnes et les bourreaux, à l’instant le peuple formera des hordes, spoliera les riches, et la civilisation sera renversée. Elle repose donc sur la peur des supplices, et non sur le jargon de morale et de devoir qui, sans l’appui des bourreaux, serait, dès le le lendemain, bafoué, anéanti.

Les anciens, habitués à torturer des esclaves, se firent illusion sur ce honteux pivot des sociétés civilisées, qui, fardées de belles paroles et de subtilités, se fondent pourtant sur le même ressort que l’état barbare, sur les bagnes et les échafauds.

L’esprit social dans Athènes était à son coup d’essai, à sa phase d’enfance : il s’abusa d’autant mieux que les sectes philosophiques étaient la comédie du peuple et de la bourgeoisie; car on n’avait pas comme aujourd’hui des théâtres à séance quotidienne ; d’ailleurs, les philosophes avaient acquis richesses et crédit; le divin Platon était l’égal des monarques; Alexandre allait rendre visite au divin Diogène dans son tonneau.

Il fut donc aisé aux philosophes de se livrer à l’orgueil et d’usurper sur Dieu le droit de législation.

Mais les modernes, bien désabusés sur la philosophie, auraient dû entrevoir l’usurpation, et rétablir en principe la compétence de Dieu en fait de code. La religion chrétienne aurait dû les y rappeler. Elle a au contraire lutté d’empiétement sur la prérogative divine ; elle n’a cherché qu’à enlever la législation aux philosophes, et se l’attribuer par des intrigues théocratiques, poussées au point de déposer les souverains insoumis, et détruire les sectes dissidentes par le fer et le feu.

Elle a renforcé le principe d’orgueil, en l’étayant d’une loi de sacrifice passif (8e péché), loi tout obscurante qui stimule les peuples à s’habituer au malheur, aux privations, et désespérer de la Providence pour les biens de ce monde, les richesses et les plaisirs.

Envisageons cette question en sens purement chrétien et conforme à la parole évangélique de Jésus-Christ.

La loi du sacrifice en mode passif, la résignation sans espoir des biens de ce monde, aurait été utile, si on eût fait exactement et sans succès les recherches ordonnées par J.C. qui nous dit : « O hommes de peu de foi, de quoi vous « inquiétez-vous en disant : que mangerons-nous, que boirons-nous, de quoi nous vêtirons-nous ? Cherchez premièrement le royaume de Dieu et de justice, et tous ces « biens vous seront donnés en surabondance ; car votre « Père sait que vous en avez besoin. » S. MATTH. CH VI. Je passe beaucoup d’autres versets confirmatifs. Jésus ajoute fréquemment : « Cherche et vous trouverez ; il n’y a rien de si caché qui ne puisse être connu. »

Voilà un ordre bien positif. Jésus ne veut pas qu’on s’abandonne passivement à la résignation, mais qu’on cherche activement les voies de retour au bien-être.

On objecte que Jésus a dit : « Mon royaume n’est pas « de ce monde; » oui, quant au salut des âmes; mais il s’agit ici du bien social que son Père nous a préparé sous la condition de le chercher et le découvrir. Jésus nous parle du besoin de manger, boire, se vêtir; il est clair que cela ne peut pas s’entendre des Élus de l’autre monde qui ne manquent point du nécessaire.

La résignation n’est donc conforme aux vues de J.-C. qu’en sens actif, qu’en yjoignant une investigation active du code divin, qui nous promet les biens matériels dès ce monde, et en surabondance.

Eh ! si l’amour du bien-être matériel s’écarte des vues de J.-C., d’où vient que ses oracles titrés, les évêques et prélats, aiment tant à se nantir des biens de ce monde, au lieu de nuener la vie trappiste ? Un archevêque de Tolède croit sauver son âme en choyant bien son corps, et jouissant d’un million de rente.

Jésus approuve en toute occasion ce genre de vie ; il assiste volontiers aux festins; et lorsque les Hébreux disent de lui : « C’est un homme de bonne chère qui aime à « boire, » S. LUC, CH. VII, il leur prouve que ce goût est très compatible avec la sagesse; et ses apôtres actuels paraissent bien convaincus de ce principe, dans les pays non spoliés , où le clergé a conservé ses richesses, et en use largement pour le salut du corps ainsi que de l’âme.

Au résumé, la loi de résignation PASSIVE devient inadmissible, du moment où le code industriel divin est découvert, et nous garantit l’avènement à la richesse graduée. Cette loi est un des échelons de péché originel qui a imbu toute la chrétienté d’un esprit d’obscurantisme, en la détourant de la recherche du royaume de justice promis par J.-C., en langage le plus explicite.

Du reste, ceux qui nous prêchent cette loi inclinent si peu à la pratiquer que cette contradiction entre leurs dogmes et leurs actes devait éveiller le soupçon et faire entrevoir la nécessité d’une opposition à établir contre les deux corporations de philosophes et théologiens, qui se disputent la dépouille de Dieu, la prérogative de législation.

Voyez le noble usage qu’ils en font dans leurs savantes constitutions ! Elles consacrent d’abord la spoliation du peuple et l’obscurantisme. Elles privent le peuple de tous ses droits et notamment du premier, qui est le droit de se nourrir, comme le sauvage, des dons de la nature, chasse, pèche, cueillette et pâture.

Mais toutes les terres sont envahies; quelle compensation donne-t-on au peuple ? des droits dérisoires, la souveraineté sans pain, sans travail lucratif, et autres droits ridicules qui ne sont point des équivalents agréés. On lui devrait dans tous les cas le neuvième droit social, le minimum d’entretien décent. On ne lui laisse que l’esclavage indirect (3° péché originel), la liberté de mourir de faim, quand les oisifs qu’il a nourris ne veulent plus lui donner de travail.

Nos constitutions civilisées ne s’occupent que du bienêtre des oisifs ; on y voit toujours en tête : « Il y aura telles « classes de sinécuristes; des sénatoreries de 50,000 francs de rente pour des senatoreurs (2) qui seront chargés de vanter les beautés de la constitution. » Quant au peuple, loin de lui rien donner, on lui impose des devoirs, entre autres celui d’aller mourir pour la constitution, s’il n’a pas, comme les oisifs, cent louis pour s’exempter du service militaire.

Passant sur les autres droits de l’homme dont le déni constitue le 6e péché, je viens au 5e.

L’obscurantisme ou monopole de génie, refus d’exploration générale, est une œuvre des philosophes et théologiens réunis. Discordants en apparence, ils sont d’accord pour maintenir l’anarchie scientifique, l’interdit de toutes les études, Y 3, 6-6, qui conduiraient à des découvertes utiles, à des progrès réels en carrière sociale. Il manque aux monarques civilisés un genre de courage, une résistance dont ils ont montré quelques germes à l’égard de la théologie. Saint Louis, qui était bon catholique assurément, osait résister aux empiétements de la superstition. Fontanes dit de lui :

Pieux, il sut contenir Rome.

D’autres ont fait scission active avec Rome; mais aucun n’a osé faire scission active avec la philosophie, en lui opposant la culture des sciences intactes, qu’elle frappe d’interdit par son monopole de génie.

Les tentatives de résistance ont été de vrais avortements ; on forma il y a quelques années une société des bonnes lettres : mais les lettres bonnes ou mauvaises ne changent rien au sort des peuples; elles ne donneront ni le quadruple produit, ni l’industrie attrayante, ni aucun des gages de bonheur social. Il eût fallu une société des bonnes sciences interdites par les monopoleurs.

Les modernes, avec leurs prétentions au perfectionnement de la raison, ne s’aperçoivent pas qu’ils sont ballottés entre deux superstitions, la philosophique et la théologique, sur lesquelles on les presse d’opter. Lequel choisir de Scylla ou de Charybde ? Ni l’un ni l’autre écueil : il faut passer entre deux et aller au port, au mécanisme sociétaire d’où les deux syrènes veulent nous détourner. Il est aisé de les confondre par leurs propres doctrines, s’emparer de leurs armes, les badiner.

On peut dire aux philosophes : « Vous prêchez le progrès; vous dites qu’il faut explorer en entier le domaine de la science, et vous ne voulez pas qu’on aborde l’étude des sciences intactes; vous les raillez à leur apparition faute de pouvoir les réfuter !

«Vous cherchez, dites-vous, l’auguste vérité que vous déclarez la meilleure amie des humains ; mais après 25 siècles de recherches qui n’ont servi qu’à consolider le règne du mensonge, quelle boussole choisissez-vous ? l’esprit mercantile, cloaque de fourberie et de crimes sociaux, onzième rameau de péché originel.

« Si vous cherchez la vérité, à quel emploi la destinez-vous ? Quand vous l’aurez trouvée, elle ne pourra pas se concilier avec votre système de commerce arbitraire et de concurrence anarchique, où tout est mensonge. Vous deviez donc débuter par condamner le système commercial actuel, en invoquer la réforme, si vous aimez la vérité. «

Sur tous les autres problèmes sociaux, on trouverait également la philosophie en contradiction avec elle-même; par exemple, si elle croit à l’unité de système de l’univers, pourquoi n’y encadre-t-elle pas l’ordre social, en appliquant à l’industrie l’étude de l’attraction commencée par Newton, et qui nous explique toutes les dispositions du mécanisme de vérité et de justice.

On peut dire aux théologiens : « Vous nous prêchez la résignation à la pauvreté qu’engendre le système philosophique d’industrie morcelée; vous êtes donc, par le fait, échos et complices de la philosophie, puisque vous pronez ses bévues en mécanique sociale, contre l’opinion de J.-C. qui nous ordonne de chercher le régime de justice et de vérité fort différent de la civilisation. »

L’Évangile dit que Dieu prévoit nos besoins jusqu’au point de compter tous les cheveux de nos têtes, Dieu n’a donc pas pu manquer de prévoir le besoin individuel de se nourrir et vêtir, et le besoin collectif d’un code régulateur de l’industrie, et assurant à chacun le minimum décent, l’honnête nécessaire. Dieu a dû composer ce code; Jésus nous ordonne de le chercher, et vous, théologiens, vous nous ordonnez d’accepter sans espoir toutes les privations et les calamités qu’engendrent les lois des philosophes.

C’est ainsi que des deux partis qui usurpent sur Dieu la fonction législative, l’un, pour pallier son impéritie, nie la Providence et repousse le code divin à son apparition ; l’autre suppose une Providence avorton qui n’aurait pourvu ni aux besoins individuels ni aux besoins collectifs des sociétés. Il imagine un Dieu barbare qui se complaît aux souffrances de l’humanité.

Lequel des deux partis est le plus coupable? Tous deux le sont également pour avoir sanctionné toutes les phases du péché originel, et avoir terminé par l’impénitence finale le rejet du code divin.

C’est donc pour les théologiens, comme pour les philosophes, que l’Évangile a dit :

« Et la lumière est venue en ce monde; et les hommes « ont mieux aimé les ténèbres, parce que leurs actions « étaient mauvaises. (SAINT JEAN, CH. III.) »

Elles ne resteront point impunies ; la philosophie court à sa perte, et le moindre essai d’industrie combinée attrayante livrera à la risée universelle les quatre sciences qui ont voulu changer les passions, au lieu d’en étudier le mécanisme par calcul analytique et synthétique de l’attraction appliquée à l’industrie agricole et sociétaire.

Quant au clergé, son arrêt est prononcé par l’insatiable finance; elle dévorera en tous pays les biens ecclésiastiques si la civilisation se prolonge. Elle ne peut plus prendre que sur le clergé ou le commerce; mais celui-ci est encore trop puissant, et c’est le clergé qui comblera à ses dépends le gouffre des emprunts et de la fiscalité croissante.

Vous civilisés, soyez moins aveugles que ces deux corporations qui vous trahissent; revenez à l’espoir en la Providence, à une foi raisonnée, au lieu de la foi aveugle qui vous a si mal dirigés, et apprenez, sur le péché originel comme sur tous les dogmes des Saintes Écritures, à expliquer le sens des allégories et des travestissements, douzième échelon du péché originel.

Dans cette analyse trop peu détaillée, l’attention doit se fixer principalement sur les deux échelons de péché, n° 4 et 9, qui ont le plus coopéré à prolonger la durée de la chute.

J’ai dit que l’antiquité, en subalternisant les Dieux, en les mêlant au tripot de chaque ménage, habitua les anciens à n’attendre de ces divinités triviales aucune conception grandiose, largement providentielle, applicable à l’humanité entière. Ils furent donc excusables de douter de l’existence d’un code industriel divin, croire que la législation était réservée à la raison humaine.

Le Christianisme, à sa naissance, aurait dû combattre cet orgueil, et, selon les instructions de J.-C., rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.

Or, quelle est en législation la part affectée à César ? Ce sont les dispositions de police locale, répartition d’impôt, et toutes les mesures secondaires; mais les distributions primaires, les méthodes normales et permanentes de l’industrie, le mécanisme des passions, instincts, caractères, les emplois de l’attraction et de la répugnance, sont la partie législative affectée à Dieu.

Le Christianisme a envisagé cette grande question tout à contre-sens; il a condamné l’amour des richesses, parce qu’en civilisation l’on n’y parvient que par le vice et la fraude. Il fallait, selon le précepte de J.-C., chercher le royaume de Dieu et de sa justice ; le mécanisme d’industrie combinée, où l’amour des richesses deviendra louable, parce qu’il entraînera tous les humains à la pratique de la vérité et de la justice, qui sont routes de fortune dans l’état sociétaire.

Son industrie bien attrayante, bien intriguée, étant gage de richesse et de bonnes mœurs, garantira la fin des conspirations et révolutions engendrées par le régime philosophique de morcellement, fourberie et pauvreté, qui, en réduisant les peuples à la dernière misère, prépare des agents, des sicaires aux conspirateurs.

La seule voie d’opposition employée contre les philosophes, a été la méthode divide ut regnas. On favorise une petite coterie qui est comblée de faveurs, qui accapare les sinécures; on croit qu’elle influera sur la conversion des masses; mais voyez si le roi actuel, qui a rétabli l’omnipotence des philosophes disgraciés par Napoléon, a rencontré moins d’agitateurs et de conspirateurs que ses devanciers ?

Un prince perd beaucoup à se livrer à des monopoleurs de génie qui lui cachent les découvertes faites dans son royaume; il n’en connaît que des parodies diffamatoires, et cette prévention lui ferme les plus belles carrières.

Si le Roi, à son avènement, eût donné suite à la résolution du ministre baron Capelle (lettre du 24 juillet 183o), tout serait terminé aujourd’hui ; les Sauvages mêmes seraient organisés depuis deux ans. Le Roi aurait recouvré ses frontières, sa liste civile 25,000,000 au Roi, 8,000,000 aux princes, puis un traitement double, 50,000,000 à titre d’empereur de l’Unité, président de la hiérarchie sphérique; il verrait tous les potentats du globe briguer son alliance par les mariages.

Au lieu de ces trophées pacifiques, le Roi a couru une carrière de ronces; il y a rencontré des Fieschi, des Alibaud, des Meunier, des alliés insidieux qui l’ont entraîné dans les concessions, l’ont leurré sur des mariages.

Il peut tout réparer en une quinzaine s’il ose s’émanciper, et créer une opposition à la philosophie par un manifeste ou programme qui mettra au concours l’étude des sciences intactes. Alors les monopoleurs du génie seront terrassés et capituleront. La délivrance du genre humain sera certaine; le Roi en aura l’honneur et le bénéfice.

Un coin de terre, 150 hectares à jardin et une réunion de 400 enfants, suffiront à résoudre en deux mois le grand problème du destin sociétaire, de l’industrie attrayante et du quadruple produit.

Cessez donc, politiques civilisés, de vous jeter de Charybde en Scylla, de flotter entre la philosophie et la théologie également impuissantes pour le bien. Ralliez-vous à l’essai du code divin qui ne bouleverse rien, qui n’opère que par conviction palpable du progrès réel. Il élèvera le siècle à l’esprit vraiment religieux ; les athées mêmes courront aux pieds des autels avec la masse des peuples, pour y célébrer la gloire de l’Éternel Géomètre, créateur de l’attraction et du mécanisme des passions, dont on verra naître l’ordre fortuné digne de Dieu et de l’homme, l’unité universelle.

CH. FOURIER.

(1) Les citations cotées F. Ind, 457, et au-dessus, se rapportent à ce Il° tome de mosaïque : il a été retardé et paraîtra sous peu de jours.

(2) Sénatoreur, sénateur apanagé d’une sénatorerie.

Au prochain Numéro la préface inédite de la Théorie des quatre mouvements.


Voici l’Introduction à la Théorie des quatre Mouvements, que nous avons annoncée dans notre précédent Numéro. Elle a été écrite par Fourier en 1818, dix ans après la publication de ce premier ouvrage, et quatre ans avant celle du Traité de l’Association Dom.-Agr., qu’il préparait alors. Cette pièce, qui n’était pas destinée à l’impression, et qui n’avait été écrite que pour un exemplaire annoté de la main de l’auteur, est, de Fourier, le seul morceau conservé qui date de cette époque. A ce titre seul on nous saura gré de l’avoir publié.

Introduction

A LA THÉORIE DES QUATRE MOUVEMENTS.

1818.

Il faut se garder, en lisant cet ouvrage, d’une erreur où tombent tous les Français; ils veulent qu’un prospectus contienne les détails réservés à un traité; ils se plaignent de ne pas comprendre comment on pourra exécuter les changements annoncés. Si j’avais voulu l’expliquer, j’aurais donné un traité et mon pas un prospectus. Il ne convenait pas de livrer d’emblée ma théorie; comme je n’en publie qu’une annonce, je n’y dois autre chose que des aperçus propres à piquer la curiosité et faire désirer le traité qui la satisfera.

En publiant ce livre j’avais deux buts : sonder l’opinion, et prévenir le plagiat. C’était une prise de possession, mesure nécessaire surtout en France, où l’on trouve toujours après coup vingt plagiaires qui revendiquent une découverte et accusent l’auteur même de plagiat.

J’ai donné à cet essai des formes quelquefois choquantes et des tons variés pour masquer diverses épreuves que je faisais sur les préjugés, plus forts en France que partout ailleurs. Pour les sonder tour à tour, il a convenu de distribuer l’ouvrage comme l’habit d’Arlequin, cousu de toutes pièces et bigarré de toutes couleurs. On lui a reproché de manquer de méthode; il a la méthode nécessaire dans un travestissement.

La première partie de l’ouvrage, la cosmogonie, n’est pas fixe, quoique renfermant beaucoup de détails fort justes que la théorie fixe a confirmés. Je n’ai fait qu’en 1814 la découverte du clavier général de création qui sert de boussole dans ce genre de calcul.

Dans le traité de 1821, cette partie de l’ouvrage sera fixe, ainsi que les autres. J’ai rectifié à la main les erreurs notables, comme celles de la page 76.

Du reste, il y a sur ce point très peu d’erreurs conjecturales, et je puis m’étonner d’en avoir si peu commis lorsque je manquais du calcul de vérification trouvé en 1814.

Jugeons, par quelques exemples, de la ténuité de ces erreurs. J’ai porté au grand tableau le nombre des périodes sociales à 32; il est de 34, y compris les deux pivotales qui ne comptent pas en mouvement ; j’omettais tous les pivots en 1807.

J’ai estimé le nombre de nos planètes à une cinquantaine, y compris les inconnues ; c’est l’erreur la plus grave. Elles ne sont que 32 en gamme sur le soleil, non compris notre lune Phœbé, qui est un astre mort, à remplacer par la petite étoile Vesta entrée pour cette fonction.

Il ne reste à découvrir que deux planètes de gamme; ce sont Protée, ambigue de Saturne, et Sapho, ambigue d’Herschel, toutes deux d’ordre mixte, et correspondant pour l’emploi à Vénus et Mars.

Il peut rester aussi quatre planètes de réserve au-delà d’Herschel; tout cela n’élèverait encore le tourbillon qu’aux environs de 40, au lieu de 50. Je ne savais pas faire le compte régulier de ces astres inconnus, lorsque j’en fixai approximativement l’ensemble à 50.

Une erreur de méthode assez grave est d’avoir divisé le mouvement en quatre branches, au lieu de cinq, dont une pivotale et quatre cardinales. En 1808, je ne connaissais pas la théorie des pivots et je les omettais fréquemment. Cette irrégularité ne change rien, quant au fond de la théorie générale, non plus que l’inadvertance commise en 1808 sur le mode neutre, dont je n’ai pas fait mention dans ce volume, n’en ayant découvert les emplois que six ans plus tard.

Les beaux esprits qui firent des plaisanteries sur les quatre mouvements auraient, certes, mieux fait de rectifier ces erreurs ; ils pouvaient me prouver que j’oubliais le mouvement aromal, et que je plaçais mal à propos le passionnel | sur la ligne des quatre autres, dont il est pivot et type.

Une science nouvelle n’arrive pas à terme du premier jet, surtout quand l’auteur est seul à l’ouvrage. Or, en 1807, je n’étais qu’à la huitième année de la découverte; il me restait une infinité de problèmes à résoudre pour compléter un corps de doctrine. Je ne me serais pas pressé d’entrer en scène sans quelques instances de curieux qui me demandaient au moins un aperçu ; ils m’y engageaient par la crainte d’une censure dont on menaçait et qui baillonna la France dès l’année suivante. Pour l’esquiver, je composai précipitamment cet essai.

J’avais déjà résolu quelques-uns des problèmes principaux, entre autres celui de la formation des séries passionnelles et de la distribution d’une phalange d’harmonie domestique, à 810 caractères contrastés. Je tenais déjà le secret de la répartition équilibrée en raison directe des masses et inverse du carré des distances.

On pouvait donc, dès cette époque, sortir de la civilisation. Les Français ont préféré y rester; elle leur a valu depuis, une perte de 1,500,000 têtes dans les combats, des humiliations et spoliations de toute espèce. Le tableau de ces désastres est la meilleure réponse à leurs plaisanteries, dont ils ont été si bien punis.

Les conférences que j’ai eues sur cette découverte avec des personnes de diverses nations m’ont prouvé que les Français, par leur manie de bel-esprit, leurs nombreux préjugés et leur coutume de trancher sur tout débat sans examen, sont inhabiles à l’étude de l’attraction, dans laquelle réussissent fort bien les Allemands et les gens du Nord. Ces peuples, moins bouffis de prétentions, peuvent se façonner au précepte de Condillac et Bacon qui conseille aux civilisés de refaire leur entendement, oublier tout ce qu’ils ont appris des sciences incertaines.

C’est principalement en étude d’attraction passionnelle qu’on doit rappeler ce précepte ; mais comme les Français ne sont pas gens à le goûter, il ne leur est pas possible de se familiariser avec la nouvelle science qui heurte tous les préjugés et en exige l’oubli. D’ailleurs, ni eux ni d’autres ne peuvent la juger sur un prospectus borné à des aperçus sans théorie complète et à des raisonnements préparatoires.

Les journaux de Paris, tout en avouant que ces raisonnements sont bien faits, bien suivis, y ont répliqué par des railleries, selon l’usage français; mais raillerie n’est pas réfutation. Au surplus, pour payer les Français en leur monnaie, puisqu’ils n’admettent que la raillerie, je les félicite des bienfaits éclatants qu’ils ont recueillis de la civilisation, depuis l’époque où je leur en ai indiqué l’issue; en payant sa prolongation de tant de sang et de trésors, je doute qu’ils aient les rieurs de leur côté.

Ceux qui apporteraient dans cette lecture l’esprit français, la manie de primer et ravaler un compatriote vivant, seraient dupes d’eux-mêmes ; je vais le prouver par l’aperçu de deux chances de bénéfice et d’honneur que la découverte présente à la France; je me borne à deux preuves entre Cent.

1° Chance de bénéfice; il faut la placer au premier rang pour se mettre au ton de notre siècle mercantile.

Une dette énorme pèse sur la France, dette qui, en 1820, s’élèvera à quatre milliards, aveu fait dans le sein du corps législatif. Ne serait-il pas commode pour la France de faire passer sa dette sur le compte du globe ?

Mais l’Angleterre a aussi une dette; elle est de 18 milliards; disons 20 milliards au premier contre-temps et 1 milliard d’agio annuel. On sait combien les peuples sont écrasés par cette plaie. Quels horribles tableaux de mendicité nous donnent les statistiques de ce pays, grevé pourtant d’un impôt additionnel et commuual de 200 millions pour secours aux indigents! L’Angleterre sera donc plus intéressée que la France à saisir le moyen de se libérer sans qu’il lui en coûte une obole; car maintenant l’opération d’épreuve de l’harmonie est établie sur de nouveaux procédés qui exempteront un souverain de tout risque et de tous frais. A ce prix, comment l’Angleterre hésiterait-elle sur une épreuve dont le succès éventuel la délivrerait de sa dette colossale, et dont le succès assurerait encore une foule d’économies matérielles qui seront mathématiquement démontrées ?

Or, si l’Angleterre prend l’initiative d’épreuve que lui commande impérieusement le poids de sa dette, quelle sera la confusion de la France qui aurait pu s’approprier cet avantage, cet affranchissement de sa dette, en traitant son inventeur avec les égards dus à un homme qui ne demande pas de confiance prématurée, mais seulement l’examen et l’épreuve, de nulle dépense pour tout souverain de 500,000 habitants, comme celui de Darmstadt?

Les sceptiques vont répliquer : « On ne voit pas quels sont les moyens d’exécution de l’auteur. » Eh! comment les verrait-on dans un prospectus fait en 1807, puisque les principaux progrès de la théorie ont eu lieu de 1814 à 1817. Ils régularisent et complètent la science et les moyens d’enseignement. Il ne reste plus, pour en assurer le succès, qu’à donner tout le temps convenable à la confection du traité, et l’appuyer du tableau des intérêts de chaque souverain, de chaque nation, de chaque homme riche à tenter la facile épreuve de l’initiative d’harmonie.

2° Chance d’honneur. Les Français sont accusés de ne savoir que perfectionner et non inventer, d’être avortons en génie. S’ils tenaient à laver leur nation de ce reproche, ils seraient flattés de voir qu’un des leurs jette le gant au monde savant, prétend que les Newton, les Képler, qui croient avoir découvert les lois du mouvement, n’en ont mis au jour que la cinquième branche, et qu’un Français va dévoiler les quatre autres. Sur cette annonce, ils devraient à ma théorie une protection provisoire et subordonnée à l’engagement de fournir un traité régulier, pleinement compatible avec l’expérience, et appliqué aux sciences fixes, aux connaissances positives.

Les Français en jugent tout autrement ; ils ne voient dans cette affaire que le plaisir trivial de ravaler un des leurs, de l’attaquer sous le rapport de la rhétorique, lorsqu’il ne s’agit que de juger l’esprit inventif et d’attendre l’exposé dogmatique.

Ce n’est pas une tâche facile à remplir. La seule ébauche du corps de doctrine vient de me coûter seize mois, pendant lesquels je n’ai fait que dégrossir un tiers de l’ouvrage. A la vérité, c’était la partie la plus épineuse et embarrassante par la quantité de problèmes ; le reste en est moins hérissé, et c’est un travail de deux ans dont je puis répondre à jour fixe pour 1820 ou 1821, y compris une année à donner à la révision et correction.

Si, à cette époque, je publie un traité suffisant, et que la découverte des lois intégrales du mouvement soit bien constatée, quelle sera la confusion des Français de classe savante, en voyant qu’ils ont élevé aux nues l’inventeur de la cinquième branche, l’inventeur partiel, Newton, bien digne des plus grands honneurs, et que leur compatriote, inventeur des lois intégrales qui comprennent tout l’ensemble du mouvement dans les cinq branches, n’a trouvé chez eux que railleries, découragement, vexations, à tel point qu’il a été obligé de se retirer en pays étranger pour y publier. Je m’y retirerai dès l’an 1819.

La France alors voudra, selon son usage, revendiquer l’honneur d’invention, comme elle revendique aujourd’hui la vaccine, le bateau à vapeur, enfin jusqu’aux soupes-Rumfort. Que ne revendique-t-elle pas? La détraction et le plagiat vont de pair; elle veut bafouer tous les inventeurs et s’arroger après coup le mérite de l’invention. Je lui donnerai le démenti : je prouverai qu’elle n’a travaillé qu’à me rebuter; que, si j’eusse cédé aux insinuations et aux sarcasmes, j’aurais lâché prise, et le monde serait privé de la théorie intégrale du mouvement.

Alors ceux qui auront résisté au mouvement, opiné à attendre le traité avant de condamner l’inventeur, pourront reconnaître combien l’on est dupe de juger une invention avant qu’elle soit publiée, et de la juger sur un prospectus incomplet, donné quand la théorie n’avait fait que moitié des progrès auxquels elle est parvenue aujourd’hui.

Eh! quels jugements ont-ils portés? Ne pouvant rien dire sur les moyens d’exécution que je ne communiquais pas, ils se sont pris au style et à la méthode. Qu’importe le style en fait de découvertes ! Si un homme apporte une nouveauté immensément utile, comme la boussole nautique, n’est-il pas indifférent qu’il s’exprime en patois, pourvu qu’il donne le bien qu’on désire, un moyen efficace de s’orienter dans l’obscurité et dans les mines?

C’est un travers de notre siècle et surtout de la France que d’exiger partout des talents oratoires qui ne sont utiles que dans certains emplois. Il n’y a qu’une chose à exiger de moi : une théorie complète sur l’art de développer et mécaniser toutes les passions dans une phalange de 144 séries passionnelles, modulant par les 810 caractères de clavier général. Je n’ai posé que ce problème ; je ne dois que cette solution. Fût-elle donnée en patois, j’aurai payé ma dette. La philosophie aura-t-elle pareil mérite? A-t-elle résolu un seul de ces problèmes, depuis les collectifs, ceux du bonheur social et de l’unité des nations, jusqu’aux partiels, comme l’extirpation de l’indigence, de la fourberie, etc. ? Elle a échoué sur tous, malgré son attirail de style, de méthode, etc. Il faut donc d’autres armes pour forcer la nature et lui ravir son secret.

Il sera pleinement dévoilé par le traité du mouvement intégral ou des cinq divisions, savoir : le passionnel ou type qui est pivot des quatre mouvements cardinaux, de l’instinctuel, de l’aromal, de l’organique, et du matériel ou newtonien. En attendant le traité qui les présentera en cadre unitaire, si l’on veut tirer quelque fruit de cette annonce, il faut se rappeler :

1° Que tout défaut de style ou de méthode est insignifiant dans un inventeur, puisqu’on ne peut exiger de lui qu’une découverte utile. On est rassasié d’agréables inutilités; la rhétorique et le bel-esprit courent les rues. Il faut donc dispenser de ces colifichets celui qui donnera l’utile scientifique, la théorie d’unité passionnelle ou sociale ;

2° Qu’ici l’inventeur est d’autant mieux exempt de tributs oratoires qu’il est habitué de commerce, étranger aux sciences et aux lettres. Il est d’autant plus louable de braver la critique et les dégoûts, etd’user de ses propres moyens pour mettre au jour l’invention dont le sort l’a favorisé;

3° Que les sciences les plus exactes, les mathématiques, ne s’étant développées que par degrés, on doit fort peu exiger dans un livre d’initiation et d’aperçus d’une nouvelle science; on doit se contenter d’un germe évident de découverte, germe qui est plus que constaté dans ce prospectus, où l’on trouve déjà d’amples indices d’un secret dérobé à la nature, et manqué par nos sciences philosophiques ou répressives de la nature;

4° Que depuis ce prospectus il s’est écoulé dix ans, pendant lesquels la théorie a pris, surtout en 1814, un tel accroissement que l’auteur peut, sans jactance, promettre sous trois ans un corps de doctrine très satisfaisant ;

5° Qu’enfin l’auteur, loin de quêter les suffrages des Français, ne veut ni traiter avec eux ni publier chez eux ; et on se trompera fort si on le considère comme cherchant à faire des prosélytes sur cet aperçu incomplet, retiré de la circulation, qu’il ne livre qu’à regret et pour ne pas paraître désobligeant.

Telles sont les considérations à présenter aux sceptiques et détracteurs. Quant aux juges impartiaux, il ne s’agit que de les rassurer sur les défiances auxquelles l’esprit français s’abandonne trop légèrement par dédain de ses compatriotes. Si, au lieu de me signer Fourier, je signais Fourington, tout Français me proclamerait un sublime génie qui va surpasser Newton, enlever le voile dont ce grand homme n’a su que soulever un coin. Passons sur ce travers national, et rassurons les gens bien intentionnés, en leur donnant un gage de succès tiré des facilités d’exécution.

Il y a 3000 candidats de fortune ou de pouvoir, gens dont chacun peut faire l’épreuve de la phalange d’harmonie, et devenir par cette épreuve monarque héréditaire du globe. C’est un sceptre dont les attributions n’ont aucun rapport avec celles des souverains partiels régissant chaque empire, sceptre qui sera conféré par la Hiérarchie-Sphérique à l’individu qui aura notoirement opéré la délivrance du globe et l’avénement aux destinées sociales par la fondation du canton d’épreuve de l’Harmonie.

Chacun des 3000 candidats peut prétendre à ce poste éminent, en employant à cette fondation, très lucrative en sens pécuniaire, le quart des sommes qu’on dépense chaque jour en profusions inutiles, en fausses spéculations ou luttes d’amour-propre, ou même en déperditions nécessaires que préviendrait l’harmonie; telles sont les aumônes.

Par exemple, en Angleterre, une seule branche d’aumône, les secours publics fournis aux indigents, absorbent annuellement 8 millions sterlings, soit 200 millions de France. Cette taxe des pauvres est un des nombreux fardeaux dont on serait dégagé, en affectant seulement un demi-million de France à former le noyau de souscription pour fonder le canton d’essai de l’Harmonie.

Passons aux aperçus tirés des prodigalités ou déperditions individuelles.

Marialva dépense à Vienne, en 1817, un million de florins (fr. 2,400,000) à une fête de mariage : qu’il en avance le quart sur garantie territoriale pour fonder l’Harmonie, et il devient monarque héréditaire du globe. Observons bien qu’avancer n’est pas dépenser, et que le fondateur, les actionnaires d’un canton d’Harmonie sont aussi bien à couvert qu’un prêteur sur nantissement.

Burdett a, dit on, semé plus d’un demi-million de France pour atteindre au médiocre poste de député; ne peut-il pas, pour obtenir le trône héréditaire du monde, avancer sur garantie la somme qu’il dépense en pure perte pour le grade temporaire de député?

Labanoff, a Pétersbourg, fait construire un palais qui coûtera 16 millions de France. Il se ferait monarque héréditaire du globe avec l’avance d’un 32e de ce qui sera dépensé à un édifice ruineux pour sa famille; car il nécessitera un train de maison à ruiner, sinon le prince actuel, au moins son successeur.

Dans la classe moyenne, dans le commerce, on voit de même de folles entreprises son des millions. Cabarrus de Bayonne s’engage avec le banqueroutier Tassin pour 1,300,000 francs bien perdus pour lui. S’il aventure au-delà d’un million pour gagner une provision de 2 ou 3 cent pour cent, il peut bien placer avec garantie un demi-million dans l’entreprise de l’Harmonie, qui lui vaudrait le trône du monde et le remboursement sur le pied de 144 capitaux pour 1, à lui et à tous les actionnaires.

Avis à ceux qui convoitent les grandeurs et le bénéfice à la fois. Que d’intrigues pour s’élever au rôle précaire de ministre! Le trône du monde tend les bras à tout ambitieux qui voudra l’obtenir par une opération exempte de tout risque.

Ajoutons une particularité bien séduisante pour les coopérateurs. Il y aura à distribuer environ 115 à 120 empires de surface égale à la France, puis des couronnes d’ordre supérieur ou inférieur, le tout à prendre sur les petits Etats mon ralliés en grandes masses, comme ceux de l’Afrique intérieure, auxquels on donnera des empereurs, puis sur les terres incultes contenant les trois quarts du globe, et dont la Hiérarchie Sphérique traitera pour colonisation qu’elle peut seule effectuer par voie d’attraction. Le mode actuel de fondation des colonies, l’émigration de misérables poussés par la famine, sera impraticable du moment où il existera un état de bonheur général; il faudra donc, pour coloniser, recourir à la voie d’attraction ou d’émigration attrayante, qui ne pourra être mise en jeu que par la Hiérarchie Sphérique, et non par les souverains partiels. Cette nécessité où l’on se trouvera de recourir à la Hiérarchie Sphérique pour coloniser et porter le globe au complet sera pour elle un gage certain de la propriété d’environ 120 trônes impériaux à distribuer à ceux qui auront servi la cause du genre humain en provoquant ou aidant l’épreuve de l’Harmonie sur un canton de mille habitants.

Elle ne sera pas moins riche en bénéfices pécuniaires : la colonisation, à caver au plus bas, doit lui rendre successivement quatre mille milliards, par la rétrocession des terrains colonisés, que les colons paieront en annuités. Avec une telle fortune il ne lui en coûtera guère de prendre à son compte la dette d’Angleterre, fût-elle le double, et de rembourser à 144 pour un la somme affectée à l’opération, dans le cas où elle serait faite par un particulier aidé de souscripteurs et de coactionnaires.

Quand ces assertions seront démontrées arithmétiquement et irrésistiblement; quand on verra que la métamorphose du monde social ne tient qu’au facile essai d’une phalange d’Harmonie, on aura plus qu’on ne voudra de souverains , ministres ou particuliers qui se disputeront l’initiative.

L’empereur Alexandre donne 500,000 fr. aux pauvres de Glaris : qu’il les avance sur hypothèque, pour devenir omniarque du globe. Il affecte 60 millions à construire l’église Saint-Sauveur ; qu’il en distraie 800,000 fr. pour noyau d’actions du canton de fondation , il aura outre l’omniarcat du globe, outre l’honneur d’être libérateur du genre humain, l’avantage de faire payer par le globe le double des frais de l’église, 120 millions, pour l’avance des 840,000 fr. qu’il aura distraits sur garantie. Combien d’autres motifs plus brillants à faire valoir; je me borne à ceux d’intérêt, les seuls en crédit chez les civilisés.

Il est un écueil pour les âmes faibles, un piège contre lequel il faut les prémunir; c’est la fausse honte, la crainte de l’opinion et des zoïles, qui jusqu’au dernier moment rebuteront, assailleront le fondateur, prétendront qu’il est dupe d’une vision, qu’il y a folie d’ajouter foi à une théorie qui contredit 400,000 tomes de perfectibilité philosophique, d’où naissent l’indigence et la fourberie.

C’est ici qu’on doit sentir la nécessité d’un bon système de preuves, le besoin d’y donner tout le temps convenable, de ne rien précipiter, et ne pas publier chez les zoïles parisiens, dont les gazetiers ne jugent favorablement que celui qui laisse un rouleau de louis sur leur cheminée.

Quant aux autres nations, elles ont sans doute leur part des faiblesses humaines et surtout de l’amour-propre; j’ai ménagé les moyens de le mettre à couvert par une opinion qui garantira le fondateur des traits de la critique.

Voici quel thème il pourra adopter :

Il pourra feindre de négliger comme suspect et romanesque tout ce qui tient à l’harmonie passionnelle des séries (non expliquées dans ce volume), et ne s’attacher dans leur tableau qu’aux avantages purement matériels, étayés de preuves arithmétiques et péremptoires; ils composent trois branches : 1° culture combinée, 2° ménage combiné, 3° logement combiné. Lesdites associations, impraticables entre dix et vingt familles, sont pleinement praticables entre 200 familles inégales en fortune, et considérées comme une petite ville.

Le candidat de fondation pourra donc prendre un masque de mode, la philosophie perfectibilisante, et dire :

« Je n’ajoute pas foi à l’ensemble de la théorie, à cette unité passionnelle de 144 séries, à ce prestige d’un concert de 810 caractères distribués par octaves comme un jeu d’orgues. C’est l’écart d’imagination d’un inventeur que des succès réels ont emporté au-delà des bornes; mais distrayant de ses calculs la portion suspecte d’illusion, j’en adopte seulement les dispositions matérielles, dont le compte arithmétique établi démontre un bénéfice du trentuple relatif, ou faculté de mener avec 1,000 fr., dans cette exploitation combinée, le train de vie qui coûterait 30,000 fr. en civilisation ; puis d’obtenir de ce nouvel ordre industriel une foule d’améliorations morales, comme l’extirpation de l’indigence, de la fourberie et du larcin entre les coopérateurs; l’économie prodigieuse de temps, de bras, de machines et de denrées ; une réduction considérable sur la somme de maladies inhérentes au régime industriel et domestique des civilisés. »

C’est ainsi que le fondateur pourra se travestir en économiste moral, pour ne pas se ranger sous les drapeaux d’un inventeur anti-philosophe qui a l’audace d’enlever la plus belle palme aux savants, et de faire dans le fond de sa province une magnifique découverte, pendant que les virtuoses de Paris se battent vainement les flancs pour inventer quelque chose de neuf.

Le Fondateur, dans cette hypothèse, jouerait à mon égard le rôle de sévère critique, séparant le bon or du faux ; en cédant ainsi quelque terrain aux sceptiques, il se concilierait l’opinion, figurerait en perfectibiliseur de civilisation perfectible, en introducteur d’une nouvelle philosophie économico-morale; on sait qu’il en faut une nouvelle à chaque génération, comme un almanach nouveau chaque année.

Au moyen de cette apparente scission avec ma doctrine passionnelle, le fondateur au premier instant recueillera de ma découverte plus de gloire que moi – même, et mon ouvrage ne semblera que le fumier d’Ennius, d’où un Virgile philosophique aura su tirer des perles.

Nouveau triomphe pour lui; s’il veut encenser en toutes lettres le minotaure parisien, le monopole de la perfectibilité de la raison par les idéologues, et les perfectibilités du commerce par les économistes, il devra, dans son manifeste de fondation, déclarer qu’il a puisé son plan non pas dans ma théorie, qui n’envisage que la superficie des choses, mais dans les torrents de lumière des économistes et les profondes profondeurs des idéologues, et pour remplir tous les lecteurs parisiens des plus douces espérances, il assurera que cette fondation a pour but de donner un nouveau lustre à la philosophie du commerce, et de prouver au monde que les sensations naissent des idées, par les perceptions d’intuition de la cognition de la volition du bien du commerce et de la charte.

Avec quelques lignes de ce jargon en vogue, il ravira tous les cœurs académiques et sera proclamé la colonne de la saine métaphysique, l’oracle des grandes vérités du commerce économico-moral et le vrai perfectibiliseur du perfectibilisantisme de civilisation perfectible.

Entre temps le bon apôtre fera ses dispositions pour mener de front l’essai du matériel et du passionnel et courir la chance du double succès. Combien de candidats spéculeront sur ce masque de défiance partielle, pour tenter la conquête du sceptre universel, entre autres les princes qui gémissent en secret d’avoir perdu des trônes ; quelle occasion de revanche ! ceux qui les ont détrônés deviendraient leurs subalternes.

Dire que ces perspectives et autres non décrites séduiront un trentième des candidats, 100 sur 3000, ce n’est sans doute pas exagérer; or il n’en faut pas 100, il suffit d’un seul ; et pour apprécier mes moyens de déterminer l’un des 3,000, il faut attendre que je présente un traité suffisant, il faut, je le répète, se garder d’établir l’augure sur un prospectus partiel, et antérieur aux découvertes de 1814.

On doit donc envisager cet embryon comme les statues grossières des Egyptiens; aucun de nos élèves ne voudrait les avoir faites. Cependant elles ont du prix comme germe de l’art et gage des progrès qu’il devait faire.

Dans le même sens, loin de gloser sur les côtés faibles de ce livre, il serait plus sage de s’étonner qu’à la huitième année j’aie déjà pu réunir tant de parcelles du calcul de l’harmonie, auquel je n’avais donné que deux années franches et quelques moments perdus. Il faut s’étonner que les contemporains n’aient pas vu dans ce prélude les indices d’une grande découverte à poursuivre, d’une science passionnelle absolument neuve et dont tout juge équitable eût opiné à encourager la publication.

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